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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Brexit : Provoquer des élections anticipées présente des risques sur le plan intérieur

Thu, 20/04/2017 - 18:03

« En cas de succès, ces élections anticipées donneraient à Theresa May plus de légitimité populaire pour négocier, plus de marge de manœuvre tactique dans la négociation avec l’UE et plus de temps et de chance de se faire réélire.

Pour rappel, la première ministre n’a pas été élue, elle a été choisie en 2016 par le parti conservateur, au terme d’un processus de sélection relativement anarchique, dans lequel elle a été perçue comme la candidate la plus stable et la plus sûre.

Elle n’était pas favorable au Brexit. Elle était en soutien de la campagne du « remain » et a dû faire preuve du zèle de la convertie. Actuellement, elle est dans une situation où elle dispose d’une majorité peu confortable – seulement 17 sièges –, même si l’opposition est faible. Elle doit par ailleurs se forger un mandat populaire pour mener à bien ses réformes au niveau intérieur, et sa négociation avec l’union européenne, d’où ces élections anticipées.

À l’inverse, si elle n’avait pas avancé le calendrier et alors qu’il y a de plus en plus de membres de son parti qui ne sont pas défavorables à la sortie du Royaume-Uni de l’UE en 2019 sans accord, tel un partenaire lambda, les conséquences seraient considérables pour la Grande Bretagne. Les élections ne devant avoir lieu qu’en 2020, cela ne lui laisserait que peu de temps pour montrer les effets positifs du Brexit, et donc se faire réélire.

Des élections anticipées au 8 juin 2017, lui laissent plus de marge politique pour se faire réélire en 2022. D’autant que l’UE va renouveler ses équipes au conseil et à la commission européenne en 2019. Il est donc possible que la bataille pour prendre la tête du conseil et de la commission se passe en même temps que le Brexit, ce qui peut affecter les négociations du côté de l’UE.

En termes arithmétiques, elle devrait gagner assez largement ces élections, d’autant qu’elle a une cote de popularité importante. Mais le risque existe que ces élections anticipées redonnent du souffle au camp anti Brexit qui peut se remobiliser avec le soutien des jeunes et des Écossais. Si le parti national écossais (SNP) garde tous ses sièges en Écosse, il aura une légitimité populaire pour appeler à un deuxième référendum pour l’indépendance.

Provoquer des élections anticipées paraît logique et rationnel, mais cela présente des risques sur le plan intérieur. C’est donc aussi un coup de poker. Le problème est que depuis le référendum sur le Brexit, on a l’impression de naviguer à vue, et que ces coups de poker peuvent avoir des conséquences historiques, pas seulement pour l’avenir du Royaume-Uni, mais aussi pour l’Union européenne. »

Propos recueillis par Agnès Rotivel

« L’impasse national-libérale » – 4 questions à Jean-François Bayart

Fri, 14/04/2017 - 17:45

Spécialiste de sociologie historique et comparée du politique, Jean-François Bayart est professeur à l’IHEID de Genève, où il est titulaire de la chaire Yves Oltramare « Religion et politique dans le monde contemporain ». Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « L’impasse national-libérale : globalisation et repli identitaire », aux éditions La Découverte, qui fait suite à « Les Fondamentalistes de l’identité. Laïcisme versus djihadisme », aux éditions Karthala.

On entend souvent que l’État est mis en cause par la mondialisation. Pourtant, vous considérez que cette dernière configure l’État plutôt qu’elle ne le sape. Pouvez-vous développer ?

Depuis le début du XIXe siècle, la globalisation se présente non sous la forme d’un jeu à somme nulle entre la mondialisation des marchés et la souveraineté de l’État mais comme une triangulation entre trois processus synergiques : l’intégration d’un certain nombre de marchés (ou de « paysages », pour reprendre le terme d’Arjun Appadurai), comme celui des capitaux, celui, dans une moindre mesure, des biens, ou encore celui de la foi, avec l’évangélisation de l’Afrique au XIXe siècle ou, aujourd’hui, la vague pentecôtiste ; l’universalisation de l’État-nation ; et la généralisation des consciences particularistes, des identitarismes, comme l’ethnicité en Afrique, le communalisme en Inde, le confessionnalisme au Liban, ou encore les problématiques populistes de l’autochtonie un peu partout dans le monde.

1848 correspond à la concomitance du Printemps des Peuples, du libre-échange et de la sensibilité romantique qui exalte la culture populaire. 1991 équivaut à l’expansion du capitalisme à l’espace soviétique et yougoslave, la mise en place d’un système régional d’États-nations et l’exaltation de définitions ethno-confessionnelles de la citoyenneté. Par ailleurs, dans le monde occidental, la libéralisation économique, depuis 1980, est allée de pair avec le renforcement des capacités répressives de l’État, dont les entreprises privées – les compagnies aériennes, les banques – sont devenues les instruments. L’État n’est pas la victime de la globalisation : il en est le rejeton. Et l’identitarisme n’est pas une réaction à la globalisation : il en est une fonction, une expression idéologique majeure. La globalisation est une machine à trois pistons.

Pourquoi pensez-vous, contrairement à ce que l’on entend également souvent, que le conflit israélo-palestinien demeure central ?

En soi, il aurait dû rester périphérique. Mais le traumatisme de la Shoah, la guerre froide et l’enjeu pétrolier l’ont placé au cœur du système international. Les puissances occidentales sont progressivement devenues les otages de la diplomatie israélienne qui, elle-même, n’a cessé de se durcir, en partie parce qu’elle bénéficiait de cette rente d’impunité. Par ailleurs, les économies occidentales ont longtemps été dépendantes du pétrole arabe. La France, par exemple, en demeure tributaire pour la survie de son industrie de l’armement. Cet effet de ciseaux a contraint les politiques étrangères des États-Unis et de l’Europe, dans les termes imposés par Israël, et a garanti la perpétuation de régimes autoritaires ou autocratiques en porte-à-faux avec les transformations des sociétés. La guerre civile syrienne, le djihadisme, l’incapacité des chancelleries à réinsérer l’Iran dans le concert des nations sont les conséquences de ces contradictions.

En revanche, le conflit israélo-palestinien n’est pas compris dans sa centralité paradigmatique : il n’est que l’avatar d’une rétraction identitaire qui marque le passage d’un monde d’empires – en l’occurrence l’Empire ottoman – à un monde d’États-nations qui définissent la citoyenneté sur un mode ethno-confessionnel et dont la purification ethnique est l’ingénierie de base. De ce point de vue, le conflit israélo-palestinien est de la même encre, ou plutôt du même sang, que la guerre civile irakienne ou syrienne et les guerres de Yougoslavie des années 1990. Nous ne sommes pas sortis du basculement d’un monde d’empires à un monde d’États-nations, qui s’amorce dans la seconde moitié du XIXe siècle et dont le Traité de Versailles, avec sa reconnaissance du droit des nationalités, a été le point d’orgue catastrophique.

En quoi les Occidentaux ont-ils manqué le rendez-vous avec l’Iran et la Turquie ?

Face à la Turquie, l’Europe s’est perdue dans des considérations oiseuses sur son appartenance au Vieux Continent ou sur le coût de son adhésion, sans se poser la question des avantages de cette dernière et surtout sur le coût de sa non adhésion. Le résultat est là. L’Europe s’est privée de toute influence sur Ankara, bâton ou carotte, et doit maintenant composer avec l’hybris d’Erdogan qui pratique le chantage à l’immigration et aux réfugiés, la menace de lui « faire payer » (sic) ses mauvaises manières, envisage de se doter d’un système de défense anti-aérienne russe et lorgne du côté de l’Organisation de coopération économique. On ne peut plus exclure le départ de la Turquie de l’OTAN. En tout cas, sa stratégie est désormais celle du free rider.

De même, la confrontation avec l’Iran a été stérile, en poussant ce pays vers les entreprises asiatiques et en privant les chancelleries occidentales d’un levier précieux dans la crise syrienne. L’Europe a réussi le tour de force de s’aliéner les deux seuls pôles de stabilité étatique en Asie antérieure.

Vous décrivez les djihadistes et laïcistes comme des ennemis complémentaires. Qu’entendez-vous par là ?

Laïcisme versus djihadisme ne signifie pas « égal », en bon français. Il ne s’agit pas de les mettre sur le même plan – bien que nous ayons tendance à occulter les pertes humaines qu’engendrent les politiques étrangères et les interventions militaires occidentales au Moyen-Orient – mais de rappeler que ces deux fondamentalismes identitaires procèdent par invention de la tradition. Ils participent de la même matrice historique qui se met en place au XIXe siècle – cette triangulation que je qualifie de national-libérale – et deviennent en effet des « ennemis complémentaires » qui se nourrissent l’un et l’autre, par un effet d’homologie antagonique. Les salafistes s’imaginent la Médine de leurs rêves identitaires de born again de l’islam. Les laïcistes fantasment une IIIe République qui n’existent que dans leur esprit et transforment l’idée laïque de la Séparation, celle de la loi de 1905, en nouvelle religion nationale, la laïcité, avec son credo et son orthopraxie : le burkini tu ne porteras pas, du porc tu mangeras, de l’alcool tu boiras. Rappelons que la IIIe République ne reconnaissait pas aux femmes les droits civiques que les religionnaires de la laïcité opposent à l’islam…

Candidature commune des États-Unis, du Canada et du Mexique pour le mondial de football 2026 : un tournant dans la gouvernance du sport ?

Fri, 14/04/2017 - 15:59

Les États-Unis, le Canada et le Mexique ont récemment annoncé leur candidature commune pour l’organisation de la Coupe du monde de football 2026, une première pour cet évènement. Le point de vue de Carole Gomez.

Organiser une coupe du monde dans plusieurs pays, s’agit-il d’une “révolution” dans le monde du football ? Cela ne rend-il pas la campagne de candidature inégale par rapport aux autres pays potentiellement en lice ?

Si l’on a déjà assisté à des doubles candidatures pour un mondial de football, notamment celle organisée conjointement par la Corée du Sud et par le Japon en 2002, une triple campagne commune est un évènement inédit, s’il se concrétise. Toutefois, cela ne constitue pas pour autant une véritable surprise, compte tenu des déclarations début 2017 du président de la FIFA, Gianni Infantino, qui considérait que l’accueil d’une Coupe du monde par deux, trois ou même quatre pays différents était tout à fait envisageable, voire même encouragé. Cette tendance se combine ainsi avec une autre « révolution », puisque la Coupe du monde 2026 sera également la première édition qui opposera 48 équipes, au lieu de 32 actuellement.

La désignation officielle du ou des pays hôtes n’interviendra qu’en mai 2020. Pour l’heure, nous ne sommes donc qu’au début de la phase de candidatures, où seuls quelques pays ont commencé à évoquer cette question : l’Australie et la Nouvelle Zélande, le Maroc, l’Angleterre, la Colombie ou encore le Kazakhstan. Face à cette triple candidature de poids et à la règle implicite de rotation des continents, le sort semblerait en être jeté.

Pourtant, à peine trois jours après l’annonce officielle de cette triple candidature, un certain nombre de contestations ont fait jour, notamment de la part du Mexique qui s’estime lésé face aux États-Unis. Il conteste notamment la place mineure dans ce trio qui lui serait accordée : 10 matchs seulement (sur 80) seraient organisés au Mexique et aucun match n’aurait lieu au sud du Rio Grande à partir des quarts de finale, les États-Unis se taillant la part du lion pour l’organisation de cette compétition. Nombre de commentateurs au Mexique considèrent donc que le pays devrait se détourner de ce mauvais « deal », et devrait même accueillir seul cette compétition (ce qu’il a, par ailleurs, déjà fait à deux reprises, en 1970 et 1986).
En conséquence, face à cette dissension interne précoce, les autres candidats ont peut-être quand même leur carte à jouer.

Aux vues des différents politiques assez importants entre ces trois pays depuis l’élection de Donald Trump, comment expliquer la décision d’une candidature commune ?

Plusieurs raisons peuvent ici être avancées. Au nom de la règle de la rotation des continents, la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF) qui n’a pas organisé de compétition depuis l’édition 1994 aux États-Unis semblait être toute désignée, notamment compte tenu des déclarations de la FIFA en 2016 considérant que l’Europe et l’Asie n’obtiendraient pas l’organisation de la compétition. Restent donc la confédération d’Océanie, qui n’a pour l’instant jamais accueilli cet évènement, et la confédération africaine, dont la Coupe du monde en Afrique du Sud en 2010 laisse le souvenir d’éléphants blancs.
D’autre part, il y avait une volonté forte des États-Unis, du Canada et du Mexique de se positionner sur cette question. Plutôt que de se concurrencer, et donc de s’éliminer, l’idée de collaboration a progressivement émergé. La volonté d’afficher une union des forces et d’apparaître comme un ensemble relativement homogène s’est ainsi imposée.

De plus, d’un point de vue tactique, cette candidature s’inscrit aussi dans la logique de maitrise des coûts défendue par les grandes organisations internationales sportives, comme la FIFA et le Comité olympique international (CIO). Encouragée explicitement par G. Infantino, une candidature tripartite a le mérite, dans ce cas précis, de déjà disposer des infrastructures existantes, de réseaux de transports déjà organisés, ainsi qu’une coordination et communication entre les différentes villes hôtes.

Enfin, cette candidature commune permet aussi d’envoyer un message fort : quels que soient les différends et oppositions que ces pays peuvent avoir sur le plan politique, notamment avec l’arrivée de Donald Trump, cela ne les empêche pas de travailler ensemble au nom du sport.

Peut-on envisager que ce type de candidature commune – entre plusieurs pays ou villes – soit appliquée à d’autres grands évènements sportifs ?

L’Agenda 2020, feuille de route du CIO publié en décembre 2014, allait déjà dans ce sens. Il préconisait des recommandations pour renouveler l’olympisme, faisant notamment suite aux Jeux de Sotchi qui avaient laissé l’image d’une gabegie et d’une dérive de l’institution olympique. Cet Agenda 2020 a donc mis l’accent sur de grands principes, notamment l’héritage, la durabilité, l’éthique et la modération des coûts, en axant par exemple les infrastructures sur le renouvelable, le démontable ou bien le temporaire. En effet, les éléphants blancs ruinent les pays organisateurs et donnent une image déplorable, marquée par des villages olympiques fantômes et des sites qui tombent en ruine dès la fin des JO, par manque d’entretien et de pratique. Cela était déjà pointé du doigt à Sarajevo, à Athènes et récemment à Rio.

Cet Agenda 2020 proposait également la co-organisation d’un certain nombre d’évènements, à la fois au sein de plusieurs villes d’un même pays ou bien dans des villes de pays voisins. Cela s’inscrit encore dans la logique d’éviter de construire des infrastructures qui ne pourraient pas être ensuite pérennisées par la ville ou la région. En effet, aujourd’hui, certaines infrastructures sportives construites à l’occasion de grands évènements ne sont pas réutilisées à leur plein potentiel car elles ne sont pas adaptées à la pratique régulière des clubs ou des simples usagers.

Le système de candidature commune est donc une solution envisageable. Il faut cependant être prudent car même si cette réponse semble aller dans le bon sens – ne faisant pas reposer sur une seule ville le poids total d’une organisation aussi importante -, elle peut aussi avoir des effets négatifs, en particulier en matière de sur-construction par rapport aux besoins d’une ville ou d’une région. En effet, diverses simulations n’ont pas prouvé qu’une candidature commune réduise de façon substantielle les dépenses générales. Ainsi, si les installations sportives développées dans le cadre d’une candidature plurielle sont certes moins coûteuses par ville hôte, les dépenses en transports et hôtellerie risquent, elles, d’être au total doublées. Autrement dit, si la candidature commune est mal étudiée, elle peut aboutir à programmer à une petite échelle des « mini JO » ou un « mini mondial », ce qui viderait de sa substance l’objectif même de la réforme qui mise sur la complémentarité. Le sport est donc à un tournant de sa gouvernance, qu’il doit correctement négocier s’il veut assurer son avenir.

Birmanie, Thaïlande, Sri Lanka : la réconciliation nationale en échec ?

Fri, 14/04/2017 - 10:00

Comment réconcilier une société en constante déchirure depuis des décennies ? La Birmanie, la Thaïlande et le Sri Lanka ont en commun d’avoir un gouvernement actuel chargé, ou auto-proclamé porteur de cette mission de réconciliation nationale. Mais d’Aung San Suu Kyi à Rangoun à la junte militaire de Bangkok, en passant par la fragile démocratie de Colombo, l’entreprise est souvent entravée, sinon réduite à une coquille vide.

En bonne comptable des évolutions politiques de son temps, la communauté internationale revient en avril vers la Birmanie post-junte d’Aung San Suu Kyi, pour dresser l’état des lieux de sa première année au pouvoir*. Par nature peu portée sur la patience et le fond des choses, l’opinion publique extérieure en profite pour laisser poindre quelques critiques et déceptions à l’endroit de l’ancienne opposante et prix Nobel de la paix, aujourd’hui Conseillère d’État et ministre des Affaires étrangères, Première ministre de facto**. Parmi les objectifs prioritaires que cette opiniâtre icône démocratique affectait à son administration (novice et hésitante), figurait en très bonne place la réconciliation nationale. Un projet comme un mirage distant en ces terres du Sud-Est asiatique, lézardées par de profondes lignes de fractures ethniques, politiques, religieuses et sécuritaires. En l’espace de douze mois et une cohorte de signaux contraires***, cet objectif identifié n’a pas connu d’avancées très spectaculaires, pour dire le moins. Non pas que la faute doive être uniquement rejetée sur ce gouvernement démocratique encore en phase d’apprentissage/rodage. Le concours douteux de la (toujours) très influente institution militaire, son regard plus distant (euphémisme) sur la nécessité de parvenir à court terme à une paix nationale, n’auront guère agi au profit d’une réconciliation nationale pourtant appelée de ses vœux par une majorité de Birmans.
La difficulté rencontrée en la matière dans cet État longtemps (1962-2011) aux mains d’une inflexible junte militaire est très loin de constituer, dans l’Asie contemporaine, une rareté. Ce n’est pas le voisin thaïlandais et son hybride administration civilo-militaire du moment (Conseil National pour la Paix et l’Ordre du Premier ministre et ex-chef des armées Prayuth Chan-ocha) qui démentira ce postulat. Moins encore l’à peine plus lointaine nation insulaire sri-lankaise qui, tout en célébrant en mars dernier le huitième anniversaire de la fin d’un interminable conflit ethnico-religieux (1983-2009) peine encore, pour employer de nouveau un bel euphémisme, à mettre en musique son projet de réconciliation nationale*.

Birmanie : La réconciliation nationale, cette abstraction du moment

Dès l’intronisation de son gouvernement (LND), Aung San Suu Kyi avait annoncé la couleur en la matière : nonobstant une feuille de route nationale d’une belle densité, la poursuite du processus de paix entamé en 2011 sous la présidence de Thein Sein et l’engagement immédiat d’efforts en faveur d’une réconciliation nationale – dans cet État aux 135 groupes ethniques distincts, au demi-million de moines bouddhistes… et de militaires – feraient l’objet de soins particuliers et mobiliseraient prioritairement les ressources et les énergies. Au plus fort des réserves de la communauté internationale sur l’opération contre-insurrectionelle menée par l’armée birmane en Arakan (octobre 2016 – mars 2017), La « Dame de Rangoun » rappelait combien cette réconciliation nationale lui était chère et « inévitable » (The Hindu, 1er décembre 2016).

La mobilisation des énergies et les efforts déployés en faveur du complexe processus de paix ne sauraient se discuter. Réunions, médiations, négociations et conférences entremêlant une impressionnante pléiade d’acteurs se sont succédé sur le territoire birman, en Thaïlande, en Chine – dans une relative disharmonie – sans relâche lors de l’année écoulée. Les résultats en furent très relatifs au regard des attentes et efforts consentis. La paix – et le dialogue politique actuellement élaboré par les parties prenantes – n’est donc a priori ni pour ce printemps, ni pour cet été au vu notamment de l’âpreté des combats dans les États Shan et Kachin et de l’irrédentisme de l’armée régulière. La réconciliation nationale, pour sa part, devra se montrer plus encore patiente…

Thaïlande : la paix et l’ordre pour priorité

En février dernier, les autorités thaïlandaises – le Conseil National pour la Paix et l’Ordre (CNPO) sous l’autorité de l’austère Premier ministre et ex-général Prayuth – annonçaient la création d’un ensemble d’entités. Ces committees seraient en charge de la stratégie nationale, des réformes, de l’administration, enfin, de la réconciliation nationale. De nouvelles structures administratives œuvrant directement sous l’autorité du chef de gouvernement et majoritairement composées de personnels militaires ; un ADN commun particulier qui en dit long sur les orientations du pouvoir – en place depuis le coup d’État militaire (pacifique) de mai 2014 -, et sur la matrice de la réconciliation nationale. A l’automne 2015, l’ancien chef des armées avait eu l’occasion de rappeler dans un discours à la nation combien importait aux autorités la réalisation d’une telle réconciliation nationale. Une métaphore actuellement bien mince dans ce royaume malmené depuis une quinzaine d’années par une grave crise politique opposant un establishment historiquement tout puissant (palais royal, élites urbaines, milieux d’affaires, armée) face à une Thaïlande plus modeste, rurale, moins influente, mais arithmétiquement à son avantage lors des scrutins organisés depuis 2001.

En dépit de ces appels répétés du CNPO à la réconciliation nationale, on ne peut toutefois s’empêcher de douter de la réalité de son engagement : les restrictions aux libertés publiques encore en place pour les 68 millions de citoyens, la rédaction d’un nouveau cadre constitutionnel restreignant grandement l’exercice de la démocratie, enfin, l’organisation d’élections législatives reportées à présent à minima courant 2018, militeraient a priori davantage en faveur d’une désunion nationale prolongée…

Sri Lanka : huit années de paix et de timides avancées

Dans l’ancien Ceylan, cette perle de l’Océan Indien où prévaut depuis le printemps 2009 une paix longtemps hypothétique, la réconciliation nationale est en permanence au cœur du discours des autorités. Dans ce pays insulaire que balafra durant un quart de siècle un meurtrier conflit civil ethnico-religieux (entre 60 000 et 100 000 victimes ; jusqu’à 800 000 personnes déplacées par les violences et les combats) existe notamment un ministère de l’Intégration nationale et de la Réconciliation. Du 8 au 14 janvier dernier, le gouvernement a organisé une « National Integration & Reconciliation Week » pour « promouvoir entre les diverses communautés ethniques, religieuses et culturelles l’unité, la paix, l’empathie et la fraternité ». Des initiatives nobles en soit qu’il s’agit de louer.

Le mois dernier pourtant, assez loin de cette relative euphorie, les Nations Unies ont laissé poindre une réserve évidente quant aux avancées et chances de succès de ces efforts de réconciliation. Le Haut-Commissariat pour les Droits de l’Homme s’est notamment interrogeait sur la lenteur avec laquelle la justice sri-lankaise instruit les cas de crimes de guerre et autres violations diverses des droits, toujours observées huit ans après le terme du conflit. Des plaintes soumises principalement par une minorité ethnique tamoule (environ 15 % de la population) encore très peu à son aise dans le paysage post-conflit national. En adoptant par consensus la résolution 34/L1, l’instance onusienne genevoise a alloué deux années supplémentaires (jusqu’en 2019) au gouvernement pour réaliser ses engagements de 2015 en matière de réconciliation nationale et de justice. Dont acte.

Ainsi donc et sans surprendre, pas plus en Asie qu’ailleurs, la réconciliation nationale ne saurait aussi aisément se décréter depuis les palais présidentiels ou le quartier général des forces armées. La Birmanie post-junte sous le joug plus doux d’Aung San Suu Kyi, la Thaïlande post-Bhumibol (Rama IX) aux ordres d’un ancien commandant en chef de l’armée royale, le Sri Lanka post-conflit civil du Président Maithripala Sirisena ne constituent – hélas pour les populations concernées – aucune exception à ce sévère postulat. Dans ce trio disparate de pays asiatiques quelque peu tourmentés par une douloureuse histoire récente, bien des années – des décennies peut-être – s’écouleront encore avant que les cicatrices et meurtrissures ne laissent finalement la place à une sérénité intérieure retrouvée. N’en déplaise à la communauté internationale.

« Son artillerie peut raser Séoul en quelques heures »

Fri, 14/04/2017 - 09:57

Quelle est la capacité militaire réelle de la Corée du Nord ?

L’armée nord-coréenne est organisée pour la défense du territoire, bien plus que comme une force de projection. Chaque jour, depuis 1953, le pays tout entier se prépare à une attaque de l’extérieur. C’est pour cette raison que la république démocratique compte 1 million de militaires, pour une population totale de 25 millions. A titre de comparaison, la France compte moins de 300.000 soldats pour 70 millions d’habitants. La nation tout entière est formée à la défense du territoire, tout le monde est mobilisable en permanence. Le nombre de réservistes, qui englobe une grande partie de la population, effectue des périodes d’entraînement via leur entreprise ou leur village. Du côté du matériel, les chiffres peuvent paraître impressionnants comme, par exemple, les 4.700 chars de combat ou les 950 avions de chasse. Mais il faut bien voir que ce matériel n’est pas à la pointe de la technologie, certains datant encore de l’ère soviétique. D’où des problèmes de maintenance, de pièces détachées et même de carburant. Pour les chasseurs par exemple, les exemplaires les plus modernes sont des MiG-29, un modèle développé au début des années 1970. Le constat est le même pour les forces navales : le pays affiche 70 sous-marins mais il est incapable de faire débarquer des troupes sur les côtes de la Corée du Sud. Et ne dispose ni de porte-avions ni de croiseur. Cela étant, si un conflit survenait réellement avec le voisin du sud, l’artillerie nord-coréenne est capable de raser Séoul en quelques heures.

Après une cinquantaine de tirs de missile, Pyongyang finit-il par puiser dans ses stocks ?

Les stocks sont conséquents et on peut dire aujourd’hui que la Corée du Nord est une nation balistique crédible. Elle dispose d’un nombre important de missiles d’une portée s’échelonnant, selon les modèles, entre 300 et 1.300 kilomètres. Autant dire que ces engins, qui embarquent des charges conventionnelles, peuvent atteindre tout point en Corée du Sud et au Japon.

Le programme nucléaire est-il vraiment développé ?

Chaque année, la Corée du Nord ajoute des kilogrammes supplémentaires d’uranium enrichi pour étayer son arsenal nucléaire. Et ce, en dehors de tout contrôle de l’Agence internationale à l’énergie atomique. Depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong-un a déjà supervisé trois tirs. Avec, chaque fois, une gradation supplémentaire dans la sophistication technologique. Et le régime n’est pas près de dénucléariser.

« L’emprise » – 3 questions à Achraf Ben Brahim

Thu, 13/04/2017 - 17:21

Achraf Ben Brahim, chef de projet multimédia et consultant, est l’auteur « d’Encarté », une enquête remarquée sur la crise des partis politiques français. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son second livre, « L’emprise : enquête au cœur de la djihadosphère », aux éditions Lemieux.

Comment les médias occidentaux sont-ils tombés dans le piège tendu par l’État islamique ?

Le traitement médiatique de l’État islamique (EI) reste à mon sens lacunaire, principalement par peur de « faire le lit du djihadisme ». Nous sommes incapables d’avoir un traitement dépassionné de la question, si bien qu’en dehors des images d’exactions ou d’attentats, peu de choses sont retenues. Chaque fois que les bureaux médiatiques de l’EI mettent en scène des exécutions qui se concurrencent par le degré de cruauté, les rédactions se jettent dessus et commentent en boucle. Le problème de ces images est de ne représenter qu’une infime partie de la communication djihadiste. Le gros de la propagande est composé de scènes de combats et, surtout, de thématiques religieuses, économiques, sociétales et politiques. C’est avant tout cet aspect-là qui explique l’attraction de l’EI. Mais il est peu traité ou déconstruit par les différents médias.

La ruse a fonctionné car ces images ont servi de leurres. Pendant que les commentateurs s’en horrifiaient, l’EI a pu tranquillement déployer son véritable arsenal médiatique sur la toile, à savoir des productions très bien montées sur le dinar-or, l’obligation du califat ou encore la charia et vanter la solidité de ses politiques publiques à Raqqa et Mossoul. Ce qui fut d’une redoutable attractivité.

Plus grave encore, c’est qu’ironiquement, certains médias n’ont fait qu’augmenter la crédibilité de l’EI auprès des aspirants djihadistes. C’est en effet ces premiers qui ont permis au second de se forger une réputation afin d’opérer par la suite une véritable « OPA du djihad », au détriment des autres groupes djihadistes, ignorés par les médias. L’EI s’est ainsi payé à peu de frais une campagne de publicité pour cibler les « radicalisés » occidentaux. Ce qui a manifestement porté ses fruits puisque pendant plusieurs mois, le groupe a absorbé des arrivées massives de toutes sortes et de toutes nationalités.

Pourquoi, alors que beaucoup accuse les Frères musulmans et organisations dérivées de faire le lit des djihadistes, écrivez-vous qu’ils sont leurs ennemis ?

Les mouvements djihadistes, à commencer par l’EI, sont hostiles aux Frères musulmans. À titre d’exemple, l’EI n’a pas hésité à déclarer apostat le président égyptien déchu, Mohamed Morsi, dans un numéro de Dar-Al-Islam, leur magazine.

Il y a également beaucoup de divergences entre ces derniers sur les volets religieux, politique et sociétal. En effet, l’EI a une vision bien plus rigoriste de l’islam. Cela se traduit par l’application d’une charia sans compromis quel que soit le contexte, le bannissement de la femme du champ politique et une rupture totale avec le monde extérieur. Il prône un califat islamique, modèle politique en contradiction avec les régimes politiques que nos sociétés connaissent et considère la démocratie et le vote comme une innovation et une mécréance. Les Frères musulmans, quant à eux, s’inscrivent dans ce processus pour arriver au pouvoir. Mais les divergences ne s’arrêtent pas là.

L’EI prône le djihad armé, les Frères musulmans le condamne et veulent convaincre par des campagnes de bienfaisance et des politiques sociales envers les populations. Ainsi, en Égypte, il n’est pas rare de voir des villes entières être dépendantes des aides de la confrérie.  De ce fait, les Frères musulmans sont perçus par les djihadistes comme au mieux laxistes, au pire – et le plus souvent – apostats. À l’inverse, les Frères musulmans perçoivent l’EI comme des fanatiques aux pratiques éloignées de l’islam.

CFCM, UOIF, EMF, conférence des imams et même Tariq Ramadan sont jugés apostats par l’État islamique. Pourquoi ?

A partir du moment où une figure religieuse diverge sur l’obligation de la charia, du djihad, du califat ou de la Hijra (émigration vers un pays musulman), aux yeux de l’EI, elle apostasie. C’est le cas des personnalités comme Tariq Ramadan, qui appelle au vote, reconnait la démocratie et encourage l’ascension sociale pour former un « micro-lobbying musulman ». Ce qui suggère donc le maintien du musulman dans un pays jugé mécréant. De la même manière, le désormais célèbre imam de Brest, Rachid Abou Houdeyfa, présenté comme le fer de lance de l’islamisme en France, est considéré apostat et menacé de mort en permanence par l’EI, en raison de sa condamnation des attentats et de son appel à s’inscrire dans le processus civique français.

Concernant l’UOIF et ses mosquées, le djihadiste Rachid Kassim, instigateur de plusieurs attentats et tentatives d’attentats, affirmait – lors des entretiens effectués pour l’ouvrage – regretter de ne pas pouvoir revenir dans sa ville natale pour y mettre le feu, considérant les mosquées françaises comme des « temples républicains ».

C’est pourquoi l’EI est avant tout aux prises avec sa propre communauté́ religieuse et demeure en conflit permanent avec ces personnalités que les djihadistes excommunient et affublent du titre de « serpillères de la République ». Il faut donc sortir de ce carcan qui consiste à apposer le label « islamiste » à tort et à travers. N’est pas islamiste ou djihadiste qui veut. Cette appellation, jetée à tour de bras au hasard des discours, a des conséquences très négatives.

On ne débat plus, on ne compare pas les discours. On fait peur en faisant appel aux bas-instincts de l’individu, consistant à le dissuader de toute pensée critique puisqu’il suffit de dire « c’est un islamiste fondamentaliste ». La formulation ainsi jetée, avec ce qu’elle suggère, à savoir attentats et assassinats, entrave la réflexion. Surtout quand ceux présentés comme islamistes sont pour l’EI de vulgaires apostats à éliminer.

En réalité, ces confusions arrangent un large pan de la sphère politico-médiatique. D’un côté, il y a une paresse médiatique qui ne formule pas de raisonnement critique par ignorance du sujet. Et de l’autre, des politiques qui, faute de pouvoir se saisir véritablement du problème (preuve avec le fiasco de la déradicalisation), se rabattent sur ces entités pour donner l’impression de combattre le phénomène.

L’adage veut que faute de grives, on mange des merles. C’en est ici l’illustration.

Relations Etats-Unis/Russie : Donald Trump « a changé du tout au tout »

Thu, 13/04/2017 - 16:08

Le président russe Vladimir Poutine a reçu mercredi 12 avril au Kremlin le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, dans un climat tendu. Les relations entre Washington et Moscou se sont détériorées, après la frappe américaine sur une base aérienne syrienne, en réponse à une attaque chimique présumée dans une zone rebelle de Syrie attribuée au régime de Bachar al-Assad. Sur franceinfo, Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), estime que le président américain Donald Trump « a changé du tout au tout » et qu’il y a « une reprise en main des structures militaires sur Donald Trump ».

A-t-on mal compris Donald Trump ou bien est-ce lui qui a changé du tout au tout ?

Pascal Boniface : C’est lui qui a changé du tout au tout, sur l’intervention des États-Unis dans le monde, sur l’Otan et la Syrie. Il y a une reprise en main des structures militaires sur Donald Trump. C’était prévisible mais c’est plus rapide que prévu.
Ce sont des généraux dans son entourage qui pèsent le plus. Les idéologues comme Steve Bannon ont été écartés. Les généraux sont à la fois un élément pour tempérer le caractère intempestif de Donald Trump, mais en même temps les anciens logiciels américains classiques reviennent.

C’est l’armée américaine qui pèse sur Donald Trump, alors qu’elle fait partie de l’establishment qu’il avait dénoncé pendant sa campagne ?

Exactement. Il avait également sur le plan financier dénoncé dans la campagne le secteur bancaire, qui revient en force dans son entourage. Il avait pris ses distances sur l’establishment militaire et l’industrie de défense et là il augmente le budget de la défense de 10%. Il fait tout à l’envers de ce qu’il avait dit comme candidat.

Les Russes sont-ils aussi désarçonnés par ce Donald Trump qu’ils n’attendaient pas vraiment ?

Les Russes aiment bien ce qui est prévisible. Ce qui est imprévisible leur déplaît fortement. Ils avaient misé beaucoup sur un rapprochement, un axe Moscou-Washington. Ce rapprochement n’existe pas, n’a pas eu lieu et il s’éloigne encore un peu plus. La rencontre entre le secrétaire d’État américain Rex Tillerson et le président russe Vladimir Poutine n’a débouché sur aucun résultat tangible.

« Le sport condamné à vivre sous protection »

Thu, 13/04/2017 - 15:45

En quoi le sport peut-il être pris pour cible par les terroristes ?

Historiquement, le sport est une cible prisée des terroristes comme en attestent la prise d’otage de Munich en 1972 ou l’attentat mené contre le marathon de Boston en 2013. Dans la mesure où les évènements sportifs attirent les caméras, ils amènent également les terroristes qui veulent frapper les opinions. De fait, ces manifestations très médiatisées deviennent des cibles de choix. Et ce quelque soit le positionnement géopolitique des pays où ils se déroulent. Par exemple, le budget sécurité des derniers Jeux Olympiques de Rio était le plus important de l’organisation. Le déploiement militaire et policier y était très fort. Pourtant, le Brésil n’est pas impliqué dans les affaires du Proche-Orient. Ce qui intéresse les terroristes, c’est la combinaison d’une foule compacte et la médiatisation. Ce phénomène n’est donc pas spécifique au sport comme en témoigne l’exemple des attentats contre la salle de concert du Bataclan, qui rassemblait des conditions similaires.

La notoriété du football en fait-elle une cible privilégiée ?

Oui, on se rappelle des attentats du 13-novembre visant le Stade de France et des mesures de sécurité prises pour l’organisation de l’Euro-2016. Ce championnat d’Europe de football qui s’est déroulé sans incident, y compris dans les fans zone, montre que l’on peut sécuriser ces évènements. De même qu’il n’y a pas eu d’attentat à Rio, malgré les craintes initiales. Les rencontres sportives sont visées à la hauteur de leur notoriété, mais on peut néanmoins les protéger, sachant qu’ici comme ailleurs il ne peut y avoir de sécurité absolue.

La France a-t-elle développé une expertise particulière avec l’Euro ?

Oui, bien sûr. Il n’y a eu aucun incident alors que cette compétition qui braquait tous les regards. Mais on peut également ajouter le Mondial de hand qui s’est déroulé dans de bonnes conditions peu après. Mais, même avant l’Euro-2016, Jacques Lambert, président de la société organisatrice, avait annoncé que la sécurité serait le défi essentiel. Les attentats qui sont survenus ensuite n’ont fait que renforcer cette préoccupation.

Le sport est-il condamné à vivre sous protection ?

Malheureusement oui. C’est à craindre dans la mesure où c’est l’une des choses les plus médiatisées au monde.

Recueillis par Benoît Rouzaud

Quelle réponse à la crise d’accueil des réfugiés en Europe ?

Thu, 13/04/2017 - 11:46

Jean-François Corty est directeur des opérations internationales de Médecins du monde. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon organisées le 1er avril 2017 par l’IRIS et la ville de Dijon, en partenariat avec RFI et France 24.
– En quoi les politiques migratoires françaises et européennes sont-elles un échec ?
– Quelles évolutions observe-t-on concernant les profils des réfugiés ?
– Quel rôle jouent les ONG ? Ne risquent-elles pas de se substituer aux responsabilités de l’État ?

« Mahmoud Ahmadinejad souhaite montrer qu’il peut encore exister politiquement »

Thu, 13/04/2017 - 11:23

Le 5 avril, l’ancien président de la République islamique donnait une conférence de presse et affirmait qu’il « n’avait pas l’intention de participer à l’élection ». Une semaine plus tard, il décide de se présenter. Comment expliquez-vous ce revirement ?

Avec cette annonce, Mahmoud Ahmadinejad s’aligne sur les personnages politiques imprévisibles qu’on a pu observer ces derniers temps. Sa candidature, en contradiction avec la promesse qu’il avait faite au guide suprême, est un défi aux autorités. Si, dans son discours, il annonce vouloir soutenir son ancien vice-président Hamid Baghaie et respecter ainsi son engagement auprès de Khamenei, la réalité est tout autre. Il a franchi la ligne rouge, et cette offensive obéit à un calcul profondément individuel. Mahmoud Ahmadinejad souhaite en fait s’emparer d’un espace politique laissé vacant. Muni de sa casquette de populiste, il se positionne encore une fois contre la corruption, contre l’establishment. Il souhaite montrer que la candidature de son ancien vice-président Hamid Baghaie n’était qu’une substitution à la sienne et qu’il peut encore exister politiquement.

Quelles seront les conséquences de cette candidature sur la scène politique iranienne ?

La candidature de Mahmoud Ahmadinejad doit encore être validée par le Conseil des gardiens de la Constitution, le conseil veillant à la fidélité des candidats aux idéaux révolutionnaires. Le guide suprême peut d’ailleurs jouer de son influence et veiller à ce que la candidature de l’ancien président ne soit pas validée. Les relations entre les deux hommes s’étaient déjà dégradées à la fin du mandat de l’ancien dirigeant qui avait tenu un discours de plus en plus nationaliste. Si Ahmadinejad obéit à sa stratégie officielle, il peut penser que, même si sa candidature est invalidée, les autorités ne pourront pas invalider celle de Hamid Baghaie. Mais cette hypothèse reste bancale compte tenu du passé de l’autre candidat, emprisonné sept mois en 2015.

Quel est l’avenir politique de Mahmoud Ahmadinejad ?

Mahmoud Ahmadinejad compte jouer sur la base sociale iranienne la plus défavorisée, celle qui l’avait fait élire en 2005. En prenant le contre-pied des politiques de libéralisation économique amorcées par son successeur, il se fait promoteur de la justice sociale et du revenu universel. Une partie de la population adhère à cette rhétorique et se reconnaît dans la personnalité d’Ahmadinejad, « l’homme du peuple ».
Mais il ne faut pas oublier que cette couche sociale ne représente pas l’ensemble de la population. Aujourd’hui, l’ultraconservateur est détesté par les jeunes et la classe urbaine moyenne. Les jeunes le détestent du fait de son insensibilité aux questions de démocratie et de défense des libertés individuelles. La classe moyenne exècre son nationalisme exacerbé. C’est d’ailleurs pour ces mêmes raisons que le guide suprême l’avait empêché de mener campagne. D’un autre côté, Ahmadinejad n’est pas du tout populaire au sein de son clan. Durant son second mandat, les conservateurs avaient vivement critiqué sa politique économique. Aujourd’hui, ils ont leur propre candidat, Ebrahim Raissi, à la tête du « Front populaire des forces de la révolution islamique », nouveau groupe créé en décembre dernier. Face à ces difficultés, difficile d’envisager un avenir politique pour ce personnage controversé.

Le Mali toujours en quête de réconciliation nationale

Tue, 28/03/2017 - 17:06

Lundi 27 mars s’est ouverte la Conférence d’entente nationale à Bamako, au nom de la paix et de l’unité de la nation malienne, alors que le conflit dans le pays dure déjà depuis cinq années. Décryptage de Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS.

Après cinq ans de conflit, quelle est la situation au Mali ? L’accord de paix d’Alger signé en 2015 a-t-il été suivi d’effets concrets ?

On peut effectivement considérer qu’il y a eu certaines avancées puisqu’après l’intervention de l’opération Serval française, soutenue par les Nations unies et par un certain nombre d’armées africaines, les djihadistes qui menaçaient Bamako ont été repoussés. Cela a ainsi rendu possible d’organiser des élections, notamment celle du président IBK, qui se sont déroulées correctement. De ce point de vue-là, il y a donc eu une avancée politique.
Ceci étant, ni la réconciliation nationale, ni la pacification du territoire n’ont été réalisées. Sur ce plan, l’accord d’Alger ne s’est donc pas traduit par des résultats très concrets. Pourquoi ? D’une part parce qu’il n’existe pas de pouvoir fort, capable de véritablement prendre en main les grands enjeux d’une réconciliation nationale. On observe donc une faillite de la classe politique malienne. D’autre part, se pose le problème de la sécurisation du territoire. Il faut cependant noter que l’insécurité ne se résume pas simplement aux djihadistes au nord, ni à la possibilité d’attentats à Bamako ou ailleurs. En réalité, le problème d’insécurité est fondamentalement dû au fait de la persistance des conflits entre communautés, entre les éleveurs peuls et les agriculteurs, entre les autochtones ayant des droits – ou ceux qui se définissent comme tels – et les étrangers halogènes, etc. Ces oppositions sont à la base des conflits. Or, comme l’État malien n’est pas capable ni d’assurer ses fonctions régaliennes, ni de contrôler le territoire pour garantir la sécurité des biens et des personnes, on assiste à une montée de l’insécurité dans le pays.
Enfin, demeure le problème de l’Azawad, avec évidemment la question de sa désignation. Cette région est également en proie avec des conflits entre différentes communautés. L’Azawad est en effet non seulement très différente du monde bambara au sud du Mali, mais elle est également composée de très nombreuses communautés : peuls, songhaïs, arabes, etc. Il n’existe donc aucune unité socioculturelle au sein même de l’Azawad.

Que peut-on attendre de la Conférence d’entente nationale ? Comment interpréter le boycott de l’opposition et des ex-rebelles ?

La réconciliation nationale du Mali est une nécessité. Cette Conférence d’entente nationale, qui regroupe environ 300 personnes, représente un élément de dialogue entre les différentes forces existantes, qu’il s’agisse des forces politiques, des représentants de la société civile ou des différents acteurs qui essayent d’intervenir dans la crise malienne. Il faut toutefois noter que cette conférence n’a pas de pouvoir de décision, elle représente seulement une possibilité de dialogue, de rencontre et de consultation. Ceci étant, cette réunion ne peut réussir qu’à condition que toutes les parties présentes puissent dialoguer. De ce point de vue, on observe l’existence de divisions extrêmement importantes au sein des mouvements, notamment touareg. Un homme comme Iyad Ag Ghali, qui est lui-même un Touareg soutenu en partie par l’Algérie, joue un rôle très important. Et cela d’autant plus que le conflit a aussi pris une dimension djihadiste à travers l’opposition entre les groupes rattachés à AQMI et ceux qui envisagent éventuellement des liens avec Daech. Ainsi, ces différents groupes, opposés soit pour des raisons socioculturelles et ethno régionales, soit pour des questions de stratégie djihadiste, ne veulent absolument pas d’une conférence de réconciliation.
Il faut donc espérer qu’un consensus et qu’une réconciliation nationale suffisante naissent, et qu’une solution d’autonomie relative pour l’Azawad soit trouvée, afin de permettre aux forces voulant assurer la paix, la sécurité et la réconciliation de l’emporter.

Concernant l’armée française et la communauté internationale, les opérations Barkhane et Minusma sont-elles enlisées sur le terrain ?

Grâce à ces opérations, les forces djihadistes ont pu être endiguées et le territoire malien a pu être sécurisé a minima. Ceci étant, si des batailles ont certes été remportées, la guerre, elle, est loin d’être gagnée. Tout le monde est conscient que la force Barkhane risque ainsi de s’embourber. Il existe en effet toujours des risques d’enlisement dans le temps parce qu’hélas, aucun substitut rapide ne se dégage, notamment de la part des forces de l’ordre nationales.
Demeure également le risque que les forces d’intervention étrangères commettent quelques bavures. À ce moment-là, ces armées peuvent apparaître auprès des populations locales comme des forces d’occupation, même si elles sont évidemment intervenues à la demande des autorités nationales et avec l’aval du Conseil de sécurité. Il est donc prioritaire et urgent que les forces maliennes et régionales africaines prennent le relai par rapport à la force Barkhane. La force française peut certes intervenir en appui logistique et en appui de renseignements mais il est évident qu’il faudrait trouver une meilleure réponse. Or, pour l’instant, cette réponse n’existe pas. Certes, quelques armées européennes, notamment allemandes, sont maintenant également présentes sur le territoire malien mais il n’existe aucune intervention qui soit adaptée à l’enjeu de la situation.

Donald Trump mis à l’épreuve par le Congrès : le président peut-il rebondir après des échecs symboliques ?

Mon, 27/03/2017 - 18:04

Alors que réformer « l’Obamacare » était une promesse phare de la campagne de Donald Trump, ce dernier a finalement dû renoncer à ce projet de loi faute de voix nécessaires au sein de son propre parti. L’analyse de Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS.

Comment expliquer que Donald Trump n’ait pas réussi à mener à bien cette réforme alors que depuis sa création, l’Obamacare était farouchement critiqué par les républicains ?

Depuis l’entrée en vigueur de l’Affordable Care Act (« Obamacare ») en 2010, les Républicains n’ont cessé de réaffirmer leur volonté de remplacer cette loi. Leurs critiques s’étaient atténuées au fil des années mais elles ont connu un regain depuis l’élection de Trump. Mais comment être sûr d’avoir un système moins coûteux (pour les entreprises comme les particuliers), sans fragiliser la protection-santé des classes moyennes ? Comment éviter que des millions d’individus et de ménages ne se retrouvent sans assurance ? En réalité, le projet de Trump – décidé à la va-vite, sans concertation et avec pour principal moteur la baisse des dépenses publiques et des taxes -, aurait fait perdre leur assurance-santé à 25 millions d’Américains.

La veille du vote, un sondage de la Quinnipiac University estimait que seuls 17 % des personnes interrogées soutenaient le projet de loi, 56 % étant contre. Le projet a du reste été retiré, faute de majorité à la Chambre des représentants. Cela signifie que les élus républicains sont fortement divisés sur ce sujet et que l’opposition ne se limite pas aux ultras versus les modérés. Ainsi, une partie de l’aile droite des Républicains, regroupée au sein du « Freedom Caucus », trouvait que le texte ne rompait pas assez avec l’Obamacare. À l’opposé, des groupes de pression comme l’Americans for Tax Reform, autrefois proche du Tea Party, poussaient pour l’adoption de la nouvelle loi. Quant aux élus modérés, ils étaient contre le projet.
D’une manière générale, remplacer l’Obamacare est compliqué pour les membres du Congrès. Et cela à la fois du côté des représentants – qui ont des comptes à rendre à leurs électeurs à court terme puisqu’ils remettent leur mandat en jeu tous les deux ans – et des sénateurs, qui ont sous leur responsabilité des circonscriptions plus vastes et donc des administrés à la sociologie plus diverse et complexe en matière de santé.

Après l’échec des deux décrets présidentiels sur l’immigration, ainsi que les gages donnés par Trump aux ultra-conservateurs sur la dérégulation environnementale et sur la remise en cause de l’accès à l’avortement, ce projet de loi était un test relatif à l’unité du camp républicain. Autant dire que c’est un double échec. D’une part, de la stratégie de Trump de faire fi du fonctionnement institutionnel et de tout traiter par le « deal », comme en affaires. D’autre part, des élus conservateurs qui, dans la continuité des huit années de présidence Obama – comme je l’explique dans mes deux derniers livres* -, pâtissent d’oppositions très fortes, que l’élection de Trump n’a certainement pas levées.
Cet échec fragilise donc le président (de même que le vice-président Pence, politicien aguerri, qui doit aussi prendre sa part de responsabilité) et affaiblit sa crédibilité auprès des parlementaires et des mouvements ultraconservateurs. De nombreux médias et une partie croissante de l’opinion le voient de plus en plus comme incompétent, alors qu’il s’est fait élire sur une image d’autorité et de détermination face aux institutions. En réalité, Trump paie son populisme, ainsi que son mépris du fonctionnement de la démocratie. « Oubliez les petits détails à la con », aurait-il dit la semaine dernière à des élus de la Chambre, selon CNN. Il a beau jeu d’accuser les Démocrates d’avoir refusé tout compromis. N’a-t-il pas reconnu publiquement, en février dernier, que la réforme de la santé « c’est plus compliqué » qu’il ne « l’aurait cru » ? Ces propos sont pour le moins stupéfiants.

De quelle marge de manœuvre Trump dispose-t-il pour gouverner face à cette division des républicains ? Dans ce contexte, comment se profile son projet de réforme fiscale, autre dossier majeur de son agenda ?

Donald Trump est contraint de s’entendre avec le speaker de la Chambre. S’il entrait, comme le lui suggèrent ses partisans, dans une opposition frontale avec Paul Ryan, ce serait vraiment très risqué pour la suite des réformes qu’il veut mener à bien.
Le président semble du reste désireux de passer à autre chose (un nouveau projet de loi santé verra-t-il le jour ? Quand ? Nul ne le sait pas) pour se concentrer sur la réforme fiscale, qui fait aussi partie de son projet. Le style de communication ne change pas, Trump restant dans le registre performatif : « Nous allons probablement commencer à y aller très, très fort avec les grosses coupes d’impôts », a-t-il déclaré. Pendant la campagne, il a en effet promis une diminution de l’impôt sur les sociétés de 35 à 15%, mais qui devait notamment être financée par… les économies liées à la réforme de la santé. Le déficit fédéral pourrait alors être la solution de repli, ce qui ne plaira pas à l’aile droite conservatrice.
La santé n’est donc pas le seul sujet de discorde : outre la fiscalité, la réforme des lois sur l’immigration et la gestion de la dette fédérale occasionneront sans nul doute de très vifs débats.

Le FBI vient de confirmer l’existence d’une enquête sur les liens entretenus durant la campagne présidentielle par l’équipe Trump avec la Russie. Quelles pourraient-être les répercussions d’une telle enquête sur le président ?

Le FBI mène en effet une enquête pour déterminer quel rôle l’équipe présidentielle en place a joué dans l’ingérence probable de la Russie dans la campagne présidentielle de 2016. Parallèlement, l’Intelligence Committee du Sénat prévoit d’auditionner Jared Kushner, gendre du président, à propos notamment de rencontres qu’il aurait eues avec l’ambassadeur russe, Sergey Kislyak, pendant la période de transition à la Maison-Blanche – aux côtés de Michael Flynn, conseiller ayant depuis démissionné -, ainsi qu’avec une banque nationale russe de développement. Ces rencontres ont-elles eu lieu pour le compte de Donald Trump, pour l’intérêt des entreprises Kushner, ou pour les deux à la fois ? Quant au ministre de la Justice, Jeff Sessions, il a reconnu avoir menti lors de ses déclarations sous serment au cours de son audition au Sénat préalable à sa confirmation, à propos de rencontres en juillet et septembre 2016 avec le même Kislyak.
Du côté de Trump, on tente de minimiser et de détourner l’attention en dénonçant une « chasse aux sorcières » de la part de ceux qui n’acceptent toujours pas son succès du 8 novembre dernier. En réalité, le risque est grand pour le président, ainsi que pour son entourage professionnel et familial – la frontière entre les deux n’existant pas –, de perdre encore en crédibilité.
S’il est avéré que Trump ou ses proches ont participé à un trucage de l’élection avec la complicité de la Russie, ce serait extrêmement grave. Si rien n’est prouvé, le soupçon demeurera néanmoins, renforçant encore un peu plus une opposition qui, notamment dans la société civile (mouvements de défense des immigrés, de protection de l’environnement, des droits des femmes, etc.), considère le président élu comme un imposteur incompétent et dangereux pour la démocratie. Mais sa crédibilité est aussi mise à mal dans son propre camp. Trump est aujourd’hui dans une dynamique négative et il va être intéressant de voir si, et comment, il pourra rebondir.

*Marie-Cécile Naves est notamment auteure de « Le nouveau visage des droites américaines. Les obsessions morales, raciales et fiscales des Etats-Unis » (FYP, 2015) et de « Trump, l’onde de choc populiste » (FYP, 2016).

Réchauffement climatique : une course contre la montre entravée par Donald Trump

Fri, 24/03/2017 - 17:11

Selon le dernier rapport publié par l’Organisation météorologique mondiale (OMM), l’année 2016 a battu tous les records en étant l’année la plus chaude jamais enregistrée. Le point avec Bastien Alex, chercheur à l’IRIS, près de deux ans après les engagements pris lors de la COP 21.

Au vu de ce rapport alarmant, a-t-on atteint un point de non-retour en termes de réchauffement climatique ? Deux ans après sa signature historique, les décisions prises lors de la COP 21 pourront-elles infléchir cette tendance ou est-on encore loin du compte ?

Difficile de dire si le point de non-retour est franchi. Ce qui est certain par contre, c’est que les records se succèdent car jusqu’alors, 2014 puis 2015 étaient aussi les années les plus chaudes. Il n’est donc plus possible de balayer d’un revers de la main la thèse selon laquelle l’augmentation de la température moyenne augmente. Surtout que des épisodes climatiques extrêmes sont là pour nous rappeler que les impacts sont aussi de cet ordre. Il n’y a qu’à voir les intempéries que connait actuellement le Pérou en lien avec le phénomène El Niño : ce dernier a provoqué des précipitations diluviennes et les inondations les plus importantes depuis 1998, causant la mort de 75 personnes au bilan actuel.
Concernant le processus onusien initié par la signature de l’Accord de Paris, il faut rappeler que le texte propose un cadre avec des objectifs, notamment celui de limiter à 2, voire 1,5°C, l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe. Les États ont pour cela proposé des contributions nationales (INDC) encore insuffisantes et qui n’ont surtout pour la plupart que peu de traduction concrète. Il faut maintenant élaborer les politiques publiques qui permettront d’atteindre les objectifs d’atténuation. Mais il faut également déterminer, au niveau international, les règles de répartition des financements, par exemple de comptage des émissions, de publications et de suivi des résultats. Tout ce travail débuté à Marrakech doit être approfondi pour que l’Accord de Paris vive et ne soit pas une simple feuille de papier signé par 196 parties.

Donald Trump a annoncé des coupes drastiques des budgets touchant à l’environnement. Quelles peuvent être les conséquences d’une telle politique climato-sceptique pour les États-Unis et la planète en général ?

Pour les États-Unis, ces orientations vont clairement à rebours de tous les engagements pris par l’administration précédente. Les réductions sont historiques, tout comme l’augmentation du budget de la Défense, même si elle reste en deçà de ce qui avait été annoncé précédemment. Pour l’Agence de protection de l’environnement (EPA ; -31%), la NASA ou le département de l’Énergie (-5%), les coupes sont sèches et sont clairement destinées à mettre à mal les recherches sur le changement climatique et les programmes de préservation développés. La crainte principale est de voir disparaître une partie de l’expertise américaine, et donc mondiale, sur le climat. Certaines données ne sont en effet détenues que par la seule NASA ; la décision serait donc lourde de sens car elle conduirait à une réduction de nos capacités à comprendre le phénomène du changement climatique et par conséquent à y apporter des réponses pertinentes. Toutefois, et nombre d’acteurs l’ont souligné, il est loin d’être certain que ce budget soit adopté car il est abondamment critiqué par une partie des élus républicains, notamment sur les coupes concernant le département d’État. Ce dernier se voit pour l’instant amputé d’une partie de montants censés abonder le Fonds vert pour le climat (l’enveloppe de 3 milliards serait réduite à 2). De même, les normes de consommation imposées aux constructeurs automobiles pourraient être remises en cause car Scott Pruitt, directeur de l’EPA, et Elaine Chao, la ministre des Transports, en ont fait un objectif de leur mandat. Toutefois, la résistance s’organise : les maires de 30 villes du pays ont déclaré vouloir mettre 10 milliards de dollars sur la table pour faire l’acquisition de véhicules électriques que pourraient utiliser les services municipaux (polices, pompiers, etc.).
Bien que non voté, ce budget 2018 n’est donc pas une bonne nouvelle pour la lutte contre le changement climatique car cela pourrait être utilisé par d’autres États réticents à faire des efforts d’atténuation. Rappelons que l’Accord de Paris tire en grande partie sa légitimité et sa portée des choix que feront les deux principaux émetteurs que sont les États-Unis et la Chine. Toute défection de leur part ne manquerait pas d’être exploitée par d’autres pays. Toutefois, la Chine semble déterminée à poursuivre le développement des énergies renouvelables sur son territoire et à accroître son savoir-faire dans ce secteur.

Le 21 mars, quelques 120 personnalités économiques et académiques françaises ont signé un « Manifeste pour décarboner l’Europe », appelant le prochain président de la République à prendre des mesures concrètes contre le réchauffement climatique. Quel rôle peuvent jouer les entreprises dans la lutte pour une Europe décarbonée ? Comment interpréter cet appel ?

Les acteurs non-gouvernementaux sont désormais des moteurs en la matière. Ce sont eux qui portent à la fois les sujets sur le devant de la scène via les ONG mais aussi les volontés de transformations ; en attestent les positions souvent plus ouvertes de certaines collectivités territoriales par rapport au gouvernement central avec l’exemple californien. La COP21 a achevé de le démontrer, avec les résultats importants des campagnes Divest-Invest où des ONG ont obtenu de certaines entreprises ou structures qu’elles retirent leurs soutiens ou subventions aux énergies fossiles. Nombre de firmes ont des intérêts grandissants à développer les technologies et solutions qui permettront d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES. À cet égard, elles ont besoin, pour investir, de l’incitation et de la visibilité que peuvent leur procurer les orientations politiques et les cadres réglementaires élaborés par les États. Ces derniers ont fixé un cap, l’Accord de Paris, qui contient des objectifs. Il faut maintenant qu’ils se donnent les moyens de les atteindre en produisant les incitations nécessaires à la réorientation d’une partie des investissements économiques. Un des signaux importants reste le prix du carbone, qui, pour prendre l’exemple du marché européen, augmentera lorsque la quantité de quotas distribuée par la Commission européenne sera réduite. S’il atteint un prix significatif, autour de 25 ou 30 € la tonne, la réorientation des investissements suivra. Pour cela, la pression des acteurs de la société civile est nécessaire, tout comme la résistance des décideurs à certains lobbys industriels. C’est bien le politique qui doit donner le signal et la décision dépend donc du comportement des acteurs économiques mais également civils. Le « Manifeste pour décarboner l’Europe » va dans ce sens et cela finira par donner des résultats à moyen terme, même si le temps nous est compté.

Libye : quelles solutions pour éviter le basculement dans une troisième guerre civile ?

Fri, 24/03/2017 - 11:36

Près de six années après la chute du colonel Kadhafi, la Libye se trouve toujours dans un état de chaos et la multitude d’acteurs sur le terrain peinent à trouver un accord. Le point de vue de Kader Adberrahim, chercheur à l’IRIS.

Quelle est la situation actuelle des différentes forces en présence en Libye ?

Aujourd’hui, la situation est extrêmement mouvante et volatile mais on peut observer que deux grandes forces se dégagent. D’un côté, l’armée du général Khalifa Belqasim Haftar, originaire de Tobrouk, représente officiellement l’armée nationale, légaliste et loyaliste. Cette dernière constitue la force la plus disciplinée, la plus organisée et la mieux équipée. Cependant, il est paradoxal que le maréchal Haftar n’ait pas reconnu le gouvernement de monsieur Fayez al-Sarraj qui siège près de Tripoli, lui-même pourtant reconnu par la communauté internationale.
D’autre part, la deuxième grande force est celle des islamistes, très composite et divisée. Ces derniers sont présents à la fois à Tripoli mais également à Benghazi et à Syrte. Il faut également ajouter l’organisation terroriste de Daech qui reste présente sur l’ensemble de la Libye tripolitaine et cyrénaïque. Même si l’organisation a connu un certain nombre de revers militaires ces derniers mois, elle reste une force avec laquelle il faut compter et probablement avec laquelle il faudra composer dans une perspective de règlement général de ce conflit.

Après avoir démis Kadhafi en 2011, quelle posture adoptent aujourd’hui les puissances occidentales ? La Russie peut-elle bousculer les règles du jeu diplomatique ?

Ce sont la France et la Grande-Bretagne qui avaient déclenché la guerre en avril 2011. À l’époque, les raisons évoquées par ces deux pays étaient dites purement humanitaires, alors que la ville de Benghazi s’était soulevée contre le régime du colonel Kadhafi. Londres et Paris ont cependant totalement dévoyé la résolution 1973 des Nations unies, qui stipulait seulement une no-fly zone. Cette dernière consistait à bombarder les colonnes de l’armée libyenne, qui s’apprêtait à réprimer la population de Benghazi. En réalité, la France, la Grande-Bretagne et l’OTAN sont allées bien au-delà de ce mandat. Tout d’abord parce qu’elles ont effectué un déploiement des troupes au sol. Deuxièmement parce qu’elles ont éliminé le colonel Kadhafi et fait tomber son régime, sans avoir au préalable préparé une solution alternative. Or, c’est bien ce qui a conduit la Libye au chaos dans lequel elle est plongée aujourd’hui. Il semble aussi très probable et imminent que le pays bascule dans une troisième guerre civile. L’Occident porte donc une énorme responsabilité, à la fois politique mais également morale, dans la situation libyenne.
Par ailleurs, lors du débat aux Nations unies en 2011, les Russes et les Chinois n’avaient pas opposé leur véto à cette expédition militaire. Ils avaient plutôt accepté de se laisser faire et s’étaient donc abstenus. Aujourd’hui, les deux pays sont extrêmement méfiants, voire pour la Russie très en colère contre l’Occident de voir qu’elle a été trompée. C’est ce qui explique aujourd’hui que Pékin et Moscou soient, non pas des ennemis, mais plutôt des adversaires des intérêts occidentaux, à la fois sur le terrain syrien, irakien et libyen. Concernant la Libye, il est indéniable qu’il faille aujourd’hui compter avec la Russie sur l’ensemble de la Méditerranée orientale, allant de la Syrie jusqu’au Maroc. Moscou est en effet devenue un acteur très important en Libye puisque la Russie vient de déployer des forces spéciales pour soutenir le maréchal Haftar, dont elle est l’alliée. Le maréchal a d’ailleurs effectué plusieurs séjours dans la capitale russe et le gouvernement de Poutine lui apporte aussi un soutien important en termes de conseillers militaires, qui sont aujourd’hui présents sur le terrain libyen.

Les pays voisins de la Libye semblent de plus en plus se mobiliser en faveur d’une solution politique en Libye. Quel rôle jouent ces puissances régionales concernées ? Peuvent-elles réussir là où les Nations unies ont échoué ?

Les pays du Maghreb présentent des atouts que l’ONU n’a pas : ils n’ont pas participé à cette guerre en Libye et ils y étaient même très largement défavorables, bien qu’évidemment on ne leur ait pas demandé leur avis. L’Égypte est très proche du maréchal Haftar qu’elle soutient militairement, logistiquement et même diplomatiquement. La frontière entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie, qui s’étale sur plus de 1 500 kilomètres, inquiète également du fait de sa porosité mais les alliances n’y sont pas très claires. L’Algérie représente tout de même un acteur ancien et important, qui sait exactement ce qui se passe sur le terrain et qui peut agir sur certains acteurs, notamment sur les islamistes dits modérés (c’est-à-dire qui ont une vision très intra-libyenne et non pas internationaliste de ce conflit).
Au-delà du Maghreb, le maréchal Haftar jouit également du soutien des Émirats arabes unis. Le président tchadien, Idriss Déby, a quant à lui très clairement déclaré à plusieurs reprises qu’il était très en colère de l’attitude de la France, pourtant un pays ami. Le Tchad est aussi extrêmement inquiet concernant sa frontière à l’Est avec la Libye, de peur que ne dégénèrent sur son territoire les conflits ethniques ancestraux qui n’ont jamais été réglés entre Touaregs et Toubous. La Turquie et l’Arabie saoudite jouent également un rôle important. Quant au Qatar, il fournit beaucoup d’argent à la coalition Fajr Libya (« Aube de la Libye »), qui contrôle la capitale Tripoli et différents bâtiments administratifs.
Il est donc nécessaire de tenter de coaliser toutes les énergies pour parvenir à une solution politique négociée entre les différentes factions libyennes. Que ce soit l’Algérie, le Maroc, le Tchad, la Tunisie, l’Egypte, tous ont des atouts à faire valoir. Toute la complexité et la difficulté aujourd’hui en Libye consiste à trouver des interlocuteurs fiables, qui soient capables de tenir leurs engagements. Or, les intérêts des factions libyennes sont extrêmement mouvants parce que ces dernières ne reposent pas sur cette idée d’intérêt général, qui est très couramment partagée en Europe et même au Maghreb. Il n’existe donc pas de conscience collective en Libye et c’est ce qui rend extrêmement difficile aujourd’hui d’avoir des interlocuteurs fiables. En réalité, on observe dans le pays davantage une démarche de type tribale ou culturelle, plutôt que la projection de la Constitution et de la construction d’un futur État libyen. L’opération est donc très difficile et cela risque « d’ensabler » la situation dans le pays, qui menace aussi aujourd’hui de déborder chez ses voisins algériens, égyptiens ou tunisiens.
Face à cette multitude d’acteurs régionaux ou lointains, il est donc absolument nécessaire de parvenir à trouver des points de convergence entre ces acteurs secondaires, afin qu’ils pèsent en faveur d’une solution inter-libyenne.

Syrie, « l’offensive à Rakka ne se fera pas dans l’immédiat »

Fri, 24/03/2017 - 09:37

Que représente Rakka pour Daech ?

Rakka est un peu la capitale de Daech sur la zone qu’elle contrôle en Syrie. C’était le noyau dur de la planification de certains attentats qui ont eu lieu en Europe. D’autres attaques ont sans doute été planifiées depuis Mossoul, en Irak, l’autre fief de Daech.

Comment va s’organiser la reprise de la ville ?

L’offensive à Rakka ne se fera pas dans l’immédiat, contrairement à ce qu’on a pu entendre. La coalition menée par les États-Unis veut d’abord couper les voies de communication menant à la ville, afin d’éviter que des combattants ne partent de Mossoul pour s’y replier. L’encerclement est réalisé avec le soutien de frappes aériennes quasi quotidiennes, qui sont réalisées dans 90 % des cas par les Américains.

L’offensive finale sera beaucoup plus complexe que celle qui est en train de s’opérer à Mossoul. En effet, on est dans une configuration militaire et politique différente. À Mossoul, les forces irakiennes sont soutenues par les milices et bénéficient d’un soutien aérien essentiellement américain. En Syrie il y a plusieurs protagonistes contre Daech : l’armée de Bachar Al Assad ; les milices iraniennes ; les forces kurdes avec principalement celles du PYD ; l’armée turque ; la coalition.

Si on peut considérer que l’armée de Bachar et les milices iraniennes « marchent ensemble », la situation est tout autre entre les Kurdes du PYD et l’armée turque, qui sont des ennemis historiques et qui se « disputent » la prise de la ville de Rakka. Au milieu, la coalition internationale essaye d’arbitrer ces conflits politiques. L’armée russe s’est ainsi déployée à quelques kilomètres des forces kurdes pour empêcher une attaque turque.

En quoi la conquête de Rakka est-elle importante dans la guerre contre Daech ?

D’un point de vue stratégique, la perte de la ville porterait un coup dur aux capacités opérationnelles de Daech. Pour autant, l’organisation ne sera pas détruite. La perte de sa base territoriale peut déboucher dans les mois qui suivent sur une multiplication d’attentats réalisés par des cellules terroristes dormantes. On rentrerait dans une nouvelle séquence du combat mené contre Daech, dans lequel les services de renseignements joueraient un rôle accru.

Recueilli par Guillemette Mahieux

L’Union européenne a soixante ans : comment continuer à avancer ?

Thu, 23/03/2017 - 15:07

Alors que l’Union européenne (UE) s’apprête à fêter les 60 ans du traité de Rome, le 6 mars dernier l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie s’étaient réunies à Versailles pour préparer cette échéance, ainsi que pour plaider l’idée d’une « Europe à plusieurs vitesses ». Le point de vue d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS

Dans quel contexte se préparent les soixante ans du traité de Rome ?

Si l’on se place du point de vue d’un Européen qui observe la marche du monde, l’UE ne semble pas traverser sa meilleure passe, c’est le moins que l’on puisse dire. D’une part, pour la première fois depuis que le projet d’intégration a été lancé, un pays souhaite en sortir. D’autre part, d’un point de vue économique, l’UE n’est pas encore tout à fait sortie du marasme. L’impression qui ressort est donc que d’un côté les choses vont moins bien, et que de l’autre, il ne se dégage guère de perspective de mieux-aller.

Outre-Atlantique, les Américains ont élu un président imprévisible qui tient des propos contradictoires et qui au mieux ne comprend rien à l’UE, au pire, lui semble ouvertement hostile. Les chocs se succèdent, de la crise de la dette souveraine à celle de la zone euro et de la crise grecque à celle des réfugiés : cette actualité néfaste paraît inextinguible à un Européen moyen et face aux deux ruptures stratégiques de 2016 que représentent le Brexit et l’élection de Trump, un citoyen se dit que l’UE ne peut que réagir.

Or, jusqu’à présent, les dirigeants européens s’en étaient sortis par la voie du consensus. Ils utilisaient ce qu’on appelle « l’ambiguïté constructive » pour résorber les divisions à moyen-terme, en comptant sur une dynamique européenne de fond. Cette méthode prend du temps mais elle a au moins permis à l’UE de survivre et d’avancer. A court-terme, toutefois, les médias donnent toujours l’impression que l’UE est divisée, morcelée et qu’elle recule. Tout le monde déplore alors le manque de cohésion mais chacun en appelle à une unité qui réponde d’abord à ses propres préoccupations.

La situation actuelle est un peu différente car pour la première fois, le statu quo à court terme fait surgir un risque de « détricotage » de l’UE. Les responsables politiques nationaux et européens ont commencé à prendre conscience de ce danger existentiel. On a pu observer avec la crise des réfugiés et la question de l’espace Schengen que certains principes fondamentaux européens sont reniés : le statu quo à court terme ne fonctionne donc plus car le contexte est trop défavorable et cela amène en réalité la communauté européenne à reculer progressivement.

Comment, alors, aller de l’avant ? Deux manières sont possibles : soit avancer à 28, soit le faire par groupes de pays qui sont plus motivés que d’autres sur certains dossiers. Le problème de l’Europe à 28 est que dans un climat de défiance vis-à-vis de Bruxelles, ce système ne fonctionne que sur un nombre de plus en plus restreint de dossiers. Dans la plupart des cas, il se produit une forme de consensus mou qui préserve tout juste le statu quo mais qui ne permet pas d’avancer : cette posture est en train de tuer à feu doux l’UE aujourd’hui.

Le projet d’une « Europe à plusieurs vitesses » plaidé par les quatre pays du sommet de Versailles est-il la bonne solution ? Concrètement, en quoi consisterait-il ?

Les quatre pays de Versailles ont raison de se résoudre à cette approche pour une raison très simple : les citoyens ne comprendraient pas que l’UE n’arrive pas à réagir à des évènements aussi importants que le Brexit et l’élection de Donald Trump. Ne rien faire laisserait une impression presque définitive aux citoyens que, peu importe comment le monde change, l’UE est incapable d’évoluer. Le 60e anniversaire du traité de Rome est justement l’occasion d’envoyer un message fort aux citoyens pour leur montrer que l’Europe peut avancer.

La proposition d’une Europe à plusieurs vitesses formulée par ces quatre pays est en fait la conclusion logique du diagnostic précédent. Elle consiste à dire que sur un certain nombre de dossiers, on peut avancer par petits groupes de pays, de manière à ce que ceux qui le souhaitent puissent progresser sans être entravés par les pays les plus réticents.

François Hollande a pris l’exemple de l’Europe de la défense pour plaider pour une Europe à plusieurs vitesses car il s’agit, effectivement, de l’un des dossiers où il est le plus difficile d’avancer avec l’ensemble des pays membres. Il faudrait que des États motivés se dotent d’une feuille de route avec des critères à respecter et des exigences de transparence accrues en matière de planification et de dépenses de défense. Par exemple, la création de la CARD, une revue annuelle de défense coordonnée, a pour but d’accroître la transparence en matière de planification de défense. Les pays motivés pourraient utiliser un mécanisme du traité de Lisbonne (l’article 42.6) sur la coopération structurelle permanente, afin d’avancer en utilisant les outils que Bruxelles a mis sur la table fin 2016. La France et l’Allemagne pourraient également proposer la création d’un conseil européen de sécurité qui serait sanctuarisé dans l’agenda du Conseil européen : les chefs d’États seraient obligés de débattre de sécurité et de défense chaque année. Paris et Berlin pourraient d’ailleurs préparer ce débat par un conseil franco-allemand de défense en amont du Conseil européen, comme nous le suggérions dans la contribution « French and German Defence: The Opportunities of Transformation », et comme le propose d’ailleurs Emmanuel Macron dans son projet européen.

Ce conseil de sécurité opèrerait avec l’ensemble des pays de l’Union européenne car il est important que chacun puisse dialoguer autour des questions de sécurité et de défense. Mais les projets avanceraient en comité restreint afin de pouvoir progresser sur des sujets concrets. Ce groupe restreint n’évoluerait cependant pas en vase clos : il devrait tenir informés le reste des pays européens, de manière à ce qu’ils puissent rejoindre le comité s’ils le souhaitent.

Quels sont les risques liés à cette vision d’une Europe à géométrie variable ?

Trois contre-arguments s’opposent à cette vision d’Europe à plusieurs vitesses. Le premier consiste à dire que le Brexit renforce la nécessité que les 27 pays européens fassent preuve de cohésion car si l’on crée de nouveaux motifs de division, la machine européenne risque de se briser.
Le deuxième contre-argument rejoint le premier : il se fonde sur le risque de créer des Etats européens de « seconde zone » sur certains dossiers. La perception pour ces pays de se sentir au deuxième, voire au troisième rang européen peut miner encore davantage l’unité de l’UE.
Le troisième contre-argument pointe les dangers de l’émergence d’une « Europe à la carte ». Cette vision tuerait aussi à petit feu l’UE car elle ouvrirait la possibilité que certains Etats coopèrent là où ils voient des bénéfices mais ne collaborent pas lorsqu’ils n’en voient aucun. Cela remettrait en cause le principe même de l’UE, qui est de peser davantage à 27 que tout seul.

L’Union risque de définitivement se couper de ses peuples si elle ne fait pas preuve d’une capacité tangible à réagir aux chocs qui la secouent. C’est pourquoi il est plus dangereux aujourd’hui de ne rien faire que d’avancer en petits groupes.

Un dernier aspect politique doit également être pris en compte : rien ne bougera véritablement avant l’automne, pour la simple et bonne raison que la France est obnubilée par l’élection présidentielle et que l’Allemagne le sera bientôt également. Or, toutes ces propositions doivent être poussées par la dynamique du couple franco-allemand.

Le cercle vicieux de la course aux armements

Thu, 23/03/2017 - 11:54

Donald Trump vient d’annoncer l’augmentation des dépenses militaires, actuellement de 600 milliards de dollars, de 9%, soit 54 milliards de dollars supplémentaires.

Dans son dernier discours sur l’état de l’Union en janvier 1961, le président et ex-général Eisenhower dénonçait l’importance du complexe militaro-industriel sur la détermination de la politique étrangère des États-Unis. Le débat de la campagne électorale entre Nixon et Kennedy portait en effet sur le fameux missil gap, fossé qui, selon Kennedy, donnait une avance à l’URSS en termes de nombre de missiles. C’est donc sur la base d’informations erronées que les États-Unis se sont lancés dans une course aux armements que les Soviétiques ont bien sûr suivie.

On ne voit pas l’utilité de l’augmentation annoncée par le président actuel, Donald Trump, si elle n’est pas assortie d’une stratégie claire. De plus, elle a lieu parallèlement à une coupe de 37% des crédits destinés aux départements d’État. Les programmes d’aides dans le domaine civil vont être sabrés, alors qu’ils peuvent jouer un rôle important pour la sécurité sur le moyen et long-terme. Trump donne ainsi raison au complexe militaro-industriel, qui est certainement le lobby le plus puissant aux États-Unis : l’industrie de défense et les casernes de l’armées sont réparties sur la totalité du territoire américain. Personne ne veut s’y opposer – Démocrates comme Républicains – au nom de la sécurité du pays. Mais il n’est pas certain que l’augmentation sans fin des dépenses militaires américaines ait une réelle incidence sur la sécurité. Le budget militaire américain était de 280 milliards de dollars en 2001 lorsque les États-Unis ont été frappés par les attentats du 11 septembre.

Même Barack Obama ne s’est pas opposé au complexe militaro-industriel, afin de ne pas être accusé de faiblesse. Malgré son désir d’appuyer sur le bouton reset dans les relations avec la Russie, il n’a pas remis en cause le principal programme qui envenime les relations Moscou/Washington : celui du système de défense anti-missile, qu’Obama avait pourtant qualifié de « système basé sur des technologies non prouvées, avec un financement inexistant pour une menace inconnue ».

Aujourd’hui, on assiste au niveau mondial à une nouvelle course aux armements, en dehors de toute rationalité. Le niveau des dépenses militaires est supérieur à ce qu’il était du temps de la guerre froide. Or, en 1990, lors du démantèlement du monde bipolaire et de l’implosion de l’URSS, on annonçait pouvoir enfin toucher les dividendes de la paix. Ils n’ont en fait été touchés que très provisoirement et les dépenses sont reparties de plus belle. La « menace du désarmement », comme le disait un jour un général, a été durablement écartée.

La course aux armements a également lieu en Asie qui connait une augmentation continue des dépenses militaires chinoises, suscitant par réaction une hausse de celles du Japon et des autres pays régionaux. Pendant très longtemps, le Japon a limité ses dépenses militaires à 1% du PIB, limitation aujourd’hui remise en cause.

Les rentrées d’argent dues à l’augmentation des ressources pétrolières ont notamment permis d’augmenter les dépenses militaires des pays du Golfe. L’Arabie saoudite a un budget militaire de 80 milliards de dollars, soit 20 milliards de plus que la Russie, qui bénéficie pourtant d’une place stratégique plus importante. L’Iran va certainement également accroître ses propres dépenses.

Donald Trump avait déclaré que l’OTAN était obsolète et avait menacé du retrait américain de l’organisation. Il n’en est finalement rien mais, de peur que les États-Unis s’en aillent, les pays européens risquent d’augmenter leurs dépenses militaires à hauteur de 2% du PIB, comme réclamé par Washington. Les Américains insistent en effet sur le burden sharing, le partage du fardeau des dépenses militaires. Par contre, ils restent muets sur le power sharing, alors que l’OTAN reste avant tout entre leurs mains.

Conscients qu’une course incontrôlée aux armements pouvait entraîner les grandes puissances dans un gouffre financier et que son caractère imprévisible créait un climat de méfiance internationale, Nixon et Brejnev avait mis en place un système d’Arms Control. Durant la guerre froide, ce dernier avait contenu l’augmentation infinie des dépenses militaires. La course aux armements constituait un cercle vicieux où chacun augmentait ses propres dépenses, de peur que l’autre ne le fasse également. Finalement, ce phénomène stimulait les uns et les autres mais amenait de l’insécurité, de par l’imprévisibilité qu’il provoque. Or, la stabilité nécessite de la prévisibilité. Mais le système d’Arms Control n’est plus.

Si du temps de la guerre froide, il suffisait que Moscou ou Washington s’entendent pour limiter leurs dépenses, dans un monde émietté, il n’y a ni centre de pouvoir ni organe collectif de sécurité : chacun se lance dans une course, justifiant l’augmentation de ses propres dépenses par l’augmentation des autres pays, qui eux-mêmes y participent. Malheureusement, on peut penser que cette course lancée ne sera pas rapidement stoppée et que les besoins civils importants, y compris en termes de sécurité, ne seront pas couverts. L’aspect militaire est bien sûr important mais la sécurité ne dépend pas que des facteurs militaires. Or, sous des prétextes divers et fallacieux, les pays donnent désormais la priorité à l’aspect militaire de la sécurité, ce qui va se traduire dans les faits par une plus grande insécurité.

« La stigmatisation de l’islam a donné à la France une image d’intolérance »

Thu, 23/03/2017 - 09:48

Dans son livre « Je t’aimais bien tu sais ! Le monde et la France : le désamour ? » (éd. Max Milo), Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), explique « comment la France, le pays le plus populaire au sein du monde musulman, est devenu malaimé. » Ou comment l’Hexagone a perdu de sa superbe depuis 2004.

Le titre de votre livre sonne un peu comme une déception amoureuse…

Pascal Boniface : Oui, c’est tout à fait ça, la France était extrêmement populaire auparavant, elle l’est toujours, mais moins. Mon livre, ce n’est pas « Je ne t’aime plus » mais « Je t’aime moins qu’avant. » Il y a effectivement une perte de popularité de la France qui n’est pas totale, mais qui est réelle. Ce livre, c’est plutôt un cri d’alerte pour appeler le prochain président à se ressaisir et à prendre des décisions qui puissent faire que la France retrouve sa popularité à l’étranger. Une popularité qui s’éteint et qui s’efface progressivement.

Vous espérez un président qui reprenne la France en mains ? A première vue, cela semble mal parti…

Il faut voir effectivement, parce que, pour l’instant, il n’y a pas de débat sur l’international, ou trop peu. On a l’impression que les débats entre les candidats à la présidentielle se sont résumés au terrorisme et pas du tout de façon globale sur l’euro ou la place de la France dans le monde. Effectivement, on peut dire que les débats, pour l’instant, n’ont pas vraiment pris un tournant sur les questions régaliennes. Il nous faut un président qui ranime le vouloir vivre-ensemble à l’intérieur et qu’il ait une politique étrangère plus indépendante et plus emblématique à l’extérieur.

« L’image de la France s’est dégradée »

L’obsession des politiques pour l’Islam peut-elle porter préjudice à la France ?

Je constate que l’image de la France s’est dégradée, d’une part car la diplomatie française est moins flamboyante qu’auparavant, mais aussi car les débats internes sur l’Islam — qui sont des débats de stigmatisation — ont donné à ce pays une image d’intolérance, alors qu’une grande partie de son prestige était dûe à son image d’ouverture et de tolérance. Nous vivons dans un monde globalisé et les débats internes ont des répercutions internationales. Et dans la mesure où le débat sur l’Islam est caricatural et excessif, on donne un peu cette image de pays fermé sur lui-même, de pays intolérant. Nous sommes en train de perdre une partie de cet avantage d’ouverture et de tolérance.

L’Islam risque pourtant d’être, pour encore longtemps, au cœur de la campagne présidentielle…

C’était pire pendant les primaires, certains candidats ont fait de l’Islam une question majeure et on peut constater que ceux qui l’ont fait — Nicolas Sarkozy, Jean-François Copé, Manuel Valls — ont perdu les primaires. Pour la présidentielle, on voit quand même que les débats sont un peu plus politiques, moins centrés sur l’Islam de façon négative. Plus que les politiques, ce sont aussi les médias qui ont cette obsession. J’ai fait dans mon livre une recension de toutes les couvertures de magazines stigmatisant les musulmans. Le climat actuel n’est pas une surprise quand on fait la somme de toutes ces Unes et également de tous les débats télévisés qui sont, parfois, menés de façon caricaturale.

« Beaucoup de politiques ont pensé qu’un discours antimusulmans viendrait accroître leur popularité »

Politiques ou médias, qui est le plus responsable ?

La part de responsabilité est partagée, parce qu’il y a beaucoup de politiques qui ont embrayé sur ce thème en pensant qu’un discours antimusulmans viendrait accroître leur popularité. Mais une fois encore, ceux qui ont joué ce jeu pendant les primaires ne les ont pas gagnées.

La France a récemment voulu jouer un rôle de médiateur en faveur de la paix au Proche-Orient. Etait-ce un sommet voué à l’échec ?

Le but de cette conférence était d’essayer une dernière fois de régler le conflit de façon diplomatique. En cas d’échec, Laurent Fabius avait affirmé qu’il y aurait une reconnaissance automatique de la Palestine. Mais François Hollande, qui s’y est engagé fin 2012, ne l’a pas fait. La conférence a eu lieu et Israël n’a pas voulu y participer. François Hollande a réitéré le fait qu’il n’y aurait pas reconnaissance. Là encore, la France a perdu de sa popularité, car parmi les pays occidentaux, c’était l’un des seuls à défendre les droits du peuple palestinien. Le fait qu’on y renonce par manque de courage politique contribue, à sa façon, à l’effacement de notre popularité.

La France est-elle encore le pays des droits de l’Homme ?

Elle les défend moins qu’avant à l’étranger et la prolongation de l’état d’urgence peut poser problème à l’intérieur.

Des solutions existent-elle pour regagner ce prestige ?

D’une part, en luttant réellement et pas seulement verbalement contre les discriminations à l’égard des musulmans sur le plan de la politique intérieure. D’autre part, en redonnant un peu de flamboyance avec une politique étrangère plus forte.

On parle beaucoup du conflit palestinien mais la situation, par exemple, des Rohingya est sous-médiatisée. Pourquoi cette géométrie variable dans nos indignations ?

Car le Proche-Orient est quand même à côté de chez nous, nous avons une histoire avec sa région : il y a en France une importante communauté juive et musulmane, et c’est vrai que les Rohingya, ça nous paraît plus lointain, même si les violations sont importantes. Le fait que cela se déroule à des milliers de kilomètres et que cela a moins à voir avec l’histoire immédiate fait que cela n’agite pas autant les débats en France.

Entretien réalisé par Yunes Bel Hadj

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