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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 4 hours 12 min ago

Les adieux du président Hollande au corps diplomatique

Thu, 12/01/2017 - 18:14

Dans une allocution de près d’une heure devant le corps diplomatique, M. Hollande est revenu ce jour sur son action diplomatique. Le point avec Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Note secrète : « Il serait surprenant que Trump n’aille pas au bout de son mandat »

Thu, 12/01/2017 - 11:40

Est-il possible que le nouveau président ne termine pas son mandat, voire ne soit pas intronisé le 20 janvier prochain ?

En réalité, personne n’en sait rien. C’est la première fois qu’un président américain pâtit d’une telle absence de transparence, tant en termes d’éventuels conflits d’intérêts qu’en raison de son manque d’expérience de la vie politique. En outre, Trump ne peut pas s’empêcher d’être imprévisible, il cultive même cette imprévisibilité ! Ce comportement accroît les incertitudes, les doutes et les inquiétudes. Toutefois, sauf preuves incontestables, il serait fort surprenant que Trump n’aille pas jusqu’au bout de son mandat. Et plus encore qu’il ne soit pas intronisé. Il y a de multiples forces politiques et institutionnelles aux Etats-Unis qui veulent respecter le système électoral. Or, personne ne conteste la conformité et la légitimité du processus électoral qui a débouché sur son élection.

L’existence éventuelle d’une sex-tape ou les soupçons de liens entretenus entre Trump et la Russie ne suffiraient pas à déclencher une procédure de destitution ?

Encore une fois, tout cela n’est pas démontré. Une procédure de destitution ou « d’impeachment » est quelque chose de très sérieux qui, institutionnellement, ne peut être mené à la légère. Et seul le Congrès — la Chambre des représentants pour l’instruction, et le Sénat pour le jugement final — a le pouvoir de destituer un président des Etats-Unis. Et il ne peut le faire que dans trois cas très précis : la trahison, la corruption et des crimes et des délits graves. L’affaire de l’éventuelle sex-tape n’entre pas dans ces catégories. Les conflits d’intérêts qu’il pourrait y avoir entre les entreprises de Trump et, par exemple, des puissances étrangères ne sont pas prouvés. Et toute preuve sera très compliquée à apporter tant le groupe Trump, qui n’est pas coté en Bourse, reste opaque.

Et l’enquête diligentée par Barack Obama sur le rôle éventuel de Moscou dans le piratage des mails du Parti démocrate et son influence sur l’élection ?

Même si la preuve d’un tel piratage était apportée, cela remettrait en cause la fiabilité du processus électoral américain mais pas la légitimité institutionnelle de l’élection elle-même.

Trump est donc presque assuré d’aller au bout de son mandat ?

Il faudrait de très fortes preuves et un mouvement politique très soutenu, au sein du Congrès, dans les médias et dans l’opinion publique pour que ce mandat n’aille pas à son terme. Dans quatre ans, Trump pourrait être encore président mais sans qu’on en sache plus en 2022 qu’aujourd’hui sur la réalité des soupçons qui pèsent sur lui. En revanche, ces quatre années pourraient se révéler très compliquées à traverser, pour les Etats-Unis et pour le monde entier. Si l’on ajoute, pour l’Europe, les incertitudes du processus du Brexit pour la Grande-Bretagne, il ne restera plus que le couple franco-allemand qui puisse agir en tant que garant des valeurs du monde occidental.

Propos recueillis pas Jannick Alimi

Coupe du monde à 48 : quelles motivations ?

Wed, 11/01/2017 - 15:47

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

Perspectives économiques 2017 : une rupture avec la mondialisation ?

Wed, 11/01/2017 - 14:38

Quelles sont les tendances et les perspectives de l’économie mondiale pour cette année 2017 ?

Les perspectives pour 2017 restent incertaines. La croissance mondiale devrait avoisiner les 3%. Elle devrait se maintenir en Asie, se confirmer en Europe, en Amérique latine ou en Russie. Le ralentissement économique de la Chine se poursuit mais avec une croissance à 6 %, cela reste tout de même élevé. La reprise des prix des matières premières en 2016 et du pétrole à la fin de l’année devrait soutenir une certaine reprise en Afrique et au Moyen-Orient, très dépendants de leurs exportations de commodités.

Pour autant, l’existence d’incertitudes de diverses natures pourraient remettre en cause ces perspectives. Ces incertitudes résultent à la fois de tendances lourdes et de long terme et de chocs plus récents. Pour résumé, les tendances lourdes sont liées aux ruptures en cours dans le système économique : remise en cause de la mondialisation et de la libéralisation économique, transition énergétique, mutation de l’économie en général vers de nouveaux modèles (économie collaborative, uberisation…) et de l’économie chinoise en particulier. Elles obligent à repenser nos modèles et notre manière d’analyser mais aussi de vivre l’économie. Or, cela se révèle difficile et conduit à la cohabitation de l’ancien système et des anciens réflexes avec de nouveaux acteurs et de nouvelles règles. Cela crée non seulement des tensions et des incertitudes mais aussi des conflits internes, nationaux ou internationaux, économiques, politiques ou sociaux.

Parallèlement, l’économie mondiale est également confrontée à un certain nombre de chocs comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. De nouveaux chocs politiques en 2017 ne sont pas à exclure… Cela pèse sur la croissance. L’Europe, par exemple, fait face à de telles incertitudes. Un retour à la croissance est certes envisagé mais le doute plane quant aux modalités par lesquelles s’orchestrera le Brexit en 2017. Le doute plane également quant aux élections qui s’annoncent en France ou en Allemagne. Pour ce qui est du Brexit, les négociations aboutiront-elles sur un divorce facile et efficace, satisfaisant toutes les parties ? Toute complication risque d’être un facteur de crise pour l’Europe et son économie.

D’autres chocs peuvent également advenir. Cela pourrait-être une crise économique en Chine qui, encore récemment, a été frappée par une crise des marchés obligataires. Un choc pourrait venir des politiques économiques de certains Etats qui, au fil du temps, deviennent de plus en plus unilatérales. Nous sommes en effet dans une tendance de repli sur soi qui tend à freiner la croissance économique. Enfin, des facteurs plus géopolitiques pourraient réduire la confiance des investisseurs dans certaines régions du monde et, par conséquent, engendrer des externalités négatives sur l’économie mondiale.

Si la situation semble s’améliorer, l’économie mondiale n’est pas exempte de tout risque et de toute incertitude.

La crise de 2008 a-t-elle engendré une rupture avec la mondialisation telle qu’elle est conçue aujourd’hui ainsi qu’une rupture avec notre modèle économique au niveau mondial ?

Je parlerais plutôt de remise en cause de la mondialisation bien qu’il existe aujourd’hui une réelle rupture avec le modèle économique de consommation de masse, d’ultra-financiarisation et de gaspillage systématique.

Pour autant, la remise en cause du système actuel ne date pas de 2008. En 1971 déjà, dans le rapport « Halte à la croissance », les experts expliquaient pourquoi ce modèle de développement n’était pas tenable. En 1987, c’est le rapport Bruntland qui dresse un constat similaire puis les altermondialistes qui font capoter une conférence de l’OMC à Seattle en 1999 et qui donnent naissance aux forums sociaux mondiaux…

Depuis 40 ans, les critiques se multiplient, le modèle est contesté. La crise de 2008 marque cependant un tournant car elle correspond à une prise de conscience de masse et parce qu’elle pousse au plus loin les excès du système, légitimant sa remise en cause auprès d’un large public. Une majorité de personne se questionne alors sur notre modèle et réalise que même s’il crée beaucoup de richesses, il peut aussi détruire par une prise de risque excessive : des individus sont expulsés de chez eux, d’autres se retrouvent au chômage parce que certains ont joué au poker menteur avec leur argent ou leur force de travail. On se rend également compte que le système, malgré toutes les richesses qu’il crée, n’est pas en mesure de les redistribuer de manière juste, que les inégalités se sont creusées insidieusement, mettant certains individus dans des situations d’une précarité extrême quand d’autres ne savent que faire de leur argent… La crise de 2008 symbolise de ce point de vue tous les excès du capitalisme, la matérialisation de la cupidité de certains, payée au prix fort par les plus fragiles et par ceux qui n’avaient pas forcément pris de risques.

La contestation devient alors politique et parfois extrême et dangereuse. Elle est celle du grand public qui se scandalise, partout dans le monde, des phénomènes qui, par le passé, suscitaient presque l’indifférence. C’est par exemple le cas de la corruption. Dans les années 1970, les pots-de-vin étaient déductibles des impôts et considérés comme banals. C’est impensable aujourd’hui ! Les exemples du Brésil et de la Corée du Sud constituent une rupture puisque des soupçons de corruption ont conduit à la chute de leur présidente respective.

En ce sens, la crise de 2008 a vraiment fait bouger les lignes. Aujourd’hui, l’économie mondiale manque encore de règles communes et d’une gouvernance mondiale afin de réguler et de matérialiser cette prise de conscience. Pour l’instant, chaque pays applique ses propres règles, ce qui amplifie également l’impression de repli sur soi. On assiste à une sorte de fragmentation de la mondialisation. Traduit-elle une rupture, un retour en arrière, ou une évolution logique ? Si l’on ne peut pas y répondre aujourd’hui car nous sommes encore face à des tendances, la question mérite d’être posée.

La Réserve fédérale américaine (FED) a décidé en décembre, une hausse du taux directeur américain. Que signifie cette décision ? Par cette mesure, la FED a-t-elle essayé d’anticiper les politiques économiques du futur président américain Donald Trump ?

Officiellement, les mesures prises par la FED ne sont pas présentées comme une conséquence à l’élection de Donald Trump mais une décision logique par rapport à la confirmation, en cette fin d’année 2016, que les résultats économiques de la croissance ou de l’emploi étaient plutôt bons. Cela faisait plusieurs mois que la FED annonçait, puis reportait, l’augmentation des taux. Le report de septembre a surpris nombre d’observateurs, il a été justifié par le fait que l’économie américaine semblait avoir une croissance moins ferme que ce qu’il avait été supposé début 2016.

En effet, avec 4,6% de chômeurs, on peut considérer que les Etats-Unis sont en situation de plein-emploi. Ce chiffre reste cependant discutable tant la précarité est importante aux Etats-Unis pour les employés les moins qualifiés. Certaines personnes ont, certes, accès au marché du travail mais elles doivent cumuler deux voire trois emplois pour joindre les deux bouts. Pour autant, le chômage est très faible.

L’augmentation des taux, le mois dernier, était donc une décision légitime car, en période de plein-emploi, le risque d’inflation est plus fort. Une croissance à 3%, comme c’est le cas aux Etats-Unis, crée des emplois. Mais puisque le pays est en situation de plein-emploi, la main d’œuvre est plus difficile à trouver, d’autant plus lorsque le pays en question ferme ses frontières à l’immigration. Face à une offre d’emploi abondante, les salariés sont en mesure d’obtenir des meilleurs salaires, ce qui est une bonne chose surtout aux Etats-Unis où les inégalités sont criantes. Pour autant, les rigidités à la hausse dans certains secteurs peuvent créer des pénuries de main-d’œuvre donc une offre réduite et entraîner une augmentation des prix.

La FED a conscience du risque d’inflation. Elle a sans doute également réalisé que ce risque a pris de l’ampleur avec l’élection de Donald Trump, dont l’administration nourrit le projet d’entreprendre des grands travaux comme des constructions d’autoroutes, qui nécessiteront plus de main d’œuvre et augmenteront ainsi le risque inflationniste. D’autre part, ce plan va accroître les dépenses publiques dans un contexte où l’administration Trump prévoit des baisses d’impôts. Avec une baisse des recettes de l’Etat, celui-ci ne sera pas en mesure de financer lui-même le projet. Pour financer les travaux, l’Etat sera, par conséquent, contraint de souscrire à l’emprunt et à s’endetter, alors que les Etats-Unis accusent déjà d’un déficit extérieur lourd.

Par ailleurs, la question est aussi politique. Madame Yellen, l’actuelle présidente de la FED, termine son mandat en 2018 et a peu de chances d’être reconduite. Or, il est probable qu’elle estime que le programme économique de Monsieur Trump est risqué de par l’endettement qu’il va créer, les risques d’inflation qui y sont liés et surtout la dérégulation de la finance qui est annoncée… Soit une situation qui ne va pas sans rappeler, si elle se matérialisait, la situation financière ayant précédé la crise financière aux Etats-Unis. Le resserrement de la politique monétaire pourrait être une tentative pour réduire les marges de manœuvre du nouveau président !

« Écrits et paroles d’un homme libre » – 3 questions à Bernard Carayon

Wed, 11/01/2017 - 11:40

Bernard Carayon est maire de Lavaur et conseiller régional d’Occitanie. Avocat, maître de conférences à Sciences Po Paris, président de la Fondation Prometheus et ancien député du Tarn (1993, 2002 et 2007), il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Écrits et paroles d’un homme libre », aux éditions Privat.

Vous êtes un des rares pionniers de l’intelligence économique en France. Comment jugez-vous l’état actuel de notre dispositif ?

Rappelons le contexte dans lequel celle-ci est née en France. En 1994, alors qu’Internet commence à se développer, le Commissariat général au Plan confie à Henri Martre une réflexion sur ce sujet. Dans son rapport, il présente l’intelligence économique comme une méthode de veille et d’influence au service des seules entreprises. En 2003, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, me nomme parlementaire en mission pour actualiser ce rapport. Il m’apparaît très vite, à travers les quatre-cents auditions auxquelles je procède, que la France est en « guerre économique ». L’expression est encore taboue. Je conçois une politique publique pour y faire face à travers quatre missions : protéger nos entreprises ; les accompagner sur les marchés internationaux ; peser sur les organisations internationales qui élaborent des normes techniques ou juridiques ; former les jeunes. Je développe la notion d’« entreprise nationale » à une époque où, sous l’empire d’une vulgate libérale, on considère encore que les entreprises n’ont pas de patrie ; j’y définis aussi les caractéristiques des entreprises « stratégiques », qui ne génèrent pas simplement de la richesse et des emplois, mais grâce auxquelles un pays accroît sa capacité de puissance et d’influence. Bref, je réintroduis le politique dans l’économie à travers une grille de lecture réaliste de l’affrontement des puissances et des entreprises. Parmi la quarantaine de propositions au gouvernement, plusieurs sont retenues, à l’instar du Fonds stratégique d’investissement, doté par Nicolas Sarkozy de vingt milliards d’euros.

Mais les pouvoirs publics, aussi bien d’ailleurs sous la droite que sous la gauche, n’ont fait de l’intelligence économique qu’une politique administrative de « chef de bureau », alors qu’elle constitue une politique publique nouvelle, comme l’ont été, en leur temps, les politiques de la ville, du logement ou de l’environnement. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux qui devraient nous conduire à une diplomatie réaliste, en particulier avec nos « amis » américains, mais aussi avec les institutions européennes, notamment sur les politiques de la concurrence et de l’industrie : la politique communautaire qui prohibe sans discernement les concentrations, les aides publiques et l’allocation prioritaire des marchés publics aux petites et moyennes entreprises est une politique iréniste, et fait de notre continent le seul espace économique au monde qui soit aussi ouvert et offert aux appétits des prédateurs financiers. La volonté politique a donc fait défaut, excepté lors de la crise financière de 2008, lorsque Sarkozy a imposé avec les Britanniques un plan massif de consolidation des banques en violation totale des traités.

Pourquoi, selon vous, « l’affaire Snowden » a-t-elle été utile ?

Les révélations d’Edward Snowden illustrent la schizophrénie américaine. D’un côté, les États-Unis expriment un attachement dogmatique à la protection des libertés et du libre-échange ; de l’autre, leur culture privilégie les intérêts nationaux en totale violation de ces principes et avec une parfaite hypocrisie. L’ampleur de leur dispositif que j’avais dénoncé, dans l’indifférence des médias et les sarcasmes des « élites », en particulier l’espionnage des dirigeants du monde occidental, des patrons des grands groupes industriels, révèle bien le visage réel de la « démocratie américaine ». « La plus grande ruse du diable », écrit Baudelaire, « est de faire croire qu’il n’existe pas » … Mais le « diable » a été découvert ! Je ne souhaite bien entendu pas « diaboliser » les institutions et le peuple américains, mais souligner qu’il maîtrise aujourd’hui deux armes essentielles de la guerre économique : le droit et les technologies de l’information. Le premier, dont on mesure, à travers son extraterritorialité, sa puissance à s’imposer au monde entier par le racket auquel se livre la justice américaine sur les entreprises européennes : près de trente-cinq milliards de dollars de sanctions ont frappé les concurrents des entreprises américaines ! Quant aux secondes, elles traduisent l’hégémonie américaine à la fois dans le contenu et les contenants.

Homme de droite et catholique revendiqué, vous rendez deux hommages étonnants à Jean Jaurès et à la pratique du ramadan…

Étonnants pour ceux qui ne me connaissent guère ! Jaurès, c’est l’enfant de mon pays ! Enfant, j’ai parcouru les mêmes paysages que le tribun tarnais, et la bibliothèque familiale était largement pourvue en ouvrages du grand homme. Mes grands-parents n’avaient pas voté pour lui parce qu’il était, pour une génération, l’homme des illusions de la paix quand le patriotisme commandait la revanche par la guerre. Mais j’aime Jaurès et son humanité, parce qu’il n’était ni l’homme d’une seule idée ni d’un seul livre. Il aimait les humbles, les écoutait, leur parlait, les défendait, et c’est ainsi que je conçois la politique. Comme lui, j’aime l’écriture, le livre et l’art oratoire. À la différence des hommes politiques de notre temps, il savait écrire et parler quand nos contemporains ont démontré qu’ils savaient à peine compter. J’aime la gauche républicaine et patriote qu’il incarnait ; pas une gauche « creuse à la Noah » qui aime l’argent et les futilités. Mystique et non matérialiste, il était aussi très éloigné d’une gauche cathophobe. Il a eu malheureusement dans sa vie deux zones d’ombre : l’antisémitisme et le colonialisme. Je lui ai consacré un ouvrage[1] où je livre son vrai visage, très éloigné de l’idole encaustiqué du PS.

Le ramadan ? Je crois qu’une droite qui occupait les avant-postes du débat sur la burqa doit pouvoir exercer de la même manière son sens critique lorsque les pratiques musulmanes semblent enrichissantes. Et c’est l’un de mes fils, bon expert de la finance islamique, qui me l’a fait comprendre. La pratique fervente du ramadan chez des millions de nos compatriotes est l’occasion de rappeler l’un des apports fondamentaux des religions à notre civilisation : la nécessité d’ériger des remparts au culte de la « jouissance sans entraves », à la nouvelle religion du corps. Le jeûne et l’abstinence constituent des pauses et des moments de réflexion profitables.

Être Français, c’est être héritier des Francs, des hommes libres. Je déplore que la parole soit cadenassée dans notre pays et que la justice soit l’arbitre des opinions. La liberté de ton doit être partagée par tous, et nul texte, fût-il sacré, ne doit résister à la pensée critique, selon notre tradition intellectuelle gréco-latine !

[1] « Comment la gauche a kidnappé Jaurès », éditions Privat, mai 2014.

Tomomi Inada souligne l’importance de la coopération avec les alliés, dont la France

Wed, 11/01/2017 - 10:27

Tomomi Inada, ministre japonaise de la Défense, a tenu une conférence ouverte le vendredi 6 janvier à l’École Militaire de Paris. La ministre de Shinzo Abe a insisté en préliminaire sur les menaces de l’environnement stratégique. Et en premier lieu la menace terroriste qui frappe la communauté internationale. Elle a insisté aussi sur les déséquilibres et les menaces stratégiques en Asie orientale avec la Corée du Nord qui développe son programme nucléaire (deux essais atomiques en 2016) et balistique (plus de 20 tirs de missiles en 2016) et sur les tentatives de remise en cause du statu quo territorial en Asie, notamment en mer de Chine orientale et méridionale. Elle a appelé au respect du droit international pour résoudre les différends territoriaux.

Dans ce contexte et face aux menaces communes au Japon, Mme Inada a souligné l’importance de la coopération entre le Japon et ses partenaires. Même si une nouvelle administration entrera en service prochainement aux Etats-Unis, elle estime que l’alliance américano-japonaise demeure inchangée et vitale. Importance aussi de l’alliance qu’est l’OTAN. Dans ce contexte et compte tenu de leur place dans ces alliances, les Etats-Unis doivent continuer à promouvoir la paix et la stabilité dans le monde.

Le Japon, qui a modernisé ses lois de défense en 2015 et pourrait, un jour, amender la Constitution pacifiste de 1946 pour Mme Inada, c’est « un but du parti conservateur » au pouvoir-, s’est engagé envers la communauté internationale dans des actions de partenariat stratégique. Exemple éloquent cité par Mme Inada : la lutte contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique. Engagée à partir de 2009, cette coopération a porté ses fruits. La piraterie et son cortège d’enlèvements ont très largement disparu de la région. C’est le résultat d’un partenariat réussi.

Le Japon coopère aussi sur le plan bilatéral avec de nombreux pays européens, dont le Royaume-Uni avec lequel elle a conduit en 2016 des exercices conjoints. Le pays développe sa coopération stratégique avec l’Allemagne avec des échanges de défense, avec les Pays-Bas et d’autres Etats. Cette « relation commence juste » avec les Européens, souligne Mme Inada. Ces pays ont en commun avec le Japon les nombreux défis de la mondialisation, mais ils possèdent l’avantage de partager les mêmes valeurs démocratiques. C’est pourquoi « il y a de la marge pour plus de coopération entre le Japon et l’Europe », estime Mme Inada. Avec la France, la coopération est ancienne et le dialogue stratégique remonte à 1995. En 2013, les relations se sont intensifiées au niveau ministériel.

Cette conférence s’est déroulée avant une réunion stratégique 2+2 entre les ministres de la Défense et des Affaires étrangères de la France, Jean-Yves Le Drian, Jean-Marc Ayrault, et leurs homologues japonais, Tomomi Inada, Fumio Kishida. Parmi les sujets abordés, les politiques de défense des deux pays, la coopération pour la sécurité et la lutte contre le terrorisme, ainsi que la programmation des négociations relatives aux accords d’acquisition et de transferts croisés d’armement. Le Japon avait signé vendredi 13 mars 2015 avec la France un accord de coopération militaire avec transfert d’équipements et de technologies. Cet aspect a été abordé.

Le Japon et la France ont réaffirmé, vendredi à Paris, leur volonté de renforcer la coopération mutuelle dans les domaines de la défense et de la sécurité, si l’on s’en tient au communiqué conjoint publié à l’issue de cette troisième réunion des représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays. Le Japon et la France « ont convenu d’entamer des négociations en vue d’un accord d’acquisition et de soutien logistique » visant à « renforcer, à terme, l’interopérabilité entre les armées française et japonaise et faciliter leur participation conjointe à des exercices, des opérations de maintien de la paix ou de secours humanitaire », selon le communiqué.

Les deux pays ont également affirmé « leur souhait de voir se concrétiser au plus vite une coopération sur les drones sous-marins destinés à la lutte anti-mines », et exprimé leur volonté de renforcer la coopération en Asie et en Afrique dans le domaine de la sécurité. Les deux parties ont aussi confirmé leur souhait de mettre en œuvre une coopération en matière de formation dans le domaine de la sécurité maritime à Djibouti, en 2017.

Parallèlement, le Japon et la France ont aussi appelé à « accroître la coopération bilatérale dans le domaine de l’observation des océans en utilisant les technologies satellitaires ». Ils ont salué la volonté de l’Union européenne de jouer un rôle plus important dans la sécurité en Asie. Mme Inada a d’ailleurs souligné, pendant la conférence à l’Ecole militaire, le fait que la France joue un rôle en Asie par sa présence dans le Pacifique. Elle a également souligné le fait que le Japon et la France participent à des exercices notamment en Nouvelle-Calédonie. Les deux pays sont donc appelés à un partenariat durable et fructueux comme le soulignait d’ailleurs le rapport du 8 juin 2016 du Sénat sur l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon, relatif au transfert d’équipements et de technologies de défense. Le rapport indiquait que : « Des discussions, afin d’identifier de possibles coopérations, sont déjà en cours. Il devrait, à moyen terme si ce n’est à court terme, être fructueux pour les entreprises françaises du secteur qui sont très désireuses de se positionner sur le marché japonais ».

La marche en avant de Xi Jinping

Tue, 10/01/2017 - 15:29

En 2016, on a beaucoup parlé de Vladimir Poutine, de Barack Obama et de Donald Trump. Mais l’homme de l’année, c’est peut-être Xi Jinping, monté en puissance ces derniers mois.

Le président chinois se trouve à la tête d’un pays qui a connu peu de mésaventures. La croissance économique est, certes, moins forte qu’auparavant. Cependant, elle continue de faire rêver la plupart des autres pays. Finalement, la crise promise à la Chine n’a pas eu lieu. Si les émergents et les BRICS (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud) sont en souffrance, ce n’est pas le cas de la Chine qui poursuit son ascension, rattrapant son retard économique sur les États-Unis. Par la construction d’infrastructures et l’élaboration de grands projets pharaoniques, comme le canal au Nicaragua ou la ligne ferroviaire à liaison rapide entre Pékin et Moscou, la Chine met en place un réseau d’infrastructures et renforce sa présence et ses positionnements à des endroits stratégiques, où elle peut avoir accès aux matières premières.

La diplomatie de la Chine n’est pas spectaculaire. Son poids stratégique est inférieur à son poids économique. C’était l’inverse sous Mao Zedong. Elle intervient peu sur les dossiers, mais inscrit méthodiquement ses intérêts à long terme. La montée en puissance pacifique de la Chine n’est cependant pas vécue comme telle par nombre de ses voisins. Elle pourrait être source de discorde, tout comme le sont ses revendications en mer de Chine. En effet, l’ascension de l’Empire du Milieu effraie ses voisins et légitime leur volonté d’une présence américaine dans la région. Ainsi, le souhait chinois de voir disparaître cette dernière entre en contradiction avec une politique qui suscite chez ses voisins le besoin de la conserver.

Donald Trump, nouveau président des États-Unis, pourrait refuser de financer la protection du Japon et de la Corée du Sud. Mais, il ambitionne également d’établir une « barrière économique » avec la Chine. Sa mise en place ne sera toutefois pas aisée. La Chine est aujourd’hui le principal créancier des États-Unis. Or, on se dispute difficilement avec son banquier. Par ailleurs, la Chine a pris un virage écologique conséquent. Elle investit massivement dans les énergies renouvelables et s’apprête à créer plusieurs milliers d’emplois dans ce secteur. Alors qu’elle est aujourd’hui le principal pollueur de la planète, la Chine pourrait, dans ce domaine, prendre un avantage significatif et compétitif, source de croissance.

Depuis le début du siècle, la Chine n’a pris part à aucune intervention militaire extérieure, contrairement à la Russie et aux États-Unis. Elle protège ainsi son économie et sa popularité. Aujourd’hui, les États-Unis assument le coût élevé de leurs opérations militaires, aussi bien en termes financiers qu’en termes d’image ; ils sont désormais réticents à toute intervention militaire extérieure. De son côté, La Russie doit également faire face aux conséquences de son intervention stratégique en Ukraine et en Syrie. Ce n’est pas le cas de la Chine qui a préféré investir plutôt que de se lancer dans des aventures militaires coûteuses. Aujourd’hui, elle en tire les bénéfices.

Par ailleurs, Xi Jinping a renforcé son autorité, aussi bien par rapport aux militaires que dans l’appareil du Parti communiste. Malgré quelques protestations, il apparaît comme légitime aux yeux de sa population puisque le système marche. Il existe, certes, des intellectuels qui contestent et demandent plus de libertés, mais ceux-ci restent relativement isolés. Leur légitimité est d’ailleurs plus forte à l’étranger qu’en Chine même.

Si Xi Jinping ne figure pas parmi les personnalités qui ont fait le plus parler en 2016, il continue cependant d’orchestrer sa marche en avant ainsi que celle de son pays. Aujourd’hui, Il est certainement l’homme le plus puissant. Un homme qui a peu de barrières à l’international, aucune sur le plan national. Il est à la tête d’un pays plus puissant que celui de Vladimir Poutine et n’a pas l’opposition intérieure que suscite Donald Trump.

Crise au Mexique : Donald Trump et le prix des hydrocarbures en cause

Tue, 10/01/2017 - 15:26

Le Mexique est en proie à des mouvements sociaux depuis le 1er janvier suite à l’augmentation des prix des carburants (16,5 % pour le diesel et 20,1%) pour l’essence. Quelles sont les revendications des manifestants ? Ces manifestations traduisent-elles un malaise plus profond de la société mexicaine ?

Les protestations de début d’année au Mexique sont issues d’un mouvement spontané et Il n’y a pas de revendications structurées. A l’annonce d’augmentations du prix des carburants, les Mexicains sont sortis dans les rues, des pillages ont eu lieu. 450 commerces auraient été saccagés. Une demi-douzaine de personnes sont mortes. La police a arrêté plus de 1500 manifestants. D’après les journalistes présents sur les lieux de protestation, les Mexicains interrogés n’acceptent tout simplement pas cette augmentation brutale des prix du carburant. Ils craignent que l’augmentation se répercute sur les prix de biens de première nécessité comme cela a pu être le cas par le passé.

Le Mexique est un pays producteur de pétrole. Pourquoi est-il contraint d’augmenter ses tarifs ? Comment se porte l’économie du pays ?

La richesse mexicaine dépend principalement de deux volets : les exportations d’hydrocarbures ; ses relations commerciales avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, les déboires du Mexique s’inscrivent dans une baisse de revenus dans les deux secteurs.

La crise actuelle au Mexique reflète, tout d’abord, une crise plus globale des pays d’Amérique latine liée à la chute du prix des matières premières. Le Mexique dispose certes, d’une des économies les plus diversifiées du sous-continent avec le Brésil, mais il reste dépendant de ses exportations d’hydrocarbures. Malgré leur augmentation depuis quelques mois, la chute des prix du baril de ces deux dernières années a eu un impact négatif sur son économie. Pour le président Enrique Peña Nieto, membre du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), il était indispensable de répondre à cette baisse de revenus. Selon lui, deux solutions étaient envisageables : maintenir les prix de l’essence à leur niveau actuel et donc, augmenter les prix, ou couper dans le budget de l’Etat et, par conséquent, dans le budget social. Le président a choisi la première option.

D’autre part les enjeux économiques du Mexique sont étroitement liés à la conjoncture économique des Etats-Unis. L’économie mexicaine dépend beaucoup de ses exportations vers le voisin nord-américain et des investissements des entreprises américaines sur son territoire. L’année 2017 s’annonce difficile pour le Mexique. Le futur président des Etats-Unis, Donald Trump, a multiplié les discours xénophobes, anti-mexicains, pendant la campagne électorale. Il fait actuellement pression sur les groupes automobiles américains comme Ford, General Motors et japonais (Toyota). Ces groupes ont mis en place des usines au Mexique afin de produire des voitures vendues sur le marché nord-américain. La main d’œuvre mexicaine bon marché leur permet de réaliser des économies d’échelle. Suite à l’action de Donald Trump, les investissements annoncés par Ford, Général Motors et Toyota sont actuellement suspendus. Ils auraient généré des milliers d’emplois au Mexique.

Si Donald Trump confirme ses intentions de campagne électorale et pénalise les entreprises qui investissent au Mexique, les répercussions seront négatives pour les Mexicains comme pour les entreprises étatsuniennes. Les multinationales européennes et asiatiques seront également pénalisées. Profitant de l’absence de droits de douane dans le cadre de l’ALENA, beaucoup ont investi dans des usines et des infrastructures au Mexique pour vendre ensuite leur production sur le marché nord-américain.

Comment le gouvernement mexicain gère-t-il cette crise sociale ?

Pour maintenir le cap, le gouvernement avait besoin d’entrées budgétaires supplémentaires. Il a donc répercuté la baisse des prix du pétrole en relevant les prix à la pompe sur le marché national. Pour calmer la rue, le gouvernement mexicain a annoncé lundi la signature d’un accord avec des entreprises, syndicats et organisations paysannes afin d’atténuer l’augmentation des prix des produits de base pour les plus défavorisés.

Afin d’ouvrir un dialogue avec les Etats-Unis, dont l’économie mexicaine dépend, et pour répondre aux récents désengagements de Ford, Toyota et General Motors, Enrique Peña Nieto a nommé un secrétaire d’Etat aux relations extérieures, Luis Videgaray, en disgrâce il y a peu pour avoir organisé la visite du candidat Trump à México. Il est et donc aujourd’hui considéré comme étant le plus à même d’entretenir de bonnes relations avec le voisin américain.

Certaines manifestations se sont traduites par des scènes d’affrontements et de pillages. Plusieurs personnes ont d’ores et déjà trouvé la mort. Comment expliquer cette violence ? Est-elle symptomatique au Mexique ?

La violence lors de manifestations n’est pas inhérente au Mexique. Ce phénomène se vérifie dans d’autres pays d’Amérique latine. Dans les années 1990, des scènes de violence et de pillages avaient eu lieu à Caracas, alors que le gouvernement du Venezuela venait d’augmenter les prix du carburant. Des manifestations violentes ont aussi été observées en Argentine ou au Brésil suite à des chutes de ressources budgétaires conséquentes à des revenus liés à l’exportation de produits primaires.

Ces évènements permettent de recadrer les alternances et bouffées de violences constatées ces derniers temps en Amérique latine. L’idéologie y a peut-être sa part. Mais la chute des prix du pétrole a sans doute une responsabilité majeure dans les évènements du Mexique, comme dans ceux du Venezuela et du Brésil.

Birmanie : pourquoi tant de haine vis-à-vis des Rohingyas ?

Mon, 09/01/2017 - 17:32

Plusieurs dizaines de milliers de Rohingyas auraient fui le Nord de l’Arakan (Ouest de la Birmanie) deux mois et demi après le lancement, par l’armée birmane, d’une « opération de nettoyage », dans la région. De nombreux observateurs dénoncent des exactions à l’encontre de la minorité musulmane. Quelle est la situation des Rohingyas et du conflit en cours dans l’Arakan ?

L’offensive entamée, début octobre, par l’armée birmane répond à une attaque inédite sur les forces de police. Les assaillants, qui appartiennent à la communauté Rohingya, ont en effet pris d’assaut des postes à la frontière avec le Bangladesh. Une dizaine de policiers ont trouvé la mort durant l’attaque. En ce début d’année 2017, les clearance operations menées par l’armée se poursuivent. La fière et puissante institution militaire – la tatmadaw – opère dans ces régions sensibles (d’un point de vue ethnico-religieux) en dehors de tout contrôle du gouvernement civil, bouclant l’accès au théâtre de crise, refusant tout regard ou témoignage extérieur. Ce huis clos est à l’origine, dans une grande mesure, des inquiétudes de la communauté internationale quant aux conséquences de ces opérations contre-insurrectionnelles sur la communauté Rohingya.

Quelles sont les origines de ce rejet de la minorité rohingya ? Quels facteurs expliquent les meurtres et exactions de masses perpétrées par les Arakanais bouddhistes et l’armée birmane ?

En Birmanie, nos lecteurs seraient bien surpris de voir combien une majorité d’interlocuteurs locaux – à plus forte raison ceux appartenant au groupe ethnique majoritaire bamar (68% de la population totale) – n’ont que faire et mépris pour la communauté rohingya et son sort ténu du moment.

Officiellement, le panorama ethnique national recense 135 groupes ethniques différents parmi lesquels, pour les plus connus, les Shans (9%), les Karens (7%), les Arakanais (4%), les Mons (2%). Ne cherchez pas dans ce vaste spectre ethnique trace des Rohingyas : ces derniers – nommés du reste généralement ‘’Bengalis’’ – figurent dans la catégorie des populations apatrides…

Musulmans originaires du sous-continent indien, installés – avant, pendant ou après la période coloniale britannique – dans l’Etat occidental de l’Arakan, frontalier du Bangladesh, les Rohingyas sont perçus en ces terres de bouddhisme, à l’occasion exalté par une matrice nationaliste vivace, comme des non-Birmans, des éléments hexogènes indésirables ne partageant ni foi, culture, histoire et patrimoine linguistique.

De nombreuses voix dénoncent le silence de la démocrate Aung San Suu Kyi, conseillère d’Etat et prix Nobel de la paix. Comment expliquer son inaction ?

Six ans après l’autodissolution de la junte militaire – le terme de « mue politique encadrée et cadencée » serait plus juste…-, l’opinion publique, birmane ou étrangère, peine à considérer La Dame de Rangoun dans son rôle contemporain, celui d’une responsable politique nationale de premier plan, conseillère d’Etat et ministre des Affaires étrangères depuis avril dernier. Les Birmans et la communauté internationale ont pourtant adulé et soutenu Aung San Suu Kyi, du temps où elle incarnait l’image paisible d’une résistance pacifique face aux généraux. Du temps où, muselée et assignée à résidence (pendant plus de quinze ans entre 1989 et 2010), elle incarnait plus que jamais la cause démocratique. Entre 2012 et 2016, Aung San Suu Kyi est élue députée. Le 8 novembre 2015, son parti politique, la ligue nationale pour la démocratie (LND), remporte haut la main le scrutin législatif national. Après une maturation de six mois, tout en étant elle-même empêchée par la Constitution d’assumer les fonctions de chef de l’Etat, son parti a investi en avril 2016 la première administration civile birmane depuis les années soixante…

Neuf mois après cet événement historique, dans un cadre politique où le poids et l’autorité de l’armée demeurent considérables et limitent d’autant les marges de manœuvre d’Aung San Suu Kyi et de son gouvernement (sans expérience), l’exercice du pouvoir s’avère délicat, complexe et difficile. La Birmanie reste un pays en développement, malmené par des hostilités en divers points du territoire (Etats Shan et Kachin) entre l’armée régulière et certains groupes ethniques armés.

La Birmanie, pays aux nombreuses ethnies, est en guerre civile depuis soixante-dix ans avec des groupes ethniques rebelles. Des négociations de paix ont été entamées avec une quinzaine d’entre eux. Où en sont les négociations ? Où se situent les principales zones de combats ?

Entamé voilà six ans par l’administration Thein Sein (2011-2016), l’âpre chemin vers la paix nationale – un objectif improbable depuis un long et pénible demi-siècle – n’est pas encore à l’avant-veille de son chapitre final. Sur la vingtaine de groupes ethniques armés actifs, seuls huit – et pas forcément parmi les plus importants – ont paraphé, en octobre 2015, un accord national de cessez-le-feu (ANC), ce, conformément au souhait pressant d’une administration post-junte (mais alors encore composée à quasi 100% d’anciens officiers supérieurs…) approchant du terme de son mandat.

Depuis lors, un gouvernement LND s’évertue, sous la houlette omniprésente d’Aung San Suu Kyi, de poursuivre cette entreprise complexe, organisant notamment le 31 août dernier une Union Peace Conference (Panglong 2.0) censée imprimer un élan décisif en direction du Dialogue Politique – l’étape 2 des négociations de paix – et convaincre les groupes ethniques armés encore sceptiques et réservés sur les bénéfices immédiats de parapher l’ANC.

Lors du semestre écoulé, la Birmanie a pourtant connu dans le Nord du pays (Etat Kachin), le Nord-Est (Etat Shan), dans l’Etat Kayin ou encore en Arakan, une nette intensification des hostilités en région ethnique. La tatmadaw fait montre d’une troublante détermination à s’employer sur le terrain des hostilités, bien davantage qu’autour de la table des négociations où elle multiplie à l’endroit des responsables ethniques, les outrages et les prérequis rédhibitoires (cf. dépôt des armes et démobilisation pour certaines guérillas ethniques avant de rejoindre le processus de paix).

Priorité nationale du gouvernement LND depuis son entrée en fonction au printemps dernier, les efforts en direction de la paix nationale n’ont pas fini d’éprouver Aung San Suu Kyi et de décevoir, du fait du positionnement très équivoque de l’armée, la population ethnique (1/3 de la population totale birmane) et les observateurs étrangers.

« Un défi de civilisation » – 3 questions à Jean-Pierre Chevènement

Mon, 09/01/2017 - 10:25

Ancien ministre, Jean-Pierre Chevènement est Président d’honneur du Mouvement républicain et citoyen, et président de la Fondation Res Publica. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Un défi de civilisation : la seule stratégie pour la France », aux éditions Fayard. Près de cinq-cents pages où il réfléchit aux motifs qui ont diminué le poids de la France dans le monde et le respect pour la République en France, et livre des pistes à suivre afin d’enrayer ces phénomènes.

Y-a-t-il un problème spécifique de l’islam en France ?

La France comptait en 2008, selon l’Institut national d’études démographiques (INED), 4,1 millions d’habitants se disant « musulmans » dans l’acception soit religieuse soit culturelle du terme. L’immense majorité a ses racines au Maghreb. Cette population est beaucoup mieux intégrée à la communauté nationale que partout ailleurs en Europe. D’abord, parce qu’une très grande majorité a partagé la même Histoire et partage aujourd’hui la citoyenneté française. Ensuite, parce que le modèle républicain fondé sur l’école exerce une fonction unificatrice. La critique faite à la laïcité comme contribuant à accroître les tensions me paraît superficielle. Cette critique méconnaît le sens profond de la laïcité et son rôle émancipateur en cristallisant sur le voile et la burqa. Cette critique, en fait, met en cause la République et son enracinement dans l’héritage des Lumières. Le modèle républicain, par l’ambition inscrite dans sa devise, et notamment par l’invocation de l’égalité, crée peut-être des frustrations – car il y a toujours un écart entre l’idéal et le réel -, mais les valeurs républicaines sont aussi une incitation à l’action publique. La spécificité de la France est que son modèle privilégie le commun et tend plutôt à décourager la communautarisation de la société. Mais l’islam, selon moi, peut fort bien s’en accommoder. On peut être citoyen ET musulman. C’est l’intérêt vital de notre pays que d’en faire la démonstration.

La France peut-elle peser plus que son poids dans les affaires mondiales ? Si oui, comment ?

Même si l’Europe, après deux guerres mondiales, a cessé d’être hégémonique, et même si le poids démographique de la France s’est beaucoup réduit depuis le XVIIIe siècle, elle peut toujours peser plus que son poids dans les affaires mondiales. Entre les États-Unis et la Chine qui domineront le XXIe siècle, elle est le pays européen le plus à même de faire avancer le projet d’une « Europe européenne », de l’Atlantique à la Russie, tel que l’avait déjà anticipé le général de Gaulle dans les années 1960. Le partenariat entre Paris, Berlin et Moscou doit s’organiser de manière à permettre aux pays européens de garder voix au chapitre. La France dispose encore de la gamme complète des moyens de la puissance, au plan diplomatique, militaire, économique et culturel. Elle ne doit pas s’en dessaisir. C’est la volonté politique persévérante des gouvernements successifs de donner vie à ce projet d’ « Europe européenne » qui fait le plus défaut. Mais de Gaulle, à gauche et à droite, redevient à la mode …

Qui a intérêt à ce que la France soit moins active sur la scène internationale ?

C’est de Gaulle qui, justement, rappelait qu’« un véritable État n’a pas d’amis ». Que la France devienne un musée ne gêne évidemment personne, et en particulier pas nos amis américains. Au contraire : c’est grâce à leurs dons généreux que le château de Versailles a pu être restauré. Mais si la France veut rétablir sa relation avec la Russie et y associer l’Allemagne et si elle veut conduire dans le monde arabo-musulman une politique de justice et de progrès, alors quelles levées de boucliers en perspective !

Pour répondre précisément à votre question : personne ne souhaite que la France soit active pour défendre son intérêt national, mais l’Humanité entière devrait souhaiter que la France s’active pour éviter le duopole étouffant de la Chine et des États-Unis sur les affaires mondiales et pour que soit relevé le défi de civilisation qui nous est jeté, afin de justement faire reculer l’idée d’un « choc des civilisations ».

Trump et l’avenir du féminisme américain

Sun, 08/01/2017 - 09:53

La campagne sexiste de Donald Trump n’augurait rien de bon pour les droits des femmes. Son élection confirme les craintes et questionne la mobilisation des mouvements féministes américains pour les prochaines années.

L’intérêt d’une analyse de la présidence Trump au prisme du genre ne se dément pas. Arrêtons-nous, tout d’abord, sur le choix de ses collaborateurs, essentiellement masculins (et blancs). On compte à ce jour quatre femmes pour 13 hommes parmi les futurs ministres, et une femme pour 9 hommes dans le cabinet. Il est probable que les nominations qu’il effectuera dans la haute administration iront dans le même sens. Le souhait du nouveau Président de s’entourer de généraux, d’ultras du parti républicain et de milliardaires issus du big business – des «mondes d’hommes» s’il en est -, s’ajoute à son absence de volonté manifeste de recruter des femmes. L’organigramme de l’entreprise Trump est lui aussi exclusivement masculin dans les tops excutives, à l’exception de sa fille Ivanka. Au mieux, il n’entend tout simplement pas changer les habitudes. Au pire, il pratique une discrimination consciente

C’est au moins une promesse qu’il est en train de tenir puisque la restauration d’une Amérique blanche et patriarcale était au cœur de sa campagne. La virilité stéréotypée participe du style Trump, sur le fond comme dans la forme : force, menaces et bras de fer en politique étrangère, culte de la personnalité, plaisanteries graveleuses, etc. Son projet, c’est celui d’une nation «debout», rompant avec l’Amérique faible d’un Obama qualifié pendant 8 ans par les Républicains de «Président qui s’excuse», «qui se couche». «Make America great again»… Dans la stratégie (et la communication) de Trump, un «vrai» dirigeant ne manque pas de leadership, prend des risques et ne craint pas l’adversité. La défense des droits des femmes, comme de ceux des homosexuels ou des minorités ethniques est une marque de faiblesse, d’impuissance face aux revendications du fléau du «politiquement correct». On sait que cette rhétorique a séduit l’électorat de Trump et au mieux ne l’a pas découragé, le 8 novembre dernier.

En juillet 2016, le parti a adopté, pour les quatre ans à venir, un programme profondément attentatoire aux libertés des femmes avec, entre autres sujets, une interdiction totale de l’avortement, nourrie par des impératifs moraux et religieux et par le fantasme de lutter contre les bouleversements démographiques («sauver» l’Amérique blanche). C’est un point sur lequel Trump, le Congrès à majorité républicaine et les Etats fédérés dirigés par des conservateurs n’auront aucun mal à s’entendre.

Quand il s’agit des femmes, les signes politiques négatifs se multiplient de la part du nouveau Président. Ainsi, l’équipe de Trump a demandé au département d’Etat des informations sur ses programmes relatifs au genre et à l’égalité femmes-hommes (violences – notamment sexuelles -, entrepreneuriat, place des femmes dans les secteurs économique et politique) et… sur les services qui les gèrent. La crainte d’une «chasse aux sorcières» fait son chemin dans l’administration encore en place, d’autant que les mêmes demandes ont été formulées sur les programmes relatifs à la protection de l’environnement – le staff de Trump s’est aussi enquis auprès du département d’Etat du nom des personnes qui en ont la charge…

Les mouvements féministes comme le parti démocrate prennent acte de cette réalité hostile. La défaite d’Hillary Clinton les contraint à repenser leur projet politique en faveur des droits des femmes, non seulement sur le fond, mais aussi sur les modalités des mobilisations militantes. Ils sont confrontés à plusieurs défis. Le premier est de (re-)connecter la question des inégalités femmes-hommes à celle des inégalités socio-économiques comme à celles des inégalités «raciales». La campagne de Clinton, bien qu’elle se veuille féministe – et elle l’était -, n’a pas mobilisé les électrices au-delà des scores habituels du parti. Clinton a donné l’impression qu’elle se cantonnait à la question du plafond de verre et ce n’est pas un combat dans lequel les classes moyennes et surtout populaires se reconnaissent a priori. Ainsi, sa promesse de nominations paritaires dans son administration n’a pas séduit. Le combat qu’elle avait promis de mener contre les discriminations au travail a lui aussi donné l’impression de ne s’adresser qu’aux CSP +. Ses projets de mesures en faveur du child care ou d’augmentation du salaire minimum sont quant à eux restés trop vagues et ont semblé calqués a posteriori sur celles de Bernie Sanders.

La candidate démocrate n’est pas parvenue à se défaire de l’étiquette de proximité avec le monde des affaires. C’était le propos de la philosophe Nancy Fraser pendant la campagne, qui a rappelé que les préoccupations des femmes très diplômées, urbaines et issues des classes aisées – et souvent «blanches» – n’étaient pas celles des travailleuses pauvres, qui appartiennent fréquemment aux minorités ethniques et qui, souvent, «gardent les enfants et font le ménage chez les femmes éduquées». Pour Fraser, Clinton incarnait un féminisme néolibéral. De plus, chez les jeunes générations progressistes, le féminisme de Clinton a été perçu comme démodé, comme ne prenant pas suffisamment en compte les sujets environnementaux, et ses propositions pour diminuer la dette étudiante ont elles aussi été vues comme une pâle copie de celles de Bernie Sanders, qui en avait fait l’un des thèmes majeurs de son programme.

Pour se mobiliser efficacement et donc avoir une influence forte sur l’agenda politique local et national, les mouvements féministes américains doivent dépassent certains points de divergence. Or l’élection de Trump est un signal positif envoyé aux opposants des droits des femmes. Elle nourrit la dynamique de défiance sur le sujet de l’égalité car la tentation d’un «backlash» existe aux Etats-Unis – comme en France, du reste, et la campagne présidentielle de 2017 nous le montre déjà. Sur l’accès à l’avortement, depuis des années, les «pro-choice» américains exercent un lobbying moins efficace que les «pro-life» qui vont avoir le vent en poupe avec la très possible nomination d’un 9e juge anti-avortement à la Cour suprême. L’élection de Trump peut donc aussi être aussi une occasion, pour le militantisme féministe, de rebondir. Une marche en faveur des droits des femmes est prévue le 21 janvier prochain, soit le lendemain de l’investiture du nouveau Président. Peut-être le début d’une nouvelle visibilité.

Émergence : quelles opportunités pour l’Afrique ?

Fri, 06/01/2017 - 11:44

Philippe Hugon est directeur de recherche à l’IRIS, en charge de l’Afrique. Il répond à nos questions à l’occasion de la sortie de son livre : “L’Afrique” (éditions Eyrolles).
– Quelle est la place de l’Afrique dans l’architecture internationale ?
– Par quels leviers d’action l’Afrique peut-elle combler son retard de développement ? La solution est-elle à l’intégration régionale ?
– La France a-t-elle un rôle à jouer et une opportunité à saisir ?

« L’immigration » – 3 questions à Catherine Wihtol de Wenden

Fri, 06/01/2017 - 11:21

Directrice de recherche au CNRS (CERI-Sciences-Po) et enseignante à Sciences-Po, Catherine Wihtol de Wenden est politologue et juriste, spécialiste des migrations internationales. Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « L’immigration : découvrir l’histoire, les évolutions et les tendances des phénomènes migratoires », aux éditions Eyrolles.

Peut-on fermer les frontières ?

Aucun pays peut s’enorgueillir de contrôler ses frontières dans le respect des droits de l’homme. Ceux-ci rendent impossible l’interdiction du passage des frontières à plusieurs catégories d’étrangers en fonction des accords signés par les pays d’accueil : les demandeurs d’asile, en vertu de la Convention de Genève de 1951, les membres des familles (épouse et enfants de moins de 18 ans), en vertu du droit de vivre en famille, principe constitutionnel dans de nombreux pays d’accueil, et les mineurs étrangers non accompagnés, en vertu de la Convention de 1989 sur les droits de l’enfant. De plus, les grands pays d’immigration du monde sont dépendants des migrations économiquement (besoin de main d’œuvre, qualifiée et non qualifiée) et démographiquement (vieillissement de la population). Enfin, pour des raisons de dialogue et de sécurité, fermer les frontières serait très dangereux, car, en maintenant enfermées des populations scolarisées, au chômage et sans espoir de partir de pays pauvres et mal gouvernés, nous aurions à nos portes des bombes à retardement. Plus les politiques de fermeture sont dissuasives, plus la transgression des frontières est pratiquée, via notamment des passeurs qui profitent des demandes de passage irrégulier. Il est donc illusoire de vouloir fermer hermétiquement les frontières, à moins de poster un gardien armé tous les 100 mètres, ce qui serait d’ailleurs encore plus coûteux qu’aujourd’hui.

Les migrants prennent-ils le travail des nationaux ?

Les migrants primo-arrivants viennent s’engouffrer dans les niches d’un marché du travail très segmenté et occupent les métiers peu sollicités par les nationaux : des métiers qualifiés, comme les médecins de campagne par exemple, ou des métiers peu qualifiés délaissés appelés aux États-Unis les « 3D » (dirty, difficult, dangerous), pénibles, mal payés, irréguliers dans l’année, soumis aux intempéries, sales, etc. Il n’y a pas de flexibilité du marché du travail suffisante pour que les nationaux au chômage viennent occuper les travaux occupés par les migrants, car cela supposerait que les nationaux ne touchent pas d’indemnisation de chômage et acceptent de se déqualifier en effectuant des métiers parfois dégradants. Les métiers occupés par les migrants se trouvent notamment dans l’agriculture (récolte des fruits et légumes, entretien des terres viticoles, garde des moutons, abattoirs), les services (industriels et domestiques pour le nettoyage et le gardiennage), les services à la personne (enfants et personnes âgées), le bâtiment et la restauration ; autant de secteurs où les nationaux sont peu présents aux postes subalternes. On trouve également des migrants dans les métiers qualifiés dits en tension où l’on manque de main d’œuvre, comme les métiers de l’ébénisterie, de la plomberie, de la santé. Enfin, des pénuries régionales ou sectorielles de main d’œuvre peuvent aussi conduire les employeurs à faire appel à des migrants.

Les débats politique et/ou médiatique sur les phénomènes migratoires vous paraissent-ils pertinents ? L’expertise réelle est-elle sollicitée ?

La plupart des décisions concernant les politiques migratoires semblent se fonder davantage sur les résultats de sondages et les prises de position politiques, que sur la consultation des travaux d’expertise et des recherches académiques. Les médias travaillent surtout dans l’urgence des évènements et dans le souci d’avoir un taux d’écoute élevé. L’accent est donc mis en priorité sur le sensationnel (banlieues qui brûlent, actes terroristes, flots de migrants arrivant par bateau ou sur la route des Balkans, etc.) La réalité est plus nuancée, mais également plus banale à mettre en scène et ne retient pas l’attention des journalistes. De leur côté, les pouvoirs publics cherchent à mettre en scène leurs politiques pour suggérer l’efficacité de leurs mesures, ce qui ne correspond pas non plus au quotidien des politiques migratoires. La parole des experts pèse peu sur les décisions, car ce sont les résultats d’analyses à long terme alors que les politiques traitent du court terme, en réponse aux attentes d’une opinion publique inquiète et aux discours de certains partis politiques qui entendent bénéficier d’un climat de peur. Il ne s’agit alors pas de mettre en place une « bonne » politique migratoire, correspondant à l’état des savoirs en la matière, mais une politique qui corresponde aux demandes de l’opinion et des résultats des sondages. C’est ce qu’on peut qualifier de « politique d’opinion ».

Beaucoup de travaux académiques et d’experts convergent dans leurs conclusions sur la nécessité d’ouvrir davantage les frontières, de renoncer au tout sécuritaire et à la stratégie de dissuasion, de respecter les droits de l’homme, de se soucier des besoins économiques et démographiques des pays d’accueil et de permettre par la mobilité un mieux-être dans les pays d’origine. Les politiques publiques menées coûtent souvent très chers, non seulement en vies humaines (30 000 morts en méditerranée depuis 2000), mais aussi en coût financier (budgets des instruments de contrôle et de rétention, des reconductions à la frontière, des fonds pour le retour au pays) et sont de peu d’effet, car elles ne correspondent pas aux tendances comportementales observées et aux aspirations des migrants, maîtres du jeu en dépit des politiques menées. Enfin, les pays d’origine sont de plus en plus les interlocuteurs des pays d’immigration et souhaitent poursuivre une politique basée sur des flux migratoires qui leur rapportent des devises (420 milliards de dollars, soit trois fois l’aide publique au développement), limitent le chômage et la contestation sociale. Il faut donc inventer un équilibre mondial qui permette un dialogue sur la question du droit à la mobilité. Dans le domaine des migrations, la posture du savant et celle du politique sont rarement en phase.

La marche en avant de Xi Jinping

Fri, 06/01/2017 - 11:01

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

« Éthique et sport » – 3 questions à Philippe Sarremejane

Thu, 05/01/2017 - 10:46

Philippe Sarremejane est Professeur des universités. Il enseigne l’éthique du sport dans le cadre du master Entraînement et optimisation de la performance sportive de l’Université Paris-Est. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Éthique et sport », aux Éditions Sciences humaines.

Existe-t-il une éthique spécifique au sport ?

Depuis une cinquantaine d’années, de nouvelles réalités pratiques liées à l’évolution des comportements, de la science et des techniques, ont suscité des interrogations inédites. Afin d’y répondre de manière concrète, les grands courants traditionnels de l’éthique théorique ou de la méta-éthique ont évolué depuis la fin des années 60 en de nombreuses éthiques « appliquées ». La bioéthique, l’éthique médicale, l’éthique de l’entreprise ou de l’environnement, sont autant de signes de cette évolution. Le sport peut-il s’inscrire dans ce large mouvement ? Nous le croyons car le sport est en prise directe avec de nombreux domaines – économique, politique, biologique, scientifique et technologique – qui traduisent de profonds changements et qui ne cessent d’interroger les sociétés.

Les cas qui illustrent la spécificité de l’éthique du sport sont relativement nombreux. Nous nous en tiendrons ici à un exemple : si l’essence du sport est le dépassement de soi par de nouvelles performances, on peut considérer que l’athlète qui établit un nouveau record a acquis des pouvoirs dont ne dispose pas le commun des mortels. Ces pouvoirs sont certes plutôt associés à l’excellence motrice (force, puissance, habileté, adresse, etc.), mais ils sont aussi psychologiques comme le courage, l’acceptation de la souffrance, du risque, voire du risque ultime, puisque certaines pratiques extrêmes amènent à risquer jusqu’à sa vie.  Le sport est ainsi devenu le « laboratoire de l’amélioration de l’humain », le moyen de créer une surnature humaine. Cette dernière pose de fait tout un ensemble de questions éthiques, souvent associées par ailleurs à la problématique du dopage. Quelle est la nature même de cette surnature ? Peut-on utiliser tous les produits ou techniques susceptibles d’améliorer l’humain ? Si les athlètes invalides peuvent bénéficier de prothèses, pourquoi ne pas généraliser l’usage d’un exosquelette à tous les athlètes valides ? Pourquoi aussi freiner cette tendance par des mesures anti-dopages ? Pourquoi ne pas tolérer les nouvelles biotechnologies et les nouvelles molécules au service de la performance dans le cadre d’un suivi médical ? On constate que ces questions nouvelles n’ont pas de réponses aisées, tranchées et définitives.

L’éthique du sport est en permanence soumise à ces cas auxquels elle essaie de répondre au nom d’une certaine définition de l’homme, de ce qui est acceptable ou inacceptable pour lui.

Vous écrivez qu’il n’est pas facile de répondre à la question : « le sport est-il éducatif ? » N’est-ce pas paradoxal ?

Oui, effectivement cela peut paraître paradoxal car il est communément attendu de la pratique sportive qu’elle soit un moyen d’éducation de la jeunesse. C’était d’ailleurs le projet initial de Pierre de Coubertin qui, en s’inspirant du modèle anglais, voulait instaurer en France une véritable éducation par le sport. Les pouvoirs publics, que ce soit par le biais des clubs, de l’éducation physique ou des différentes politiques de la Ville, ont constamment misé sur les vertus éducatives du sport. La référence à l’équipe de France black, blanc, beur, championne du monde de football en 1998, est bien ici le signe d’une intégration réussie par le sport. Le premier argument en faveur d’un sport éducatif est celui de la nature même du sport. Le sport est une pratique censée, par l’expression de règles précises et contrôlées – par les arbitres –, poser des limites à la violence et véhiculer des valeurs, comme celles du respect, de la loyauté, de l’entraide, du courage ou de la solidarité. Pourtant, de nombreuses questions se posent. La première concerne la nature même des valeurs du sport. Ces valeurs sont-elles unanimement et intrinsèquement les bonnes valeurs ? Le fait de soutenir, parfois de manière catégorique et absolue, son équipe nationale, peut aboutir à une forme de chauvinisme excessif, voire une dérive nationaliste. Le sport peut donc véhiculer, selon la pratique, des valeurs ambiguës.

La seconde question est la suivante : suffit-il de faire du sport pour être ensuite vertueux de manière durable dans sa vie en général ? On peut effectivement observer les règles et respecter les valeurs du football pendant le temps du jeu et ne pas systématiquement les mettre en pratique à l’école, au travail, dans sa famille et, de manière générale, dans l’espace public. Non seulement on ne peut garantir une extension des comportements moraux du sport à tous les domaines de l’expérience vécue, mais qui plus est, en dernière instance, la moralité repose toujours sur la capacité décisionnelle de l’individu. Autrement dit la moralité est étroitement liée à la liberté. On ne peut être moral par habitude ou par contrainte ; on est moral que si l’on parvient à s’auto-contraindre au regard d’une règle juste délibérément choisie. La seule façon d’espérer acquérir une conduite morale par la pratique sportive sera donc, dés le plus jeune âge, de pratiquer dans un contexte dont les acteurs – entraîneurs, joueurs, dirigeants, professeurs, parents – sont eux-mêmes les garants des valeurs d’intégrité et de probité. C’est l’unique moyen de mettre en place une sorte de prédisposition morale à la moralité.

Selon vous, de quelle façon l’éthique du sport est-elle mise sous tension ?

L’éthique du sport est sous tension, car l’éthique en général est toujours l’expression d’un désaccord, une contradiction au sein des valeurs ou des principes qui la fondent. Les valeurs de l’éthique ne forment pas un ensemble conceptuel cohérent et ordonné. Le sport ne fait que traduire à sa manière cette ambivalence. Nous avons déjà évoqué la dérive nationaliste des supporters qui par ailleurs se doivent de soutenir leur patrie, leur nation. On pourrait tout aussi bien évoquer la violence. A priori l’éthique la condamne car elle enfreint le principe du respect de l’intégrité physique et psychologique de la personne. Or, il est facile de constater que le sport, qui est affrontement et rivalité, non seulement la tolère mais l’exacerbe aussi réglementairement comme en boxe ou au rugby. La question se pose alors du degré de violence tolérable en sport. Où doit-on placer la limite ?

La tension la plus vive est intrinsèquement liée à la nature même du sport. Le sport est dépassement et affrontement. Dépassement de soi et des autres, affrontement contre soi et contre les autres. Et cette tendance n’a pas de limites. Il n’y a pas de limite sportive au sport. Le sport pour tous, le sport loisir, ne sont certainement pas exposés de la même manière à cette loi, mais le sport professionnel, le sport de haut niveau et le sport extrême sont en permanence inscrits dans cette logique du dépassement. Et cette tendance va inexorablement s’opposer aux principes de l’éthique. Pour battre des records du monde – en natation ou athlétisme, par exemple – il faudra mobiliser toujours plus de moyens. Il faudra toujours plus développer la « machine » corporelle, la force, la puissance, la souplesse, l’adresse, la vitesse, la capacité respiratoire, etc. avec tous les risques que cela implique pour la santé et l’équilibre personnel. Et lorsque les moyens « naturels » de l’entraînement ne suffisent plus, l’athlète est tenté par les artifices et le dopage.

Par ailleurs le sport lui-même est désormais pris dans un système mondialisé d’exploitation médiatique, économique et politique. Chacun de ces éléments est mu par une logique propre. L’économie du sport exploite tous les produits du sport selon la seule logique du profit. Et il faut bien admettre que ces secteurs d’exploitation du sport, qui le financent, le médiatisent, ou l’instrumentalisent politiquement, ne peuvent être exclusivement éthiques. Tout comme on ne peut concevoir qu’un joueur laisse gagner son adversaire par amitié ou par amour, il est tout aussi inconcevable qu’une firme de sportwear arrête de faire du profit pour satisfaire, au nom de la solidarité, la concurrence. Une solution à la course effrénée aux records consisterait à imposer une limite aux performances. Mais ce ne serait-ce pas là le plus sûr moyen de détruire le sport ? Le sport reste manifestement pris dans des contradictions qui semblent insurmontables et qui maintiennent l’éthique dans une situation d’équilibre relativement précaire.

Irak : les enjeux stratégiques de la visite de François Hollande

Wed, 04/01/2017 - 19:04

François Hollande était en visite, le 2 janvier, à Bagdad et à Erbil, capitales de l’Irak et de la région autonome du Kurdistan. Quel est le rôle de la France dans la lutte contre le terrorisme dans la région ? En quoi cette visite était-elle stratégique pour Paris ?

La France est l’un des premiers pays à avoir pris conscience du danger que représentait Daech dans la région. François Hollande a rapidement réagi et répondu positivement à l’appel à l’aide du gouvernement irakien, après l’offensive de Mossoul par les djihadistes, en juillet 2014. Dès septembre, l’opération Chammal est lancée. Les raids aériens doivent alors à tout prix empêcher Daech d’avancer vers Badgad et Erbil.

Deux ans et demi après l’apparition de Daech en Irak, force est de constater que la France a vu juste. A partir de 2015, l’organisation terroriste est devenue une menace globale. Elle a la capacité de commettre des attentats partout dans le monde. Son influence s’est étendue en Afrique, au Maghreb, en Asie centrale, notamment en Afghanistan. L’onde djihadiste s’est propagée en Asie du Sud-Est jusqu’aux Philippines.

La visite de François Hollande en Irak et dans la région autonome du Kurdistan irakien est stratégique. En effet, la France est la deuxième puissance militaire présente dans la région. L’armée française mène des raids aériens, forme les forces d’élites irakiennes et les peshmergas kurdes tout en leur fournissant de l’artillerie lourde. Contrairement à la Syrie, dont le destin semble aujourd’hui entre les mains de la Turquie, de la Russie et de l’Iran, la France est en mesure de faire valoir ses arguments quant au devenir de l’Irak.

Alors que l’Etat islamique est devenu une menace concrète pour la France en la frappant sur son sol, son objectif est rapidement devenu celui de la destruction de Daech. En ce sens et contrairement à d’autres puissances, elle a rapidement pris conscience que la victoire militaire contre Daech ne rimera pas avec la fin de l’organisation terroriste. C’est pourquoi François Hollande, lors de sa visite à Bagdad, a évoqué la « reconstruction » de l’Irak. Elle sera aussi bien civile, politique qu’économique. Il faudra notamment rapatrier des centaines de milliers de réfugiés qui ont fui les villes où se sont déroulés les combats comme Falloujah, Ramadi et aujourd’hui Mossoul. Sur le plan politique, une entente devra être trouvée entre les communautés chiites et sunnites. Sur le plan matériel, de nombreuses villes devront être reconstruites et l’Irak n’a pas les moyens d’agir seule.

En marge de la visite de François Hollande, un attentat perpétré par l’Etat islamique a tué 32 personnes. Où en est la lutte contre le terrorisme en Irak ? Daech y perd-il du terrain ?

Depuis 2014, une part importante de territoire a été reprise à Daech. Aux premières conquêtes des djihadistes, l’Irak se dote d’un nouveau gouvernement. Le Premier ministre de l’époque, Nouri al-Maliki, est très critiqué par la communauté sunnite d’Irak, une partie de la communauté chiite ainsi que par la communauté internationale pour sa mauvaise gestion du pays. Il est remplacé par Haïder al-Abadi. Celui-ci met d’emblée d’importants moyens à disposition pour reconstruire l’armée irakienne, reconstruction à laquelle la France prend part. Dès la fin 2014, la contre-offensive est lancée, Daech est chassée de Tikrit. En 2015, Ramadi est libérée. Quelques mois avant la bataille de Mossoul les kurdes et l’armée irakienne reprennent Falloujah aux djihadistes.

En deux ans, la contre-offensive a permis à l’armée irakienne de repousser Daech jusqu’à Mossoul. La reprise de cette ville de deux millions d’habitants sera longue et difficile. D’une part, à cause d’une forte densité de civils présents dans la ville, d’autre part, parce que Mossoul est la capitale de Daech en Irak. Les djihadistes ont préparé leur défense, ils tiendront leurs positions jusqu’à la mort.

Malgré les difficultés, Mossoul sera reprise et Daech vaincue sur le plan militaire. L’enjeu sera alors d’éliminer l’organisation terroriste sur le plan politique. La tâche sera ardue car les djihadistes tenteront de s’implanter parmi les tribus arabes sunnites d’Irak. Malgré une future défaite, Daech ne disparaitra pas totalement et continuera à perpétrer des attentats. Le gouvernement irakien et ses alliés devront mener une lutte implacable contre Daech sur le plan idéologique. L’Arabie saoudite et les pays qui ont, un temps, soutenu Daech devront également prendre part à la lutte.

Comment se dessine l’Irak de demain une fois l’Etat islamique vaincu ? Des tensions entre communautés chiites, sunnites et kurdes risquent-elles à nouveau de diviser le pays ? Le gouvernement irakien acquiert-il la légitimité suffisante pour s’imposer et régir l’ensemble du territoire ?

La reconstruction économique, politique et sociale de l’Irak sera compliquée et dépendra également de facteurs extérieurs. Depuis plusieurs années, l’Irak est le théâtre d’une bataille d’influence entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La naissance de Daech n’est pas indifférente à la rivalité entre les deux puissances chiites et sunnites. En effet, l’Arabie saoudite n’a jamais accepté l’influence iranienne en Irak après la chute de Saddam Hussein. La communauté internationale, notamment les pays qui ont une influence, tels que la France et les Etats-Unis, doit convaincre également les Saoudiens de changer leur politique.

Le gouvernement actuel, issu des élections, est composé, pour l’essentiel, de membres de la communauté chiite considérés proches de l’Iran, même si des Arabes sunnites et des Kurdes participent également au pouvoir. Le premier ministre chiite al-Abadi, est conscient de la nécessité d’intégrer d’avantage les sunnites au pouvoir irakien. Le gouvernement irakien doit trouver le moyen de proposer une participation politique aux communautés sunnites et de les convaincre de rejeter Daech.

En plus d’une entente politique, reste à reconstruire le pays et reloger les centaines de milliers de réfugiés irakiens. Selon les estimations, le coût des reconstructions s’élèveraient entre 200 et 300 milliards d’euros. Malgré une augmentation des revenus du pays suite à la hausse des prix du baril de pétrole, l’Irak ne dispose pas des moyens nécessaires pour assumer seul sa renaissance, elle aura besoin de l’aide de la communauté internationale. En ce sens, la visite de François Hollande était hautement importante.

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