Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère
(n° 2/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de James Kelly Morningstar, Patton’s Way: A Radical Theory of War (Naval Institute Press, 2017, 352 pages).
Le général Patton est une personnalité contestée. Ses succès au combat sont nombreux, en particulier à la tête de la Troisième armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il est aussi régulièrement dépeint comme un chef caractériel et incontrôlable, dont les réussites ne s’expliqueraient que par des prises de risque inconsidérées. James Kelly Morningstar, officier de l’U.S. Army en retraite et professeur d’histoire militaire à l’université du Maryland, cherche dans ce livre à réhabiliter la pensée stratégique et tactique de Patton, et à montrer sa pertinence actuelle. Il appuie son propos sur de nombreuses sources primaires, notamment issues des archives personnelles du général.
Pour Morningstar, l’approche de Patton se caractérise par quatre principes de base : la priorité mise sur le choc pour détruire le moral de l’adversaire ; l’utilisation maximale du combat interarmes, et en particulier des unités blindées et mécanisées ; l’accent mis sur le commandement par objectif laissant une large part à l’initiative ; enfin, l’usage poussé du renseignement pour découvrir les points faibles du dispositif ennemi qui seront les points d’application de l’effort. L’auteur explique que la pratique de ces principes par Patton va à l’encontre de la doctrine de l’U.S. Army de l’époque. Cette dernière était en effet focalisée sur l’attrition beaucoup plus que sur la manœuvre, sur un commandement centralisé plutôt que sur l’initiative, et sur la puissance de feu davantage que sur la vitesse. Le caractère bien trempé de Patton est l’un des facteurs qui expliquent ses mauvaises relations avec ses supérieurs (Dwight Einsenhower et Omar Bradley), mais James Morningstar montre bien que l’opposition venait avant tout d’une profonde divergence quant à la façon de mener les combats.
Le style de Patton est ensuite illustré par deux chapitres sur la percée de 1944 en Normandie. L’auteur souligne bien l’absence de vision opérative d’Omar Bradley et Bernard Montgomery. La prudence de leurs manœuvres n’a en rien permis de limiter les pertes ou de gagner du terrain. Patton est l’inspirateur de la percée qui a finalement mis fin à cette impasse sanglante, mais il est aussi le chef d’orchestre de l’exploitation de plus de 1 100 km qui a lieu dans la foulée. Les unités de Patton ne s’arrêteront qu’à 70 km de la frontière allemande – au grand dam de leur chef –, le ravitaillement en carburant faisant défaut.
Les deux derniers chapitres sont consacrés à l’héritage intellectuel de Patton dans les armées américaines. La guerre froide, avec sa focalisation sur l’arme nucléaire, n’est pas propice à une diffusion de ses idées. Mais les années 1970 font évoluer les choses avec l’introduction de la doctrine Air Land Battle, où l’on retrouve en particulier l’importance de la vitesse pour vaincre. L’auteur n’omet pas de souligner que la pensée de Patton n’est véritablement adaptée qu’au combat de haute intensité, pas à la contre-insurrection.
En somme, le livre de James Morningstar replace avec brio la pensée de Patton dans l’évolution des concepts stratégiques et tactiques américains. Il regorge de réflexions sur la guerre et la manœuvre particulièrement pertinentes, alors que les armées occidentales cherchent à réinventer leurs modes d’action pour le combat conventionnel de haute intensité. Cet ouvrage est à conseiller à tous ceux qui s’intéressent à la stratégie et à la tactique.
Rémy Hémez
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President Trump’s pronouncements always generate froth, by his words and in the reporting and recrimination that follows. But in Brussels, before his Helsinki meeting with Putin, he did, again, call NATO obsolete. Once any President raises it, the question takes on a life of its own. And if NATO’s value is in doubt, who should be our allies? That in turn raises the question: just what do we need for security? While the President’s view about NATO is unsettling, raising the question should lead policy makers to examine their assumptions, and answer based on something beyond historical inertia. The public deserves a considered discussion about NATO, alliances, and security, starting from the ground up.
Security is hard to define: so many developments in the world might pose threats. The cyber realm can by itself transmit destruction; it also carries information and disinformation that can amount to attacks. Aside from that infinity of hazard, who might take to terrorism against us, and what collapsed states might house them? Which rising powers might overtake us, and will they employ military, economic, cyber, cultural, or some as-yet unimagined effort? What about my job, and what about climate change?
Amid all the fears people seek security against, public discourse says little about what we need security for. Absent an answer to that question, anything at all could pose a security hazard, and countering everything requires infinite resources.
Possible answers, after excluding everyone’s laundry lists of motherhood and apple pie, will range widely. Americans might need only physical safety and equal market access throughout the world. Some would hope to protect man’s capacity to find nirvana.
Presumably, most definitions would give democracy and other liberal principles high priority. Hopefully, most Americans would list living by our founding creed, the “self evident” truths over which the signers of the Declaration of Independence divorced their ethnic motherland — unalienable rights equally imbued in all, and government created to secure those rights.
A nation defined by a principle depends for its existence on validation of that principle. Validation of our creed includes the traditional security that allows a free society to stay free, but also requires that measures to protect society comport with its principles.
What defense and diplomatic policies would serve this type of security need? A range of configurations might work. Anna Simons of the Naval Post Graduate School advocates a minimalist foreign policy, butting out of other nations’ sovereignty while punishing any transgression of ours. John Ikenberry would revive the current Liberal World Order, as the best expression of America’s values. Barry Posen of the Naval War College would revamp force structures to limit our commitments to certain key needs. Zalmay Khalilzad sees room to make NATO more viable for the 21st Century.
A concern that has not been addressed is that today’s communications technology makes it possible actually to attack a country’s national narrative. Narrative is not only the words expressing your values. It includes actions and arrangements that fit your claims, and your ability to keep to them. Security for America, and the shape of alliances, must reinforce America’s national narrative.
NATO membership includes many of the world’s firmly democratic nations, but a few that are moving toward authoritarian government. It also excludes a number of deeply liberal democracies, most of them friendly to the U.S. and some formally allied but outside of NATO. The premises of all those alliances are diverse, but none names the common commitment to liberal democracy. Yet this is the basis for alliances that would fit our national narrative. NATO itself may not — but, combing out the most egregious backsliders from liberal values, and asking the other liberal democracies to join, it could form the heart of a fitting alliance structure.
The grouping would likely comprise NATO members minus Turkey and Hungary, plus Japan, South Korea, Australia, New Zealand, Sweden, Denmark, Iceland, Finland and perhaps Chile. It could only be assembled in a strategically defensive orientation, protecting the needs of members’ liberal lifestyles and limiting its geopolitical power projection. The group should encourage other nations to develop toward deeper liberalism, and tighten relations with any that do. Countries that become deeply compatible, as, say, Indonesia, Ghana, or Brazil might in coming decades, should be offered membership.
Any arrangement of this sort is hypothetical and speculative. But reflections of this nature are needed now, to look through fresh eyes at basic questions we already face. Those questions will not abate, and enduring answers will require that we take them up with open minds. But those answers should, in this new and disorienting age, start from our founding principles.
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Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Jolyon Howorth, propose une analyse de l’ouvrage de Thierry de Montbrial, fondateur et président de l’Ifri, Vivre le temps des troubles (Albin Michel, 2017, 176 pages).
Thierry de Montbrial relève ici un défi « modeste et ambitieux » : celui d’une réflexion sur la perspective, dans un XXIe siècle mal parti, d’une progression empirique vers la « gouvernance mondiale ». Dans un vaste tour d’horizon, il étudie, en trois chapitres denses, foisonnants, l’intersection entre « la présence du futur », « l’empreinte du passé » et « le choc du présent ». On pense immanquablement à Antonio Gramsci : « La crise consiste justement en ce que l’ancien meurt quand le nouveau ne peut pas naître. »
Le futur est là. Voici la visite guidée et savamment critique de notre anthropocène (Paul Cruzen), où certains voient la perspective d’une énergie propre illimitée à un coût marginal (Jeremy Rifkin), d’autres une combinaison entre intelligence artificielle et percées médicales, laissant poindre l’immortalité (la « singularité » de Ray Kurzweil). Thierry de Montbrial ne se laisse pas séduire par les prophètes de l’avenir : la conscience l’emportera toujours sur l’intelligence artificielle ; les religions font de nouveau irruption sur la scène internationale et « expriment aussi bien le futur que le passé » ; le robot le plus intelligent sera incapable d’engendrer une éthique. Nous vivons donc « le temps des troubles ».
L’empreinte du passé demeure lourde. L’histoire sert trop souvent des intérêts étroitement nationaux, quand la méconnaissance de l’histoire des autres est source d’erreurs graves, à l’intérieur (réactions à la crise de l’immigration), à l’extérieur (les interventions « humanitaires » qui, le plus souvent, aggravent les crises régionales). Le XXe siècle nous a pourtant légué des révolutions scientifiques en tous domaines – relativité, mécanique quantique, logique mathématique, biologie moléculaire, informatique et intelligence artificielle… – qui suggèrent que la mondialisation relève de l’inévitable. Le « secret de la vie » serait à notre porte. Et pourtant, souligne l’auteur, au XXIe siècle la passion semble l’emporter sur la raison. « Les groupes humains, peuples et nations, ne se dissolvent pas dans l’océan de la technologie », et ils réagissent de manières très différentes à ces mutations.
Que signifie dès lors le concept de « progrès » ? Dans le domaine de la connaissance « pure », il est inéluctable. Mais quid des révolutions nucléaire et numérique ? Sait-on se doter d’institutions améliorant les relations sociales et politiques ? Le référendum améliore-t-il la démocratie ? On peut en douter. Surtout, l’erreur cardinale pour qui cherche le chemin de la gouvernance globale, est la tentation de considérer comme « universelles » les valeurs… de l’Occident. « Si avant-gardiste qu’un peuple puisse se considérer, au nom de quoi pourrait-il s’arroger le droit d’imposer ses vues sur d’autres peuples ? »
Quant au présent, il réinvente le rapport entre populations et territoires. Les conflits d’aujourd’hui traduisent le clash entre projets géopolitiques structurés par des phénomènes identitaires. Les belles avancées institutionnelles (ONU) ou conceptuelles (sécurité collective, « communauté internationale ») ont tourné en mythes, qui gomment les véritables leçons de l’entre-deux-guerres : la relation entre économie et politique, l’impuissance du droit à régler seul les différends entre États, et la pertinence, plus lourde que jamais, de l’équilibre des forces (« balance of power »).
L’auteur clôt sa réflexion sur six propositions. Les Américains ne sauraient gouverner le monde – ils défendent leurs intérêts nationaux. Les Chinois naviguent entre une ambition démesurée et le désir concomitant de stabiliser leur environnement international. L’interdépendance de fait se heurte au retour du nationalisme économique. La sortie de la guerre froide a été ratée par l’arrogance des Occidentaux. L’Union européenne, en dépit de ses multiples crises, offre un modèle positif de gouvernance internationale. Le système international est infiniment fragile – ce qui rend obligatoire la recherche de la gouvernance mondiale, un travail « de très longue haleine » et qui « ne pourra se mettre en place que par approximations successives, essais et erreurs ». Thierry de Montbrial a le mérite considérable d’en dessiner, dans ce livre important, quelques balises essentielles.
Jolyon Howorth