REUTERS/Srdjan Zivulovic
Viktor Orban est-il le vainqueur idéologique de la crise des réfugiés à laquelle l’Union européenne est confrontée ? La politique brutale menée par le Premier ministre conservateur hongrois qui, pour stopper l’afflux de migrants (400.000 personnes entre janvier et octobre, essentiellement syriennes et irakiennes), a construit un mur à sa frontière avec la Serbie et la Croatie et traduit en justice ceux qui le franchissent, semble désormais faire école. Des murs, plus ou moins hermétiques, ont surgi en Slovénie, en Macédoine, en Autriche, en Bulgarie et, un peu partout, les contrôles aux frontières intérieures, y compris en Allemagne et en Suède, ont été rétablis au risque de mettre en péril l’espace Schengen de libre circulation. La générosité tentée par Angela Merkel ou Stockholm n’est plus de mise : le million de réfugiés qui a gagné les pays européens en 2015, l’afflux le plus important depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a eu raison de la bonne volonté des pays les plus accueillants.
Le ton est donné par les conclusions du Sommet européen des 17 et 18 décembre dernier : alors qu’à l’issue de leur rencontre de la mi-octobre, les vingt-huit dirigeants européens parlaient encore de «solidarité», il n’est plus question cette fois-ci que «d’endiguer l’afflux» et de «reprendre le contrôle des frontières extérieures», donnant ainsi raison à Orban qui se pose depuis le début de la crise en défenseur de l’Union. L’heure semble bel et bien à la construction d’une «Europe forteresse», celle-là même que le monde accusait les Européens de vouloir mettre en place dans les années 80, lors de la signature des accords de Schengen, ce dont ils se défendaient… Cruelle ironie.
Inconséquence européenne
Reste que jamais l’Union n’a paru aussi fragile. Angela Merkel l’avait pressenti dès août dernier lorsqu’elle pronostiquait que les réfugiés allaient davantage occuper l’Europe au cours des prochaines années que la crise grecque et lui poseraient des défis autrement plus graves. Car, une nouvelle fois, les pays européens ont été pris par surprise par une crise que tout annonçait : comment imaginer que l’Union, un espace de paix et de prospérité sans équivalent dans le monde, qui plus est à portée de bateau, allait pouvoir rester à l’écart des conflits du Moyen-Orient alors même qu’elle y prend une part active ? Qui pouvait penser que les millions de réfugiés syriens et irakiens allaient bien sagement attendre sur place ou dans les pays voisins que les conflits qui ensanglantent la région se terminent ? Surtout, comment penser que la Grèce, un pays en faillite et à l’administration totalement inefficace, parviendrait, seule, à faire face à un tel afflux ?
Un élan épuisé
Pourtant, dès la chute du rideau de fer, en 1989, suivi par la guerre dans l’ex-Yougoslavie, les pays européens ont pris conscience qu’ils risquaient d’être un jour confrontés à des migrations massives. Les Douze de l’époque ont alors mis en place une coopération à la fois dans le domaine de l’immigration (le groupe ad hoc immigration) et développé celle existant déjà dans le secteur policier (le groupe TREVI). La convention d’application des accords de Schengen de 1995 a repris une grande partie de ces avancées qui ont ensuite été intégrées aux traités européens. François Mitterrand et Helmut Kohl avaient proposé à la fin des années 80 la création d’un corps de garde-frontières européens, conscients qu’il fallait mutualiser les moyens. Cette proposition a été relancée au début des années 2000 par le commissaire à la justice et aux affaires intérieures de l’époque, le Français Jacques Barrot, qui avait en outre proposé une harmonisation du droit d’asile afin d’éviter que les réfugiés cherchent à aller dans les pays les plus généreux. Mais, l’élan était déjà épuisé : les ressortissants d’Europe de l’Est n’avaient pas déferlé dans l’Union comme le craignait Pierre Joxe lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, et les réfugiés de l’ex-Yougoslavie avaient eu le bon goût de se précipiter en Allemagne avant de repartir chez eux à la fin de la guerre. Comme toujours, tant que la crise n’est pas aigüe, les États ne voient aucune urgence de partager leur souveraineté, comme on a pu le constater une nouvelle fois avec la crise de la zone euro ou le terrorisme.
Lorsque à partir de l’été 2015, le nombre de demandeurs d’asile a explosé (50 % des arrivants sont Syriens, 20 % Afghans et 7 % Irakiens), et qu’il est devenu évident que l’Union était confrontée à un phénomène sans précédent, les pays européens ont réagi en ordre dispersé. L’Allemagne, l’Autriche et la Suède se sont montrées très ouvertes, les pays d’Europe centrale et orientale très fermés et les autres, dont la France, ont croisé les doigts pour que les réfugiés ne viennent pas chez eux. Et la Grèce a laissé passer tout le monde, allant même jusqu’à transporter les demandeurs d’asile jusqu’à la frontière macédonienne pour leur permettre de poursuivre leur route vers l’Europe de l’Ouest.
Refus de solidarité
Si chacun est désormais d’accord sur la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières extérieures et de s’appuyer sur la Turquie afin de limiter et d’ordonner l’afflux, l’accord est encore très loin d’être total, des failles profondes persistant entre les pays européens. Ainsi, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie refusent fermement toute solidarité dans la répartition des demandeurs d’asile, alors qu’ils bénéficient largement des fonds européens (à hauteur de 4% de leur PIB), de la libre circulation qu’ils ne veulent pas voir limitée au profit de la Grande-Bretagne et de l’appui de leurs partenaires dans la crise ukrainienne. Pour eux, la religion musulmane est irréductible à la civilisation occidentale et ils sont prêts à employer la manière forte pour s’opposer à des arrivées non désirées. Une attitude qui montre à quel point ils ne partagent pas les valeurs européennes de tolérance et d’ouverture au monde. De même, ces pays, avec la Grèce, refusent la proposition de la Commission de créer un corps de garde-frontières européen qui pourrait intervenir aux frontières extérieures y compris contre l’avis du pays débordé. En clair, il y a aussi une fracture est-ouest, entre les pays qui pensent qu’il faut agir ensemble pour faire face à un défi extérieur et ceux qui restent persuadés que la souveraineté étatique est le meilleur rempart. Une telle attitude pourrait se traduire par une scission de l’Union, la solidarité ne pouvant pas être à sens unique. La «victoire» d’Orban est peut-être une victoire à la Pyrrhus : pour l’instant, une majorité de pays européens refusent de renier les valeurs qui ont fondé l’Union, même si le terrorisme et les incidents graves manifestement organisés lors de la nuit de la Saint-Sylvestre dans plusieurs villes allemandes pourraient avoir raison de cet attachement..
N.B.: article paru dans Libération du 4 janvier
Voir aussi mon entretien à Euronews, ici.
Reuters, Beck Diefenbach
Mon éditorial sur le nouveau zèle fiscal de la Commission européenne est ici. Bonne lecture !
François Hollande, tout à sa défense de la patrie française menacée par de sanglants binationaux, n’a pas prononcé le mot Europe lors de ses voeux, le 31 décembre. Un oubli? Que nenni! Un signe. L’Europe est clarement menacée d’implosion à cause de la médiocrité des dirigeants nationaux. Mon analyse est ici. http://www.liberation.fr/planete/2016/01/01/crise-apres-crise-l-europe-fonce-vers-l-abime_1423901
Mais ne désespérons pas, le pire n’est pas toujours certain! Bonne année 2016 à tous!
Avec 3 771 décès, l’Organisation internationale pour les migrations rapporte dans un récapitulatif de fin d’année que 2015 a été l’année la plus meurtrière de l’histoire pour les migrants et les réfugiés ayant traversé la Méditerranée dans l’espoir d’atteindre l’Europe. En comparaison, 3 279 décès ont été enregistrés dans la Méditerranée en 2014.
A travers le monde, l’OIM estime que plus de 5 350 migrants ont trouvé la mort en 2015. L’OIM a également enregistré 1 004 356 arrivées par la mer en Europe en 2015, soit plus de cinq fois le total de l’année dernière qui s’élevait à 219 000.
Le mois le plus meurtrier en 2015 a été le mois d’avril au cours duquel près de 1 250 migrants ont trouvé la mort, principalement en raison de la pire tragédie de l’histoire touchant les migrants qui traversent la Méditerranée depuis l’Afrique du Nord, pendant laquelle 800 migrants ont péri lorsque leur bateau a chaviré au large des côtes libyennes. Seuls 28 survivants ont été secourus et amenés en Italie.
Soixante-dix sept (77%) pour cent des décès ont eu lieu sur l’itinéraire de la Méditerranée centrale empruntée essentiellement par les passeurs qui œuvrent depuis les côtes libyennes. En 2014, 97% des décès de migrants ont été enregistrés le long de cet itinéraire.
En 2015, 21% des décès ont eu lieu en Méditerranée orientale, par rapport à seulement 1% en 2014. En Méditerranée centrale, le nombre de décès a diminué de 9% par rapport à l’année dernière, à un rythme de 18,5 décès pour mille migrants.
Estimation du nombre de décès de migrants et de réfugiés en 2015 le long des itinéraires de la Méditerranée
Itinéraire migratoire Décès Méditerranée centrale 2 892 Méditerranée orientale 805 Méditerranée occidentale 74 Total 3 771 Environ 32 migrants supplémentaires ont péri en chemin vers les Iles CanariesAu niveau mondial, la majorité des 5 350 décès ont été enregistrés dans la Méditerranée, région la plus meurtrière, suivie de l’Asie du Sud-Est (principalement dans la Baie du Bengale, la mer d’Andaman, la Malaisie et la Thaïlande) où 800 décès ont été recensés cette année. A l’intérieur du Mexique et le long de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, au moins 300 décès ont été enregistrés cette année.
« Il est choquant et inexcusable de voir qu’un nombre record de migrants et de réfugiés désespérés ont perdu la vie cette année alors que cela pourrait être évité. La communauté internationale doit agir maintenant pour enrayer cette tendance contre les migrants désespérés », a déclaré le Directeur général de l’OIM, William Lacy Swing, en réaction aux chiffres de 2015.
« La migration a été le thème principal de 2015, avec un nombre record de réfugiés et de migrants arrivant en Europe, fuyant le conflit et l’extrême pauvreté. Ce qui s’est produit cette année nous rappelle que la majeure partie de la mobilité humaine n’est pas volontaire et il est tragique de constater que beaucoup ont eu la sensation de n’avoir aucun autre choix que de quitter leur cher pays et qu’ils ont péri en mer, dans les déserts ou encore qu’ils ont été piégés à l’arrière de camions qui devaient les amener vers une vie meilleure et plus sûre », a déclaré l’Ambassadeur Swing.
« L’un des défis majeurs pour les années à venir est de faire en sorte que la communauté internationale s’attèle avec diligence à faire changer la vision de la migration comme un phénomène néfaste alors qu’elle est historiquement un phénomène extrêmement positif. Nous pouvons œuvrer à cette fin grâce à des mesures qui aideront les gouvernements et les sociétés à gérer la diversité. Pour cela, il nous faut réfuter plusieurs paradoxes concernant a) la souveraineté nationale des Etats et l’aspiration individuelle des migrants, et b) la protection de la sécurité nationale d’une part et la sécurité humaine d’autre part », a ajouté l’Ambassadeur Swing.
L’OIM en Grèce a rapporté que 106 776 migrants ont traversé la frontière vers les îles grecques pendant le mois de décembre, soit en moyenne plus de 3 400 traversées par jour. L’afflux total de migrants par les frontières maritimes de la Grèce avoisinait les 850 000 arrivées pour l’année entière.
Plus de 800 migrants et réfugiés ont perdu la vie sur l’itinéraire de la Méditerranée orientale en 2015, dont une fillette de quatre ans dans les dernières heures de l’année dans la zone d’accueil de Kara Tepe sur l’île de Lesbos. Elle souffrait apparemment d’une méningite et est décédée dans un hôpital à proximité.
La nouvelle année a débuté par le décès d’un enfant de deux ans lorsque les garde-côtes helléniques ont secouru 39 migrants d’un bateau qui avait chaviré au large de l’île d’Agathonisi.
L’OIM estime qu’un peu plus de 5 000 migrants et réfugiés ont franchi la frontière grecque pendant les trois premiers jours de 2016, dont 41% de Syriens, 37% d’Afghans, 12% d’Iraquiens, 6% d’Iraniens, 2% de Palestiniens et 2% de ressortissants d’autres nationalités.
L’OIM en Turquie a relayé les statistiques du Commandement des Garde-côtes qui recensent 279 migrants ou réfugiés ayant péri dans les eaux turques en 2015, dont 71 en décembre seulement. L’OIM en Turquie a annoncé que 18 migrants ou réfugiés avaient perdu la vie dans la semaine du 14 au 20 décembre, puis 44 pendant la semaine suivante (du 21 au 27 décembre).
Les équipes de l’OIM en Ancienne république yougoslave de Macédoine rapportent que plus de 7 500 migrants ou réfugiés sont arrivés dans le pays depuis le début de l’année, dont une majorité de Syriens, d’Iraquiens et d’Afghans (voir ci-dessous).
Pays d’origine 4-Jan-16 Syrie 3 016 Afghanistan 2 493 Iraq 1 992 Total 7 501
Pour 2015, l’OIM en ARYM a établi la liste des dix principales nationalités des arrivants :
Pays d’origine Syrie 214 266 Afghanistan 94 912 Iraq 53 862 Iran 6 231 Pakistan 5 416 Palestine 2 158 Somalie 1 276 Bangladesh 1,253 Maroc 1,317 République démocratique du Congo 514Le projet de l’OIM sur les migrants disparus, qui s’appuie sur un ensemble de sources pour recenser les décès de migrants le long des itinéraires de migration à travers le monde, est géré par le Centre d’analyse des données migratoires mondiales (GMDAC) de l’OIM à Berlin, en Allemagne. Les données issues de ce projet ont d’abord été publiées dans le rapport intitulé Fatal Journeys: Tracking Lives Lost during Migration, qui a dressé le bilan le plus complet des décès de migrants en 2014 et qui recense le nombre de décès depuis 15 ans. Depuis la publication de « Fatal Journeys », l’OIM met régulièrement à jour les estimations du nombre de migrants portés disparus ou décédés pendant le processus de migration.
Pour en savoir plus :
-. les dernières informations sur les arrivés et les décès de migrants dans la Méditerranée, veuillez vous rendre sur : http://migration.iom.int/europe/
-.le Projet des migrants disparus : http://www.migfunder.com/product/missing-migrants-project
Suite aux attaques perpétrées contre des femmes lors de la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, le gouvernement allemand veut réagir rapidement et durcir sa politique d’asile. Pendant ce temps, des violences physiques et verbales contre des migrants se multiplient.
Exclusif. A l'approche du référendum sur le Brexit, la Commission Juncker a annulé l'examen à mi-parcours du budget européen, une des pommes de discorde régulières avec le Royaume-Uni.
Exclusif. Selon une nouvelle étude, le TTIP menace de changer radicalement le fonctionnement des petites et moyennes exploitations, avec plus d'ingénierie génétique et de viande traitée aux hormones.