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Diplomacy & Crisis News

Istanbul, l'autre côté

Le Monde Diplomatique - Mon, 31/10/2016 - 12:22

La censure à laquelle recourt de plus en plus fréquemment le gouvernement turc porte le plus souvent sur des œuvres considérées comme blasphématoires ou immorales, ce qui laisse un champ assez vaste à son intervention. Pourtant, l'édition de romans ne témoigne d'aucun ralentissement, et de nombreux écrivains parviennent à refuser le plus sournois des interdits, l'autocensure.

Après quoi, il vit un groupe de mendiants alignés le long du large trottoir d'une avenue fréquentée où se succédaient magasins de prêt-à-porter, terrasses de café, bars et agences bancaires. Mère-père, un bébé. Deux femmes, un homme, un bébé, deux enfants. Un père trois enfants. Sur des morceaux de carton jaune posés devant certains d'entre eux, on pouvait lire JE SUIS SYRIEN, J'AI FAIM, POUVEZ-VOUS M'AIDER. « Ils sont partout, dit Mahmut.

— Qui ? demanda-t-il.

— Ben eux, les Syriens.

— Les Syriens ?

— Ben oui, les Syriens, ceux qui fuient la guerre. Ils sont trop, trop, partout. Ils ont envahi la Turquie. Tiens, y en a même qui ont mis leur passeport devant eux. »

Il regarda ce que lui montrait Mahmut en pensant, ceux qui fuient la guerre, d'accord, mais alors, nos mendiants à nous, ils fuient quelle guerre ? Et moi, je fuis quelle guerre ?

Quand, sur le coup de la prière de l'après-midi, un parc apparut devant eux, il se tourna vers Mahmut et lui dit : « Je suis fatigué. Je vais m'asseoir là et me reposer un peu. » Mahmut s'arrêta, il reposa sa hotte mais sans en lâcher les poignées. Il l'étudia du regard un moment. Ils se dévisagèrent. C'était la première fois qu'ils plantaient si longtemps leurs regards l'un dans l'autre. En général, il n'aimait pas regarder les gens dans les yeux, il laissait traîner ses regards soit par terre, soit en l'air. Il avait remarqué que Mahmut aussi évitait de regarder les gens, qu'il détournait ses regards à droite ou à gauche. Il ne resta un temps que ces deux paires d'yeux, ces deux objets transparents, étranges et brillants, qui s'affrontaient comme deux miroirs placés l'un en face de l'autre. Mahmut secoua la tête, haussa les épaules. Après quoi, sans rien dire, il se pendit à sa hotte et poursuivit son chemin.

Il resta assis dans le parc, sur un banc, sans bouger, jusqu'au soir, le visage, le corps entier tournés vers le soleil.

Comme le soir tombait et que le soleil, enveloppé dans une couleur orange, disparaissait derrière les immeubles, il se leva et marcha en direction de Kadıköy, vers le bord de mer. Tout en marchant, il pensait à Mahmut. Mahmut était-il devenu son ami ? était-ce cela, l'amitié ? Peut-être aurait-il dû lui faire ses adieux.

Il se demandait pourquoi Mahmut l'avait aidé et ne trouvait pas de réponse. D'ailleurs, c'était là la dernière chose qu'il voulait, s'efforcer d'imaginer ce qui se passe dans la tête des autres, ça voulait dire s'infiltrer dans leurs pensées. Peut-être avait-il voulu s'infiltrer dans les pensées de Mahmut et aussi de Sadık, et s'y installer.

Mais Mahmut, je vais l'oublier, se dit-il, j'ai même déjà commencé. Je n'ai pas pris la route pour acquérir de nouveaux souvenirs, de nouveaux événements à me rappeler, de nouvelles histoires à raconter après coup.

Quand quelqu'un était à côté de lui, il n'arrivait pas à penser. Il était désormais seul à nouveau, la pensée se poursuivait d'elle-même. D'une manière ou d'une autre, se dit-il, je vais bientôt tout laisser derrière moi, je vais laisser cette foule qui m'entoure, ses mots, son murmure, son effervescence. Je vais me trouver une montagne. Je vais simplement écouter, pendant un temps, la voix du vide plein et dense de l'air, le vent qui souffle en faisant vibrer ce vide, je vais prêter l'oreille aux petits craquements de la terre et ensuite, je l'espère, j'oublierai aussi d'oublier.

Il passa la nuit sur le bord de mer qui mène à Moda, sur l'une des pelouses, loin des autres dormeurs, dans un coin sombre hors de portée des réverbères, au pied d'un buisson. Il fut réveillé en pleine nuit par le clapotement de la pluie. Le ciel s'était rapproché, des nuages noirs et chargés s'étaient accumulés. Derrière les lumières jaunes du chemin de promenade, la mer était plongée dans une obscurité enflée et agitée. Au-delà, au large, quelques cargos stationnaient, immobiles dans leurs lumières ternes. La pluie se fit averse. Il se réfugia sous un arbre et resta un moment debout à la contempler. Après quoi il sortit s'offrir à elle. Elle était tiède. Il ouvrit la bouche et la but, sautilla et tourna sur lui-même, s'ébroua comme font les chiens mouillés.

Après la pluie, il s'allongea sur le ventre dans l'herbe humide. Il respira l'odeur de la terre mouillée, de l'herbe. Il fit pression de son corps dans la terre, y frotta son visage. Des mottes de terre, des feuilles d'herbe lui emplirent la bouche, l'humus humide lui couvrit le visage. Pénétrer la terre, se murmura-t-il, la parcourir de l'intérieur.

Il resta couché un moment sans bouger. Après quoi il s'étonna soudain de la semi-érection, pour la première fois depuis qu'il s'était mis en route, de ses organes virils. Son membre à peine érigé, il éjacula.

Il recracha la terre qui lui remplissait la bouche, retourna son visage vers le ciel. Ceci, se dit-il, n'a pas pour moi plus d'importance que la sueur qui jaillit de mes pores, que l'eau salée qui coule de temps à autre de mes yeux, que la salive qui filtre de ma bouche.

Mais cette humidité l'incommodait. Il se redressa à moitié et quitta son pantalon trempé par la pluie, puis son slip imprégné de cette chose qu'il aurait pu appeler sa pluie à lui. Il remit son pantalon. Se demanda ce qu'il allait faire de son slip. Il aurait pu le jeter mais l'idée de se promener sans slip lui déplut. Il se dirigea vers les rochers pour le laver. La pluie les avait rendus glissants. Il faillit tomber. Il avança en position accroupie jusqu'à trouver un endroit convenable. Il lava d'abord son slip, puis son visage souillé par la terre. Il se dit que, s'il l'étendait sur le buisson, il serait peut-être sec au matin.

Comme il revenait sur ses pas, il vit sur le chemin de promenade des ombres très légèrement éclairées qui se mouvaient dans la semi-obscurité. Des limaces sorties de terre avançaient par dizaines sur le sol de béton, venaient comme intentionnellement à sa rencontre.

Il marcha un temps en long et en large pour se réchauffer. Il distingua encore quelques ombres humaines au loin, qui grimpaient la butte. C'étaient les sans-abri qui passaient la nuit ici, ils partaient sans doute se mettre au sec. Il s'assit sur un banc. Il était humide. Il se mit en boule et enfouit sa tête dans son manteau mouillé. Il essaya de dormir, ses dents s'entrechoquaient. J'espère que je ne vais pas tomber malade, se dit-il. Là-haut, le rideau couleur plomb des nuages s'écartait par endroits. Par les fissures, l'étincelant bleu nocturne du ciel commença à filtrer. À force de trembler, et comme cette couche livide s'amincissait et se morcelait en nuages ternes et fripés qui se dissipaient, il sombra dans le sommeil.

Le jour suivant, le soleil, cet œil gros comme une fleur de tournesol, était à nouveau dans le ciel et répandait avec indifférence ses chauds rayons sur la surface terrestre. Le jour était lumineux, il faisait bon. Il ne tomba pas malade, enfin, pas complètement, mais il passa les quelques jours qui suivirent avec une fièvre qui tombait et remontait, accompagnée de sensations de froid intermittentes. Il avait le nez qui coulait. Quand il s'essuyait dans sa manche, une nouvelle goutte prenait la place de l'autre.

Il continua à passer la nuit au même endroit, sur le bord de mer. Vers le matin, il faisait froid. Il avait trouvé un carton, sur lequel il dormait. Le matin, il se levait peu avant que le jour se lève, marchait en long et en large au bord de la mer en essayant de se réchauffer jusqu'à ce que le soleil parût. Il abandonnait les lieux lorsque apparaissaient les marcheurs, les coureurs en survêtement ou les promeneurs matinaux qui sortaient leur chien.

Le premier jour, il ne mangea rien. La faim était continuellement dans sa tête comme une migraine. Je crois que je la porte réellement dans ma tête, se dit-il, pas dans mon ventre. Il passa son temps à errer dans la foule. Partout, ça débordait de nourriture et de boissons. Manger, était-ce cela qui faisait tourner le monde, qui motivait les gens ? Dans les restaurants, les cafés, les buffets, ça cuisait, grillait, bouillait. Les gens s'asseyaient aux tables installées en terrasse et mangeaient comme sans interruption. Les bouches s'ouvraient et se fermaient, les dents broyaient. Il s'arrêta, devant un magasin, face au distributeur d'eau où on lisait sebil, se remplit un verre en plastique et but à deux reprises. Il en eut la nausée. Il descendit vers le bord de mer.

Il passa quelques heures sans bouger du tout, sinon, de temps en temps, pour faire quelques pas. Il observa les bateaux qui accostaient et repartaient, avec les troupeaux humains dont ils se vidaient avant de se remplir à nouveau. (…)

Il se leva et marcha en direction de l'embarcadère. Son intention était de monter dans un bateau et de traverser. Mais comment allait-il s'y prendre ? Il fit les cent pas devant l'embarcadère avant de se retrouver devant les tourniquets. Les gens passaient rapidement à sa droite et à sa gauche, ils présentaient leur carte, entraient dans le tourniquet et se retrouvaient de l'autre côté. Quand les gens passaient, on entendait deux sons qui se produisaient l'un après l'autre, sans interruption : le son électronique que provoquait la carte et celui, mécanique, des pinces que l'on poussait du bras ou du bas du corps. Il se laissa absorber un moment par ces bruits, par la façon dont ces pinces tournaient sans arrêt, par le passage des corps entre elles. Là où il se trouvait, les gens ralentissaient et s'agglutinaient. Quelqu'un lui lança un : tu passes ou tu passes pas, un autre grogna : manquait plus qu'ça, quelques autres le poussèrent. Pour finir, un employé s'approcha et lui dit : « Tu bouches le passage. » Il lui demanda : « Comment je peux traverser ? » Quand il se retrouvait face à face avec quelqu'un ou, comme c'était présentement le cas, poitrine contre poitrine, il se tournait légèrement de côté. De cette façon, sa position était oblique et, lorsqu'il se trouvait forcé de parler, il ne parlait pas en face mais du côté droit ou gauche. L'employé l'examina des pieds à la tête : « Viens, commence par sortir de là. » Ils furent rejoints par l'autre employé. « Il demande comment il peut traverser. » Inspectant son ami du coin de l'œil, il se tourna vers lui et lui demanda : « Ah bon ? Eh ben, t'as une carte ?

— Non.

— T'as de l'argent ?

— Non.

— Alors, y'a qu'un moyen, tu traverses à la nage. » Ils s'esclaffèrent. « Allez, ouste. » Ils le prirent par un bras et le poussèrent dehors. Il se dégagea de l'étreinte et sortit.

ll marcha sur le côté de l'embarcadère, au bord de la mer. S'appuyant à la basse rambarde de fer, il contempla la mer vert clair qui s'étendait face à lui. Un vapeur accostait, vidait rapidement son contenu et se remplissait à nouveau. Un corbeau se posa sur la boule de fer qui surplombait le portail de sortie et croassa comme les gens passaient sous lui.

Il regarda les bateaux qui glissaient sur l'eau, les escadrons de mouettes qui les suivaient pour attraper les simit qu'on leur lançait. Il songea aux cormorans, aux poissons. Mais moi, se dit-il, je n'ai ni ailes ni branchies. Peut-être pouvait-il réellement tenter une traversée à la nage. Il s'abandonnerait aux vagues et atteindrait peut-être une rive à force de se laisser dériver.

Il erra un moment au hasard, sans savoir où il allait. Le soir était tombé. Il revint à l'endroit où il avait passé la nuit. Il s'assit sur un banc et regarda le soleil qui se couchait. Sur les rochers se trouvaient des couples, des groupes de deux-trois personnes qui buvaient. Du côté du parc, quelques personnes couraient, d'autres promenaient leur chien. Il s'allongea au pied du buisson où il avait dormi, tira son manteau sur sa tête. Il s'efforça de dormir au mépris de la foule, des promeneurs, des voix qui lui parvenaient.

Le lendemain, à son réveil, le soleil était déjà bien haut. Il lui sembla avoir encore de la fièvre. Il erra un moment autour de l'embarcadère. La tête lui tourna, il se jeta tant bien que mal sur un banc. La terre tourbillonnait sous ses pieds, le monde vacillait devant lui. Toute chose passait devant ses yeux comme vue en coin, à moins qu'elle ne lui apparût au coin des yeux. Je regarde un monde gris, se dit-il, des masses grises, claires, foncées, des taches ondulaient, tremblotaient, se séparaient en se superposant.

Il se leva sans savoir pourquoi il se levait. Il se laissa entraîner dans la foule. La terre vacilla encore plus. Il s'écroula au bord du trottoir. Devant ses yeux, des jambes passaient rapidement, continuellement. Je m'y prends peut-être mal, se dit-il, je ne fais peut-être que m'attarder dans une direction, fausse comme toutes les directions que j'ai pu prendre. Mais quelle est la bonne direction ? En fait, la vraie chose à essayer, c'était peut-être de ne pas se déplacer, de ne plus bouger du tout. Mais, quand il voulait s'arrêter, il bougeait et, quand il ne voulait pas bouger, il ne pouvait s'en empêcher.

Ça avait sans doute commencé bien avant, peut-être avec les premiers hommes qui s'étaient mis debout et avaient commencé à marcher. Maintenant que cela avait commencé, et depuis si longtemps, un retour en arrière était sans doute hors de question.

Il ramena ses jambes sur sa poitrine, pencha la tête en avant. Il avait perdu conscience, ou bien il avait somnolé. Lorsqu'il releva la tête, il y avait devant lui quelques pièces de monnaie. Il se dit d'abord, dans son demi-sommeil, que les pièces étaient tombées du ciel devant lui, comme la pluie ou des fientes d'oiseaux. Il revint à lui. Vu qu'elles étaient lancées par des mains au-dessus de sa tête, cette pensée n'était pas tout à fait fausse. De nouvelles pièces tombèrent devant lui. Relevant la tête, il vit une femme rondelette qui avait dans les trente ans. Devant elle, une poussette. Entre elle et la poussette, un garçon de six-sept ans qui s'appuyait contre elle et une petite fille, plus jeune, qui se tenait à sa jupe. Le garçon et la fille le dévisageaient. La femme dit : « N'oublie pas de prier pour mes enfants. » Puis elle referma son porte-monnaie et le remit précipitamment dans son sac. Elle poussa les enfants devant elle en les grondant à moitié et se perdit dans la foule.

Il regarda les pièces qui se trouvaient devant lui et se dit : désormais, je peux me considérer comme un mendiant. Était-ce une bonne ou une mauvaise chose, il ne le savait pas, il ressentait simplement envers l'argent une certaine gêne. Peut-être était-il préférable de considérer tout ce qui venait à lui, que ce soit de la main de l'homme ou d'un nuage ou du vent, comme venant du ciel et de l'accepter comme tel.

À cet instant, il remarqua un autre mendiant, assis cinq-six mètres plus loin, qui le dévisageait en faisant jouer étrangement ses yeux et ses sourcils. Il ne comprit pas. Et détourna le visage.

Peu après, l'autre mendiant se retrouva au-dessus de lui. Une de ses jambes lui manquait, elle avait été amputée bien au-dessus du genou. Il se tenait debout grâce à deux béquilles calées sous les bras. « Ici, c'est mon territoire, frère, dit-il, trouve-toi un autre endroit. » Voyant qu'il ne se levait pas, il le toucha à plusieurs reprises du bout de sa béquille en se balançant d'avant et d'arrière sur son unique jambe. En même temps, il continuait à faire bouger ses yeux et ses sourcils. « Va ailleurs, mec, j'ai dit, tu m'empêches de gagner mon pain. »

Il ramassa les pièces et les jeta dans la poche de son pantalon. Il se leva lentement. L'homme était plus petit que lui, bien plus malingre. Un instant, il pensa lui tirer ses béquilles de sous les bras. L'homme, comme s'il avait perçu sa pensée, tendit vers son visage l'une de ses béquilles en prenant un solide appui sur son unique jambe. Il ne s'attendait pas à cela. Il les considéra un moment, lui et cette position bizarre qu'il avait prise, puis s'éloigna.

Peut-être l'idée de le faire tomber lui avait-elle plu ou peut-être, maintenant qu'il avait de l'argent, allait-il pouvoir manger quelque chose, quelle qu'en fût la raison, il se sentait mieux.

Il compta les pièces de monnaie, les remit dans sa poche, partit en direction d'un petit restaurant. Il gardait en marchant la main dans sa poche et l'argent dans sa main. Lorsqu'il parut à l'entrée du restaurant, on ne voulut pas le laisser entrer. D'une voix brisée, éraillée, il dit au serveur, ou plutôt à son côté droit : « J'ai de l'argent. » Le garçon répondit : « Allez, allez » en le repoussant vers la porte. À cet instant, deux personnes assises à l'intérieur près de l'entrée s'interposèrent : « Mais quoi, laisse-le entrer, regarde un peu, il a que la peau sur les os. — Il pue, Hasan, répondit le serveur. Après, s'il prend l'habitude, il va s'incruster, si t'as rien à faire j'te l'laisse. — Merde, keko (1), bien sûr qu'il pue, il va quand même pas sentir la violette. » Ils rigolèrent, lui et son compagnon. Là-dessus, le cuisinier, qui se tenait derrière son plan de travail, intervint : « Laisse-le entrer, fais-le asseoir à l'arrière, à côté des toilettes. »

« Avance », dit le garçon, cette fois en le poussant vers l'intérieur. Il lui montra une table pour une personne et lui demanda froidement : « Qu'est-ce que tu veux ? » Sans le regarder du tout, il répondit : « De la soupe », le serveur ne demanda pas à quoi. La soupe arriva. Elle était chaude, fumante. Il but lentement sans relever la tête à aucun moment. Ça le réchauffa. Avec la soupe, il mangea du pain en grande quantité tout en sentant sur lui les regards énervés du serveur. Après avoir mangé, il demanda du thé et de l'eau. Le serveur eut beau grommeler, il lui ramena et le thé, et l'eau. Il but son thé sans se presser, une fois encore sans lever la tête. Il prit deux tranches dans la boîte à pain et les jeta dans sa poche en essayant de ne pas se faire remarquer.

À cet instant, les deux hommes assis près de l'entrée se dirigèrent vers la caisse pour payer. On comprenait à leurs vêtements tachés que c'étaient des ouvriers. Ils avaient tous deux un cure-dent aux lèvres. Celui qui avait parlé un peu plus tôt dit : « Donne-nous aussi la note de l'ami là-bas. » Il leva la tête et considéra les ouvriers, puis la baissa de nouveau. Ils étaient rassasiés et avaient l'air satisfaits du monde et de leur condition, ils blaguaient entre eux, riaient. Ça l'ennuya qu'ils aient payé pour lui.

Traduit du turc par Sylvain Cavaillès.

(1) En kurde : « mon pote ».

La sale guerre du président Erdoğan

Le Monde Diplomatique - Mon, 31/10/2016 - 12:17

Depuis l'automne 2015, les représailles menées par les forces turques après les combats avec les miliciens du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ravagent le sud-est de la Turquie. De nombreuses villes ont été détruites, et les témoignages recueillis sur place font état de graves exactions contre la population.

Jan Schmidt-Whitley. – « Retour à Cizre », 2016 www.jswhitley.com

Le soleil inonde la grande place de Silopi, ville de 80 000 habitants du sud-est de la Turquie, à moins de quinze kilomètres des frontières avec l'Irak et la Syrie. Entre décembre 2015 et janvier 2016, les forces de sécurité turques ont durement attaqué la population et les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une formation qui se réclame du confédéralisme démocratique (lire « Murray Bookchin, écologie ou barbarie ») et revendique l'autonomie des territoires majoritairement kurdes. Les combats se sont déroulés à huis clos : plusieurs fois soumise à de longs couvre-feux, comme bien d'autres villes, Silopi a été isolée pendant trente-sept jours.

Dans tout le pays, des attentats visent régulièrement les forces de l'ordre, y compris à Istanbul ou à Ankara, et renforcent la répression, qui provoque de nouvelles représailles. Ainsi, le 10 juin, une organisation radicale dissidente du PKK, les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), revendiquait l'explosion d'une voiture piégée contre des policiers à Istanbul. Quelques jours plus tôt, le gouvernement avait fait voter une loi facilitant la levée de l'immunité de certains parlementaires afin de museler les cinquante-neuf députés du Parti démocratique des peuples (HDP) (lire le témoignage de M. Selahattin Demirtaş, « “L'homme qui se prend pour un sultan” »).

En cette matinée printanière, l'atmosphère reste tendue à Silopi. Les passages fréquents des véhicules blindés de la police turque et l'hélicoptère qui tournoie dans le ciel rappellent que la guerre n'est jamais loin. Des files d'attente se sont formées devant deux écrivains publics, venus avec leur table pliante et leur machine à écrire. Ces temps-ci, ils ont plus de travail qu'à l'accoutumée. On vient les voir pour un formulaire lié à la destruction de sa maison, pour une lettre au directeur de la prison, pour la déclaration d'un décès.

Mme Riskyie Seflek, la soixantaine, habite au cœur de la zone où se sont déroulés les combats. « Le char qui se trouvait derrière la maison visait la mosquée. Mais l'obus a traversé le salon ! » Sous son voile blanc orné de dentelle, que les femmes kurdes portent à mi-chevelure, elle a le regard fatigué. Elle nous reçoit dans le jardin, avec son mari, leurs filles et leurs petits-enfants. L'un des garçons a apporté des vêtements neufs, que la famille inspecte : « C'est pour Temer, mon petit-fils, explique gravement Mme Seflek. Il a 16 ans, il est en prison. Avant, il est resté à l'hôpital pendant trois semaines, parce qu'une balle a traversé sa hanche. » L'adolescent n'était pas un milicien. Il se serait trouvé pris au piège des combats comme tous les habitants de Silopi, reclus dans leur ville transformée en souricière.

Des témoignages comme celui-ci, nous en avons recueilli plusieurs dans toutes les villes du Kurdistan turc que nous avons visitées. Partout, c'est le même constat. Le processus de paix entre les autorités et le PKK, entamé en 2009 pour mettre fin à un conflit qui a débuté en 1984 et fait plus de quarante mille morts, n'est plus. Pour le président turc Recep Tayyip Erdoğan et son nouveau premier ministre, M. Binali Yıldırım, nommé le 24 mai 2016, « il n'y a plus aucun dialogue possible avec le PKK ». Leur vocabulaire est sans ambiguïté : « nettoyage », « purge », « victoire totale ».

Les Kurdes pris dans la guerre régionale Agnès Stienne, juillet 2016

Au printemps 2013, les pourparlers avaient conduit au repli des combattants kurdes vers l'Irak ; mais ils n'ont pas résisté à l'évolution de la guerre civile en Syrie. La tension est remontée durant la bataille de Kobané, qui a opposé les forces kurdes syriennes proches du PKK et l'Organisation de l'État islamique (OEI) (1). Dans les villes kurdes, de nombreuses manifestations ont dénoncé la passivité du gouvernement turc, accusé de collusion avec l'OEI. Le 20 juillet 2015, un attentat attribué à cette dernière a fait trente-trois morts et une centaine de blessés parmi des jeunes socialistes turcs et kurdes rassemblés au centre culturel de Suruç, près de la frontière syrienne, et en route pour aider à la reconstruction de Kobané. Les manifestations ont redoublé ; deux jours après l'attentat, le PKK, accusant Ankara de complicité avec les djihadistes, tuait deux policiers à Ceylanpınar, dans le Sud, près de la frontière syrienne. Il n'en fallait pas plus pour que les autorités turques annoncent une « guerre contre le terrorisme » censée cibler à la fois l'OEI et le PKK, mais dirigée surtout contre les forces kurdes.

« Ici, c'est devenu un territoire occupé »

Dès septembre, les principaux bastions kurdes ont connu des échauffourées qui sont allées en s'aggravant. À Silopi, début décembre, les groupes du Mouvement de la jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H) ont d'abord creusé des tranchées dans les rues et dressé des barricades « pour se protéger de la police turque », tout en déclarant l'autonomie de la ville. Les jeunes miliciens ont vite été relevés par des combattants aguerris venus d'Irak, notamment du mont Kandil, où se trouve le commandement du PKK. Ces insurrections urbaines ont provoqué l'intervention de dix mille soldats de l'infanterie turque appuyés par des blindés et des hélicoptères. Partout, des blocus ont été instaurés de manière permanente pour laisser le champ libre à la répression. « Les couvre-feux se sont transformés en machine à détruire les villes », déclare le député Ferhat Encü, membre du HDP. Lorsqu'une phase de combats urbains se termine et que les miliciens du PKK se retirent, les municipalités kurdes se retrouvent en première ligne face aux représailles du pouvoir. De nombreux maires affiliés au HDP ont été arrêtés, comme, à Silopi, Mme Emine Esmer, emprisonnée et poursuivie pour « incitation à la rébellion armée contre le gouvernement ».

Beaucoup d'habitants du Sud-Est ont acquis la conviction que M. Erdoğan était lié à l'OEI et qu'il existerait même un accord avec cette organisation pour faire barrage à la revendication kurde. L'attentat perpétré en octobre 2015 lors d'un meeting du HDP à Ankara, qui a fait 97 morts sans que ses auteurs soient arrêtés ou identifiés, a renforcé ce soupçon. Il en va de même des poursuites engagées contre deux journalistes du quotidien Cumhuriyet, incarcérés puis condamnés pour « divulgation de secrets d'État » après avoir diffusé une vidéo suggérant que les services secrets turcs livraient des armes aux islamistes syriens (2). Certains témoignages font aussi état de la présence de djihadistes aux côtés des forces gouvernementales pendant les combats. « Ils ne parlaient pas turc, peut-être azéri. Ils avaient de longues barbes et ressemblaient aux hommes de Daech », rapporte M. Abdülkerim F. (3), habitant de Sür, qui dit avoir surpris des hommes faisant la prière dans son salon. Après avoir fui sa maison parce qu'il ne supportait plus les gaz lacrymogènes qui saturaient l'air depuis des semaines, il y était revenu pour chercher ses papiers d'identité.

Rien ne permet d'étayer ces allégations. En revanche, de nombreux observateurs et diplomates ont critiqué la facilité avec laquelle les candidats au djihad, tout comme les camions chargés de pétrole de contrebande, pouvaient franchir la frontière avec la Syrie. En outre, les forces spéciales du PÖH et du JÖH (police et gendarmerie) ont participé aux opérations, comme en témoignent les inscriptions racistes et sexistes qu'ils ont laissées, avec leur signature, sur les murs des villes. Ainsi peut-on lire, à Silopi : « Ma chère Turquie, au nom de Dieu, nous te nettoyons : nous sommes le JÖH, nous sommes venus vous envoyer en enfer ! » Ou, dans les ruines de Cizre, ces appels au viol des femmes kurdes : « À notre tour de vous éduquer ! — PÖH » ; « Les filles, nous sommes là, où êtes-vous ? — JÖH ».

Selon les informations recueillies sur place auprès de journalistes locaux et d'élus HDP, il est aussi très probable que le Jitem, le service de renseignement et d'antiterrorisme de la gendarmerie, ait refait son apparition, alors qu'on le pensait dissous. Ce groupe clandestin, organisé en cellules composées de gendarmes, de militaires et de membres du groupe ultranationaliste des Loups gris (4), a commis de nombreux massacres de Kurdes pendant les années 1990. Il a signalé son passage par ces inscriptions sur les murs de Sür : « Les loups sont appâtés par le sang, tremblez ! »

Les méthodes employées contre les civils kurdes sont les mêmes qu'il y a vingt ans, et des groupes se revendiquant du Jitem ont une activité soutenue sur les réseaux sociaux. Ils publient des photographies de combattants kurdes déchiquetés par les obus ou brûlés à l'essence. Le corps des femmes fait l'objet d'un acharnement particulier.

La Fondation turque pour les droits de l'homme (TIHV) avance d'ores et déjà le chiffre de 300 à 400 tués et de 600 000 déplacés. Dès la fin janvier 2016, Amnesty International accusait l'offensive du gouvernement turc de mettre en danger « la vie de près de 200 000 personnes » ; l'organisation y voyait une « sanction collective ». À Sür — la vieille ville fortifiée de Diyarbakır, elle-même considérée comme la capitale du Kurdistan turc —, la moitié ouest a été vidée de ses habitants. Détruite à 70 % (5), elle reste difficilement accessible. Le 1er avril, au lendemain d'un attentat qui avait coûté la vie à sept policiers et peu de temps avant sa démission, le premier ministre Ahmet Davutoğlu s'y est rendu pour une visite encadrée par un impressionnant service d'ordre. Il a vanté le plan de réhabilitation urbaine voulu par le président Erdoğan pour les zones détruites : « Nous ferons de Sür la nouvelle Tolède ! », s'est-il écrié. Applaudissements de l'assemblée triée sur le volet. Plus loin, les jeunes serveurs restaient debout devant l'écran de télévision d'un restaurant, médusés, impassibles. C'était leur ville, leur vie, qu'on promettait de raser, dans une clameur triomphante.

Le discours terminé et les officiels repartis, les habitants de Diyarbakır sont retournés à leur routine contraignante, faite de contrôles à chaque carrefour — et encore : quand ils peuvent regagner leur maison. « Ici, c'est devenu un territoire occupé ! », lance, agacé, M. Gafur S. Ce professeur de littérature est pourtant d'un naturel calme. Tous les matins, il franchit les barrages policiers à l'entrée de Sür pour aller faire la classe dans l'une des deux seules écoles qui n'ont pas été brûlées. Chaque jour, il est fouillé, contraint de se mettre torse nu et de répondre aux questions des mêmes policiers, qui le connaissent. Il a assez de moyens pour vivre dans la ville moderne ; avec plus de dix ans de métier, il pourrait même demander à être muté. Mais il s'y refuse : « Je n'abandonnerai pas ces enfants. Sür est déjà le district le plus pauvre de Diyarbakır. Ils passent les mêmes examens que les autres écoliers de Turquie ; mais les autres n'ont pas de bombes qui tombent sur leurs maisons. Où est l'égalité entre les Turcs de l'Ouest et les Kurdes dans le système éducatif ? Tous ces enfants peuvent devenir ingénieurs. Il faut seulement leur en donner la chance. » Le professeur S. appartient à cette génération qui a connu les brimades de la police quand elle parlait kurde dans la rue, ou qui voyait ses grands-parents renvoyés de l'hôpital parce qu'ils ne pouvaient s'exprimer en turc. Aujourd'hui, comme tous les habitants du Kurdistan turc, il subit à nouveau une restriction de ses mouvements.

Immeubles effondrés, corps calcinés

Depuis la reprise de la guerre, toutes les routes du Botan (nom que les Kurdes de Turquie donnent à leur région) sont jalonnées de barrages. Le passage des voyageurs dépend du bon vouloir des policiers. Ces derniers mois, il faut compter sept heures pour aller en car de Diyarbakır à Cizre, contre quatre heures en temps normal. Depuis décembre 2015, des couvre-feux, qui peuvent durer plusieurs semaines, entrent en vigueur en fonction du niveau de violence ou de l'humeur des autorités. Nous avons pu entrer à Cizre après les combats. Nous y avons découvert un paysage dévasté, des habitants traumatisés et une sécurité aléatoire. Du quartier de Cudi, situé sur la rive gauche du Tigre, il ne restait que des carcasses d'immeubles effondrés, témoins du pilonnage systématique de leurs colonnes porteuses par les obus de char. Quatre-vingts pour cent de la surface résidentielle serait détruite.

Plusieurs mois après la levée du blocus, il n'est pas rare que ceux qui viennent chercher des objets personnels sous les gravats de leur maison y découvrent des restes de cadavres. Parmi les exactions que l'on rapporte, commises pendant soixante-dix-neuf jours d'isolement complet, les « sous-sols de la sauvagerie » ont particulièrement marqué les esprits. Deux cas au moins sont recensés ; dans l'un comme dans l'autre, une trentaine de personnes ont été prises au piège d'immeubles bombardés des jours durant, parfois des semaines. Les forces turques barraient le passage aux secours, laissant les blessés succomber les uns après les autres. À la fin des « opérations antiterroristes », on n'a retrouvé que des corps calcinés, dont ceux d'enfants. Les proches des victimes ont dû fournir des échantillons d'ADN pour les identifier. Ils sont repartis avec un sac en plastique, « cinq kilos d'os et de chair brûlés », raconte un jeune de 17 ans, hébété, à propos de son père.

Lorsqu'on pénètre dans la cave de la rue Bostanci, encore accessible le 24 mars, l'odeur des corps brûlés persiste dans l'atmosphère confinée ; l'air est irrespirable. Des traces au sol dessinent une forme humaine. Là, ce qui ressemble à un bout d'os d'enfant, oublié dans la cendre. Le confinement qui frappe les Kurdes de Turquie depuis plus de huit mois a atteint un paroxysme dans cet ossuaire qui ne sera même pas un lieu de mémoire : depuis notre passage, il a été rasé. Si le plan de transformation urbaine annoncé par le pouvoir en avril est mis en œuvre, toutes ces caves, comme les autres traces susceptibles de prouver que des crimes de guerre ont été commis, seront emportées par les bulldozers et les grues.

L'association Rojava Solidarity, qui regroupe des volontaires de tout le Kurdistan turc désireux de venir en aide aux populations du Rojava (le Kurdistan syrien), avait été très active à Kobané. Intervenant cette fois dans son propre pays, elle a pu accéder à Cizre le 9 mars, une semaine après la levée du blocus. Sa priorité a été d'organiser la distribution de vivres depuis un entrepôt désaffecté, à quelques rues de Cudi. Elle a été ralliée par des militants progressistes de l'ouest de la Turquie, engagés contre la dérive autoritaire de leur gouvernement, et par d'autres venus du Rojava même.

M. Ferid B., qui a eu la moitié du visage emportée par un éclat d'obus, a raconté aux membres de l'association la première « sale guerre », celle des années 1990, entre l'armée et les forces kurdes. Il a passé de nombreuses années en prison pour son engagement dans les rangs du PKK. Il y a lu des dizaines de livres d'histoire sur la Révolution française. « Je ne sais pas si la France a fait une révolution du peuple ou une révolution bourgeoise. Mais nous, au Kurdistan, nous avons compris qu'il fallait réformer la révolution ! La démocratie kurde est féministe, écologiste, basée sur l'autonomie locale. C'est pour cela qu'ils traînent les cadavres suppliciés de nos femmes dans les rues, qu'ils détruisent notre environnement et arrêtent nos maires. »

Dans l'obscurité des couvre-feux, cette nouvelle guerre et ses punitions collectives laissent la population désemparée et creusent encore le fossé qui sépare le Kurdistan du reste de la Turquie.

(1) Cette ville kurde de Syrie a été en partie conquise par l'OEI à partir de septembre 2014, puis reprise début janvier 2015 par les forces kurdes, qui ne cessent depuis de progresser vers le sud.

(2) Le rédacteur en chef, Can Dündar, a été condamné à cinq ans et dix mois de prison, et le chef du bureau d'Ankara, Erdem Gül, à cinq ans. Libérés après trois mois sur une décision de la Cour constitutionnelle, ils pourront attendre libres leur procès en appel.

(3) Certaines des personnes rencontrées ont souhaité que leur nom de famille ne soit pas mentionné.

(4) Dont était membre M. Mehmet Ali Ağca, qui tira sur le pape Jean Paul II en 1981. Toujours en activité, les Loups gris ne rechignent pas à l'action violente et tentent d'infiltrer les milieux politiques.

(5) Chiffre établi par la municipalité de Diyarbakır, 1er mars 2016.

François Hollande, président à Bangui

Le Monde Diplomatique - Mon, 31/10/2016 - 11:34

« La principale difficulté ici, c'est qu'on ne peut pas voir qui est l'ennemi et qui ne l'est pas », estime le lieutenant-colonel Pontien Hakizimana, à la tête du premier bataillon burundais de la mission de soutien à la Centrafrique. Les troupes africaines doivent, à terme, prendre le relais des forces françaises. Mais la confusion qui règne dans le pays a des racines profondes, et l'engagement de Paris devra sans doute se prolonger.

« Que diable allait-il faire dans cette galère ? »

Molière, Les Fourberies de Scapin, acte II, scène 7

« La France n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle grimpe sur les épaules de l'Afrique », dit un proverbe congolais. Quel contraste, en effet, entre le prudent objectif d'« inverser la courbe du chômage » et l'esprit de décision, tout de go suivi d'effet, du même président François Hollande concernant la Centrafrique : « Vu l'urgence, j'ai décidé d'agir immédiatement, c'est-à-dire dès ce soir, en coordination avec les Africains et le soutien des partenaires européens. » Les blindés et les hélicoptères (aux noms évocateurs de Puma, Gazelle et Fennec) entrent en scène quasiment au moment où le chef de l'Etat s'exprime. Et, pour une fois, pas besoin de demander l'avis de l'Allemagne. Sur les flots tumultueux de l'actualité africaine, le petit timonier français tient la barre.

A y regarder de plus près, les buts de l'intervention incitent à la circonspection. La résolution du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) — rédigée par Paris — crée la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca), « avec l'appui des forces françaises ». Le texte demande à ces dernières de « contribuer à protéger les civils et à rétablir la sécurité et l'ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d'une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin ». Dans un pays en proie au chaos, où s'affrontent des bandes de mercenaires bien armés, la tâche des mille six cents soldats s'annonce périlleuse. « Que fait-on si les rebelles refusent de se laisser dépouiller ? », demande un journaliste à M. Jean-Yves Le Drian. « On les force », répond, énigmatique, le ministre de la défense français (1).

Mais c'est le président Hollande qui a lui-même semé la confusion en laissant entendre que l'action « internationale » pourrait conduire à un changement de régime : « On ne peut pas laisser en place un président qui n'a rien pu faire, voire qui a laissé faire. » Tout comme le renversement du colonel Mouammar Kadhafi en Libye en 2011, un tel limogeage dépasserait le cadre du mandat donné par l'ONU et contreviendrait aux règles de base du droit international. Mais ce dernier, on le sait, fait l'objet d'une interprétation de plus en plus élastique par les grandes puissances (2).

Une spirale de déstabilisation

Comme dans le cas de l'opération « Serval », déclenchée au Mali en janvier 2013, aucun plan politique de long terme n'est prévu. A l'image de l'ensemble de la politique étrangère française, les choix diplomatiques effectués en Afrique le sont au coup par coup, face à l'urgence — souvent réelle. « Attendre, c'était prendre le risque d'un désastre », s'est ainsi justifié le premier ministre Jean-Marc Ayrault devant l'Assemblée nationale, le 10 décembre. Petit pays sans ressources exploitables, la Centrafrique, frontalière du Soudan, du Tchad et de la République démocratique du Congo (RDC), pourrait entrer dans la spirale de déstabilisation qui affecte déjà les pays du Sahel et qui, via le Soudan, touche le Proche-Orient. M. Ayrault précise que l'opération « Sangaris » sera « l'affaire de quelques mois », six tout au plus… Ce devait être le cas de « Serval » ; mais, près d'un an après son déclenchement, les contingents africains annoncés pour relayer les Français ne sont qu'à moitié constitués.

En Centrafrique, pas le moindre mea culpa de la part des dirigeants français. Depuis 1960, Paris fait et défait pourtant les régimes en place à Bangui, parfois sans craindre le ridicule, comme lorsqu'un ministre de la République assistait au couronnement de l'« empereur Bokassa Ier ». L'effondrement de l'Etat, ici comme à Bamako, ne doit rien au hasard. Des décennies de politiques néolibérales imposées avec le soutien de la France par les institutions financières internationales et l'Union européenne ont sapé l'autorité d'une puissance publique déjà fragilisée par des luttes d'influence internes à la classe dirigeante (3). Les dominos ne font sans doute que commencer à tomber, en particulier en Afrique francophone.

« On observe en moyenne des résultats économiques supérieurs depuis le tournant du XXIe siècle pour les pays anglophones, notamment ceux du marché commun d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe (exception faite du Zimbabwe) ou d'Afrique de l'Ouest (Ghana, Nigeria), comparés aux pays francophones », note l'économiste Philippe Hugon (4). En Afrique de l'Ouest, par exemple, le Ghana, le Liberia et la Sierra Leone affichent des taux de croissance supérieurs à 4 %, tandis que ceux-ci stagnent à 0 ou 0,5 % au Bénin et en Guinée, et que le Togo ou la Côte d'Ivoire sont en récession. La géographie, le système monétaire, mais aussi la nature des régimes politiques y seraient pour beaucoup. Symbole de ces évolutions divergentes, la présidence de la Commission de l'Union africaine est échue, en 2012, à la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, qui a mené une bataille acharnée pour obtenir ce poste face au Gabonais Jean Ping. Elle ne cache pas son hostilité au gendarme français.

« Si on intervient, on est critiqué ; si on n'intervient pas, on est critiqué aussi », nous glisse, faussement placide, un diplomate du Quai d'Orsay. Certes, mais pourquoi la France se trouve-t-elle, cinquante ans après la décolonisation, en situation de mener des opérations de maintien de l'ordre sur le continent noir ? 50 % des soldats français basés à l'étranger sont en Afrique : environ huit mille hommes répartis sur cinq bases permanentes. Pour l'armée tricolore, le continent offre un terrain d'entraînement privilégié, varié (savane, désert, forêt, milieu urbain, action navale), avec la possibilité d'« agir en situation ». Les soldats y reçoivent une formation exceptionnelle qui les place parmi les meilleurs du monde, notamment en ce qui concerne les actions de commando.

« La France est rattrapée par son histoire, et particulièrement l'histoire africaine », diagnostique l'africaniste Antoine Glaser (5). Depuis François Mitterrand (1981-1995), tous les présidents annoncent un changement profond dans les relations avec l'Afrique. Au-delà de l'exercice désormais rituel consistant à enterrer la « Françafrique », il s'agirait d'établir des rapports plus égalitaires et plus « transparents ». Mais tous finissent par jouer les parrains d'un continent transformé en parc à thèmes, avec ses catastrophes et ses coups d'Etat.

Si les événements, souvent dramatiques, les y poussent, les chefs de l'Etat successifs prennent également goût au parfum de puissance que donne la possibilité, parfois spectaculaire, de voler au secours de la veuve et de l'orphelin sous la bannière de l'ONU. L'Afrique permet à une France au prestige et aux moyens déclinants de réaffirmer son rôle de « puissance mondiale », selon les mots de M. Hollande. Cette posture convient bien au président et à son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, dont l'action géopolitique semble parfois se résumer à revêtir la panoplie de cow-boy justicier de M. George W. Bush guerroyant contre l'« axe du Mal ».

Pourtant, les opérations militaires règlent rarement les crises politiques sur le long terme. Au Mali, les élections présidentielle et législatives ont effectivement eu lieu quelques semaines après « Serval » ; mais, sur certaines parties du territoire, les bureaux de vote n'ont pas pu ouvrir, et la participation aux législatives n'était que de 38 %. A la fin de l'année dernière, la complaisance de Paris envers les Touaregs semblait susciter un retournement de la population malienne. En Centrafrique, l'identification des interlocuteurs relève du numéro de voyance, chaque groupe s'autoproclamant représentatif de quelque chose. La rébellion des partisans de l'ancien président François Bozizé a fait long feu, tandis que l'autorité du pouvoir putschiste de la Seleka est inexistante. « On ne construit pas un Etat à coups de poing », commente l'ancien premier ministre français Dominique de Villepin, qui dénonce une « militarisation » des rapports franco-africains et une « recolonisation bienveillante » du continent (6).

Les partenaires européens de Paris semblent presque soulagés de voir la France prendre en charge les opérations dans une Afrique (surtout francophone) qui les intéresse peu. L'éventuel échec de « Serval » ou de « Sangaris », avec la mort de soldats français, ne sera pas le leur. Il en va autrement des opérations Eupol menées dans la richissime RDC, qui, en leur temps, ont déclenché des querelles, Berlin soupçonnant Paris de vouloir se positionner sur l'échiquier minier (7). Lisbonne s'occupe de l'Angola, ou plutôt Luanda s'occupe du Portugal (8) ; les Britanniques surveillent la Sierra Leone. « Chacun reste dans son pré carré », conclut Glaser.

Si l'Union européenne contribue à hauteur de 50 millions d'euros à l'opération en Centrafrique (surtout pour équiper les futures troupes africaines), Paris souhaite qu'elle crée un fonds spécial destiné à soutenir ce type d'action. « Nous sommes dans une Europe à vingt-huit, mais la France a un statut particulier, explique avec simplicité M. Hollande. Nous avons une armée (...) et des équipements que peu de pays ont en Europe. Alors je souhaiterais qu'ils puissent contribuer davantage, participer davantage, être dans des forces que nous pourrions mutualiser. »

Sur le continent, les tribulations du « gendarme » suscitent des sentiments mélangés. Mme Dlamini-Zuma ne cache pas sa frustration de voir le continent paralysé. « “Serval” lui est resté en travers de la gorge », commente un diplomate africain. A l'époque, le président guinéen Alpha Condé avait lâché : « C'est une honte pour nous d'être obligés d'applaudir la France. Nous sommes reconnaissants à François Hollande, mais nous avons été un peu humiliés que l'Afrique n'ait pu répondre elle-même à ce problème (9). » La Force africaine en attente (FAA), prévue depuis près de dix ans, demeure une vue de l'esprit, notamment en raison du retard des financements. En 2012, les Etats membres de l'Union africaine n'ont contribué qu'à hauteur de 3,3 % au budget-programme de l'organisation, laissant Bruxelles, Paris et Washington mettre la main au portefeuille. Pretoria propose désormais de créer une Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric), dont la mise en œuvre serait plus souple que celle de la FAA. En Centrafrique, la Misca doit, à court terme, prendre le relais des troupes françaises.

« Le plus grand danger qui menace l'Afrique est le vide d'hégémonie, estime le politiste camerounais Achille Mbembe. Ce vide constitue un puissant appel d'air pour les forces étrangères. Les puissances qui interviennent chez nous ne courent pas de risques graves. Le jour où elles devront payer cher ce genre d'aventure, elles y réfléchiront à deux fois (10). » Malgré les pétitions de principe panafricanistes, le continent demeure balkanisé. Le silence de l'Algérie sur la crise malienne reste assourdissant ; Pretoria et Lagos abordent les rencontres internationales en ordre dispersé. « On nous serine que si la France n'intervient pas, personne ne fera rien, écrit M. de Villepin. C'est le contraire qui est vrai. Si la France intervient, personne ne bougera. Le confort sera maximal pour les grandes puissances (Amérique, Chine, Russie, Europe) autant que pour les puissances régionales (11). »

(1) LCI, 8 décembre 2013.

(2) Lire « Origines et vicissitudes du “droit d'ingérence” », Le Monde diplomatique, mai 2011.

(3) Lire Vincent Munié, « Agonie silencieuse de la Centrafrique », Le Monde diplomatique, octobre 2013.

(4) Philipe Hugon, L'Economie de l'Afrique, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 2012.

(5) Radio France Internationale (RFI), 6 décembre 2013.

(6) Dominique de Villepin, « Paris ne doit pas agir seul », LeMonde.fr, 4 décembre 2013.

(7) Lire Raf Custers, « L'Afrique révise les contrats miniers », Le Monde diplomatique, juillet 2008.

(8) Lire Augusta Conchiglia, « L'Angola au secours du Portugal », Le Monde diplomatique, mai 2012.

(9) RFI, 27 avril 2013.

(10) « L'Afrique en 2014 », Jeune Afrique, hors-série n° 35, Paris, 2013.

(11) Dominique de Villepin, « Paris ne doit pas agir seul », op. cit.

Les évangélistes à la conquête du Brésil

Le Monde Diplomatique - Mon, 31/10/2016 - 08:23

En 2002, l'élection d'un représentant du Parti des travailleurs à la présidence du Brésil avait provoqué un séisme politique. En octobre 2014, une défaite de cette formation en déclencherait un second. Or la candidature inattendue de Mme Marina Silva parvient à rassembler les opposants à l'actuelle présidente Dilma Rousseff : une partie des classes moyennes, le patronat et les Eglises évangéliques, particulièrement puissantes dans le pays.

« Si d'ici lundi Marina ne prend pas position, elle aura droit au pire discours que j'aie jamais fait sur un candidat à la présidence. » Le message, posté sur Twitter par le pasteur Silas Malafaia le samedi 30 août, est devenu l'un des principaux épisodes de l'histoire politique brésilienne récente. La veille, Mme Marina Silva, parachutée dans la bataille électorale à la suite de la mort dans un accident d'avion d'Eduardo Campos, le candidat du Parti socialiste brésilien (PSB), avait présenté son programme. Et brisé un tabou, en proposant de défendre une législation favorable au mariage pour tous si elle était élue.

Dans les faits, les homosexuels peuvent se marier depuis la décision de la Cour suprême de mai 2013. « Mais il s'agit d'une jurisprudence susceptible d'être remise en question par des juges conservateurs. Tant que nous n'avons pas de loi, nos droits ne sont pas protégés », précise M. Jean Wyllys, le seul député fédéral à revendiquer son homosexualité. Ce jour-là, Mme Silva a semblé bousculer la donne et incarner cette « autre politique » qu'elle promet, jusqu'alors demeurée incantatoire — une prise de position d'autant plus remarquable que la candidate s'affiche comme membre pratiquante de l'Assemblée de Dieu, une Eglise évangélique pentecôtiste caractérisée par son conservatisme social (1).

Quelques heures après le tweet du pasteur, Mme Silva fait marche arrière. L'enthousiasme laisse place au trouble, puis à l'indignation. « Vous nous avez menti, vous vous êtes jouée de l'espérance de millions de personnes, vous ne méritez pas la confiance du peuple brésilien », déclare alors M. Wyllys, qui, bien que soutenant une autre candidate dans la course à la présidentielle, avait salué le programme de Mme Silva. Trop proche des évangélistes, Mme Silva ? Dans les faits, tous les candidats — à commencer par Mme Dilma Rousseff, la présidente sortante — ont monté des « comités évangéliques » pour tenter de séduire ces millions de voix qui paraissent en perpétuelle croissance.

On assiste en effet à une révolution. En 1970, 92 % de la population se déclarait catholique selon l'Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) ; ils ne sont plus que 64,6 % en 2010. Un effondrement. « Le Brésil est un cas unique : il s'agit du seul grand pays à connaître une mutation profonde de son paysage religieux en un laps de temps aussi rapide », pointe José Eustáquio Alves, démographe à l'Ecole nationale des sciences statistiques (ENCE) de Rio de Janeiro. A l'origine du phénomène, l'expansion des Eglises évangéliques, tirée par les pentecôtistes et néopentecôtistes, la part des protestants traditionnels (luthériens, baptistes et méthodistes) demeurant stable. La proportion de leurs adeptes dans la population est passée de 5 à 22 % en quarante ans. Avec cent vingt-trois millions de fidèles, le Brésil reste le premier pays catholique du monde. « Mais plus pour longtemps », assène Eustáquio Alves, qui a calculé que les deux groupes devraient être au coude-à-coude d'ici à 2030.

Le paysage urbain offre le meilleur exemple de cette transformation. A Rio de Janeiro, la place Cinelândia, bordée par le théâtre municipal et la Bibliothèque nationale, doit son nom aux cinémas surgis au début du XXe siècle. Ils ont pratiquement tous disparu. A la place des affiches qui exaltaient hier Marlon Brando ou Cary Grant fleurissent des prières à Jésus éclairées au néon et le nom des chapelles : Eglise universelle, Dieu est amour, Eglise mondiale du royaume de Dieu... Même tableau dans le centre de toutes les métropoles.

Dans les périphéries, c'est le contraire : une multitude de petites salles bourgeonnent, entre un garage et un bar par exemple. Pendant des siècles, la géographie des agglomérations latino-américaines se caractérisait par une place centrale réunissant la mairie et l'église. Mais la croissance accélérée des villes, alimentée par le flot des migrants, a bousculé cette disposition. Ce à quoi les Eglises évangéliques ont su s'adapter — une souplesse « dont les catholiques se sont avérés incapables », souligne Cesar Romero Jacob, professeur de science politique à l'Université pontificale catholique de Rio de Janeiro.

Même constat en Amazonie, le long de la frontière agricole en cours d'occupation, un véritable Far West. Spécialiste des fronts pionniers brésiliens, le géographe français Hervé Théry, qui enseigne à l'université de São Paulo, témoigne du processus d'implantation : « Chaque fois que j'arrive dans un endroit qui vient d'être occupé, il y a trois baraques de planches, une pharmacie et un temple, c'est-à-dire de quoi se soigner et une source de réconfort moral, un besoin dans ces régions difficiles », raconte-t-il. Le chercheur retrouve la même logique dans les périphéries des grandes villes, ces océans de briques abandonnés par la puissance publique. « Les Eglises évangéliques offrent une forme d'aide sociale, des loisirs et une véritable écoute, ce que l'Eglise catholique a pratiquement cessé de faire. C'est une des clés de leur succès », poursuit-il.

Pour les surfeurs, un temple réservé

Tandis que, dans le centre de la « Ville merveilleuse », plus de 75 % des habitants se disent catholiques, la proportion tombe à 30 % dans sa banlieue. A Rio de Janeiro, « c'est moins la pauvreté que la ségrégation qui est à l'origine des changements », résume Romero Jacob.

Ici, le chaos orchestre le développement. Edifiées sans autorisation, les constructions sont insalubres, les postes de santé, lointains, les égouts, inexistants. Le transport se trouve sous la coupe d'une mafia liée aux responsables politiques locaux. La sécurité dépend de narcotrafiquants ou de milices recrutées parmi d'anciens membres des forces de l'ordre.

Et puis on s'ennuie ferme. A Queimados, dans la périphérie de Rio, Mme Elaine Souza, 32 ans, n'a aucune activité à proposer à sa fille adolescente. Baptisée catholique, elle figure au nombre des convertis de la dernière décennie. Femme de ménage, elle passe près de cinq heures par jour dans les transports en commun entre son domicile et son lieu de travail, à Copacabana. Cela lui permet de voir la plage, « où beaucoup, dans mon quartier, n'ont jamais mis les pieds ». Chez elle, il n'y a ni bibliothèque municipale ni square — « ni même une boulangerie », précise-t-elle. A peine deux bars minuscules où les hommes engloutissent leurs salaires dans des doses de cachaça, la liqueur nationale.

Pour Mme Souza, le temple évangélique voisin n'est pas seulement un lieu d'accueil en cas de coup dur, c'est aussi son seul espace de loisir. On y prépare des spectacles pour la Fête des mères et pour Noël, on fait la cuisine ensemble, on s'encourage à reprendre les études, interrompues au primaire. En embrigadant sa fille, elle espère par ailleurs lui épargner le scénario classique des périphéries : une grossesse précoce ou une passion pour un petit caïd du narcotrafic, et l'école quittée trop tôt.

L'affluence au temple prouve l'attrait du culte. On est loin des messes serinées par un prêtre le plus souvent absent des communautés. Pendant les cérémonies évangéliques, on chante, on écoute des témoignages qui ont fonction de catharsis collective. Et chacun y trouve son compte. Alors que le Vatican émet un message unique, transmis par des prêtres longuement formés et obéissant à des critères de recrutement — qui excluent les femmes et exigent le célibat —, la souplesse prévaut dans le camp néopentecôtiste.

N'importe qui peut se décréter pasteur : il suffit de jouir d'un certain charisme, d'avoir étudié un brin de théologie (trois mois suffisent dans plusieurs Eglises) et d'avoir été « appelé par Dieu ». Les grandes, telle l'Assemblée de Dieu, imposent certains contrôles. Mais le pasteur soucieux de s'en affranchir peut créer son propre temple et cibler un groupe social donné avec un message taillé sur mesure. Certains prêchent l'austérité, quand d'autres exaltent l'enrichissement. Ont même surgi le temple Boule de neige, destiné aux surfeurs, et l'Eglise des Athlètes du Christ, rassemblant les amoureux du football. « On assiste à un phénomène de segmentation obéissant aux règles du marketing », analyse Mário Schweriner, spécialiste des relations entre religion et économie à l'Escola Superior de Propaganda e Marketing (ESPM) de São Paulo.

Dans une société marquée par les inégalités, l'appel au statu quo de la hiérarchie catholique — elle a réprimé ceux de ses fidèles qui, au sein de la théologie de la libération, raisonnaient en termes de lutte des classes — peine de plus en plus à s'imposer parmi les couches populaires. « Aux discours faisant miroiter le paradis dans l'au-delà en échange des sacrifices du présent, les Eglises néopentecôtistes opposent un matérialisme hédoniste qui promet le succès ici et maintenant », explique le sociologue Saulo de Tarso Cerqueira Baptista, professeur à l'université d'Etat du Pará.

La rhétorique fonctionne d'autant mieux que la majorité des dirigeants politiques ont renoncé à combattre les injustices. « Quand une société se considère incapable de résoudre ses problèmes par la voie sociale, politique et économique, elle finit par leur donner un caractère surnaturel : des esprits malins qu'il faut débusquer se nicheraient partout dans notre vie », analyse de Tarso Cerqueira Baptista. Il y a le démon du chômage que l'on chasse en brandissant son livret professionnel durant le culte, les démons de l'alcool, de l'échec scolaire ou de l'adultère, qui fuient grâce à la main salvatrice du pasteur. Jésus guérirait même le cancer ou le sida...

Néanmoins, pour accroître sa bienveillance, il convient de verser chaque mois le dizimo, un dixième de ses revenus, au pasteur. Et toutes les formes de paiement sont acceptées : espèces, chèques, mais aussi carte bancaire. Une évidence pour la majorité des fidèles. « Je sais que, si je me retrouve au chômage, un frère ou une sœur d'Eglise m'apportera de quoi manger et une bouteille de gaz, et qu'il m'aidera à retrouver un emploi », justifie Mme Souza. Elle ajoute que les fidèles sont ainsi poussés à économiser sur leurs vices, comme l'alcool ou les cigarettes.

« Payer le dizimo, cela revient à sceller une appartenance, dans un contexte d'absence de l'Etat et de déstructuration de la famille », analyse Romero Jacob. Les pasteurs récupèrent d'ailleurs habilement la montée en puissance d'une nouvelle classe moyenne (quarante millions de personnes sont sorties de la pauvreté au cours de la dernière décennie). Pour Denise Rodrigues, professeure de science politique à l'université d'Etat de Rio de Janeiro, « la réussite matérielle apparaît comme une preuve d'élection par Dieu. Si un individu gagne de mieux en mieux sa vie, il sera tenté d'associer ce progrès à son Eglise, et de s'y investir plus encore ».

L'intégration a ses codes, qui génèrent un marché : on s'habille évangélique, on écoute de la musique évangélique, on regarde une télévision évangélique. A São Paulo, dans le quartier populaire du Brás, qui concentre l'industrie textile, la mode évangélique fait un tabac, notamment grâce à une marque leader, Joyaly, lancée au début des années 1990. « A l'époque, les fidèles étaient obligées de porter de longues jupes informes. C'est ce qui a poussé ma mère à créer la confection », raconte M. Alison Flores, qui gère l'entreprise avec sa sœur Joyce, styliste.

« Il y a des règles : pas de décolleté, pas de transparence, et les épaules couvertes », débite cette dernière, en montrant ses dessins. « Mais nous n'avons plus pour autant des allures de grand-mère. Exit les couleurs sombres et les habits mal coupés ! Je m'inspire des collections européennes et les adapte aux exigences du culte », ajoute-t-elle dans un sourire. Dans les années 2000, Joyaly a connu une croissance de son chiffre d'affaires de près de 30 % par an. Si elle est plus modérée aujourd'hui, c'est que trente concurrents se sont engouffrés dans le marché. « Les évangélistes sont plus nombreuses et de plus en plus sûres d'elles : elles veulent être belles tout en revendiquant leur choix spirituel en public », célèbre M. Flores.

A quelques kilomètres de là, à Liberdade, le quartier japonais de São Paulo, une rue entière, la Conde de Sardezas, se consacre au commerce évangélique. On y trouve des tee-shirts, des casquettes et des tasses à café exaltant Jésus, mais aussi des jouets évangéliques. Le moteur des ventes demeure la Bible, le livre le plus vendu du Brésil. « Plusieurs de mes clients en ont vingt, trente, ils en font collection », explique M. Antonio Carlos, le gérant du magasin Total Gospel. Gros succès, la « Bible de la femme » propose des prières spécifiques se rapportant à la famille et au mariage, alors que la « Bible géante », tout en dorures, est destinée à être exposée dans les salons.

Jésus au hit-parade

Dans un pays où la piraterie fait rage, le marché des disques chrétiens fait figure d'exception. Parmi les vingt albums les plus vendus, quinze sont le fait de chanteurs religieux, catholiques pour certains, en majorité évangéliques. Au-delà du traditionnel gospel, on loue Jésus sur des airs de samba, de sertanejo (la country locale), de rock et de rap. Les interprètes sont des pasteurs austères, des petits gros à chapeau de cow-boy ou des nymphettes aux allures faussement sages. Toutes les maisons de disques, qui snobaient auparavant cette niche, ont créé leur label « gospel », à l'image des géants Sony et EMI. « Quand j'ai commencé, nous chantions dans des garages. Maintenant, tous les studios nous courtisent, et nous avons des radios qui nous sont exclusivement consacrées », pointe Eshyla, 42 ans, qui compte au nombre des stars du marché. Mariée à un pasteur, elle sillonne le pays pour des concerts rassemblant des milliers de personnes autour de son dernier tube, Jésus, le Brésil va t'adorer ! Eshyla a signé avec la Central Gospel Music, la maison de disques du pasteur Malafaia.

« Les Eglises évangéliques ont mis en place une politique de communication à toute épreuve, en utilisant l'industrie du divertissement », analyse Valdemar Figueiredo Filho, professeur à l'université ESPM, à Rio de Janeiro : « Les grands pasteurs ont d'abord un temple, puis une radio, une télévision, une maison de disques. Chaque activité alimente l'autre, et leur notoriété augmente », explique-t-il.

C'est l'Eglise universelle du royaume de Dieu, plus communément appelée « Universal », qui a montré le chemin. Contrôlée par l'évêque Edir Macedo et déjà propriétaire de deux maisons d'édition, d'une agence de tourisme et d'une compagnie d'assurances, elle distribue gratuitement dans les rues la Folha Universal, un hebdomadaire de qualité tiré à un million huit cent mille exemplaires — contre environ trois cent mille pour la prestigieuse Folha de S.Paulo. Surtout, elle possède depuis 1989 la Rede Record, la deuxième chaîne de télévision du pays. Sur cette dernière, le contenu proprement religieux se limite aux programmes tardifs. L'Universal préfère « louer » des heures sur d'autres chaînes, une pratique reprise par des dizaines d'Eglises concurrentes. Le schéma se répète pour la radio : l'« Universelle » alimente ainsi le contenu de plus de quarante stations.

Figueiredo Filho a ainsi calculé que les Eglises évangéliques contrôlent plus d'un quart des stations FM brésiliennes et louent plus de cent trente heures par semaine de contenu sur quatre chaînes hertziennes nationales. Parfois jusqu'à la caricature : la Rede 21, par exemple, s'ouvre vingt-deux heures par jour aux pasteurs. « C'est un détournement de l'esprit de la loi », s'indigne M. João Brant, du collectif Intervozes, une organisation non gouvernementale militant pour la démocratisation des médias. « Il s'agit de concessions publiques, que les chaînes louent sans autorisation », poursuit-il, rappelant que la Constitution ne le permet normalement pas. « Même si on considérait ces programmes religieux comme publicitaires, ils ne pourraient pas dépasser un quart du temps total de programmation », dit-il. Tous les ans, Intervozes se rend au Congrès pour exiger une clarification du texte. « Et nous butons toujours sur le même problème : les projets de loi sont bloqués par les députés chrétiens », se désole M. Brant.

Car le cœur du pouvoir évangélique réside au Congrès. Il a pris la forme d'un « front évangélique » réunissant tous les parlementaires « frères en foi », au-delà de leur appartenance partisane. Fin 2014, le front réunit soixante-treize députés (sur cinq cent treize) et trois sénateurs (sur quatre-vingt-un). Tous les mercredis matin, ils se retrouvent dans une salle plénière du Congrès pour prier ensemble, avec force chants et prêches.

Redoutable activisme parlementaire

Leur montée en puissance s'appuie sur les particularités du système électoral brésilien. Car le nombre de sièges remportés par chaque formation politique découle de la somme des voix obtenues par les candidats et de celles qui se sont portées sur le parti (l'électeur peut choisir une de ces deux formes de vote). En conséquence, si un candidat rassemble un grand nombre de votes, il permet à sa formation d'obtenir plus de sièges. Une aubaine pour les leaders charismatiques, en particulier ceux qui ont accès à la télévision. On les appelle les puxadores de voto, les « aspirateurs à voix ».

Le système bénéficie à toutes les personnes célèbres, au-delà du champ évangélique. Ainsi, en 2010, le député fédéral le mieux élu du pays, avec un million trois cent cinquante mille votes, était un clown, M. Francisco Everardo Oliveira Silva, alias Tiririca, sans aucune expérience politique mais très populaire. Le nombre élevé de voix qu'il a recueillies a permis l'élection de quatre autres députés de sa coalition, qui n'y seraient pas parvenus seuls. Présents à la télévision, donc connus, deux cent soixante-dix pasteurs brigueront cette année un mandat de député fédéral, battant le record de 2010, où ils étaient cent quatre-vingt-treize. De cette façon, ils espèrent augmenter leur présence de 30 %, pour parvenir à quatre-vingt-quinze parlementaires.

Cette logique facilite la cooptation de religieux. D'autant que s'y ajoute un autre élément : la confiance. « Un frère vote pour un frère », résume le politogue Rodrigues. Un adepte d'une Eglise évangélique se voit considéré comme plus fiable par les fidèles. Plus assidus aux cultes, souvent moins instruits car issus des couches populaires, comme le montrent les travaux de Romero Jacob, les membres des Eglises évangéliques sont plus sensibles à la parole de leur « guide ».

M. Malafaia, le dirigeant de l'Assemblée de Dieu qui a fait plier Mme Silva à un mois du premier tour, en est conscient. Interrogé sur son pouvoir, il répond sans détour : « Moi, être candidat, cela ne m'intéresse pas. Ce que j'aime, ce sont les coulisses de la politique, s'amuse-t-il. Au niveau local, nous imposons qui nous voulons. Aux dernières élections municipales, j'ai lancé un illustre inconnu du grand public, mais une figure pour les évangélistes : il a fait partie de ceux qui ont obtenu le plus de suffrages. » Pour toutes les élections à la proportionnelle (législatives notamment), l'impact est fort. « Mais il n'en est pas de même pour les mandats majoritaires, puisque les évangélistes sont loin de représenter la moitié du pays. Là, il faut négocier », tempère Figueiredo Filho.

C'est ce que comptent faire les évangélistes. « Au second tour, nous allons nous mettre à table avec chacun des deux candidats et lui dire : “Tu veux notre soutien ? Tu devras signer un document et t'engager à refuser telle ou telle législation.” C'est ça, le jeu politique », assure M. Malafaia. Quel que soit le vainqueur, il devra par la suite apprendre à composer avec le front au Congrès.

A chaque législature, les députés évangéliques se chargent d'occuper des postes dans les commissions traitant des thèmes de société. Ils « tiennent » ainsi quatorze des trente-six membres de la commission des droits de l'homme, ce qui leur permet d'intervenir sur les projets de loi concernant les homosexuels, l'avortement, les drogues ou l'éducation sexuelle. Plus discrètement, on les retrouve à la commission technologie et communication (quatorze des quarante-deux sièges), prêts à bloquer toute loi sur les concessions de radio et de télévision qui pourrait restreindre leur pouvoir médiatique.

« Comme nous ne représentons encore que 15 % des députés, nous passons des alliances avec d'autres groupes pour imposer nos vues », explique le pasteur Paulo Freire (sans rapport avec le célèbre pédagogue), qui préside le Front évangélique. L'appui le plus naturel vient des parlementaires catholiques hostiles à la libéralisation des mœurs. Il peut aussi résulter d'un échange de bons procédés : on troque le soutien du front de l'agrobusiness aujourd'hui contre le vote des évangélistes demain. « Et parfois nous bloquons le Parlement en étant absents le jour de votes chers au gouvernement, ce qui pose des problèmes de quorum », raconte tranquillement M. Freire.

Durant le mandat de Mme Rousseff, les Eglises évangéliques ont ainsi obtenu le retrait d'un kit éducatif antihomophobie distribué dans les écoles, ainsi que celui d'une vidéo de lutte contre le sida destinée aux homosexuels. Même efficacité sur la question de l'avortement. « Les féministes sont passées de la conquête à la défense des maigres droits acquis, pointe Naara Luna, chercheuse à l'Université fédérale de Rio de Janeiro. Dans les années 1990, 70 % des projets de loi ayant trait à l'avortement allaient dans le sens de la légalisation ; dans les années 2000, 78 % allaient dans le sens contraire. »

En 2010, l'élection avait déjà été dominée par le débat sur l'avortement. Entre les deux tours, la pression des religieux avait contraint Mme Rousseff à publier une lettre dans laquelle elle se disait « personnellement » contre l'interruption volontaire de grossesse. Cette année, c'est le débat autour du mariage pour tous qui prédomine. « Marina Silva est assurée de capter une partie du vote évangélique, mais elle doit faire attention à ne pas paraître trop dépendante des groupes religieux. Sinon, le rejet d'autres groupes l'empêchera d'arriver au pouvoir », souligne Figueiredo Filho.

Courtiser les Eglises évangéliques sans faire peur aux catholiques ni aux laïques : voilà la stratégie de tous les candidats. Elle était déjà à l'œuvre en 2002. Lorsque M. Luiz Inacio Lula da Silva a tenté pour la quatrième fois de s'imposer à la tête du pays, il a choisi M. José Alencar comme vice-président. Le millionnaire avait non seulement la confiance d'une partie du monde des entreprises, mais était aussi membre du Parti libéral (PL), à l'époque l'un des plus évangéliques. Depuis, le Parti des travailleurs (PT) n'a cessé de tenter de se rapprocher des pentecôtistes, allant jusqu'à les associer au gouvernement. Le sénateur Marcello Crivella, évêque de l'Eglise universelle (et neveu de M. Macedo), s'est ainsi vu offrir le portefeuille de la pêche au sein du gouvernement Rousseff de février 2012 à mars 2014. Il n'a toutefois jamais réussi à s'imposer lors d'un mandat majoritaire — il a tenté d'être maire et gouverneur.

Une réaction à l'ouverture du pays

Pour Figueiredo Filho, la levée de boucliers contre les Eglises évangéliques relève de l'hypocrisie. « L'intervention des catholiques était considérable auparavant, mais elle était moins visible. L'évêque avait directement accès au gouverneur, alors que les évangélistes ont dû élire des députés », dit-il. Toute la presse a relevé la présence de Mme Rousseff et de l'essentiel de l'establishment politique, le 31 juillet dernier, lors de l'inauguration du gigantesque temple de Salomon de l'Eglise universelle, à São Paulo. Les visites au Vatican, à Rome, sont en revanche banalisées. « La culture catholique est ancrée dans celle du Brésil. Avec les évangélistes, on assiste à un changement d'autant plus mal vécu que le paysage religieux continue à se transformer très vite », conclut Figueiredo Filho.

Le rejet du religieux dans la vie politique par une frange de la population pourrait également s'expliquer par la croissance du nombre de personnes « sans religion » — qui ne se revendiquent d'aucune institution, ce qui ne veut pas dire non-croyantes. Elles étaient moins de 1 % jusqu'aux années 1970, 4,7 % en 1991 et 8 % en 2010. Une récente étude de l'Institut Pereira Passos dans des favelas de Rio de Janeiro montre qu'un tiers des jeunes de 14 à 24ans se déclarent sans religion. Au sein même des Eglises évangéliques, le nombre de fidèles rejetant toute affiliation à une institution est passé de 0,3 à 4,8 % entre 2000 et 2010. Le phénomène interpelle les chercheurs. « C'est peut-être le signe que certains évangélistes ne se retrouvent pas dans le discours radical de leurs dirigeants », avance Romero Jacob.

Même si le conservatisme reste puissant dans la société brésilienne, les manifestations exigeant notamment plus de respect des droits des femmes et des homosexuels se multiplient. Les « marches de Jésus » drainent des centaines de milliers de personnes dans le pays, mais les parades gays également — avec trois millions de personnes, celle de São Paulo est la plus importante du monde. On a même vu apparaître des Eglises évangéliques « inclusives », destinées aux homosexuels rejetés par les plus traditionnelles. « La violence des leaders religieux, évangéliques et catholiques, est aussi une réaction face à un Brésil qui change et qui s'ouvre malgré tout », estime Maria Luiza Heilborn, chercheuse au Centre latino-américain de la sexualité et des droits de l'homme (CLAM), de l'université d'Etat de Rio de Janeiro. Paradoxalement, c'est peut-être parce que le Brésil devient de plus en plus complexe qu'il s'interroge sur le sens de la laïcité, et que la perception de l'intervention politique des religieux prend autant de place dans le débat public.

(1) Lire Regina Novaes, « Au Brésil, les temples, les votes et les politiciens », Le Monde diplomatique, avril 2005.

Almost one in seven children breathing heavily toxic air – UNICEF report

UN News Centre - Mon, 31/10/2016 - 06:00
About 300 million children in the world are living in areas with outdoor air so toxic &#8211 six or more times higher than international pollution guidelines &#8211 that it can cause serious health damage, including harming their developing brains, a new United Nations Children&#39s Fund report has revealed.

The Right of Might

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Mon, 31/10/2016 - 00:00
(Own report) - African countries are beginning to withdraw out of protest from the International Criminal Court (ICC) - which receives significant support from Germany - because, from its inception until the beginning of 2016, the ICC had only been indicting citizens of African countries. In spite of numerous war crimes committed by troops of western countries, not a single investigation has been initiated against them. As critical observers had already noted at the time of its founding, the ICC is a flexible instrument of powerful western countries for disciplining weaker countries, particularly recalcitrant African governments. According to German international jurists, even if military aggression would be declared a criminal offense, as is planned for next year, there will be enough room for interpretation to preclude, for example, the wars of aggression against Yugoslavia in 1999 or against Iraq in 2003 from prosecution. Germany was one of the main initiators of the ICC.

UN envoy on Syria 'shocked' and 'appalled' by indiscriminate rocket attack on western Aleppo

UN News Centre - Sun, 30/10/2016 - 06:00
The United Nations Special Envoy for Syria, Staffan de Mistura, has said that he is &#8220appalled and shocked&#8221 by the high number of rockets indiscriminately launched by armed opposition groups on civilian suburbs of Syria&#39s western Aleppo in the past 48 hours.

In phone call with South African President, UN chief expresses hope country will 'reconsider' decision to withdraw from International Criminal Court

UN News Centre - Sun, 30/10/2016 - 06:00
In a telephone conversation with President Jacob Zuma of South Africa, United Nations Secretary-General Ban Ki-moon regretted the country&#39s decision to withdraw from the International Criminal Court and expressed hope that it would reconsider the decision before the withdrawal takes effect.

UN mission condemns killings and increased violence in the Central African Republic

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Denouncing recent violence and increasing tensions in parts of the Central African Republic (CAR), in particular the town of Bambari, resulting in the deaths of 25 individuals, the United Nations mission in the country has called for an end to the attacks and reprisals as well as appealed for dialogue to resolve the situation.

Syria: Security Council strongly condemns attacks against schools and shelling of Russian Embassy

UN News Centre - Sat, 29/10/2016 - 07:00
The United Nations Security Council has condemned in the &#8220strongest terms&#8221 an attack yesterday on the Embassy of the Russian Federation in Syria&#39s capital Damascus as well as the widely reported recent attacks on schools in the country, according to separate statements issued late yesterday.

General Assembly elects 14 members to UN Human Rights Council

UN News Centre - Sat, 29/10/2016 - 01:21
The General Assembly today elected, by secret ballot, 14 States to serve on the Human Rights Council, the United Nations body responsible for the promotion and protection of all human rights around the globe.

UN chief set to open next month ‘crucial phase’ of negotiations on Cyprus

UN News Centre - Sat, 29/10/2016 - 01:14
The Turkish Cypriot leader and the Greek Cypriot leader will head to Switzerland early next month for a meeting that will be opened by Secretary-General Ban Ki-moon and will kick-off an intensive week of negotiations of the Cyprus talks, a senior UN envoy announced today.

Ban urges all parties in Venezuela to reduce polarization and engage sincerely in dialogue process

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United Nations Secretary-General Ban Ki-moon today welcomed the Vatican’s joining of the ongoing initiative by former Heads of State and Government to promote dialogue between the Government of Venezuela and the country’s political opposition, under the auspices of the Union of South American Nations (UNASUR).

FBI Is Reviewing New Emails in Clinton’s Private Email Case

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The FBI review of additional emails is already giving Republicans ammunition to attack the Democratic presidential nominee.

For Iraqi Christians, a Bittersweet Homecoming

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They’re taking their homes and churches back from the Islamic State. But it may be too late to start over.

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Conspiracy theories surrounded the death of Mikhail Lesin. DC prosecutors determined he died after days of drinking.

President of Philippines: God Told Me to Stop Calling People Sons of Whores

Foreign Policy - Fri, 28/10/2016 - 19:16
The president of the Philippines says God told him not to use swear words again.

Meet the Tank Girls Taking on al-Shabab

Foreign Policy - Fri, 28/10/2016 - 18:24
Somalia’s fight against jihad will be decisive for women’s rights — and may be decided by female soldiers.

These 1-Star Yelp Reviews of Embassies Make Us Question the Future of Diplomacy

Foreign Policy - Fri, 28/10/2016 - 16:42
When travelers don't get their visas on time, they get angry. And then they write Yelp reviews.

Do we worship information these days? Are server farms our new Delphi temples?

Foreign Policy - Fri, 28/10/2016 - 16:33
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