Commandant du HMS Richmond au salut sur le Cavour, le navire amiral (italien) servant de QG flottant à l’opération EUNAVFOR Med / Sophia
(B2) le navire britannique HMS Richmond (F-239) vient de rejoindre l’opération européenne en Méditerranée (EUNAVFOR Med / Sophia pour lutter contre les trafiquants de migrants. Cette frégate de type 23 de 133 mètres de long, et avec un équipage de 181 personnes a été intégrée vendredi dernier (23 octobre). Elle rejoint le navire hydrographique HMS Enterprise « qui continue son activité » précise l’état-major britannique.
Un agent de Frontex à bord
Un officier de liaison FRONTEX sera d’ailleurs à bord du HMS Richmond pour « conseiller l’équipage sur les questions juridiques, y compris l’identification, la collecte et la préservation des éléments de preuve qui pourraient être utilisés dans les procédures pénales » italiennes, ajoute le communiqué de l’état-major britannique. Une présence qui n’est pas tout à faire anodine puisque le Royaume-Uni ne participe pas à l’activité de l’agence Frontex (1).
Un nouveau contexte juridique
Pour le Royaume-Uni, cette arrivée survient dans un nouveau contexte juridique. L’adoption de la Résolution du Conseil de sécurité des Nations-unies « donne au commandant (du HMS Richmond) le pouvoir d’effectuer des mesures d’exécution en haute mer, y compris l’arraisonnement et la saisie des bateaux soupçonnés d’être impliqués dans le trafic de migrants ». Une « étape importante » pour le ministre de la Défense, Michael Fallon. « Nous allons maintenant être en mesure de monter à bord des bateaux et d’arrêter les trafiquants. Nous allons frapper les trafiquants dur. »
Arrivée de la frégate Slovène
Le patrouilleur slovène le SNS Triglav 11 a aussi intégré, le même jour, l’opération. On est ici dans un autre gabarit. Le navire slovène est long de 49,5 mètres avec un équipage de 28 personnes et est utilisé essentiellement pour la surveillance des ports et des côtes nationales. Avec l’arrivée du navire belge, Leopold Ier, de la frégate française Courbet, et la relève entamée par les Allemands (Lire : Le Berlin à nouveau en Méditerranée), la force européenne en Méditerranée est désormais au complet (lire : Quels sont les moyens de l’opération Sophia (EUNAVFOR Med) dans sa phase 2 ?) au moins durant les prochains jours, avant que la météo ne se durcisse. Et, naturellement, réduise au minimum le nombre de passages quotidiens.
(NGV)
(1) Le Royaume-Uni bénéficie d’une dérogation (opt-out) à la politique d’asile et de migrations. Et, dans le cadre de la campagne référendaire sur le maintien dans l’Union européenne, le gouvernement britannique milite plutôt pour une limitation des pouvoirs de l’UE en matière de libre circulation des personnes comme de politique commune de migrations. Une preuve du pragmatisme britannique…
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Arrivée de réfugiés en Slovénie (crédit : MOD Slovène)
(B2) Le conflit en Syrie continue. Et les Européens semblent impuissants. Ils n’ont, il est vrai, abordé la crise que de façon… périphérique et se sont enfermés dans une série de « lignes rouges » contradictoires. Incapables d’amorcer une politique européenne réaliste, en phase avec le terrain et leurs capacités, les Européens sont aujourd’hui placés au pied du mur, face à un choix crucial, difficile, cruel mais nécessaire. Veulent-ils promouvoir une solution, pragmatique, au conflit ou cherchent-ils à afficher, par-dessus tout, leurs contradictions ?
Une absence française mais aussi européenne
Ce qui se passe en ce moment à Vienne devrait sonner comme un coup de gong. Une première réunion s’est tenue sans un pouce d’Européens, avec l’exclusion non seulement des Français (un revers sévère pour la politique de « Fabius » remarqué par quelques confrères) mais aussi sans un ongle britannique, allemand ou autre. En soi, c’est l’Europe tout court qui s’est exclue, même à titre d’observateur. Entre Moscou et Washington, les discussions continuent. Et la réunion prochaine — avec un nouvel invité… l’Iran — devrait sonner comme un nouveau coup de gong. (maj) L’Union européenne a, finalement, été invitée à cette réunion – vient de confirmer le porte-parole de la Haute représentante. Réunion qui se transforme en un forum plus important de négociation : la France et le Royaume-Uni, ainsi que l’Irak et l’Egypte, seraient également conviés aux discussions.
Une illusion de politique
Tenter de venir à bout de la crise des réfugiés, faire l’aide humanitaire, assurer un soutien répété à l’envoyé spécial de l’ONU ne suffisent pas à faire une politique de résolution de crises. C’est un pis aller. Il ne faut pas se bercer d’illusions… Le conflit syrien se poursuit. Bachar au bout de 4 ans est toujours en place. Il est incapable de l’emporter totalement mais reste là, soutenu par plusieurs Etats (Iran, Liban et aujourd’hui Russie) déterminés à lui apporter son aide. L’opposition syrienne est incapable de former un contre-gouvernement, alliant action politique, militaire, sociale et économique. Les mouvements terroristes tiennent fermement le terrain. Personne ne semble vraiment en capacité de l’emporter sur le terrain.
Une situation critique
Cette situation syrienne est critique pour les populations locales mais tout autant pour l’Europe. Elle présente des risques importants, directs et indirects, pour la stabilité et la sécurité européenne. Premièrement la crise des réfugiés et des migrants va s’accentuer, deuxièmement, l’usine à terroristes va continuer à fonctionner, entraînant Européens et d’autres nationalités de pays proches.
La crise des réfugiés va continuer
Cela paraît inéluctable, quoi qu’en disent les responsables européens. Plus de 4 millions d’habitants — Syriens mais aussi Palestiniens qui avaient trouvé refuge en Syrie — ont déjà fui la Syrie. Et ce mouvement n’est pas prêt de s’arrêter. Il y a aujourd’hui environ 8 millions de déplacés à l’intérieur du pays. Ces déplacés, si les combats continuent, vont eux aussi prendre petit à petit le chemin de l’exil. Le docteur Zaidoun al-Zoabi, directeur de l’Union des organisations de secours médicales syriennes (UOSSM) le raconte à Delphine Minoui la correspondante du Soir et du Figaro à Istanbul : « La situation est terrible, tellement terrible… Car cette fois-ci, le conflit a atteint des proportions démesurées. Il n’y a plus aucun espoir »
La politique européenne de containment condamnée
La politique européenne de « containment » des réfugiés dans les pays de la région a aujourd’hui atteint ses limites. Le Liban et la Jordanie sont en limite maximale. Et si la Turquie n’a pas encore atteint sa limite, la charge qui pèse sur elle (2 millions de réfugiés à elle seule) est déjà notable. Elle peut encore accueillir des réfugiés et migrants et surtout retenir ceux qui sont elles. Mais cet effort supplémentaire de Istanbul ne sera pas sans conséquence pour les Européens. Il pourrait être cher.
Une usine à terroristes
La Syrie continue d’attirer des citoyens européens et des pays arabes qui viennent combattre et se former. Un danger potentiel à court comme à long terme. Ces « combattants » peuvent constituer une nouvelle vague de terroristes au sein des sociétés européennes, irriguant pour plusieurs années, voire dizaines d’années, les sociétés nationales de façon sans doute plus déstabilisante au final que le terrorisme type années 70 ou années 80. Car elle joue davantage sur les peurs intérieures à chaque société, attise les animosités contre « l’autre », et pourrait générer à terme un contre-terrorisme (dans le type de ce qui a été vécu en France au cours de la guerre d’Algérie FLN vs OAS).
Un foyer d’exportation de la déstabilisation
Ces « combattants » sont encore plus dangereux pour les pays voisins de l’Europe. Le nombre de combattants venus de Tunisie, de Jordanie est plus important que le nombre d’Européens. Leur retour dans ces pays serait à coup sûr un défi particulièrement difficile à combattre. Idem pour les pays des Balkans, même si le nombre de combattants venus du Kosovo ou de Bosnie-Herzégovine, est en nombre plus limité, il constitue un autre foyer possible de tension, dans un délai qui peut être au-delà du court terme mais dans les dix années à venir. Ce danger ne doit pas être minoré. Car la lutte contre le terrorisme amène un durcissement des sociétés, des atteintes (acceptées ou non).
Revoir les dogmes « syriens »
Plusieurs dogmes fondent aujourd’hui la position européenne sur la Syrie. On pourrait d’ailleurs parler d’une « non position ».
1° Non à Bachar ! Position essentiellement portée par la France pour des raisons énigmatiques, qui tiennent plus d’une volonté messianique (changer le pouvoir en Syrie), plus proche finalement de la position Bush-Blair en Irak en 2003 et de la position Sarkozy-Cameron en Libye en 2011 que de la ligne traditionnelle française De Gaulle-Mitterand-Chirac. Position incarnée notamment par Laurent Fabius et nuancée, très récemment par François Hollande (lire sur B2 Pro : Une position européenne sur la Syrie définie à 28).
2° Non à la Russie ! Position essentiellement portée par certains pays de l’Est (et non pas tous) : pays baltes, Pologne (encore plus si le PiS, Droit et Justice, l’emporte aujourd’hui aux élections) et Roumanie, liée à la crainte (justifiée) par le durcissement en Ukraine.
3° Daech est l’ennemi numéro 1 ! Position portée par les pays les plus engagés. Au passage, on absoudrait presque aujourd’hui Al Nosra, branche d’Al Qaida, pourtant considérée il y a quelques mois encore comme comme l’ennemi numéro 1 suprême, et d’autres mouvements terroristes plus discrets qui figurent pourtant sur la liste de l’ONU.
4° Non à une solution militaire, Oui à une solution politique. Une position évidente, généreuse, qui se heurte cependant à une contradiction immédiate : plusieurs pays européens sont aujourd’hui engagés dans une série de frappes non seulement en Irak mais aussi en Syrie. Jusqu’à nouvel ordre, une frappe militaire, répétée à plusieurs reprises, n’est pas vraiment une solution politique
Cette addition de lignes rouges de « Non », qu’ont certains pays européens mais qui ne sont pas partagées par tous, bloque toute avancée. Lutter en même temps contre Bachar, contre Daech, contre la Russie et promouvoir une solution politique est plutôt contradictoire et explique aussi l’échec. D’où une certaine ambiguïté de la position de la Haute représentante de l’UE, obligée, de par sa fonction, de refléter ce (mauvais) compromis entre Européens mais tentée également de faire prévaloir une certaine voix de raison, de faire évoluer les positions. L’entretien qu’a donné Federica Mogherini à B2 est à ce sujet éclairant (lire : L’Europe est prête à jouer un rôle en Syrie (Fed. Mogherini)). Car, entre les lignes, elle amorce ce que pourrait être une nouvelle position européenne plus réaliste vis-à-vis de la Russie comme de la future Syrie.
Un nécessaire choix
Les Européens doivent aujourd’hui faire de la politique tout simplement. C’est-à-dire choisir. Dans ce domaine, il n’y a pas de bons ou mauvais choix, une balance entre valeurs et intérêts. C’est un choix entre certains intérêts, certaines valeurs, certaines positions, certaines évolutions, entre le court terme et le long terme.
Cherchent-ils à résorber le plus vite possible le conflit syrien ? Ce qui suppose d’arriver assez vite à un cessez-le-feu général, à un armistice — c’est-à-dire une « mauvaise paix » » — en Syrie.
Ou cherchent-ils à trouver une solution par la force ? Ce qui, sauf surprise de taille, suppose la prolongation du conflit. En sachant très bien que l’Europe n’a pas vraiment les moyens de tenir un conflit de haute intensité toute seule sans un net et puissant appui américain (ce n’est pas assuré aujourd’hui).
Choisit-on l’hostilité à la Russie ? En sachant très bien que Moscou a désormais plusieurs cartes en main et que l’entente avec Washington est une de celles-là.
Persiste-t-on à faire de l’expulsion de Bachar une condition ? Ce qui est louable au plan moral mais est irréaliste. Ce n’est pas la première fois qu’on pactisera avec le diable pour ramener la stabilité sur une zone de crise en misant sur une transition à terme.
Il faut choisir… Les Européens doivent le faire vite. Car la tentation pourrait être grande que Washington et Moscou s’entendent au moins techniquement mais officiellement ils ne seront pas d’accord sur tous les éléments de la solution mais d’accord pour en chercher ensemble une (comme au bon vieux temps de la guerre froide). Les Européens ont été déjà exclus des réunions de Vienne la semaine dernière. Ce qui, en soi, est une première. Cette exclusion devrait sonner comme un sérieux avertissement à leurs oreilles. Sinon ils ne seront conviés à la table des prochaines négociations que pour attester l’accord intervenu entre Américano-Russes et passer à la caisse pour rédiger un gros chèque à la reconstruction syrienne… menée sous l’égide de Bachar. Ce qui serait un comble !
(Nicolas Gros-Verheyde)
(crédit : Mod Uk – archives B2 lors de l’exercice Spearhead Force)
(B2) Aux Ateliers de la Citadelle à Lille (auquel B2 participait), début octobre, Nick Witney, ancien directeur (britannique) de l’Agence européenne de défense, et aujourd’hui chercheur à l’ECFR, a eu une analyse intéressante sur l’« inconnue britannique » : le référendum sur le maintien dans l’Union européenne. « Nous sommes dans une très dangereuse position » insiste-t-il. « C’est en quelque sorte une forme de suicide national. Si nous quittons l’Europe, l’Ecosse va nous quitter. Et ce sera une incitation à tous les nationalismes. » Pour lui c’était « une obsession de longue date de la droite qui avait plutôt le soutien de Westminster, (…) qui a rencontré aujourd’hui un certain soutien populaire, autour de la question de la migration. »
Pour cet Européen convaincu les explications sont au plus profond de la société : « On a un courant xénophobe, des personnes qui ont souffert de la crise économique, qui ont des difficultés à s’adapter à la nouvelle donne économique. Ce ressentiment s’est focalisé sur la libre circulation, avec la crainte d’avoir des hordes d’ukrainiens, de polonais qui arriveraient. » C’est loin d’être la réalité. Mais ce mécanisme fonctionne. « C’est un sentiment particulier à Londres et dans le sud du pays, qu’il y a trop de gens dans le Royaume, ce qui a des conséquences en matière de logement, de transports qui souffrent d’un étranglement. »
Pourtant le Royaume-Uni est « dans une situation privilégiée : nous ne sommes pas partie à Schengen, le Royaume-Uni n’est pas membre de l’Euro. Mais nous ne sommes pas dans un débat rationnel. Le sentiment qui prédomine est « larguons les amarres ». Quant aux résultats de la négociation, « Que veut Cameron ? » il se montre donc dubitatif. « Je ne vois pas vraiment ce qu’il peut obtenir. Il veut développer un grand marché européen. Il veut la protection européenne. La seule chose qu’il peut obtenir avec un résultat rapide est que le Royaume-Uni devienne une place attractive. »
(NGV)