You are here

IRIS

Subscribe to IRIS feed
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 13 hours 16 min ago

Victoire présidentielle et crise démocratique

Thu, 22/06/2017 - 15:57

Si certains commentateurs voient dans les dernières élections présidentielle et législatives une forme de renouveau de la Ve République, celui-ci s’inscrirait alors sur fond de profonde crise démocratique. Ce nouveau quinquennat renvoie en effet à une situation pour le moins paradoxale : d’un côté, le président Emmanuel Macron dispose d’une majorité parlementaire écrasante ; de l’autre, cette assise politique et institutionnelle ne saurait masquer le fait que la majorité présidentielle comme la majorité parlementaire procèdent d’une minorité du corps électoral. Le niveau record atteint par l’abstention à l’occasion du second tour des élections législatives confirme et aggrave une tendance structurelle.

Si le phénomène abstentionniste donne lieu à des interprétations diverses et contradictoires (acte passif ou actif, voire militant), il témoigne manifestement d’une réaction de rejet du politique et de «crise de foi civique». Outre l’ambiguïté autour de l’offre politique des candidats des principaux partis en lice, la défiance à l’égard de la classe politique et le sentiment que l’élection ne «changera rien» continuent en effet de dominer. Sur ce plan, «l’effet Macron» est pour le moins limité. Certes, les Français ne se désintéressent pas de la chose publique, loin s’en faut, mais ils ne sont pas convaincus ni de la réalité du principe d’alternance, ni de la capacité du politique à changer le réel.

En sus d’un déficit de représentativité politique et sociologique, la crise démocratique – confirmée plus que révélée par ce début de quinquennat – connaît un autre aspect : la situation de l’opposition parlementaire. Non seulement ce bloc est particulièrement hétérogène et fragmenté, mais au sein même des groupes ou franges de cette opposition parlementaire – de gauche comme de droite – les tensions risquent de réduire la lisibilité de l’échiquier parlementaire et de renforcer la porosité entre majorité et opposition. Dans ces conditions, c’est l’effectivité même de la fonction politique de l’opposition qui est posée.

«Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.» La célèbre apostrophe du député André Laignel  soumet le droit et la démocratie à la loi de la majorité. Alexis de Tocqueville fustigea cette forme de «tyrannie de la majorité», ce mode de gouvernement où «la majorité d’un peuple a le droit de tout faire». Certes, la démocratie implique par définition que le pouvoir politique soit exercé par la majorité que le peuple a désignée.

Toutefois, le respect de la minorité politique – en général – et de l’opposition parlementaire – en particulier – est également inhérent à la théorie de la démocratie. Celle-ci inclut la faculté de concurrencer l’offre politique de la majorité et de contrôler son action au pouvoir. C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit la fonction de contre-pouvoir de l’opposition parlementaire, comme représentation institutionnelle d’une minorité politique. Dans un régime présidentialiste régi par le fait majoritaire, la pratique politique aboutit à une fusion du «couple exécutif/législatif» qui rend partiellement fictif le principe de séparation des pouvoirs.

Plus précisément, le fait majoritaire et la solidarité instituée entre le gouvernement et la majorité parlementaire mettent à mal la pertinence du principe de séparation des pouvoirs, auquel se substitue la configuration incarnée par le couple «opposition/majorité gouvernementale». Autrement dit, la véritable «séparation» est la séparation entre pouvoir majoritaire qui d’un seul tenant est à la fois exécutif et législatif, et opposition. C’est pourquoi, «[u]ne démocratie […] c’est un exécutif appuyé sur la Nation et contrôlé par une opposition parlementaire» (G. Vedel, Le Monde, 20 juillet 1958).

L’opposition parlementaire est au cœur du jeu démocratique et de l’équilibre des pouvoirs. Outre sa fonction de représentation (celle d’une minorité du corps électoral), la raison d’être de l’opposition parlementaire réside, il est vrai, dans l’action de contrôler la majorité parlementaire/gouvernementale et de proposer des solutions politiques alternatives. En cela, elle a vocation à exercer un contre-pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage populaire. A contrario, l’absence d’opposition parlementaire effective (qui se serait en incapacité d’exercer des droits élémentaires tels que le dépôt d’une motion de censure et la saisine du Conseil constitutionnel) élèverait d’un cran le niveau de la crise démocratique d’une Ve République qu’on dit en perpétuelle renouveau…

Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine et son adhésion à la CEDEAO : quelles conséquences pour les ensembles régionaux ?

Thu, 22/06/2017 - 14:41

La réintégration du Maroc au sein de l’Union africaine le 30 janvier 2017, ainsi que l’accord de principe de son adhésion à la CEDEAO les 5 et 6 juin 2017 au 51e sommet de la CEDEAO à Monrovia, sont deux grandes réussites diplomatiques pour le royaume. Elles ont été longuement préparées par les divers volets de la diplomatie marocaine qui combine diplomatie des voyages et du portefeuille, influence religieuse, accords de sécurité et coopération militaire, et surtout diplomatie économique avec les pays africains. Elles témoignent du retour de l’un des fondateurs de l’OUA en 1963 qui l’avait quitté en 1984. Cette réintégration modifie la donne vis-à-vis de l’Algérie, peut s’accompagner d’une intégration au sein de la CEDEAO et de l’UA, ainsi que peut-être participer au dénouement de l’impasse du Sahara occidental.
Nous rappellerons dans cet article : (I) les différents volets de la diplomatie marocaine et l’histoire des relations entre le Maroc et l’OUA devenue UA, notamment concernant le Sahara occidental ; avant de présenter (II) les principaux enjeux régionaux africains de cette réintégration au sein de l’UA et de son adhésion à la CEDEAO ; puis dessinerons (III) quelques perspectives.

Les liens entre le Maroc et l’UA et la question du Sahara occidental

Le Sahara occidental est longtemps resté le caillou dans la chaussure marocaine, représentant à la fois un facteur majeur de tension avec l’Algérie et de blocage de l’UMA.

Le Maroc a été actif dans la création de l’OUA. Le principe d’intangibilité des frontières a été alors adopté pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore concernant le caractère arbitraire des frontières, cicatrices de la violence de l’histoire, ainsi que pour réduire les risques des guerres de sécession. Il y a toutefois eu de nombreux contentieux. La question s’est posée de savoir quelle était la définition des frontières spécifiques au Sahara espagnol en 1975 : un rattachement au Maroc ou une autonomie ? Lors de son indépendance en 1956, le Maroc a demandé le respect des droits sur le Sahara espagnol antérieurs au protectorat français. Ultérieurement, la Mauritanie a réclamé le rattachement du Sahara occidental au nom de la continuité territoriale. En 1973, le front Polisario a réclamé l’indépendance soutenue par l’Algérie. En 1975, après le retrait de l’Espagne, une administration tripartite Espagne- Mauritanie-Maroc était envisagée lorsque la marche verte de 35 0000 Marocains a conduit au maintien du Sahara occidental dans l’espace national du Maroc. En 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est reconnue par 72 États des Nations unies (40 aujourd’hui). En 1984, 26 des 50 États membres de l’UA ont admis la République sahraouie (RASD) au sein de l’UA. Le Maroc a alors décidé de quitter cette organisation et des affrontements armés ont eu lieu jusqu’en 1992. L’Algérie a fait de la question sahraouie et du soutien au Polisario un cheval de bataille. La force des Nations unies MINURSO est présente depuis 26 ans (1991), avec pour mandat de surveiller le cessez-le-feu, de vérifier le départ des troupes marocaines et initialement d’organiser un référendum. La bataille juridique a été menée par le Maroc et de fortes tensions sont apparues en 2016 entre le royaume et Ban Ki Moon, qui avait parlé d’occupation. Le Polisario a, quant à lui, perdu de sa capacité armée, tout en présentant un risque de liaison avec les trafiquants, les djihadistes et de non contrôle de la sécurité des frontières.

Les Nations unies ont préconisé une autonomie mais pas une indépendance du peuple sahraouie (25 0000 pour 540 000 habitants). Le principe d’un référendum a été accepté mais avec contentieux pour savoir si les Marocains présents avaient un droit de vote.  La donne a toutefois changé avec le temps. On note une lassitude des Nations unies face au coût de la MINURSO ; tandis que le Maroc a intégré de fait le Sahara occidental dans son espace territorial par des infrastructures et des implantations de population et d’entreprises.

Le Maroc a surtout changé de stratégie via quatre principaux volets de diplomatie :

– par les ambassades, les voyages et les accords diplomatiques. Il a patiemment noué des liens avec la majorité des États africains par une diplomatie des voyages et un élargissement des alliances. Le roi Mohamed VI a ainsi effectué plus de 40 voyages en Afrique.

– par le soft power religieux et une lutte contre le salafisme et le wahhabisme. De nombreuses relations ont ainsi été mises en œuvre dans le champ religieux (mosquées, formations d’Imam dont 500 au Mali, confréries Tidjane avec le Sénégal, islam malékite).

– par une coopération sécuritaire renforcée. Le « roi Africain » a su trouver la majorité des alliés lui permettant de réintégrer l’UA contre les positions de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de l’Angola ou du Nigeria. Il n’a plus posé comme condition de sa réintégration le départ de la RASD. Certains opposants considèrent toutefois que le loup était rentré dans la bergerie pour éliminer ensuite le mouton noir.

Les enjeux internationaux et régionaux    

Une diplomatie Sud/Sud

Le Maroc a une diplomatie Sud/Sud qui se situe dans la longue histoire de l’État Maghzen, tout en intégrant les changements de la donne nationale, régionale et mondiale.

Le royaume s’insère dans un contexte mondial multipolaire caractérisé par un essoufflement du multilatéralisme, une montée du multi-partenariat et une prolifération des accords régionaux ou bilatéraux.  Il s’insère dans les chaînes de valeur mondiale, tout en ayant une politique active d’industrialisation. Sa compétitivité résulte à la fois d’une politique territoriale (par exemple, les écosystèmes industriels de Tanger) ; d’avantages compétitifs transférés par les firmes multinationales (savoir-faire, brevets, licences, sous-traitance etc.) ; d’une stratégie d’attractivité des capitaux (la Place financière de Casablanca est devenue la première d’Afrique) ; et d’une construction d’avantages compétitifs par les holdings du roi et des firmes publiques (capitalisme d’État).

Sur le plan national, la nouvelle Constitution de 2011, le plan émergence et le poids du parti islamiste (le PJD) dominant face au parti du pouvoir royal (le PAM), traduisent un relatif consensus sur la politique internationale. Quant à la politique sociale, elle essay=ie d’atténuer les énormes inégalités et le très fort chômage, notamment chez les jeunes (plus de 30%).

Sur le plan régional, le Maroc combine une politique de fortes relations avec l’Union européenne (UE), bien qu’en déclin, avec une réorientation vers le Proche et Moyen-Orient, ainsi que vers l’Afrique. La demande d’intégration de l’UA se situe dans une nouvelle diplomatie Sud/Sud de la part de l’Empire chérifien, longtemps lié à l’Europe et au monde occidental. On note, en outre, une ouverture vers la Russie et plus récemment vers la Chine mais également vers les pays du Golfe, parallèlement à un certain relâchement avec l’UE. Le risque de rupture avec la Suède a été grand à propos du dépôt en septembre 2015 d’un projet de loi reconnaissant la République sahraouie démocratique, avant que ce projet soit retiré par Stockholm. Le Maroc a progressivement développé une politique de non alignement et, en tant que pays francophone et arabophone, il a noué des liens au sein de ces deux mondes. À la différence de son rival algérien, le Maroc accepte de s’engager hors de ses frontières et a une diplomatie active avec son Sud. Le Comité d’État-major opérationnel conjoint (CEMOC, regroupant l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger) reste une coquille vide, même si l’Algérie a pesé dans les accords d’Alger sur le devenir du Mali.

Les enjeux régionaux

Le Maroc adopte une approche pluridimensionnelle du développement Sud/Sud qui a été initié il y a 10 ans en Afrique de l’Ouest et s’étend en Afrique orientale. Les projets sont sécuritaires, religieux et sociaux. Il importe de différencier le régionalisme – règles et appartenance à des organisations régionales – de la régionalisation – projets, coopération et acteurs.

Les organisations régionales

Le Maroc fait partie de deux organisations régionales : l’UMA et la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD).

L’UMA est une coquille vide du fait des relations tendues entre l’Algérie et le Maroc. Elle traduit la paralysie de la construction maghrébine et la question du Sahara occidental ne fait que cristalliser ces antagonismes. Elle est également un prétexte qui n’a pas empêché la création de l’UMA en 1989 et une réouverture momentanée des frontières. On peut espérer que sa solution favorise la fin des blocages dont le coût est considérable pour le Maroc comme pour l’Algérie. Le Maroc reste le pays le plus intégré au sein de l’UMA. En revanche, son adhésion à la CEDEAO est le signe d’un désengagement vis-à-vis de l’organisation.

La CENSAD créée le 4 février 1998 comprend  28 Etats africains. Le Maroc y joue un rôle important.

Le royaume a demandé son intégration à la CEDEAO. Des liens institutionnels ont été noués depuis 2000 avec 24 visites dans onze des quinze pays membres. Le Maroc a fait sa demande d’adhésion après avoir intégré l’UA et le 24 février dernier, une lettre a été envoyée à la présidence de la CEDEAO pour passer du statut d’observateur à celui de membre à part entière. La décision a été prise les 5-6 juin 2017 à Monrovia d’un accueil de principe dont il reste à définir les modalités juridiques, alors que la Tunisie a obtenu un statut d’observateur et que la Mauritanie n’a pas été intégrée. Il fallait un accord à l’unanimité et donc lever la réserve du Nigeria. Cette intégration permet au Maroc de contourner l’échec de l’UMA et d’institutionnaliser son ancrage au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Cependant, de nombreuses dispositions juridiques doivent être prises pour rendre cette décision effective ; tandis que plusieurs dossiers devront être réglés, notamment monétaires et commerciaux avec la mise en place d’un Tarif extérieur commun (TEC) pour un marché de 350 millions de consommateurs réels ou potentiels. La CEDEAO deviendrait avec le Maroc la 16e puissance économique mondiale

Concernant la prolifération des accords bilatéraux, on estime à 500 le nombre d’accords juridiques de coopération avec les pays africains, dont 14 accords commerciaux bilatéraux de type NPF (nation la plus favorisée).

La régionalisation de facto et le multi-partenariat

Le Maroc demeure largement polarisé sur l’Europe. Il bénéficie du statut avancé avec l’UE et est à la fois un interlocuteur privilégié des pays du Conseil de coopération du Golfe. Le commerce avec l’Afrique s’élève à 6% du commerce mais les échanges commerciaux avec le continent croissent rapidement, notamment du fait de la montée en puissance d’une classe moyenne : ils sont passés de 1 milliard de dollars (2004) à 4,4 milliards (2014) et l’Afrique de l’Ouest correspond à la moitié de ses exportations. Les indices d’intégration régionale (16 indicateurs dans cinq domaines : commerce, production, infrastructures, libre circulation des personnes, finance) sont élevés. L’essentiel du processus d’intégration régionale résulte des secteurs privé et public marocains. Le Maroc est ainsi devenu le second investisseur africain dans le continent via les holdings du palais et les firmes multinationales, tels Saham dans la santé, Maroc Telecom, Royal Air Maroc, les banques Attijariwafa Bank implantées dans 14 pays africains, la Banque centrale populaire dans les huit pays de l’UEMOA, le partenariat avec Commercial Bank of Ethiopia, l’hydraulique, la construction et les BTP…

Le Maroc se positionne comme intermédiaire dans la division internationale du travail. Il joue notamment le rôle de hub entre les investissements étrangers, notamment européens, vers les pays africains. Il a une position subordonnée envers les investissements européens mais dominante face aux pays africains. 1/3 des exportations vers l’Afrique sont à haute valeur ajoutée. Les groupes d’intérêt économique se constituent avec des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire et des joint-ventures se développent.

Certains secteurs sont entraînants, notamment à partir de Tanger. Parmi eux, le secteur aéronautique marocain est au 15e rang mondial avec 121 entreprises, 11 000 emplois et 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Il participe de l’écosystème industriel de la zone de Tanger et doit doubler d’importance avec le récent accord avec Boeing. Le secteur automobile (avec une usine Renault/Nissan à Tanger) a permis le développement de sous-traitants (moteurs de transmission, câblage, batterie, etc.) et occupe la première place des exportations devant le phosphate et les produits agricoles. L’Office chérifien des phosphates (OCF) est à la conquête de l’Afrique avec une capacité de 1 million de tonnes d’engrais destiné au continent (Africa Fertilizer complex) ; 14 filiales ont ainsi été implantées, notamment au Rwanda et en Ethiopie. Le Maroc est aussi spécialisé dans l’offshoring et les activités liées au tourisme ; tandis que les grands chantiers structurants concernent le gazoduc Maroc-Nigeria ou l’autoroute Tanger-Lagos. Enfin, le Maroc est aussi en pointe dans les nouvelles technologies du numérique.

L’influence du royaume concerne également l’économie verte et les énergies renouvelables (cf. la COP 22 à Marrakech). Dépendant en énergies fossiles (97% est importée pour l’électricité), le Maroc a prévu que 42% de l’électricité proviennent d’énergies renouvelables en 2020 (solaire ou éolienne, cf. la centrale solaire de Noor à Ouarzazate pour un investissement de 9 milliards de dollars). L’objectif est de réduire de 32% les émissions de GES d’ici à 2030.

Par ailleurs, le Maroc est une terre d’asile pour les migrants et les réfugiés. En 2014, 30 000 migrants et réfugiés ont été régularisés malgré un taux de chômage de plus de 30% pour les jeunes. Le pays est aussi un lieu de transit pour les migrants cherchant à atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Quelles perspectives ?

De nombreuses inconnues demeurent dans un pays où la monarchie assure l’unité politique et religieuse, où de nombreux secteurs émergent mais où les risques de sociétés à deux vitesses demeurent et les fractures sociales et territoriales sont grandes. La politique extérieure est également fonction de la stabilité politique et de la puissance économique. Les liens entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne remettent en question le clivage Afrique sub-saharienne et Afrique arabo-musulmane qui caractérise les découpages internationaux à commencer par l’UE qui différencie des accords de libre échange (processus de Barcelone) avec l’Afrique septentrionale et les APE post-Cotonou avec l’Afrique subsaharienne, exceptée l’Afrique du Sud.

Un rôle important au sein de l’UA

Le Maroc va jouer un rôle important au sein de l’UA. Il est un poids lourd qui modifie les équilibres et le rôle dominant de quelques États comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie. L’UA, copie des institutions européennes, a été une avancée sur le plan institutionnel mais non un facteur important de régionalisation par les projets et les acteurs. Elle reste un syndicat de chefs d’État, dépendante financièrement et manquant de moyens et de volonté. Déchiré entre une intégration continentale ou régionale et la souveraineté nationale (point de vue algérien et sud-africain), le Maroc va peser pour une intégration régionale plus forte. Il va également renforcer le poids des pays francophones par rapport au poids des pays anglophones.

Dans l’architecture de paix et sécurité, le Maroc est la 45e puissance militaire mondiale et la première force aérienne africaine.

Dans le domaine diplomatique, le royaume joue un rôle d’intermédiaire entre le monde occidental et l’Afrique sub-saharienne.

Un dénouement de la question du Sahara Occidental ?

Le devenir du Sahara occidental est évidemment central. Il peut y avoir une évolution conduisant à une autonomie plus grande, même si les symboles de la souveraineté marocaine demeurent (drapeau, monnaie). Pour l’heure, le Polisario est sous perfusion caritative et algérienne. Les pays du Maghreb n’ont pas nécessairement intérêt à un vote d’autodétermination qui conduirait à l’indépendance d’un espace dominé par tous les trafics, alors que la menace terroriste a été relativement endiguée.

Trois scenarii sont envisageables : le moins probable est l’indépendance après référendum du Sahara occidental ; le second est le statu quo ; le troisième, favorisé par l’entrée du Maroc au sein de l’UA, est une autonomie accompagnée d’une politique de développement économique et social, qui affaibliraient les revendications indépendantistes et traduiraient une victoire du Maroc sur l’Algérie. Les solutions se jouent au sein de l’UA mais surtout des Nations unies. Pour le moment, un bras de fer entre l’Algérie, le Polisario et le Maroc a lieu dans la zone de Guerguerat. La route nationale allant de Tanger à la Mauritanie de 2379 km est coupée sur 4 km le long de la frontière mauritanienne. Cette zone de non-droit est au cœur des différents trafics. Récemment, l’ancien président du Mozambique, Joachim Chissano, soutenant le Polisario a été boycotté par le Maroc.  Pour l’Algérie, la question sahraouie est coloniale et la demande reste celle d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, comme le Maroc et la RASD s’y sont engagés. La RASD reste soutenue par une vingtaine d’États africains, dont deux francophones (Mali et Mauritanie) et douze anglophones.

Quel modèle de gouvernance dans la pensée politique indienne ?

Thu, 22/06/2017 - 14:19

Jean-Joseph Boillot est docteur en économie et co-fondateur de Euro-India Group. Il répond à nos questions à l’occasion de la sortie de son ouvrage « L’Inde au chevet de nos politiques : L’art de la gouvernance selon l’Arthashâstra de Kautilya », éditions du Félin (2017).
– En quoi ce traité indien du IVe siècle éclaire-t-il sur la « bonne gouvernance » d’un État ?
– Comment expliquer la crise de gouvernance que vivent les démocraties libérales aujourd’hui ?
– Comment analyser la politique de Narendra Modi ? Qu’entendez-vous par « despotisme oriental » ?

La RD Congo condamnée à une crise sans fin ?

Wed, 21/06/2017 - 18:30

Face aux violences meurtrières perpétrées en RDC, l’armée locale et les forces onusiennes apparaissent inefficaces. Le point de vue de Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS et ancien ambassadeur en RDC.

Quelles sont les origines du conflit et de la dégradation de la situation politique ?

Aujourd’hui, la situation politique en RDC est bloquée. L’actuel président Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 à l’âge de 29 ans, à la suite du décès de son père, a été conforté à ce poste à l’issue de deux scrutins électoraux, largement contestés. Son mandat aurait normalement dû s’achever fin 2016.

L’organisation matérielle et technique du processus électoral dans ce pays immense – quatre fois la superficie de la France, 70 millions d’habitants et des infrastructures défaillantes – est particulièrement compliquée. Le fichier électoral n’est pas tenu à jour. Il faut pourtant fournir une carte électorale à tous les nouveaux électeurs. Le matériel électoral doit aussi être installé. Or, le centre du pays est difficilement accessible – notamment la région du Kasaï et le cœur forestier – sans des moyens logistiques lourds. L’argument de la complexité matérielle est avancé par Joseph Kabila pour expliquer le retard du processus électoral. Il est réel.

Le deuxième facteur réside dans l’impossibilité pour l’opposition de s’organiser pour préparer ces élections et proposer une option alternative à Kabila. Ceci s’explique largement par l’importance du fait régional et ethnique. Les personnalités de l’opposition sont d’abord des représentants de leur fief : le Kasaï pour Felix Tshisekedi, le Kivu pour Vital Kamerhe ou le Katenga pour Moïse Katumbi. Ils ont une dimension régionale et peu nationale, ce qui n’était pas le cas Tshisekedi père, opposant de toujours et récemment décédé. Ainsi, par exemple, un kasaïen aura toujours du mal à voter pour un katangais à cause d’histoires anciennes et douloureuses entre ces communautés.

Les Églises jouent un rôle très important dans la vie politique. Le cardinal Laurent Monsengwo, personnalité charismatique, a joué un rôle clé depuis les années 2000 en tant que président de la Conférence nationale. Les Églises veulent éviter toute violence et sont parvenues in extremis avant le 1er janvier de cette année à un accord dit de la Saint-Sylvestre. Cependant, celui-ci n’arrive pas à se mettre en place. Il prévoyait que Kabila reste un an mais que l’opposition lui propose trois candidatures de Premier ministre. Il a au final choisi lui-même son Premier ministre au sein de l’opposition mais ce dernier n’est pas accepté par toute l’opposition, notamment à cause du fait régional.

Depuis son indépendance en 1960, marquée par l’assassinat de Patrice Lumumba, puis avec les 30 ans du régime dictatorial de Mobutu, suivis de l’occupation du pays par les forces rwandaises et ougandaises et enfin l’installation des Kabila, père et fils, l’histoire du Congo est une tragédie. Il n’empêche, vaille que vaille, le pays est toujours parvenu à sortir de ses impasses en trouvant des compromis plus ou moins stables. Des poches de violence existent toujours dans le pays mais la RD Congo demeure, coûte que coûte, dans ses frontières. Un miracle en quelque sorte !

Aujourd’hui, le cas congolais reste particulier en comparaison d’autres pays. En Afrique de l’Ouest, l’alternance est devenue un fait démocratique (Ghana, Sénégal, Gambie, Nigéria) avec l’élection comme processus exemplaire de maturité politique et la reconnaissance de l’opposition. Ce n’est par contre pas le cas en Afrique centrale, encore régie par des autocrates installés depuis une trentaine d’années pour certains (Paul Biya, Yoweri Museveni, Sassou Nguesso, Teodoro Obiang, Bongo père et fils). Au regard de ces derniers cas, la RD Congo, régulièrement montrée du doigt comme le mauvais élève, n’affiche pas une situation aussi pire qu’on le dit.

Peut-on envisager des négociations ? Avec quels acteurs ?

En réalité, les communautés internationale, américaine et européenne ont une faible influence en RDC. On aurait tort de penser que les résolutions de l’ONU ou les prises de positions de capitales du Nord puissent agir efficacement pour instaurer la stabilité du pays et établir un consensus politique. Les Belges, les anciens colonisateurs, suivent de près la situation et tentent d’interférer mais trop souvent de manière maladroite ; ils sont perçus comme des donneurs de leçons.

C’est plutôt en interne que les solutions doivent être trouvées. La balle est du côté du clan de Kabila et celui-ci doit se rendre compte de la nécessité de quitter le pouvoir fin 2017, en obtenant en contrepartie des garanties sur son immunité future.

Plutôt que les communautés européenne et internationale, c’est l’Union africaine qui peut être influente. En son sein, certains chefs d’États ont un poids incontestable comme Paul Kagamé (Rwanda) et Yoweri Museveni (Ouganda). Le problème est que ces deux pays ont occupé le Congo il y a une quinzaine d’années et sont les voisins malaimés de la population. Il faudrait plutôt trouver des personnalités du côté du Kenya, de la Tanzanie, du Mozambique… Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo, a aussi un rôle à jouer en tant que voisin ; d’autant plus que son pays peut être directement affecté par la situation en RDC.

Comment expliquer l’impuissance de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) ?

La RDC a toujours connu la présence des Casques bleus puisque certains pays occidentaux ont pratiquement envoyé des troupes depuis l’indépendance en 1960. Lors de l’arrivée de Kabila père en 1994 et surtout après son assassinat en 2001, les forces des Nations unies ont grossi pour assurer la sécurité du territoire, jusqu’à atteindre 20 000 personnes (militaires, policiers et administrateurs), pour un coût dépassant le milliard de dollars. Les Casques bleus sont principalement concentrés au Nord et au Sud Kivu mais l’insécurité est croissante dans le Kasaï, tandis que le Nord-Katanga n’est pas stabilisé. Dans les régions les plus fragiles, le conflit trouve surtout son assise dans l’exploitation des minerais (coltan, étain, or) et dans les intérêts fonciers.

Les forces de l’ONU sont globalement considérées comme inefficaces par la population. Lorsque celle-ci est victime de razzia d’un groupe Maï Maï ou de prédation de l’armée, elle juge que les Casques bleus tardent à intervenir. De son côté, l’armée nationale est particulièrement inopérante, mal payée, mal équipée, mal formée et mal nourrie. Elle représente un conglomérat d’une cinquantaine d’anciens groupes rebelles et on assiste à l’intérieur de l’armée à la reconstitution de fait de ces groupes rebelles, autour de leur ancien chef ayant obtenu un grade élevé. L’armée est donc fragmentée, inefficace et mal organisée avec des chefs menant parfois des actions pour leurs propres intérêts, parfois au détriment des populations (pillage, contrôle du marché des minerais…).

En parallèle, les Casques bleus sont trop souvent barricadés dans leur campement et ont peu de relations directes avec la population. Les seules forces onusiennes véritablement efficaces sont les troupes d’origine africaine car elles ont une plus grande proximité et une meilleure compréhension de la situation des Congolais. On se souvient que lorsque les forces de l’ONU étaient dirigées par le général sénégalais Babacar Gaye, elles étaient probablement plus efficaces.

L’éternelle question, dans une zone d’insécurité et de grande vulnérabilité de la population, est de savoir si l’on peut engager des combats préventifs pour neutraliser des rebelles. Le pouvoir d’intervention des Casques bleus a certes été étendu mais ils restent encore très réticents à aller au combat sans la garantie d’une forte protection, ce qui entrave leur efficacité.

Colombie : « Nous saurons si le processus de paix avance ou recule, après la présidentielle »

Tue, 20/06/2017 - 14:30

A ce stade, quels facteurs pourraient empêcher le processus de paix avec les FARC d’aboutir ?

La Colombie a une longue tradition de culture de la violence, qui s’alimente elle-même. L’obstacle principal à ces accords est que les acteurs de la violence dans le pays ne se limitent pas aux FARC. L’ELN [armée de libération nationale, guévariste], la deuxième guérilla de Colombie après les FARC, a refusé de participer aux accords de paix initiaux, bien qu’elle soit, maintenant, en négociation de son côté.

Mais ce sont surtout les bandes mafieuses qui posent problème. Elles investissent les territoires ruraux laissés derrière par les FARC, notamment la côte pacifique colombienne. Mêlés à des trafics de drogue, de voitures ou encore de minerais, ces groupes ont des intérêts privés économiques et ne sont aucunement politisés, contrairement aux FARC ou à l’ELN. Ces groupes de délinquants agissent par appât du gain, mais ils parviennent à s’afficher comme de véritables opposants au processus de paix.

La réforme agraire est l’un des principaux points de l’accord de paix. Elle pourrait permettre de restituer leurs terres aux paysans expropriés par un demi-siècle de conflit. Sauf que les groupes mafieux se sont positionnés contre ces paysans, en défendant les intérêts des actuels occupants, allant jusqu’à assassiner certains. Le processus de paix se poursuit, mais il prend du retard et est indiscutablement handicapé par toute cette violence.

Un demi-siècle de conflit ; 7,1 millions de personnes déplacées ; 260 000 morts et plus de 60 000 disparus… Trois années de tractations entre le gouvernement du président Juan Manuel Santos (centriste) et les FARC sont-elles vraiment suffisantes pour réunifier le pays et réintégrer les FARC dans la société ?

Certainement pas. Les Colombiens en périphérie des villes sont ceux qui ont le plus souffert de la guerre durant toutes ces décennies. Eux veulent la paix. C’est pour cela que les campagnes ont bien plus voté en faveur du référendum sur l’accord de paix en octobre 2016 que ne l’ont fait les villes. Ce sont les habitants de ces dernières qui ont finalement fait gagner le « non » à l’issue de ce référendum. La Colombie devient de plus en plus urbaine et les habitants les villes voient les FARC comme des criminels avec qui il n’y a pas de raison de faire la paix.

Cet accord est aussi influencé par un phénomène d’opposition à la politique globale du président Santos. Nous nous retrouvons dans une situation étrange où ce processus de paix avec les FARC est bien plus populaire à l’internationale qu’à l’intérieur de la Colombie. Juan Manuel Santos est véritablement le seul en ce moment à défendre l’accord de paix dans son pays. Et tout cela est en partie à cause d’un agenda politique dû à l’élection présidentielle en 2018.

Cette élection présidentielle pourrait-elle vraiment mettre en péril le processus de paix ?

Historiquement, les élections présidentielles ont toujours entravé les processus de paix en Colombie. Chaque accord trouvé entre un groupe armé et le gouvernement finit par être conspué à la présidentielle suivante, et la violence se perpétue par le biais d’autres groupes armés. L’élection de 2018 pourrait ne pas faire exception. L’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010) de la droite conservatrice ne cesse de se montrer critique envers les accords avec les FARC. Les petits partis de gauche ne disent rien, alors qu’ils sont pour la paix. Mais ils ne veulent pas faire de publicité au camp du président Santos.

En fait, on ne parle de l’accord de paix à l’intérieur du pays que pour en dire du mal, ce qui n’est pas pour aider son acceptation par une population urbaine de moins en moins intéressée par le sujet. Le 20 juin est une étape supplémentaire, mais sans réel impact. Cet accord de paix, nous saurons s’il avance, ou recule, après l’élection présidentielle colombienne.

Samedi 18 juin a eu lieu un attentat à la bombe dans capitale Bogota, qui a fait trois victimes, dont une Française. Les auteurs de cet acte n’ont toujours pas été identifiés. Mais le gouvernement semble penser que c’était bel et bien le processus de paix qui était visé à travers cet attentat…

Il faut analyser le déroulement de cet attentat. Il a eu lieu dans des toilettes réservées aux femmes dans un centre commercial. L’acte était ciblé. Les personnes visées étaient clairement des femmes urbaines, issues de classes aisées. Je suis d’accord avec les suppositions du gouvernement colombien. Cet attentat visait à réintégrer un contexte de violence dans les villes et le timing permet de faire le lien avec l’avancée du processus de paix. Cet acte a pour but de créer une instabilité, donc d’instiller l’angoisse au sein des électeurs urbains qui sont, comme je le disais, les plus opposés à l’accord.

Perpétrer un attentat sans le revendiquer permet de garder la population dans une zone de brouillard et de faire passer l’idée qu’un accord de paix avec des « criminels » va ramener la violence dans les villes. Nous savons à qui cette angoisse pourrait profiter : les groupes mafieux et ceux qui pensent que la place des FARC est en prison.

Propos recueillis par Camille Mordelet

Gazoduc East Med : quel rôle pour la coopération énergétique en Méditerranée orientale ?

Mon, 19/06/2017 - 18:17

Les dirigeants d’Israël, de Chypre et de Grèce se sont réunis à Thessalonique le 15 juin. Ils y ont évoqué le projet de gazoduc sous-marin East Med devant relier la Méditerranée orientale au sud de l’Europe. L’analyse de Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l’IRIS.

Ce projet de gazoduc East Med est-il vraiment « révolutionnaire » dans le secteur énergétique, comme l’annonce le Premier ministre israélien ?

Tout dépend sous quel angle nous entendons le terme « révolutionnaire ». Les grandes nouveautés du gazoduc East Med sont majoritairement d’ordre technique. Il s’agira du gazoduc le plus profond jamais vu et également l’un des plus longs gazoducs sous-marins au monde. Poser un gazoduc à une telle profondeur représente donc une évolution majeure, plutôt qu’une révolution.

En revanche, d’un point de vue purement énergétique, il n’y a aucune révolution compte-tenu de la taille modeste de ce gazoduc. En effet, lorsque sa première phase – pour l’instant la seule annoncée – sera achevée, il présentera un volume de seulement 10 milliards de mètres cube de capacité annuelle. À titre de comparaison, en Europe, le gazoduc Nord Stream en provenance de Russie et qui passe sous la Baltique fait déjà 55 milliards de mètres cube. Et lorsqu’il sera étendu en deuxième phase avec la signature des accords Nord Stream 2, il fera alors 110 milliards de mètres cube, soit une capacité dix fois plus grande que le gazoduc East Med.

S’agit-il pour l’Europe de diminuer sa dépendance au gaz russe ? Le prix de ce dernier n’est-il pourtant pas imbattable ?

Il s’agit plutôt d’une réflexion de long-terme, davantage d’ordre politique que de questions réellement économiques. On observe une volonté très claire de la part de l’Europe de diversifier ses approvisionnements. Depuis 2008 et les différents projets se rattachant au grand plan communautaire du Corridor Sud-européen, l’Europe s’est effectivement lancée dans une diversification des routes depuis l’Est, au sens large (Asie centrale, Caucase, Méditerranée orientale). Il s’agit ainsi de contourner la Russie par le flanc Sud-Est du continent.

Le gazoduc East Med ne fait certes pas directement partie des projets de ce corridor gazier sud-européen – puisqu’il n’appartient pas aux projets financés dans l’Europe dans ce cadre – mais il reste financé par l’UE dans le cadre des Projets d’intérêt commun, tout au moins pour l’étude de faisabilité qui s’est terminée il y a peu. East Med s’intègre donc dans cette stratégie globale de l’Union européenne initiée depuis la deuxième moitié des années 2000 de diversifier ses sources de gaz.

Pour en revenir à la question de la taille, un premier projet appartenant au corridor sud-européen Trans Adriatic Pipeline (TAP) fera lui aussi 10 milliards de mètres cube. En ajoutant cette capacité à celle du gazoduc East Med, on atteint 20 milliards de mètres cube. En comparaison, le volume global en provenance de Russie – en considérant tous les projets russes en cours de développement (Nord Stream 1 et 2, TurkStream, gazoducs terrestres, etc.) – s’élève à plus de 200 milliards de mètres cube annuels. La diversification gazière de l’Europe au travers des gazoducs reste donc très lente.

Quel rôle joue la coopération énergétique pour la paix et la stabilité dans la région de Méditerranée orientale ?

La coopération énergétique représente le point majeur de coopération pour nombre de ces pays. Sur ces questions, on pourrait réussir à trouver des clefs d’entente entre des pays qui s’évitent beaucoup. Au travers de ce projet East Med, on voit par exemple un partenariat qui se dessine entre Israël et Chypre. La situation des frontières maritimes entre ces deux pays n’a été fixée qu’en 2010, grâce notamment aux questions gazières. Par ailleurs, en octobre 2016 lors du Congrès énergétique mondial à Istanbul, la Turquie voulait pousser à un rapprochement entre la République turque de chypre du Nord (RTCN) et Chypre, sous couvert de questions énergétiques pour donner à Istanbul une place prépondérante dans les projets de Méditerranée orientale.

Néanmoins, énormément de problématiques demeurent ouvertes. Les gisements de gaz impliqués dans le East Med Gas Pipeline font partie du bassin levantin, qui se trouve au beau milieu d’une problématique de frontières maritimes, notamment avec le Liban. Des problèmes de frontières maritimes existent en effet entre Israël, le Liban, Chypre et éventuellement la Syrie. Et si par exemple, demain, les territoires de Gaza devenaient des États avec des frontières maritimes, la question des droits de tirage dans des champs gaziers offshore se poserait également.

La coopération énergétique est donc à la fois un facteur d’entente pour des pays qui sont relativement peu opposés mais, pour des pays très antagonistes (comme Israël et le Liban), ces questions peuvent au contraire jeter de l’huile sur le feu.

« France-Algérie » – 3 questions à Serge Pautot

Mon, 19/06/2017 - 11:28

Serge Pautot est avocat au Barreau de Marseille. Diplômé de droit et d’économie des pays d’Afrique (Paris-Panthéon), il participe à la construction de l’Algérie postindépendance. Fondateur de l’excellent site legisport (www.legisport.com), il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « France-Algérie : du côté des deux rives », aux éditions L’Harmattan.

Peut-on qualifier la relation France-Algérie de passionnelle ?

Oui, bien sûr. La longue Histoire (avec un grand H) de notre pays avec l’Algérie est riche et ne fut pas un long fleuve tranquille. La colonisation, même si on ne peut pas la qualifier de « crime contre l’humanité » au sens historique et juridique du terme, fut réalisée au prix de combats difficiles et meurtriers et constitua un système inégalitaire qui ne pouvait aboutir, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’à une lutte pour l’indépendance. Cette dernière, acquise au prix du sang, fut assortie des Accords d’Evian en 1962 en vue d’une coopération entre les deux pays : économique, politique, culturelle, financière… Ces accords n’ont pas tous été exécutés « à la lettre », d’où la persistance de nombreux sujets de conflits et d’oppositions jusqu’à ce jour. Les exemples ne manquent pas : nationalisations des biens vacants laissés par les pieds noirs sans indemnisation, décision unilatérale de nationaliser le gaz et le pétrole, indemnisation des victimes des essais nucléaires au Sahara en attente, arabisation de l’enseignement au détriment du français, querelles politiques voire diplomatiques (Maroc – Algérie), instauration du 49 – 51 dans les relations de partenariat économique…

La France est toujours soucieuse de rester le premier partenaire de l’Algérie sur le plan économique, ainsi que vient de le rappeler le président Emmanuel Macron. La relation passionnelle/frictionnelle qui lie les deux pays l’est également sur le plan de la coopération militaire, sécuritaire et défense dans le Sahel, même si celle-ci est aujourd’hui forte.

Le sport est-il un vecteur de rapprochement des deux pays ?

Qu’il soit individuel ou collectif, le sport constitue d’abord un moyen d’éducation des jeunes, de préparation à la vie en société et aussi de promotion sociale. Le sport a été introduit en Algérie par la colonisation mais très rapidement, dans le football et la boxe notamment, malgré des pratiques discriminatoires – clubs de colons moins accessibles aux musulmans – des sportifs ont émergé et sont devenus des champions. Le football, sport le plus populaire d’Algérie, a eu de grands champions comme Rachid Mekhloufi et Rabah Madjer qui ont joué en France. Il y a aussi l’épopée de l’équipe du Front de libération nationale (FLN) où, cette fois, les joueurs ont quitté les clubs français dans lesquels ils évoluaient pour constituer « l’équipe de la Révolution ».

Aujourd’hui, des footballeurs algériens sont en Ligue 1 même si l’Algérie n’est pas le pays le plus représenté dans nos championnats et nous sommes comme beaucoup favorables à la libre circulation des joueurs. Notre jeunesse issue de l’immigration doit trouver dans le sport un moyen de promotion sociale et d’affirmation de soi en gagnant. Nous ne pouvons pas oublier le fabuleux parcours du français Zinedine Zidane, joueur puis entraîneur. Un jeune des cités qui nous déclare après un match de boxe « j’ai gagné » ou un footballeur qui exprime sa joie après avoir marqué un but rappelle que le sport est facteur de rapprochement. Les deux fédérations de football devraient ainsi organiser un nouveau match amical entre les deux équipes.

La France a-t-elle un problème particulier avec l’islam ?

La France a toujours du mal à assumer son héritage colonial et, avec l’arrivée d’une immigration massive au cours des trente-quarante dernières années, l’islam est devenu la deuxième religion dans notre pays. Nos gouvernants se sont privés d’une véritable réflexion sur leur conception de la pratique religieuse et de la laïcité. La République brandit « à tout bout de champ » le concept de laïcité alors que les enjeux culturels et cultuels de notre société nécessitent des solutions concrètes qui ne soient pas le calque de l’Eglise catholique mais qui ne soient pas non plus l’application de textes de droit interdisant telles ou telles pratiques d’habillement ou autres

La France comptera bientôt – ou déjà – plus de dix millions de musulmans. Elle ne peut plus proposer sa propre culture et rejeter toutes les pratiques, us et coutumes de l’islam. Chaque citoyen de notre pays doit avoir la possibilité (liberté, égalité et fraternité) d’exprimer son identité dans la sphère privée, individuelle et familiale (liberté et possibilité de pratique du culte…) alors que nos gouvernants ne voient dans l’espace public, avec l’expression d’une autre religion, qu’un affaiblissement de l’État. En brandissant, trop souvent, le concept et la règle de droit de la laïcité, nous ressentons constamment des attaques contre la religion.

Aujourd’hui, dans quelle structure un adolescent, issu de l’immigration, hormis la pratique sportive, peut-il s’exprimer ? Pas d’espace, pas de structure donc pas de parole alors qu’un jeune recherche avant tout une expérience valorisante et de la reconnaissance. Nous savons aujourd’hui où se tourne une partie de cette jeunesse pour s’exprimer et trouver ce qu’elle croie être un idéal. On découvre chaque jour les résultats de cette politique d’exclusion et la lutte des pouvoirs publics contre la radicalisation qui en découle.

La dette grecque toujours sous pression

Fri, 16/06/2017 - 17:59

Jeudi 15 juin, de nouvelles négociations se sont déroulées entre la Grèce, les ministres des Finances de l’Eurogroup et le Fond monétaire international. L’analyse de Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l’IRIS.

Cette réunion marque-t-elle une avancée dans la résolution de la crise en Grèce ? L’appel d’Aléxis Tsípras pour un allègement de la dette grecque peut-il enfin être entendu ?

À court terme, le but de cette réunion était de débloquer la prochaine tranche d’aide dans le cadre du troisième programme, de 86 milliards d’euros, qui avait été mis en place en 2015. La négociation a ainsi abouti à l’allocation de 8,5 milliards d’euros.

La question d’un allègement de la dette a toujours été source de problème. Cependant, par rapport aux négociations antérieures, la nouveauté aujourd’hui est que le Fond monétaire international (FMI) avance vraiment l’idée de cet allègement de dette. Mais, dans le même temps, il s’est retiré du programme et n’accepte de le réintégrer qu’à condition que les Européens, notamment l’Allemagne, reconnaissent la nécessité d’un allègement de dette. Or, pour Berlin, il est important que le FMI soit inclus dans l’accord de façon à ménager le Bundestag.

La solution trouvée est donc alambiquée. Le FMI reviendrait dans le programme en échange d’une promesse de prendre en compte la question de l’allègement de la dette l’an prochain. Pour autant, le FMI ne participe pas financièrement pour l’instant mais seulement en termes d’expertise ; il a certes accepté de contribuer à hauteur d’un peu moins de 2 milliards mais c’est un accord suspendu, pour plus tard. Autrement dit, à court-terme le FMI ne contribue pas financièrement mais participe à l’accord d’un point de vue institutionnel.

L’Allemagne est-elle ouverte à revoir sa position inflexible face aux pressions du FMI, voire de la France ? Le sort de la Grèce dépendra-t-il des élections fédérales allemandes de septembre prochain ?

Quasiment tout le monde est en faveur d’un allègement de la dette grecque, d’un niveau actuel d’environ 180% du PIB du pays. Au vu de la situation économique grecque, il est évident que cette dette n’est pas finançable à long terme.

Le problème est que la question de l’allègement est un tabou fondamental en Allemagne, aussi bien au sein de la population, très critique des plans de sauvetage, qu’au sein d’une large partie du monde politique. Le gouvernement allemand souhaite ainsi repousser cette question au lendemain des élections fédérales de septembre. L’insistance du FMI sur la question de l’allègement de la dette a évidemment influencé Berlin, qui a dû quelque peu transiger pour débloquer à court-terme la tranche d’aide à la Grèce. L’Allemagne a donc trouvé une sorte de compromis avec le FMI et les autres responsables européens, consistant à aborder concrètement la question de l’allègement de la dette en 2018.

Précisons que l’idée d’un effacement d’une partie de la dette est totalement rejetée par l’Allemagne. On parle donc plutôt d’un abaissement supplémentaire des taux d’intérêts payés aux créditeurs européens et d’un allongement des maturités. C’est déjà ce qui a été fait à plusieurs reprises mais à chaque fois, les négociations étaient dramatiques. D’où l’idée de la France de rendre cela plus systématique en liant le montant des remboursements à la situation économique de la Grèce, notamment son niveau de croissance, afin d’éviter des négociations de dernière minute, souvent aussi théâtrales que chaotiques.

Après plusieurs années de coupes budgétaires drastiques, dans quelle situation se trouve aujourd’hui la Grèce au niveau économique et politique ?

La situation est globalement très mauvaise pour la Grèce. Depuis le début de la crise, elle a perdu un quart de son activité économique, ce qui rend le poids de la dette d’autant plus insupportable. Le gouvernement actuel est arrivé sur la base d’un rejet des mesures d’austérité liées aux plans d’aide. Toutefois, après avoir gagné un référendum contre les conditions européennes, Alexis Tsipras avait dû capituler en acceptant des mesures d’austérité supplémentaires.

Aujourd’hui, on observe une amélioration, à la marge. La Grèce est revenue à la croissance économique et elle a réussi à afficher un excèdent budgétaire primaire – c’est-à-dire en dehors des paiements d’intérêts sur la dette – de l’ordre de 4%, soit un montant très supérieur à ce qui était attendu. Ce sont donc des signaux positifs. Le problème est que ce redressement fragile provoque un jugement trop optimiste de la part de l’Allemagne quant aux capacités de remboursement de la Grèce. Ainsi, paradoxalement, la relative amélioration de la situation économique grecque a rendu les négociations d’autant plus compliquées.

Les signaux de redressement restent ancrés sur une base d’affaiblissement économique extrême. En dépit de l’accord actuel et des projets d’allègement de dette à partir de 2018, la Grèce restera sous forte pression politique et financière. Il s’agit donc plutôt de lisser ses remboursements pour éviter des négociations trop dures qui nuisent à la crédibilité européenne.

Qatar Ban : le pyromane Trump / le pompier Macron ?

Fri, 16/06/2017 - 15:24

Le 14 juin 2017, au cours de la visite du président français au Maroc, l’Élysée a indiqué que ce dernier recevrait séparément l’émir du Qatar et le prince héritier d’Abu Dhabi à Paris, en vue de faire baisser les tensions dans la région.

L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont décrété un blocus à l’encontre de l’émirat du Qatar, lui reprochant de soutenir le terrorisme. Cette décision est lourde de conséquences, bien plus importantes encore que la rupture des relations diplomatiques. Cela faisait très longtemps qu’une telle sentence internationale n’avait pas été prononcée. Une dégradation de la situation dans une région où les tensions sont déjà très fortes serait extrêmement négative, non seulement pour les pays concernés, mais également pour le reste du monde.

Quelle est l’origine du conflit entre l’Arabie saoudite et le Qatar ? Paradoxalement, c’est le fait qu’ils soient tous deux des pays sunnites et wahhabites qui les oppose. Le petit émirat a toujours voulu se distinguer de son voisin plus grand et plus puissant et a donc cultivé une politique différente pour exister sur la scène internationale. Ainsi depuis plus de vingt ans, l’émirat multiplie les initiatives pour exister face aux Saoudiens, qui se sentent à leur tour défiés par ce qu’ils considèrent comme une simple extension de leur royaume.

Dans cet esprit, le Qatar a lancé la chaîne Al Jazeera qui agace les monarchies du Golfe. L’émirat a également soutenu les printemps arabes, alors que les monarchies du Golfe y étaient opposées. De plus le Qatar soutient les Frères musulmans, tandis qu’aux yeux du royaume saoudien, l’islam politique est une aberration, voire une menace. Enfin, les Saoudiens reprochent aux Qataris d’entretenir de bonnes relations avec l’Iran, alors qu’eux voient en Téhéran une menace existentielle. Le Qatar a effectivement de bonnes relations de voisinage, entre autres raisons parce qu’il partage un gigantesque champ de gaz naturel avec l’Iran, mais y voit là également une façon de se distinguer de l’Arabie saoudite.

Les accusations de soutien au terrorisme sont très graves et largement exagérées. Les Frères musulmans constituent un mouvement politique que l’on peut éventuellement combattre politiquement mais ce n’est en aucun cas un mouvement terroriste. Quant à l’Iran, bien que l’on puisse avoir des différends sur la nature du régime, il est faux de dire que Téhéran soutient le terrorisme. Ces accusations n’ont en réalité que pour but de disqualifier les Qataris.

Pour expliquer cette crise, l’élément le plus récent reste la visite de Donald Trump en Arabie saoudite. Les Saoudiens étaient très critiques à l’égard du président Barack Obama pour trois raisons majeures. Tout d’abord, ils lui reprochaient d’avoir lâché très rapidement Hosni Moubarak, sapant de la sorte la garantie de sécurité américaine. La monarchie estimait notamment que le pacte du Quincy – selon lequel les Américains, en échange de l’accès au pétrole saoudien abondant et bon marché, garantissaient la sécurité du régime -, était remis en cause par le fait qu’un allié aussi solide et docile qu’Hosni Moubarak ait été abandonné si rapidement par Washington. Ensuite, la découverte de gisements importants de gaz de schiste et de pétrole aux États-Unis rendait ces derniers moins dépendants des matières premières énergétiques saoudiennes, remettant donc encore en question le pacte du Quincy. Enfin et surtout, l’accord sur le nucléaire iranien et la réconciliation qu’Obama a entamé avec l’Iran était insupportable pour les Saoudiens.

Dès lors, les Saoudiens, conscients de l’aversion de D. Trump à l’égard de l’Iran, s’étaient réjouis de son arrivée au pourvoir. Ce dernier a effectué sa première visite bilatérale en Arabie saoudite, alors qu’habituellement, un président américain l’accorde au Canada ou au Mexique. À cette occasion, D. Trump a signé d’importants contrats, dont 110 milliards de contrats d’armements, relançant ainsi les tensions et la course aux armements dans la région. Les Saoudiens ont toutefois été rassurés et confortés, ce qui n’est pas sans lien avec la mise en place d’une politique relativement agressive à l’égard du Qatar.

Le problème majeur de cette politique est qu’elle risque de ne produire in fine que des perdants. Il est en effet peu probable que le Qatar change complètement de position et cède aux injonctions saoudiennes, au risque de perdre son indépendance. Les Qataris seront en effet poussés davantage dans les bras iraniens. En agissant de la sorte, les Saoudiens créent donc une prophétie auto-réalisatrice…

D’autre part, ces événements prouvent que la thèse souvent répandue selon laquelle le clivage majeur dans la région résiderait dans l’opposition sunnites/chiites n’est pas aussi exacte. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont en effet deux puissances sunnites. L’émirat a des bonnes relations avec Téhéran et est soutenu non seulement par le Koweït et Oman mais également par la Turquie. On voit donc deux blocs pouvant éventuellement se constituer, ce qui serait très dangereux. Une fois encore, ces profondes divisions montrent bien que l’unité arabe si souvent évoquée n’est qu’un mythe.

Il est d’une importance capitale que les tensions diminuent. Pour cela, le blocus doit être suspendu et un accord doit voir le jour entre les Saoudiens, les émiratis et les Qataris, afin que chacun puisse sortir de la crise la tête haute. En ce sens, l’initiative du président français, E. Macron, de servir d’intermédiaire est excellente – Oman pourrait également jouer ce rôle, de même que le secrétaire général de l’ONU -. C’est donc honorable pour la France de tenter cette médiation sans avoir de certitudes d’y parvenir. Le clivage entre l’incendiaire Trump et le pompier Macron ne pouvait pas mieux s’illustrer.

Qatar ban : le pyromane Trump vs le pompier Macron

Thu, 15/06/2017 - 16:49

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Maroc et Algérie : quelles relations avec le nouveau président français ?

Wed, 14/06/2017 - 15:12

Emmanuel Macron rend visite à un Maroc en proie à des tensions internes, tandis que Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu à Alger. Le point de vue de Kader Adberrahim, chercheur à l’IRIS.

Quels sont les intérêts stratégiques que le président français va chercher à développer avec le Maroc ? La récente réintégration de ce dernier dans l’Union africaine ouvre-t-elle la porte à un partenariat plus poussé avec la France et l’UE ?

La visite du président de la République française au Maroc est toujours importante et attendue. En l’occurrence, il s’agit de la première visite à l’étranger d’Emmanuel Macron en dehors de Berlin.

Aujourd’hui, les intérêts français au Maroc restent très importants, bien que la France y soit en train de perdre du terrain – tout comme en Algérie – au profit de la Chine. Il y a malgré tout plus de 70 000 Français vivant au Maroc et 38 entreprises du CAC 40 qui y sont installées. Le royaume présente donc des enjeux économiques et commerciaux, ainsi que de population puisque des centaines de milliers de Marocains sont installés en France.

Cette relation privilégiée franco-marocaine continue d’être importante mais pour autant, on ne peut plus dire que la France reste le seul partenaire du royaume. En effet, depuis quelques années, le Maroc a décidé de diversifier ses partenariats afin de sortir de ce tête-à-tête avec la France. La réintégration du Maroc dans l’Union africaine montre qu’il cherche à avoir des relations avec à la fois le continent africain et le continent européen. Les dirigeants marocains voient bien que l’Europe est en crise depuis maintenant dix années et qu’elle a beaucoup de mal à en sortir. Il y a également eu des tensions diplomatiques entre l’Europe et le Maroc sur un certain nombre de questions, comme les visas, la question du Sahara, les droits humains… Les Marocains ont donc décidé de diversifier leurs partenariats pour éviter d’être totalement liés à une relation exclusive.

En parallèle, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian s’est rendu à Alger les 12 et 13 juin. S’agit-il pour la France de ménager la susceptibilité de ces deux pays rivaux ? La France a-t-elle un rôle à jouer sur la question du Sahara occidental ?

Il y avait de l’inquiétude côté marocain car pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait beaucoup parlé de l’Algérie, notamment avec sa fameuse déclaration à Alger de « crime contre l’humanité » à propos de la colonisation. Le Maroc se demandait donc si Emmanuel Macron n’avait pas plutôt un tropisme algérien.

La visite du ministre des Affaires étrangères qui intervient juste avant celle du président au Maroc est une manière d’envoyer des signaux clairs en disant : « oui, le président va à Rabat mais il va venir également à Alger très prochainement et nous n’oublions pas notre relation particulière avec l’Algérie ». Dans cette rivalité ancienne entre l’Algérie et le Maroc, les deux pays tentent toujours d’obtenir de la France un statut privilégié. Le locataire de l’Élysée doit donc toujours assurer un jeu d’équilibriste entre les frères ennemis du Maghreb.

Concernant la situation du Sahara occidental, la France a certes les moyens d’intervenir sur la question mais elle ne le fera pas car elle ne souhaite se fâcher ni avec le Maroc, ni avec l’Algérie, bien que l’on sache pourtant que la France a toujours soutenu la position marocaine. Aujourd’hui, on ne voit pas comment sortir de cette crise devenue chronique. La France va donc se tenir à égale distance de ce dossier particulièrement sensible au Maroc et également très délicat à gérer en Algérie.

Cette visite française se déroule dans un contexte tendu au Maroc, en proie à des révoltes dans la région du Rif. Quelles en sont les raisons ? Le gouvernement marocain peut-il être mis en difficulté face ce mouvement ?

Il s’agit de la crise la plus grave à laquelle est confrontée le Maroc depuis l’accession au trône de Mohamed VI en 1999. La situation s’est dégradée et est aujourd’hui inquiétante. Cette crise n’est pas bien gérée de la part du gouvernement marocain puisqu’aucun dialogue n’est amorcé avec les dirigeants de la contestation dans le Rif. Ces derniers ont pourtant émis des revendications en termes social, de droits humains, d’emplois, etc. Certains endroits de cette région aride, enclavée et montagneuse, sont dépourvus d’hôpitaux, de maternités et ont très peu d’industries installées. Les jeunes y ont très peu de perspectives.

Or, on assiste à une répression et à l’arrestation des dirigeants de ce mouvement, qui ont été déférés en pleine nuit à Casablanca devant un tribunal de première instance. Il aurait sans doute été préférable que le gouvernement envoie au contraire des signaux d’apaisement. L’État doit envoyer un signal fort, par exemple en libérant soit une partie, soit l’intégralité des dirigeants de ce mouvement pacifiste, afin d’entamer un véritable dialogue et sortir de cette crise.

La manifestation importante qui a eu lieu dimanche dernier à Rabat a rassemblé au-delà des Rifains. Il existe au Maroc cette sensation de « hogra », c’est-à-dire d’abus de pouvoir de la part de l’administration et de tous les symboles de l’État, doublé d’une corruption endémique. Il ne faudrait pas que ce mouvement du Rif puisse faire la jonction avec d’autres mouvements de contestation ailleurs dans le pays car cela pourrait amener à une situation nouvelle, peut-être équivalente à celle vécue par le monde arabe en 2010-2011.

Afrique / France : une relation nouvelle ?

Wed, 14/06/2017 - 11:04

Le président français, Emmanuel Macron, va effectuer son deuxième déplacement en Afrique en un mois, après avoir reçu à Paris les présidents ivoirien et sénégalais. En conformité avec son annonce de campagne électorale, il fait ainsi du continent africain une priorité.

Nul n’est besoin de rappeler la longue histoire qui unit la France à l’Afrique, ses pages parfois glorieuses et parfois honteuses, ses bienfais et ses méfaits. Mais, ce socle historique ne peut être suffisant pour déterminer l’avenir des relations franco-africaines. En Afrique francophone, la France ne bénéficie plus du monopole stratégique, économique et culturel dont elle disposait auparavant. L’Afrique est entrée de plain-pied dans la mondialisation et multiplie les partenariats avec des puissances non européennes. C’est une opportunité pour les pays africains et un challenge pour la France. À cette dernière de le relever. De son côté, la France ne peut pas se contenter de son pré-carré francophone et doit également se tourner vers l’Afrique anglophone et lusophone.

Au sein de la zone sahélienne, où va se rendre E. Macron, la véritable bataille à mener – et à gagner – par la France et ses partenaires africains est celle de la sécurité et du développement. Ces deux voies ne sont pas antagonistes mais, au contraire, fondamentalement complémentaires. Il faut agir sur les deux fronts de manière simultanée afin de provoquer un cercle vertueux : une sécurité qui permet le développement, gage lui-même de sécurité, et non pas se laisser entraîner dans le cercle vicieux de l’insécurité et du sous-développement.

La France bénéficie d’une présence militaire ancienne de soutien à la sécurité et la stabilité au sein du Sahel et du Sahara, renouvelé après 2013 et l’opération Serval. Lors de sa visite aux troupes françaises à Gao, E. Macron a déclaré : « J’agirai en Afrique en toute transparence loin des réseaux de connivence ». Il n’y a qu’envers l’Afrique que de tels propos sont régulièrement émis, soit pour les justifier, soit pour les critiquer. Il faut « simplement » traiter l’Afrique comme les autres pays, dans le même esprit de partenariat aux intérêts réciproques.

Né une génération après les indépendances de 1960, E. Macron doit éviter les discours largement ressassés sur le passé et ceux dépassés de culpabilisation qui arrangent et déresponsabilisent les élites dirigeantes en Afrique sans régler les problèmes de fond politiques et économiques. Il ne s’agit pas de nier l’Histoire mais de se projeter vers un avenir où chacun assume sa part de responsabilité immédiate et future.

L’Afrique a besoin de moins d’État si cela signifie une bureaucratie étouffante et paralysante mais plus d’État s’il s’agit de mettre en place les infrastructures nécessaires. La consolidation des administrations est indispensable afin d’éviter un retour aux clans et tribus de la période précoloniale. Les armées des pays africains doivent être non seulement plus professionnelles mais également plus nationales avec des bases moins ethnico-régionales ou religieuses.

La lutte contre le terrorisme ne doit pas plus justifier aujourd’hui les manquements à la bonne gouvernance, au respect des droits de l’homme et à l’État de droit que ne le faisait la lutte contre le communisme hier. Cette dernière a permis de blanchir le soutien à des régimes détestables qui ont laissé des héritages catastrophiques, source de nombreux maux actuels. Les pratiques flagrantes de corruption qui discréditent les régimes, désespèrent les jeunes, en les poussant à la rébellion, au trafic divers ou à l’immigration, doivent être combattues.

Le combat indispensable contre le terrorisme ne peut se faire en acceptant les pratiques délétèrent qui le nourrissent. La France n’a pas à choisir les régimes africains à leur place mais, au moment où elle connaît un renouvellement de son personnel politique de très forte magnitude, elle ne peut soutenir de façon inconditionnelle tous les régimes africains. Elle doit avoir des relations avec tous mais conserver ses distances avec certains. Il faut surtout, dans les pays où la démocratie est encore imparfaite, développer les liens avec la société civile. Il ne s’agit pas ici de moralisme mais de realpolitik.

Article co-signé avec Ahmedou Ould Abdallah, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et président du Centre pour la stratégie et la sécurité dans le Sahara Sahel (Centre4s).

Le jour se lève en Macédoine

Mon, 12/06/2017 - 18:43

Après une décennie de ce que la Commission européenne a elle-même fini par nommer une « capture de l’État » par le parti au pouvoir nationaliste VMRO-DPMNE, un nouveau gouvernement issu des élections de décembre dernier a finalement été formé. Il est dirigé par Zoran Zaev, président du parti social démocrate SDSM, en coalition avec plusieurs partis albanais ; cela malgré les résistances du président Gjorge Ivanov, homme de paille du VMRO-DPMNE et de son leader, Nikola Gruevski.

Ce dénouement est le résultat à la fois de pressions venues d’en haut, en particulier de Bruxelles et de Washington, puisque le sous-secrétaire d’État en charge de l’Europe est toujours en place et que les États-Unis n’ont pas prévu de changements majeurs dans leur attitude vis-à-vis des Balkans ; mais aussi d’en bas, de la société civile et des milliers de citoyens qui sont descendus dans la rues ces deux dernières années pour réclamer le départ du VMRO et la fin de son système.

C’est en soi une excellente nouvelle dans une région où les pratiques autoritaires se sont fortement développées ces dernières années ; cela non pas en dépit mais grâce au processus d’intégration européenne, dans la mesure où Bruxelles préfère donner quitus à des hommes forts au nom d’une illusoire stabilité, plutôt que de favoriser l’enracinement de pratiques démocratiques et libérales.

Pour autant, c’est maintenant que le plus dur commence pour le nouveau gouvernement macédonien, tant la tâche est immense pour remettre le pays sur les rails économiquement et sur le chemin de l’intégration euro-atlantique. Cela implique une double dimension dans l’action.

En interne, la priorité est de restaurer l’État de droit, c’est-à-dire à la fois en finir avec les pratiques de népotisme et de corruption, et surtout faire en sorte que la justice passe. La procédure de limogeage du procureur général Marko Zvrlevski va dans ce sens, tant ce dernier n’a cessé de faire obstruction à toutes les procédures touchant le VMRO. Celles-ci sont désormais traitées par un bureau du procureur spécial (SPO), qui travaille tant bien que mal dans un univers judiciaire peuplé de fidèles du VMRO. La marge de manœuvre est étroite dans la mesure où le SPO, dont la création était une exigence européenne dans le cadre des accords de Przino de 2015, a besoin d’un large consensus politique pour survivre. Or, la tentative de prise d’assaut du Parlement par des hommes de main liés au VMRO le 27 avril dernier montre que ses leaders ne sont pas du tout prêts à abandonner le pouvoir, et encore moins à se laisser traîner en justice.

Sur le plan extérieur, le nouveau gouvernement macédonien devra œuvrer sur deux fronts. La principale priorité est de relancer le processus d’intégration euro-atlantique bloqué depuis des années par la Grèce, en raison de la querelle sur le nom même de Macédoine. Sur ce point, les premiers contacts entre Skopje et Athènes semblent indiquer de la bonne volonté des deux côtés. Dès lors, un accord pour débloquer les processus vers l’Union européenne (UE) et l’OTAN ne posant pas comme condition préalable la résolution de la question du nom serait un signal très fort. Le nouveau ministre des Affaires étrangères Nikola Dimitrov, ancien négociateur très respecté sur le sujet, est la personne idéale pour mener à bien cette tâche. L’autre priorité sera d’apurer les relations de voisinage, en particulier avec la Serbie dont on a appris qu’elle avait, avec l’aide de la Russie, cherché à soutenir coûte que coûte le VMRO ; y compris par la présence le jour de la prise d’assaut du Parlement d’un membre de ses services de renseignement. La presse tabloïd serbe, sous contrôle de Belgrade et en étroite liaison avec les organes de propagande russe, n’a pas ménagé sa peine pour répandre le spectre d’une grande Albanie et attaquer Zoran Zaev.

Le compte à rebours est donc lancé pour un gouvernement fragile, dont la majorité ne tient à rien et sur lequel repose une responsabilité immense. De ce point de vue, il y a une fenêtre d’opportunité historique et sans doute éphémère pour les acteurs occidentaux de reprendre pied dans la région, avec d’autres intentions affichées en matière d’exigence démocratique, un véritable plan et un calendrier, afin de contrer l’influence d’autres acteurs comme la Russie qui profitent du vide politique laissé par Bruxelles.

Personne n’oublie que l’assassinat de Zoran Djindjic en Serbie en 2003 a fermé une fenêtre d’opportunité pro-européenne et politiquement libérale historique, au cours de laquelle le destin de la Serbie, et sans doute de la région, aurait pu basculer du bon côté avec davantage de soutien international.

Ni les Balkans ni l’Union européenne ne peuvent plus se permettre de voir les fenêtres s’ouvrir puis se fermer, pendant que des dizaines de milliers de jeunes diplômés quittent la région par la porte de derrière.

Quelles solutions à la crise environnementale en Chine ?

Mon, 12/06/2017 - 18:31

Jean-Francois Huchet est vice-président du Conseil scientifique de l’INALCO. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « La crise environnementale en Chine : Evolutions et limites des politiques publiques », Presses de Sciences Po (2016) :
– Comment la crise environnementale en Chine a-t-elle atteint une telle ampleur ? Quel a été le déclic pour que le gouvernement s’attaque au problème ?
– Quelles sont les politiques chinoises mises en place ? Sont-elles efficaces ?
– Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris est-il l’occasion pour la Chine de devenir le leader mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique?

Le Royaume-Uni dans le flou

Fri, 09/06/2017 - 18:53

Jeudi 8 mai se sont déroulées les élections législatives au Royaume-Uni. Theresa May y a laissé sa crédibilité et sa majorité politique. L’analyse d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.

Comment expliquer la défaite des Tories et le pari manqué de Theresa May d’organiser des élections anticipées ?

L’objectif premier de ces élections anticipées était de donner davantage de légitimité populaire et un mandat politique plus solide à Theresa May, afin qu’elle puisse entrer en négociation avec l’Union européenne (UE) en position de force. Rappelons d’une part qu’elle avait été nommée Première ministre par défaut, sans avoir été élue. D’autre part, qu’elle s’était opposée au Brexit – certes du bout des lèvres – dans le gouvernement de David Cameron. Non seulement l’objectif de ces élections n’a pas été atteint mais il s’est retourné contre elle. C’est donc un pari manqué pour May.

C’est la deuxième fois successive qu’un Premier ministre britannique convoque des élections sans y être contraint, et contre qui le vote populaire se retourne. Pourquoi depuis 2015 les dirigeants britanniques se tirent-ils des balles dans le pied sans y être contraints ? Est-ce dû à un manque de sens politique ? L’hypothèse avancée récemment par The Economist est un manque de qualité du personnel politique britannique. Theresa May a été nommée par défaut, justement parce qu’elle n’avait exprimé aucune opinion forte sur le sujet principal alors à l’ordre du jour, à savoir le Brexit. Jeremy Corbyn n’a certes pas beaucoup de charisme mais il a le mérite d’afficher des principes auxquels il se tient. La Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, est davantage charismatique et s’est proposée d’aider Corbyn à former une alliance progressiste, qui pourrait peut-être construire les prémices d’un Brexit moins dur. Quant au nouveau maire de Londres, il incarne un véritable renouveau et parait posséder un certain sens politique.

Avoir un sens politique signifie deux choses pour un dirigeant. Tout d’abord, être capable de comprendre son pays : notamment le fait qu’aujourd’hui, le Royaume-Uni est un pays parcouru de fractures, y compris aujourd’hui parfois au sein d’une même famille ou d’une même communauté. Deuxièmement, il faut un dirigeant qui ait conscience des enjeux internationaux qui pèsent sur son pays. Or, Theresa May n’a jamais compris Bruxelles et le fonctionnement de l’UE. Elle a mis six mois pour réaliser qu’elle serait contrainte de sortir du Marché unique et elle n’a toujours pas formulé de plan pour le Brexit.

Aujourd’hui, sans leader fort et dans un pays divisé, les dirigeants britanniques n’arrivent pas à sortir le Royaume-Uni de cette situation chaotique. Enfin, rappelons que le chaos politique actuel a été provoqué par les conservateurs puisque c’est David Cameron qui a convoqué le référendum du Brexit. Ce sont donc les conservateurs eux-mêmes qui l’y ont plongé au départ. Sans cette erreur non forcée, le pays n’en serait pas là.

Doit-on interpréter ce résultat comme un rejet des Britanniques de la voie du hard Brexit au profit de celle du soft ?

Pour l’instant, la première certitude est que ces élections vont retarder les choses du point de vue de Londres. Côté européen, Jean-Claude Juncker a déjà dit que l’UE était prête et que l’article 50 avait été activé. Le délai de deux ans est donc déjà en train de s’écouler. Or, avec ces élections, la formulation d’une position britannique est encore retardée. Va-t-elle s’effectuer dans le délai de deux ans ? Rien n’est moins sûr et le calendrier se resserre davantage. Ce scrutin a donc empiré la situation car la position de négociation du Royaume-Uni est maintenant encore plus faible.

La deuxième certitude, c’est que ces élections compliquent encore davantage la situation. Alors que Theresa May voulait raffermir sa position sur le Brexit par ces élections, elles l’ont affaiblie au final.

Comment se profile l’avenir politique du pays ?

Trois hypothèses sont envisageables. La première serait celle d’un gouvernement May construit avec le soutien des unionistes d’Irlande du Nord (DUP), qui sont pro-Brexit et très conservateurs. Dans ce cas, on passerait d’un gouvernement majoritaire à un gouvernement de coalition, ce qui serait un pis-aller par rapport à la situation précédente.

La deuxième option consisterait en un gouvernement travailliste soutenu par le Parti national écossais (SNP). On est loin de savoir si ce cas de figure est possible et quelles en seraient les conséquences. Même dans l’hypothèse où les travaillistes avaient obtenu la majorité absolue, il n’est pas sûr qu’ils aient pu remettre en cause le principe même du Brexit. Ils ont déclaré souhaiter respecter la souveraineté populaire. Au mieux, ils auraient pu adoucir le Brexit, notamment sur les questions d’union douanière, de Cour européenne de justice, etc.

Ces deux options auraient non seulement des conséquences sur le plan européen mais également sur le plan interne au regard de la question écossaise et de la question irlandaise. En effet, si le DUP s’allie avec les Tories, cela aurait des implications sur les questions de réunification entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Si le Labour Party s’allie avec et le SNP, cela aurait un impact sur les négociations pour un second référendum écossais. Les enjeux européens et internationaux sont donc inextricablement liés avec des conséquences à la fois à Bruxelles, à Edimbourg et à Belfast.

La troisième hypothèse serait celle d’un gouvernement conservateur minoritaire faible, qui ne parviendrait pas à gouverner et qui serait donc dans l’obligation de provoquer de nouvelles élections dès cet été.

Au final, alors que ces élections étaient censées clarifier les choses, elles les ont rendues encore plus floues, tant sur les négociations du Brexit, que sur le plan intérieur pour les questions écossaise et irlandaise. Ainsi, l’argument de campagne principal voire exclusif construit par Theresa May, qui se présentait comme la seule à proposer un leadership stable et ferme, est remis en question par ce scrutin de manière possiblement irrévocable.

L’Iran, pièce maîtresse de nombreux enjeux régionaux et internationaux

Fri, 09/06/2017 - 16:29

La République islamique d’Iran est régulièrement sous les feux de l’actualité diplomatique, de par son importance stratégique tant sur le plan régional qu’international. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Trump, mise au ban du Qatar… Pourquoi la République islamique iranienne cristallise-t-elle beaucoup de tensions diplomatiques dans la région ?

Depuis plusieurs jours, beaucoup évoquent une crise diplomatique. Il s’agit, en réalité, bien plus d’une crise politique profonde, susceptible d’entraîner des conséquences économiques.

Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, la véritable obsession que conçoit l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran ne s’explique pas essentiellement par des raisons confessionnelles, de rivalité sunnite-chiite, mais bien par des raisons politiques et géopolitiques. Si le paramètre religieux est bien sûr à prendre en compte, il s’agit d’un paramètre parmi d’autres. Riyad éprouve une véritable inquiétude, une peur même, à voir Téhéran s’imposer comme la force déterminante des équilibres régionaux dans les années à venir. Il s’agit donc d’une classique question de rapport de puissance.

L’inquiétude des Saoudiens est, en ce sens, compréhensible. L’Iran jouit d’une histoire multiséculaire et c’est probablement l’un des seuls pays de la région à posséder une tradition d’État, contrairement aux monarchies pétrolières arabes du Golfe. L’Iran compte par ailleurs 80 millions d’habitants, une main d’œuvre qualifiée, d’importantes richesses en hydrocarbures (gaz et pétrole), autant d’éléments objectifs de concurrence avec Riyad. Par ailleurs, si l’Iran est bien une république, islamique, une consultation électorale a eu lieu en moyenne tous les ans depuis la Révolution de 1979. S’il ne s’agit certes pas d’une démocratie à l’occidentale, le régime bénéficie d’une légitimité populaire, doublée d’une légitimité théocratique.

L’Iran va probablement s’imposer dans la région dans les 10-15 ans à venir, ce qui n’est évidemment pas du goût des Saoudiens. Raison pour laquelle ces derniers – avec les Israéliens et les néo-conservateurs américains, à l’époque opposés à Barack Obama – n’ont cessé de tenter d’empêcher, sans succès, la signature de l’accord sur le nucléaire en juillet 2015.
Depuis son arrivée au pouvoir, Donald Trump tente de détricoter méthodiquement ce qu’avait réalisé son prédécesseur. Dans cette veine, le président américain a prononcé un tissu de stupidités lors de sa visite officielle en Arabie saoudite, où il a notamment déclaré que l’Iran était le foyer du terrorisme. Depuis, des attentats, revendiqués par l’Etat islamique, ont frappé le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeini…

Trump a soutenu de façon inconsidérée la politique de Riyad, alors que nous savons parfaitement que des hommes d’affaires saoudiens – il ne s’agit pas d’accuser le gouvernement sans preuve – ont soutenu, notamment en Syrie, les groupes les plus extrémistes de la rébellion, des djihadistes. Le président américain ne devrait par ailleurs pas non plus oublier que lors des attentats du 11 septembre à New York, sur les 19 kamikazes qui sont allés s’écraser sur les Twin Towers 15 étaient d’origine saoudienne. Aussi, sans verser dans une comptabilité macabre, si des individus ou des groupes d’intérêt ont déjà directement soutenu des groupes terroristes, ils ne sont probablement pas iraniens mais plutôt issus de certaines monarchies arabes du Golfe.

Quelles peuvent être les conséquences de l’isolement de l’Iran entrepris par les États-Unis et par certains pays voisins ? Comment le régime peut-il réagir ?

Contrairement à ce que l’on entend fréquemment ces dernières semaines, l’Iran ne semble pas être un pays isolé, ce pour deux raisons. Premièrement, les tentatives de l’administration Trump, des Saoudiens et des Israéliens n’ont pas encore abouti. L’accord sur le nucléaire iranien en date du 14 juillet 2015 est encore en vigueur ; bien que Trump essaie de le vider de sa substance, cela s’annonce compliqué. Deuxièmement, dire que l’Iran est isolé traduit une vision américano-centrée ou occidentalo-centrée. Téhéran continue d’entretenir des relations importantes avec de grands pays tels que la Russie, la Chine, des pays d’Asie et d’Amérique du Sud. Quant à l’Union européenne, elle a eu un rôle positif – bien que tardif – dans la signature de l’accord du 14 juillet 2015 et elle devrait tenter d’approfondir la mise en œuvre de la réinsertion de l’Iran dans le jeu international. L’Iran est donc tout sauf isolé, même si de fortes pressions s’exercent à son encontre.

Non seulement l’Iran est un pays d’une importance géopolitique déterminante, c’est aussi une puissance potentiellement stabilisatrice. Aujourd’hui, les dirigeants iraniens ont tout intérêt à poursuivre leur réintégration dans le jeu régional et international.

Depuis près de deux ans, il y a eu beaucoup d’illusions côté iranien concernant les suites de l’accord sur le nucléaire, la population espérant que les investissements directs étrangers augmenteraient massivement en Iran. Mais la réalité est plus complexe, car nombre d’entreprises ou de banques françaises et européennes hésitent par exemple encore à investir en Iran par crainte de sanctions américaines. Les Européens devraient aujourd’hui faire preuve de plus de courage car il n’y a aucun intérêt à maintenir une politique d’ostracisme à l’égard de Téhéran, bien au contraire.

La réaction des Iraniens s’est déjà exprimée, le 19 mai dernier, lors des élections présidentielles puisque le président sortant, Hassan Rohani, a été réélu dès le premier tour. Or, sa ligne politique est celle d’une ouverture au reste du monde et d’une volonté de réinsérer le pays au sein de ladite communauté internationale, d’un point de vue économique, politique et diplomatique. Le peuple iranien a ainsi démocratiquement infligé une défaite à ceux qui restent en faveur d’une stratégie de la citadelle assiégée.

Quel rôle peut jouer l’Iran dans la lutte contre le terrorisme ?

L’Iran joue d’ores et déjà un rôle positif dans la lutte contre le terrorisme. En Syrie, Téhéran soutient certes Bachar al-Assad, ce qui marque une réelle divergence politique avec les Européens. Mais la question à poser consiste plutôt à se demander qui aujourd’hui en Syrie, voire en Irak, est notre ennemi principal ? Ce sont bien les groupes djihadistes, en particulier Daech, position qui a été défendue par François Hollande et désormais par Emmanuel Macron. Dès lors, nous sommes dans le même camp que l’Iran pour lutter contre cet ennemi commun ; cela n’exclut pas des divergences politiques concernant le régime d’Assad. En politique, il s’agit de faire preuve de réalisme et de hiérarchiser les défis et les objectifs. Les attentats ayant touché Téhéran indiquent également clairement que l’Iran est un ennemi de Daech, tout comme la France, le Royaume-Uni, etc.

Il est par ailleurs dans notre intérêt de raisonner politiquement avec l’Iran. Sur le dossier anti-terroriste, établir le maximum de contacts permettrait aux services de renseignements d’échanger des informations plus complètes, ce qui rendra la lutte contre le terrorisme plus efficace.

Notre intérêt n’est donc véritablement pas d’isoler l’Iran mais de tout faire pour le réintégrer pleinement sur tous les dossiers au sein de l’échiquier international et, par conséquent, de s’opposer à ceux qui s’opposent à cette vision. Dans le même mouvement il convient aussi, sans ultimatum ni condescendance, d’aider à l’élargissement des droits démocratiques individuels et collectifs dans ce pays.

« Les Torries paient leurs multiples revirements »

Thu, 08/06/2017 - 16:34

La majorité de Theresa May est-elle menacée ?

Quand Theresa May a annoncé la tenue des élections législatives anticipées, on prédisait un score très faible pour les travaillistes qui était placé sous un leadership chaotique. Aujourd’hui, la situation est très différente pour le Labour. Theresa May peut se trouver dans une situation moins avantageuse que prévu ce qui risque de fragiliser sa position notamment dans les négociations du Brexit.

Pourquoi ce revirement dans l’opinion ?

Normalement, le Brexit aurait dû être l’enjeu principal de cette campagne. Si cela avait réellement été le cas, on ne se poserait pas la question de la majorité ou non des conservateurs. Le Brexit n’a au final pas été le seul slogan de ces élections à cause notamment des attentats. Les travaillistes ont habilement pointé les revirements de Theresa May sur le Brexit. Cela leur a permis d’enfoncer un coin dans la crédibilité de Theresa May. En effet, dans l’équipe de David Cameron, elle avait d’abord fait campagne pour le «Remain» c’est-à-dire pour le maintien dans l’Union européenne, contre le Brexit.

La succession des attentats a-t-elle joué un rôle dans la campagne ?

Normalement ce genre de drame profite aux partis forts sur les questions de sécurité. Cette fois-ci, cela n’a pas été le cas pour les Torries à cause notamment de la position personnelle de Theresa May.

Pourquoi ?

Pendant sept ans, elle a été ministre de l’Intérieur et était donc en charge de ces questions. Aujourd’hui, il est difficile pour elle de se dissocier de ce qui a été fait alors qu’elle était aux manettes. On lui reproche des réductions des effectifs dans les forces de police et de sécurité. Tout cela met à mal sa cohérence et sa crédibilité. L’opinion publique se dit que si elle n’est pas cohérente sur des sujets aussi sensibles que la protection des citoyens britanniques, sera-t-elle cohérente lors des négociations sur le Brexit ?

Ce sont ces revirements qui la desservent aujourd’hui ?

Oui en partie. Défendre le maintien dans l’Union européenne puis négocier les modalités de départ est difficilement compréhensible. Par ailleurs, elle a aussi retiré une proposition contestée de contribution des seniors pour le financement de la santé. Autant d’accros qui comptent aujourd’hui.

Ce que les attentats de Téhéran pourraient changer au Moyen Orient en général et entre l’Arabie Saoudite et l’Iran en particulier

Thu, 08/06/2017 - 14:41

L’Iran a été la cible de deux attaques terroristes, ce mercredi, qui ont frappé le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeyni à Téhéran. Pour la première fois de son histoire, l’Iran a été la cible de l’Etat Islamique, qui revendique les attentats. Quelles peuvent être les conséquences de ce « djihadisme sunnite » pour le pays?

Cet attentat va sans doute être « utilisé » comme argument de politique intérieure par les « radicaux » qui viennent de subir une lourde défaire aux élections présidentielles avec la victoire de Rohani.

On peut penser qu’ils vont dire que du fait cet « attentat », il faut que l’Iran affirme une ligne « dure » dans la région et ne fasse aucune concession notamment sur les dossiers syrien et irakien. Pour les durs en Iran, Daesh est « manipulé » par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite. Les radicaux vont donc accroître leur pression sur le président Rohani et tout faire pour qu’il suive une politique plus dure dans la région et vis-à-vis des occidentaux. L’un des principaux objets de discorde entre les modérés et les radicaux est que ces derniers disent qu’il n’est pas question de faire un Barjam (nom en persan de l’accord sur le nucléaire) 2 ou 3 ou 4 à propos d’autres questions (comme éventuellement la Syrie). Ils signifient ainsi qu’il ne faut plus que l’Iran fasse de concessions dans le domaine diplomatique, notamment vis-à-vis des Etats-Unis. Or, lors de la campagne présidentielle, Rohani a promis qu’il ferait lever le reste des sanctions qui pèsent toujours sur l’économie iranienne. Or, ces sanctions viennent des Etats-Unis et y mettre fin impliquerait donc des négociations directes avec les Etats-Unis… On peut noter à ce sujet que Rohani a appelé après ces attentats à plus de coopération internationale pour lutter conter le terrorisme.

Sur le plan intérieur, on peut s’attendre à un affrontement entre deux visions. En effet, l’Etat Islamique à travers ces attentats tente de faire monter les tensions entre les chiites qui représentent 90 % de la population iranienne et les sunnites (près de 9 %). Or, on sait qu’il existe des discriminations et ethniques contre certaines parties de la populations comme les Baloutches (qui sont sunnites). Les « radicaux » vont sans doute appeler à une approche plus « sécuritaire » vis à vis de ces populations. Il est intéressant de noter qu’en Iran du fait de la modernisation des mentalités depuis la révolution (on peut noter à ce sujet qu’il y près de 47 % de filles dans les universités au Sistan-Baluchistan), les minorités ethniques et religieuses en Iran, en dépit de réelles discriminations ne croient pas à l’action violente et privilégient la lutte politique et culturelle. On peut ainsi noter que ces minorités sont allées massivement voter pour Rohani lors des deux dernières élections présidentielles. Ce dernier est plutôt favorable à accroître les droits politiques et culturels de ces minorités (les élèves des collèges et lycées au Kurdistan iranien peuvent ainsi apprendre le kurde depuis 2015). On verra si ce dernier arrivera à répondre aux demandes de ces minorités dans ce nouveau contexte. Les autorités iraniennes venant d’annoncer que les auteurs des attaques terroristes étaient iraniens (probablement sunnites) qui avaient fait allégeance à l’Etat islamique en Iran, on peut penser qu’il va y avoir dans les prochains mois de fortes tensions entre ces deux lignes politiques.

Alors que l’Arabie Saoudite et ses voisins ont annoncé avoir rompu toute relation diplomatique avec le Qatar,et suite aux déclarations offensives de Donald Trump à l’égard de Téhéran, dans quel contexte cet attentat intervient-il ? Quelles sont les tensions profondes qui traversent la région actuellement ?

Très clairement, la région est marqué par deux grands conflits. Il y a d’abord l’action de Daesh et d’Al Qaeda qui menace tous les pays de la région que ce soit Turquie, les pays arabes du Golfe Persique, l’Iran, l’Afghanistan. Parallèlement, il existe une lutte pour la suprématie régionale entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Chacun de ces deux pays est persuadé que l’autre le menace. Le narratif iranien est de de considérer que l’Arabie Saoudite a entraîné et soutenu ces groupes sunnites extrémistes (Etat Islamique, Al Qaeda) dans leur lutte en Syrie et en Irak pour faire « tomber » les gouvernements de ces pays et affaiblir l’Iran.

Et les Iraniens considèrent donc qu’ils sont obligés de soutenir les gouvernements syrien et irakien pour éviter que ces pays tombent aux mains des djihadistes. Du côté saoudien, depuis la chute de Saddam Hussein et plus récemment l’accord sur le nucléaire, le sentiment est que le Moyen-Orient tombe progressivement aux mains de l’Iran. Les autorités saoudiennes sont « obsédées » par la « menace » iranienne dans la région.C’est pour cela notamment qu’ils se sont lancés dans la guerre contre les Houthis au Yémen alors que le soutien iranien à ces derniers est sans doute très limité.

Dans un tel contexte, on peut être assez critique vis-à-vis du voyage récent de Trump dans lé région. Tout d’abord, est-ce qu’il n’est pas risqué de prendre parti aussi violemment pour l’Arabie Saoudite dans son conflit avec l’Iran. Quelles vont être les conséquences à long terme d’un soutien aussi aveugle à l’Arabie Saoudite ? Est-ce que cela ne risque pas d’accroître les tensions entre ces deux pays ? Est-ce qu’une sortie de crise en Syrie ne passe pas au contraire par une amélioration des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran ? Est-ce que la volonté du gouvernement américain de sanctionner encore plus l’Iran pour son rôle soi-disant « déstabilisateur » dans la région ne risque pas de renforcer le camp des plus radicaux en Iran qui se nourrit de l’antiaméricanisme ?

Mais je pense que l’erreur stratégique la plus grave du président américain est de mettre sur le même plan en tant que risque pour la région l’Iran et l’Etat islamique. C’est une erreur d’analyse fondamentale car elle met sur le même plan un pays où existe une société civile moderne qui rejette le fondamentalisme religieux et un groupe comme l’Etat Islamique. C’est également une erreur grave car cela revient à se priver de toute collaboration de l’Iran dans la lutte contre l’Etat islamique. C’est également une erreur potentiellement dangereuse à long terme car elle dénote une absence totale de réflexion quant à l’origine de l’extrémisme religieux dont se nourrit l’Etat islamique. Dans un article récent, un sociologue (1) établit un lien entre le fondamentalisme religieux et le monopole en matière d’offre de religions allié à une absence de démocratie (comme en Arabie Saoudite). Il est donc dangereux d’encourager comme le fait Donald Trump des pays qui refusent la tolérance religieuse ainsi que l’ouverture politique. Cela peut favoriser à terme des groupes d’opposants qui choisissent pour leur lutte politique une vision encore plus extrême du modèle religieux déjà imposé dans ces pays.

Le soutien aveugle de Trump à tous les régimes autoritaires de la région ne peut pas conduire à l’émergence de sociétés ouvertes qui refusent l’extrémisme religieux ou la violence. On peut rappeler également que quelques jours après le séjour de Trump en Arabie saoudite le gouvernement du Bahrain a tué 5 manifestants lors d’une manifestation pacifique d’opposants chiites. A quoi va ressembler la région à terme si les régimes autoritaires locaux pensent qu’ils ont un blanc-seing américain pour réprimer toute opposition comme bon leur semble ?

Engagé contre l’Etat Islamique en Irak comme en Syrie, comment peut on anticiper la réaction de Téhéran à l’égard de l’Etat Islamique, mais également en rapport aux différentes rivalités existantes dans la région ?

Je pense que cet attentat va de toute façon renforcer la volonté de l’Iran de lutter dans la région contre l’Etat islamique. Par contre, comme je l’ai dit plus haut, deux options vont s’affronter en Iran. Les radicaux qui estiment que ces attentats sont bien, le preuve que l’Iran ne doit jamais baisser la garde face aux Etats-Unis et à l’Arabie Saoudite. Les modérés avec Rohani comme chef de file qui estiment que, si c’est dans l’intérêt de l’Iran, il faut être prêt à négocier, même avec les ennemis d’hier …

Brésil, Amérique latine : la démocratie en danger ?

Thu, 08/06/2017 - 12:34

Les années 1990, celles du rétablissement de la démocratie en Amérique latine, auraient-elles épuisé leurs vertus civiques et morales ? Du Brésil au Venezuela, en passant par le Mexique et le Nicaragua, la démocratie cuvée 2017 est bousculée. Il est vrai qu’un 11 septembre en 2001 aux États-Unis a effacé le précédent celui de 1973, au Chili. Il est tout aussi vrai que le Mexique et le Venezuela n’ont pas eu d’expérience dictatoriale « pure et dure » à la chilienne. La page des alternances électorales et de la tolérance mutuelle est-elle pour autant tournée ?

À en croire un président des États-Unis expert en pratiques démocratiquement discutables, Richard Nixon, la voie brésilienne a vocation continentale : « Nous savons » avait-il dit à son homologue, le général-dictateur Emilio Garrastazu Médici, le 7 décembre 1971, « que la route tracée par le Brésil, est suivie par tôt ou tard par l’Amérique latine ».

Le Brésil a donné en 2016 un signal de détresse démocratique. La présidente élue en 2014, Dilma Rousseff, a été destituée par députés et sénateurs au prix de contorsions anticonstitutionnelles, bénéficiant d’un aval médiatique massif. Un Parlement aux abois, dont une part importante était convaincue de corruption, a légitimé la violation de l’article 85 de la Loi fondamentale pour chasser un chef de l’État jugé coupable de perpétuer en période de crise la politique économique keynésienne de Lula da Silva, son prédécesseur. Le Brésil étant un pays présidentialiste, face à l’impossibilité de sanctionner politiquement le chef de l’État, les élus ont sans état d’âme choisi de l’accuser de corruption constitutionnelle pour l’écarter du pouvoir. Le 17 avril 2016, aucun n’a d’ailleurs fondé « le dégagement » de Dilma Rousseff sur l’article 85 de la Constitution de 1988, qui définit les conditions de suspension d’un mandat présidentiel. Les plus rationnels ont évoqué la nécessité de changer de politique économique. Les autres ont justifié leur vote en référence à l’un ou l’autre des membres de leur famille, voire à Dieu, comme le président de la Chambre, Eduardo Cunha, depuis condamné à 15 ans d’emprisonnement pour fraude fiscale.

Ce signal de détresse démocratique, loin de s’estomper, s’est au fil des mois perpétué. Aecio Neves, chef du parti social-démocrate brésilien (PSDB), formation partisane au titre trompeur, a perdu les présidentielles de 2014. Il en a contesté la validité devant le Tribunal suprême électoral, qui a engagé une procédure en cours d’examen. Aecio Neves n’est plus président du PSDB, a été suspendu de toute responsabilité parlementaire et mis en examen par le procureur général de la République. Ses principaux collaborateurs, sa sœur Andrea, son cousin, Frederico Pacheco et le collaborateur de l’un de ses collègues PSDB, Mendherson Souza Lima, ont été emprisonnés : tous sont soupçonnés de crimes de corruption et d’obstruction à l’action de la justice. Le président intérimaire de la République, Michel Temer, fait l’objet d’une enquête pour faits de corruption depuis les révélations faites par le responsable de l’entreprise agro-alimentaire JBS-Friboi, Joesley Batista. L’un des amis politiques du chef d’État intérimaire et député du PMDB, Rodrigo Rocha Loures, a été filmé avec une valise de billets remis par l’entreprise citée. Il est actuellement sous les verrous, tout comme José Yunes, avocat et conseiller de Michel Temer, Tadeu Filippelli, autre conseiller présidentiel, Sandro Mabel, Henrique Eduardo Alves, ancien ministre, ex-président de la Chambre des députés, etc.

La « grande presse », les médias du groupe Globo et l’hebdomadaire Veja, réservent pour autant l’essentiel de leur couverture à l’ex-président Lula et au Parti des travailleurs (le PT). Les dénonciations les plus spectaculaires se succèdent avec pour objet de criminaliser le PT et de façon plus générale la vie politique. Les journaux télévisés et la presse écrite font l’impasse sur les propositions des partis et leurs programmes ; seules sont traitées les « affaires » et les scandales, réels ou supposés. Le 6ème congrès du PT qui a été organisé à Brasilia les premiers jours de juin a ainsi été passé sous silence par les medias : le 3 juin en plein congrès des travaillistes brésiliens, le principal quotidien de Brasilia a traité de façon préférentielle – illustré d’une photo couvrant une demi-page du journal – l’élection de Miss Brésil-Globo 2017, qui se tenait dans l’un des hôtels de la capitale. Dans le discours de clôture au 6ème congrès du PT, l’ex-président Lula a rappelé qu’il avait fait la « une », des « unes » critiques, de l’hebdomadaire Veja une cinquantaine de fois ; et qu’il était régulièrement convoqué par des juges, qui, sans preuves, estiment par conviction qu’il pourrait être ou devrait être coupable de quelque chose. Tout cela, a-t-il conclu, a été entrepris pour l’écarter de toute activité politique avant les présidentielles de 2018.

Cette combinaison du pouvoir judiciaire et des grands médias butte pour l’instant sur les réalités sociales, désastreuses, et la capacité du PT et de la CUT (le principal syndicat) à résister à ce qu’il faut bien appeler par son nom : un coup d’État à la sauce du XXIème siècle, sophistiqué et sans victimes mortelles. Mais le vœu signalé par Richard Nixon a paradoxalement pris corps par des chemins multiples qui tous en Amérique latine convergent vers une interprétation restrictive, unilatérale et donc tendancieuse des principes démocratiques. Les grands groupes de presse donnent le « la » politique d’Argentine avec Clarin, au Chili avec El Mercurio, au Pérou avec El Comercio. La judiciarisation de la politique et des élections, en vue d’écarter les présidents jugés trop à l’écoute des plus pauvres en ces temps de crise économique, a forcé le départ du président Manuel Zelaya au Honduras en 2009 et de Fernando Lugo au Paraguay en 2012. Mais le plus inattendu a été la réponse anticipée inventée par des présidents se considérant progressistes et démocrates au Nicaragua et au Venezuela. Le Nicaraguayen Daniel Ortega et le Vénézuélien Nicolas Maduro ont suivi, à leur bénéfice, la voie ouverte par les forces conservatrices du Brésil, du Honduras et du Paraguay. Le principal candidat d’opposition nicaraguayen a été interdit avant les élections générales du 6 novembre 2016, auxquelles il n’a donc pas pu participer. Au Venezuela, les autorités au nom d’un supposé complot impérialiste empêchent toute expression libre du suffrage universel. L’Assemblée nationale, où l’opposition est majoritaire, a été privée de toute capacité législative effective. Le recours constitutionnel au référendum révocatoire a été empêché par des juges nommés par le pouvoir exécutif et les élections régionales de 2016 ont été suspendues. Le pouvoir a annoncé l’élection d’une Constituante, dont un tiers des membres seront « élus » par des corporations jugées plus représentatives que le suffrage universel.

La morale de l’histoire n’est pas encore écrite mais elle préoccupe de toute évidence. Le sénateur Ronaldo Caiado (parti DEM, droite brésilienne) s’en inquiétait le 3 juin dans la Folha de São Paulo : « … la destitution de Dilma Rousseff paraissait enfin avoir éliminé le PT de notre histoire (… mais) la permanence de Temer au gouvernement (donne) de l’oxygène au PT ». Tout comme celle de Maduro au Venezuela donne de l’air aux opposants les plus à droite.

Pages