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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
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Trump, l’onde de choc populiste

Wed, 09/11/2016 - 13:16

Suite à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Politique étrangère vous propose de lire en avant-première l’une des recensions de son prochain numéro (n°4/2016) à paraître début décembre, et qui fait l’analyse des ouvrages de Marie-Cécile Naves, Trump, l’onde de choc populiste (FYP Éditions, 2016) et de Laure Mandeville, Qui est vraiment Donald Trump ? (Éditions des Équateurs, 2016).

Marie-Cécile Naves et Laure Mandeville tentent d’éclairer le phénomène Donald Trump. Après la stupeur provoquée en mai 2016 par l’investiture du milliardaire new-yorkais comme candidat républicain à l’élection présidentielle de novembre, elles reviennent sur l’un des épisodes les plus étonnants de l’histoire politique récente des Etats-Unis.

Médiatique, rendu célèbre par ses grands projets immobiliers, Trump n’est pourtant pas rompu aux règles du débat politique. Peu porté sur la bienséance et délesté de toute ligne idéologique claire, il se démarque clairement de l’establishment républicain, apparaissant début 2016 comme un outsider inconséquent face aux favoris Jeb Bush, Ted Cruz et Marco Rubio. Mais contre toute attente, the Donald évince un à un ses concurrents. À partir d’analyses assez similaires, les deux auteurs montrent que ce succès était, à certains égards, prévisible.

Ils évoquent d’abord la révolte qu’incarne Trump : ses opinions iconoclastes sur l’immigration, le libre-échange, l’interventionnisme américain et l’OTAN renforcent sa popularité. Elles le rapprochent des populistes européens comme Marine Le Pen, mentionnée à plusieurs reprises, mais aussi, selon Mandeville, de la révolte « jacksonnienne », mouvement « culturel et économique », porté par une classe moyenne blanche lasse des oppositions partisanes traditionnelles et méfiantes vis-à-vis des élites financières et du libre-échange. Naves pointe un lien d’affiliation avec le Tea Party, dont Trump aurait largement repris les penchants jacksoniens.

Les deux livres soulignent aussi la singularité du personnage, insaisissable et imprévisible, ainsi que le mythe qu’il a construit autour de son nom. Mandeville invoque par exemple un destin exceptionnel (jeunesse, famille, succès médiatique). Mais ce qui marque encore plus les auteurs, c’est la capacité de Trump à adapter son discours aux circonstances : l’un pointe son « populisme à géométrie variable » (Naves), l’autre le qualifie de « pragmatique opportuniste » (Mandeville).

D’un point de vue sociologique, il faut voir dans le succès de Trump la mobilisation de la working class blanche inquiète pour son avenir, sa situation sociale et son identité fantasmée. C’est l’Amérique oubliée par les élites républicaines et démocrates, oubliées aussi de la mondialisation et de la reprise économique post-crise de 2008.

Les deux ouvrages refusent cependant d’aborder l’hypothèse d’un « fascisme trumpien ». Naves l’effleure tandis que Mandeville la balaye d’un revers de main. Certes, l’absence de corpus idéologique précis empêche de définir catégoriquement Trump comme fasciste ; tout comme son absence d’expérience politique rend bancal tout jugement a priori. Pourtant, les similitudes observées avec les droites populistes européennes poussent à poser plus sérieusement la question. Certes, l’« homme nouveau » et la révolution de la société en faveur d’un accomplissement idéologique n’apparaissent pas dans la doctrine trumpienne ; mais le candidat frôle sans crainte ces piliers principiels du fascisme : pas d’homme nouveau mais un Américain idéal, mâle, blanc, anglophone, chrétien ; pas de table rase, mais une destruction du système politique bipartisan et une contestation profonde du statu quo. En outre, le discours du candidat républicain et les expériences fascistes du XXe siècle convergent dans l’expression d’un nationalisme incantatoire, protectionnisme et racial. Enfin, comme le rappelle avec virulence Robert Kagan, la réminiscence du fascisme s’incarne dans la figure de l’homme fort prônée par le milliardaire : sûr de lui, viril et narcissique, il tient entre ses mains la destinée de la nation.

Brice Zanette

Découvrez également la contribution de Laurence Nardon, « À quoi ressemblerait une présidence Trump ? », publiée dans le RAMSES 2017. Un monde de ruptures (Dunod/Ifri, septembre 2016), ainsi que la mini-interview correspondante en cliquant ici.

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La politique étrangère d’une société primitive

Mon, 07/11/2016 - 12:08

Ainsi qu’annoncé la semaine dernière, à l’occasion du 80e anniversaire de Politique étrangère, nous vous proposons de découvrir chaque semaine l’un des textes qui a marqué la revue. Cette semaine, (re)lisez l’article de Claude Lévi-Strauss, « La politique étrangère d’une société primitive », publié dans le numéro de printemps 1949 (n°2/1949).

Élu à l’Académie française en 1973, Claude Lévi-Strauss (1908-2009) est connu pour sa carrière d’ethnologue et d’anthropologue. Au début des années 1950, moment de sa contribution à Politique étrangère, il est maître de recherches au CNRS. Il deviendra ensuite sous-directeur du musée de l’Homme, puis directeur d’études à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études. Il publie en 1955 Tristes Tropiques (1955) et est élu à la chaire d’anthropologie sociale du Collège de France en 1959.

« Le sujet du présent article présente, dans son énoncé même, quelque chose de paradoxal. Nous ne pensons pas spontanément qu’une société primitive, ou du moins cet ensemble d’une extraordinaire diversité que nous groupons, de façon un peu maladroite, sous ce vocable qui ne signifie pas grand’chose, puisse avoir une politique étrangère. La raison en est que les sociétés primitives, ou prétendues telles, nous apparaissent comme des sortes de conservatoires, des musées vivants ; de façon plus ou moins consciente, nous n’imaginons pas qu’elles auraient pu préserver des genres de vie archaïque ou fort éloignés des nôtres propres, si elles n’étaient restées comme autant de petits mondes clos, complètement isolés de tous les contacts avec l’extérieur. C’est seulement dans la mesure où elles représenteraient des expériences isolées du reste de l’univers social qu’elles pourraient prétendre au titre de « sociétés primitives ».

En raisonnant de la sorte, on commettrait une fort grave erreur de méthode, car s’il est vrai que, par rapport à nous, les sociétés dites primitives soient des sociétés hétérogènes, cela n’implique nullement qu’elles le soient, au même titre, par rapport à d’autres sociétés.

Il est bien évident que ces sociétés ont une histoire, que leurs représentants ont occupé le globe terrestre depuis une période de temps aussi longue que n’importe quels autres; que, pour elles aussi, il s’est passé quelque chose. Cette histoire n’est peut-être pas la même que la nôtre. […] »

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Origine et éléments de la conception française du « règlement général » de la paix en Europe

Fri, 04/11/2016 - 09:00

À l’occasion du 80e anniversaire de Politique étrangère, nous vous proposons de relire chaque semaine l’un des textes qui a marqué la revue. Cette semaine, (re)découvrez l’article de Pierre Brossolette, « Origine et éléments de la conception française du  « règlement général » de la paix en Europe », publié dans le numéro de printemps 1937 (n°1/1937).

Pierre Brossolette (1903-1944) repose au Panthéon depuis 2015. Il est surtout célèbre pour son action dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1930, il a été à la fois journaliste et homme politique. Membre de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), il est battu lors des élections législatives de 1936. En 1937, date à laquelle il contribue à la revue Politique étrangère, il présente quotidiennement une chronique de relations internationales à Radio-PTT.

«  Dans le discours à l’occasion duquel, à Lyon, il a défini la politique française à l’égard de l’Allemagne, M. Léon Blum a particulièrement insisté sur la nécessité d’un « règlement général » de la paix européenne. A l’idée d’une négociation purement économique entre le Reich et les autres nations, il a opposé la conception d’un débat associant étroitement l’organisation de la paix et la limitation des armements au développement des relations économiques entre les peuples. A l’éventualité d’un « règlement séparé » entre la France et l’Allemagne, il a opposé l’impossibilité de fragmenter les obligations générales qui résultent pour tous les peuples de leur interdépendance réciproque et de leur qualité de membres de la Société des Nations.

Encore que le chef du gouvernement français ait insisté sur le fait qu’il a ne s’agit pas là, pour lui, de préférences théoriques, mais d’évidences imposées par la logique même des faits, peut-être certains milieux étrangers — certains milieux allemands en particulier — ont-ils pu croire qu’en prenant cette position, M. Léon Blum songeait surtout à opposer une méthode française à la méthode des négociations bilatérales élevée à la hauteur d’un dogme par la diplomatie allemande. Mais rien ne serait plus inexact. Et ce que nous voudrions montrer ici, en rappelant les origines et les éléments de la conception que se fait le gouvernement français du règlement « général » de la paix en Europe, c’est qu’en réalité il y a été conduit, parfois à la suite même de l’Allemagne, par toute l’évolution de la politique internationale depuis quelques années et particulièrement — pour fixer une date — depuis 1933. […] »

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1936-2016 : « Politique étrangère » fête ses 80 ans !

Thu, 03/11/2016 - 11:55

Notre revue Politique étrangère célèbre son 80e anniversaire ! Découvrez en 2 minutes l’histoire de la revue, soit 80 ans d’analyse des grands enjeux internationaux !

 

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Arabie Saoudite, l’incontournable

Wed, 02/11/2016 - 11:40

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jacques-Jocelyn Paul, Arabie Saoudite, l’incontournable (Riveneuve, 2016, 544 pages).

Cet important ouvrage est une contribution intéressante, voire érudite, à la connaissance d’un pays dont la vie politique reste d’une grande opacité pour l’observateur. Son auteur, Jacques-Jocelyn Paul, homme d’affaires résidant dans le pays depuis plusieurs décennies, donne un tableau qui marque une indéniable empathie à son égard, tout en conservant une certaine distance. Abondamment illustré, le livre s’accompagne de nombreux documents, cartes, photographies, arbres généalogiques, encarts qui rendent sa lecture agréable et éclairent certains aspects peu connus de son histoire et du mode de fonctionnement de la famille des Saoud.

Une large place est consacrée à l’histoire. L’auteur remonte à la période pré-islamique puis dessine l’histoire de l’Arabie Saoudite depuis l’époque du prophète jusqu’à nos jours, en évoquant « le pacte inaltérable » avec Abdel Wahad, et en décrivant l’action des souverains qui se sont succédé depuis Ibn Saoud jusqu’au roi Salman. Il insiste en particulier sur le tournant représenté par l’année 1979 qui a connu deux événements majeurs : l’attaque meurtrière de la grande mosquée de La Mecque par un commando mené par Juhayman Al-Otaibi, issu d’une grande tribu du Najd, et les attaques en légitimité de l’imam Khamenei à la suite de l’établissement de la République islamique d’Iran. Ces deux événements menèrent la famille Saoud à pratiquer une escalade fondamentaliste, tandis que les relations avec l’Iran, malgré quelques efforts de conciliation de part et d’autre, aboutissaient à un affrontement avec Téhéran, qui reste plus que jamais d’actualité.

Les chapitres relatifs à la vie politique intérieure, aux caractéristiques de la saoudité, et au mode de fonctionnement du régime familial présentent un grand intérêt. L’auteur décrit les « fondements d’une arabité ancestrale et tribale » en resituant la famille des Saoud dans le dispositif tribal existant dans la péninsule arabique depuis le fond des âges. Il montre l’importance des racines tribales et le jeu des grandes familles saoudiennes. Il éclaire, à l’aide d’arbres généalogiques, le who’s who de la famille des Saoud et de ses différents clans, entre lesquels se répartissent quelque 4 000 membres. Il rappelle le mode de succession, et souligne que le saut de génération est maintenant engagé. Malgré les défis auxquels le pays doit faire face, il estime que le régime est solide compte tenu de ses fondements tribaux et religieux.

Les défis extérieurs, à travers les champs de bataille sur lesquels l’Arabie s’affronte avec l’Iran, la Syrie, le Liban, le Yémen notamment, tout comme la façon dont l’Arabie Saoudite les affronte, auraient pu être plus développés. À l’évidence, la diplomatie du chéquier jusqu’à maintenant pratiquée et la promotion d’un islam unitariste – mot que l’auteur préfère à wahhabite – ne suffisent plus. La « doctrine Salman », née de la dégradation des relations avec les États-Unis, marque une rupture trop récente pour que l’auteur ait pu l’étudier. Il est trop tôt pour en apprécier la pertinence et l’efficacité. Il est vrai que l’Arabie Saoudite doit faire face à des défis sans précédent à un moment où ses ressources financières sont sérieusement affectées, depuis la chute du cours du pétrole, chute à laquelle elle a elle-même contribué.

Ce livre contribue à décrypter l’action d’un pays incontournable mais dont le mode de gouvernance et la politique intérieure et extérieure sont de plus en plus mal perçus dans les pays occidentaux.

Denis Bauchard

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Europe, les identités troubles

Fri, 28/10/2016 - 09:10

Après l’opposition du Parlement wallon que préside Paul‎ Magnette à la signature de l’accord de libre échange UE/Canada,  et à la veille du 60e anniversaire du traité de Rome, nous vous proposons de relire l’article de Sophie Heine et Paul Magnette, Sophie Heine et Paul Magnette, « Europe, les identités troubles »,  publié dans le numéro d’automne 2007 de Politique étrangère (n°3/2007).

« La fête fut triste. Rongée par les doutes, frappée de morosité, l’Europe des Vingt-Sept n’a pas su faire du 50e anniversaire du traité de Rome un motif de réjouissance. Vue d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie, l’entreprise européenne est un exemple unique de pacification, de stabilisation démocratique et de reconstruction économique. De l’intérieur, en revanche, elle apparaît au mieux comme une entreprise fonctionnelle aride, au pire comme un ferment de dissolution des nations, des traditions et des acquis sociaux.

Comment s’explique ce retournement ? L’Europe est peut-être victime de son succès : parce qu’elle a atteint ses objectifs essentiels, elle perd, comme l’écrivait déjà le Premier ministre belge Léo Tindemans en 1975, « son parfum d’aventure ». Peut-être le mal est-il plus profond. Dans l’opinion française, et dans de larges pans des opinions des pays d’Europe occidentale, le sentiment se répand que l’Europe a progressivement perdu le sens d’elle-même. L’extension continue des compétences européennes depuis le milieu des années 1980, et le vaste élargissement de l’Union vers le Nord et l’Est, auraient, selon ce point de vue, lentement dissous le projet européen. […] »

Pour lire l’article dans son intégralité, cliquez ici.

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Le Mali contemporain

Thu, 27/10/2016 - 10:36

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Alain Antil, responsable du Programme Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Joseph Brunet-Jailly, Jacques Charmes et Doulaye Konaté, Le Mali contemporain (Éditions Tombouctou/IRD, 2014, 668 pages).

Cette somme collective constitue une radioscopie sans concession d’un pays fragile soumis à des transformations multiples et rapides. Les auteurs pointent la faillite d’un État inefficace, corrompu, qui ne semble pas au service des populations du pays, représentant un coût économique trop important et en franc décalage avec le niveau de richesse du pays : « Faut-il rappeler que le nombre des agents de l’État (fonctionnaires et conventionnaires) a été multiplié par 5 entre 1961 et 1987 et que, au milieu des années 1980, le salaire moyen des fonctionnaires maliens représentait 10 fois le produit national brut par tête du pays ? Faut-il se rappeler que les fonctionnaires maliens se plaignaient déjà, alors, du niveau de leurs rémunérations alors qu’à la même époque, le salaire moyen des fonctionnaires de l’administration centrale dans les pays d’Asie à faible revenu (Bangladesh, Pakistan, Laos, Sri-Lanka), pays comparables au Mali en termes de produit par tête, était environ de deux fois ce dernier ? »

La difficulté pour l’administration de délivrer des services, ou même d’arbitrer sereinement les confrontations d’intérêts entre citoyens et/ou entre groupes de citoyens, a fini de détourner les populations de cette instance. Pour beaucoup, l’existence de l’administration malienne n’a d’autre but que de nourrir ses agents.

La « démocratisation » malienne a rapidement peiné à concerner de nombreux segments de la société malienne autrement qu’à travers un clientélisme exacerbé. Le fonctionnement des institutions de l’État paraît généralement coupé de la vie concrète des citoyens, à l’image du Parlement, simple chambre d’enregistrement de l’exécutif, qui dépense, selon les auteurs, beaucoup plus d’énergie à désigner ses multiples bureaux et commissions qu’à s’occuper des problèmes des Maliens. Autre facette de ce difficile fonctionnement de l’État, la mise en place jamais achevée de la décentralisation.

Mais l’ouvrage n’est pas seulement une charge contre l’État. De l’État jusqu’à la famille, en passant par les différents espaces de sociabilité : famille élargie, grins[1], communauté villageoise, communauté religieuse… il observe les transformations sociales à tous niveaux. La section concernant les cadets sociaux est importante pour saisir ces dynamiques sociales. Jeunes contestant l’autorité des aînés, et en particulier des pères qui n’ont plus, dans les espaces ruraux, les moyens économiques de maintenir cette autorité. Femmes qui combattent au quotidien pour arracher des parcelles d’autonomie (notamment le choix du mari). Jeunes qui, alors qu’ils désespèrent de la vie politique, s’engagent dans des processus de contestation locaux et micro-locaux.

Ce livre est certainement incontournable pour qui veut comprendre les dynamiques profondes de la société malienne contemporaine. Il fait cependant presque totalement l’impasse sur la partie nord du pays (pas seulement sa crise mais aussi ses populations), ce qui participe d’une symbolique quelque peu gênante.

Alain Antil

[1]. Le grin est un groupe de jeunes d’un même village ou même quartier, d’une même classe d’âge se réunissant régulièrement pour discuter de sujets politiques, de société ou de simples badinages. À l’origine, il réunissait les garçons ayant subi certains rites (circoncision surtout) au même moment ; ces groupes étaient censés renforcer la cohésion sociale. Aujourd’hui de nombreux grins sont mixtes, et on a aussi des grins regroupant uniquement des femmes, des hommes d’affaires, des retraités…

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Dark Territory. The Secret History of Cyber War

Mon, 24/10/2016 - 10:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Fred Kaplan, Dark Territory. The Secret History of Cyber War (New York, Simon & Schuster, 2016, 352 pages).

Le livre s’ouvre sur une scène étonnante : le 4 juin 1983, à Camp David, Ronald Reagan visionne Wargames, film où un adolescent parvient à hacker les ordinateurs du ministère de la Défense américain. Croyant jouer à un jeu vidéo, il est très près de provoquer la Troisième Guerre mondiale. Ce qu’il a vu interpelle le président et, lors d’une réunion à la Maison-Blanche la semaine qui suit, il questionne son chef d’état-major des armées : « Cela peut-il arriver ? Peut-on pénétrer nos réseaux les plus secrets ? » La réponse, inquiétante, tombe quelques jours plus tard : oui. Cette prise de conscience débouche sur une directive de sécurité nationale qui marque les prémisses de la prise en compte de la question de la cyber-sécurité aux États-Unis.

Le livre explore deux « territoires sombres ». Celui de la cyber-guerre, offensive et défensive, de ses précurseurs et de ses coups d’éclats. Celui de la bureaucratie et de la lutte de quelques hommes face à l’inertie administrative pour faire prendre en compte les problématiques cyber, et en particulier celle de la sécurité des réseaux.

Les succès de la lutte contre les systèmes de commandement irakiens pendant la guerre du Golfe en 1991 aiguisent l’intérêt des militaires pour les opérations de ce type. Plus tard, en 1999, pendant la guerre du Kosovo, les Américains parviennent à rendre partiellement inopérante la défense anti-aérienne serbe. Lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan, l’utilisation du cyber dans les opérations décolle véritablement, en particulier dans le domaine du renseignement. Les Américains « franchissent le Rubicon » avec l’opération Olympic Games qui débute en 2006 et qui vise les centrifugeuses du réacteur nucléaire iranien de Natanz. Il s’agit de la première cyber-attaque lancée dans le but d’une destruction physique d’infrastructure. Elle pousse les Iraniens à créer leur propre unité de lutte informatique offensive, et à lancer une opération en représailles contre l’entreprise Aramco, laissant poindre le risque d’une escalade.

La problématique de la cyber-sécurité émerge réellement, quant à elle, au milieu des années 1990 avec la démocratisation d’internet. Les États-Unis sont de plus en plus connectés et dépendants des réseaux. La protection des entreprises devient une priorité afin d’éviter un « cyber Pearl Harbour », mais la prise de conscience est difficile, dans le privé ou au sein de l’administration. Bien souvent, seul un choc permet une véritable réforme. Il sera triple. Tout d’abord, en 1997, a lieu l’exercice Eligible Receiver. Une équipe de la National Security Agency parvient à hacker l’ensemble des ordinateurs du département de la Défense en n’utilisant que des outils disponibles sur le marché. Ensuite, en février 1998, deux adolescents de San Francisco s’introduisent dans des ordinateurs de la Défense. Enfin, en mars de la même année, des intrusions multiples sont détectées sur les réseaux de la Défense et cette fois cela vient d’une puissance extérieure : la Russie.

À la fin de l’ouvrage, le cas de la cyber-attaque nord-coréenne contre Sony en 2014 permet à Fred Kaplan de réfléchir à deux questions devenues inévitables : à partir de quel niveau une cyber-attaque est-elle considérée comme un acte de guerre ? Comment dissuader une attaque dans le domaine cyber ?

Agréable à lire, Dark Territory est une plongée passionnante dans l’histoire de la cyber-guerre. On regrettera seulement le propos très américano-centré de l’auteur, qui ne satisfera pas les lecteurs désireux d’obtenir des informations détaillées sur les programmes cyber de pays comme la Chine ou la Russie.

Rémy Hémez

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La decepción latinoamericana

Fri, 21/10/2016 - 12:25

Le dernier numéro de Politique étrangère (n°3/2016) dont le dossier est consacré à l’Amérique latine a été récemment mis à l’honneur dans le média espagnol Tendancias21.

América Latina encarnaba hace tiempo una democratización política imparable, una evolución de sus sociedades hacia la reducción de las grandes desigualdades y su inserción  en una economía mundializada. Pero este sueño ha terminado, señala Politique étrangère en su último número. […]

« L’Amérique latine a longtemps incarné un modèle de démocratisation politique en plein essor, une évolution des sociétés vers une réduction des inégalités et une insertion progressive dans une économie mondialisée. Mais ce rêve a pris fin, comme le constate Politique étrangère dans son dernier numéro. »

Pour lire l’intégralité de l’article en espagnol, cliquez ici.

Poutine et la Russie

Thu, 20/10/2016 - 11:11

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Dominique David, conseiller du président de l’Ifri, propose une analyse des ouvrages de Jean Radvanyi et Marlène Laruelle, La Russie entre peurs et défis (Paris, Armand Colin, 2016), de Jean-Jacques Marie, La Russie sous Poutine (Paris, Payot, 2016), et de Jean-François Bouthors, Comment Poutine change le monde (Paris, François Bourin, 2016).

Discourir sur la Russie est aisé : c’est même, depuis quelques années, une mode, tant le sujet se prête à toutes les digressions, tant il pose problème à un Occident qui a quelque peu perdu l’habitude de douter de soi. Dans la multitude de commentaires qu’ont engendrés la rémanence du pouvoir de Vladimir Poutine, la crise russo-ukrainienne, et le « retour » de la puissance russe en Syrie, il faut donc saluer les analyses exigeantes, celles qui se refusent aux facilités idéologiques, et tentent de saisir l’objet d’étude russe dans sa profondeur.

Au premier rang de ces analyses remarquables : La Russie entre peurs et défis. L’ouvrage de Jean Radvanyi et Marlène Laruelle se veut une approche de fond des problèmes russes, puisant à la fois dans les éléments à évolution lente – la géographie, les relations entre les éléments constitutifs de l’État russe, la démographie, certains caractères du fonctionnement économique russe… – et dans l’étude des bouleversements politiques et économiques de ces deux dernières décennies. Résultat : un tableau détaillé et contrasté d’un pays trop souvent considéré par les analystes pressés comme un bloc, fonctionnant au sifflet poutinien.

Radvanyi et Laruelle donnent ainsi un tableau passionnant d’une Russie éclatée entre ses immenses espaces, ravagée par les inégalités géographiques et sociales, terre de brassage des populations et terreau de multiples xénophobies, gouvernée par un pouvoir qui ne peut qu’osciller entre affirmation d’autorité et compromis, équilibre entre des forces sociales, économiques et politiques largement incontrôlées.

L’approche des problèmes économiques du pays, écartelé entre le besoin de modernisation, de redéploiement, la difficile gestion de crises successives (1998, 2008, 2014…), et l’obsession de la perte de contrôle de la part du leadership politique et économique est particulièrement éclairante. Tout comme est finement menée la description de ce que l’on voit trop vite en Occident comme « l’idéologie poutinienne » : en réalité, une synthèse en plusieurs phases, faite de réponses aux défis posés par l’effondrement soviétique et par les stratégies brouillonnes des États occidentaux, bricolage d’incantations à la puissance et de conservatisme de valeurs, improvisation contradictoire, par nature instable et fort peu idéologique…

Jean-Jacques Marie a le mérite de faire partir son ouvrage La Russie sous Poutine (et non, bien sûr, la Russie de Poutine, mirage pseudo analytique) d’un retour sur les traumatismes des années 1990, et d’inscrire l’affirmation du pouvoir de Vladimir Vladimirovitch dans la continuité de ces chocs, internes et externes : effondrement socio-économique, révolutions « de couleur » dans l’étranger proche, manœuvres d’un Occident sûr de soi et de la fin de la puissance russe.

L’intérêt central de cet ouvrage est néanmoins l’analyse très détaillée des réalités sociales de la nouvelle Russie. Syndicalisme largement héritier des traditions soviétiques et incapable de traduire les intérêts des salariés du pays, misère réelle des provinces loin des mirages moscovites, corruption généralisée, criminalité d’État… Le pouvoir de Vladimir Poutine existe certes comme représentation de l’État, mais il est de fait pris dans les rets d’une société déstructurée par 20 années d’anarchie et d’inégalités, et sans doute moins fort qu’il n’y paraît face aux redoutes criminelles privées et publiques.

Quant aux partis politiques, censés porter le développement démocratique, ils sont tout simplement inexistants, réduits à d’évanescents projets électoraux, ou complètement inaudibles par la population : cas, par exemple, des « démocrates », dont la poignée survivante représente surtout l’héritage eltsinien, honni de la grande majorité des Russes. À cet égard, l’éclairage porté sur Navalnyi, incarnation pour l’Occident de la résistance anti-Poutine, d’une part par Radvanyi et Laruelle, de l’autre par Jean-Jacques Marie, retiendra l’attention. Navalnyi n’est décrit par les premiers que dans son rôle de contestataire des élections, quand Marie se réfère à des dimensions plus obscures : en particulier à son militantisme anti-caucasien et aux manifestations xénophobes auxquelles il a participé.

Autre intérêt de l’ouvrage de Jean-Jacques Marie : inscrire les crispations de la politique étrangère du régime dans leur contexte, celui des manœuvres occidentales, et en particulier américaines, de réduction, au sens propre du terme, de la puissance russe. L’auteur souligne cependant la fragilité de l’esprit national ranimé par Poutine, menacé de toutes parts par les difficultés internes – et en particulier économiques – du pays. Très informé, très détaillé, le livre de Jean-Jacques Marie dessine une Russie en désarroi – assez éloignée de l’image du pays « sûr de soi et dominateur » que voudrait donner le régime, et surtout très différente des fantasmes occidentaux sur le retour de la « menace russe ». On pourra contester quelques énoncés du diagnostic politique de Marie ; mais pas les éléments de sa riche description.

Avec Jean-François Bouthors, on se retrouve dans un autre type d’exercice, plus mainstream : une approche idéologique basée sur la détestation du personnage poutinien. Belle question pour les historiens futurs des mentalités politiques : comment a pu se construire en Occident l’image – ravageuse pour l’analyse – du diable Poutine : viril, autoritaire, tout-puissant, ayant prise efficace sur « le monde »… ? Le régime cherche certes à imposer cette image. Mais ce n’est pas la moindre faiblesse des commentateurs pressés que d’acheter cette fausse monnaie.

Moscou agirait donc ainsi parce qu’elle révère la force et parce qu’elle est forte. La thèse centrale de l’essai de Bouthors est que Poutine c’est le règne pervers de la force. Diagnostic éminemment contestable au vu des études détaillées que l’on vient de parcourir. Et que cette perversité vient du personnage Poutine lui-même (obsession du KGB, de « l’espion Poutine », etc.) et de l’héritage du goulag. Poutine = KGB = Goulag = Russie. Rien, naturellement, sur l’évolution géopolitique du monde depuis 20 ans, rien sur les politiques occidentales, rien en réalité sur les éléments sociaux, politiques, géopolitiques, qui permettraient de comprendre les contradictions et les errances de cet immense pays. L’ouvrage se contente de reproduire une vision cavalière obsédée par le personnage de Poutine, déconnectée des réalités russes. La détestation de Vladimir Vladimirovitch ne peut pas tenir lieu d’analyse, et encore moins de politique.

Les travaux de Jean Radvanyi et Marielle Laruelle, et de Jean-Jacques Marie, montrent que les chercheurs de bonne volonté peuvent discuter sur les détails de l’analyse, mais que tout doit partir de la connaissance d’une réalité très composite, que nous avons, en Occident, fait peu d’efforts pour comprendre depuis le début des années 1990. Il est temps de délaisser les réactions épidermiques. La Russie est, qu’on le veuille ou non, un personnage rationnel de la scène internationale. Il s’agit de comprendre les déterminants et les grandes lignes de cette rationalité. Et cela est d’autant plus nécessaire qu’elle est moins proche de la nôtre : la dénonciation idéologique d’une réalité qu’on ne fait pas l’effort de comprendre est mauvaise conseillère.

Dominique David

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L’État islamique est une révolution

Tue, 18/10/2016 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Scott Atran, L’État islamique est une révolution (Paris, Les Liens qui Libèrent, 2016, 156 pages).

Cet ouvrage regroupe trois textes de natures différentes de Scott Atran, anthropologue franco-américain, directeur de recherche au CNRS et enseignant à l’université du Michigan. Le premier est un essai sur la nature de Daech. La thèse défendue a donné son titre au livre : L’État islamique est une révolution. Prenant le contre-pied des travaux de Dounia Bouzar, Atran affirme que l’EI n’est pas une secte qui laverait le cerveau des âmes faibles. C’est, au contraire, un puissant mouvement politico-religieux dont les membres se perçoivent comme une avant-garde révolutionnaire. Ils sont soudés par une cause sacrée – la volonté de mettre en place un nouvel ordre moral –, pour laquelle ils sont prêts à se sacrifier. L’esprit de fraternité qui anime cette avant-garde est une force qui assure à Daech une résilience importante. L’EI compense la supériorité matérielle de ses adversaires par une motivation hors du commun.

Le deuxième texte est une mise en pratique de la thèse qui vient d’être exposée. Il s’agit d’une étude de terrain réalisée dans le nord de l’Irak au début de l’année 2016. Atran a assisté à la bataille de Kudilah. Il en fait une description tactique précise et cherche à en tirer des enseignements stratégiques. Cette bataille est présentée comme une sorte de test miniature permettant d’évaluer l’état des troupes avant une éventuelle tentative de reprise de la ville de Mossoul. Le résultat n’est guère concluant. En large infériorité numérique, les combattants de l’EI réussissent à tenir tête à un adversaire hétéroclite composé de membres de tribus arabes sunnites, de peshmergas, d’unités de l’armée irakienne, sans oublier le soutien aérien des Américains. Les combattants kurdes apparaissent comme très déterminés, mais ils ne sont vraisemblablement pas prêts à s’engager massivement au-delà des limites du Kurdistan. Quant aux tribus arabes sunnites, elles se révèlent faibles et déchirées. Atran constate : « Sous cette bataille contre l’EI affleuraient d’autres conflits peut-être plus inquiétants encore : ceux qui étaient internes à la coalition. On a vu ressortir des querelles historiques, les ambitions rivales, des accusations de lâcheté, chacune des trois grandes forces (armée irakienne, peshmergas, tribus sunnites) ayant l’impression d’être trahie par les deux autres… » Il faudra attendre la fin mars 2016 – et le déploiement de plusieurs milliers de soldats irakiens épaulés par 200 Marines – pour que le village de Kudilah soit repris.

Enfin, le troisième texte est la retranscription d’une allocution de Scott Atran à l’Organisation des Nations unies. L’anthropologue y esquisse trois pistes pour éviter que les jeunes ne soient attirés par l’EI, décrit comme le « premier mouvement de contre-culture au monde ». Tout d’abord, il estime qu’il faut redonner « un sens à leur vie à travers la lutte, le sacrifice et la fraternité ». Ensuite, il suggère d’offrir à ces jeunes « une vision positive et personnelle, susceptible d’être concrétisée ». Enfin, il propose de mettre l’accent sur les initiatives locales, et donne l’exemple du projet Seeds of Peace, créé par deux adolescents au Pakistan et qui consiste à former de jeunes ambassadeurs de la paix. Le plus important, écrit Atran, « c’est le temps que des jeunes consacrent régulièrement à d’autres jeunes ».

Marc Hecker

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Russia in the Arctic: Hard or Soft Power?

Mon, 17/10/2016 - 12:21

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Frédéric Pesme propose une analyse de l’ouvrage de Alexander Sergunin et de Valéry Konyshev, Russia in the Arctic: Hard or Soft Power? (Stuttgart, Ibidem Press, 2015, 160 pages).

La posture et la stratégie de la Russie dans l’Arctique restent des sujets d’interrogation, voire d’inquiétude, dans la mesure où celle-ci ne cesse d’envoyer des signaux contrastés : drapeau en titane planté en 2007 sous le pôle, au fond de l’océan Arctique ; reprise des patrouilles navales ou de bombardiers stratégiques ; décision de réhabiliter certaines bases de l’époque soviétique et de développer des unités spécialisées dans le combat en zone arctique. Tout ceci dans un contexte marqué, depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, par l’augmentation des tensions avec l’OTAN.

Alexander Sergunin et Valery Konyshev ne méconnaissent pas cette difficulté et offrent un tour d’horizon très complet et détaillé des problématiques arctiques de la Russie et de la manière dont elle les aborde. Ils cherchent à démontrer que sa politique arctique évolue vers une approche plus responsable et soft, ce qui n’exclut pas qu’elle demeure sur certains dossiers, plus agressive et hard.

La Russie a en effet les mêmes impératifs et les mêmes difficultés que les autres pays riverains de l’Arctique. Elle doit mettre en valeur un territoire immense, encore difficilement accessible et hostile, en tenant compte des enjeux environnementaux. Elle revendique une extension de sa ZEE et doit encore trouver des accords pour la délimitation de ses frontières maritimes. Elle doit gérer l’irruption d’un nombre croissant d’acteurs dans cette région, notamment via le tourisme ou le transport maritime, ainsi que les problèmes qui en découlent, comme la recherche et le sauvetage en mer. Elle souhaite pouvoir exploiter la route du nord-est que, à l’instar du Canada s’agissant de celle du nord-ouest, elle considère comme une eau intérieure dont l’accès doit être contrôlé, ce qui constitue une source de friction.

Elle doit aussi défendre ses intérêts, asseoir sa souveraineté et se protéger contre les menaces qu’elle anticipe à la faveur de l’ouverture plus grande de cet espace. Pour cela – comme les autres états arctiques – elle renforce son outil militaire. Toutefois, même si le Grand Nord demeure d’une importance stratégique pour la Russie puisque c’est là qu’est basée la composante maritime de sa dissuasion, elle n’anticipe plus de conflit majeur dans cette région. N’ayant pas d’alliés dans l’Arctique, toute la question est de savoir comment elle interprète ce qu’elle considère comme une militarisation de la région par les États-Unis et l’OTAN, qui auraient tendance à apprécier le renforcement russe dans l’Arctique à l’aune des tensions nées depuis 2014 et à en exagérer la portée.

Nos deux auteurs veulent combattre les stéréotypes, bien conscients que le jeu russe depuis 2014 est perçu négativement. Ils démontrent que, pour répondre à ces défis, la Russie privilégie la coopération internationale, qui devient essentielle, et le règlement pacifique des différends, dans le cadre des instances juridiques internationales. Mais cela n’exclut pas qu’elle défende ses intérêts et réagisse à ce qu’elle perçoit comme une menace.

Finalement, la Russie résume à elle seule le paradoxe de l’Arctique. Alors qu’il faudrait donner la priorité au développement et à la coopération, les États investissent d’abord dans les moyens militaires pour des raisons de sécurité et de souveraineté. Si tous mettent en avant la résolution pacifique des conflits, il n’en demeure pas moins que la manière dont tous ces acteurs se perçoivent et coopèrent entre eux est la clé du développement pacifique de cette région.

Frédéric Pesme

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Comment perdre la guerre contre le terrorisme

Wed, 12/10/2016 - 11:36

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de François Heisbourg, Comment perdre la guerre contre le terrorisme (Paris, Stock, 2016, 128 pages).

François Heisbourg signe un essai d’une virulence inhabituelle. Réputé proche du Parti socialiste – il a fait partie du cabinet de Charles Hernu de 1981 à 1984 –, il sonne une charge retentissante contre François Hollande et Manuel Valls, accusés d’« incompétence » et de « médiocrité » dans leur gestion des attentats de 2015.

Le réquisitoire est construit en dix étapes, présentées comme dix règles d’or pour perdre la guerre contre le terrorisme. Le gouvernement aurait multiplié les erreurs – voire les fautes – ce qui, sauf changement de cap, conduirait notre pays à la défaite. Voici les dix reproches énoncés par le procureur Heisbourg. 

  1. Les dirigeants politiques et les responsables de la sécurité n’ont pas su anticiper les attentats.
  2. Les situations d’urgence ont été mal gérées.
  3. La communication opérationnelle a été défaillante.
  4. Les leçons des crises précédentes n’ont pas été retenues.
  5. La menace n’a pas été comprise.
  6. Nos opérations militaires au Moyen-Orient sont inefficaces.
  7. Le gouvernement joue sur les peurs et réagit de manière « hystérique ».
  8. Les mesures annoncées par les dirigeants politiques divisent les Français.
  9. Les principes fondamentaux de la République sont menacés par certaines décisions gouvernementales.
  10. La France agit au détriment de la construction de l’Europe de la sécurité.

Les mots les plus durs de François Heisbourg sont réservés au projet – désormais abandonné – d’intégration à la Constitution de la déchéance de la nationalité. L’auteur parle d’une mesure « atroce », qui nourrirait le « sentiment d’aliénation de nos compatriotes de culture arabe ou berbère », et aurait pour effet d’élargir « le vivier dans lequel Daech et d’autres mouvements djihadistes pourront puiser ». Il dénonce également certaines réformes annoncées qui risquent de conduire à un « état d’urgence permanent ».

Le spectre de l’histoire hante l’auteur. Ce dernier mentionne L’Étrange défaite de Marc Bloch (1940), et affirme que nous nous dirigeons vers une « défaite encore plus étrange », Daech étant loin d’avoir la puissance de feu de l’Allemagne nazie. Il évoque aussi la guerre d’Algérie et soutient que certaines mesures liberticides décidées par le gouvernement de Manuel Valls rappellent celles prises à l’époque de Guy Mollet.

Heisbourg consacre justement la dernière page de son essai à l’Algérie. Il imagine un scénario catastrophe « à la syrienne », qui conduirait ce pays à sombrer dans la violence. « Il faut penser dès maintenant aux mesures sociales, économiques et politiques permettant de limiter l’impact qu’aurait une telle crise » écrit l’auteur, mettant au défi les dirigeants politiques de redonner sens à la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Et de conclure : « L’histoire jugera durement ceux qui choisiront de persister dans l’incompétence et le contresens. »

Si nombre de critiques de François Heisbourg font mouche, d’autres semblent outrancières ou peu convaincantes. Par exemple, il revient à plusieurs reprises sur le fait que le gouvernement aurait dû mettre en place une commission d’enquête comparable à celle créée aux États-Unis après le 11 septembre 2001. Il existe pourtant, en France, une commission d’enquête parlementaire « relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme ». Son rapport, franc et utile, a été publié en juillet 2016.

Marc Hecker

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La Syrie et la communauté internationale

Thu, 06/10/2016 - 10:39

Le 29 septembre dernier, dans l’émission « Le Journal des idées » présentée par Jacques Munier sur France Culture, l’article « Repenser l’Europe » de Dominique Moïsi, publié dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016), a été cité pour évoquer la position de l’Europe face à la crise syrienne.

Face à la situation créée en Syrie, que peut la communauté internationale ?

Les Américains ayant tourné les talons, reste l’Europe. Mais si l’on en croit Dominique Moïsi dans la revue Politique étrangère, elle serait en plein « brainstorming », toute absorbée qu’elle est à se repenser… Et elle se trouve momentanément dépourvue de boussole ; « menacée par trois ismes : le djihadisme, le poutinisme et le populisme ». La crise des réfugiés a fait voler en éclats ses valeurs humanistes avec sa cohésion de façade. Plus de levier pour changer le rapport de force, à moins de se lancer dans des initiatives comme la livraison de missiles portatifs antiaériens à l’opposition – déplorait Marc Semo* dans Le Monde.fr. Nous en sommes réduits à « espérer que la pression morale et la crainte d’un enlisement amènent le Kremlin à composer ».

Pour lire le compte-rendu complet de l’émission, cliquez ici.

Pour (re)découvrir le sommaire du numéro d’automne de Politique étrangère, cliquez ici.

L’Amérique latine à l’honneur

Wed, 05/10/2016 - 16:38

Le site de ressources documentaires irénées.net, dont la vocation est de « favoriser l’échange de connaissances et de savoir-faire au service de la construction d’un art de la paix », a récemment mis à l’honneur le dernier numéro de Politique étrangère (n°3/2016) dont le dossier est consacré à l’Amérique latine.

« Dans son dernier numéro, la revue de l’IFRI fait l’analyse d’une Amérique latine aux espoirs déçus et d’une Europe sans boussole.

 L’Amérique latine incarnait hier une démocratisation politique irrépressible, une tension des sociétés vers la réduction de violentes inégalités, l’insertion croissante dans une économie mondialisée. Le rêve se défait.

 Crise de l’Europe comme continent, crise du processus de construction européenne, crise des institutions de l’Union européenne : l’espérance européenne lutte pour sa survie. »

Pour lire la recension dans son intégralité, cliquez ici.

 

Arrogant comme un Français en Afrique

Mon, 03/10/2016 - 10:14

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Aline Leboeuf, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Antoine Glaser, Arrogant comme un Français en Afrique (Paris, Fayard, 2016, 192 pages).

Antoine Glaser étudie la relation entre la France et l’Afrique depuis des années, et a publié de nombreux ouvrages sur le sujet (dont Africafrance, passionnant). Que peut-il nous apprendre de plus sur ces relations complexes qui lient la France à ses anciennes colonies et à certains de leurs voisins, qu’il n’ait déjà écrit ? On se laisse surprendre par la lecture de son livre. Antoine Glaser y impose une thèse simple : les Français sont arrogants et c’est pour cela que l’Afrique leur échappe ! Il le démontre chapitre après chapitre, étudiant des catégories professionnelles particulières : des politiques, militaires et diplomates aux missionnaires ou aux avocats… La problématique est pratique, mais elle lasse.

Car ce qui fait la valeur d’un « Glaser », c’est l’anecdote, les perles empiriques qui donnent accès à un monde souvent mal compris. Par exemple, la présidente centrafricaine Samba-Panza se rend avec ses gardes du corps rwandais à la réception du 14 juillet 2014 organisée par l’ambassade de France. Ses gardes sont priés de partir. Mais la présidente n’a plus de protection pour rentrer : c’est un VAB français qui la raccompagne chez elle. Derrière l’anecdote, la tension entre la France et le Rwanda transparaît, mais aussi les difficultés d’affirmer une souveraineté centrafricaine, contrainte d’hésiter entre plusieurs protecteurs étrangers. L’histoire que raconte à Glaser Paul Antoine Bohoun Bouabré, ministre ivoirien de l’Économie et des Finances de 2000 à 2005, est aussi très représentative, à la fois de la vision par le gouvernement Gbagbo de la dépendance néocoloniale, mais aussi d’une certaine réalité ivoirienne. La pratique des conseillers « blancs » est tellement ancrée dans les représentations que lorsque Bohoun Bouabré représente son pays au Club de Paris, il doit patienter 15 minutes jusqu’à ce qu’on lui explique qu’on attend « ses conseillers français » pour lui donner la parole…

Au détour des pages, l’auteur campe des personnages qui incarnent cette relation spéciale entre la France et l’Afrique, comme l’avocat Jean-Paul Benoît, associé de Jean-Pierre Mignard lui-même ami proche de François Hollande. Si ces parcours individuels ne sont pas toujours représentatifs des corps professionnels auxquels ils appartiennent, ils ancrent l’analyse. Antoine Glaser met en perspective les relations franco-africaines dans une certaine longue durée. Il rappelle utilement que l’esprit du discours « l’Afrique aux Africains » ne date pas de Jospin mais de Mitterrand, qui en 1994 espérait créer une Force d’action rapide interafricaine de 1 500 hommes. On aurait cependant apprécié un tour d’horizon plus global : en restreignant la question des missionnaires catholiques aux Pères blancs, Antoine Glaser fait l’impasse sur d’autres confréries, comme la communauté de Saint-Jean, qui s’est largement enrichie par l’inclusion de frères et de pères venus d’Afrique, ou les jésuites dont l’un s’est initié aux pratiques des Ngangas camerounais.

Glaser souligne habilement que la Françafrique est avant tout constituée d’hommes ; pas toujours ceux qui sont dans la lumière, même s’ils ne sont pas tous dans l’ombre : professeurs, avocats, prêtres, hommes d’affaires, expatriés, conseillers… L’image de la France en Afrique passe aussi par l’image que donnent les Français, dans leur grande diversité, en Afrique. Ne pas savoir écouter ses partenaires africains, ne pas apprendre de leurs expériences et ne pas les traiter en égaux a un coût qui se paie très cher. C’est la place de la France au soleil africain qui est en jeu, pour aujourd’hui et pour demain.

Aline Lebœuf

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Superpower – Three Choices for America’s Role in the World

Wed, 28/09/2016 - 11:11

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Tristan Aureau propose une analyse de l’ouvrage de Ian Bremmer, Superpower – Three Choices for America’s Role in the World (Londres, Penguin Press, 2015, 240 pages).

Alors qu’approchent les prochaines élections présidentielles américaines, nombreux sont les ouvrages qui entendent dresser un bilan de la politique étrangère américaine de ces dernières années et dégager quelques orientations d’avenir. L’originalité du livre de Ian Bremmer, essayiste influent et président de l’Eurasia Group, tient non pas tant à une thèse singulière qu’à la volonté de l’auteur de faire prendre parti au lecteur.

Dès l’introduction, le lecteur est ainsi invité à répondre à un questionnaire portant sur les options fondamentales de la politique étrangère américaine. S’ensuit une présentation synthétique du contexte international ; sans surprise, l’accent est mis par Bremmer sur les incertitudes entourant l’émergence de la Chine, le regain d’agressivité de la Russie, la faiblesse stratégique de l’Union européenne et les violentes secousses qui traversent le Moyen-Orient. Puis vient une critique sans concession de la politique étrangère menée depuis la fin de la guerre froide, particulièrement par Barack Obama dont Bremmer ne cesse de déplorer ce qu’il qualifie d’absence de stratégie.

S’ouvre alors le cœur de l’ouvrage, avec trois chapitres correspondant, pour Bremmer, à autant de cours possibles pour la future politique américaine. Le premier – Indispensable America – repose sur la conviction que les États-Unis demeurent une nation exceptionnelle appelée à imposer son leadership sur la scène internationale et à promouvoir ses valeurs, le cas échéant en recourant à la force armée. Le deuxième – Moneyball America – serait une politique étrangère calculatrice, fondée sur la poursuite des intérêts américains et débarrassée de toute prétention à exporter des valeurs telles que la démocratie ou les droits de l’homme. Le troisième – Independent America – renvoie à l’idée que les États-Unis ne pourront restaurer un quelconque leadership sur la scène internationale sans redevenir un exemple, ce qui suppose de reconstruire la puissance américaine de l’intérieur avant s’aventurer à nouveau au-dehors.

Le principal mérite de l’ouvrage tient à ce que Bremmer défend vivement chacun de ces trois points de vue, avant de dire sa préférence pour l’option Independent America, au terme d’une analyse sans concession, notamment à propos de la politique de Barack Obama face aux crises syrienne et ukrainienne. La présentation des options a enfin le mérite de structurer le débat de politique étrangère qui pourrait prendre de l’ampleur à l’approche des élections de novembre prochain.

Le lecteur peut toutefois regretter que le propos soit, en définitive, convenu, et reprenne des thèses défendues par d’autres auteurs ces dernières années. L’option Independent America rappelle la thèse défendue par R. Haas dans Foreign Policy Begins at Home (Basic Books, 2014), tandis que l’analyse de la moindre puissance relative des États-Unis fait directement écho aux analyses de J. Nye, notamment dans son dernier essai (Is the American Century Over?, Cambridge, Polity Press, 2015). Quant à la critique de la politique d’Obama, elle peine à convaincre tant elle écarte d’un revers de main des orientations fondamentales qui, à défaut d’une stratégie formalisée, ne manquent pas de cohérence : « pivot » vers l’Asie, recours accru à des modes d’intervention discrets, retrait des principaux théâtres d’opérations sur lesquels s’était engagé son prédécesseur.

Tristan Aureau

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« Vieillissement de la population et géopolitique »

Mon, 26/09/2016 - 09:39

Le bimestriel Population & Avenir a consacré dans son dernier numéro (sept./oct. 2016) un article au numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2016), mettant en avant l’article de Gérard-François Dumont, « Vieillissement de la population et géopolitique ».

« Après deux passionnants dossiers sur le nouveau « Grand Jeu » du Moyen-Orient et deux articles traitant de la question de « l’Europe face aux populismes », cette revue s’interroge notamment sur les interactions entre le vieillissement de la population et la géopolitique. Un article montre combien le vieillissement de la population est, à l’échelle mondiale, inédit. Ce processus se traduit par un accroissement de la proportion des personnes âgées, par l’augmentation de leur nombre absolu, et une augmentation globale de la féminisation, triple processus destine a se poursuivre dans les décennies à venir. Ce vieillissement est inégalement réparti dans le monde, et annonce des effets politiques, en interne, et géopolitiques, sur le système international, eux aussi très diversifiés. »

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Zbigniew Brzezinski. Stratège de l’empire

Mon, 19/09/2016 - 11:57

Découvrez la recension qui ouvre le dossier Lectures du numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Jean Klein propose une analyse de l’ouvrage de Justin Vaïsse, Zbigniew Brzezinski. Stratège de l’empire (Paris, Odile Jacob, 2015, 424 pages).

Ce livre procède d’une thèse d’habilitation à diriger des recherches et se présente comme un modèle de biographie politique. L’auteur a eu la bonne fortune de rencontrer Zbigniew Brzezinski à l’époque où il était directeur de recherche à la Brookings Institution de Washington, de 2007 à 2013. Les relations étroites qu’il a nouées avec lui et la possibilité d’accéder à ses archives personnelles l’ont incité à concrétiser son projet : mettre en évidence le rôle des personnalités universitaires qui ont incarné le renouvellement intellectuel, sociologique et politique de la diplomatie américaine pendant la guerre froide, et supplanté dans une certaine mesure les membres de l’establishment traditionnel.

Dans cette nouvelle élite, Henry Kissinger avait retenu l’attention par ses travaux sur les stratégies nucléaires dans le cadre du Center for International Affairs de Harvard, avant de devenir conseiller pour les affaires de sécurité de Richard Nixon, puis secrétaire d’État dans l’administration Ford. Son collègue Brzezinski, fils d’émigrés polonais, s’était imposé de son côté comme un analyste rigoureux du système soviétique, et se souciait également de peser sur les décisions de son pays d’adoption, notamment dans le domaine des relations Est-Ouest. Ainsi plaidera-t-il avec constance en faveur d’une « politique d’engagement pacifique » dont l’objectif était de créer les conditions d’un relâchement du contrôle de l’URSS sur les pays satellites et de favoriser ainsi leur émancipation à terme.

Mais Brzezinski ne s’est pas cantonné dans la défense d’une politique tendant à la libération des nations captives d’Europe centrale et orientale. Tout au long de sa carrière, il a nourri des ambitions plus vastes, et s’est attaché à l’élaboration d’une stratégie globale dont la visée était la préservation de la position dominante des États-Unis sur « le grand échiquier » du monde. À cet égard, le titre de « stratège de l’empire » que lui attribue Justin Vaïsse est parfaitement justifié. Il reste à se demander si Brzezinski a su faire prévaloir ses vues auprès des décideurs dont il était proche, et si sa vision d’un ordre mondial placé sous le double signe d’un « humanisme planétaire » et du « réalisme de la puissance » se reflète dans la politique menée par le président Carter à l’époque où il était son conseiller pour les affaires de sécurité.

Pour répondre à ces questions, le livre de Justin Vaïsse est une source d’informations irremplaçable. L’auteur retrace avec minutie le parcours universitaire et politique de Brzezinski, et brosse de lui un portrait qui éclaire les multiples aspects de sa personnalité. Ainsi, son anticommunisme plonge ses racines dans le souvenir des épreuves subies par sa patrie pendant la Seconde Guerre mondiale, et ne pouvait que se perpétuer après l’assujettissement de la Pologne au pouvoir soviétique. Toutefois, ses préventions contre l’URSS et son appartenance au camp des « faucons » selon la terminologie de l’époque, ne l’ont pas détourné d’une approche pragmatique, dès lors qu’il s’agissait de pratiquer la coexistence pacifique avec l’adversaire idéologique et d’exploiter les ressources de la diplomatie pour mettre un terme à la guerre froide.

Enfin, Justin Vaïsse s’attache à donner une vue d’ensemble des contributions scientifiques de Brzezinski à l’analyse des relations internationales, et décrit les fluctuations de ses engagements politiques, en mettant l’accent sur le rôle qu’il a joué dans l’élaboration de la politique étrangère américaine. En conclusion il estime que le bilan de son action est positif, tout en prenant ses distances par rapport à certaines de ses initiatives et en ne dissimulant pas les controverses qu’elles ont suscitées dans les milieux intellectuels et politiques, aussi bien aux États-Unis que chez leurs alliés.

Si l’on se préoccupe de l’avenir des relations entre l’Europe et la Russie, on ne saurait ignorer les recommandations que Brzezinski formule dans son livre Le Grand Échiquier pour consolider « la victoire des États-Unis dans la guerre froide », et leur conférer une position dominante dans la zone eurasiatique, qualifiée jadis de « cœur du monde » par le géopoliticien Halford Mackinder. Il est clair que l’application d’un tel modèle ne serait pas de nature à faciliter la gestion de la crise ukrainienne et risquerait de compromettre l’instauration d’un nouvel ordre de sécurité sur le continent européen. C’est dire l’actualité du livre de Justin Vaïsse, dont on ne saurait trop recommander la lecture.

Jean Klein

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Europe : Back to the Future

Fri, 16/09/2016 - 11:00

La rédaction a le plaisir de vous offrir un second article du numéro d’automne 2016 de Politique étrangère : « Europe : Back to the Future », écrit par Guy Verhofstadt.

« Sans galvauder le mot, on peut affirmer que le référendum britannique du 23 juin dernier est un événement historique dont l’onde de choc se fera longtemps sentir. L’effet de sidération devra pourtant bien s’arrêter un jour pour voir la réalité en face : le Brexit a eu lieu et le Royaume-Uni va sortir à moyen terme de l’UE. Une issue logique après 43 ans d’un mariage raté entre la perfide Albion et le continent ? Après tout, n’avait-on pas consenti à David Cameron divers arrangements destinés à rassurer les Britanniques, déjà gavés de dérogations en tout genre, afin qu’ils votent Remain, comme une limitation des prestations sociales aux ressortissants de l’UE, jugés envahissants, et la préservation des intérêts financiers de la City ? Et ils ont quand même mal voté, ces ingrats d’Anglais !

Ce serait une explication simple et rassurante. En vérité, qui peut dire ce que donnerait un référendum en France sur l’appartenance à l’UE ? Lors du dernier exercice similaire, en 2005, sur la Constitution européenne, plusieurs lignes rouges avaient aussi été respectées : confirmation de l’« exception culturelle », pérennité du financement d’État des services publics, maintien de la PAC… On avait même vidé de sa substance la fameuse directrice Bolkestein sur la libéralisation des services, qui était alors en négociation, pour éviter d’agiter la peur du « plombier polonais ». On connaît le résultat.

Ainsi donc, rien n’y ferait : les peuples européens sont contre l’Europe. Alors autant fermer tout de suite les institutions et dissoudre le Parlement européen, plutôt que de perdre notre temps et l’argent du contribuable, comme disent les populistes et les europhobes. Moi, je ne suis pas d’accord. Je ne crois pas que les peuples européens soient contre l’Europe. Mais ce n’est pas en les appâtant avec des gadgets politiques avant une élection cruciale qu’on les intéressera à l’Europe. C’est en œuvrant à montrer sa nécessité. Or depuis 2008, l’Europe affronte une série de crises toutes plus graves les unes que les autres, sans que l’UE apparaisse utile pour les résoudre.

Une vingtaine de sommets « de la dernière chance » pour « sauver la Grèce » a accouché de trois plans d’aide successifs, dont les seuls résultats ont été d’appauvrir et d’endetter davantage les Grecs. Le comble étant qu’aujourd’hui l’avenir de la Grèce dans la zone euro n’est toujours pas assuré. Quant à la crise financière, l’Union bancaire qui devait y répondre est restée au milieu du gué, au moment où les banques sont fragilisées par le Brexit. Enfin, une guerre à nos portes, face à laquelle nous sommes désarmés diplomatiquement et militairement, a provoqué le départ de millions de réfugiés. La réponse a été d’ouvrir les frontières sans contrôle, puis de les fermer sans discernement, avant de sous-traiter le problème à la Turquie. Procrastination et incohérence sont les deux mamelles de la gouvernance européenne.

Repli sur le pré carré national

J’avais pris position avant le référendum, annonçant que Brexit ou non, il faudrait que l’Europe se réforme au lendemain du scrutin. Aujourd’hui, cette urgence apparaît criante. Sans attendre que la gentry dilettante qui règne à Londres nous notifie son départ, il est temps d’affronter ce débat en face et sans tabou. Le projet européen initial s’est peu à peu dissous dans une machinerie administrative et juridique rebutante, dans laquelle personne ne se retrouve, à part les initiés bruxellois. Peu nombreux sont ceux, ces derniers temps, qui assument l’Europe telle qu’elle est.

Pour ma part, j’ai réalisé la faillite de notre projet voilà plus de 15 ans lorsque j’ai siégé pour la première fois comme Premier ministre et même présidé le Conseil européen. Et je ne cesse depuis de plaider en faveur de changements profonds. Le tournant est intervenu en mars 2003, avec un seul sujet d’actualité : la prochaine guerre en Irak. L’Europe est alors divisée. Un grand classique. Le 16 mars, José-Manuel Barroso, alors Premier ministre portugais, convie aux Açores Georges W. Bush pour une réunion avec ses homologues britannique et espagnol Tony Blair et José-Manuel Aznar. Au Conseil européen des 22 et 23 mars, je demande à ce qu’on ait une discussion politique sur cette question. Elle durera une minute, le temps que le président français Jacques Chirac dise : « Hey Tony, ce n’est pas la peine d’en discuter, on n’est pas d’accord, non ? », et que le Premier ministre Tony Blair réponde : « Tu as raison. On n’est pas d’accord. » Voilà. C’était fini.

Quand on sait combien l’Europe paye encore au prix du sang les conséquences de ce conflit, je reste persuadé que j’avais mis le doigt sur « le » problème de l’UE : ses institutions ne font pas de politique. Et c’est la principale raison pour laquelle les citoyens, inquiets à juste titre par les désordres de la planète, s’en détournent et se replient sur leur pré carré national qui apparaît plus concret et protecteur.

Le problème de l’UE : ses institutions ne font pas de politique

La coopération intergouvernementale, concept diplomatique d’après-guerre qui constitue notre socle institutionnel, a trouvé la plénitude de son fonctionnement avec la Communauté économique européenne. Le champ était étroit : parvenir à créer un espace de libre circulation des marchandises. L’Acte unique a mâtiné cette coopération d’un peu de démocratie, en introduisant la codécision avec un Parlement européen jusqu’alors seulement consulté, et le vote à la majorité qualifiée au Conseil. C’est ainsi qu’on a pu bâtir en quelques années un marché intérieur normalisé, le plus grand et le plus ouvert du monde pour les produits, les services et les capitaux.

Pour la libre-circulation des personnes, ce fut déjà plus compliqué. Pendant quelques années, les États ont conservé la gestion de l’espace Schengen, avant de consentir à le communautariser avec le Traité d’Amsterdam au début des années 2000. Mais cette avancée demeure fragile, ainsi que l’a révélé la crise des réfugiés durant laquelle les frontières nationales se sont fermées les unes après les autres, tandis que les populistes réclamaient, et réclament toujours, la renationalisation des frontières intérieures, et que les États membres tergiversent pour créer un corps de gardes-frontières européens destiné à sécuriser nos frontières extérieures. La libre-circulation à travers notre immense et magnifique territoire est pourtant le principal acquis populaire de l’Europe, un bénéfice dont tous nos citoyens conviennent, comme on le voit désormais avec cette ruée de ressortissants Britanniques cherchant à obtenir un passeport de l’UE par crainte de perdre ce sésame, symbole de liberté. […] »

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