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Updated: 1 week 6 days ago

[Actualité] Sagittaire, Eva Sierra… ! Plusieurs rotations assurées par les Européens. Environ 1500 personnes évacuées (v8)

Tue, 25/04/2023 - 18:30

(B2) L’opération d’évacuation du Soudan, des diplomates et citoyens, a permis l’évacuation de près de 1500 ressortissants, de toutes nationalités, européens tout d’abord, mais aussi africains, asiatiques, américains et alliés. La coordination et la solidarité ont joué à plein. La France a ouvert le bal suivi des Allemands. Du côté britannique, cela a tardé davantage…

Evacuation à bord d’un A400M (Photo : Bundeswehr)

Cet article a été créé et restructuré (pour faciliter la lecture) à partir de l’article publié dimanche (23 avril) et mis à jour à plusieurs reprises au fur et à mesure de l’actualité.

Trois éléments décisifs

Cette opération (Sagittaire pour les Français, Eva Sierra pour les Espagnols) a été facilitée par trois éléments concrets. Premièrement, la base arrière de Djibouti — la BA 188 française, comme les points d’appui espagnol ou japonais — , où se sont prépositionnés avions et forces, a facilité le travail. Si certains n’ont pas utilisé Djibouti, c’est pour des raisons pratiques : ils avaient des éléments en Jordanie mais par manque de place sur le tarmac djiboutien. Le second élément clé et décisif est le rôle joué par les forces françaises (lire : [Actualité] Évacuation des diplomates et citoyens au Soudan, une opération Terre Air Mer se prépare). Le facteur « entrée en premier » — négocié en amont auprès des belligérants, réalisé sur le terrain par les militaires (forces spéciales comme logisticiens), a été un atout majeur et la condition existentielle de cette opération. Le troisième et dernier élément est la coordination permanente qui a eu lieu tant au niveau stratégique (entre capitales) qu’au niveau opératif (notamment la cellule de coordination placée à Djibouti) et au niveau tactique (sur place à l’aéroport de Wadi Sayyidna). A la fois pour coordonner les arrivées et décollages d’avions que répartir les différents ressortissants (UE et hors UE) à aller récupérer et convoyer. L’objectif : utiliser au maximum la piste unique de l’aéroport sans incident, jour comme nuit (lire aussi : [Actualité] Sagittaire ! Comment s’est préparée, planifiée l’opération française d’évacuation au Soudan ?).

Selon un bilan dressé par le Haut représentant de l’UE lundi (24 avril), la noria européenne — 11 vols dimanche et 20 autres prévus lundi, soit 31 rotations au total —, a permis de mettre en sécurité « au moins 1200 personnes de toutes nationalités », avec « 400 personnes restant à évacuer », soit plus de 1500 personnes au total dans des conditions complexes et difficiles.

Cinq rotations françaises

De façon concrète, un premier avion français a quitté Khartoum dimanche (23 avril) après-midi et a atterri à Djibouti vers 18h (heure Paris). À son bord, 88 évacués. Un autre avion « sur zone » a décollé en fin d’après-midi. Avec une centaine d’autres ressortissants. Deux autres avions ont réussi à décoller, dans la nuit de dimanche à lundi, portant le total d’évacués à 491 personnes, dont 196 Français, selon un point de situation parvenu à B2 lundi à 15h. Un cinquième et dernier avion français parti dans la journée de lundi, a permis d’évacuer les derniers restants sur la liste tricolore, portant le total à 538 personnes dont 209 Français, selon le Quai d’Orsay. Plus de 300 ressortissants ont donc été évacués (représentant 39 autres nationalités).

Les avions A400M en stand by sur le tarmac de l’aéroport soudanais (Photo : MOD Espana)

La « protection consulaire » européenne a joué à plein

Tous les ressortissants européens qui le souhaitaient ont pu être évacués. Ainsi près de 300 ressortissants d’autres nationalités ont été évacués par les Français, dont des ressortissants de douze États membres de l’UE (Allemands, Autrichiens, Belges, 13 Danois, Finlandais, Grecs, Hongrois, 36 Irlandais, Italiens, Portugais, 9 Roumains (2), 21 Suédois). Les Polonais ont pu bénéficier de l’assistance française dans la capitale soudanaise jusqu’à l’aéroport avant d’être évacués par des avions espagnols et allemands.

Trois blessés pris en charge

Parmi les rapatriés, trois blessés, dont deux blessés grecs, comme l’a confirmé le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, et un blessé belge de la délégation de l’UE, le chef d’ECHO, l’office européen d’aide humanitaire.

D’autres nationalités évacuées

Parmi les autres nationalités (24 en tout) prises en charge par les Français : des Américains (USA), des Britanniques, des autres pays européens (Islande, Moldavie, Suisse), africains (Afrique du Sud, Burundi, Éthiopie, Lesotho, Maroc, Namibie, Niger, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Soudan, Togo, Tchad) ou d’Asie (Australie, Inde, Japon, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande, Philippines).

Les autres rotations de vols européens

Plusieurs pays européens (Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Suède) ont suivi la voie ouverte par les Français. L’Allemagne prenant même le relais dans le contrôle de l’aéroport après le départ des Français.

L’Allemagne assure des rotations en continu

Deux avions allemands, en provenance de Jordanie, ont d’abord pu rapatrier plus de 200 ressortissants dès le dimanche après-midi (23 avril) — 101 dans le premier vol, 113 dans le second — vers Al Azrak. « Notre objectif est de faire sortir le plus de ressortissants allemands possible de Khartoum. Dans le cadre de nos possibilités, nous emmènerons également des Européens et d’autres ressortissants avec nous » déclare la défense allemande.

Un troisième avion arrivé dimanche à Khartoum (1) est reparti dans la nuit vers la Jordanie avec 97 personnes à bord portant le total des évacués par la Luftwaffe à 311 personnes, selon le commandement allemand des opérations.

Deux autres rotations ont lieu lundi (24 avril). Une rotation a lieu mardi (25 avril) avec 30 personnes à bord indique le commandement allemand. Un vol, atterri dans la nuit de mardi à mercredi (26 avril) en Jordanie, a permis de mettre à l’abri 78 personnes. Et un dernier vol a rapatrié 65 personnes.

En tout, les avions allemands ont évacué « 780 personnes dont 240 nationaux », et 40 nationalités différentes, selon le bilan final donné par la Bundeswehr. L’Allemagne a annoncé mercredi (26 avril) soir, clore son opération et avoir rapatrié tout son personnel de la base opérationnelle avancée (FOB) de Khartoum.

Des rotations néerlandaises

Lors du premier vol de deux C-130, les Néerlandais ont amené hommes et matériels, notamment des forces spéciales (fusiliers-marins) une équipe médicale de la Défense, des équipes d’appui consulaire rapide (SCOT) des Affaires étrangères ainsi une équipe de la brigade des missions spéciales de sécurité de la Maréchaussée (gendarmerie).

Six rotations de C-130 vers Aqaba, la base avancée néerlandaise, ont ensuite eu lieu : trois lundi (24 avril) (le premier avec 32 personnes dont 15 Néerlandais, (3à), deux mardi (25 avril). En tout, 70 Néerlandais rapatriés (et 80 autres par des vols d’autres pays) ainsi que 100 personnes de 18 autres nationalités précise Wopke Hoekstra, le ministre des Affaires étrangères, depuis La Haye.

Deux avions italiens

Deux C-130 italien (avec à son bord forces spéciales et carabinieri) ont suivi le même chemin vers Djibouti. « Tous les Italiens qui le souhaitaient sont désormais en lieu sûr » a annoncé dimanche soir le ministre de la Défense Guido Crosetto.

Un avion espagnol

Un avion espagnol A400M a assuré la rotation sur Djibouti annonce le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Albares, tard dans la soirée de dimanche (23 avril). A bord, 34 ressortissants espagnols et 38 autres ressortissants de 11 nationalités différentes (NB : européens et latino-américains), selon le ministère.

Convoi terrestre de l’ONU

Un convoi de l’ONU est parti de Khartoum avec près de 1700 personnes est arrivé à Port Soudan au terme d’une bonne journée et demie de voyage. La frégate française Lorraine (D-657), basée à Djibouti, a fait mouvement pour prêter assistance. Elle peut évacuer jusqu’à 500 personnes vers Djeddah, si l’ONU le demande, précise-t-on côté français. Temps de la traversée : environ 8 heures selon mes informations.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : le gros retard à l’allumage des Britanniques

  1. Pour l’Allemagne, lire aussi sur Augengeradeaus « Bundeswehr beginnt Evakuierungsmission im Sudan (Neufassung) ». A la différence des Français, il n’y a pas eu de convoi collectif. Comme le précise T. Wiegold, les citoyens allemands ont été invités à se rendre sur cet aérodrome par leurs propres moyens « de manière indépendante et à vos propres risques ».
  2. Comme l’a confirmé le ministre Bogdan Aurescu.
  3. Un C-130 a une capacité d’emport plus de la moitié moindre de celle d’un A400M (qui peut emporter une bonne centaine de personnes)

Mises à jour – Dimanche 23 avril, 18h, bilan allemand, 20h détails sur les moyens engagés coté français + photos ; 22h bilan espagnol ; 23h50 bilan italien et grec ; lundi 24 avril, 9h, troisième avion allemand, (12-14h) autres nationalités européennes et africaines, 18h bilan Haut représentant ; mardi 25 avril, mise à jour des différents chiffres ; mercredi 26 avril, 12h, rotations allemandes.

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[Actualité] Sagittaire ! Comment s’est préparée, planifiée l’opération française d’évacuation au Soudan ? (v3)

Sun, 23/04/2023 - 17:52

(B2) Ces derniers jours, les diplomates de la cellule de crise du Quai d’Orsay, comme les planificateurs militaires français ont peu dormi. Avec deux options principales dans la manche. Les Français ont joué le rôle d’entrée en premier pour leurs collègues européens. Avec brio et audace, si on en croit les premiers retours. Récit

Rassemblement avant départ (Photo : Etat-major des armées FR)

NB : pour faciliter la lecture, le détail des rotations et le bilan de l’opération ont été placés dans un article séparé, lire : Sagittaire, Eva Sierra… ! Plusieurs rotations assurées par les Européens. Plus de 1500 personnes évacuées.

La préparation de l’opération Sagittaire

Une intense planification a commencé bien en amont au niveau diplomatique comme militaire. Les forces prépositionnées à Djibouti ont été placées en alerte, de même que certaines unités terrestres qui sont venues renforcer les forces déployées à Djibouti, avec plusieurs avions (3 A400M et un C130) et une frégate. L’opération reçoit un nom de code : « Sagittaire », le signe du feu.

L’option aérienne préférée à l’option terrestre

Tâche particulièrement ardue pour les planificateurs. Aucune n’avait été choisie au préalable. Deux options ont ainsi été travaillées « simultanément » par les planificateurs du ministère de la Défense : une option par la route (puis la mer), et une option par l’air. C’est finalement cette dernière option qui a été choisie. Mais au dernier moment. Les circonstances ont dicté ce choix. Pour des raisons, à la fois tactiques et pratiques. Passer par la route nécessite une « grosse volumétrie de véhicules », précise-t-on du côté du ministère des armées. Il faut « assurer des points de ravitaillement en carburant, en eau » etc. Et les « premiers retours d’expérience des premières évacuations » (1) ont achevé de convaincre Paris que la voie aérienne était finalement la moins mauvaise des solutions. Celle-ci s’étant avérée finalement difficile mais praticable (cf. ci-dessous). Des moyens ont cependant été prépositionnés « afin de garder toutes les voies possibles » précise-t-on à l’état-major des armées. Au cas où, une troisième option a été préservée via Port Soudan : la voie maritime.

Une opération très complexe

Personne ne se le cache : cette opération est « d’une extrême complexité » jurent les diplomates comme les militaires. Car « durant la trêve, les combats continuent ». Et car, contrairement à leurs camarades américains et britanniques, les Français sont fait le choix non seulement d’évacuer le personnel diplomatique, mais aussi tous les citoyens français « qui le veulent », et même certains citoyens de pays « amis », « partenaires » ou alliés. Un choix adopté par tous les pays européens qui participent à l’opération et se coordonnent étroitement entre eux.

De nombreux Européens dans les avions français

Les Français devraient ainsi prendre en charge des ressortissants de plusieurs pays européens (Allemagne, Belgique, Suisse, Royaume-Uni…), a précisé le Quai d’Orsay, mais aussi « du Niger, Maroc, Égypte, Éthiopie, etc. », ainsi que les membres de la délégation de l’UE. « De nombreux » partenaires étrangers « nous ont demandé assistance et nous essayons de les aider dans cette phase difficile » indique un diplomate.

Un important travail diplomatique en amont

Des contacts tout azimut ont été pris au niveau stratégique (= politique). Assurés à Paris par le président de la République (E. Macron) avec ses homologues d’Éthiopie et de Djibouti, comme avec les belligérants. Et la ministre des Affaires étrangères (C. Colonna) avec les ministres des pays arabes (Émirats arabes unis, Égypte, Arabie saoudite) — qui ont des contacts avec les Soudanais — et ses homologues européens et alliés de l’Allemande A. Baerbock à l’Américain A. Blinken en passant par les Suédois, Belges. En fait, elle a eu des contacts « avec quasiment tous ses homologues » confie un diplomate.

Couloirs aériens et trêve

Il a fallu en effet rouvrir les couloirs aériens. Les pays (NB : l’Éthiopie) qui avait fermé l’espace aérien vers le Soudan ont accepté de le rouvrir. Il a fallu aussi négocier avec les belligérants, des deux côtés, le général al-Burhan (des forces armées soudanaises) comme le général Hemedti (des forces d’intervention rapides soudanaises). Une négociation qui n’a concerné que « l’évacuation et la mise en place des conditions de sécurité » adéquates, s’empresse-t-on de préciser au Quai d’Orsay, pour éviter que cela soit vu comme une concession faite à l’un ou l’autre des belligérants. Sur ce point là, les forces militaires présentes sur place ont adopté une position de « stricte neutralité ».

Phase de localisation et de regroupement

Pendant ce temps, à Khartoum, l’ambassade de France a commencé à localiser ses ressortissants (qui voulaient être évacués) puis à les regrouper, tout en permettant l’approvisionnement en fuel « qui commence sérieusement à manquer sur place », en eau et en alimentation. La chute des réseaux (internet, téléphone…) ne facilite pas aussi ce travail de localisation des différents ressortissants. Le manque de carburant, d’eau, d’alimentation, avec des combats importants complique aussi la tâche des diplomates de la cellule de crises et les militaires chargés de la planification des évacuations (lire : [Actualité] Évacuation des diplomates et citoyens au Soudan, une opération Terre Air Mer se prépare).

La mise en place de l’opération : l’entrée en premier

Durant l’opération, les Français ont joué le rôle qu’avaient assuré les Américains à Kaboul : c’est-à-dire l’entrée en premier, le contrôle et l’ouverture de l’aéroport, comme son bon fonctionnement.

Un hub d’évacuation européen à partir de Wadi Sayyidna

Dans la nuit de samedi à dimanche, une ouverture se fait jour. Un premier avion (C-130) décolle- de la base aérienne de Djibouti (la BA 188 pour les intimes). Direction : l’ouest et l’aéroport militaire de Wadi Sayyidna. Un aéroport créé dans les années 1940 par les Américains puis Britanniques et utilisé par l’armée de l’air soudanaise. Resté en bon état, contrairement à celui de Khartoum en partie détruit, il est sous le contrôle des forces régulières. il sera celui sur lequel les Français comme les autres forces (Royaume-Uni, Allemagne) vont prendre appui pour mener leur opération. Environ 150 militaires, des forces spéciales essentiellement, sont mobilisés côté français, pour cette première phase de l’opération.

Reconnaissance & protection

Un premier détachement « d’environ 100 personnes » est projeté sur l’aéroport. Il est composé d’éléments de protection et de reconnaissance, dotés de drones, de moyens logistiques et médicaux. Le premier avion qui se pose a une tâche primaire et essentielle : « assurer les premiers contacts avec les Soudanais présents » (NB : les forces régulières soudanaises), vérifier que toutes les conditions de sécurité sont remplies pour pouvoir utiliser l’aéroport, à commencer par le niveau aéronautique (le contrôle et les voies de l’aéroport).

Une mini-base avancée

Trois autres avions (A400M et C-130) suivent avec véhicules, vivres, matériel médical, etc. À bord : une denrée stratégique : l’eau , il fait 43° au sol ! et sans hydratation pas d’opération. Concrètement, cela permet de mettre en place une mini-base vie provisoire comme de faire les premières reconnaissances en ville. Il faut en effet « aller reconnaitre et sécuriser les itinéraires qui seront empruntés pour aller chercher les ressortissants sur tous les points de regroupement (désignés par les diplomates) et les ramener sur l’aéroport » précise-t-on à l’état-major des armées. Stratégiquement, cela permet de valider la voie aérienne sur la voie terrestre. L’opération d’évacuation peut commencer.

Un échelon de commandement et coordination

Ce détachement comprend également « un échelon de commandement pour conduire l’opération et la coordination » avec les forces sur place (soudanaises) comme avec les autres Européens. « Cet échelon restera ensuite sur place tout le temps de l’opération ». Une étroite coordination se fait en effet entre Européens et Alliés non seulement à Djibouti mais aussi in situ (au niveau tactique). Les Allemands, Italiens et Suédois ont mobilisé un nombre équivalent de militaires aux Français pour aller récupérer leurs ressortissants.

Coordonner les slots de décollage

Il faut coordonner étroitement les départs, les arrivées, l’embarquement des différents ressortissants, le contrôle à l’entrée de l’aéroport, etc. La simple gestion des slots d’atterrissage et de décollage sur la seule piste disponible est particulièrement complexe. Un avion ne peut partir que sans ses ressortissants. Or rassembler ceux-ci dans un terrain en guerre n’est pas aisé.

Récupérer les ressortissants en ville

Une des phases les plus difficiles commence. Il faut en effet aller récupérer les différents ressortissants et acheminer tout le monde à Wadi Sayyidna, situé à plus d’une vingtaine de km au nord de Khartoum. Pas évident. Un point central de rendez-vous a été donné à tous les évacués potentiels : devant l’ambassade de France. Ensuite, cela nécessite de « franchir les lignes de front » et plusieurs zones urbaines (Bahri, Omdurman).

Un trajet périlleux

C’est sur ce chemin qu’un convoi français, parti de l’ambassade de France à Khartoum, a été pris pour cible dimanche matin. Un militaire français des forces spéciales a été blessé (2). Pris en charge par ses camarades et un médecin, il pu être rapatrié dans un hôpital militaire dans l’hexagone. Ses jours ne sont pas en danger précise-t-on du côté de l’état-major des armées.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Le convoi où se trouvait l’ambassadeur du Qatar aurait été attaqué sur la route, avec des affaires volées. La Turquie a aussi dû interrompre momentanément cette voie après que des explosions aient eu lieu près du point choisie de rassemblement choisi (à Khartoum).
  2. Point non confirmé tout d’abord ni par Quai d’Orsay ni par le ministère des Armées. Par prudence, l’opération d’évacuation étant en cours, il ne s’agit pas d’incriminer l’un ou l’autre. Les paramilitaires des RSF accusent en effet les forces régulières d’avoir tiré. Ceux-ci désignent leur adversaires.

Galerie photos

Préparatifs (Photo : Etat major des Armées) Dernier brief de coordination (Photo : Etat major des Armées) Evacuation du Soudan (Photo : Etat-major des armées FR) Départ à Khartoum (Photo : Etat major des Armées) On embarque (Photo : Etat major des Armées) A bord (Photo : Etat major des Armées) En vol (Photo : Etat major des Armées) La base aérienne vue du ciel (Google / Archives B2)

Mises à jour – 23 avril 20h détails sur les moyens engagés coté français + photos, – 24 avril 18h bilan global – 25 avril 18h : papier restructuré et complété avec un 2nd papier séparé sur le bilan, vol par vol.

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[Actualité] Évacuation des diplomates et citoyens au Soudan, une opération Terre Air Mer se prépare (v4)

Sat, 22/04/2023 - 13:05

(B2) Les pays européens se concertent étroitement avec leurs alliés pour mener une opération d’évacuation des citoyens européens et étrangers bloqués à Khartoum. Avions et forces spéciales se prépositionnent. Un hub a été constitué à Djibouti. Un autre en Jordanie. L’opération d’évacuation se précise

Un avion A400M français au décollage à Djibouti lors d’un exercice de préparation opérationnelle en mai 2022
(archives B2 – Photo : DICOD)

Une opération pas facile à mener

Chacun se prépare à évacuer à la fois les diplomates en poste au Soudan comme les citoyens. Une opération pas évidente. Il y a environ 1500 Européens au Soudan, dont 300 Grecs (la plus grosse communauté), 250 Français, 140 Italiens, 140 Néerlandais, une centaine de Suédois, 60 Espagnols environ. Sept pays de l’UE ont une ambassade à Khartoum (France, Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suède) ainsi que l’Union européenne. Mais la plus grosse communauté reste américaine, avec près de 19.000 personnes dans le pays. On compte aussi plusieurs centaines de Britanniques, 60 Japonais, Coréens, etc.

Situation difficile sur place

Selon un rapport diplomatique européen, « les fournitures de première nécessité, notamment nourriture et l’eau, s’épuisent, tout comme le carburant des générateurs qui alimentent en électricité les maisons, les relais tél. et d’autres infrastructures essentielles ». La situation est très mouvante et « évolue rapidement ». Des accords de cessez-le-feu « ont bien été conclus [mais ils] n’ont pas été respectés ». L’aéroport international de Khartoum, est pour l’instant « fermé et serait en mauvais état ».

Aérien, terrestre ou maritime

Quant à la voie terrestre, elle reste longue, du moins depuis la capitale soudanaise : plus de 1000 km à partir de la conurbation de Khartoum-Omdurman, pour atteindre Wadi Haifa et l’Égypte ou Port Soudan. Elle est aussi hasardeuse, surtout en zone urbaine, avec le risque d’être pris dans des tirs. Elle est soumise aux aléas de la route (manque d’approvisionnement en carburant, eau ou nourriture selon un diplomate US). De fait, elle nécessite une escorte soudanaise, du fait des nombreux barrages. Elle est plus praticable pour les villes du Nord (Dongola, etc.) ou à l’Ouest, proches du Tchad (El Geneina, Al Fasher) ou de la Centrafrique (Nyala). Seule la voie maritime reste ouverte à partir de Port Soudan, sur la Mer rouge.

La condition : avoir une garantie de posé des avions

L’opération d’évacuation par air sera déclenchée quand les « conditions de sécurité seront réunies », indiquait un diplomate européen à B2. Si hier (vendredi) matin. L’aéroport est en partie inutilisable. Les paramilitaires de la force d’intervention rapide soudanaise (Rapid Support Forces ou RSF) du général Mohamed Dagalo * ont ouvert la porte vendredi dans la journée. « Conformément à la trêve humanitaire, [nous] sommes prêts à ouvrir partiellement tous les aéroports du Soudan au trafic aérien pour permettre aux pays frères et amis qui souhaitent évacuer leurs ressortissants de quitter le pays en toute sécurité », ont-ils promis via twitter. En attendant, chaque pays a donné ordre à ses ressortissants de se rassembler dans des lieux sécurisés (l’ambassade par exemple) pour faciliter les évacuations.

Djibouti point de rassemblement

En attendant, plusieurs avions de transport et des forces spéciales se rassemblent dans les pays voisins. Au moins deux avions de transport A400M et un avion C130 français ont ainsi été prépositionnés sur la base aérienne 188 de Djibouti, prêts à faire un pont aérien le cas échéant avec le Soudan (la distance à vol d’oiseau est de 1200 km soit 2-3 heures de vol en moyenne). À leur bord, des forces spéciales, sans doute provenant des commandos marine de Lorient (Forfusco). Selon nos informations, les Français pourraient s’occuper, outre de leurs propres citoyens, de la délégation de l’UE, des Belges et d’autres nationalités.

L’état-major espagnol a aussi dépêché plusieurs avions à Djibouti : un A330 MRTT et trois avions A400M selon les sources espagnoles. Deux autres sont en route. Avec à bord des forces spéciales, de la brigade parachutiste Almogávares (BRIPAR) selon El Confidential. Athènes a déclenché le plan Cosmos, selon la Tv grecque, prévoyant le recours à des avions, navires et les forces spéciales de la section spéciale parachutiste (ETA). Un avion des forces suédoises a aussi rejoint Djibouti. Les Italiens sont aussi sur place avec au moins un avion et des éléments de la 46ème brigade aérienne de l’armée de l’air, comme l’a confirmé le ministre A. Tajani. L’Irlande a envoyé des membres de son équipe civile d’intervention d’urgence (ECAT) qui a intégré douze militaires, chargé d’accueillir ses ressortissants.

Jordanie point arrière

Les Allemands aussi préparent des effectifs. Au moins quatre avions A400M ont rejoint la base Muwaffaq Salti à AlAzrak, en Jordanie, bien connue des Allemands pour être utilisée dans le soutien de la coalition anti-Daech, comme me l’a indiqué Thomas Wiegold de Augengeradeaus. A leur bord des parachutistes. Les Néerlandais ont aussi envoyé dans la zone un avion de transport stratégique A-330, avec une équipe médiale et des fusiliers marins, ainsi qu ‘un avion tactique type C-130, arrivés à Aqaba (Jordanie) mercredi (19 avril). Le tout suivi d’un second avion C-130. Un avion C-130 norvégien est aussi prépositionné à Amman.

Un avion C-130 néerlandais et les forces spéciales sur la base arrière en Jordanie (Photo : MOD Pays-Bas)

Les Américains en force

Les États-Unis, les plus concernés des Alliés, ont mobilisé des moyens importants. Différentes « capacités supplémentaires » ont été déployées « à proximité dans la région » (NB : Djibouti essentiellement) à « des fins d’urgence » et pour parer « à différentes éventualités » a confirmé le porte-parole du Département d’État US vendredi (21 avril). Plusieurs avions C-130 ou C-17 ont ainsi décollé des bases aériennes US en Europe (Glasgow, Ramstein, Rota, Sigonella…) ou Moyen-Orient (Al Udeid au Qatar) pour rallier Djibouti. Opération coordonnée par l’US Africa Com (le commandement américain pour l’Afrique).

Japonais, Sud-Coréens et Britanniques

Deux avions de transport tactique C-130 et Kawasaki C2 (l’A400M japonais) et un avion ravitailleur et de transport KC767 de la Force aérienne d’autodéfense japonaise rejoignent Djibouti, selon la télévision japonaise. Le ministère sud-coréen de la Défense a annoncé le départ d’un avion C-130J avec à bord une cinquantaine de militaires, dont du personnel médical et de sécurité, selon les agences. Britanniques et Jordaniens sont aussi mobilisés.

Une coordination d’urgence

Une cellule de coordination a été mise en place, regroupant tous les États concernés (Français, Américains, Espagnols, Néerlandais, etc.). Tous ces pays connaissent bien Djibouti. La France comme les USA et le Japon y ont une base militaire permanente. Le petit État de la côte d’Afrique de l’Est a aussi servi de hub aérien et maritime à l’opération anti-piraterie de l’UE (EUNAVFOR Atalanta). Et jusqu’à peu Allemands comme Japonais y avaient une base avancée sur ou près de l’aéroport. Les Espagnols y sont toujours avec un avion de patrouille maritime (Casa CN-235) et la frégate Reina Sofia, navire amiral d’Atalanta, qui a son port d’attache (provisoire) à Djibouti. Les Italiens également avec la frégate ITS Carlo Bergamini.

Premières évacuations – terrestres

  • Des premières évacuations ont eu lieu, menées par les forces saoudiennes a annoncé la télévision d’Etat. Un convoi routier, escorté par les Soudanais, a pu atteindre Port Soudan. De là cinq navires ont pris le relais, emmenant vers Djeddah, le port saoudien de la Mer rouge juste en face) jusqu’à 400 citoyens saoudiens et diverses nationalités (dont des Bulgares et Canadiens).
  • L’évacuation menée par les Qataris selon la même voie s’est heurtée apparemment à des incidents durant le chemin, le convoi se faisant voler plusieurs objets.
  • Une première opération d’évacuation a pu être menée par voie aérienne dans la nuit de dimanche (23 avril), avec trois hélicoptères CH47 Chinook selon Washington (six appareils selon les paramilitaires des RSF). « Aujourd’hui, sur mes ordres, l’armée américaine a mené une opération pour extraire le personnel du gouvernement américain de Khartoum en réponse à la situation au Soudan » a ainsi déclaré Joe Biden. Elle a permis d’évacuer les diplomates US et leurs familles de Khartoum, mais aussi plusieurs Européens (des Suédois, selon nos informations, seraient parmi eux). Un avion des forces suédoises a d’ailleurs décollé de Djibouti dimanche matin tôt direction Stockholm.
  • Le Quai d’Orsay a aussi confirmé la coordination des moyens et la mise en place d’opérations conjointes d’évacuation (cf. communiqué). Lire aussi

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : [Actualité] L’opération française d’évacuation des citoyens du Soudan a démarré. Premier bilan

Pas d'utilisation de la capacité de déploiement rapide. Précision : il n'est « pas question de l'utilisation de la capacité de déploiement rapide » de l'Union européenne, a confirmé à B2 un officiel européen. Ce dispositif, développé dans le cadre de la boussole stratégique européenne, à partir des battlegroups de l'UE, est encore en préparation. Mais ce sera assurément une sorte de test grandeur nature. Un des premiers scénarios développés pour l'utilisation de cette capacité est en effet l'évacuation de citoyens européens en danger dans un pays tiers.

* Un homme (alias Hemedti) peu recommandable en soi. Avec les milices Janjawid, ils sont soupçonnés d’avoir été responsables en bonne partie des massacres dans le Darfour comme de la répression des manifestations en 2019 (lire sur Tv5 monde).

Mis à jour – premiers éléments d’évacuation maritime par l’Arabie saoudite – Nouveaux avions espagnols et suédois + évacuation US / FR / SWE + attaque du convoi français et situation sur place.

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Categories: Défense

[Analyse] Les Européens bloquent sur la livraison de munitions à l’Ukraine ? Un peu exagéré non ! Explications

Fri, 21/04/2023 - 15:00

(B2) Les Européens n’arrivent pas s’entendre sur les munitions. Et tout cela est de la faute de la France. C’est la petite ritournelle entendue dans les couloirs de Bruxelles à Kiev en passant par Varsovie. Qu’en est-il exactement…

(Photo : Ministère bulgare de l’Économie – Archives B2)

Un “french bashing” relayé par plusieurs articles de presse, notamment dans la presse polonaise (agence Pap) ou européenne (Politico), et par quelques politiques, notamment le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kuleba, qui s’est fendu d’un tweet plutôt maladroit (cf. encadré).

Un plan en trois volets

Il faut reprendre les éléments depuis le début. Le 9 février dernier, les Chefs (d’État et de gouvernement) ont lors du Conseil européen décidé d’accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine, notamment sur les munitions. Un paquet a été élaboré, approuvé par les ministres le 20 mars dernier (lire : [Décryptage] Au moins 2,5 milliards d’euros pour doper la production de munitions dans l’UE et la livraison à l’Ukraine). Ce plan comprend trois volets, bien distincts – même s’ils partagent le même objectif stratégique (soutenir l’Ukraine) – qui s’étalent dans le temps, comme B2 l’expliquait dès février (lire : [Confidentiel] Achat de munitions en commun. Urgence, Court terme, Moyen terme. Des solutions s’échafaudent).

Où en sont les trois volets ?

Le premier volet (urgence) vise aux livraisons de munitions à l’Ukraine, le plus vite possible, provenant des stocks existants ou de commandes déjà passées, ‘reroutées’ sur l’Ukraine. Doté d’1 milliard d’euros (*), il a déjà été approuvé par les 27, avec effet rétroactif au 9 février (lire : [Décryptage] Le milliard d’euros pour les livraisons urgentes de munitions à l’Ukraine approuvé).

Le deuxième volet, doté d’un autre milliard d’euros, vise à financer des achats en commun, pour le court-moyen terme, il est encore en cours de discussion, au sein des ambassadeurs des 27. Et un accord est attendu d’ici quelques jours, début mai au plus tard normalement (lire : [Confidentiel] Le paquet munitions se précise. Non sans difficultés).

Le troisième et dernier volet, visant le moyen terme et le renforcement les capacités de l’industrie européenne à produire, n’est pas encore discuté. Un peu plus complexe, il doit être élaboré de la Commission européenne. C’est là où se situe plutôt le problème aujourd’hui. Chacun attendait une proposition d’ici la fin du mois. Mais d’après mes informations, l’équipe du commissaire Thierry Breton a un peu de mal à faire entendre sa voix au sein du collège des commissaires. Les gardiens du ‘trésor’ budgétaire européen se font un peu tirer l’oreille. En termes diplomatiques, on parle d’un agenda de la Commission « chargé ».

Où est le blocage ? Où est l’urgence ?

Parler de blocage, de non-respect du paquet, voire de possible mise en danger des vies ukrainiennes (comme le dit D. Kuleba, cf. encadré) est donc suranné. Il existe des difficultés à préciser les termes de l’accord européen. Certes. Mais on est dans la logique même de la machinerie européenne qui doit transcrire, en termes précis et juridiques, un accord politique qui n’a pas été précisé tout. L’ambiguité étant parfois la vertu d’un accord. Les quelques jours passés à discuter ne menacent en rien à la fois la défense ukrainienne (et la contre-offensive en préparation) comme ne compromettent pas le fond de la décision.

D’une part, le “job” a déjà été fait sur le premier volet, le plus important : l’urgence. Des livraisons ont déjà été faites pour un montant non négligeable. D’autre part, le deuxième volet (achats en commun) ne sera pas effectif avant plusieurs mois. Les achats devront être lancés en juin au plus tôt, d’ici septembre au plus tard (pour avoir droit au financement européen). Et l’arrivée effective des munitions achetées n’aura pas lieu avant la fin de l’année (au mieux), voire plutôt 2024 ou 2025 (le temps de production en quantité). Autrement dit, on se situe plutôt dans l’hypothèse de la troisième offensive russe ou contre-offensive ukrainienne (l’année prochaine) plutôt dans que l’actuelle (la seconde offensive ou contre-offensive). En pratique, les 27 ont jusqu’au 31 mai au plus tard pour approuver cette décision.

En attendant, rien n’interdit d’ailleurs à un État de devancer l’appel et de fournir des munitions à l’Ukraine sur son propre budget ou de déclencher des procédures d’achat, sans attendre. Il pourra bénéficier du “bonus” européen, s’il en respecte les principales conditions. Les trois principales sont d’ores-et-déjà connues : 1° il faut être plusieurs pour acheter, 2° le faire entre Européens et 3° acheter auprès d’industries basées en Europe.

Un processus a d’ailleurs déjà été lancé, dans le cadre de l’agence européenne de défense, pour l’achat des munitions de type 155 mm, regroupant quasiment tous les pays (26 États sur 27 selon mon dernier décompte). D’autres processus sont en cours au niveau national, du côtés des Allemands et des Français, notamment.

Faire de tels achats ne se réalise d’ailleurs pas en 24 heures. Il faut définir qui peut être intéressé, déterminer ce qui va être acheté (quels types de munitions, en quelles quantités), comment le faire (qui assumera l’achat, quelle sera la part de chacun, financière et en matériel livré, le calendrier de livraison) et enfin auprès de qui acheter et la procédure à suivre (appel d’offre ou contrat de gré à gré).

Quant à la difficulté d’acheter à l’industrie européenne, invoquée par certains États membres (Pologne notamment), pour justifier d’ouvrir les marchés, c’est un faux semblant. D’une part, il parait logique que l’argent européen (fourni aux 2/3 par le quatuor Allemand-Français-Espagnol-Italien) aille consolider l’industrie européenne plutôt que financer l’industrie sud-coréenne, turque ou serbe. Ensuite, contrairement à l’idée souvent répandue, l’Europe a de la ressource. La plupart des États sont dotés d’une industrie locale apte à fournir des munitions (de norme OTAN ou ex-soviétique). Du Dezamet polonais au Nexter français en passant par l’Allemand Rheinmetall, l’Italien Leonardo, le Bulgare VMZ, le Roumain Romarm ou le Nammo finno-norvégien, le tissu industriel européen est finalement assez riche. Et il tourne à plein. « Nous n’avons pas à rougir de nos petits muscles » témoigne (à juste titre) un diplomate.

Précisons au surplus que quand on parle d’un financement européen, il ne s’agit pas d’une subvention immédiate. L’argent promis arrivera dans la poche des budgets nationaux… dans longtemps. On parle en effet de « rembourser » les livraisons, une fois celles-ci « faites » à l’Ukraine (bordereau de livraison à l’appui). Et le paiement obéit à un échéancier plus ou moins lointain. Selon mes informations, ces remboursements ne pourraient pas intervenir avant horizon… 2025 !

Autrement dit, une semaine de plus dans la discussion… ne change pas vraiment la donne ni au plan politique ni au plan militaire. Cela serait en revanche différent si la discussion se prolongeait jusqu’à juin.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Commentaire : Quand Kuleba dérape

Les propos du ministre ukrainien Dmytro Kuleba tançant l’Union européenne pour son « incapacité » à mettre en œuvre « sa propre décision » peuvent être mis sur le compte d’une certaine « frustration ». Mais quand le diplomate en chef ukrainien parle d’« un test pour savoir si l’UE dispose d’une autonomie stratégique dans la prise de nouvelles décisions cruciales en matière de sécurité » et qu’il ajoute que « pour l’Ukraine, le coût de l’inaction se mesure en vies humaines », il commet une erreur grave, politique, pas vraiment à la hauteur des évènements.

The inability of the EU to implement its own decision on the joint procurement of ammunition for Ukraine is frustrating. This is a test of whether the EU has strategic autonomy in making new crucial security decisions. For Ukraine, the cost of inaction is measured in human lives.

— Dmytro Kuleba (@DmytroKuleba) April 20, 2023

Ce propos témoigne en effet à la fois d’un sérieux manque de connaissance du dossier. Pour avoir une autonomie stratégique d’action, sur le moyen terme, il ne faut pas acheter à l’étranger, mais développer en interne la production. Ce qui est conforme à l’intérêt ukrainien. Sans cette base arrière européenne, l’Ukraine ne pourra pas mener longtemps sa contre-offensive.

Quant à évoquer de possibles vies ukrainiennes menacées, c’est totalement désobligeant, à la limite du mensonge, et en tout cas pas digne d’un responsable politique qui demande à entrer dans l’Union européenne. Il n’y a aucune vie ukrainienne menacée par les quelques jours de plus mis à décider d’une décision qui sera effective… en 2024 au mieux.

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* Le milliard d’euros officiellement est bien en prix courants et non prix 2018 comme mentionné par erreur.

Lire aussi :

[Analyse] Sur fond de guerre en Ukraine, la solidarité européenne joue à plein. Les intérêts nationaux aussi !

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[Actualité] Un tanker chinois détourné par les pirates dans le Golfe de Guinée. 2e attaque en quinze jours (v2)

Fri, 14/04/2023 - 16:30

(B2) Un tanker portant un logo blanc et rouge sur le côté a disparu des écrans radars à environ 300 nautiques au sud d’Abidjan en Côte d’Ivoire à 7°14 Nord et 4°34 Ouest, a annoncé lundi (10 avril) le centre de veille maritime pour le Golfe de Guinée (MDAT-GOG), établi à Brest et Portsmouth. Le Success 9, battant pavillon de Singapour, opéré par la société Hai Soon Group a sans doute capturé par des pirates.

Le patrouilleur ivoirien Sekongo escortant le Success 9 (photo : Etat-major de Côte d’Ivoire)

(mis à jour) Le CRESMAO, le centre régional pour la sécurité maritime en Afrique de l’Ouest, a été mis en alerte. Un patrouilleur P400 de la marine de Côte d’Ivoire, le contre-amiral Fadika, aidé d’un avion Falcon 50 français de la base de Dakar et de moyens espagnols, sont partis à sa recherche. Le tout coordonné avec le système de partage de l’information Yaris (lire aussi : Dans le Golfe de Guinée, le chat sécurisé mère de toutes les informations).

Après cinq jours de recherche, le chimiquier a pu être relocalisé à plus de 30 nautiques au large d’Abidjan samedi (15 avril). Il a été escorté jusqu’au port d’Adidjan par les patrouilleurs ivoiriens, dont le Sekongo (P1501) « l’équipage est sain et sauf et a fait l’objet d’une prise en charge psychologique » précise-t-on du côté ivoirien comme français.

Un tanker danois victime d’une attaque

C’est le deuxième incident en quelques jours. Le 25 mars dernier, en soirée, un abordage similaire a eu lieu à environ 140 nautiques à l’Ouest de Pointe Noire (Congo). Avec une issue un peu moins optimiste.

Un tanker danois, le Monjasa Reformer, battant pavillon du Libéria, avait été « arraisonné » par cinq pirates armés arrivés à bord d’un skiff. Le patrouilleur de haute mer, Premier L’Her de la Marine nationale, alors en escale à Libreville (Gabon), après l’exercice African Nemo, reçoit l’ordre de se rendre sur la zone, tout d’abord sur la dernière position connue du tanker (05°03’N-009°35’E).

Le tanker piraté est finalement relocalisé quelques jours plus tard, jeudi (30 mars), en route vers le Nigeria, par le drone aérien de bord, précise la préfecture maritime de l’Atlantique. On aperçoit sur les images captées de l’air un skiff pirates accolé au tanker. Le temps que le Premier Maitre l’Her se rapproche, les pirates se sont envolés. Non sans avoir pris quelques otages au passage. Sur les 16 marins de différentes nationalités du Monjasa Reformer, six en effet manquent à l’appel : enlevés par les pirates. Trois marins légèrement blessés sont pris en charge par le médecin de l’aviso. Le tanker sera ensuite escorté jusqu’au port de Lomé (Togo).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : Dans le Golfe de Guinée, des pirates plus structurés, plus audacieux

Mis à jour le 17 avril avec les informations (Cote Ivoire et France) sur la relocalisation du navire. Modification du titre

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[Editorial] La Suisse : le beurre, l’argent du beurre et la comtesse en prime

Sun, 26/03/2023 - 21:25

(B2) La Suisse développe une industrie de l’armement à l’export, veut se rapprocher de l’OTAN mais interdit toute réexportation d’armes vers l’Ukraine. Au nom de sa neutralité. Les Européens devront en tirer des conséquences. Acheter à l’industrie suisse est aujourd’hui risqué pour l’autonomie stratégique. Il faudra s’en passer. Suspendre aussi l’arrangement avec l’agence européenne de défense est une option à étudier.

Le cyber, un des domaines où la Suisse voudrait se rapprocher de l’OTAN (Photo : Armée suisse – prise de commandement du bataillon cyber 42 – Archives B2)

Que veut la Suisse ? Berne entend se rapprocher de l’OTAN comme de l’Union européenne. C’est une volonté exprimée clairement dans un document publié par la Confédération en septembre dernier. La Suisse qui participe déjà à la plateforme d’interopérabilité de l’OTAN espère aussi obtenir le statut de partenaire privilégié, dit « nouvelles opportunités » (alias EOP), réservé à quelques happy few (Australie, Géorgie, Ukraine). La ministre suisse de la Défense, Viola Amherd, était mercredi au siège de l’OTAN pour tenter de convaincre ses interlocuteurs. Sans vraiment réussir.

La neutralité suisse, un problème ? À priori non, du moins selon l’OTAN. Le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, l’a dit expressément mercredi : « la neutralité » helvétique n’est « nullement un obstacle à leur collaboration ».

Ce qui bloque ? Berne refuse toujours de voir les équipements et matériels qu’elle a vendus aux autres pays européens — par exemple les véhicules cédés au Danemark ou les munitions pour le Guépard allemand — réexportés vers l’Ukraine pour le besoin des forces ukrainiennes engagées pour défendre leur territoire face à la Russie. C’est la loi sur le matériel de guerre qui interdit l’exportation d’armements suisses vers des pays en guerre civile ou en conflit armé avec un autre État. Le gouvernement suisse a bien tenté d’assouplir la loi. Rien n’y a fait : le parlement suisse a refusé, tout récemment encore (le 8 mars).

Commentaire : l’hypocrisie suisse faite Reine

Les Européens doivent dire leur fait aux Suisses : on ne peut pas se proclamer neutre, user de cette neutralité quand cela arrange, la recouvrir d’un mouchoir les autres moments, et manquer à la solidarité minimale ensuite.

Se rapprocher de l’Alliance, c’est renoncer à la neutralité

S’intégrer davantage dans l’Alliance atlantique, c’est choisir aujourd’hui clairement son camp. C’est-à-dire assumer de ne plus être neutre. L’OTAN n’est plus du tout l’organisation des années 2000 avec des relations sinon cordiales avec la Russie, du moins animée d’un certain esprit de coopération. Alliés et occidentaux sont aujourd’hui engagés fortement dans un soutien militaire massif à l’Ukraine, considérant la Russie non seulement comme un adversaire, mais comme un ennemi qu’il faut “neutraliser”. On peut parler donc de guerre, par proxy interposé.

Vendre à l’export, c’est prendre le risque

Du côté de l’industrie de l’armement, on nage en pleine hypocrisie. On ne peut pas exporter des munitions, un des points principaux productions nationales, et en interdire leur utilisation. Les seules exportations suisses ont représenté en 2022 près d’un milliard CHF (idem en €). Un chiffre en hausse de 212 millions par rapport à 2021. Des exportations orientées en grande partie vers les pays de l’Alliance (Allemagne, Danemark, Allemagne, etc.), mais aussi vers deux pays qui ne sont pas vraiment des modèles démocratiques : le Qatar (1ère destination à l’export) et l’Arabie saoudite (4e position). Exporter des armements létaux vers l’Arabie saoudite en guerre au Yémen est donc possible, mais pas la réexportation des armements européens vers l’Ukraine ?

La meilleure des solutions pour les Européens : ne plus acheter suisse

Les Européens devront en tirer des leçons pour demain. Premièrement, il est très risqué en terme d’autonomie stratégique européenne de s’équiper auprès de fabricants suisses. Il est plus sûr de se passer d’acheter aux entreprises suisses à l’avenir.

Deuxièmement, il faudra revoir sans doute l’arrangement administratif qu’a la Suisse avec l’agence européenne de défense. Ou au moins le suspendre. Il n’est pas souhaitable que la Suisse puisse jouer sur les deux tableaux : participer à l’effort européen, bénéficier de ses efforts d’innovation, mais ne pas assurer la solidarité minimale ensuite.

(Nicolas Gros-Verheyde)

NB : B2 a cherché à avoir la position de la ministre de la Défense après la réunion à l’OTAN. L’accès à la mission suisse où se tenait la conférence de presse a été refusé. « Interdit aux correspondants européens », dixit le service de presse de l’ambassade.

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[Analyse] Sur fond de guerre en Ukraine, la solidarité européenne joue à plein. Les intérêts nationaux aussi !

Sun, 19/03/2023 - 14:58
Slovénie – Phare de Piran (Photo : ministère slovène des infrastructures)

(B2) La guerre en Ukraine a été un signal d’alarme, salvateur pour nombre d’États. Ils ont enclenché la modernisation de leur armée… En bénéficiant de la solidarité européenne. Un retour sur investissement, à un moment donné, pourra être nécessaire. Le débat est ouvert.

Un geste de solidarité

Depuis février 2022, et le début de la deuxième intervention russe en Ukraine (la première étant en 2014), plusieurs pays, surtout à l’Est du continent, ont très vite envoyé à l’Ukraine leurs matériels d’origine soviétique. Un geste sous-tendu par une volonté politique réelle et un principe d’efficacité. Autant en effet équiper les Ukrainiens avec du matériel robuste, testé et immédiatement employable, plutôt qu’avec du matériel certes plus moderne, mais qui nécessite une certaine appropriation au niveau humain comme technologique (1).

Une belle opportunité pour certains

Pour nombre d’armées de l’Est, dotées d’un vieux matériel vieillissant et, en partie, obsolète, ces « dons » ont aussi été une excellente opportunité pour se débarrasser de certains vieux matériels (sans même avoir à se poser la question de leur recyclage) et renouveler les équipements nationaux. Avec un enjeu vital : moderniser leur armée et adopter un nouveau standard plus otanien de leurs équipements.

Ceux qui financent

Une démarche d’autant plus facile à accomplir que — outre d’être dicté par les circonstances —, une bonne partie de cet effort est financé par d’autres : Américains notamment, mais aussi Européens, en particulier par les plus gros contributeurs de l’Union européenne.

Le « quatuor » de l’UE (Allemagne, France, Italie, Espagne) fournit ainsi deux tiers du financement (64%) de la facilité européenne pour la paix, l’instrument privilégié de financement européen du soutien militaire (2). Soit 2,3 milliards d’euros, sur l’effort déjà engagé et près de 3,6 milliards au total si les projets actuels sont approuvés (3).

Tandis que les pays baltes participent de façon minime à cet effort de solidarité européen. À eux trois, Estonie, Lituanie, Lettonie contribuent pour 0,6% de l’effort global. Soit à peine 28 millions d’euros de contribution (sur les 3,6 milliards déjà engagés) ! Moins que la Grèce, par exemple (45 millions €).

Ceux qui bénéficient

La Pologne qui a entamé un rééquipement à vitesse Grand V avec du matériel hors UE en partie (chars Abrams US, chars sud-coréens K2 et obusiers K-9, avions F-35, etc.) est un des pays qui a fourni le plus d’assistance militaire (avec l’Allemagne, environ 2,43 milliards d’euros selon l’Institut Kiel) et sera le plus gros bénéficiaire de ce financement européen : ± 900 millions €, selon une première évaluation. Mais Varsovie tait soigneusement le chiffre

La Lituanie qui a fourni, en ratio de son PIB, un énorme effort de soutien à l’Ukraine — plus de 400 millions € selon le chiffre officiel — verra pris en charge une petite moitié de cet effort par les autres Européens. Le tout pour une contribution minime à l’effort général, une petite dizaine de millions d’euros. Si on met en relation la contribution mise au pot et le retour attendu : Vilnius reçoit environ vingt fois plus de la solidarité européenne !

La Slovaquie, de l’aveu de son premier ministre (lire : Pologne et Slovaquie équipent les forces ukrainiennes avec des Mig-29), doit recevoir environ 700 millions $ de compensation made in US et 900 millions € au total (soit environ 250 millions d’euros). C’est près de la moitié de son budget de défense pour 2022 ! (4).

Derrière les grands mots, des intérêts nationaux bien compris

La facilité européenne pour la paix — avec ses remboursements de vieux matériels (pris en charge en moyenne à 50-60% de la valeur déclarée) — est ainsi devenue un instrument clé de la modernisation des armées européennes. Ce sans aucune condition de préférence européenne.

Il n’est pas donc pas tout à fait anormal — comme le demandent la France, mais aussi la Belgique, la Grèce et d’autres pays —, que soient mises dans la balance certaines conditions de “retour sur investissement” pour l’industrie européenne. Ce que débattent depuis quelques jours les ambassadeurs afin de favoriser l’achat en commun de munitions (lire : [Confidentiel] Où en est le débat sur les munitions ? La discussion continue entre ambassadeurs). L’Allemagne et la France en particulier ne peuvent pas continuer à financer, sans conditions, la modernisation des armées sans retour.

Certains pays (Baltes et Polonais en particulier) souhaiteraient, en revanche, que le robinet de financement continue de couler sans conditions. Une question urgente, de vie et de mort pour l’Ukraine face à la Russie arguent-ils, avec force (5). Mais, ce qu’oublient de dire Vilnius, Tallinn ou Varsovie, c’est que le soutien militaire européen est devenu vital aussi pour leur propre budget militaire et leur politique de modernisation de l’armée.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Les premiers chars arrivés sur place ont ainsi été de type soviétique type T-72 ou T-64, avant que les chars de type occidental (Leopard en particulier) sur lesquels ont été formés les Ukrainiens arrivent. Idem pour les avions de chasse. Les Mig 29 qui arrivent vont permettre à l’Ukraine de combler en urgence le vide, le temps que la formation sur de nouveaux appareils de type occidental (F-18 ou Mirage) se fasse.
  2. Cette Facilité, placée hors budget communautaire, est financée selon le même principe : une contribution obligatoire fixée selon la part dans le revenu net brut (RNB) européen de chaque pays.
  3. 3,6 milliards € déjà engagés au titre des sept tranches déjà décidées pour le soutien militaire à l’Ukraine + 2 milliards € supplémentaires ont été mis sur la table dans la dernière proposition du Haut représentant de l’UE (Lire : [Décryptage] Et un. Et deux milliards pour fournir des obus à l’Ukraine. Les 27 presque d’accord).
  4. Environ 2 milliards en 2022 selon les statistiques prévisionnelles de l’OTAN pour 2022.
  5. Des pays qui ont une diplomatie publique très active. Ainsi quand un diplomate « européen », sous couvert d’anonymat, est cité dans les médias, pour en faire plus, vous pouvez en être certain : il s’agit d’un Lituanien ou d’un Polonais, voire d’un Estonien.

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[En bref] Pologne et Slovaquie équipent les forces ukrainiennes avec des Mig-29

Sat, 18/03/2023 - 16:36

(B2) Les Alliés ont franchi le pas. Ils vont livrer des avions de chasse afin de permettre à l’Ukraine de reconstituer sa force aérienne détruite en partie au début de la guerre. Ce très rapidement.

Un Mig 29 aux couleurs slovaques (Photo : MOD Slovaquie / Archives B2)

13 chasseurs Mig 29 slovaques

Bratislava livrera treize chasseurs MiG-29 de conception soviétique à l’Ukraine, a ainsi déclaré vendredi (17 mars) le Premier ministre, Eduard Heger. Une démarche “pleinement coordonnée avec la Pologne et l’Ukraine” a-t-il ajouté. Bratislava va aussi livrer à Kiev deux systèmes de défense anti-aérienne de type Koub.

D’ici quelques semaines

Le transport des avions “prendra quelques semaines”, a précisé, de son côté, le ministre de la Défense Jaroslav Nad. “Au moins trois appareils seront utilisés pour fournir des pièces détachées”, a ajouté le chef d’état-major des forces armées slovaques, le général Daniel Zmeko. Ces chasseurs ont été modernisés pour la dernière fois en 1996 et ne sont plus utilisés actuellement dans la chasse slovaque.

Quatre Mig 29 polonais également

La Pologne a annoncé jeudi (16 mars) livrer un premier lot de quatre chasseurs-bombardiers MiG-29 à l’Ukraine. “Dans les jours à venir, nous allons d’abord transférer (…) quatre avions entièrement opérationnels à l’Ukraine”, a ainsi déclaré le président polonais Andrzej Duda à la presse. D’autres appareils devraient suivre. ‘Ils sont actuellement remis en condition et seront probablement transférés successivement” a-t-il indiqué.

Une demande de Kiev

Cela répond à une demande récurrente de l’Ukraine qui a subi des pertes importantes dans son aviation, notamment dans les premiers jours de l’offensive russe en février 2022. Kiev a demandé à plusieurs reprises aux alliés de l’OTAN de lui envoyer des avions. En particulier des F-16.

Pas de livraison de F-16 prévus

Du côté américain, il n’y pas de livraison prévue. “Ce n’est pas sur la table”, a indiqué John Kirby, le porte-parole de la Maison blanche à des journalistes, rappelant que le président Joe Biden s’était opposé publiquement à la livraison d’avions de combat à l’Ukraine. Mais cette livraison semble bien avoir été totalement concertée et avoir reçu le feu vert de la Maison Blanche.

Une compensation US et européenne

Bratislava a ainsi annoncé recevoir une « compensation » américaine pour la livraison à l’Ukraine d’équipements militaires spécifiques, d’une valeur d’environ 700 millions$ qui « s’ajoute à la compensation au titre de la facilité européenne pour la paix ». Au total, l’indemnisation atteint ainsi « environ 900 millions € ».

D’autres fournisseurs d’ici 2024 ou 2025 ?

La France n’a pas exclu la livraison d’avions de chasse de type Mirage. La décision de passer au “Tout Rafale” de manière accélérée libère ainsi un certain nombre d’avions opérationnels. Le Royaume-Uni a commencé à former les pilotes ukrainiens. La Finlande, par la voie de sa première ministre Sanna Marin en visite à Kiev, la semaine dernière, avait indiqué qu’il fallait « réfléchir » à la livraison d’avions finlandais de type F-18 Hornet. Ceux-ci doivent commencer à être retirés du service dans les années 2025, pour être remplacés par des F-35.

(Nicolas Gros-Verheyde avec AFP)

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[Analyse] Le Global South se détache peu à peu. L’Europe déstabilisée ?

Fri, 17/03/2023 - 10:05

(B2) L’Europe est-elle en train de perdre la main ? A-t-elle encore un rôle à jouer, notamment en Afrique ou au Moyen-Orient ? Pourquoi une partie du Sud se détache ?

© NGV / B2

Plusieurs pays dans le monde semblent préférer les Russes ou Chinois. L’Europe s’en étonne, s’en offusque, accusant l’entrisme des mercenaires de Wagner ou le cynisme chinois. Mais faut-il en être surpris ? Ce détachement de l’Europe d’une bonne partie des pays africains ou asiatiques trouve sans doute des racines dans l’histoire des non alignés (cf. encadré). Il s’explique par des raisons structurelles. Mais il tient aussi en bonne partie à la politique européenne, balançant entre repli sur soi, tentation du vide et double standard.

Des causes structurelles

La montée en puissance économique et démographique, de la Chine comme de plusieurs puissances régionales, aboutit mécaniquement à une moindre influence européenne (et même occidentale).

Il existe dans des pays du Sud une dynamique que les Européens n’ont pas voulu prendre en compte. Disposant d’une élite formée, d’une force économique humaine, et souvent de ressources notables (pétrole, gaz, minerais, matériaux rares), ils ne sont pas hostiles en soi, mais considèrent que leurs intérêts passent par la diversification des alliances, à la fois pour affirmer une certaine autonomie et se protéger de toute velléité d’intervention. La case Europe n’est plus le passage obligé de leur coopération internationale.

L’effacement lent et inéluctable de l’Europe tient aussi à une inflexion de la politique européenne. L’Europe a délaissé sa position de médiateur ou négociateur dans plusieurs conflits : Syrie, Israël-Palestine, Arabie Saoudite-Yémen, Libye, Soudan, Afghanistan, Soudan… Et en dernier lieu l’Ukraine. Les Émirats arabes unis, le Qatar, voire la Turquie et la Chine se sont engouffrés dans cette brèche. La réconciliation inédite entre les deux frères ennemis du Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, est un signe notable.

Plusieurs erreurs notables

L’Europe a multiplié les erreurs ces dernières années.

L’intervention en Libye, en 2011, a laissé une trace ineffable (surtout en Afrique). C’est la résurgence d’une volonté colonialiste qu’on disait passée, d’aboutir à un changement de pouvoir par la force. Elle est d’autant plus forte en Afrique que la Libye, même autoritaire, aidait nombre de pays africains et que l’Europe a effacé cet épisode de se mémoire collective, refusant de se livrer à un « retour d’expérience ».

L’enfermement européen, refusant les flux migratoires, à partir de la crise migratoire de 2015, a été perçu par une bonne part du continent comme un refus de l’Europe d’assumer la part de la solidarité qu’elle demande à l’Afrique. Le tournant anti-migrations pris dans toute l’Europe depuis 2020, comme à l’inverse l’accueil massif des Ukrainiens confirment ce sentiment d’une position qui confine au racisme.

L’intervention française au Mali, demandée au départ par les Maliens, s’est transformée en une vaste opération anti-terroriste aux contours flous (1). Prolongée au-delà du strict nécessaire, elle a peu à peu été perçue comme une ingérence étrangère. Les propos français, et européens, pour la junte civilo-militaire au pouvoir ont rajouté à l’ire nationale (lire aussi : Libye, Mali, Algérie… les fâcheries s’accumulent. Barkhane s’enrhume). Bamako, soutenu par Moscou, a fini par obtenir le départ sans délai de l’opération Barkhane et de son avatar européen, la task force Takuba (2). Dans ce qui ressemble à une déroute politique qui laissera des traces.

Un double standard mal perçu

La volonté européenne de promouvoir ses valeurs se heurte aujourd’hui à la realpolitik. Ce qui produit un déséquilibre flagrant. Silence quasi complet sur les violations des droits de l’Homme dans les monarchies du Golfe (3) ou en Égypte, mansuétude sur le coup d’état au Tchad, faible dénonciation des violences israéliennes sur les palestiniens, etc. Mais les coups d’État au Mali ou au Burkina Faso sont en revanche dénoncés clairement. Vu du côté du Sud, ces positions sont incompréhensibles (4).

Même en Afrique centrale, où l’Europe a souvent été présente, sa lenteur et timidité à condamner l’action du Rwanda à l’Est du Congo n’est pas passée inaperçue. Dans ce pays pourtant classé dans un camp occidental, cette faiblesse est mise en regard avec la vigueur européenne pour dénoncer d’autres agressions, notamment de la Russie et l’Ukraine. Les échanges entre un Félix Tshisekedi et un Emmanuel Macron, le 4 mars dernier, pour avoir été sans doute surjoués (lire : Carnet 07.03.2023) , tiennent aussi d’une réalité existante dont il faudrait prendre conscience.

La politique de sanctions européenne, justifiable par certains points de vue en Europe, passe de plus en plus mal dans les pays du Sud. Elle est perçue comme la persistance de son arrogance et de la volonté d’imposer ses valeurs, de façon très orientée : aucune sanction sur Israël, l’Arabie saoudite, la Turquie, la Chine… Selon le bon vieux principe qu’il faut mieux être puissant que faible.

Le soutien massif, militaire et financier, apporté à l’Ukraine, sans aucune contrepartie, ni contrôle, n’a pas vraiment été compris, notamment en Afrique. Il souligne que si l’Europe veut, elle peut. Mais uniquement face à des « blancs, chrétiens » (5).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Le retour des non alignés. On assiste ainsi à la résurgence d'un bloc des Non alignés des années 1960-70. Même s'il n'en a pas la morphologie idéologique, spécifique à la guerre froide, il en partage certains atouts. L'attitude aux Nations unies en est un signe. Malgré tous les efforts européens, le rapport de forces n'a pas vraiment évolué en un an de guerre. Un bon quart des pays préférant s'abstenir ou s'absenter, un quart représentant tout de même plus de la moitié de la population mondiale (lire : [Actualité] L’assemblée générale de l’ONU vote pour la paix pour l’Ukraine. Le Sud s’abstient). Une position qui n'a rien d'extraordinaire si on regarde des votes sur d'autres sujets. [Analyse] Au Conseil de sécurité de l’ONU, l’Afrique se détache de l’Europe

A suivre sur B2 Pro : le lent effacement européen de la négociation mondiale

  1. La justification d’un risque terroriste malien par contamination pour l’Europe apparaissait assez « élastique » et jamais réellement prouvée.
  2. Lire aussi Dossier N°84. Takuba. Une nouvelle force européenne se met en place au Sahel, à visée anti-terroriste (v4)
  3. L’affaire du Qatargate a un effet désastreux. Elle prouve que les valeurs européennes cèdent facilement devant le poids de l’argent. Tout le discours européen sur la lutte anti-corruption nécessaire est ainsi amoindri.
  4. Un point de vue très courant dans les élites politico-militaires à Kinshasa. J’en ai été le témoin. Donnant un cours, en juin 2022, sur l’Union Européenne devant le collège de défense (une quarantaine d’officiers généraux), la plupart des questions portaient sur cette “différenciation”.
  5. Phrase entendue en Afrique

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[Réflexion] Une autre leçon du conflit en Ukraine pour les armées européennes

Sun, 05/03/2023 - 16:33

(B2) Parmi les enseignements tirés du conflit (artillerie, drones, effet de masse…), peu s’attardent sur l’organisation des armées. Or, c’est un point qui explique, aussi, la bonne résistance ukrainienne face à l’armada russe.

Démonstration de l’utilisation d’un drone tactique (Photo : MOD Ukraine)

Une logistique largement décentralisée

Pour autant qu’on puisse le savoir, le fonctionnement des forces ukrainiennes est plutôt décentralisé. La logistique d’une unité des forces armées ukrainiennes est en partie assurée sur le terrain par les gouverneurs de province (ou les municipalités). Ce sont eux qui fournissent la logistique “vie” nécessaire : hébergement, nourriture, jusqu’aux services de soins. Cela permet à l’armée d’avoir un fonctionnement central plutôt léger, concentré sur le commandement opérationnel. À l’inverse du dispositif russe, plus lourd, moins mobile, plus centralisé.

Une logique de mouvement partisan

L’ organisation ukrainienne associe d’un côté une logique d’armée centralisée, avec un commandement du haut vers le bas, et une logique de la guerre de partisans issue de la Seconde guerre mondiale, avec une large autonomie des forces sur place. Une tactique qui est aussi issue d’une histoire plus récente. Au début de la guerre en 2014, l’inorganisation de l’armée ukrainienne face aux troupes séparatistes et russes aboutit à la création de bataillons de volontaires. Des bataillons — soutenus par la population qui les ravitaillait, leur envoyait des vêtements, ou leur achetait des équipements (1).

Une maintenance et technologie confiée aux civils

Idem du côté de la maintenance ou de l’innovation technologique. On fait appel aux structures civiles. Des centaines d’ateliers se sont développés dans tout le pays pour transformer les drones avec l’aide de volontaires (2). L’entretien primaire des canons Caesar français — ce que les militaires appellent le « MCO terrain » — est ainsi assuré par des entreprises agricoles. « Car quand on fait de l’hydraulique agricole, on peut faire de la maintenance Caesar » comme le confirme à B2 un responsable militaire français.

Du renseignement humain puisé dans la population

Quant au renseignement, s’il dispose de capteurs modernes type drones, du renseignement satellite et de l’analyse fournis par les Alliés de l’OTAN, il puise aussi ses ressorts dans un système à l’ancienne : le réseau des “babas”, ces grands-mères ou papis inoffensifs, qui peuvent renseigner l’armée ukrainienne sur tous les mouvements. Une technique héritée là encore de l’histoire de l’Ukraine.

Assez peu mis en valeur

Tous ces enseignements ne se trouvent souvent peu mis en avant par les états-majors, du moins publiquement. Le récent rapport du Sénat sur les enseignements à tirer du conflit en Ukraine (3), en témoigne. Documenté, mais décevant dans son approche, il concentre son analyse sur quelques points assez conformistes : la haute intensité, l’effet de masse, la dissuasion nucléaire, les drones, etc. Un point de vue davantage destiné semble-t-il à justifier des inflexions déjà prises dans les états-majors qu’à vraiment envisager l’avenir.

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Alain Guillemoles, « Ukraine, réveil d’une Nation », éditions les Petits matins, février 2015, p. 107.
  2. Boris Mabillard, « Avec les dronistes de l’unité d’élite Skala », Le Point, 16 février 2023. (vidéo)
  3. « Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France », 8 février 2023, Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini (Ce dernier ayant décidé de se retirer du rapport, en désaccord avec son corapporteur).

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[En bref] Une patrouille d’Atalanta saisit une tonne de stupéfiants dans l’Océan indien

Sat, 04/03/2023 - 08:50

(B2) Un total de 1087,5 kg de différents stupéfiants ont été saisis sur deux boutres, qui n’arboraient aucun pavillon national.

L’équipe de visite du Dixmude perquisitionne un boutre suspect (Photo : Etat-major des armées)

Cette première opération anti-stupéfiants de l’opération européenne EUNAVFOR Atalanta en 2023, a été menée en deux actions distinctes : la première par la frégate La Fayette (F-710) et, peu après, la seconde par le porte-hélicoptères Dixmude (L-9015).

Au total, « 573 kg de résine de cannabis, 305 kg d’héroïne et 210 kg de méthamphétamine » ont été saisis, signale l’opération maritime de l’UE. La valeur marchande de ces saisies est estimée à 36,8 millions d’euros. Ces deux actions font suite aux huit menées en 2022 qui ont permis de saisir « plus de 12,7 tonnes de stupéfiants au total ».

Les deux bâtiments français, qui font partie de la mission « Jeanne d’Arc 23 » ont été mis à disposition le temps du passage dans la zone d’opération de l’opération européenne : ce qu’on appelle le soutien direct.

L’opération Atalanta est actuellement commandée par le captain (capitaine de vaisseau) Juan María Ibáñez Martín. Elle dispose de deux navires : la frégate espagnole Reina Sofia (F-84), qui sert de navire-amiral, et la frégate italienne Carlo Bergamini (F-590).

(NGV)

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[Éditorial] Un an de guerre en Ukraine. Un changement de paradigme pour l’Europe

Sat, 18/02/2023 - 16:09

(B2) Depuis un an, la guerre russe en Ukraine a déjà bouleversé la politique européenne. Une évolution qui va continuer ces prochaines années et pourrait aboutir à transformer l’Union actuelle, de façon majeure et structurelle. Quelques éléments de réflexion.

Kiev © NGV / B2
  • À l’heure où chacun se penche sur les conséquences immédiates de la guerre sur le terrain ou sur l’économie, il faut porter son regard un peu plus loin. Depuis bientôt 15 ans, B2 a choisi de centrer son oeil sur la défense et la géopolitique. Nous étions à l’époque considérés un peu avec commisération par les spécialistes de la défense (centrés sur leur nation) comme par les Européens (vissés sur les “vrais” domaines de compétence européenne). Aujourd’hui, c’est bien différent…

Une question dans tous les domaines

Le sujet « Ukraine » est systématiquement porté à l’agenda des réunions des ministres des Affaires étrangères comme des chefs d’État et de gouvernement. Mais la question est transversale. Aujourd’hui, au Conseil de l’UE, il n’y pas un seul secteur, un seul des quelques 150 groupes de travail, même les plus éloignés de la politique extérieure, qui n’ait pas la question Ukraine à son agenda. Que ce soit les télécoms (avec l’extension du roaming aux Ukrainiens), la culture (avec la question de la protection du patrimoine culturel ou des artistes en danger), l’économie et les finances (pour les questions de prêts macro-financiers) ou les transports (avec l’extension des réseaux trans-européens en Ukraine et Moldavie), tous les experts européens doivent traiter la question Ukraine qu’il s’agisse d’une action sur place ou en relation avec la guerre ou des conséquences sur le plan intérieur de celle-ci.

La défense politique européenne

La défense devient, de gré ou de force, une politique européenne mixte (à la fois communautaire et intergouvernementale). Sans un changement de ligne du Traité. Ce qui est, en soi, peu anodin dans l’histoire européenne. Même la question d’établir au niveau européen une centrale d’achats et un financement pour l’envoi de munitions en Ukraine, de façon massive, et le recomplètement des stocks de munitions, est aujourd’hui abordée de front (lire : [Confidentiel] Munitions. À la recherche d’une solution pratique et concrète d’ici fin mars ?).

Aucune question n’est plus taboue

Le principe n’est plus de s’abriter derrière une impossibilité juridique ou financière (comme dans les années 2010 où tous les arguments étaient bons pour ne pas intervenir). Le principe devient : comment faire, en contournant les obstacles existants, pour faire quand même. L’heure est au « pragmatisme » résumait récemment un ambassadeur. Avec raison. Les termes de « souveraineté européenne » ou « autonomie stratégique » qui suscitaient auparavant des batailles épiques sont acceptés. La question devient : comment applique-t-on ces termes concrètement ?

Une convergence idéologique

Même si quelques rivalités de personnes peuvent surgir, entre le Belge libéral Charles Michel le président du Conseil européen, l’Allemande chrétienne-démocrate Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le Français libéral Thierry Breton, le commissaire européen chargé de l’Industrie et de la défense, et le socialiste espagnol Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, le « cœur » de l’Europe converge sur un point : la défense est primordiale, l’autonomie stratégique et la souveraineté européennes doivent être renforcées. Au niveau des États membres, les divergences sont plus profondes, mais cet objectif est assez partagé. Les nuances se font surtout sur la mise en pratique.

Un budget à 2%

La défense, considérée auparavant comme une “non politique” européenne, représente environ 2% du budget européen (25 milliards €) sur la période pluri-annuelle 2021-2027 selon nos calculs (1). Soit tout simplement l’objectif défini par l’OTAN pour les dépenses de ses États membres (lire : Quel objectif de dépense pour les Alliés de l’OTAN. Le débat est lancé). Et si vous ajoutez les autres tâches régaliennes (politique étrangère, élargissement, sécurité, frontières, migrations, etc.), cela représente 13% du budget européen (près de 160 milliards euros) (2).

en croissance exponentielle

Et ce budget est en croissance. Sans grande difficulté (car quelques mois de débat à l’échelle européenne ne sont pas si importants), les 27 ont décidé en décembre de rajouter deux milliards tout de suite à la facilité européenne pour la paix, et 3,5 autres milliards potentiels (lire : [Alerte] L’augmentation du plafond approuvée). La Commission européenne a raclé les fonds de tiroir pour affecter 500 millions d’euros de plus à un nouveau fonds de défense (destiné aux acquisitions en commun, EDIRPA). Et un autre fonds (EDIP) doit voir le jour qui n’est pas encore financé. Pour le prochain cadre budgétaire 2028-2035, ces sommes ne vont pas baisser a priori, mais plutôt augmenter. Cela veut dire que les autres politiques (agricole ou régionale) seront ponctionnées. Sauf à trouver de nouvelles ressources… Ce qui est loin d’être évident.

Une Europe en transformation

Le statut de pays candidat octroyé à l’Ukraine (et la Moldavie) en un temps record ne doit pas faire illusion non plus. Même s’il s’agit d’une gestuelle très politique — montrer la solidarité européenne —, la mécanique d’élargissement de l’Union européenne a repris de façon rapide. Kiev et Chisinau, les deux capitales concernées, ont pris le problème à bras le corps. Et avec l’enthousiasme des néophytes, ils se jettent à corps perdus dans la mise en conformité de leurs législations aux normes européennes. En plein conflit, le gouvernement ukrainien et la Rada (le parlement national) adoptent donc loi sur loi. Y compris sur des sujets très éloignés du conflit (ex. sur la reconnaissance des jugements civils et commerciaux). À tel point que l’objectif fixé par le président ukrainien V. Zelensky de voir s’ouvrir les négociations d’adhésion d’ici la fin 2023 (lire : [Récit] Zelenksy à Bruxelles : un one-man show réussi ?), ou début 2024, n’est plus tout à fait utopique.

… vers une Europe à 35 ou 36 membres ?

Par ailleurs, des négociations discrètes sont en cours entre Belgrade et Pristina, visant à normaliser les relations entre les deux capitales, et donc entre les deux pays (lire : [Exclusif] Les dix points clés de l’accord de normalisation entre Belgrade et Pristina présenté aux 27). Si elles aboutissent, la voie vers l’adhésion de la Serbie n’a plus d’obstacle politique majeur. Neuf pays sont dans la salle d’attente européenne. Et certains sont bien décidés à y rentrer. L’Europe à 35-36 n’est donc plus une théorie. Mais une possibilité à laquelle les « vieux » pays européens doivent se préparer. L’Union européenne change de nature et donc de fonctionnement.

Conclusion : une Europe en transformation

Pour la deuxième fois de sa courte histoire, l’intégration européenne ne sait pas trop bien où elle va. Mais elle y va. Comme l’Europe de 2004 (après le big bang de l’élargissement à l’Est) ne ressemblait plus tout à fait à l’Europe de 1989, l’Union de 2035 ne sera donc pas tout à fait celle de 2020. Nous en faisons le pari : la transformation européenne en cours n’est ni mineure ni conjoncturelle. Toutes les politiques seront impactées demain par ces changements.

Le monde aussi évolue à grande vitesse, avec la reconstitution d’un bloc des Non Alignés (le Global South), un multilatéralisme remis en question. « On entre dans un nouveau monde » me confiait un ambassadeur récemment.

Celui ou celle qui prétend suivre les affaires européennes aujourd’hui, sans jeter un coup d’œil sur ces évolutions majeures de la défense et de la diplomatie, commet une singulière erreur. C’est comme naviguer en pleine tempête, sans sextant ou GPS et sans s’assurer de gilets de sauvetage… Conçu pour donner des clés de lecture, des outils d’information, B2 va continuer d’accompagner cette évolution. En évoluant aussi et se transformant à sa façon.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire aussi : [Analyse] Ces dix mois qui ont changé la défense européenne. À son insu, de son plein gré

  1. Sont inclus le fonds défense, la mobilité militaire, le budget PESC (essentiellement missions PSDC) issus du budget communautaire et la facilité européenne pour la paix (avec les augmentations de plafond décidées en décembre) qui est hors budget mais alimenté par un budget obligatoire des États membres. Cela ne comprend ni l’EDIP à venir ni les dépenses pour les différentes structures militaires de l’UE (Etat-major, agence de défense, centre satellitaire etc.) qui dépasse les 80 millions € par an (soit un demi-milliard sur la période).
  2. Cela recouvre la sécurité intérieure, les frontières, la politique étrangère y compris l’élargissement, la protection civile, etc. Ne sont pas compris d’autres budgets civils mais à double usage, tels Horizon 2020 (Recherche), ITER (recherche nucléaire), ou le soutien à la communauté chypriote turque (qui dépend du budget Régions) etc.

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[Musique] Poutine, l’homme qui vit dans le passé, selon Pet Shop Boys

Mon, 13/02/2023 - 08:05

(B2) Le groupe de Liverpool nous avait habitué à une musique plus dance. Cette fois, ils ont choisi une musique toute douce. Un air lancinant. Quelques accords. L’intérêt est aussi un texte en forme de dénonciation d’un des hommes les plus puissants. Écoutez Living in the past

V. Poutine en plein sacre de la personnalité © Pet Shop Boys – extrait B2

The past isn’t even past

Cette chanson qui vient d’être publiée sur le site de Pet Shop boys (alias PSB), formé par Neil Tennant et Chris Lowe, vaut le détour. Elle se veut une réaction, à chaud, à la célébration par Vladimir Poutine début février à Volgograd (ex Stalingrad) des 80 ans de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, dévoilant un nouveau buste de Staline. Un évènement qui avait troublé le groupe au point de susciter un virulent commentaire : « Stalin is back » sur leur site.

  • « J’arrive en ville où ils ont dévoilé un buste mon prédécesseur. Encore très discuté. Nous avons essayé de l’oublier. Ses crimes ont été catalogués. Mais dans les nouvelles circonstances, encore une fois, c’est un Dieu. Le passé n’est même pas passé. Cela fait combien de temps ça dure. »

Je veux que les hommes meurent avec mon nom sur leurs lèvres

On est loin ainsi du rythme syncopé, très dance de Go West des Villages People repris par PSB deux ans après la chute de l’URSS ou de Always on my mind. Fabriqué à la maison, comme une démo, et diffusé pour l’instant sur You Tube, le ton est moins enthousiaste aussi. Il fait référence à une autre actualité, plus tragique, la sanglante offensive russe en Ukraine commencée il y a presque un an, le 24 février 2022.

  • « Je veux qu’ils me craignent comme tout le monde le craignait. Arrêtés et fusillés. Mais ils le vénéraient toujours. Comme lui, je vais gagner. Je ne serai pas éclipsé. Je veux que les hommes meurent avec mon nom sur leurs lèvres. Le passé n’est même pas passé. Cela fait combien de temps ça dure »

Il est trop tard pour perdre

Le duo de Liverpool, n’a jamais renié à la critique, sociale dans West End Girls ou sur l’éducation catholique, comme dans It’s the sin. Mais, là, il s’attaque à plus haut, au niveau international. Il se livre à une critique acerbe de la psychologie politique de Poutine : un être sans cœur, poursuivi par un désir personnel de prendre sa revanche, mû par une volonté de redonner à la Russie ce qu’était l’URSS hier.

  • « Je suis l’incarnation vivante d’un cœur de pierre. Un monument humain à la testostérone. Bien qu’à l’intérieur je sois mort, il est trop tard pour perdre. Je suis tout ce dont ils parlent sur leur nouveau cycle d’abus. Je suis là à tes frontières. Je ne vais pas abandonner. Aux nouveaux ordres mondiaux, je ne me soumettrai jamais. Appelez-moi un belliciste. Et je te donnerai une guerre. Dis que je suis un tricheur. Et je vais encore truquer le score. Il n’y a pas de défaite dont je répondrai. L’Occident est mort. Et ils en redemandent. Je vais tout récupérer l’ancien statu quo. Je me souviens comment c’était. Et je ne le lâcherai pas. »

(Nicolas Gros-Verheyde)

Traduction maison des paroles en anglais

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[Analyse] Le petit mensonge de l’Alliance sur l’aide humanitaire à la Turquie après le séisme

Sun, 12/02/2023 - 13:51

(B2) Le séisme en Turquie a pris à revers l’Alliance atlantique. L’organisation qui déroule habituellement son action, de façon linéaire, planifiée, s’est trouvée en fait bien dépourvue face à ce tremblement de terre qui nécessite d’envoyer rapidement hommes et matériels. Elle a bien essayé de prouver l’efficacité de son dispositif de réaction rapide (EADRCC). Au prix d’un artifice frôlant le mensonge.

Equipe de sauvetage bulgare à l’œuvre autour d’un bâtiment détruit par le séisme en Turquie (photo : ECHO – Protection civile bulgare)

Que dit l’Alliance ?

« Plus de 1400 membres du personnel d’intervention d’urgence de plus de vingt pays alliés et partenaires de l’OTAN — dont la Finlande et la Suède — sont déployés en Turquie pour aider à répondre aux tremblements de terre du 6 février » indique l’Alliance dans un communiqué publié mardi. C’est vrai en effet. Il y a « plus de 1400 sauveteurs et 100 chiens de recherche » envoyés sur place dès le début.

Ce qu’omet de dire l’Alliance, c’est que cette aide a été principalement fournie dans le cadre du mécanisme européen de protection civile (UPCM) de la Commission européenne (1). En fait, selon nos informations, seuls deux pays (Islande et Azerbaidjan) ont répondu par l’intermédiaire du centre de l’OTAN. Tous les autres pays européens qui ont envoyé des secours (26 pays de l’UE, ainsi que trois pays tiers (Albanie, Monténégro et Serbie)) — ont préféré passer par le mécanisme européen de protection civile.

Une réalité d’autant plus difficile à admettre du côté de l’Alliance, que la Turquie — pourtant non membre de l’UE, mais participante au mécanisme européen de protection civile — a déclenché le mécanisme européen en premier. Car elle en connait son efficacité pour l’avoir testée à plusieurs reprises. Ce n’est que six heures plus tard qu’elle a déclenché le mécanisme de l’OTAN.

Le pieux mensonge de l’OTAN

Quand l’OTAN affirme ainsi que le « soutien est fourni par l’intermédiaire du Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC) de l’OTAN, le principal mécanisme civil d’intervention d’urgence de l’Alliance dans la zone euro-atlantique », on passe ainsi du pieux mensonge par omission, à l’affirmation mensongère. Surtout quand l’Alliance omet de dire un seul mot sur l’action de la Commission européenne (2). Un oubli d’autant plus étrange que les deux organisations se sont jurées, à travers les déclarations successives UE-OTAN, de coopérer, notamment dans des domaines civils.

La carte des interventions des équipes de sauvetage européenes source ECHO / B2

Pourquoi l’UE et pas l’OTAN ?

C’est simple, le mécanisme de protection civile de l’UE a plusieurs atouts. A commencer par son expérience, son étendue d’action… et son budget !

30 ans d’expérience

Accolé à l’office européen d’aide humanitaire, créé il y a trente ans, en pleine guerre de Yougoslavie en 1992, ce mécanisme créé en 2001, est aujourd’hui particulièrement rôdé. Il regroupe au-delà des seuls membres de l’Union européenne, huit pays du voisinage européen, dont la Turquie. Selon un principe assez simple : « Tu m’aides un jour, je t’aide le lendemain ».

Un fonctionnement très civil

Il fonctionne comme une bourse d’échange entre le pays demandeur et les pays qui envoient hommes et matériels. Et selon un principe : la « neutralité » d’action. Son intervention se veut « apolitique », « civile » et est surtout « inodore ». Chaque pays peut ainsi revendiquer l’aide envoyée comme nationale et purement civile (même si elle est souvent assurée par des militaires). À travers l’OTAN, l’aide apparait immédiatement comme très politique et très militaire. Logique le rôle de l’OTAN reste une organisation politico-militaire, à la différence de l’Union européenne, organisation politico-civile.

Une salle de crise rôdée aux catastrophes de tous genres

Sa salle de commandement 24 h / 24 (alias ERCC) gère régulièrement toute une série d’urgences : des feux de forêt l’été aux séismes ou catastrophes technologiques, telles l’explosion du port de Beyrouth (lire dossier N°86. L’Europe face à la crise du Liban après l’explosion du 4 août 2020), en passant par la crise du Covid-19 ou les guerres (lire : Aide humanitaire, protection civile et Medevac. Le plan de l’aide européenne pour l’Ukraine).

Un puissant atout financier

Le mécanisme de l’UE a surtout un argument sacrément efficace : argent et organisation. Doté d’un budget conséquent (3), il permet de financer une bonne partie des coûts : 75% des coûts de déploiement opérationnel (notamment transport des matériels et des équipes) sont pris en charge dans le cas de la Turquie, a confirmé à B2 un responsable du sauvetage. Autant dire une sacrée incitation. Car le reste des coûts (salaires des personnels, etc.) est de toute façon à charge des États.

Une administration dédiée à la réponse de crises

Le dispositif est aussi très rôdé. En 2021, il a ainsi été déclenché à 114 reprises. Autrement dit, une fois tous les trois jours. Géré par une direction générale de la Commission, celle en charge de l’Aide humanitaire (la DG ECHO), il anticipe les crises, en passant des contrats cadres soit avec des ONG (pour l’aide humanitaire), soit avec des fournisseurs. Il faut ajouter à cela, la réserve d’urgence de la Commission européenne (RescUE) mise en place depuis 2019 et renforcée après la crise du Covid-19, permettant de disposer de plusieurs stocks ou services spécialisés pour répondre à certaines urgences (feux de forêts, médical, NRBC).

Commentaire : un jeu bien puéril

On peut comprendre pourquoi un État, même membre de l’Alliance, préfère passer par le dispositif de l’UE que de l’OTAN. Celui-ci ne disposant ni de cette organisation ni de ce budget. Entre les deux, c’est un peu la comparaison entre un club de football professionnel et un club amateur des copains du dimanche. Il n’y a pas photo. Plutôt que de faire abstraction de l’Union européenne, de manière assez puérile, l’OTAN aurait tout intérêt à la mettre en avant pour vanter la bonne coopération qui règne (même si elle existe peu en l’espèce) entre les deux organisations. Au lieu de cela, on est dans une espèce de « marquage à la culotte », particulièrement pitoyable, d’autant plus grave en pleine période de tension Russie-Occident, où la désinformation fait rage. L’Alliance ne voudrait pas donner pièce à la Russie qui accuse régulièrement l’OTAN de mentir sur la guerre en Ukraine, qu’elle ne s’y prendrait pas autrement…

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Plus de 1400 sauveteurs et 100 chiens de recherche, 29 équipes de recherche et de sauvetage, 6 équipes médicales selon le communiqué de l’UE.
  2. Interrogé par nos soins l’OTAN s’est révélé incapable de détailler pays par pays, le nombre sauveteurs envoyés. Avouant que ce nombre a été « compilé sur la base des annonces officielles turques et alliées ».
  3. La protection civile dispose de 3,3 milliards € sur la période budgétaire de sept ans, soit près d’un demi-milliard € par an en moyenne, dont 170 millions d’euros pour le seul dispositif feux de forêts de RescUE en 2023. Quant au budget à l’aide humanitaire, il se monte à 1,7 milliard en 2023.

Lire nos fiches (réservées aux adhérents) :

Dans la salle de crise de la Commission européenne, à l’heure du Coronavirus

Mis à jour 12.2 23h50 – nombre de pays européens intervenants + la carte d’intervention

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[Réflexion] Ukraine. Les Européens sont-ils en guerre contre la Russie ?

Thu, 09/02/2023 - 10:05

(B2) Un an après le début de l’intervention militaire massive de la Russie en Ukraine (le 24 février 2022) et du soutien tout aussi massif des Européens à l’Ukraine, on peut légitimement se poser la question aujourd’hui. Éléments de réflexion.

Arrivée de véhicules donnés par les Européens en Ukraine (Photo : SEAE – Josep Borrell)

Pour y voir clair… reprenons la définition de Clausewitz, le théoricien de la guerre moderne : « la guerre est 1. un acte de violence dont 2. l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté (…) Pour atteindre cette fin avec certitude 3. nous devons désarmer l’ennemi ». La guerre conduit à monter « aux extrêmes », il s’agit d’avoir un emploi « illimité de la force », mais aussi d’avoir un « calcul des efforts » nécessaires et une « escalade mesurée ».

Ces éléments (objectif, moyens, tempo), sont-ils remplis ? Pour en avoir le cœur net, examinons les moyens mis en œuvre par les Européens (et plus généralement par les Alliés).

1. La volonté politique. La désignation de l’adversaire est très claire. La Russie, son gouvernement, sont désignés explicitement comme l’initiateur du conflit : « une guerre d’agression non provoquée et injustifiée menée par la Russie contre l’Ukraine », une « invasion » selon la terminologie consacrée. Elle est considérée comme responsable de la plupart des crimes de guerre, sur ordre, voire même d’un génocide. Et ses dirigeants doivent être jugés pour ses faits. D’où l’idée d’un tribunal international ou d’un tribunal spécial pour juger ses dirigeants.

L’objectif de contraindre l’adversaire à exécuter la volonté est aussi clair. Les Européens affirment régulièrement leur volonté d’ « augmenter la pression collective sur la Russie pour qu’elle mette fin à sa guerre et retire ses troupes ». Ils se disent tout aussi régulièrement aux côtés de l’Ukraine : « l’UE soutiendra l’Ukraine et le peuple ukrainien contre [cette] guerre […]  aussi longtemps qu’il le faudra ».

Et le but de cette pression est aussi clair : la libération de tout le territoire dans « ses frontières internationalement reconnues ». Autrement dit : tout le Donbass, voire la Crimée. Les Européens rappelant leur « attachement indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de [ces] frontières ». NB : les citations, tirées de la déclaration commune lors du sommet UE-Ukraine du 3 février seront reprises ce jeudi (9 février) lors du sommet européen à Bruxelles en présence du président ukrainien V. Zelensky.

  • Une position de l’Alliance atlantique. Si les Alliés (Européens et Américains) ont désigné la Russie comme un adversaire, ils ont évité de le faire de façon trop voyante. Mais ceci est un artifice politique. C’est bien l’Alliance atlantique en tant qu’être politique, reliant les différents pays européens membres de l’OTAN, et apparentés (Finlande, Suède, etc.) qui est engagée aujourd’hui aux côtés des Ukrainiens tout autant que l’Union européenne et ses États membres. Avec une exception singulière : la Turquie.

2. La pression économique. Elle est très claire, forte et assumée. Avec près de dix paquets de sanctions (dont le dernier devrait être présenté si non approuvé d’ici le 24 février), l’objectif n’est pas juste d’adresser un signal politique. Il s’agit de mettre à bas une partie des ressources économiques et technologiques russes. Il s’agit de miner la capacité militaire de la Russie d’agir en Ukraine, ou au moins de ralentir ses efforts, en coupant tous les flux financiers et économiques européens. Bref de la « désarmer » au sens classique du terme, mais par des moyens « pacifiques », du soft power : l’économie, en lui coupant les vivres.

3. Le soutien militaire massif assumé. Ce soutien passe par une panoplie vaste d’équipements : des munitions aux pièces d’avions de chasse, en passant par les missiles portatifs, les chars, les soutiens d’artillerie, la défense aérienne, ou l’essence, … les Alliés ont de façon graduelle augmenté, et surtout assumé, cette assistance militaire.

Le montant aujourd’hui n’est négligeable. On atteint près de 12 milliards € du seul côté européen. Soit un milliard € par mois en moyenne. C’est grosso modo la moitié du budget d’équipement de l’armée française. Dont 3,6 milliards € sont financés en commun via la facilité européenne pour la paix (FEP).

La décision récente de Berlin et Washington de livrer des chars Leopard et Abrams (lire : Les Alliés vont équiper une brigade blindée ukrainienne. Le club des chars Leopard se met en route), et Londres les Challenger n’est pas en soi révolutionnaire. Elle s’inscrit dans un continuum qui a commencé dès le début par la livraison de chars lourds de fabrication soviétique (type T-72, plus de 400 livrés).

La nouveauté est ailleurs : elle se trouve plutôt dans la médiatisation et dans la volonté affirmée d’agir en coalition. Là où auparavant, chaque pays avait une politique variable de médiatisation — de la discrétion latine à l’outrance polono-britannique. Et où chacun prenait bien soin de préciser que c’étaient des décisions nationales.

4. Un soutien affirmé dans la formation de l’armée ukrainienne. Ce soutien n’est pas anecdotique. Européens et autres alliés (Royaume-Uni et USA) veulent former plusieurs brigades ukrainiennes pour les préparer dans un temps express (deux mois maximum par rotation) au combat.

Un effort massif inégalé dans l’époque moderne ! Côté européen, l’objectif de 15.000 (d’ici mai) au départ a été relevé à 30.000 hommes formés d’ici l’automne 2023. Idem côté britannique et côté américain. L’objectif est bien de doter les forces ukrainiennes des effectifs nécessaires pour faire face à une offensive russe comme de recompléter ses effectifs perdus au combat (environ 100.000 hommes décédés ou blessés hors de combat).

5. Un soutien en renseignement. La discrétion est de mise dans ce domaine. Mais elle est avérée. Les moyens satellitaires européens (français, allemand, britanniques) et américains sont utilisés pour fournir des renseignements précieux aux forces ukrainiennes.

C’est une partie de la puissance de renseignement alliée mise au service des Ukrainiens qui leur permet d’avoir une perception de la zone de combat complète, avec ses propres “capteurs” de terrain (renseignement humain notamment), assez efficaces (de la baba ukrainienne avec son téléphone portable qui renseigne les sources locales aux analystes). Le renseignement ukrainien bénéficie sur place d’analystes européens.

  • Officiellement, il n’y a pas d’engagement de troupes au sol. Et les Européens veillent bien à ne pas donner le change sur ce point. S’il y a des Européens engagés aux côtés des Ukrainiens dans les troupes, ce sont des actes individuels. Et la présence de forces spéciales, dans le cadre notamment de soutien en renseignement ou en “formation”, reste souterrain (c’est le principe même de ces forces : ni vu, ni connu). Mais il y a bien des “officiers de liaison” auprès des forces ukrainiennes, afin de faciliter non seulement la livraison de matériels et d’équipements, mais aussi d’essayer de coordonner la stratégie.

6. Placer l’Ukraine hors de portée de l’influence russe. Cette pression politique, militaire et économique sur la Russie se double d’une volonté politique et économique « d’arracher » l’Ukraine à la domination et l’influence russes. Une volonté commencée en douceur en 2014 avec la signature d’un accord d’association qui se double aujourd’hui d’une promesse d’adhésion à l’Union européenne. Un processus accéléré ! Avec la déclaration de la reconnaissance de pays candidat en quelques mois. Le tout accompagné d’un soutien financier net (environ 1,5 milliard € par mois en soutien budgétaire, 18 milliards pour 2023), en passant par l’association de l’Ukraine à vitesse accélérée aux instruments européens. On assiste ainsi à une réorientation en urgence des réseaux ukrainiens (train, électricité, route, etc.) aux réseaux européens, jusqu’à l’insertion de l’Ukraine dans l’espace de roaming téléphonique européen.

La guerre... ou la paix

Si on revient à la définition classique de la guerre donnée par Clausewitz, on voit que certains éléments sont bien là : le but de « contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté », la « recherche du renversement de l’adversaire », de le « désarmer », le « calcul des efforts nécessaires », etc. Mais il reste tout de même une absence notable : on ne peut pas dire qu’il y ait un acte de « violence » de la part des Européens envers la Russie ni de volonté « d’usage illimité de la force ».

Sans être belligérant — la notion de cobelligérant est très floue : on est belligérant ou pas —, les Européens sont donc bien à mi-chemin de la belligérance, aux cotés clairement d’une partie en guerre (Ukraine), en utilisant tous les instruments à leur disposition (sauf la force militaire) contre l’adversaire de celle-ci (Russie). Sans aucune ambiguïté. Mais ils restent prudemment sous la limite de la guerre, se cantonnant à la légitime défense.

L’objectif final recherché des Européens n’est pas le renversement du régime en Russie (cf. encadré), mais bien son retrait d’Ukraine. C’est donc une singulière différence par rapport à la définition de la guerre classique. Il s’agirait plutôt d’une guerre hybride : utiliser tous les moyens, en restant au-dessous de la limite de la guerre ouverte. De fait à la guerre ouverte déclenchée par les Russes, les Européens et Alliés réagissent par des moyens hybrides.

On remarquera cependant que dans l’histoire de l’Europe moderne, à ma connaissance, jamais les Européens ne se sont engagés aussi clairement et aussi massivement en faveur d’un pays contre un autre. Même du temps des guerres yougoslaves, même s’il y avait un soutien, il restait plus ou moins discret (notamment pour le soutien militaire). L’intervention militaire au Kosovo sous couvert de l’OTAN est une exception. Mais elle a été courte et limitée dans l’espace, et n’était pas empreinte de la confrontation avec un membre du Conseil de sécurité de l’ONU doté de la puissance nucléaire.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Des nuances sur l’objectif final recherché

Entre la réduction du pouvoir russe et un retour à une normalité des relations

Pour certains pays — les balto-polonais —, il faut en terminer avec une Russie agressive, qui n’en finit pas d’intervenir dans son voisinage, et lui couper, définitivement, les ailes. D’où leur dureté dans tous les aspects de la pression contre la Russie et dans le soutien à l’Ukraine (sanctions économiques maximales, soutien militaire maximal, adhésion rapide de l’Ukraine à l’UE comme à l’OTAN). Une position justifiable (cf. ci-dessous). Pour d’autres (France, Allemagne, Italie), il faut limiter les ambitions de la Russie, mais trouver un nouveau mode d’équilibre avec ce qui reste néanmoins un voisin. Un point de vue rejoint, peu ou prou par les USA, qui ont un autre impératif stratégique : éviter la constitution d’un bloc sino-russe et contrer la montée douce de l’impérialisme chinois.

La Russie intervient dans son voisinage

Quand on jette un regard en arrière sur la liste des interventions russes (et URSS), elle est frappante. Les troupes russes interviennent régulièrement dans leur voisinage. Deux interventions majeures durant la guerre froide : 1956 Hongrie, 1968 Tchécoslovaquie. Et cinq interventions depuis la chute du mur de Berlin : 1992 Moldavie (guerre de Transnistrie), 1992-1993 Géorgie pour l’Abkhazie (avec plus de 20.000 morts civils et militaires) et l’Ossétie du Sud, 2008 Géorgie de nouveau pour l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, 2014 Ukraine (Crimée et Donbass), 2022 Ukraine (toutes zones). Soit une intervention tous les dix ans en moyenne. Et une accélération nette depuis 2007 (tous les six-huit ans). D’où l’inquiétude des pays d’Europe de l’Est (Pologne, Baltes et Roumanie particulièrement), plutôt compréhensible.

Si on contrebalance cela par les interventions de l’OTAN dans le « voisinage » russe (ou ce qu’elle considère comme son voisinage), on peut comptabiliser trois interventions majeures visant à un changement de régime (regime change) : le Kosovo 1999, l’Afghanistan 2001, la Libye 2011. Ces deux dernières n’étant pas vraiment couronnées de succès. NB : l’intervention en Iraq 2003 comme en Syrie 2012 ne peuvent être considérées comme du voisinage, mais sont plutôt des zones d’adversité confrontationnelles.

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[Editorial] Le Qatargate, une très bonne nouvelle finalement ?

Mon, 09/01/2023 - 09:05

(B2) La révélation de la corruption possible de plusieurs députés, ou anciens eurodéputés, et de leurs assistants parlementaires, par le Qatar ou le Maroc, révèle une démocratie qui fonctionne. À plus d’un titre.

Le siège du Parlement européen à Bruxelles, côté rue Wiertz (© NGV / B2)

Les processus anti-ingérences ont fonctionné

Premièrement, on peut se réjouir d’une certaine efficacité des processus anti-corruption, y compris quand il s’agit d’ingérence étrangère. Certes il y a eu défaillance des processus internes de prévention au niveau politique. Ceci devra être réparé. Mais le dispositif de contrôle a posteriori, policier et judiciaire, notamment en Belgique et en Italie, a bien fonctionné (lire : [Actualité] Arrestations à Bruxelles pour corruption au Parlement européen. Le Qatar en ligne de mire). C’est finalement la logique même de la corruption, qui est avant tout un crime et doit être traité comme tel.

Une sphère d’influence internationale

Deuxièmement, il souligne le rôle non négligeable du Parlement européen, au niveau de la politique extérieure européenne. Si à l’intérieur du continent, ces textes plutôt anodins, passent souvent inaperçus, sont incompris, laissés de côté, voire méprisés, y compris par les plus avertis. À l’extérieur de l’UE, ce n’est pas du tout le cas. Ces prises de position sont jugées à la hauteur de leur importance : notable. Nombre de gouvernements suivent de près ces textes et tentent de les influencer dans le sens qui leur est favorable.

Le baromètre de la relation avec un pays tiers

Derrière les mots, il y a en effet un risque réputationnel certain, mais aussi et surtout un risque d’amoindrissement des relations politiques, économiques, sociales. Ces textes sont ainsi autant de baromètres posés sur la relation entre l’UE et un pays tiers. Ce sera pour l’un la libre circulation des visas, pour l’autre un accord de partenariat, ou des participations à des projets économiques. Dans tous les cas, un bon niveau de relation avec l’Union européenne est pour une grosse majorité des pays du globe sinon une nécessité, du moins un « Plus » utile. Tous les moyens d’influence habituels pour tenter de sauvegarder leurs intérêts sont donc employables : charme, diplomatie, conviction politique, sympathie intellectuelle ou géographique, etc. L’Europe doit en avoir conscience et « blinder » sa diplomatie.

Deux erreurs à ne pas commettre dans l’opération mains propres

Dans cette opération « mains propres » à l’Européenne, il ne faudrait cependant pas, sous prétexte de transparence et de sauvegarde des intérêts, se tromper de combat.

Considérer que ces prises de position sont toutes truquées ou ne servent à rien, serait dommageable. Ce serait ne plus permettre au Parlement européen de jouer tout son rôle dans la diplomatie « douce » qui est son domaine de prédilection, de prendre des positions plus déterminées parfois que les politiques européens en condamnant telle violation des droits de l’Homme.

Interdire tout contact entre parlementaires et les pays tiers serait une autre erreur. Au contraire, ils doivent être permis, voire même encouragés. Ce n’est pas en interdisant à tel diplomate de venir dans les couloirs du Parlement qu’on empêchera la corruption ou les jeux d’influence d’avoir lieu. Ces contacts auront lieu ailleurs, dans les bars entourant la place Lux’ ou le rond-point Schuman par exemple, dans les lieux bien discrets des ambassades ou à l’étranger.

En revanche, une réglementation plus stricte des cadeaux ou invitations en tout genre, une publicité plus claire et systématique de tous ces contacts serait très utile. Une tentative de pression, de contact, rendue publique, suffit en général à annihiler le demandeur et préserve le receveur de toute pression ultérieur. Dans ce domaine, le Parlement européen est plutôt en retard sur les autres institutions européennes (Lire : Le QatarGate au Parlement européen : un séisme qui révèle des défaillances).

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire notre [Dossier n°96] L’affaire Qatargate et MarocGate éclate. Tempête sur le Parlement européen et [Actualité] Le Qatargate et le MarocGate : un véritable pacte d’influence !

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La défense européenne retrouve des couleurs en 2022… Bonne année 2023

Sat, 31/12/2022 - 19:22

Si vous n’avez pas encore lu notre article d’analyse sur les évolutions de ces derniers mois.. sur le Pro (article ouvert à tous) : Ces dix mois qui ont changé la défense européenne. A son insu de son plein gré

© NGV – campagne ukrainienne près de Tchernihiv – mai 2022

En vous souhaitant une excellente année 2023

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Le QatarGate au Parlement européen : un séisme qui révèle des défaillances

Mon, 12/12/2022 - 08:20

(B2) Une vice-présidente du Parlement européen incarcérée. Ainsi qu’un ancien président de la commission des droits de l’Homme. Un eurodéputé et plusieurs autres assistants parlementaires perquisitionnés, un syndicaliste de renom impliquéEn pleine Coupe de monde de football, la révélation que le Qatar a fait passer des valises de billets à des responsables européens pour influencer l’avis européen pose de nombreuses questions.

Une des mises en cause, la vice-présidente du Parlement européen Eva Kaili rencontre le ministre du travail qatari Ali Bin Samikh Al Marri à Doha (photo : MOFA Qatar)

Une surprise totale

La procédure déclenchée par la police fédérale belge et le parquet financier contre plusieurs eurodéputés et assistants parlementaires a été une réelle surprise (lire : [Actualité] Arrestations à Bruxelles pour corruption au Parlement européen. Le Qatar en ligne de mire). Personne ne semblait au courant au sein de l’institution parlementaire, ni même dans la bulle européenne. Autant dire que les révélations des belges Le Soir et Knack, suivies très rapidement de la confirmation du parquet fédéral, suscitent l’émoi depuis quelques jours.

Des failles dans le fonctionnement parlementaire

Le fait que certains aient monnayé leur soutien avec une somme d’argent laisse planer plus qu’un malaise sur l’institution parlementaire. Elle sème d’autant plus la consternation que certaines des personnes impliquées directement (Pier Antonio Panzeri) ou indirectement (Marc Tarabella) jouissaient d’une excellente réputation de personnes très engagées sur l’Europe et les droits de l’Homme. Elle pose aussi nombre de questions sur les failles au sein de l’institution parlementaire, très soucieuse du respect de l’État de droit.

Un véritable séisme

Le Parlement européen se trouve confronté pour la première fois de son histoire face à une crise majeure, équivalente (toutes proportions gardées) à celle qu’avait subi la Commission européenne au moment de l’affaire Cresson à la fin des années 1990. Affaire qui avait entraîné la chute de la Commission Santer, et entraîné un net affaiblissement durant des années de l’exécutif européen… au profit des États membres.

Un lobbying ravageur

Ce qui n’est pas une surprise, en revanche, c’est l’intense lobbying mené par le Qatar. Si certains s’étaient exprimé très vite lors du vote de la résolution la dernière plénière (l’eurodéputée de la gauche Manon Aubry notamment ou celui de Renaissance, Pierre Karleskind), ils n’étaient pas légion à l’époque. Les langues commencent à se délier, aujourd’hui. Un peu tard. Le mal est fait. La Commission européenne semble aussi très perméable au lobbying efficace du Qatar (1).

Le Qatar, le Maroc et les autres

Doha n’est pas le seul pays à mener un tel lobbying. Régulièrement, les échos se font de la pression de plusieurs pays, sensibles aux prises de position du Parlement européen. Un paradoxe certainement. Mais à l’extérieur de l’Union européenne, les prises de position du Parlement européen sont surveillées de près, comme du lait sur le feu, par les chancelleries étrangères. Ce n’est pas un secret que des pays comme le Maroc, la Turquie ou les républiques d’Asie centrale — le Kazakhstan en tête… (lire : Les drôles de pratiques d’un Etat d’Asie centrale à Bruxelles) comme l’Azerbaïdjan — mènent un lobbying très actif pour défendre leurs intérêts et sont parfois à la limite de la légalité (2).

Des faits dénoncés par l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann (Place Publique / S&D) dans un entretien à B2 en mars dernier : « Si la Russie a mené les ingérences de manière la plus brutale et systématique, derrière il y a en a d’autres. Je pense au Qatar. C’est un autre problème fondamental d’avoir à ce point laissé le Qatar faire un marché dans la classe politique. Il y a aussi la Turquie, l’Azerbaïdjan » (lire : Ingérences étrangères. Russie, Chine, Qatar… L’Europe n’a qu’à bien se préparer (R. Glucksmann)).

Chine, Russie et USA

Les pressions de la Chine et la Russie, utilisant toutes les méthodes, y compris l’espionnage et l’entrisme, ont été bien décrites récemment (lire : Le Parlement européen ferme ses portes aux lobbys russes). Mais même des pays dit « amis », comme les États-Unis font entendre puissamment leurs voix, convoquant presque les eurodéputés, en cas de mise en danger de ce qu’ils considèrent leurs intérêts (lire : Les États-Unis déclenchent une opération de lobbying pour miner le Fonds européen de défense).

Une révolution à produire au sein du Parlement

Si on discute avec des députés individuellement, certains relatent régulièrement ce type de pression, d’autres les taisent, gênés ou peu soucieux de s’épancher sur ce qui constitue leur vie ordinaire. Cette réalité, le Parlement européen doit désormais la prendre à bras le corps. Il pourrait, par exemple, créer un office anti-lobby permettant à ses députés de dénoncer toutes ces tentatives. Regrouper ces pressions multiples dans des rapports rendus publics, régulièrement, au besoin par communication de presse, serait un premier moyen pour tenter de diminuer la pression (3).

Convoquer les ambassadeurs des pays faisant trop pression

Au besoin, la présidence du Parlement européen, et les autorités européennes, pourraient aussi utiliser tous leurs pouvoirs — comme le ferait n’importe quelle assemblée ou État objet d’une tentative d’infiltration. Des lettres pourraient être adressées aux impétrants, voire rendues publiques. Rien n’interdit non plus de convoquer les ambassadeurs qui œuvrent de façon cachée, voire en monnayant leurs services. De façon conjoncturelle, en toute logique, l’ambassadeur du Qatar auprès de l’UE devrait quitter son poste, ou son rappel être demandé aux autorités de Doha.

L’importance du Parlement européen

Cette affaire révèle aussi un point fondamental. Les résolutions que vote et débat l’assemblée parlementaire, dans un silence parfois assourdissant, ont une importance que nombre de médias ignorent ou sous-estiment. C’est un point que j’ai pu vérifié régulièrement, avec tous les journalistes de B2. Dès qu’on est en contact avec un diplomate hors de l’Union européenne, il se préoccupe de façon très importante de la position du Parlement européen qui a une énorme résonance au-delà des frontières (lire : [Décryptage] Les résolutions d’urgence du Parlement européen, une voix diplomatique off qui dérange).

(Nicolas Gros-Verheyde)

  1. Quand vous lisez attentivement le débat sur la résolution, on peut s’apercevoir que la position prise par les socio-démocrates — certes il y a des problèmes au Qatar, mais celui-ci a fait d’énormes progrès — a été celle, mot pour mot, de la Commission européenne. La commissaire européenne (pour la Santé), la Chypriote Stella Kyriakides (PPE), intervenue sur le sujet — au nom de la Commission — a été plus que prolixe pour louer les mérites du Qatar. Et les rencontres sont nombreuses entre les différents responsables du Qatar et le vice-président de la Commission, Margaritis Schinas (ND/PPE).
  2. Lobbying finalement toléré car l’Europe a besoin plus que jamais du Qatar ou du Kazakstan, pays fournisseurs de matières premières (gaz, pétrole, etc.).
  3. Certains évoquent une autorité indépendante chargée de suivre les délits financiers. Cet organe existe : l’OLAF, l’office de lutte anti-fraude, créé en 1999, après l’affaire Santer.

Lire aussi :

Ingérences étrangères. Russie, Chine, Qatar… L’Europe n’a qu’à bien se préparer (R.Glucksmann)

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Les exclus et confidentiels de B2 cette semaine

Fri, 09/12/2022 - 21:25

(B2) Parus sur B2 Pro ces derniers jours

La Facilité européenne pour la paix va être regarnie. Un accord se dégage entre les 27. La discussion, les modalités d’un accord. Tous les chiffres et points de discussions.

[Confidentiel] La Facilité pour la paix va être regarnie. Un accord se dégage entre les 27

La présidente de la sous-commission Défense du Parlement européen Nathalie Loiseau a remporté une victoire en obtenant une égalité de traitement avec la commission Industrie. Conséquence : l’examen d’EDIRPA, le fonds de l’Union européenne pour l’achat en commun de matériel de défense peut enfin commencer au Parlement européen.

[Confidentiel] EDIRPA : l’examen peut (enfin) commencer au Parlement européen

La Suède dans les starting-blocks. À quelques jours de la prise de fonction par Stockholm de la présidence du Conseil de l’UE, il est intéressant de voir ce qu’ils pensent. En fait, à bien écouter Pål Jonson, la Suède repense sa défense en lien avec l’OTAN.

[Entretien] Entre UE et OTAN, le cœur des Suédois balance. Pål Jonson s’explique

Quel impact pour les sanctions européennes contre la Russie ? Comment la Commission européenne évalue les dommages causés, les conséquences sur les relations commerciales ? Sur quels critères sont choisis les secteurs à cibler ? Quid du double usage, des alternatives pour les Russes, des voies de contournement ? Tous les détails.

[Décryptage] Quel impact pour les sanctions européennes contre la Russie ?

Comment l’Europe reconfigure ses missions EUTM et EUCAP en Somalie à l’approche d’ici fin 2024 du départ des troupes africaines de maintien de la paix et de la reprise en main par la Somalie de sa propre sécurité ?

[Confidentiel] L’Europe reconfigure ses missions EUTM et EUCAP en Somalie

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100.000 militaires ukrainiens décédés ? La grosse bourde signée Ursula von der Leyen

Fri, 02/12/2022 - 11:35

(B2) En donnant le chiffre de plus de 100.000 militaires ukrainiens morts, dans une petite vidéo diffusée par tweet mercredi (30 novembre), la présidente de la Commission européenne a commis une triple bourde.

La capture photo de la vidéo dans laquelle U. von der Leyen annonce le chiffre (DR)
  • La vidéo originale a été ensuite retirée de Twitter et remplacée par une autre qui ne mentionne plus ce passage.

Une triple défaillance présidentielle

Premièrement, ce chiffre est faux. Les 100.000, ce ne sont pas les « officiers militaires décédés », comme le dit la présidente ! Ce sont toutes les personnes hors combat, donc décédées (au combat ou ailleurs, accidents, etc.), blessées gravement ou très gravement, celles qui ont été faites prisonniers, celles qui ont disparu, ou ont été exécutées par les Russes. Que ces personnes soient officiers (1) ou simples soldats, volontaires ou de la réserve territoriale, policiers, douaniers, agents du renseignement (SBU, etc.) ou autres personnels officiels, nombreux à être au front ou frappés par la guerre. Et, encore, c’est une évaluation (2).

Deuxièmement, et c’est le plus grave, ce chiffre n’a jamais été révélé par les Ukrainiens (3). C’est même « secret défense ». Seul le président Volodomyr Zelensky (ou son entourage) a « le droit de communiquer sur ce sujet ». Un point confirmé à B2 par un responsable de l’armée ukrainienne (lors de notre déplacement à Kiev en mai).

Troisièmement, jusqu’à présent le chiffre a toujours été (très) minoré, sciemment. Dans un objectif classique en temps de guerre : maintenir le moral des troupes. Kiev communique ainsi allègrement sur les pertes russes, donnant jour après jour le décompte de leurs morts, jamais sur ses propres pertes. Et vice-versa.

Un dérapage mal contrôlé… Explications

L’objectif du tweet

Cette vidéo était surtout destinée à souligner les deux propositions faites quelques heures plus tard : sur la mise en place d’un tribunal international ad hoc pour juger du crime d’agression russe en Ukraine (lire : Tribunal international pour l’Ukraine : les idées de la Commission européenne) et pouvoir utiliser une partie des avoirs russes gelés par les sanctions de l’Union afin de financer la reconstruction en Ukraine (lire : Pour reconstruire l’Ukraine, la Commission propose de jouer en bourse les avoirs russes).

La communication fait faillir la politique

Comme c’est son habitude, la présidente de la Commission européenne a voulu anticiper ce qu’allaient dire “ses” commissaires en publiant, depuis son bureau, une petite vidéo avec quelques phrases choc. Une manière de communiquer qui fait grincer des dents, dans tous les étages du Berlaymont, le bâtiment qui abrite l’exécutif européen à Bruxelles, comme dans les rangs des journalistes (cf. encadré).

Vidéo retirée en urgence

S’apercevant de la bourde, le service du porte-parolat a rapidement retiré la vidéo, pour la remplacer quelques minutes plus tard, par une autre, où le passage incriminé ne figure plus. Celui-ci ne figure d’ailleurs pas dans le transcript fourni ensuite à la presse.

Tentative de justification

La copie écran du tweet de Dana Spinant

La porte-parole adjointe de la Commission européenne, Dana Spinant, appelée à la rescousse, publie rapidement un tweet, plutôt lunaire, sans aucune excuse : « Un grand merci à ceux qui ont souligné l’inexactitude concernant les chiffres dans une version précédente de cette vidéo. L’estimation utilisée, à partir de sources externes, aurait dû faire référence aux victimes, c’est-à-dire à la fois tués et blessés, et visait à montrer la brutalité de la Russie. »

Des arguments peu crédibles

Interrogée ensuite par la presse, lors du “midday briefing”, l’exercice quotidien de questions-réponses de la Commission européenne avec la presse bruxelloise, Dana tente, tant bien que mal, de justifier sa patronne : « Ce sont des chiffres externes mis dans le domaine public. La Commission [européenne] n’a pas ses propres chiffres là-dessus (4). Nous avons considéré, rétrospectivement, qu’il ne fallait pas entrer dans la discussion des chiffres. C’est pourquoi nous avons expliqué, je pense clairement, que nous préférons retirer une première version de la vidéo. Et se focaliser sur une deuxième version sur des sujets de substance […] Il n’y a donc pas lieu de rediscuter des chiffres puisque nous avons admis qu’il n’était pas fructueux de s’occuper d’en discuter. » (5)

La leçon : une bourde (très) difficile à justifier

Pour une ancienne ministre de la Défense, ce type de bourde est réellement impardonnable ! Cela révèle les limites du personnage qui soigne sa communication, préférant communiquer à coups de tweets et petites vidéos (souvent diffusées avant l’annonce officielle d’évènements par « ses » commissaires) que lors de rituelles conférences de presse, où elle pourrait être désarçonnée par quelques questions imprévues (et à laquelle elle ne peut répondre).

Pour Ursula Von der Leyen, qui rêvait à un grand destin après son poste de présidente à la Commission en novembre 2024, éventuellement comme secrétaire générale de l’OTAN, cette bourde pourrait coûter cher. Honnêtement qui fera confiance à une personne qui quelques jours plus tard révèle l’information au grand public, juste pour se mettre en valeur ?

(Nicolas Gros-Verheyde)

La communication très contrôlée de von der Leyen. Ursula von der Leyen rechigne à l'exercice des conférences de presse générales, avant chaque Conseil européen, où toutes les questions peuvent être posées par tous les journalistes. Elle préfère des petits conciliabules avec une vingtaine de journalistes, triés sur le volet, où les questions sont bien contrôlées (gaffe à celui qui dépasse la ligne jaune, il ne sera plus réinvité). Mais, le plus souvent, elle fait des déclarations après un évènement (point VIP ou statement dans le langage bruxellois) ou elle publie de petites capsules vidéo, préparées soigneusement par son équipe de communication rapprochée. Un moyen d'éviter toute question, qui (apparemment) déstabilise cette femme, très politique, intelligente, très convaincue elle-même de l'importance de l'Europe, comme de la politique de défense européenne. Mais qui redoute, avant tout, de perdre le contrôle et de ne pas maitriser ses dossiers.
  1. Ce peut être une erreur de traduction, avec la confusion classique du terme “officers” (qui en anglais désigne soit les militaires, soit tous les agents de l’État).
  2. Car concrètement, en temps de guerre, où des centaines de milliers de personnels sont engagés, où le front bouge tout le temps, il est très difficile d’avoir une comptabilité précise.
  3. Le chiffre a été mentionné par le chef d’état-major des armées US Mark Milley, dans une conversation à l’Economic Club of New-York courant novembre. Mais son propos était si évasif et si contestable (sur certains chiffres). Parlant d’une possible « fenêtre d’opportunité pour la négociation », il justifie son propos par ceci : « il y a d’énormes souffrances humaines. Il y a peut-être 15, 20 30 millions de réfugiés (sic !), probablement 40.000 civils ont été tués. […] plus de 100.000 [militaires] russes tués et blessés. Et, sans doute, la même chose coté ukrainien ». (script et traduction : NGV)
  4. Ce qui n’est pas tout à fait exact… Le chiffre indiqué semble plutôt provenir d’une analyse “maison” faite par l’IntCen (le centre d’analyse du renseignement du SEAE, le service diplomatique européen) qui produit régulièrement des synthèses d’analyse du renseignement, à partir de sources ouvertes (généralement), mais aussi d’informations fournies par les États membres. Des informations classifiées au plus haut niveau, destinées uniquement à un cercle très restreint de personnes au sein de l’Union européenne (Haut représentant Josep Borrell, président du Conseil européen Charles Michel, structures militaires de l’UE et présidente de la Commission européenne, le cas échéant).
  5. Transcript du point de presse du 1er décembre fait par l’équipe de B2 (merci Marion !)

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