Découvrez l’analyse par Rémy Hémez de l’ouvrage de Stijn Mitzer et Joost Oliemans, The Armed Forces of North Korea: On the Path of the Songun (Helion Company, 2020, 240 pages).
Stijn Mitzer et Joost Oliemans, analystes indépendants néerlandais, ont fondé le blog Oryx, spécialisé dans le renseignement de sources ouvertes. C’est grâce à ce type de recueil et d’analyse de l’information qu’ils peuvent présenter, de façon détaillée, les forces armées de la République populaire démocratique de Corée (RPDC).
Cet ouvrage de grand format richement illustré est organisé en cinq grandes parties, chacune dédiée à une composante des forces armées. Les auteurs débutent avec la force terrestre. Elle aligne beaucoup d’antiquités mais développe tout de même ses propres technologies, comme pour les missiles antichars. Sa stratégie des moyens est guidée par les conditions du combat dans la péninsule. Par exemple, l’absence de supériorité aérienne la pousse à disposer de pléthore de systèmes portatifs de défense aérienne (MANPADS).
Viennent ensuite les forces spéciales (FS). Sur les 200 000 hommes affichés par Pyongyang, 60 000 relèveraient de véritables FS, les autres se rapprochant plutôt de l’infanterie légère. Ces hommes bénéficient des meilleurs équipements individuels. Une mission particulière leur est dévolue : des assassinats ciblés sur les arrières, chaque compagnie de FS aurait à sa charge une ville importante au Sud.
La Force aérienne et anti-aérienne a une flotte âgée de 50 ans en moyenne. Elle dispose encore de nombreux chasseurs MiG-15, certes modernisés. Ses MiG-29, dont seulement 13 seraient opérationnels, sont les seuls à pouvoir prétendre contrer les chasseurs américains et sud-coréens. L’industrie de défense de la RPDC n’est pas parvenue à concevoir localement des aéronefs, mais elle très performante pour leur maintien en condition. Par ailleurs, la RPDC a l’un des systèmes de défense aérienne les plus développés du monde. En retard technologiquement, il fait l’objet de tentatives de modernisation, comme avec l’arrivée des missiles Pongae-5.
La Marine n’opère pas que sur des navires obsolètes. À partir des années 2010, le programme de corvettes de la classe Tuman/Ammok, qui présente des éléments de furtivité, a vu le jour. Pour autant, la doctrine navale de la RPDC repose avant tout sur l’utilisation massive de bateaux d’attaque rapides. Surtout, le pays entretient la troisième flotte de sous-marins au monde. Certes, la plupart sont anciens mais, ici également, des projets ambitieux existent. C’est le cas pour la classe Sinpo/Gorae, qui serait capable, à terme, de lancer des missiles sol-mer balistiques stratégiques.
En ce qui concerne la force des missiles stratégiques, la série des Hwasong, dont est issu le premier missile balistique intercontinental nord-coréen transportable, le Hwasong–14, est notamment présentée avec le plus de précision possible. Les auteurs ne s’arrêtent pas aux missiles et des informations fouillées sont aussi fournies sur leurs tracteurs-érecteurs-lanceurs, comme les WS 51200 achetés en Chine et modifiés par Pyongyang.
Tout en donnant systématiquement de la profondeur historique à leurs analyses, les auteurs insistent sur les efforts constants de modernisation et le dynamisme de la défense de la RPDC, et ce en dépit de l’isolement et des sanctions. Le lecteur aura peut-être un seul regret : l’absence de tableaux récapitulant les organisations et les équipements ; mais nous sommes bien là en présence d’un ouvrage de référence, utile à tous ceux qui s’intéressent aux affaires militaires de l’Asie de l’Est.
Rémy Hémez
Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Jonathan M. House, A Military History of the Cold War (University of Oklahoma Press, 2020, 472 pages).
Jonathan M. House, colonel en retraite, professeur émérite d’histoire militaire au Command and General Staff College de l’US Army, a notamment co-écrit avec David Glantz plusieurs ouvrages remarqués sur l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec ce deuxième tome de son histoire militaire de la guerre froide (le premier a été publié en 2012), il couvre la période 1962-1991, dominée par les insurrections, la guérilla, mais aussi la montée du terrorisme. Le livre n’oublie bien entendu pas le fait nucléaire et les quelques conflits conventionnels du Moyen-Orient, tout comme les deux guerres où les superpuissances ont été engagées : Vietnam et Afghanistan.
Dans le premier chapitre, l’auteur évalue l’équilibre des forces, conventionnelles ou non, entre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et le Pacte de Varsovie à la « mi-temps » de la guerre froide. Vient ensuite une partie dédiée aux conflits, essentiellement post-coloniaux, en Afrique (Biafra, Congo, Rhodésie, etc.), en Amérique latine (Bolivie, Nicaragua, Salvador, etc.) et en Asie du Sud (Indonésie, Bornéo, Inde et Pakistan, etc.). L’auteur y met notamment en évidence les principaux acteurs de ces turbulentes années 1960, comme les Cubains par exemple. Deux épais chapitres sont consacrés à la guerre du Vietnam, du début de l’insurrection vietnamienne jusqu’à l’entrée au Sud de l’armée nord-vietnamienne en 1975, en passant par les batailles menant à l’offensive du Têt de 1968. L’intervention soviétique en Afghanistan fait également l’objet d’un développement consistant. Les mauvaises décisions stratégiques et opérationnelles du politburo et de l’Armée rouge y sont exposées clairement.
En revanche, les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973 sont analysées de façon sans doute trop synthétique : l’auteur ne leur consacre que 20 pages. Toujours est-il que, dans un autre chapitre, Jonathan M. House détaille de façon très intéressante l’influence de la guerre du Kippour sur les évolutions doctrinales et capacitaires américaines après le Vietnam. Quelques pages sont ensuite dédiées à la défense civile, aux États-Unis, en Union soviétique et au Royaume-Uni, ainsi qu’aux mouvements de protestation internes aux deux blocs.
La décennie 1980 est initialement abordée via le désastre d’Eagle Claw, l’opération destinée à libérer les 53 otages détenus dans l’ambassade américaine de Téhéran. Puis l’auteur s’attache à décrire le « renouveau » militaire américain, avec l’arrivée à maturité de certaines technologies comme les munitions de précision guidées, ou le développement de la doctrine de la bataille aéroterrestre (AirLand Battle). Ces années 1980 sont ensuite analysées au prisme des conflits des Malouines, de la Grenade, du Liban, de la Libye ou encore de la guerre Iran-Irak. Les tensions dans le golfe Persique ne sont pas oubliées. Le livre se termine sur la tentative ratée de Mikhaïl Gorbatchev d’enrayer le déclin économique et militaire de l’Union soviétique et sur la dissolution du Pacte de Varsovie.
Jonathan M. House offre ici une synthèse admirable des principaux conflits et tendances militaires de cette guerre froide conclue voici trente ans, mais dont l’influence perdure jusqu’à aujourd’hui. Ce livre constitue une excellente introduction au spectre extrêmement large des confrontations militaires qui se sont produites de 1962 à 1991.
Rémy Hémez