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Diplomacy & Crisis News

Afrique du Sud. 20 ans de démocratie contrastée

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Les récents revers électoraux du Congrès national africain (ANC) signent comme la clôture d'un cycle, ouvert il y a un peu plus de vingt ans avec la fin de l'apartheid. Tirées d'un colloque pluridisciplinaire tenu à Dijon en 2014, les contributions permettent d'y voir plus clair dans les contradictions de la « nouvelle Afrique du Sud ». Après avoir longtemps adopté une posture morale, héritée en partie de la lutte victorieuse contre l'apartheid, les gouvernements sud-africains affectent un pragmatisme grandissant au service des intérêts nationaux sur la scène continentale. L'avènement de la démocratie n'a pas remis en cause les structures du capitalisme local ; s'il a modifié la composition de la classe dirigeante, celle-ci prospère dans un décalage total avec la grande majorité de la population. Les tensions sociales, parfois réprimées dans la violence, se développent. L'ouvrage se termine par une étude fine du renouveau des luttes politiques dans un pays qui demeure la première puissance économique du continent.

L'Harmattan, Paris, 2016, 360 pages, 27 euros.

Afrotopia

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Voici un essai sans emphase qui s'attache à anéantir une certaine vision de l'Afrique — notamment celle d'un continent en devenir permanent — et à lui réattribuer ses « potentialités heureuses ». Celles-ci, ancrées dans la culture traditionnelle africaine même, rompent intégralement avec les modes de pensée imposés par le modèle occidental. L'écrivain, philosophe et économiste Felwine Sarr, natif du Sénégal, prône le « spécifiquement africain » au service de l'« Afrotopia », définie comme une « utopie active qui se donne pour tâche de débusquer dans le réel africain les vastes espaces du possible et de les féconder ». Il prêche la décolonisation du continent à travers une souveraineté intellectuelle absolue, une remise en question de l'idéologie du développement incarnée par le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, l'autonomie culturelle ou encore la maîtrise des discours et des représentations. S'appuyant aussi sur les réflexions de certains de ses prédécesseurs, Sarr délivre ce constat avec force : l'Afrique n'a personne à rattraper.

Philippe Rey, Paris, 2016, 160 pages, 15 euros.

Imaginaire péroniste. Ésthétique d'un discours politique, 1966-1976

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Peu d'hommes d'État ont autant marqué l'Argentine contemporaine que Juan Domingo Perón (1895-1974). Perón incarne un courant politique unique, le justicialisme, qui combine intervention publique, redistribution des richesses et autoritarisme. À l'image des époux Néstor et Cristina Kirchner dans les années 2000, nombreux sont ceux qui se sont revendiqués de lui après sa mort. L'ouvrage traite un aspect jusqu'ici négligé par l'historiographie argentine : la dimension esthétique du discours péroniste, en particulier sa communication visuelle, qui exalte le peuple et la culture populaire. La période étudiée (1966-1976) est celle d'un profond renouvellement du péronisme traditionnel. Une nouvelle génération de militants, issus des « nouvelles gauches » latino-américaines, rejoint le mouvement. Mêlant avant-gardes culturelles et critique sociale, elle donne au péronisme une dimension profondément artistique.

Presses universitaires de Rennes, 2016, 262 pages, 21 euros.

Cristalliser l'air du temps

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

D'abord intitulée « article-variété » aux alentours de 1840, la chronique est un genre journalistique dont les vertus n'ont jamais cessé d'enthousiasmer les lecteurs. Ni article d'actualité ni poème en prose, elle reste un objet éminemment littéraire. Les chroniqueurs sont des flâneurs, un peu poètes, un peu « preneurs de pouls » de la société, qui s'attachent à décrire leur environnement et les hommes qui s'y meuvent sans privilégier les grandes questions technocratiques ou politiques. Leurs écrits courts, destinés à surprendre, abordent tout sujet par le travers, avec panache. Des innovantes Lettres parisiennes de Delphine de Girardin (1843) aux « Modernités » du grand romancier Italo Svevo, écloses dans la presse triestine, en passant par les boulevardiers du XIXe siècle (Alphonse Karr, Aurélien Scholl, Émile Bergerat), les « Merles blancs » de Francis de Miomandre qui nidifiaient dans Les Nouvelles littéraires ou les fameuses digressions d'Alexandre Vialatte perché sur La Montagne, on ne compte pas les pages merveilleuses de la chronique.

La double publication des recueils de l'Argentin Roberto Arlt (1900-1942) et du Français Marc Bernard (1900-1983) offre l'occasion de souligner la singularité du genre, qui, pour paraître mineur, n'en a pas moins une portée fort peu picrocholine. On en jugera à l'aune des Dernières Nouvelles de Buenos Aires (1) d'Arlt, ce romancier sombre et puissant (Les Sept Fous, 1929) qui a ouvert à la littérature argentine une voie singulière, conjuguant réalisme et fantastique urbain. Il se lance au gré de ses chroniques dans des exercices étourdissants de sociologie à la volée, au fil de scènes de rue ou de mœurs, de portraits d'escrocs à la « démarche oblique », d'enfants misérables, de chômeurs et de déclassés contraints aux hôtels calamiteux. Selon des modalités intimes, chaque chroniqueur adopte une position singulière, et il est peu probable que Bernard ou Arlt aient pu souscrire à l'humilité du Japonais Sôseki racontant ses journées dans À travers la vitre (2), en 1915 : « Je vais aborder des sujets si ténus que je dois bien être le seul à m'y intéresser. » L'âpre rictus d'Arlt, caustique et amer, ou le sourire bienveillant de Bernard, romancier natif de Nîmes, ami de Jean Paulhan, cherchant à distraire son lecteur avec sa vie domestique, disent tout autre chose.

Les chroniques de Roberto Arlt, rédigées pour El Mundo entre 1928 et sa mort, sont la matière qui a nourri ses chefs-d'œuvre. Branché sur l'inquiétude du monde, souvent ironique quant à ses contemporains, soucieux du combat des femmes, de faits divers ou d'esthétique, il est d'abord un perplexe qui refuse la mystification du « progrès » : « J'en ai ma claque de la question du progrès. N'importe quel hurluberlu que je croise sur mon chemin, dès que je commence à râler parce que cette ville n'est pas vivable, me bassine avec cette sentence : “Vous ne le voyez donc pas, le progrès est en marche.” (…) Aujourd'hui, les gamins, on vous les met dans une petite cour bien sombre et humide avec tellement de courants d'air qu'on ne peut qu'attraper une pneumonie cholérique. »

Plus apaisé, Marc Bernard renoue dans ses Vacances surprises (3), publiées dans Le Figaro au cours des années 1960, avec les moments où son esprit gambade, même si la vie collective, vaste sujet d'étonnement, lui inspire des doutes similaires : « Il est une lutte que tout notre immeuble suit avec une attention passionnée : celle contre les prix. Certes, on ne les ménage pas, il suffit pour s'en assurer de se promener dans Paris, de lire les communiqués de victoire que l'on publie dans la plupart des boutiques. On les “pulvérise”, on les “sacrifie”, on les “écrase” ; à notre étonnement, les prix paraissent ne pas se porter plus mal. » Comme disait Vialatte, « le monde offre un spectacle confus. On l'aperçoit à travers la presse comme à travers une vitre embuée ». Les chroniqueurs, adeptes des audaces narratives et forts d'une lucidité joueuse, désembuent la vitre…

(1) Roberto Arlt, Dernières Nouvelles de Buenos Aires, traduit de l'espagnol (Argentine) par Antonia Garcia Castro, postface de Ricardo Piglia, Asphalte, Paris, 2016, 208 pages, 18 euros.

(2) Sôseki, À travers la vitre, traduit du japonais par René de Ceccatty et Riôji Nakamura, Payot & Rivages, Paris, 2001, 176 pages, 6,10 euros.

(3) Marc Bernard, Vacances surprises, Finitude, Le Bouscat, 2016, 160 pages, 15,50 euros.

Toni Erdmann

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

L'événement marquant du Festival de Cannes 2016 restera l'emballement de la critique française pour Toni Erdmann, de Maren Ade. Film allemand le plus drôle depuis les comédies (hollywoodiennes) d'Ernst Lubitsch pour Les Cahiers du cinéma, proposition « pour chacun d'entre nous de se réinventer » « contre l'ordre économique mondialisé, contre l'industrialisation de la culture, contre la fatalité généalogique » pour Le Monde, cette comédie qui s'étire sur cent soixante-deux minutes n'a pourtant pas figuré au palmarès final, qui a préféré couronner Moi, Daniel Blake, de Ken Loach. Les pitreries du personnage de Toni Erdmann — d'ailleurs démarqué du comique américain Andy Kaufman —, qui vient gentiment perturber la vie de sa carriériste de fille, la vision convenue d'une multinationale où l'on peut être poussé à se mettre littéralement à nu pour « le bien de l'entreprise » ont rendu dithyrambique la critique, fâchée ensuite qu'on ait pu préférer un film démontrant par la force d'un récit humaniste les ravages de l'ultralibéralisme. George Miller, président du jury, a donc été renvoyé à son indignité, celui d'être le père de Mad Max…

2016, 162 minutes, sorti en salles le 16 août 2016.

L'Histoire officielle

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Trois ans après la fin de la dictature argentine, Luis Puenzo construit en 1985, dans L'Histoire officielle, une fiction qui décrit l'époque de transition du gouvernement de Raúl Alfonsín, lorsque les langues vont se délier sur les années noires. Alicia est professeure d'histoire, mais « ne sait pas son histoire ». Elle cherche à la connaître et entre dans ce que Puenzo nomme une tragédie : « Quand tout ce que tu fais va à l'encontre de tes intérêts, mais que tu ne peux pas faire autrement. » En découvrant les liens de son mari, homme d'affaires, avec le pouvoir militaire, l'origine de sa fille adoptive, les tortures subies par une amie, elle peut enfin comprendre ce que lui explique un collègue : « C'est toujours plus facile de croire que c'est impossible. Parce que si c'était possible, il faudrait des complices, et beaucoup de gens qui ne veulent pas croire ce qu'ils ont vu. » Cette œuvre majeure, en montrant les mécanismes qui entretiennent l'oppression plutôt que l'oppression elle-même, rappelle qu'une dictature est avant tout une « maladie collective ».

DVD de 152 minutes + livret de 40 pages, distribution Pyramide Vidéo, 25 euros.

Te souviens-tu de Wei ?

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Fruit de la collaboration entre Gwenaëlle Abolivier (scénario) et Zaü (dessin), cet album retrace l'histoire méconnue des travailleurs chinois envoyés en France entre 1916 et 1918. Pauvres, souvent illettrés, ces jeunes partaient joyeux, avec l'idée de travailler dans de lointaines contrées pour revenir riches dans leurs provinces du nord-est de la Chine. Ils se retrouvèrent à construire des tranchées, à ramasser les morts pour les enterrer, à trimer dans les mines de charbon ou les usines d'armement. En deux ans, ils furent cent quarante mille à débarquer et à vivre dans des campements. Dix mille furent regroupés dans le nord de la France et dans le « corps des travailleurs chinois » sous autorité britannique ; les autres furent répartis sous autorité française sur le territoire national. Beaucoup moururent d'épuisement ou de misère — et sous les bombardements. Dans les années 1920-1930, la France connaîtra une autre vague d'immigration d'ouvriers et d'intellectuels. Destiné aux enfants, cet album vaut d'être lu par les adultes.

Hongfei, Paris, 2016, 50 pages, 15,50 euros.

Le syndrome de 1940. Un trou noir mémoriel ?

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Fruit d'un colloque organisé à Lyon, au Centre d'histoire de la Résistance et de la déportation, cet ouvrage collectif témoigne du « trou noir mémoriel » constitué par la défaite de mai-juin 1940. Dans leur avant-propos, les artisans de ce volume soulignent que cette mémoire « peu chargée d'histoire » est « restée largement configurée autour de topoï [stéréotypes] », dont certains « cultivés par le cinéma “populaire” français » — la série des Septième Compagnie, par exemple. On y lira avec intérêt combien cette mémoire a habité la vie politique française, aussi bien chez les communistes, les socialistes ou les trotskistes (contribution de Philippe Buton) que chez des personnalités comme M. Valéry Giscard d'Estaing (Gilles Vergnon). Combien, aussi, la présentation des archives en France et en Union soviétique a joué « un rôle-clé dans l'élaboration de mémoires collectives du conflit » (Sophie Cœuré). La richesse des contributions permet d'ouvrir, enfin, les pages d'une histoire de ce « syndrome de 1940 ».

Riveneuve Éditions, Paris, 2015, 301 pages, 24 euros.

Dérangées ou dérangeantes ?

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Au fil des siècles, fugueuses, vagabondes, mères célibataires, prostituées, délinquantes, garçons manqués… toutes se sont heurtées à des dispositifs de préservation ou de correction spécifiquement pensés pour elles : justice, religion, psychiatrie se sont disputé le contrôle ou le traitement des comportements transgressifs des unes, de la soif d'indépendance des autres.

Indociles et rebelles, ces « mauvaises filles », dérangeantes et dites dérangées pour être sorties du rang, ont également annexé l'espace public et des territoires estimés virils. Inquiétantes, déviantes, rivalisant avec les « mauvais garçons », elles ont bousculé l'ordre sexué auquel elles ont sans cesse été rappelées par les institutions qui leur étaient consacrées — internats, prisons, couvents, etc. Lié à une exposition présentée par l'Association pour l'histoire de la protection judiciaire des mineurs, cet ouvrage, préfacé par Michelle Perrot, présente vingt portraits de « mauvaises filles », entre 1840 et 2000 (1). On y voit aussi bien Augustine, l'une des patientes « hystériques » du professeur Jean-Martin Charcot, qu'Albertine Sarrazin, l'auteure de L'Astragale. Une riche iconographie et des pièces d'archives éclairent la destinée de femmes qui ont dérogé, tantôt malgré elles, tantôt à dessein, à la condition qui leur était imposée comme une fatalité.

(1) Véronique Blanchard et David Niget, Mauvaises filles. Incorrigibles et rebelles, Textuel, Paris, 2016, 192 pages, 39 euros.

Yanis Varoufakis, l'Europe malgré tout

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:28

Connu du public comme le flamboyant ministre des finances qui tint tête aux créanciers de la Grèce de janvier à juillet 2015, Yanis Varoufakis est d'abord un universitaire, auteur de nombreux ouvrages sur l'économie et la théorie des jeux. Dans un essai au titre évocateur (1), il met en perspective la crise de l'euro et ses implications.

Il évoque ainsi la fin, en 1971, du système monétaire dit « de Bretton Woods », instauré en 1944, qui reposait sur une convertibilité directe du dollar en or, la valeur des autres devises s'exprimant en dollars. Puis il rappelle les tentatives des pays européens pour lier leurs monnaies, qui aboutiront à l'introduction de la monnaie unique. Il insiste sur la nécessité de mécanismes de « recyclage politique de l'excédent », de formes de transferts financiers institutionnalisés permettant de pallier les aléas monétaires associés notamment aux déséquilibres commerciaux entre États. Or l'euro souffre de l'absence de mécanismes de ce type. Si la monnaie unique a mis un terme à la spéculation sur les variations de taux de change, les États se trouvent désormais confrontés à d'autres attaques portant sur le financement de leur dette. Ce que Varoufakis ne relie jamais aux processus structurels comme la libéralisation et la déréglementation financière.

Il montre en revanche que l'union économique et monétaire repose sur une série de dogmes sujets à interprétations et contournements. Lors de la crise de 2008, les États membres ont ainsi redoublé d'ingéniosité — et d'hypocrisie — pour venir en aide aux banques privées tout en faisant mine de respecter le cadre de la concurrence libre et non faussée. Les subterfuges de la Banque centrale européenne (BCE), destinés à contourner l'interdiction qui lui est faite de prêter directement aux États, indignent tout particulièrement l'auteur. Ainsi, des reconnaissances de dettes garanties par les États permettent à des banques parfois insolvables d'obtenir des liquidités. « À tout moment, explique l'ancien ministre, mes signatures garantissaient plus de 50 milliards d'euros de dettes des banques privées, alors que notre État ne pouvait gratter quelques centaines de millions d'euros pour financer nos hôpitaux publics, nos écoles ou les pensions des retraités. »

Il relate comment toute remise en question des orientations de l'Eurogroupe par le gouvernement de M. Alexis Tsipras se heurtait à des fins de non-recevoir. Commentant le chantage à l'embargo financier exercé par la BCE, il explique, dans un autre ouvrage adressé plus spécifiquement à la gauche française : « Il ne s'agit pas d'économie, mais bien de pouvoir politique (2).  » L'opération visait en l'occurrence à « humilier » le gouvernement grec, afin que son échec serve d'exemple. Le récit de cette expérience apparaît riche d'enseignements pour les formations progressistes du continent désireuses de conquérir le pouvoir. Elles méditeront sans doute la description d'un appareil gouvernemental grec « englouti par la “troïka” [BCE, Commission européenne, Fonds monétaire international], lui répondant directement, sans rendre compte aux ministres, ni même au Parlement ». Varoufakis se heurtait à une résistance passive au sein de l'administration, au point de ne pas même pouvoir accéder aux documents de son choix.

S'appuyant sur une vision très optimiste de la construction européenne, il estime que « les peuples européens qui s'unissaient magnifiquement ont été divisés par la monnaie unique ». Mais il s'oppose à tout projet de sortie de l'euro, « retour en arrière » dangereux pouvant conduire à la fragmentation. « Européiste », voulant croire à l'existence d'un « peuple souverain européen », il se donne pour objectif de « démocratiser l'Europe ». Objectif doublement herculéen, car il suppose que la lutte pour la démocratisation des institutions bruxelloises et celle pour la démocratie économique ne forment qu'un seul et même combat.

(1) Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu'ils doivent ? Comment l'Europe de l'austérité menace la stabilité du monde, Les Liens qui libèrent, Paris, 2016, 432 pages, 24 euros.

(2) Yanis Varoufakis, Notre printemps d'Athènes, Les Liens qui libèrent, 2015, 112 pages, 10 euros.

Les embarras de Paris. Ou l'illusion techniciste de la politique parisienne des déplacements

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

En vingt-cinq ans, la moitié des voitures qui circulaient dans Paris s'en sont retirées, tandis que le métro se remplissait au-delà de ses capacités et que les vélos se multipliaient, s'enchante Julien Demade, chercheur au Centre national de la recherche scientifique. La saturation des transports en commun ne pourra d'après lui jamais être résolue, ne serait-ce que pour des raisons de budget. En revanche, encourager la pratique du vélo exigerait peu de nouveaux aménagements, et ce pour des bénéfices en cascade : un air moins pollué, une ville propice aux cheminements piétonniers, des citoyens protégés des maux de la sédentarité… Mais les pouvoirs publics ne facilitent pas cette évolution. L'auteur démonte les mécanismes politiques, les habitudes de pensée et les semblants de solutions par lesquels les décideurs maintiendraient un statu quo. Un abord ardu, une lecture ébouriffante.

L'Harmattan, coll. « Questions contemporaines », Paris, 2015, 278 pages, 29 euros.

Cinema Hermetica

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

S'appuyant sur une érudition hétéroclite communément qualifiée de pop culture et sur une connaissance profonde du Corpus hermeticum (recueil grec de traités mystico-philosophiques), Pacôme Thiellement se livre à une exégèse parfois déstabilisante, mais enthousiasmante, de quelques films-cultes — principalement du cinéma de genre. Nostalgique de la très ancienne cité de Harran, qui fut assyrienne, grecque, chrétienne, musulmane…, il estime que le cinéma, monde de l'âme, théâtre d'ombres succédant au carnaval, s'offrait à ses débuts comme un nouveau temple. Mais sa conception est également politique : le septième art donnerait à voir l'histoire et anticiperait les temps futurs. Ainsi Freaks, de Tod Browning (1932), annoncerait-il la disparition des monstres et le désir de normalité préludant à l'eugénisme. L'analyse du film de Roman Polanski Le Locataire (1976), évocation d'un monde impossible à habiter, le conduit à affirmer que, comme en une parodie de cet univers, c'est sous l'« État policier » instauré par le trio composé de MM. Alain Bauer, Nicolas Sarkozy et Manuel Valls que les Roms auraient le plus souffert en France.

Super 8 Éditions, Paris, 2016, 297 pages, 20 euros.

Personnages secondaires

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

Née dans une famille de la petite bourgeoisie juive new-yorkaise, Joyce Johnson refusa dès l'adolescence le destin qui l'attendait pour fréquenter des artistes et des marginaux dont le quotidien était un pied de nez à l'American way of life de l'immédiat après-guerre. Alternant autobiographie et évocation du milieu qui vit naître la beat generation, elle raconte la vie des femmes et des hommes extraordinaires qu'elle a alors croisés, ainsi que la sienne, celle d'un « personnage secondaire », car elle était femme dans un monde masculin, puis fut oubliée par la mythologie beat. Elle évoque sa rencontre avec Jack Kerouac, dont elle devint la compagne peu de temps avant la publication de Sur la route. Selon elle, l'écrivain-culte n'avait pire ennemi que lui-même. Les mirages de la célébrité détruisirent le « clochard céleste », avant tout avide d'intériorité et de solitude. « C'était une époque où l'on prenait encore les livres au sérieux », écrit-elle en préambule. Joyce Johnson perpétue cette tradition désuète avec cet ouvrage au ton juste, qui éclaire de l'intérieur un épisode majeur de l'histoire de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle.

Cambourakis, Paris, 2016, 278 pages, 22 euros.

Un destin

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

Ne pas être juif et être traité comme un Juif : c'est dans ce hiatus qu'a grandi Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain et traducteur. En 1937, il a 9 ans ; il vit près de Hambourg avec ses parents et son frère. Il est protestant, comme toute sa famille, convertie dès avant 1869. Mais le régime hitlérien décrète juif tout individu ayant des parents, grands-parents ou arrière-grands-parents juifs. Et c'est ainsi que le petit protestant devient doublement étranger : à la communauté juive à laquelle il n'appartient pas et au monde chrétien auquel il croyait appartenir. Mais il devient surtout étranger à lui-même, par la perte de tout repère. À partir de cette expérience d'enfant, de ce désarroi initial, de cette impression d'être « en flagrant délit d'on ne sait quoi », Goldschmidt s'interroge sur la judéité, la culpabilité, la liberté, mais aussi sur le langage, instrument idéal du mensonge, et sur son absence, instrument de la découverte de soi. C'est un livre captivant, juste et chaleureux, et d'une grande virtuosité chaque fois qu'il s'agit de rendre compte de cette partie insaisissable de notre être que l'on appelle l'identité.

Éditions de l'Éclat, Paris, 2016, 128 pages, 12 euros.

Oiseaux et changement global. Menace ou aubaine ?

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

Reconnus comme des témoins du changement global par les directives-cadres européennes, les oiseaux sont pris comme modèles pour analyser l'érosion d'une biodiversité soumise à la pollution des écosystèmes, à la surexploitation des réserves forestières ou maritimes et à un changement climatique trop rapide pour permettre l'adaptation. Depuis 1600, plus d'une centaine de ces espèces descendant des dinosaures ont disparu, parmi lesquelles le dodo, le pingouin arctique, le pigeon migrateur américain, l'eider du Labrador, l'ara glauque… Superbement illustré par le photographe Jonathan Lhoir, le propos du biologiste Jacques Blondel, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique, est de vulgariser les conséquences avérées de l'empreinte humaine sur la distribution ainsi que sur les mécanismes démographiques, physiologiques et comportementaux de ces « sentinelles » de l'environnement — conséquences qui sont certes souvent négatives, mais pas toujours.

Quae, Versailles, 2015, 144 pages, 26 euros.

J'ai suivi mon propre chemin. Un parcours dans le siècle, suivi de « Respect et critique »

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

« Quand la foudre a frappé quelque part, on a besoin d'une théorie de l'orage. » Ce bref recueil conjugue avec clarté propos autobiographiques et éclaircissements théoriques. Dans l'entretien de 1987 qui constitue la première partie de l'ouvrage, Norbert Elias (1897-1990) revient à la fois sur la genèse de sa réflexion sociologique et sur les événements qui l'ont marqué — notamment la montée du nazisme. Faisant de l'histoire son « laboratoire » favori, il perçoit une très ancienne « réceptivité » de la société allemande à l'autoritarisme, ce qui rendait l'ascension d'Adolf Hitler moins surprenante. Il plaide ainsi pour des sciences sociales « réalistes », susceptibles de décrire la société telle qu'elle est, et non telle que les chercheurs la rêvent. Une idée qu'approfondit la seconde partie : le discours qu'il a prononcé à l'occasion de la réception du prix Adorno, en 1977. Contre les « pensées figées », Elias défend l'« esprit de la course au flambeau » : reprendre la recherche intellectuelle là où l'a laissée la génération précédente, et continuer…

Éditions sociales, Paris, 2016, 128 pages, 10 euros.

Petit traité de hasardologie

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

Si le concept de hasard est omniprésent, sa signification fait débat entre les tenants d'un déterminisme strict et ceux qui croient à une volonté divine — le hasard ne résultant alors que de notre ignorance du dessein qui nous régit. Qu'est-ce donc que ce hasard ? La rencontre inopinée de facteurs indépendants (chute du pot de fleurs sur un passant infortuné) ? la complexité de l'agitation des atomes ? l'incertitude de l'avenir ? Le physicien Hubert Krivine expose avec pédagogie — et humour — les principes du calcul des probabilités et les questions qu'il soulève, celles du chaos déterministe ou de la physique quantique, par exemple. Il met en garde contre des applications fallacieuses dans lesquelles il est aisé de se faire piéger par des raisonnements à l'allure scientifique, et invite à se méfier de la tendance à mobiliser des statistiques pour justifier de simples préjugés. Il tord le cou à la pseudo-loi des séries et montre combien notre « intuition » de ce qui est véritablement aléatoire est en fait un guide trompeur.

Cassini, Paris, 2016, 256 pages, 14 euros.

Jeunesse d'une ouvrière

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

Publié en 1909 et préfacé par le dirigeant de la IIe Internationale August Bebel, ce récit autobiographique raconte l'enfance, l'adolescence et la jeunesse d'Adelheid Dworak (1869-1939), issue d'une famille pauvre de Vienne originaire de Bohême, qui épousera le dirigeant social-démocrate Julius Popp en 1894. Elle connaît une enfance marquée par la faim et les humiliations liées à la misère et doit travailler dès 13 ans, après la mort de son père. Confrontée à une mère aimante mais confite en religion, elle n'en va pas moins devenir une oratrice, une journaliste et une organisatrice de premier plan pour les luttes des ouvrières en faveur de l'égalité politique et sociale. Elle sera aussi l'une des dirigeantes du mouvement socialiste autrichien et international et, après la première guerre mondiale, une élue au conseil municipal de Vienne, ainsi que l'une des sept premières femmes de l'Assemblée nationale constituante. Aux origines de cet itinéraire, on trouve deux facteurs : une volonté farouche d'instruction et de savoir grâce aux livres, et un refus radical de céder aux sirènes de la religion.

Les Bons Caractères, Pantin, 2016, 128 pages, 10 euros.

Daech, le cinéma et la mort

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 13:27

« J'ai voulu comprendre ce qu'il arrive au cinéma que j'ai connu enfant. » Ce qu'il lui arrive, c'est d'être utilisé par l'Organisation de l'État islamique (OEI, ou Daech). Cinéma ? « Toutes sortes d'images enregistrées, cadrées et montrées… », exhibées dans toute leur obscénité. Filmer et tuer, tuer pour filmer. Les nazis masquaient leurs crimes ; l'OEI, elle, exploite toutes les techniques du numérique pour que tout soit visible immédiatement et partout. « Tel est l'apport de Daech à la cinématographie générale. » Industrialiser non pas le processus meurtrier, mais la multiplication des images qui vont en témoigner. Les clips macabres s'enchaînent avec une efficacité de spots publicitaires renforcée par l'ubiquité propre au numérique. Avec leurs techniques éprouvées, à l'instar du gros plan, qui contraint le spectateur à ne voir le meurtre que d'une seule manière, « comme il n'y a qu'une façon de croire en Dieu pour Daech ». Sapant ainsi jusqu'aux fondements intimes du cinéma : celui qui triomphait de la mort et redonnait vie à des êtres disparus place ici le spectateur face à la victime et à son bourreau, et le condamne à n'avoir d'autre point de vue que celui de la caméra.

Verdier, Lagrasse, 2016, 128 pages, 13,50 euros.

Sensibilités

Le Monde Diplomatique - Thu, 03/11/2016 - 12:10

Cette nouvelle revue d'histoire, critique et sciences sociales consacre son numéro inaugural au charisme, ce mode de domination qui passe par un « enchantement affectif ». Une maquette inventive et joliment illustrée. (N° 1, octobre, semestriel, 22 euros. — Anamosa, Paris.)

http://anamosa.fr

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