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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 week 6 days ago

Les fils de princes : une génération au pouvoir en Chine

Mon, 06/02/2017 - 15:01

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Émilie Frenkiel propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Luc Domenach, Les fils de princes: une génération au pouvoir en Chine (Paris, Fayard, 2016, 272 pages).

Après Mao, sa cour, ses complots. Derrière les Murs rouges, (Fayard, 2012), Jean-Luc Domenach reprend son travail minutieux d’exploitation des mémoires et biographies de dirigeants communistes et de leur entourage pour donner cette fois « une place centrale aux enfants de la caste ».

Les premiers chapitres divisent ces fils de prince en trois générations. « Les enfants de la révolution », nés dans les années 1920-1930 et considérablement marqués par les circonstances difficiles de leur enfance avant la victoire des communistes, sont globalement peu parvenus à grimper les échelons du pouvoir. « Les enfants de la caste », nés dans les années 1940 et élevés dans des conditions nettement plus privilégiées, ont joué un rôle dans « l’acclimatation à une forme de capitalisme ». La troisième génération, pourtant profondément marquée par la Révolution culturelle, est celle qui est parvenue à s’imposer au sommet du pouvoir.

Les chapitres suivants sont consacrés aux épreuves formidables qu’ils ont dû traverser : le Grand Bond en avant, le retour forcé d’URSS, les envois à la campagne et la découverte de la misère rurale, et surtout la Révolution culturelle. Le chapitre 6 présente les privilèges, les parachutages et la réinstallation de la caste au sortir de la Révolution culturelle. Les dénonciations des injustices et violences se multiplient alors sans que les fils de prince y prennent part cette fois, hormis Wei Jingsheng et la journaliste et militante démocratique Dai Qing, connue pour sa demande d’une « cinquième modernisation » : la démocratie.

L’ouvrage décrit bien l’accumulation d’atouts dont bénéficient les fils de prince, au point de devenir parmi les plus compétents pour gouverner un pays aussi complexe que la Chine : outre une connaissance hors pair des arcanes du pouvoir de par leurs relations familiales, ils ont beaucoup appris en tant que secrétaires (d’un haut dirigeant militaire, dans le cas de Xi Jinping), ou de parachutages plus ou moins réussis à des fonctions politiques, ou d’un accès privilégié aux études en Chine mais également à l’étranger, où ils sont les premiers à partir (et à apprendre les méthodes capitalistes et le commerce international), sans compter leurs précieux réseaux, parfois dédoublés par un beau mariage.

Sur le plan économique, ils sont merveilleusement bien placés pour s’imposer. Les familles se partagent entre activités publiques et privées, ce qui facilite la corruption à laquelle assiste au Fujian le futur président chinois et qui lui inspire sa campagne de rectification. « Cette mécanique transgressive va transformer partiellement la caste issue de l’histoire maoïste en une couche sociale composée de candidats potentiels à la richesse et au pouvoir politique car capables de manœuvrer la combinaison centrale entre un pouvoir qui se dit communiste et des entreprises qui se disent capitalistes. » De plus, une fois écartées, avec la répression de 1989, tentation et possibilité d’un virage démocratique, Pékin gagne la confiance nécessaire pour développer son propre capitalisme « à la fois acceptable pour le pouvoir et crédible pour le peuple ». Forts de leur unité dans leur diversité, qui leur confère souplesse et capacité d’adaptation, les fils de prince profitent de la modernisation et de la mondialisation pour s’enrichir tout en sauvant le régime.

Cet ouvrage, outre son intérêt historique et documentaire, offre ainsi toutes les clés pour comprendre l’ascension implacable des fils de prince, dotés d’une « double aptitude à s’adapter au monde d’aujourd’hui tout en restant fidèles à leur pays et à leur parti ».

Émilie Frenkiel

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State Capitalism – How the Return of Statism Is Transforming the World

Fri, 03/02/2017 - 11:16

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Joshua Kurlantzick, State Capitalism – How the Return of Statism Is Transforming the World (Oxford University Press, 2016, 296 pages).

Joshua Kurlantzick, connu pour ses travaux sur le soft power chinois, étudie l’influence grandissante du capitalisme d’État depuis deux décennies. Définissant celui-ci comme toute économie dans laquelle au moins un tiers des 500 plus grosses entreprises nationales sont contrôlées directement ou indirectement par l’État, l’auteur précise d’emblée que plusieurs capitalismes d’État coexistent dans le monde. Les moins efficaces sont généralement les plus autocratiques (Algérie, Arabie Saoudite, Égypte, Iran, Ouzbékistan, Russie et Venezuela), en raison de leur incapacité chronique à innover et du comportement prédateur des élites politiques.

De nombreuses raisons expliqueraient la résurgence du capitalisme d’État : la multiplication des « autocrates élus » (sur le modèle de Thaksin Shinawatra en Thaïlande) ; l’autopromotion lancée par des États (la Chine et Singapour) qui pouvaient – et peuvent toujours – mettre en exergue leur insolente réussite économique ; la crise du capitalisme de marché de 2007-2008, et les renflouements massifs décidés par les gouvernements occidentaux ; l’essor des fonds souverains dans les pays émergents ; enfin le sentiment de plus en plus répandu que l’interventionnisme est indispensable pour constituer des géants mondiaux et ainsi réaliser des économies d’échelle.

Quoique fasciné par la réussite du « modèle chinois », Kurlantzick n’en considère pas moins que le capitalisme d’État présente plusieurs limites. Il tend à saper les valeurs démocratiques et l’état de droit, comme en Thaïlande, en Argentine et en Afrique du Sud. Ensuite, il est voué à l’essoufflement s’il s’avère incapable d’innover, d’améliorer le système éducatif et d’éliminer progressivement le népotisme. À cet égard, la Malaisie est tout particulièrement critiquée. L’auteur déplore aussi que l’étatisme puisse servir de contre-modèle à l’économie de marché. Deux systèmes semblent suffisamment efficaces et légitimes pour inspirer des pays émergents et en développement : le capitalisme chinois et le capitalisme singapourien. Le premier a une base éminemment politique et souverainiste. Le second a la particularité de s’intégrer pleinement dans la globalisation financière actuelle grâce à son excellent environnement des affaires, ses dépenses élevées en recherche et développement et la profitabilité impressionnante de son fonds souverain Temasek. Mais le danger principal du capitalisme d’État serait que les entreprises publiques soient utilisées comme armes de guerre économique, voire de guerre tout court, afin de voler des propriétés intellectuelles et des technologies. Kurlantzick s’alarme par exemple de l’influence des groupes russes et chinois, et de leurs connexions avec le pouvoir militaire. L’expansionnisme économique de Pékin créerait encore d’autres menaces, en soutenant des dictatures et en violant les normes sociales et environnementales.

La conclusion comprend plusieurs recommandations. Les firmes multinationales occidentales devraient se rapprocher des entreprises privées des pays promouvant un capitalisme d’État afin de contenir les ambitions des entreprises publiques. Américains et Européens auraient également intérêt à renforcer la démocratie dans les États où elle est menacée (Thaïlande, Malaisie, Afrique du Sud, Ukraine, Venezuela, Birmanie, Argentine et Égypte), et à sanctionner sévèrement les comportements délinquants des grandes sociétés d’État étrangères. On ne peut qu’approuver ces conseils, tout en regrettant que les gouvernements occidentaux avancent en la matière en ordre dispersé.

Norbert Gaillard

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Syrie. Anatomie d’une guerre civile

Mon, 30/01/2017 - 12:32

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Rémy Hémez, chercheur au Laboratoire de recherche sur la défense (LRD) à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie. Anatomie d’une guerre civile (CNRS Éditions, 2016, 416 pages).

Ce livre, co-écrit par Gilles Dorronsoro, professeur à l’université Paris 1, et deux doctorants, Arthur Quesnay et Adam Baczko, étudie en profondeur de la guerre civile syrienne. Les auteurs ont réalisé 250 entretiens, pour une bonne partie en Syrie, entre décembre 2012 et janvier 2013, et en août 2013, à une époque où il était encore possible d’accéder à la zone de guerre. Ils distinguent trois étapes dans la révolution syrienne.

La première, en 2011, est une phase de contestation politique essentiellement pacifique. Une telle contestation paraissait improbable pour la plupart des spécialistes, mais le fait même qu’elle ait existé permet de comprendre a posteriori les faiblesses du régime, à savoir son absence de base sociale et son manque de maîtrise des effets politiques du néolibéralisme. Les auteurs mettent également en avant l’influence des printemps arabes, mais aussi les « processus de délibération dans les sphères semi-privées » pour expliquer l’émergence des manifestations. Pour autant, le régime de Bachar Al-Assad ne tombe pas. Les protestataires n’ont pas bénéficié de relais institutionnels, et l’armée syrienne n’a pas joué le rôle de ses homologues tunisienne ou égyptienne. La violence croissante de la répression a, par contre, poussé à la militarisation de la lutte.

Débute alors une phase « d’insurrection unanimiste » (2012-2013), avec un phénomène remarquable par rapport à d’autres guerres civiles : l’absence de territorialisation des groupes armés. L’extension rapide des zones contrôlées par l’insurrection se clôt à l’été 2012, au moment où, pourtant, la guerre semblait perdue pour le régime. Ce dernier a pourtant pu regrouper assez ses forces pour résister et empêcher l’insurrection de prendre les bastions de l’armée.

La prolongation des combats produit notamment l’éclatement et la radicalisation de l’insurrection après 2013. Les auteurs soulignent bien que cette phase est d’abord le reflet de « logiques exogènes », incarnées à la fois par l’intervention de puissances étrangères et par l’implication de deux mouvements transnationaux : Daech et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces groupes – qui font l’objet de deux chapitres passionnants – combattent pour la conquête de territoires et l’imposition de modèles politiques radicalement différents.

Les auteurs ne bornent pas leur étude aux combats, à la lutte contre le terrorisme ou aux problématiques humanitaires qui mobilisent la plupart des analystes. Ils s’intéressent à des questions aussi variées que l’administration de la révolution, la mobilisation hors de Syrie, les différents usages de l’islam ou les problématiques économiques.

Clair et bien écrit, cet ouvrage est une référence essentielle pour tous ceux qui s’intéressent au conflit syrien. On regrettera seulement que les informations sur la période post-2013 soient plus parcellaires que celles qui concernent la période 2011-2013. On attend avec impatience les autres travaux de cette équipe, puisque ce livre constitue la première pierre d’un projet d’étude plus large sur les guerres civiles contemporaines.

Rémy Hémez

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Les Carnets du Centre Chine

Thu, 26/01/2017 - 08:00

« Les Carnets du Centre Chine », édités par le Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (CECMC) de l’EHESS, ont recensé l’article écrit par Alice Ekman dans le numéro d’hiver 2016-2017 de Politique étrangère (n° 4/2016) : « La Chine en Méditerranée : un nouvel activisme ».

Résumé

La Chine est de plus en plus présente en Méditerranée : propositions de forums de coopération à divers pays de l’Europe du Sud, investissements dans les terminaux portuaires, manœuvres militaires, évacuation de ressortissants… La Méditerranée ne figure sans doute pas au premier rang des préoccupations chinoises. Mais elle est un passage nécessaire pour les exportations chinoises vers l’Europe, et a un rôle non négligeable dans la logique stratégique des Nouvelles routes de la soie.

Plan de l’article
  1. Vers une institution chinoise en Méditerranée ?
    1. Création de forums Chine-Europe du Sud
    2. Vers un mécanisme de coopération souple et élargi ?
  2. Une stratégie chinoise en Méditerranée ?
    1. Une déclinaison méditerranéenne des priorités chinoises
    2. Renforcement des capacités maritimes

Pour accéder au blog cliquez ici.

* * *

Retrouvez Alice Ekman lors de la conférence de présentation du dossier « Méditerranée, mer de toutes les crises? », le mardi 31 janvier à la Villa Méditerranée de Marseille, en compagnie de deux autres auteurs du dossier, Jean-François Daguzan et David Amsellem.

Pour plus d’informations, cliquez ici et pour vous inscrire contactez : billetterie@villa-mediterranee.org.

China’s Future

Tue, 24/01/2017 - 11:49

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Alice Ekman, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de David Shambaugh, China’s Future  (Polity Press, 2016, 224 pages).

David Shambaugh, professeur à l’université George Washington, un des meilleurs spécialistes nord-américains de la Chine, se consacre à un exercice risqué mais utile : anticiper les différents scénarios que pourrait suivre la Chine pour son développement économique, politique et social au cours des prochaines décennies.

Son anticipation principale – thèse centrale – est assez classique : si le régime ne se réforme pas politiquement, le développement économique stagnera, ce qui exacerbera les problèmes sociaux déjà aigus et entraînera à terme le déclin du Parti communiste chinois (PCC).

Il considère que quatre choix principaux se présentent à la Chine – le « néototalitarisme », l’« autoritarisme dur », l’« autoritarisme doux », et la « semi-démocratie » – et que la Chine de Xi Jinping s’engage actuellement sur la voie de l’« autoritarisme dur ».

Ce diagnostic tend aujourd’hui à être confirmé par les déclarations officielles du président chinois, sa volonté affichée de renforcer le contrôle du Parti dans de nombreux secteurs (arts, recherche, médias, justice, etc.), et les méthodes de recadrage idéologique et politique strict des officiels du parti, des ministères et de l’armée dans le cadre de la campagne anticorruption (dénonciations, séances de critique et d’autocritique, confessions publiques forcées, emprisonnement de longue durée) – recadrage renforcé fin octobre à l’issue du 6e plenum du Comité central du PCC.

Toutefois, le lien entre ces évolutions récentes et le déclin à terme du PCC n’est pas évident. La réserve principale que l’on pourrait formuler à la lecture du livre concerne la capacité d’adaptation du PCC. L’auteur rappelle à juste titre que le concept d’« adaptation politique » est crucial pour comprendre la situation du PCC aujourd’hui. Soit le régime s’adapte et, plus inclusif, augmente ses chances de survie politique, soit il échoue dans son adaptation et « finit par mourir ». Shambaugh semble considérer que les capacités d’adaptation du Parti sont aujourd’hui faibles. Cette évaluation est sujette à débat : on pourrait au contraire considérer que ces capacités d’adaptation se sont renforcées ces dernières années, notamment avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, que le PCC utilise intensivement. Les nombreux capteurs et outils d’analyse connectés (big data, analyse du contenu des réseaux sociaux, sondages en ligne, etc.) l’aident à dessiner en temps réel une cartographie détaillée – ville par ville, province par province – des attentes de la population, revendications et mouvements sociaux. Le Parti prend ces éléments en compte pour maintenir l’ordre et préserver sa légitimité autant que possible, en ajustant notamment le niveau de répression et sa communication en fonction du contexte et des populations cibles.

Plus généralement, il demeure osé d’anticiper le déclin du Parti communiste chinois compte tenu de son assise bureaucratique et populaire (plus de 88 millions de membres), et surtout de son omniprésence actuelle dans toutes les structures et à tous les niveaux de la société chinoise – des comités de résidents aux directions d’université. La question qui se pose aujourd’hui, à moins d’un an du XIXe congrès du PCC, est avant tout celle de la durée de l’ère Xi Jinping (dont la présidence devrait au moins se poursuivre jusqu’à 2022), et de son influence au-delà.

Alice Ekman

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The Puzzle of Non-Western Democracy

Fri, 20/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Pierre Baudry propose une analyse de l’ouvrage de Richard Youngs, The Puzzle of Non-Western Democracy  (Carnegie Endowment for International Peace, 2015, 240 pages).

La démocratie libérale telle que la conçoit l’Occident est-elle la seule forme viable de démocratie ? N’est-elle pas victime d’un individualisme qui en détruit le principe ? Ne doit-on pas admettre, au nom du respect des identités culturelles, qu’il existe des modèles alternatifs et « illibéraux » à la vision occidentale de la démocratie ? Ces questions qui sous-tendent la politique d’un Poutine, d’un Orban, et toute une partie du discours politique de la Chine ou de l’Iran sont au cœur de cet ouvrage. Les critiques de la démocratie libérale ne sont pas nouvelles : le xxe siècle a connu des critiques du libéralisme au nom des idéologies nationale-socialiste ou prolétarienne. Mais le livre de Youngs se distingue en ce qu’il propose une approche globale de la critique du modèle occidental, associant analyse géopolitique et réflexion théorique : « Bien souvent, les appels à une conception non occidentale de la démocratie renvoient au défi d’un renouvellement (reimagining) de la démocratie en général. »

L’auteur plaide essentiellement pour un « libéralisme renforcé » (liberalism plus). On peut admettre fondamentalement le principe d’une variation démocratique selon les régions du monde ; mais variations et expérimentations doivent se faire autour d’un corps de principes intangibles – participation aux décisions politiques, tolérance, capacité à rendre compte de son action (accountability) –, et de propositions concrètes : soutien aux droits des communautés et pas uniquement aux individus afin de les rendre plus efficaces en termes de contrôle démocratique ; critique du néolibéralisme et défense du libéralisme comme justice économique ; mise en place de formes alternatives de représentations et d’action politique au moyen des nouvelles technologies ou de budgets participatifs ; recours aux traditions juridiques locales dans la mesure où elles fournissent des modalités de participation démocratique.

L’auteur tente ainsi de satisfaire deux exigences. D’une part le refus d’une conception uniforme de la démocratie comme le montre son intérêt pour le projet d’étude « The Varieties of Democracy », qui évalue la situation démocratique en fonction des conditions locales. D’autre part sa méfiance envers toute critique du libéralisme camouflant des pratiques autoritaires. Les propositions de Youngs sont toujours avancées avec discernement et accompagnées d’un tableau du rapport à la démocratie dans le monde, ainsi que d’une analyse des conséquences sur le plan géopolitique du concept de « variations démocratiques ». On regrette presque que le livre ne soit pas plus étendu, tant les questions abordées campent au cœur de certains des débats actuels les plus brûlants.

L’ouvrage aurait sans doute gagné à prendre en compte les variations démocratiques présentes au sein même du monde occidental. Déjà Tocqueville dans L’Ancien Régime et la Révolution  (1856) proposait des analyses classiques sur la passion des Français pour l’égalité qu’il opposait à l’attachement des Anglo-américains pour la liberté. Ce type de distinctions développées au niveau des institutions ou de la culture politique aurait permis de voir qu’il existe déjà des « variations démocratiques » entre la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne, et comment elles permettent des formes diverses de libéralisme selon les traditions politiques nationales. Cette remarque ne retire rien à cet ouvrage dense, passionnant, et qui mériterait d’être traduit au moins en extraits en français.

Pierre Baudry

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How South Africa Works and Must Do Better

Thu, 19/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Victor Magnani, chercheur à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jeffrey Herbst et Greg Mills, How South Africa Works and Must Do Better  (Hurst & Co., 2016, 256 pages).

Au lendemain de l’apartheid, l’Afrique du Sud voulait rassurer opérateurs économiques et marchés financiers. Il fallait concilier les impératifs économiques en termes de croissance et d’emploi avec ceux de la transformation d’une société minée par des décennies de ségrégation. Les améliorations sont indéniables quant à l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, à l’électricité et à l’eau courante. Mais plus de 20 ans après les premières élections libres et démocratiques, l’économie sud-africaine paraît vulnérable et les réalisations sont clairement en deçà des attentes, notamment concernant les inégalités et l’emploi. Le taux de chômage officiel s’élève à plus de 25 % et concerne principalement les jeunes et les populations noires : immense défi que les autorités n’ont su résoudre à ce jour.

Les auteurs tentent d’expliquer cette situation en dressant un tableau de la détérioration des indicateurs de gouvernance et de compétitivité du pays. Ils pointent pêle-mêle les conséquences de politiques publiques hésitantes, d’une administration étatique corrompue, d’une qualité d’enseignement public déficiente, de taux d’investissements publics et privés relativement faibles, et de larges déficits publics. Ce n’est pas une surprise pour qui s’intéresse aux questions sud-africaines, mais les exemples choisis (comme les dysfonctionnements de la société de production et de distribution d’électricité Eskom) servent d’illustrations précises et convaincantes. Le mérite de cet ouvrage est de traiter des principaux secteurs de l’activité économique du pays avec une information dense et structurée autour de chapitres clairement balisés (l’agriculture, les services, l’industrie, le secteur minier, l’éducation…).

Bien que critiques vis-à-vis de l’état de l’économie sud-africaine, les auteurs demeurent optimistes et entendent donner des pistes de réflexions, voire des recommandations concrètes pour surmonter ce qu’ils nomment « la paralysie d’aujourd’hui ». Les recettes préconisées relèvent d’une idéologie libérale classique, à savoir la déréglementation des marchés, la flexibilisation du travail, et une réduction des aides sociales que les finances du pays n’autoriseraient plus.

On regrettera l’absence d’une réflexion plus approfondie sur la structure économique extrêmement inégalitaire de l’Afrique du Sud, directement héritée de la période d’apartheid. Mais au-delà de la posture idéologique, la démarche méthodologique consistant à réaliser des entretiens quasi exclusivement avec des entrepreneurs, sans jamais relayer la voix des organisations syndicales ou des travailleurs, est discutable. Les conditions de travail très rudes et précaires, notamment dans les mines et les champs agricoles, ne sont ainsi abordées qu’à la marge. L’approche par le haut utilisée par les auteurs ne permet pas de saisir les déceptions quant à la transformation sociale et économique exprimées par une part croissante de la population depuis l’avènement de la démocratie. Les résultats des dernières élections locales, les grèves et les fragmentations syndicales, les manifestations quasi quotidiennes réclamant un accès aux services publics, ainsi que les mobilisations en cours dans les universités sud-africaines, invitent pourtant à ne pas négliger des approches par le bas pour avoir une vision complète et nuancée de comment « fonctionne l’Afrique du Sud » – ambition annoncée par le titre de l’ouvrage.

Victor Magnani

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Conférence : Méditerranée, mer de toutes les crises ?

Wed, 18/01/2017 - 08:00

À l’occasion de la sortie du numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016), consacré à la Méditerranée, l’Ifri organise, le mardi 31 janvier à 19h, à la Villa Méditerranée de Marseille une conférence dans le cadre des Mardis de la Villa.

Au croisement des secousses et des crises : la Méditerranée. Déstabilisations sur la rive sud, flux migratoires incontrôlés, rivalités larvées à l’est pour l’exploitation des ressources énergétiques, présence militaire simultanée de toutes les grandes puissances (de Washington à Pékin sans oublier Moscou…), affirmation croissante des puissances régionales… Mare nostrum est plus que jamais agitée, éclatée. D’ailleurs, fut-elle jamais le bassin uni dont rêvèrent trente années de politiques européennes – des politiques de bonne volonté, mais dont l’échec en dit beaucoup sur ses complexités. Comment penser cette Méditerranée-là, qui reste le centre de tous les dangers ?

LES INTERVENANTS

David Amsellem est docteur en géopolitique de l’université Paris 8, spécialisé dans les enjeux énergétiques au Proche et au Moyen-Orient. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2014, portait sur les récentes découvertes de gaz naturel en Méditerranée orientale et leurs conséquences dans les relations entre les États de la région.

Auteur de l’article « Méditerranée orientale : de l’eau dans le gaz ? », Politique étrangère, n°4/2016.

Docteur en droit et en sciences politiques, Jean-François Daguzan est professeur associé à l’université de Paris II panthéon-Assas. Il a été maître de recherche au Centre de recherches et d’études sur les stratégies et les technologies de l’École polytechnique (CREST) de 1991 à 1998, et il est depuis 1999 maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Auteur de l’article « Les politiques méditerranéennes de l’Europe : trente ans d’occasions manquées », Politique étrangère, n°4/2016.

Alice Ekman est chercheur, responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Ifri. Elle analyse les principaux changements de politiques extérieures et intérieures du pays et les évolutions au sein de la société. Elle est chargée de cours sur la Chine contemporaine à Sciences Po Paris et Lille, et intervient également à l’IHEDN et à l’École de guerre.

Auteur de l’article « La Chine en Méditerranée : un nouvel activisme », Politique étrangère, n°4/2016.

La conférence sera modérée par Marc Hecker, directeur des publications de l’Institut français des relations internationales (Ifri) et rédacteur en chef de la revue Politique étrangère.

Adresse : Villa Méditerranée • Esplanade du J4 • 13002 Marseille Entrée libre • Sur réservation par mail à billetterie@villa-mediterranee.org
ou par téléphone au 04 95 09 42 70

Migrants, Refugees and the Stateless in South Asia

Tue, 17/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Charza Shahabuddin propose une analyse de l’ouvrage de Partha S. Gosh, Migrants, Refugees and the Stateless in South Asia  (Sage Publishing, 2016, 384 pages).

L’ouvrage de Partha S. Gosh constitue une référence concernant la typologie et l’impact des différentes formes de migrations en Asie du Sud. Il est un apport inédit à la littérature académique, en ce qu’il s’appuie sur l’étude des dimensions culturelles de la migration les moins explorées, en démontrant que la définition juridique classique (celle des Nations unies) des concepts de migrants, réfugiés et apatrides, n’est pas pertinente dans le cas sud-asiatique, ce pour des raisons politiques, sociales et historiques.

L’auteur s’appuie sur diverses théories sur la migration – approches géographique, économique, de développement et de genre – développées dans la littérature académique occidentale. Pour dresser une cartographie de la scène migratoire sud-asiatique sur les soixante dernières années, il catégorise 50 millions de migrants, réfugiés et apatrides en huit catégories différentes. Il passe en revue les migrations (chapitre 1) liées aux incertitudes de la Partition de 1947, la situation des apatrides, les conflits interethniques, mais aussi les échecs dans la construction de la nation en Asie du Sud.

Le pays hôte accueille dans un premier temps les réfugiés avec bienveillance. Le temps passant, la sympathie initiale se transforme en inquiétude. L’influence politique, religieuse, économique ou culturelle des migrants peut attiser des divisions au sein du pays hôte (chapitre 2).

La guerre civile est l’une des causes les plus connues de migrations inter-étatiques. Ces mouvements de populations actionnent la variable sécuritaire : des tensions se développent entre l’État en proie à la guerre civile et ses voisins. Durant la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971, l’Inde accueille près de 10 millions de réfugiés, elle soutient et arme la guérilla bengalie ; d’où une escalade des tensions entre Inde et Pakistan.

Sur les huit pays sud-asiatiques, seul l’Afghanistan a signé la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967. L’auteur interroge la nécessité pour les États d’adopter un régime spécifique pour l’accueil des réfugiés. Au cœur du débat, on retrouve la dualité entre le concept d’universalité des droits de l’homme et celui du relativisme culturel enchâssé dans les discours de la décolonisation. Dans le cas sud-asiatique, les États préfèrent se fonder sur une approche légale nationale. L’auteur conclut qu’en dépit de l’absence de conventions spécifiques, les gouvernements agissent en faveur du soutien et de la reconnaissance des migrants, réfugiés et apatrides (chapitre 4).

Les dimensions culturelles et psychologiques sont transposées d’un pays à l’autre lorsque les populations migrent (chapitre 6), avec un double impact : les migrants influencent la société dans laquelle ils arrivent, et vice versa. On retrouve ce métissage dans les arts et la culture. Les tensions sociales au sein du pays d’accueil se ressentent au travers de la psychologie individuelle et collective. Par exemple, il ne se passe pas un seul jour sans que l’Inde produise un film relatant l’épisode de la Partition. Les mouvements de migrants et de réfugiés ne reflètent pas seulement la destruction et la misère, ils sont aussi à l’origine d’une créativité artistique florissante. Autre exemple : celui de l’influence portugaise dans la musique des films indiens.

Ainsi, il semble qu’en dépit de ses problèmes économiques, démographiques, environnementaux et de sa diversité culturelle, l’Asie du Sud n’a en rien perdu son esprit humanitaire.

Charza Shahabuddin

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Royaume d’asphalte. Jeunesse saoudienne en révolte

Wed, 11/01/2017 - 10:50

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Pascal Menoret, Royaume d’asphalte. Jeunesse saoudienne en révolte  (La Découverte/Wildproject, 2016, 288 pages).

« Comment peut-on être Saoudien ? » Chacun ou presque a aujourd’hui son opinion sur la politique qu’il conviendrait de mener avec l’Arabie Saoudite. Les plus réalistes y voient un pôle de stabilité dans un environnement régional troublé ; les moins cyniques s’alarment du soutien aveugle de l’Occident à l’un des régimes les plus rétrogrades au monde. Mais qui connaît l’Arabie Saoudite ? Si, depuis l’arrivée au pouvoir du roi Salmane en janvier 2015 et la sombre guerre de succession qui se joue déjà autour du monarque octogénaire, la gérontocratie qui la gouverne éveille désormais la curiosité, la société saoudienne demeure opaque à l’observateur étranger. Publiée en 2011, la thèse d’Amélie Le Renard « Femmes et espaces publics en Arabie Saoudite » levait le voile sur le sort fait aux femmes. C’est ici aux hommes que Pascal Menoret s’intéresse.

Il le fait par un biais surprenant et a priori déroutant : l’étude des rodéos urbains auxquels se livrent les jeunes marginaux de Riyad pour échapper au sentiment d’ennui (tufush) qui les submerge et pour manifester leur colère contre l’étouffante répression. Il ne faudrait pas cependant réduire le Saudi drifting à une déclinaison moyen-orientale de Fast and Furious. Les conducteurs qui s’y adonnent sont plus souvent des Bédouins lumpen-prolétarisés que des enfants de cheikhs ; les voitures qu’ils utilisent sont des berlines japonaises, pas des voitures de sport customisées.

Dans une « ville sur autoroute », déshumanisée, sans centre géographique, convertie au tout-automobile, les jeunes essaient de se réapproprier un espace dont ils se sentent exclus. Dans un pays d’où toute forme d’expression politique est bannie, où le clientélisme règne en maître, où la surveillance policière est omniprésente, où la séparation sourcilleuse des genres exacerbe les frustrations, les jeunes qui veulent mal se conduire conduisent mal. Les pilotes ne se contentent pas de faire crisser des pneus. L’alcool et les drogues s’échangent (le Captagon est la drogue la plus répandue). Les tabous sexuels sont violés. Le monde des rodéos renvoie « l’image macabre et inversée de la société saoudienne ».

Pascal Menoret a d’abord publié son livre en anglais chez Cambridge University Press en 2014. Profitant d’une résidence d’écrivain, il l’a traduit en français. S’il reprend une partie de sa thèse soutenue en 2008, sa démarche est volontiers interdisciplinaire et emprunte moins à l’histoire qu’à l’urbanisme. Il a exploité les archives personnelles de l’architecte Constantinos Doxiadis qui, au début des années 1970, a entrepris la rénovation urbaine de Riyad, essayant, comme Le Corbusier à Chandigarh ou Niemeyer à Brasilia, de forger la « ville du futur », mais se heurtant aux intérêts patrimoniaux des cheikhs.

C’est surtout à l’anthropologie que la démarche de Pascal Menoret est redevable. Il relate ses deux années de terrain à Riyad à la première personne du singulier, sans hésiter à évoquer les difficultés rencontrées. C’est que la société saoudienne ne se laisse pas pénétrer facilement. Pascal Menoret raconte avec beaucoup d’humilité la méfiance qu’il a suscitée en raison de ses origines – il n’est pas musulman et était suspecté d’être un espion –, et les résistances qui lui ont été opposées – il a dû renoncer à enquêter dans les tribus bédouines du Haut Najd pour se concentrer sur les réseaux informels de la capitale. Au-delà de ce qu’il nous apprend sur la société saoudienne, son livre est un modèle de recherche en anthropologie politique.

Yves Gounin

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The Economy of Dubai

Mon, 09/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage d’Abdulrazak Al Faris et Raimundo Soto, The Economy of Dubai  (Oxford University Press, 2016, 368  pages).

Ce livre d’économistes travaillant majoritairement au Dubai Economic Council est une étude exhaustive de l’économie de Dubaï, l’une des sept entités constitutives des Émirats arabes unis.

Le premier chapitre rappelle comment, à partir des années 1980, la manne pétrolière a permis à Dubaï de diversifier son économie, en devenant une place financière régionale majeure et en créant des zones franches pour les sociétés étrangères, la plus célèbre et ancienne étant la Jebel Ali Free Zone. Sur la période 1980-2011, la croissance annuelle du PIB a été en moyenne de 6,5 %, taux cependant inférieur à celui de Singapour et de Hong Kong (deux territoires qui font figure de modèles), en partie à cause de la faible productivité de l’émirat et de sa vulnérabilité aux chocs externes.

Au fil des pages, les auteurs soulignent les défis auxquels Dubaï est confronté et avancent des recommandations de politique économique. Par exemple, le fort endettement des entreprises publiques et parapubliques comme Dubaï World et Investment Corporation of Dubaï dans les années 2000 a pesé sur les comptes de l’émirat. Les récentes restructurations de dette devraient convaincre le gouvernement de mieux contrôler les stratégies de ces grands groupes, de développer un marché des capitaux en dirhams et de mettre en place un véritable régime fiscal (les recettes non fiscales représentant les trois quarts des recettes totales de 2011). Le système bancaire de Dubaï est jugé relativement fragile comparé à celui d’Abu Dhabi, comme l’attestent le pourcentage plus élevé de créances douteuses et la moindre profitabilité des établissements de crédit. Ces derniers financent d’ailleurs insuffisamment les petites et moyennes entreprises. La diversification de l’économie doit être approfondie. Deux secteurs seraient à privilégier : le tourisme médical et les services financiers. Parallèlement, la production de biens à haute valeur ajoutée permettrait à Dubaï d’accroître ses exportations vers les pays industrialisés en dépassant les marchés traditionnels que sont l’Inde, l’Iran et l’Arabie Saoudite. L’acquisition de terrains est un autre obstacle majeur pour les investisseurs directs étrangers ; il ne peut être surmonté que par une révision du droit de propriété.

Les progrès en matière sociale sont contrastés. Dubaï a su étendre l’accès à l’éducation. Dans les tests PISA, les scores de l’émirat sont au-dessus de la moyenne des États du Moyen-Orient mais restent inférieurs à la moyenne OCDE, et très loin des scores de Singapour et de Hong Kong. Le tissu universitaire s’est développé, mais les institutions sont encore petites et offrent un choix de programmes limité, essentiellement axé sur la finance, le commerce, la religion et les technologies de l’information. Le marché du travail, qui s’est lentement ouvert aux femmes, souffre avant tout de la kafala, par lequel l’employeur « parraine » ses employés étrangers, leur octroyant titre de séjour et permis de travail. Ce système est en fait devenu un frein à la mobilité des expatriés au sein de l’émirat.

Agrémenté de nombreux tableaux et graphiques, l’ouvrage est agréable à lire. Il présente néanmoins deux lacunes : le risque d’insolvabilité de Dubaï à moyen/long terme n’est pas abordé, et la question des mauvais traitements subis par les ouvriers étrangers (condamnés par Amnesty International dans plusieurs de ses rapports) est occultée par les auteurs du chapitre sur le marché du travail.

Norbert Gaillard

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La guerre soviétique en Afghanistan

Fri, 06/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage du colonel Philippe Sidos, La guerre soviétique en Afghanistan (Economica, 2016, 320 pages).

Philippe Sidos, officier de l’armée de Terre et docteur en histoire a une très bonne connaissance de la Russie et de l’Asie centrale puisqu’il a été affecté comme attaché militaire à Moscou, au Tadjikistan et au Kazakhstan. Il a aussi servi pendant trois ans au sein de l’état-major opérationnel de l’OTAN en charge des opérations en Afghanistan. Sa connaissance du russe lui a permis d’accéder à de nombreuses sources peu traitées dans la littérature francophone sur la guerre soviétique en Afghanistan.

La thèse défendue par l’auteur est que les résultats opérationnels de l’Armée rouge ne sont pas – contrairement à une idée répandue – catastrophiques. L’outil militaire soviétique a fait preuve d’une indéniable capacité d’adaptation, réussissant à obtenir de réels effets sur le terrain, notamment grâce à l’action de quelques unités d’élite.

Le colonel Sidos suit un plan en trois parties équilibrées. Dans la première, « L’engrenage vers une intervention limitée », il décrit l’arrière-plan historique de l’intervention et son contexte géopolitique. Y sont développées les différentes étapes de la guerre, de l’installation à la nécessité de sortir d’une impasse militaire et politique en réussissant le retrait. La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à décrire le processus d’adaptation de l’armée soviétique à la contre-insurrection. La préparation avant le déploiement a notamment dû être revue, pour développer les qualités physiques des troupes. Les modes d’action ont évolué, en particulier avec l’emploi systématique des hélicoptères à partir de 1984-1985, afin d’améliorer la mobilité. La mauvaise formation des cadres soviétiques et les grandes difficultés éprouvées pour former une armée afghane efficace ont cependant limité les résultats. La dernière partie du livre est consacrée aux Soviétiques au combat. L’auteur débute par les parachutistes qui portèrent largement le poids des offensives et constituèrent l’essentiel de la force de contre-insurrection soviétique. Les Spetsnatz (forces spéciales) connurent leur heure de gloire pendant cette guerre, notamment au travers de leurs embuscades contre les caravanes chargées de convoyer combattants et matériel depuis le Pakistan vers l’Afghanistan. Le conflit comporta aussi d’importants aspects aériens avec, bien entendu, le rôle des hélicoptères, mais aussi celui joué par les avions pour l’appui aérien et la logistique. Philippe Sidos offre un éclairage détaillé et particulièrement intéressant sur l’impact des missiles anti-aériens Stinger, soulignant que l’introduction de ces armes n’a pas eu l’effet décisif que l’on croit trop souvent. Les Stinger ne chassèrent pas les aéronefs soviétiques du ciel, en particulier du fait de l’adaptation des procédures de vol.

En conclusion de cette étude de grande qualité, l’auteur nous offre deux réflexions intéressantes. Tout d’abord, il se demande si les difficultés rencontrées au cours de l’intervention massive de 1979 n’ont pas pesé sur le choix de modes d’actions « autres » en Crimée et au Donbass. Ensuite, il s’interroge sur le retrait russe d’Afghanistan, qui n’est probablement pas définitif.

Rémy Hémez

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Le crépuscule fossile

Wed, 04/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Carole Mathieu, chercheur au Centre Energie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Geneviève Férone-Creuzet, Le crépuscule fossile  (Stock, 2016, 256  pages).

Trop souvent résumée à une question d’ordre technique ou de simple passage d’un schéma d’approvisionnement à un autre, la transition énergétique est abordée ici dans sa dimension civilisationnelle. L’auteur s’est investi de longue date dans l’économie du développement durable et a notamment créé la première agence française de notation sociale et environnementale. Dans cet ouvrage, il met à profit sa connaissance des cercles de pouvoirs pour pointer le primat absolu des énergies fossiles, leur domination industrielle et leur poids dans l’histoire, la géopolitique et l’organisation des sociétés. En rompant avec la dépendance fossile, la transition vers des énergies alternatives marquerait l’avènement d’une nouvelle civilisation, que l’auteur appelle sobrement « post-fossile », en attendant de pouvoir mieux en cerner les contours.

Les trois premières parties de l’ouvrage retracent l’histoire de la dernière civilisation, depuis la ruée vers l’or noir et l’émergence d’une industrie pétrolière mondialisée, jusqu’à l’ivresse d’une consommation sans limite et la crainte d’un dérèglement incontrôlable du climat qui imposera de laisser sous terre une partie des ressources. Dans ce récit condensé, l’auteur souligne à juste titre notre rapport ambivalent aux énergies fossiles : adulées pour leur facilité d’extraction, la multiplicité de leurs usages et leur contribution indéniable au développement économique, elles sont aussi décriées pour les logiques de captation des ressources et les dommages environnementaux qu’elles produisent. Les énergies fossiles ne sont ni bonnes, ni mauvaises, elles sont ce que les hommes en ont fait, à savoir le socle de leur civilisation.

Les lecteurs peu familiers des enjeux énergétiques trouveront dans cet ouvrage de précieuses mises au point sur des concepts devenus incontournables comme le peak oil, les gisements non conventionnels, l’anthropocène, ou encore le risque carbone. Les autres auront plus grand plaisir à lire les quatrième et cinquième parties, qui engagent une réflexion prospective. En écho aux travaux d’Edgar Morin, l’auteur ne prône ni la foi dans le progrès technique ni la décroissance, mais plutôt l’éveil des consciences. En somme, taxer le carbone ou encourager des programmes d’efficacité énergétique ne demanderait rien d’autre qu’un sursaut de courage politique. Certes convaincante, cette conclusion tend aussi à déplacer la discussion : outre les leviers financiers et juridiques suggérés par l’auteur, comment s’assurer que l’entrée en responsabilité se produira en temps voulu ?

Si cet ouvrage n’avance pas de pistes réellement novatrices pour accélérer le crépuscule fossile, il pose la question fondamentale du monde qui vient. Avec la production d’énergie décentralisée pourraient émerger de nouvelles formes d’organisation sociale, fondées non plus sur l’intérêt de l’individu mais sur celui de la communauté. L’auteur entrevoit ainsi la possibilité de nouveaux modèles de création autour du partage de la connaissance et des biens communs. Puis il émet l’hypothèse moins réjouissante d’un remplacement des monopoles fossiles par de nouveaux empires numériques qui tireraient cette fois-ci leur puissance de l’exploitation des données. On pourra regretter que Geneviève Férone-Creuzet ne nous guide pas davantage dans ce nouveau champ des possibles, mais son propos est avant tout une mise en garde, un appel à penser la civilisation post-fossile et à s’y préparer.

Carole Mathieu

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Le fondamentalisme islamique

Tue, 03/01/2017 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Leila Seurat propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Michel Younes, Le fondamentalisme islamique. Décryptage d’une logique  (Karthala, 2016, 224  pages).

Ce livre réunit théologiens (Chaieb), philosophes (Souchard), politistes (Amghar) et hommes de religion (Dockwiller). C’est là l’une des grandes originalités de cet ouvrage : en associant des intellectuels de formations bien distinctes, il permet de confronter des pistes de réflexion souvent présentées comme contradictoires. Alors que le texte coranique est de plus en plus appréhendé comme facteur de violence en soi et pour soi, réinscrire le fondamentalisme islamique parmi les autres fondamentalismes est une entreprise salutaire. Sans négliger les singularités que pourrait recouvrir l’acception d’un Coran incréé, nombreuses sont les contributions mettant en exergue les similitudes entre les fondamentalismes, notamment la référence absolue à un Livre qui leur est commune.

Le fondamentalisme précède-t-il la modernité ou est-il une réaction religieuse à celle-ci ? La majeure partie des contributions de l’ouvrage contribue à ce débat. Le fondamentalisme islamique trouve son origine dans le hanbalisme, école juridique du ixe siècle qui inaugure un rapport immédiat au texte. Il prend également racine dans la pensée d’Ibn Taymiyya au xiiie siècle, ainsi que dans le cheminement intellectuel des réformistes du xixe siècle. Toutefois, s’il n’a pas attendu la modernité pour exister, force est de constater que le fondamentalisme est aussi l’expression d’une réaction à la modernité. Pour résoudre ce paradoxe, d’autres pistes sont suivies : plutôt que comme la conséquence d’un désenchantement du monde inauguré par l’époque moderne, le fondamentalisme apparaît comme une réaction au vide de sens que caractérise notre époque postmoderne.

Consacrée aux indicateurs du fondamentalisme, la seconde partie de l’ouvrage reste fidèle à sa démarche initiale : sortir des catégories arbitraires entre Frères musulmans et salafistes, en confrontant les recueils de hadith issus de ces différentes mouvances, tout en soulignant leur diversité dans la manière d’appréhender les textes. Les corpus hanbalites se distinguent par leur incapacité à penser une quelconque adaptabilité aux sociétés contemporaines, tandis que les corpus du Conseil européen de la Fatwa insistent sur la nécessité de légiférer dans un contexte européen où les musulmans sont minoritaires. Le Maroc, appréhendé ici comme un fondamentalisme d’État dans une société sécularisée, aurait pu facilement s’intégrer à la première partie, d’autant que Moulay Slimane, qui imposa aux Marocains de renoncer aux rituels ancestraux, était un contemporain d’Abd Al-Wahhab. Voyant dans le retour aux fondements une source de libération plutôt que d’imitation, le « fondamentalisme rationaliste » d’Al-Fassi offre une fructueuse déclinaison nationale de l’expérience fondatrice saoudienne. Si le hanbalisme a nourri le salafisme, d’autres écoles théologiques, tel le rite malékite, ont pu donner à voir des formes de fondamentalisme.

Tout en soulignant l’existence d’un socle idéologique commun à l’ensemble des acteurs islamistes, l’ouvrage ne fait pas l’impasse sur les disparités au sein même de chacune de ces familles. Si l’interprétation du djihad par les salafistes quiétistes peut servir de matrice idéologique aux partisans de la guerre sainte, la violence djihadiste ne saurait s’entendre à la seule aune de ce facteur. Cet ouvrage contribue aux débats qui opposent de manière trop souvent caricaturale les politistes : entre ceux qui voient dans le djihadisme le symptôme d’une radicalité étrangère à l’islam, et ceux pour qui le djihadisme ne serait qu’un avatar du salafisme.

Leila Seurat

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Et pour célébrer cette nouvelle année,

Mon, 02/01/2017 - 08:00

Et pour célébrer cette nouvelle année, Politique étrangère prolonge l’offre promotionnelle jusqu’au 31 janvier : c’est le moment de prendre de bonnes résolutions et de se mettre sérieusement à la géopolitique ! Cliquez ici pour vous abonner !

Palestine : l’histoire avance plus vite que les idées

Fri, 30/12/2016 - 08:00

Pour terminer cette sélection d’articles qui ont marqué les 80 ans de la revue, nous vous proposons de lire un dernier texte phare, écrit par Sari Nusseibeh : « Palestine : l’histoire avance plus vite que les idées », publié dans le numéro d’automne 2013 (n°3/2013).

Sari Nusseibeh est un des grands intellectuels palestiniens contemporains. Il a été président de l’université Al-Qods de Jérusalem de 1995 à 2014. En 2002, il a proposé un plan de paix avec Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet (service de renseignement intérieur israélien). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont What is a Palestinian State Worth? (Harvard University Press, 2011) et Une allumette vaut-elle toute notre philosophie ? (Flammarion, 2012).

« Près d’un demi-siècle après l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et 20 ans après la signature des accords d’Oslo, l’Union européenne (UE) commence à réaliser que l’absorption de cette partie du territoire occupé par Israël rend impossible une solution classique à deux États. La création d’un État palestinien le long des frontières de 1967 ayant pour capitale Jérusalem-Est ne paraît en effet plus réalisable. Les responsables européens ont brusquement pris la mesure de la multiplication des atteintes commises par Israël à l’encontre de la population arabe dans cette partie de la ville et ont estimé qu’il était urgent d’agir. Ainsi Jérusalem-Est commence-t-elle à figurer dans les rapports officiels de l’UE et dans le plan de soutien financier de l’UE au prétendu processus de création d’un État palestinien.

Comme Palestinien de Jérusalem, j’ai désespérément tenté pendant 20 ans d’attirer l’attention de l’UE et d’autres émissaires internationaux sur les effets néfastes de la politique israélienne sur une solution à deux États. Je ne sais donc pas si je dois ressentir du soulagement ou de la colère. D’une part, il est positif que la communauté internationale voie enfin les choses en face. De l’autre, il est frustrant de constater que cela arrive trop tard : quoi que l’on fasse aujourd’hui, on ne pourra revenir en arrière. La Jérusalem-Est qui était appelée à devenir la capitale d’un futur État palestinien a tout simplement cessé d’exister. […] »

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L’art de conduire une bataille

Thu, 29/12/2016 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Gilles Haberay et Hugues Perot, L’art de conduire une bataille  (Pierre de Taillac Editions, 2016, 238  pages).

Gilles Haberay et Hugues Perot, tous deux saint-cyriens, officiers de l’armée de Terre et fantassins, s’évertuent à transmettre leur passion de la tactique. Trop souvent, cette dernière est vue comme un objet d’étude secondaire, réservé aux seuls praticiens ou aux spécialistes d’histoire militaire. Il s’agit pourtant d’un art complexe qui mérite d’être analysé, car « si la bataille est, par essence, le moment du choc physique de deux armées, elle est aussi le résultat de l’affrontement de deux systèmes de planification, de conduite et de commandement, en vue d’atteindre un objectif tactique ». La tactique décide bien souvent du sort des batailles. Aussi une connaissance minimale de ses ressorts est-elle indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux conflits. Cet ouvrage offre une excellente introduction aux problématiques tactiques à la lumière de l’histoire. Il ne nécessite pas de connaissances préalables pour que l’on puisse l’apprécier et en tirer des fruits.

Le livre se compose de l’étude de 26 batailles. Les cas choisis couvrent une très vaste période allant de l’Antiquité à la guerre du Golfe (1991). Ils comprennent aussi bien des classiques comme la bataille de Cannes (216 av. J.-C.) ou celle de Cambrai (1917), que des choix plus audacieux à l’image des batailles de La Kalka – qui voit Russes et Polovtses affronter les Mongols en 1223 – ou de Cuito Cuanavale – combats en Angola en 1987-1988 entre d’un côté les Forces armées de libération populaire (FAPLA) et leurs « conseillers » cubains, et de l’autre l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) et des troupes sud-africaines. Chaque cas d’espèce est présenté selon un plan traditionnel et efficace : d’abord une description de la situation générale, puis une analyse des forces en présence et des intentions ; viennent ensuite une présentation du déroulement de la bataille et, enfin, une synthèse des enseignements tactiques. L’idée n’est pas d’offrir une vision complète et définitive de chaque bataille évoquée, mais bien de replacer chacune d’entre elles dans la perspective plus vaste de la tactique et de susciter des pistes de réflexion.

Les batailles ne sont pas retracées en ordre chronologique mais réparties intelligemment en 11 thématiques tactiques – les plus efficaces pour vaincre – qui regroupent chacune deux ou trois études de cas : « épuiser l’attaque ennemie », « tendre une embuscade », « créer la surprise », « disloquer par le choc », « percer les défenses », « contre-attaquer au bon moment », « alterner ses efforts », etc. Ce classement permet de croiser plus facilement les enseignements des batailles et aide le lecteur à avoir une approche problématisée.

Comme beaucoup d’ouvrages édités par Pierre de Taillac, ce livre a fait l’objet d’un travail éditorial soigné. Il bénéficie d’une présentation agréable et d’illustrations cartographiques de qualité. Il est pourtant dommage que la bibliographie ne soit pas plus étoffée et que l’on ne puisse aisément identifier des ouvrages permettant d’aller plus loin dans l’étude des cas historiques exposés.

Rémy Hémez

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Who Really Feeds the World?

Wed, 28/12/2016 - 08:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Sébastien Abis propose une analyse de l’ouvrage de Vandana Shiva, Who Really Feeds the World?  (Zed Books, 2016, 176  pages).

Si la perspective de 10 milliards d’habitants dans le monde se précise pour l’horizon 2050, il semble difficile de contourner la nécessaire augmentation de la production agricole, estimée à 60 % du niveau actuel par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Est-il préférable d’améliorer les rendements sur les terres agricoles déjà cultivées et présentant de bonnes conditions pédoclimatiques, à l’instar de l’Europe, ou convient-il d’étendre les espaces dédiés à l’agriculture dans le monde, en exploitant les terres arables qui restent disponibles et se situent majoritairement en Amérique latine et en Afrique subsaharienne ?

Un autre enjeu évident tient à l’inégale répartition des richesses sur la planète, tant d’un point de vue économique qu’agronomique. Le monde présente un potentiel agricole solide, capable de subvenir aux besoins alimentaires, dans une vision idéale systémique où chacun se contenterait des produits locaux de proximité (tant en quantité qu’en qualité) et dans laquelle les relations internationales ne se fonderaient pas prioritairement sur des jeux d’intérêts. La réalité est tout autre. Depuis des millénaires, le commerce joue un rôle fondamental pour rapprocher l’offre des besoins, précisément parce que les dotations géographiques sur le globe sont très hétérogènes. En outre, bien qu’il soit possible de réduire les pertes et les gaspillages tout au long de la chaîne alimentaire, il apparaît que l’augmentation des rendements en agriculture représente un levier important pour renforcer l’état de la sécurité alimentaire mondiale.

À ce propos, le livre de Vandana Shiva, militante écologiste de renom, pose des questions légitimes. Elle interroge les modes de production intensive pour promouvoir l’agro-écologie ; remet en cause le poids colossal de firmes multinationales qui, de l’agro-chimesterie à la distribution en passant par le négoce, n’auraient que le profit pour ambition ; rappelle que 70 % de la production alimentaire mondiale vient de petits producteurs et d’exploitations familiales essentielles pour nourrir les populations locales ; et insiste sur la préservation des savoir-faire traditionnels et des connaissances adaptées à chaque terroir, pour critiquer les solutions technologiques, le recours aux intrants et les effets de la globalisation alimentaire.

Dans un monde qui souffre encore de la faim, avec près d’un habitant sur huit toujours concerné par une insécurité alimentaire prononcée au quotidien, les arguments présentés par Vandana Shiva ne manquent pas de robustesse. Toutefois, ils paraissent trop souvent déconnectés d’une géopolitique mondiale où les stratégies de puissance dominent le paysage, et où les inégalités agricoles se creusent entre des régions qui peuvent produire plus et celles où les possibilités sont limitées par les contraintes climatiques et par les instabilités sociopolitiques (en Afrique notamment). Auteur de plusieurs livres dénonçant les OGM et défendant l’agriculture biologique, Vandana Shiva insiste sur les relations parfois contrariées entre science et progrès, et contribue à faire avancer le scénario d’une agriculture mondiale capable de produire mieux. Si elle émet de sérieux doutes sur la nécessité de produire plus, nous devons aussi nous demander quelles seraient les conséquences géostratégiques d’une production stable alors que la démographie continue à croître, ou, plus risqué encore, d’une orientation radicale prônant la décroissance de la production agricole.

Sébastien Abis

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Afrique : l’intégration régionale face à la mondialisation

Tue, 27/12/2016 - 08:00

Découvrez cette semaine un autre texte marquant de la revue Politique étrangère, écrit par Abdou Diouf « Afrique : l’intégration régionale face à la mondialisation », publié dans le numéro d’hiver 2006 (n°4/2006).

Abdou Diouf a commencé sa carrière politique au Sénégal. Il a été directeur de cabinet de Léopold Sédar Senghor puis Secrétaire général de la Présidence de la République. En 1970, il est nommé Premier ministre. En 1981, il est élu président de la République, fonction qu’il occupe jusqu’en 2000. De 2003 à 2014, il est secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

« Bon gré mal gré, l’Afrique doit aujourd’hui vivre, comme l’ensemble de notre planète, à l’heure de ce que l’on appelle la mondialisation. Mais, contrairement à d’autres régions du Sud, elle demeure mal outillée pour, à la fois, affronter ses contraintes et profiter de ses opportunités. Une des raisons de cette fragilité réside dans son extrême fragmentation, dans sa « balkanisation » comme on l’a souvent dit. À l’heure où les autres régions du monde s’organisent en espaces intégrés – économiques, géopolitiques ou culturels –, elle semble échapper à cette tendance, même si elle tente désormais de l’infléchir.

L’Afrique se compose d’une cinquantaine d’États, dont une vingtaine comptent moins de 10 millions d’habitants, et près d’une dizaine moins d’un million. Que pèse chacun d’eux face aux grands ensembles qui occupent aujourd’hui la scène mondiale ? D’un côté la Chine et l’Inde, États unifiés les plus peuplés du monde, qui entendent bien en devenir des puissances centrales ; de l’autre, des unions régionales de natures différentes, à la construction plus ou moins rapide et plus ou moins harmonieuse, mais dont l’un au moins des objectifs est de peser sur une scène internationale où prévalent les logiques de la globalisation : l’Union européenne (UE), qui s’est donné pour vocation de regrouper l’ensemble de l’Europe, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Marché commun du Sud (Mercado Comun del Sur, Mercosur) en Amérique du Sud, l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Association of Southeast Asian Nations, ASEAN). Du côté africain en revanche, une infinité de sigles qui, jusqu’à présent, ne reflètent pour la plupart que des regroupements virtuels.

L’Afrique peut-elle continuer à regarder, impuissante, l’évolution d’un monde sur lequel elle n’a pas prise ? Peut-elle continuer à se marginaliser alors qu’elle possède tous les outils d’une meilleure insertion dans le monde d’aujourd’hui : ressources naturelles, jeunesse et dynamisme de sa population, richesse de ses cultures, etc. ?

La question, en fait, n’est pas de savoir si l’Afrique – à l’exception de quelques-uns de ses États les plus importants – est insérée dans la mondialisation ou se situe en marge de ce processus. Aucun pays ne peut aujourd’hui évoluer en dehors de lui. Il s’agit plutôt de savoir pourquoi elle occupe une place si modeste dans le système mondial et pourquoi elle y participe sur un mode marginal. La nature de sa place dans l’économie globalisée fait qu’elle subit la mondialisation plus qu’elle n’y participe.

Il est temps qu’elle échappe à ce qui n’est pas un destin. Pour qu’elle puisse enfin se hisser à un niveau lui permettant de peser sur l’échiquier international, elle doit lutter davantage contre sa fragmentation, plus qu’elle ne l’a fait au cours du dernier demi-siècle.

L’Afrique est le continent de la planète qui compte le plus d’organisations continentales, régionales, sous-régionales, sectorielles et commerciales alors qu’elle est la région où les processus d’intégration et de régionalisation sont les plus embryonnaires. Il convient d’expliquer ce paradoxe, pour y remédier. […] »

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Le Top 10 des articles de Politique étrangère en 2016

Fri, 23/12/2016 - 08:00

La revue Politique étrangère est présente sur Cairn, le portail des revues francophones, depuis plusieurs années maintenant. Un nouveau record a été établi grâce à vous, chers Lecteurs, avec plus de 523 000 articles en accès libre consultés en 2016 ! Découvrez en exclusivité la liste des 10 articles de la revue les plus lus sur Cairn cette année !

10e  place : Abdou Diouf, « Afrique : l’intégration régionale face à la mondialisation »
(PE n° 4/2006)

9e place : Alice Ekman, « Asie-Pacifique : la priorité de la politique étrangère chinoise » (PE n° 3/2014)

8e place : David M. Faris, « La révolte en réseau : le « printemps arabe » et les médias sociaux » (PE n° 1/2012)

7e place : Archibald Gallet, « Les enjeux du chaos libyen » (PE n° 2/2015)

6e place : Boris Eisenbaum, « Négociation, coopération régionale et jeu d’influences en Asie centrale : l’Organisation de coopération de Shanghai » (PE n° 1/2010)

5e place : Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, « L’Iran dans son contexte régional » (PE n° 3/2012)

4e place : Pierre de Senarclens, « Théories et pratiques des relations internationales depuis la fin de la guerre froide » (PE n° 4/2006)

3e place : Pierre Jacquet, « Les enjeux de l’aide publique au développement »
(PE n° 4/2006)

2e place : Thierry Kellner, « La Chine et la Grande Asie centrale » (PE n° 3/2008)

1ère place : Asiem El Difraoui et Milena Uhlmann, « Prévention de la radicalisation et déradicalisation : les modèles allemand, britannique et danois » (PE n° 4/2015)

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