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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Pékin face à la menace du terrorisme islamiste : quelle réalité ?

Fri, 03/03/2017 - 18:35

Les autorités chinoises doivent-elles prendre les menaces de Daech au sérieux ? Quel est le lien avec la situation de la minorité ouïghoure en Chine ?

Les autorités chinoises doivent prendre ces menaces au sérieux pour deux raisons essentielles. Tout d’abord parce que Daech est capable de frapper dans une multitude de lieux. Il s’agit de régions, notamment au Moyen-Orient, dans lesquelles la Chine est de plus en plus présente sous la forme d’investissements ou d’expatriés qui y travaillent. A partir du moment où Daech cible la Chine, en plus du ciblage traditionnel des démocraties occidentales, on peut effectivement s’attendre à ce que ces menaces soient mises à exécution par des groupuscules locaux.
L’autre raison est évidemment liée au territoire chinois et à la question des Ouïghours, essentiellement situés dans la province du Xinjiang (ouest de la Chine). Cette minorité peut être tentée, en tous cas pour les plus activistes d’entre eux, par un rapprochement avec Daech. D’ailleurs, il a déjà été observé à plusieurs reprises des revendications ouïghoures qui annonçaient, de manière exagérée ou réelle difficile à déterminer, une allégeance à Daech. Bien évidemment, ce lien attire l’attention des autorités chinoises, le plus grand risque étant lié à une recrudescence de la violence dans la province du Xinjiang. De plus, la violence exercée par certains groupuscules ouïghours ne se limite pas forcément à cette province mais pourrait se généraliser à l’ensemble du territoire chinois.

Quelle expérience le gouvernement chinois a-t-il avec le terrorisme, et plus particulièrement avec le terrorisme djihadiste ?

C’est justement parce qu’il existe une expérience douloureuse en la matière que les autorités chinoises doivent prendre au sérieux ce type d’annonce de la part de Daech. Au cours des dernières années, plusieurs attentats ont été perpétrés par les mouvements ouïghours les plus radicaux. On se souvient notamment de l’attentat très meurtrier en 2014 de la gare de Kunming dans la province du Yunnan (sud de la Chine). Cet attentat avait été d’une très grande violence avec un commando qui avait tiré à la mitraillette dans la foule de la billetterie. L’impact psychologique fut très fort et profond sur la population. On assiste depuis à des renforcements de la sécurité dans les lieux publics. Des capteurs de métaux sont ainsi installés dans la plupart des lieux publics chinois, y compris le métro. Le pays vit donc sous le risque terroriste islamiste, puisque ces mouvements ouïghours se revendiquent de cette mouvance islamiste.
La Chine est déjà engagée depuis plusieurs années dans des actions de lutte anti-terroriste, à la fois à l’intérieur de son territoire, notamment dans la province du Xinjiang, mais aussi à l’international. De multiples initiatives sécuritaires existent entre la Chine et les pays d’Asie centrale au travers de l’Organisation de coopération de Shanghai. Le volet sécuritaire et de lutte contre les radicalismes islamistes sont intégrés dans ces efforts, et il existe à la fois une coordination des services de renseignement ainsi que des forces de police visant à lutter contre ce type de mouvements. Du côté chinois, il y a donc une vraie prise de conscience, qui ne date pas d’hier, des risques liés au radicalisme islamiste.

Daech jouit-il d’une influence développée en Asie orientale ? Quels enjeux cette région représente-t-elle pour le terrorisme islamiste ?

Il serait exagéré de considérer que Daech a un impact important en Asie orientale. La population Hui est de confession musulmane mais elle n’est pas ethniquement attachée à un territoire particulier, comme c’est le cas des Ouïghours. Auprès des Hui, ce type de mouvance islamiste n’a pas d’impact significatif. Il existe davantage auprès des Ouïghours. Ces derniers se servent de Daech pour mettre en avant un projet qui n’est pas tant religieux, que territorial. Les Ouïghours recherchent en effet une reconnaissance territoriale et une forme d’autonomie, voire même d’indépendance pour les plus radicaux d’entre eux. Ils se servent donc d’un terrorisme transnational pour se nourrir d’un certain nombre d’idées et de méthodes, que l’on retrouve dans les différents attentats actuellement perpétrés en Chine. Il s’agit plus d’une volonté de reproduire des types d’attaque et des schémas de pensée au départ véhiculés par Daech. On ne peut donc pas à proprement parler établir un lien étroit entre les Ouïghours et Daech. Ce lien reste discutable et n’est pas avéré à l’heure actuelle. Il s’agit plutôt d’une forme d’allégeance, que l’on retrouve d’ailleurs en Asie du Sud-Est, notamment au sein de mouvements au sud des Philippines et en Indonésie. Il s’agit de prêter allégeance à Daech mais sans nécessairement faire la démonstration d’un lien réel entre ces différentes organisations.

Six ans après le renversement de Hosni Moubarak : l’Egypte dans le creux de la vague révolutionnaire

Wed, 01/03/2017 - 18:49

Six ans après le renversement de Hosni Moubarak, quel est le bilan global à tirer de la vague de contestation de 2011 en Egypte ?

Il faut tout d’abord rappeler que le mouvement de contestation qui se cristallise en Egypte en 2011 s’inscrit totalement dans l’onde de choc politique qui traverse alors de multiples pays du monde arabe. En Egypte, cela prend une forme très singulière puisqu’Hosni Moubarak, qui dirigeait le pays depuis 1981, est chassé du pouvoir en quelques courtes semaines seulement. Nous avons là l’expression d’une vague révolutionnaire puissante, puisqu’un régime qui semblait très bien établi a finalement rapidement « dégagé », pour reprendre l’expression scandée par les manifestants de la place Tahrir. Les mois qui ont suivi ont vu se succéder, à vitesse accélérée, une série d’événements d’une grande portée politique. Ainsi, en 2012 les Frères musulmans accèdent démocratiquement au pouvoir, notamment à la présidence du pays en la personne de Mohamed Morsi. Bien qu’existant depuis 1928, la confrérie des Frères avait toujours été écartée des sphères du pouvoir, voire réduite à la clandestinité. En 2013, un coup d’Etat est organisé par l’institution militaire qui chasse les Frères musulmans, avec l’actif soutien de Abdel Fattah Al-Sissi, alors ministre de la Défense nommé par M. Morsi. En 2014, une sorte de normalisation autoritaire est actée par l’organisation des élections présidentielles, grâce auxquelles A. F. Al-Sissi, devenu entretemps maréchal, recueille 96% des suffrages. Toutefois, un taux de participation de 50% réduit quelque peu la portée de ce score.
Depuis lors, il y a une incontestable régression des libertés démocratiques individuelles et collectives. Le formidable espoir qui s’était exprimé lors du mouvement révolutionnaire de 2011 a été trahi. Aujourd’hui, les Frères musulmans sont persécutés : environ 40 000 d’entre eux se trouvent en prison et 2 000 condamnations à mort ont été prononcées, même si elles n’ont pas été exécutées. De même, ceux qui appartiennent plutôt au camp « laïc », et qui avaient soutenu le coup d’Etat de 2013, se retrouvent aussi en butte à la répression.
Au niveau économique, la situation n’est guère meilleure. L’Egypte est confrontée à des défis structurels qu’à ce jour elle n’a pas su résoudre. De plus, quatre apports financiers traditionnels de l’économie égyptienne posent problème. Le premier est celui constitué par les travailleurs émigrés égyptiens qui envoyaient régulièrement des devises, principalement depuis l’Arabie saoudite et la Libye. Ces apports en devises étrangères sont de plus en plus faibles puisque l’Arabie saoudite connaît elle-même des difficultés économiques, tandis que la Libye est dans une situation de chaos. Deuxièmement, le pétrole : l’Egypte fut à un moment auto-suffisante mais ce n’est plus le cas désormais avec de trop faibles réserves ; Le Caire est donc obligé de recourir aux importations. Troisièmement, le canal de Suez dont les revenus ont fléchi en raison de la crise économique mondiale et de la baisse du trafic international. Enfin, les revenus tirés du tourisme ont eux aussi considérablement diminué.
Cette situation économique a nécessité de recourir à des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Celui-ci a accepté en août 2016 de faire un prêt sur 3 ans de 12 milliards de dollars. Mais les exigences en contrepartie sont drastiques : imposition de la TVA, baisse des subventions sur des produits importants (carburant, électricité), dévaluation de la livre égyptienne de près de 50%… Le pouvoir actuel est pris entre deux feux : d’un côté, il a besoin de négocier avec le FMI mais de l’autre, l’application d’un tel accord risque de générer un fort mécontentement, voire des conflits sociaux d’envergure.

Sur le plan régional et international, le rayonnement du nassérisme semble maintenant très lointain. Quelles sont les orientations actuelles de la politique extérieure du Caire ?

Effectivement nous sommes bien loin de la période glorieuse du nassérisme, moment où l’Egypte avait réellement une forte influence dans tout le Moyen-Orient arabe. Nasser avait alors une extraordinaire aura et incarnait la volonté de réaliser l’unité arabe, même s’il n’est pas parvenu à ses fins. À son époque, l’Egypte jouait aussi un important rôle international, notamment au sein du Mouvement des non-alignés, dont il était l’un des piliers majeurs avec l’Inde et la Chine. Depuis lors, on peut constater une baisse d’influence de l’Egypte au niveau régional et international, visible d’ailleurs dès l’époque de Moubarak. Quels sont donc les grands dossiers de politique étrangère de l’Egypte ?
Tout d’abord, le rapport avec les Etats-Unis. A l’époque de Moubarak, l’Egypte était le deuxième récipiendaire d’aides américaines, notamment dans le domaine militaire, après Israël. L’Egypte a donc toujours été l’un des points d’appui régional essentiel des Etats-Unis. Or, beaucoup d’Egyptiens sont persuadés qu’ils ont été trahis par ces derniers. En effet, assez rapidement en 2011, les Américains ont soutenu le mouvement de contestation et n’ont sûrement pas été pour rien dans le départ de Moubarak. Restent prégnantes, comme dans les autres pays du Moyen-Orient, des théories complotistes latentes à l’égard des Etats-Unis. D’autant que l’administration Obama a aussi manifesté une certaine empathie à l’égard des Frères musulmans, puisqu’ils avaient été élus démocratiquement dans le cadre des premières élections libres et pluralistes du pays. Le coup d’Etat de A. F. Al-Sissi, bien qu’Obama n’ait jamais utilisé ce terme, a marqué une période de refroidissement avec Washington. Obama considérait en effet qu’il y avait eu usurpation du pouvoir par le maréchal et par l’armée. A la suite de ce coup, les Etats-Unis ont temporairement cessé la livraison d’aides militaires, ce qui a renforcé une méfiance latente qui n’a jamais été réellement résorbée. Toutefois, A. F. Sissi essaye désormais de normaliser les relations bilatérales depuis l’élection de Donald Trump.
La Russie marque aussi un véritable retour en Egypte et les deux pays convergent sur plusieurs dossiers centraux : la lutte anti-terroriste, la situation en Syrie, la Libye… La Chine quant à elle effectue une véritable percée, symbolisée par la visite de Xi Jinping en janvier 2016, la signature de contrats commerciaux et une augmentation des flux commerciaux d’environ 5% par an. La Chine est désormais le deuxième partenaire commercial de l’Egypte et elle entend faire du Caire un partenaire important du projet One Belt One Road, dénomination officielle des nouvelles Routes de la Soie.
Enfin, les relations avec l’Arabie saoudite sont complexes. D’un côté, le royaume a été un sauveteur du Caire dans les années suivant le mouvement révolutionnaire et le coup d’Etat : les Saoudiens ont en effet versé 25 milliards de dollars à l’Egypte depuis 2013 et l’ont certainement sauvé de la banqueroute. Pour autant, les deux pays ne convergent pas sur tous les dossiers (Syrie et Yémen par exemple). L’Egypte essaye en outre de se replacer dans le jeu régional et entre donc en concurrence avec l’Arabie saoudite, qui souhaite pour sa part devenir le leader du monde arabe. On est loin d’un affrontement mais l’Egypte essaye quand même de s’autonomiser, afin de ne pas être trop dépendante de l’Arabie saoudite.

Quels sont aujourd’hui les grands défis à relever pour le pays ? Existe-t-il une menace terroriste ?

Bien sûr, le terrorisme est un défi régional. Mais paradoxalement en Egypte, le terrorisme n’est pas si prégnant. Il y a certes eu l’épisode de l’avion russe qui a explosé en vol mais pour autant, les grandes villes égyptiennes ne sont pas des victimes récurrentes d’attaques. En réalité, la situation au Sinaï est beaucoup plus préoccupante. Cette région est dans une situation de non-droit où le gouvernement n’a pas les moyens de se faire respecter. Ainsi, les militaires n’osent pas sortir de leur caserne une fois la nuit tombée.
Les autres défis du pays sont de deux ordres. Tout d’abord, le défi démographique : le taux de fécondité est de près de 3,5% par an et la population égyptienne a doublé en moins de quarante ans. Aujourd’hui, on dénombre 92 millions d’Egyptiens et, d’après les projections, la population devrait atteindre 165 millions d’habitants en 2050. Cet accroissement considérable de la population est très inquiétant compte tenu de la situation économique précaire, puisqu’un chômage de masse affecte la jeunesse.
L’autre grand défi est d’ordre géographique. Seulement 5 à 6% de la totalité de la superficie du sol égyptien est « utile », à savoir la vallée du Nil, au long de la laquelle s’est concentré l’essentiel de la population, de l’agriculture et des industries. L’enjeu est donc de savoir comment mettre en valeur le reste du territoire, ce qui nécessite des investissements considérables. Ce défi complexe représente l’un des grands chantiers que le gouvernement doit mettre en œuvre.

Trump : relance de la course aux armements

Wed, 01/03/2017 - 18:45

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

Pour un rapport de l’Union européenne sur les exportations d’armement dans le monde

Tue, 28/02/2017 - 14:21

La publication du Sipri Yearbook 2016 en février 2016, le salon IDEX de l’armement aux Emirats arabes Unis qui s’est tenu du 19 au 23 février 2017, ainsi que les bons résultats de la France à l’exportation… Les occasions sont multiples pour parler des ventes d’armes dans le monde. Mais il n’est en réalité pas si simple d’en débattre, tant les chiffres sur lesquels sont basés les analyses sont sujets à caution.

Il est difficile de ne pas être atteint de schizophrénie quand d’un côté, on se félicite du chiffre des exportations record de la France (20 milliards d’euros d’exportation en 2016 selon le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian), alors que de l’autre, on se lamente de la croissance de 8,4% des exportations d’armement dans le monde (selon l’Institut de recherche sur la paix – SIPRI)[1].Ce chiffre serait le reflet d’un monde où les crises se multiplient. Personne ne semble pourtant avoir relevé que selon le SIPRI, les exportations d’armement de la France, représentant 6% d’un peu plus de 30 milliards de TIV[2] représenteraient 1,5 milliards d’euros de ventes d’armes de la France, alors que le ministre de la Défense annonce 20 milliards d’euros. Vu de l’extérieur, une certaine confusion semble donc régner.

Il faut féliciter le SIPRI de son travail car il s’agit du seul organisme qui mesure aujourd’hui les exportations d’armement dans le monde et qui communique sur le sujet. Moins connu mais méritant qu’on s’y attarde quand même, est le World Military Expenditures and Arms Transfers (WMEAT) publié par le département d’Etat américain. Or, si le SIPRI évoque un chiffre de 30 milliards de dollars, le WMEAT 2016 donne lui une moyenne de 150 milliards de dollars de ventes d’armes dans le monde par an sur la période 2004-2014, soit un rapport de 1 à 5[3] ! Quant au ministère de la Défense français, il semble avoir donné dans le rapport au Parlement sur les exportations d’armement une estimation moyenne des exportations d’armement dans le monde d’un montant annuel de 100 milliards d’euros[4]. Il apparait donc difficile à première vue de s’y retrouver dans tous ces chiffres contradictoires. Pour autant, on peut dégager deux tendances très nettes et émettre une recommandation.

L’accroissement des exportations d’armement dans les zones de tension

La première tendance est qu’il existe effectivement un accroissement des exportations d’armement sur un rythme significatif, sans être exceptionnel, dans deux régions du monde : le Moyen-Orient et l’Asie. En Asie, le mouvement est tiré à la fois par la croissance économique qui est forte mais également par le clivage stratégique entre la Chine et un certain nombre de ses voisins, qui se traduit notamment par une augmentation des capacités navales. Ce phénomène est notamment lié aux revendications territoriales en mer de Chine. Au Moyen-Orient, le clivage entre l’Iran d’une part, et l’Arabie Saoudite et ses alliés d’autre part, crée une situation favorable à la course aux armements. Le conflit yéménite cristallise effectivement à la fois cette opposition mais il est aussi pour la première fois depuis longtemps « consommateur » d’armement, qu’il faut renouveler. Toutefois, la baisse prolongée des prix du pétrole a conduit depuis un an les Etats de la région à mettre un frein à leurs ambitions. Par ailleurs, il existe une constante à tous ces pays, en Asie et même désormais au Moyen-Orient : ils ne veulent plus uniquement être des consommateurs d’armement mais souhaitent désormais être aussi des producteurs, afin d’acquérir davantage d’autonomie stratégique. Ce qui était vrai depuis déjà plus de 10 ans pour l’Inde, la Corée du Sud ou la Turquie, est également vrai désormais pour des pays comme la Malaisie, Singapour ou l’Indonésie mais aussi et surtout pour les pays du Golfe. Les Emirats Arabes Unis, où s’est déroulé le salon IDEX, est l’un des premiers pays de la région à s’être doté d’une législation sur les offsets, qui prévoit des transferts de technologie et une fabrication locale en contrepartie des ventes d’armes à ce pays. Dans le cadre de son projet « vision 2030 », l’Arabie Saoudite a le même objectif : elle souhaite à la fois être plus autonome et également développer une industrie de défense grâce à ses achats d’armement. Cette tendance au développement des industries de défense devrait donc se traduire dans quelques années par une réduction des exportations d’armement, les capacités de production locales augmentant.

Les Etats-Unis largement en tête du classement des exportateurs d’armement

La deuxième tendance est que les Etats-Unis restent, et de très loin, les plus grands exportateurs d’armement dans le monde. Le SIPRI estime que les Etats-Unis représentent un tiers des exportations mondiales, soit environ 10 milliards de TIV. Le Rapport au Parlement français sur les exportations d’armement chiffre pour sa part un montant d’environ près de la moitié des exportations mondiales, soit près de 50 milliards d’euros. Le WMEAT estime quant à lui à 79% la part des Etats-Unis dans les exportations d’armement mondiales, soit 120 milliards de dollars sur la période 2004-2014 et même 153 milliards de dollars pour la seule année 2014 ! On constate d’ailleurs dans le WMEAT une augmentation d’un tiers des exportations d’armement des Etats-Unis durant les deux mandats de Barack Obama : tout se passe comme si la baisse des budgets de défense des Etats-Unis avait été compensée durant cette période par une augmentation des exportations afin de soutenir l’industrie de défense des Etats-Unis. Or, les chiffres donnés par le WMEAT sur les exportations des Etats-Unis ne sont pas contestables. Ce sont des chiffres officiels qui résultent de l’addition des ventes commerciales, des ventes d’Etat à Etat dans le cadre des Foreign Military Sales (FMS), ainsi que des ventes dans le cadre du programme de coopération militaire géré par la DoD’s Defense Security Cooperation Agency (DSCA) et de deux programmes spécifiques portant sur l’exportation d’équipements militaires navals. Dans ce domaine, « America’s first » n’est pas un projet : c’est déjà une réalité

L’Union européenne devrait être à l’initiative d’un outil de transparence sur les exportations d’armement

En matière de transparence sur les ventes d’armes, il existe depuis la première guerre du Golfe le registre des armes classiques des Nations unies. Cet outil est un réel progrès en matière de transparence mais il a pour double limite le peu de publicité et l’absence de mesure de la valeur financière des exportations. Or, cette mesure financière est importante car c’est aujourd’hui le seul indicateur objectif des capacités réelles d’un matériel militaire : plus un armement est technologiquement en pointe, plus il est cher, mais plus il est aussi performant. On l’a bien vu durant la première guerre du Golfe en 1991, où les 5000 chars de l’armée irakienne ont pesé de peu de poids face aux armées de la coalition conduite par les Etats-Unis. Les pays de l’Union européenne (UE) disposent tous également depuis 15 ans de rapports nationaux sur les exportations d’armement pour rendre cette transparence dans les ventes d’armes. Même si la présentation de ces rapports nationaux n’est pas harmonisée, ils chiffrent les exportations d’armement de chaque pays à partir de données officielles et sont donc censés être fiables. Mais il faudrait aujourd’hui que l’Union européenne fasse plus…

La compilation de ces rapports nationaux doit permettre de créer un rapport européen sur les exportations d’armement. Une fois ce rapport complété par les données recueillies sur les exportations des pays non membres de l’UE, il permettrait à cette dernière de publier un rapport sur les exportations d’armement dans le monde. Ce rapport, au moment où commence à être mis en œuvre le Traité sur le commerce des armes, permettrait, en accroissant la transparence, de mieux légitimer les ventes d’armes des pays de l’UE qui respectent les traités internationaux réglementant les exportations d’armement. Il permettrait également de mesurer sans contestation le poids réel de l’Union européenne en matière de ventes d’armes dans le monde. Comme on l’a vu, même quand la France exporte beaucoup d’armes pour soutenir son industrie et donc son indépendance nationale, cela reste une goutte d’eau par rapport aux exportations américaines. Ce rapport devrait faire l’objet d’une large communication. Il devrait être conçu comme un instrument d’influence destiné à promouvoir la transparence sur les exportations d’armement.

Pour élaborer un tel rapport, l’Union européenne dispose de tous les outils nécessaires. Il y a déjà le rapport annuel sur les exportations d’armement, réalisé par le groupe COARM au sein du Service européen d’action extérieure (SEAE) dans le cadre de la position commune 2008/944 de l’UE sur les exportations d’armement. Ce rapport est publié au Journal Officiel de l’Union européenne[5] mais il présente le double handicap, alors même que toutes les données y sont disponibles, de ne pas donner une vision globale des exportations de l’UE, ni de remettre en perspective la compilation de toutes les données qui y figurent. Or, des think tanks travaillent dans chacun des pays membres sur les questions d’armement et d’exportations d’armement, à l’image des chercheurs qui collaborent au réseau ARES piloté par l’IRIS. Ces derniers peuvent mettre en perspective le rapport du SEAE et le compléter par les données mondiales. Il existe enfin un institut de recherche rattaché à l’Union européenne, l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (EUISS), qui pourrait fédérer les travaux des institutions officielles et des think tanks européens afin de produire cette publication de référence sur les exportations d’armement dans le monde.

[1] Très exactement entre les périodes 2007-2011 et 2012-2016,

[2] Le SIPRI Trend Indicator Value (SIPRI TIV) est basé sur la valeur capacitaire supposée d’un matériel et n’est donc pas censé représenter le montant des exportations d’armement. Toutefois le TIV est référencé par rapport au coût connu de certains matériels. On peut donc considérer que le montant du SIPRI TIV est bien un montant financier même si le SIPRI indique, à juste titre, que les chiffres qu’ils donnent ne peuvent scientifiquement représenter la réalité.

[3] World Military Expenditures and Arms Transfers 2016, décembre 2016, https://www.state.gov/t/avc/rls/rpt/wmeat/2016/index.htm

[4] Rapport au Parlement sur les exportations d’armement 2016, ministère de la défense, 1 juin 2016, http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/rapport-au-parlement-sur-les-exportations-d-armement-2016

[5] Rapport annuel sur les exportations d’armement : https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/8472/Annual%20reports%20on%20arms%20exports

Les pays d’Amérique latine dans l’incertitude face à Trump

Mon, 27/02/2017 - 12:53

Par bien des égards, Donald Trump est un président avec un profil inédit dans l’histoire des Etats-Unis. Concernant les relations avec l’Amérique latine, en quoi sa ligne de politique étrangère marque-t-elle une rupture avec ses prédécesseurs ?

Donald Trump représente un profil nouveau dans le panorama des élections américaines car il est le premier président élu, depuis les années 1990, qui n’affiche aucun projet déterminé pour l’Amérique latine. Depuis la fin de la guerre froide, chaque candidat républicain ou démocrate avait un projet pour l’Amérique latine. Il s’agissait de l’intégrer, via un ou des accords de libre-échange, aux chaînes de valeurs économiques et financières de la première puissance mondiale. Manière par ailleurs de garder la région dans son giron. Mais Trump est le premier président à n’avoir pas soutenu un tel projet, ni durant sa campagne où la région a été quasiment inexistante, ni maintenant qu’il est à la Maison-Blanche. Aujourd’hui, sa politique se limite essentiellement à deux questions : l’immigration et le protectionnisme commercial. Les deux concernent surtout le Mexique, l’Amérique centrale et la Caraïbe.

Précisément, l’immigration a été un sujet central dans la campagne de Trump, qui entend renforcer une politique de répression. Concrètement, quelles seraient les mesures à sa disposition susceptibles de bouleverser les schémas migratoires du continent ? Qu’a-t-il déjà commencé à mettre en place ?

Trump a déjà mis en place plusieurs mesures concernant le Mexique mais d’autres politiques moins évoquées dans les médias existent aussi, à destination des pays centre-américains et de Cuba. Il compte essentiellement mettre en place des mesures de répression migratoire sous plusieurs formes. La mesure la plus médiatisée reste la construction d’un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique (de plus de 3 000 kilomètres), dont il souhaite imposer l’essentiel du financement au Mexique.

Comment ? Plusieurs pistes. Trump compte renégocier – peut être dissoudre – l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). Dans ce cadre, si le Mexique souhaitait continuer à avoir des rapports commerciaux privilégiés avec les Etats-Unis, il devrait accepter de prendre en charge le financement du mur. Le président américain annonce également vouloir taxer tous azimuts les envois de fonds (remesas) des Mexicains vivant aux Etats-Unis vers leur famille restée au pays. Actuellement, 12 millions de Mexicains vivent aux Etats-Unis, une famille mexicaine sur deux a un parent qui vit aux Etats-Unis et 20% des familles mexicaines bénéficient de ces envois de fonds (estimés à la somme colossale de 26 milliards de dollars en 2016). Trump menace ainsi de taxer chacun de ces transferts à hauteur de 5% de manière à financer le mur. En fait, il semble formuler les termes d’un chantage au gouvernement mexicain : soit celui-ci accepte de financer une enveloppe de 5 à 10 milliards de dollars pour ce mur – dont le coût annoncé par Trump s’élève à 8 milliards de dollars, alors que le Département de sécurité nationale considère qu’il coûterait en réalité plus de 21 milliards ! – soit le nouveau président américain taxera les remesas.

Enfin, un autre volet de la politique de répression consiste en la signature, il y a quelques semaines, d’un décret présidentiel renforçant les moyens financiers et humains américains à la frontière mexicaine en augmentant les effectifs des patrouilles policières et garde-frontières à hauteur de 15 000 personnes. Dans l’attente du potentiel mur, ce décret prévoit de construire des centres de détention pour migrants. Il faut rappeler qu’il existe déjà une barrière métallique étalée sur plus du tiers de la frontière entre les deux pays.

Concernant les pays centre-américains, en particulier le Guatemala, El Salvador et le Honduras qui forment le Triangle Nord, Trump a confirmé l’enclenchement des programmes élaborés par Barack Obama (notamment l’Alliance pour la prospérité disposant d’une enveloppe de 750 millions de dollars votée par le Congrès en 2015). Ils consistent, entre autres, à financer des plans de contrôle et de sécurisation des frontières, de formation policière et militaire, ainsi que des projets de développement. Le but est d’empêcher les migrants de quitter ces pays disloqués par la pauvreté, la criminalité, la corruption, le narcotrafic et par les problèmes politiques et institutionnels.

A noter également que Barack Obama avait levé, avant la fin de son mandat, une loi dite « Pieds sec pieds mouillés » qui permettait aux Cubains quittant l’île pour rejoindre le sol américain de bénéficier d’un statut privilégié et de résident. Cette loi datait de l’époque de la guerre froide. La Havane a toujours considéré qu’il s’agissait d’une incitation à l’exil pour ses ressortissants et exigeait donc son retrait dans le cadre du processus de normalisation amorcé en 2014. Chose faite. Aujourd’hui, avec la fin de cette loi, tout Cubain parvenant illégalement aux Etats-Unis sera considéré comme n’importe quel autre clandestin. Cette mesure va donc influencer la migration cubaine vers les Etats-Unis.

Le protectionnisme affiché de Trump va certainement redéfinir les relations diplomatiques et commerciales en Amérique latine. Serait-il plus judicieux pour les dirigeants sud-américains d’en profiter pour créer une nouvelle dynamique collective ou s’agit-il au contraire de se tourner vers des partenaires extérieurs comme la Chine ?

L’arrivée de Donald Trump confère très clairement à l’Amérique latine un statut de laboratoire concernant les politiques commerciales. On peut qualifier les politiques protectionnistes du président américain comme relevant d’un « protectionnisme de copains », dans le sens où Trump ne s’attache à aucune doctrine. Il exige simplement une loyauté intégrale de la part des pays qui souhaitent établir un partenariat avec les Etats-Unis. Ceux qui obtempèreront seront récompensés, tandis que les autres seront sanctionnés. Dans cette optique, il souhaite remplacer les cadres de négociation multilatéraux par des cadres bilatéraux, qui permettraient aux Etats-Unis – comprendre à leurs entreprises et classes dirigeantes – de tirer le maximum de bénéfices. En face, les chancelleries et les capitales sud-américaines sont en pleine hésitation et en redéploiement stratégique, qui reste encore aléatoire. La tendance est à l’émergence de nouveaux débats car la position du président américain encourage les pays latino-américains à diversifier leurs partenariats, à la fois avec les Etats-Unis mais également avec la Chine et les autres pays émergents.

La question de l’intégration régionale se pose à nouveau également. Cette intégration économique régionale est actuellement faible en Amérique latine. En effet, l’économie intrarégionale représente à peine 15% des échanges des pays latino-américains, l’essentiel de leur production étant exporté sur les grands marchés mondiaux. Ce sujet revient donc dans l’agenda des capitales latino-américaines mais il est encore beaucoup trop tôt pour savoir s’il se concrétisera. Tout dépendra aussi de l’attitude du Mexique, selon qu’il soit prêt ou non à se redéployer vers l’Amérique latine. Ces questions restent ouvertes et sans réponse. Mais il est évident que l’intégration régionale aurait beaucoup de vertus pour les Sud-Américains, tant pour compenser les chocs de l’économie mondiale que pour se protéger des aléas de la politique nord-américaine.

« Or, argent et folies des grandeurs » – 3 questions à Alessandro Giraudo

Mon, 27/02/2017 - 10:47

Alessandro Giraudo est Chief Economist du groupe international Tradition. Enseignant à l’ISG-Paris, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Or, argent et folies des grandeurs », aux Éditions Economica.

Comment expliquer que l’or et l’argent influencent la vie des hommes depuis plus de 8000 ans ?

Les deux métaux sont rares et résistent à l’usure du temps, en particulier l’or. C’est surtout ce dernier, produit par les supernovas, qui, par ses qualités, alimente et exacerbe l’imaginaire des hommes. Pour les Égyptiens, le métal jaune était la chair du dieu Râ et, pour les Incas, il représentait les larmes du soleil. Des civilisations très différentes, dans des lieux géographiques très éloignés, sans la possibilité de communiquer et dans des époques diverses, ont toujours choisi les mêmes métaux et leur ont attribué une grande valeur. Les textes religieux dans le monde entier et presque toutes les images de la mythologie de plusieurs pays parlent systématiquement de ces métaux précieux. Les temples, les églises et les centres du culte religieux contiennent est exposent de l’or et de l’argent. Les hommes ont toujours été à la recherche d’Ophir et de Tharsis, les villes mythiques où furent trouvé l’or et l’argent. Les mythes de l’Eldorado, de la Ville de l’Or, de Quivira, de Cibola, de la Sierra de la Plata et de l’Île de l’Or dans l’océan Pacifique peuplent l’imaginaire et les rêves des hommes. Ils attirent des expéditions, qui sont rarement fructueuses et souvent dangereuses. Des milliers d’esclaves meurent de soif dans les mines nubiennes, d’autres sont sacrifiés dans les mines d’argent du Laurion pour financer le siècle d’or d’Athènes : les damnata ad metalla meurent dans les mines romaines ; beaucoup d’esclaves sont engloutis dans les mines des califats ; les mitayos andins et les esclaves africains tombent comme des mouches dans les mines à Potosí et à Huancavelica (le mercure utilisé pour extraire l’argent). Les bandierantes et les garimpeiros au Brésil, les prisonniers politiques et ordinaires en Sibérie, les Johnny newcomers en Californie, les coolies chinois et les mineurs noirs en Afrique du Sud ont des vies très courtes.

Les métaux jaune et blanc ont toujours financé les pouvoirs et les guerres, l’imaginaire et les caprices des hommes, les rançons, le commerce et les échanges de biens. Ils ont acheté le pardon du ciel et les caresses envoutantes des femmes de petite vertu. Un vieux proverbe persan affirme que l’or est la monnaie des rois, l’argent celle des marchands et la dette est la monnaie des pauvres ! Et le paradoxe de l’or, surtout, est d’être extrait dans les entrailles de la terra pour y retourner sous forme de lingot dans les coffres des banques centrales et dans les caveaux de Paradeplatz et de Banhofstrasse à Zurich !

La découverte de gisements est-elle une bénédiction ou une malédiction ?

Dans les premiers instants, la découverte de gisements représente la manne qui tombe du ciel et participe au développement du pays ou, tout seulement, en retarde la décadence, comme dans le cas du Portugal avec la découverte de l’or brésilien. Mais, ensuite, très souvent, ces découvertes se transforment en un cas classique de « malédiction des matières premières ». Il s’agit d’une condition qui tue à feu doux le futur d’un pays dont les dirigeants s’habituent à la dépense facile. Quand les ressources viennent à manquer, la chute est fracassante, comme dans le cas des pays pétroliers (2015-2016). Le cas le plus dramatique est illustré par l’Espagne qui a découvert l’argent américain au cours du XVIème siècle. Grands d’Espagne et hidalgos n’investissent plus dans des projets productifs et créateurs, mais placent leurs richesses dans les « juros », les bons du trésor que le roi s’engage devant Dieu à rembourser. En 90 ans, le trésor espagnol déclare six banqueroutes et le pays, ne produisant presque plus rien, doit importer beaucoup de biens. Il entre alors dans une décadence dorée mais inexorable.

L’or a-t-il favorisé toutes les folies humaines ?

L’or et l’argent ont financé beaucoup de folies des rois, des princes, des religieux… Les deux métaux ont contribué à la splendeur de Babylone (mines d’argent de la Mésopotamie), des Pyramides et des grands temples égyptiens (mines d’or nubiennes), du Parthénon (argent du Laurion), du Colisée (butin rapporté de Jérusalem par Vespasien), d’une partie de la muraille chinoise et du grand canal Beijing-Hangzhou (or et argent du Yunnan), des merveilles de Byzance (Sainte Sophie aurait couté 5 tonnes d’or et 11 tonnes d’argent), de l’essor de Bagdad de l’an mille (encore les mines iraniennes et afghanes de Benjahir). Et il ne faut pas oublier les cathédrales médiévales et les églises de l’Europe de la renaissance et de l’époque baroque (le fameux Gottes Geld), de la cité interdite de Beijing, du Taj Mahal (coût de 32 millions de roupies), des palais et des résidences des princes et des rois en Europe et dans le reste du monde.

Mais l’or et l’argent ont aussi financé les guerres. On peut citer l’expansionnisme égyptien des XVIIIème et XIXème dynasties (encore l’or nubien), les guerres d’Athènes (mines du Laurion) et du Péloponnèse partiellement financées par l’or et l’argent de l’Empire persan. Après avoir pillé le fabuleux trésor de Darius (190.000 talents de métaux précieux), Alexandre se lance à la conquête de l’Inde (et des mines d’or de Karnataka qui financent – plus tard – les Gupta et l’Empire Vijayanagara), les califats exploitent les mines espagnoles et les mines afghanes pour financer leur expansion. Les croisades et, ensuite, la guerre de Cent Ans sont financées par les mines d’argent du Devon et de l’Allemagne et par les banquiers italiens … Mais les rois (anglais et français) « oublient » de rembourser leurs dettes et le système bancaire des Lombards s’effondre vers 1340 ! La découverte de l’argent mexicain et péruvien finance les guerres de l’Empire espagnol, dirigées par deux « impresarios de la guerre », Charles V et son fils Philippe II. Les découvertes de l’or et de l’argent dans l’Empire russe arment les troupes des czars comme la découverte de l’or californien qui aide d’une façon importante la lutte des Nordistes contre les Sudistes. Les deux guerres des Boers sont aussi financées par l’or découvert en Afrique du Sud. Le Japon vend beaucoup d’or à la Réserve fédérale américaine entre mi-1937 et les mois précédant Pearl Harbour et Hitler peut prolonger la guerre grâce à l’or qu’il pille dans les pays conquis. Les SS organisent même les Devisenschutzkommandos, unités spéciales composées par des hommes travaillant dans le monde bancaire, capables de lire la comptabilité et de dénicher des métaux précieux à l’intérieur de la banque et chez les particuliers…

Le sommet du Format « 16+1 » à Riga : vers une institutionnalisation renforcée et une plus grande diversification de la coopération entre la Chine et les seize pays d’Europe centrale et orientale

Fri, 24/02/2017 - 15:44

Les 4 et 5 novembre 2016, le cinquième sommet du Format « 16 + 1 » [1] a réuni à Riga les dirigeants de 16 pays d’Europe centrale et orientale et de la Chine [2]. Consacré essentiellement à la connectivité et à la dimension maritime du Format, il a été l’occasion de renforcer cette coopération d’un point de vue institutionnel, notamment par la mise en place d’un Secrétariat pour les affaires maritimes en Pologne. La « Déclaration de Riga » ainsi que les « Directives de Riga », feuille de route pour l’année 2017, attestent d’une diversification de plus en plus importante dans les domaines de la coopération et l’élaboration de projets communs.

La coopération dans le cadre du Format « 16+1 » avait débuté en 2012, lors de la visite du premier ministre chinois Wen Jiabao à Varsovie, où il avait rencontré les premiers ministres de 16 pays d’Europe centrale. Les sommets suivants ont eu lieu à Belgrade, Bucarest et Suzhou et ont ainsi été l’occasion de développer ce projet. L’objectif principal du Format est de resserrer les relations des « seize » avec la Chine, ainsi que de rechercher des moyens permettant le développement des investissements et l’augmentation des échanges commerciaux entre les partenaires. Pour cela, il est nécessaire d’intensifier la construction des infrastructures terrestres, ferroviaires et maritimes. Toutes les parties sont intéressées par ces projets permettant une plus grande connectivité, y compris la Chine, qui, à travers des investissements en infrastructures, a pour objectif de promouvoir et réaliser son projet de « Nouvelle Route de la Soie ». De plus, les rencontres au sein de ce Format doivent également contribuer à trouver un consensus politique concernant la coopération dans d’autres domaines tels que l’économie, l’industrie, l’agriculture, la culture, la science et le tourisme. Le sommet de Riga a confirmé cette tendance.

En marge du sommet, de nombreuses rencontres bilatérales ont été organisées. Le premier ministre chinois Li Keqiang s’est notamment entretenu avec tous les premiers ministres d’Europe centrale et orientale présents. Des réunions bilatérales entre les dirigeants de la région ont également eu lieu. Le Forum économique du Format (International Forum of China and CEEC Countries) s’est aussi déroulé en même temps que le sommet. A cette occasion, le principe « win-win », déjà mis en avant lors des sommets précédents, a été évoqué à plusieurs reprises par les participants européens et chinois comme étant le principe de base de la coopération dans le cadre du Format « 16+1 » [3].

Un fait nouveau est toutefois à souligner : lors de ce forum économique, la participation éventuelle de la Russie à la coopération entre la Chine et les 16 pays d’Europe Centrale a été évoquée. En effet, étant donné que la nouvelle route de la soie passerait par la Russie, une formule de coopération à « 17+1 » ou à « 16+1+1 » a donc été débattue. [4]. Par ailleurs, le mot clé du Forum, « internet of things », souligne l’importance de la technologie dans le commerce, les énergies renouvelables et la communication. À l’occasion du sommet, les dirigeants du Format ont ainsi participé à l’inauguration de la liaison ferroviaire pour le transport des marchandises entre Yiwu (Chine) et Riga.

A l’issue de ce 5ème sommet, les participants ont, pour la première fois, adopté la déclaration commune du sommet, appelée « Déclaration de Riga » [5]. Cette déclaration met l’accent sur la coopération entre les ports de la Baltique, de l’Adriatique et de la Mer Noire, conséquence directe d’une initiative proposée par Li Keqiang lors du 4ème sommet du Format en novembre 2015. L’objectif de cette coopération est de développer des plateformes qui intègrent les ports et les zones industrielles côtières de la Baltique, de l’Adriatique et de la Mer Noire, ainsi que des voies de navigation fluviale. Le texte souligne que cette coopération devrait également contribuer à resserrer les liens entre la Chine et l’Union européenne en facilitant la croissance économique de chaque pays et de l’ensemble de la région.

A plus long terme, la coopération des ports devrait conduire à une synergie avec le projet de la Nouvelle Route de la Soie, du Réseau Transeuropéen de Transport de l’Union européenne et les stratégies de développement des pays de l’Europe centrale et orientale. Dans cette même Déclaration, les pays européens confirment que cette coopération doit être réalisée en conformité avec les engagements résultant de l’appartenance à l’Union européenne (U.E). La coopération avec les ports de la Baltique, de l’Adriatique et de la Mer Noire est par ailleurs ouverte à d’autres Etats européens. La Déclaration souligne également la perspective d’une synergie entre la coopération Chine – Europe centrale et orientale dans le Format « 16+1 » et la coopération Chine – Union européenne dans le cadre de « EU- China Connectivity Platform » initiée en septembre 2015 par la Commission européenne.

Comme lors des sommets précédents, les dirigeants de 17 pays du Format ont adopté une feuille de route pour l’année suivante (les « Directives de Riga ») sur le thème de « Connectivité, Innovation, Inclusion et Développement Commun » [6]. Ce document beaucoup plus riche que les précédents détaille le programme de coopération pour l’année 2017. Ces « Directives » reviennent sur la coopération maritime entre les territoires maritimes de la Chine et de l’Europe centrale et orientale dans la zone située entre la Baltique, l’Adriatique et la Mer Noire. Une décision importante figurant dans les « Directives » concerne l’ouverture en Pologne en 2017 d’un Secrétariat pour les affaires maritimes. Cette institution devrait stimuler l’activité des industries maritimes et coordonner la coopération dans le domaine maritime entre les seize pays d’Europe centrale et la Chine. Il s’agit de promouvoir la coopération entre les principaux ports, de soutenir la construction de pôles de compétitivité sur les territoires maritimes et de renforcer la coopération dans le domaine du développement des infrastructures ferroviaires, terrestres et fluviales, y compris les plateformes logistiques.

Les participants ont également encouragé les négociations en cours entre l’U.E. et la Chine sur un accord d’investissement, qui devrait contribuer à créer un environnement plus favorable aux investissements et à faciliter l’accès aux marchés pour les entreprises.

Les « Directives » soulignent le rôle important des petites et moyennes entreprises (PME) pour le développement du commerce et de l’investissement. La coopération entre les PME chinoises et celles des pays d’Europe centrale et orientale devraient être ainsi facilitée. Les PME du Format participeront notamment au Salon international des PME – Chine 2017 et la possibilité de créer une Association « 16+1 » des PME a même été évoquée. Le e-commerce poursuivra son développement, y compris pour les importations et les exportations de produits de haute qualité.

Concernant la connectivité, les participants indiquent qu’ils poursuivront leurs efforts pour développer les synergies entre l’initiative chinoise de la « Nouvelle Route de la Soie » et les initiatives de l’U.E., tels que les réseaux transeuropéens (RTE-T). De même, on annonce le renforcement de la coopération pour le développement de corridors de transport intégrés entre l’Asie et l’Europe. Les participants ont également confirmé leur appui pour le développement de routes de transport entre l’Europe et Asie, y compris l’intensification du développement du trafic ferroviaire international de conteneurs entre l’Europe et la Chine.

L’ouverture du Secrétariat du Format sur la coopération logistique à Riga en Lettonie, ainsi que la création du site d’information www.ceec-china-logistics.org doit permettre de mieux coordonner et faciliter la coopération logistique.

Les Directives soulignent aussi l’importance d’approfondir la coopération dans le domaine du transport aérien régulier entre la Chine et les pays de l’Europe centrale et orientale, notamment par le lancement de vols directs entre Shanghai, Chengdu et Prague ainsi qu’entre Pékin et Varsovie. Les compagnies aériennes des pays du Format sont quant à elles invitées à ouvrir de nouvelles liaisons entre l’Europe centrale et orientale et la Chine.

Les Directives insistent également sur le renforcement de la coopération entre les ports de la Baltique, de l’Adriatique et de la Mer Noire. La création du Secrétariat pour les affaires maritimes en Pologne a pour objectif de promouvoir cette coopération et d’encourager le développement des infrastructures dans le secteur des chemins de fer, des routes, des voies navigables et des plateformes logistiques.

Dans le domaine de l’énergie, un Centre Chine-Europe centrale et orientale pour le dialogue et la coopération en matière de projets énergétiques sera mis en place très prochainement en Roumanie. Les participants ont par ailleurs appuyé le développement du Centre de Transfert de Technologie Chine – Europe centrale et orientale, installé à Bratislava en Slovaquie.

Les « Directives » annoncent également la poursuite de la coopération financière. Les participants encouragent particulièrement les banques chinoises à développer leurs activités dans les pays d’Europe centrale et orientale et vice et versa. Les institutions financières chinoises sont encouragées, notamment le Fonds pour la Route de la Soie, à accroitre les investissements dans les « seize » et à soutenir financièrement la coopération entre la Chine et les « seize ». Quant à la deuxième phase du Fonds de Coopération et d’Investissement Chine-Europe centrale et orientale, elle sera mise en route en 2017.

Les « 16+1 » entendent aussi approfondir leur coopération dans le domaine agricole et forestier. Les dirigeants ont pris des décisions concernant l’organisation et la participation aux foires de produits agricoles et viticoles, notamment avec l’organisation de la Foire Internationale des produits agricoles et viticoles du Format à Mostar en Bosnie-Herzégovine en avril 2017 et la participation des « seize » à la 15ème Foire Internationale Agricole de Chine. Concernant la coopération forestière, les « Directives » soulignent le travail accompli par la Slovénie dans l’établissement d’un mécanisme de coordination pour la coopération forestière du Format « 16+1 », avec la mise en place du plan d’action pour la coopération forestière et de la gestion durable de la forêt. L’approfondissement de la coopération dans les domaines liés à l’eau a également été annoncé.

Les « Directives de Riga » accordent aussi beaucoup de place aux contacts entre les peuples (interhumains), ainsi qu’à la promotion des savoirs et de la culture. Ainsi, 2017 sera l’année de la coopération entre les médias, par le biais d’un renforcement des échanges et des possibilités de coproduction. Plusieurs manifestations culturelles dans le cadre « 16+1 » auront lieu en 2017, avec entre autres la tenue en Chine du 3ème Forum de coopération culturelle du Format, de la Saison culturelle Chine-Europe centrale et orientale, ainsi que du 2ème Forum des industries culturelles et créatives. Le Forum sur le patrimoine culturel aura lieu quant à lui en Serbie en 2017.

Le texte souligne également l’importance du tourisme dans la coopération entre les « seize » et la Chine, avec l’organisation de la 4ème Conférence du Format sur la coopération dans le domaine de tourisme se tiendra à Sarajevo. Les « Directives » encouragent la réalisation de projets communs sur la traduction et la publication d’œuvres littéraires des pays participants au Format. Le 2ème Forum de la Littérature Chine-Europe centrale et orientale aura également lieu en 2017. En République de Macédoine, la mise en place d’un centre de coordination de la coopération culturelle du Format est à l’étude.

Dans le domaine de l’industrie de la santé, les « Directives » encouragent les pays du Format à renforcer leur coopération avec l’organisation du 3ème sommet des ministres de santé en Hongrie en 2017.

Concernant le commerce, la Chine a également pris l’engagement de lever les barrières à l’importation et en particulier celles concernant les produits agricoles en provenance de Pologne, tels que la viande de bœuf, de porc et les pommes (le commerce de ces produits rencontrait certaines difficultés avec l’embargo russe). La Pologne attache une grande importance à la levée des barrières administratives qui limitent les exportations des marchandises vers la Chine et œuvre pour une ouverture plus grande du marché chinois, en vue de diminuer le déficit de la balance commerciale polonaise.

La coopération au niveau local sera poursuivie, notamment à travers les échanges et la coopération entre les grandes villes des pays du Format et les jumelages entre les provinces, les régions et les municipalités. Le 4ème Sommet des représentants locaux du Format sera organisé en Bulgarie en 2018.

L’organisation du sixième sommet du Format a été confiée à la Hongrie et plusieurs autres évènements sont annoncés dans les « Directives » pour l’année 2017. L’Exposition Chine-Europe centrale et orientale sur l’investissement et le commerce se tiendra en juin 2017 à Ningbo, tandis que la République tchèque accueillera le China Investment Forum. La première édition du Forum de l’Energie du Format « 16+1 » se tiendra à Bucarest en 2017 et la deuxième Conférence Chine-Europe centrale et orientale sur la coopération en matière d’innovation se tiendra également cette année-là.

Les participants au sommet de Riga ont aussi annoncé la mise en place du « Fond d’Investissement Europe centrale et orientale-Chine » [7], dont les négociations sont en cours. Il s’agira d’un fonds de 10 milliards d’euros destiné aux investissements chinois pour les infrastructures, les hautes technologie et l’industrie de consommation dans les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’U.E. L’Industrial and Commercial Bank of China représentera le principal investisseur du Fond. En présentant cette initiative à Riga, le premier ministre chinois Li Keqiang a souligné qu’il était nécessaire d’élargir les domaines de coopération entre les partenaires. Le budget du Fonds pourrait être augmenté jusqu’à 50 milliards d’euros.

Le 5ème Sommet du Format « 16 + 1 » démontre la consolidation et l’amplification de cette forme de coopération entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale avec de plus en plus de domaines concernés. De nouveaux mécanismes de coopération seront mis en place au sein des « seize », notamment dans les pays qui jusqu’à présent n’en hébergeaient pas. Il s’agit essentiellement de la Roumanie, qui assumera pour le Format la gestion des projets énergétiques. Les questions technologiques ont été confiées à la Slovaquie, la coopération culturelle à la Macédoine et la coopération forestière à la Slovénie. La création des Secrétariats de coopération logistique à Riga et des Affaires maritimes en Pologne va dans le sens d’une consolidation. En même temps cela pourrait permettre, à plus long terme, de spécialiser chaque pays du Format dans un domaine spécifique [8].

De son côté, la Chine cherche à institutionnaliser le Format, notamment en créant au sein de son Ministère des Affaires étrangères un Secrétariat en charge des questions du Format. La Chine propose aussi des nouveaux instruments de financement avec la création de l’association des banques du Format en plus des fonds d’investissement. L’objectif final pour la Chine est la réalisation de la « Nouvelle Route de la Soie ». L’Europe centrale et orientale est directement concernée par ce projet car sa trajectoire traverse la région. Dans le cadre du Format «16+1 » seront réalisés les projets de la « Nouvelle Route de la Soie ». Les pays d’Europe centrale peuvent être, grâce à leur situation géographique, des participants stratégiques à ce projet. Les Secrétariats permanents situés à Riga et Belgrade coordonnent la coopération dans la logistique, le transport et les infrastructures. Au mois de juin 2016 a eu lieu l’ouverture du centre logistique à Chengdou, qui dessert la liaison ferroviaire express de transport de marchandises sur la ligne Chengdu-Lodz (Chine-Pologne). C’est également en Pologne que serait construit le centre européen de transbordement de la Nouvelle Route de la Soie, probablement à Malaszewice (à la frontière avec la Biélorussie) [9].

Le sommet de Riga était également l’occasion de convaincre la Chine de participer à la réalisation de projets d’infrastructures en Europe centrale, notamment avec la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (AIIB) dont la Pologne est membre fondateur. Par exemple la Chine pourrait s’engager dans le projet de la Via Carpatia – ensemble d’autoroutes et de lignes ferroviaires reliant la Baltique à la Mer Noire [10].

Pour l’instant, le bénéfice politique du Format prévaut les avancées économiques. Pour la Chine, la coopération avec les « seize » contribue à renforcer sa position sur la scène internationale. Pour les pays d’Europe centrale et orientale, le Format est une bonne base pour développer les relations bilatérales avec la Chine. La capacité d’élaborer une forme propre de coopération avec une puissance comme la Chine contribue à renforcer la position des pays d’Europe centrale et orientale au sein de l’UE. Cependant, du point de vue économique les « seize » attendent plus et plus vite. Lors du Forum économique qui accompagnait le Sommet de Riga, les entrepreneurs d’Europe centrale ont souligné que l’intensification des contacts politiques n’avait pas encore eu de conséquences au niveau économique : augmentation des investissements chinois en Europe centrale, plus grande ouverture du marché chinois etc. Pour l’instant, du point de vue des « seize » les investissements chinois restent insuffisants et ils enregistrent encore des déficits trop importants dans leurs échanges bilatéraux avec la Chine. Toutefois, des progrès sont en cours : le Format « 16+1 » s’étoffe et s’installe dans le paysage politique de l’Europe centrale et orientale. Mais pour renforcer cette coopération et élaborer une stratégie de long terme vis-à-vis de la Chine, il faudra encore du temps.

 

[1] Le Format « 16+1 » est composé de la Chine et de 16 pays d’Europe centrale et orientale : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie et Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine. Voir : Dorota Richard – Note de l’Observatoire ASIA CENTRE « La nouvelle coopération entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale » :

http://www.centreasia.eu/publication/la-nouvelle-coop%C3%A9ration-entre-la-chine-et-les-pays-d%E2%80%99europe-centrale-et-orientale.

[2] Le sommet de Riga a réuni le premier ministre chinois Li Keqiang et 15 premiers ministres des pays d’Europe centrale et orientale. Seule la Bulgarie était représentée par son ministre des Affaires étrangères. Y participaient également le représentant de l’U.E. (en tant qu’observateur permanent), ceux de l’Autriche, de la Suisse, de la Grèce, de la BERD ainsi que le premier ministre de la Biélorussie.

[3] Voir le discours de Li Keqiang prononcé lors du sixième Forum économique Chine-Pays d’Europe centrale et orientale (International Forum of China and CEEC Countries) :

http://english.gov.cn/premier/speeches/2016/11/08/content_281475486159412.htm.

[4] http://www.polska-azja.pl/a-zwolinski-wnioski-po-tegorocznym-szczycie-161-w-rydze/

13 listopada 2016 11:54 / przez News.

[5] « Déclaration de Riga » : http://www.mfa.gov.lv/en/news/latest-news/55300-the-meeting-of-heads-of-government-of-central-and-eastern-european-countries-and-china-riga-declaration.

[6] « Directives de Riga » : http://www.mfa.gov.lv/en/news/latest-news/55299-the-riga-guidelines-for-cooperationbetween-china-and-central-and-eastern-european-countries.

[7] http://www.rp.pl/Finanse/161109140-Chinska-ekspansja-w-Europie-Srodkowo- Wschodniej.html#ap-1.

[8] Justyna Szczudlik « Perspektywy formatu Chiny-Europa Srodkowo-Wschodnia (16+1) : http://www.pism.pl/publikacje/biuletyn/nr-78-1428.

Retrait de la Hongrie dans la course aux JO 2024 : vers une frilosité croissante des villes pour accueillir les Jeux ?

Fri, 24/02/2017 - 12:15

Mercredi 23 février 2017, Budapest a retiré sa candidature pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024, laissant ainsi Los Angeles et Paris seules en lice à sept mois de la désignation de la ville lauréate. Depuis des mois, la capitale hongroise faisait face à une société très réticente à cette candidature. Comment expliquez-vous un tel décalage entre le gouvernement hongrois et sa population ?

Alors que le projet était porté par le maire de Budapest, István Tarlós, mais également par le Premier ministre Viktor Orbán qui s’était beaucoup investi dans la course à l’obtention des Jeux, la population était quant à elle plus réticente. De nombreuses voix se faisaient entendre pour dénoncer le coût trop important (2,4 milliards d’euros), la très probable inflation de ce dernier, ainsi que les risques de corruption. Comme lors des manifestations géantes au Brésil en 2014, nombre de Hongrois préféraient voir ces sommes investies dans le domaine de la santé ou de l’éducation.
Ce qui est frappant dans cette candidature avortée, c’est la rapidité avec laquelle ces évènements se sont déroulés. En décembre 2016, le groupe « Momentum » a lancé l’idée d’une initiative populaire, permettant d’aboutir in fine à un référendum. Mise en place dès le 19 janvier, l’initiative a recueilli 70 000 voix au bout de seulement 10 jours. En Hongrie, pour qu’une initiative populaire soit prise en compte, elle doit atteindre le seuil de 138 000 voix, ce fût donc un succès rapide. Au 22 février, 266 000 signatures avaient été recueillies. Afin d’éviter de se voir désavouer par un référendum négatif à quelques mois d’élections législatives capitales, le Premier ministre et la municipalité ont préféré mettre un terme à la candidature hongroise.
Cet abandon porte donc à quatre le nombre de villes ayant renoncé pour cette édition : Boston (juillet 2015), Hambourg (novembre 2015), Rome (octobre 2016) et donc Budapest en février 2017. En dépit des arguments avancés par le comité de Budapest (accueil des Jeux par une ville de taille modeste, premier accueil pour la Hongrie), le contexte de méfiance à l’égard de l’évènement olympique et paralympique l’a finalement emporté.

Le retrait de la Hongrie représente-t-il une bonne nouvelle pour la candidature de Paris ?

La logique serait de dire oui, ne serait que d’un point de vue purement mathématique : d’une chance sur trois, nous passons à une chance sur deux. Sachant aussi que Budapest est une ville européenne, on pourrait penser que les membres européens du Comité international olympique (CIO) se concentreront sur la candidature de Paris. Pourtant, et nombre d’exemples par le passé l’ont démontré, la course pour l’obtention à l’accueil des Jeux olympiques peut être pleine de surprises. D’une part, même si Budapest présentait un projet sérieux, la compétition finale semblait se concentrer autour de Los Angeles et Paris. D’autre part, il s’agit d’une compétition où le dossier des Jeux est au cœur du vote. Or, les trois villes ont présenté des candidatures très différentes, mettant chacune en avant leurs atouts. Il est surtout intéressant de constater que ces défections ont tendance à se répéter au cours des dernières années pour le CIO. La dernière attribution en date concernait les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2022. Après l’abandon de Stockholm, Cracovie, Lviv et Oslo, seules Pékin et Almaty s’étaient présentées. Dans le cas des Jeux d’été, un tel scénario remonte à 1981 avec la compétition entre Séoul et Nagoya, qui s’était soldée par la désignation de la capitale sud-coréenne pour accueillir les JO 1988. Au final, le choix se porte véritablement sur le dossier mais il ne faut pas oublier que la désignation du CIO intervient aussi sur un aspect davantage personnel : il s’agit de parvenir à convaincre les membres du CIO de l’intérêt pour leur fédération, pour leur discipline et pour leur pays d’attribuer les Jeux à telle ou telle autre ville.

Face au déclin du nombre de candidatures, Thomas Bach, président du CIO, a émis l’hypothèse, très débattue, d’une double attribution des JO 2024 et 2028. Que pensez-vous d’une telle idée ? Le retrait de Budapest appelle-t-il à une remise en question du CIO concernant l’organisation de plus en plus lourde des JO pour les villes candidates ?

Il est intéressant de mettre cela en perspective. Au lendemain des Jeux de Sotchi de 2014, mémorable pour le dépassement du budget d’organisation et par le faste affiché, le CIO avait publié l’agenda 2020, ayant pour objectif d’afficher des coûts plus raisonnés et d’accorder davantage d’importance à l’héritage des infrastructures dans les dossiers de candidature. Le CIO s’était alors posé la question soit de partager l’accueil d’une olympiade sur deux villes et deux pays, soit d’envisager d’autres possibilités. Ces derniers mois, Thomas Bach a émis l’hypothèse de faire une attribution des JO de 2024 et de 2028. Cela permettrait au CIO de s’assurer du bon déroulement de ces deux olympiades, compte tenu de la difficulté actuelle pour trouver des villes candidates (mécontentement populaire, cahier des charges de plus en plus lourd à assumer…). Cette hypothèse n’avait été au départ émise que du bout des lèvres et ce n’est que très récemment qu’elle a été de nouveau évoquée. Pour l’instant, elle n’a pas du tout été accueillie positivement par Los Angeles et Paris, dont les comités restent fermement convaincus de l’importance de leur candidature pour 2024 et non pour 2028. Elle mécontente de surcroît certains pays qui pensaient candidater pour 2028. Cette proposition, qui reprend celle adoptée par la FIFA lors des attributions simultanées de la Coupe du monde 2018 et 2022, indique que le CIO a pris conscience du problème et tente de proposer des solutions. Toutefois, et bien qu’elle arrange le CIO qui pourrait ainsi remplir son « carnet de commandes » jusqu’à 2028, il ne peut s’agir d’une solution pérenne, puisque cela ne ferait que repousser le problème aux prochaines candidatures. Face à cette question, l’hypothèse de nouvelles procédures de désignation moins lourdes est à l’étude. Il s’agira donc pour le CIO d’apporter des modifications substantielles, au risque que les prochaines olympiades soient le chant du cygne du mouvement olympique.

« La cuisine olympique » – 3 questions à Armand de Rendinger

Fri, 24/02/2017 - 11:01

Consultant international dans le domaine du sport, Armand de Rendinger a travaillé durant plus de trente ans au sein du cabinet de conseil Andersen Consulting. Observateur permanent de l’évolution du mouvement olympique, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « La cuisine olympique : quand la France se pique aux jeux », aux éditions Temporis.

Le tandem Lapasset/Estanguet est-il le bon choix pour porter la candidature de Paris 2024 ?

Considérant que les précédentes candidatures parisiennes à l’organisation des J.O. n’avaient pas suffisamment mis en avant le monde du sport, le projet Paris 2024 a opté en 2015 pour la mise en place d’une gouvernance coprésidée par le champion olympique Tony Estanguet et l’ancien président de l’IRB (International Rugby Board), Bernard Lapasset. Ce choix stratégique est pertinent. Il rappelle des souvenirs heureux, notamment le succès d’Albertville pour les Jeux d’hiver de 1992, dont la candidature fut incarnée par Jean-Claude Killy et le président du Conseil général de Savoie, Michel Barnier.

Cependant, la comparaison s’arrête là. Le contexte olympique d’aujourd’hui n’est plus le même qu’à l’époque où le Comité international olympique (CIO) était présidé par Juan-Antonio Samaranch et s’apprêtait à vivre une mutation économique et politique sans précédent. Aujourd’hui le sport, avec d’autres valeurs plus matérielles, est devenu le prétexte obligé du CIO et chaque candidature aux J.O.se dote de leaders sportifs. Dans le cadre de la compétition pour 2024, Paris et Los Angeles ne dérogent pas à la règle de « tout pour le sport », lien indispensable et mantra suprême de l’Olympisme.

Aussi la question qui se pose n’est pas de savoir si le choix du tandem français est pertinent, mais si les hommes sont bien choisis au regard des décideurs du CIO et en comparaison avec les leaders sportifs du projet de Los Angeles. Pour ma part, j’écrivais déjà en 2006, dans mon livre « Jeux Perdus, Paris 2012, Pari Gâché », que Tony Estanguet serait, dans un avenir proche, un excellent candidat pour prendre la tête d’un nouveau projet olympique français, alors que nombre de ses pairs, plus anciens et plus prestigieux à l’époque, n’avaient pas pu, su ou voulu incarner une candidature française aux J.O. Il est cependant difficile de passer après Jean-Claude Killy et l’aura qu’il avait su susciter, notamment au sein du milieu olympique.

Dans la mesure où il le souhaitait véritablement et compte tenu de son palmarès unique en médailles d’or olympique, Estanguet a la crédibilité et la légitimité pour porter le projet Paris 2024. Son implication dans le projet en est une illustration parfaite. Sans ignorer les qualités et la contribution de Bernard Lapasset, le tandem qu’il est censé créer avec lui n’est que circonstanciel et répond au besoin français de créer une unité politique. Sur ce point, l’affichage est réussi.

Mais c’est la scène internationale qui sera primordiale dans la décision. Or, à sept mois de la décision de Lima, voilà ce que l’on peut entendre de la part de certains décideurs olympiques.

  • La mise en avant du sport est reconnue pareillement au sein des deux candidatures.
  • Paradoxalement, c’est davantage la forme – degré et motivation – d’implication des deux maires (Hidalgo et Garcetti) qui est relevée que la notion de tandem (ou toute autre forme de gouvernance).
  • Les différences de positionnement et d’influence des deux Comités nationaux olympiques (CNOSF et USOC) dans les gouvernances de chacune des candidatures ne sont pas surprenantes et ne posent pas de problèmes particuliers à ce stade.
  • L’historique olympique, le savoir-faire, les ambitions, les engagements personnels et surtout le comportement des quatre figures sportives à la tête de chacune des candidatures vis-à-vis des membres du CIO (Tony Estanguet et Teddy Riner pour Paris, Angela Ruggiero et Janet Evans pour Los Angeles) sont les cinq critères principaux de jugement de ces derniers. Il est à noter qu’ils ont tout le loisir de juger Ruggiero et Estanguet, respectivement Présidente et Vice-président de la Commission des athlètes du CIO, à l’aune de ce qu’ils pensent de l’utilité de cette dernière et surtout de la manière dont ils affichent leurs convictions en matière de gouvernance du CIO, de dopage, de finalités des J.O. et d’engagements politiques.
  • Dans ce contexte, l’institution du CIO n’échappe pas aux oppositions classiques existant entre les membres élus (les athlètes) à qui on demande de s’engager, tout en restant discret, et les membres cooptés qui représentent la tradition et la pérennité du comité.
  • Enfin, l’importance de la discipline sportive d’origine d’Estanguet, de Riner, de Ruggiero ou d’Evans a peu d’importance dans le jugement que peuvent porter les membres du CIO sur les qualités de ces champions sportifs.

En conclusion, Estanguet représente effectivement un bon choix pour Paris 2024. Mais ne nous méprenons pas : tout ne se jouera pas sur sa personnalité et son approche, bien différentes de celles de Ruggiero, dans la mesure où l’essentiel de la décision réside ailleurs.

Pourquoi estimez-vous que certains de nos débats de politique intérieure puissent jeter une ombre sur cette candidature ?

La France a une double réputation dans le monde de l’Olympisme :

  • Elle est à la fois reconnue et appréciée pour sa Déclaration universelle des droits de l’homme mais suscite aussi « l’agacement », par ses leçons de démocratie aux autres Nations, que celles-ci partagent ou non ses valeurs démocratiques.
  • Elle est reconnue pour cultiver avec « plaisir » le culte de l’alternance politique, tout en sachant assurer une certaine pérennité quant à ses engagements, au travers de la stabilité de son administration.

Aussi, aujourd’hui, ce n’est pas le changement politique éventuel que craint le CIO en mai prochain, mais l’image que donne à l’étranger le débat démocratique français, notamment à travers l’instrumentalisation des J.O. à des seules fins politiques : utilisation des évènements tragiques (attentats terroristes) pour justifier la nécessité d’obtenir les J.O. ; débats relatifs au port du voile, au type de repas à servir dans les cantines scolaires ou au burkini ; déchirement autour de la « crise identitaire », la nécessité de décréter ou non l’état d’urgence, les zones de non-droit dans les banlieues, les partis extrémistes…Sans s’immiscer dans notre politique interne, des décideurs du CIO, bien intentionnés ou non, reconnaissent ne pas se retrouver dans cette France, au regard de laquelle ils sont particulièrement exigeants.

Ce sont ces formes de débats, jugés souvent « surréalistes », qui pourraient jeter une ombre sur le projet Paris 2024 et non l’instabilité politique française. Au-delà des conflits sociaux et de la réputation d’être un pays où les grèves se multiplient, c’est en priorité les questions de sécurité (territoriale, politique, économique et sociale) qui préoccupent le CIO. En la matière, Paris et la France seront appréciées avant tout sur la nature et la portée des mesures qui sont prises, et non sur de simples déclarations d’intention, en espérant que les débats cités ci-dessus n’altéreront pas le contenu et n’obéreront pas l’image de ces mesures.

À l’inverse, l’élection de Donald Trump favorise-t-elle la candidature de Paris 2024 ?

Il va de soi que l’élection de Trump est un évènement qui ne peut pas laisser insensibles de nombreux responsables olympiques. Mais, plus encore, ce sont ses déclarations discriminatoires vis-à-vis de certaines populations qui sont jugées contraires au principe d’universalité contenu dans la Charte olympique. Cette situation touche effectivement l’image des États-Unis, en Olympisme comme ailleurs, et pourrait être favorable à la candidature parisienne. Il est mieux pour Paris 2024 que cela se produise aux États-Unis plutôt qu’en France.

La question est donc de savoir si cette nouvelle donne a une telle importance qu’elle peut influencer le vote des membres du CIO, au point qu’elle « plombe » d’une manière définitive et inéluctable la candidature de Los Angeles. Partageant l’avis de nombre de membres du CIO, je n’en suis pas certain. Toutefois, si le vote entre les deux villes s’avérait serré, les quelques voix qui manqueraient à Los Angeles pourraient trouver leur origine au sein des décideurs hésitants (féminins ou issus de pays musulmans) qui souhaiteraient marquer leur indépendance politique par rapport à la docte habituelle du CIO : pas d’ingérence dans la vie politique locale et les États restent souverains.

Or nous ne sommes pas encore dans la situation du « vote serré », et nous continuons à vivre en Olympisme dans le paradoxe, pour ne pas dire l’hypocrisie, de prétendre que le CIO est apolitique, quand il ne fait que de la politique et ne cesse de se référer à la Charte olympique. Mais l’institution faîtière du mouvement olympique ne s’est pas prononcée sur les mesures annoncées par Trump, pourtant contraires à l’idéal olympique.

À l’instar du dopage ou de la corruption, le CIO, comme le jugeait sévèrement le journal L’Équipe, donne l’impression de « se laver les mains ». En effet, plutôt que de prendre ses vraies responsabilités, l’institution préfère déléguer – tout en les maintenant sous son contrôle – les sanctions à prendre vis-à-vis de certaines communautés aux Fédérations internationales sportives et aux Comités nationaux olympiques, s’abritant derrière le principe du « wait and see ».

Aussi, le CIO avait-il l’occasion de rappeler ouvertement les principes de la Charte olympique. Il ne l’a pas fait. Pourquoi ? Sans doute, attend-il de juger l’acceptabilité des mesures discriminatoires générales à l’égard d’une catégorie de personnes, et non individuelles, qui seraient concrètement prises par Trump. Le CIO, dans sa globalité, fera ce constat au regard de ce qui lui semble indispensable à mettre en place comme mesures drastiques et efficaces, au nom de la sécurité, contre les risques de terrorisme. Éternel débat – auquel le CIO n’échappe pas – entre respect des libertés individuelles à préserver et efficacité des mesures collectives à prendre en matière de sécurité. Dans le domaine sécuritaire, comme dans tous ceux qui touchent la politique des États, les déclarations et les prises de position de son président sont attendues et valent consensus.

Le CIO a besoin de s’entendre, pour des raisons essentiellement politiques et économiques, avec les puissants du monde olympique que sont en premier lieu les États-Unis, la Russie et la Chine. D’aucuns appelleront cela du cynisme, quand d’autres du pragmatisme. Dans un contexte mondial mouvementé, d’autant plus dans un moment où le nombre de villes intéressées pour organiser les J.O. se réduit comme une « peau de chagrin » (Hambourg, Rome et maintenant Budapest pour 2024), et où l’après J.O. de Rio se traduit par un déficit financier et d’image pour les J.O. particulièrement préjudiciable, il n’est pas certain que le CIO puisse se mettre à dos ces grandes puissances.

Nous sommes donc actuellement loin de la certitude que la situation politique française ou l’effet Trump aurait une conséquence rédhibitoire sur l’une des deux candidatures, d’autant plus que le CIO, flairant le danger, pourrait envisager, le cas échéant, d’attribuer l’organisation des J.O. de 2024 et de 2028 en septembre prochain aux deux villes restant en piste.

Aussi, je reste aujourd’hui convaincu que le CIO aspire à revenir, dans la tourmente actuelle, à plus de calme et à penser attribuer les J.O. à un pays qui ne lui poserait pas de problème, en matière d’image et surtout d’organisation. Le choix devrait se faire entre Paris et Los Angeles pour 2024 sur des critères essentiellement géopolitiques. Qui de l’Europe, avec la France et Paris, et des États-Unis, avec la Californie et Los Angeles, serait en mesure de rassurer la majorité et la présidence du CIO ? Les critères pris en compte, que j’ai nommés par commodité les « 4S », sont détaillés ci-dessous, par ordre croissant d’importance :

  • La Séduction, critère subjectif.
  • La Stabilité politique et sociale, critère objectif.
  • La Sécurité avant, pendant et après les J.O., critère politique.
  • La Supériorité du pays, de la ville et du Comité national olympique, critère économique.

Sur cette question et surtout sur la pondération entre ces critères, certains membres du CIO ont déjà répondu. Mais le débat est loin d’être figé et nous allons être témoins de toutes les interprétations possibles, bonnes ou erronées, et de multiples rebondissements, prévisibles ou surprenants, d’ici le 13 septembre 2017. À sept mois du vote d’attribution des J.O., des orientations significatives se dessinent, mais tout reste encore ouvert.

« Mémoire de paix pour temps de guerre » – 3 questions à Dominique de Villepin

Thu, 23/02/2017 - 15:27

Dominique de Villepin, diplomate, fut respectivement ministre des Affaires étrangères (2002-2004), ministre de l’Intérieur (2004-2005) et Premier ministre (2005-2007). Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Mémoire de paix pour temps de guerre », aux Éditions Grasset.

Alors que la plupart des dirigeants européens s’inquiètent des déclarations de Donald Trump sur l’obsolescence de l’OTAN, vous estimez au contraire que cette organisation est néfaste. Pourquoi ?

Il est vrai que je n’ai jamais caché ma désapprobation vis-à-vis de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN, et ce d’autant plus que nous n’en tirons guère d’avantages, que ce soit en termes d’influence ou d’opérabilité. J’estime que cette alliance encourage les postures guerrières de nos démocraties et la reconstitution d’une logique de blocs et d’un climat international hasardeux – car elle appelle de fait à la constitution de contre-alliances – pour contrer le retour de la Russie et l’émergence de la Chine. Nous prenons le risque d’un positionnement belliqueux et expansionniste, qui ne sert pas les intérêts de l’Europe.

Je crains surtout que l’OTAN, parce qu’elle est en partie guidée par des principes moraux et idéologiques, ne contribue à accroître la possibilité d’une escalade militaire, notamment aux frontières de l’Europe. Aujourd’hui, face aux craintes réciproques des anciens « satellites » soviétiques et de la Russie, nous avons plus que jamais besoin de créer du dialogue et des partenariats économiques et culturels, plutôt que d’assister de façon impuissante au risque de la militarisation des esprits en Europe de l’Est. Il faut être capables de désamorcer la potentialité d’une nouvelle confrontation dans la région, alors que la crise ukrainienne a considérablement marqué les esprits et tendu la relation entre la Russie et l’alliance.

Avec l’élection de Donald Trump et les doutes qu’a exprimé le nouveau président sur la pérennité de ce mécanisme de défense, l’occasion nous est donnée d’une part de relancer le débat pour un meilleur partage des responsabilités au sein de l’OTAN, et, d’autre part, de retrouver l’initiative d’une politique de défense commune, car les Européens devront quoi qu’il arrive pouvoir garder leur destin en main en assurant leur propre sécurité. Cela peut commencer par la mutualisation des armements, la création d’un État-major européen, la formation de forces européennes d’interposition en zone de conflit…

Pourquoi niez-vous le concept de « gaullo-mitterandisme » ?

Je trouve ce concept étrange. Cette volonté de vouloir concilier deux personnalités aussi distinctes et opposées que Charles de Gaulle et François Mitterrand me paraît quelque peu forcée. Elle semble vouloir réunir en un seul bloc les héritages laissés par deux figures majeures de la Vème République, que tout a opposé ou presque, dans une tentative d’alliance des inconciliables qui relève à mon sens de l’artifice. François Mitterrand se serait-il retrouvé dans une filiation avec la politique étrangère gaullienne ? Il est permis d’en douter.

Ils ont déployé chacun une vision personnelle de la France à deux époques bien différentes : celle de la reconquête d’un rang perdu sur la scène internationale d’un côté, et celle du maintien de ce rang, de l’autre, dans un contexte de complexification et d’éclatement de l’ordre mondial. En ce sens, la politique étrangère de François Mitterrand s’est révélée assez distincte de celle initiée par le général de Gaulle. Qu’on songe pour s’en convaincre au soutien français à la politique américaine lors de la course aux armements, qui eut lieu en Europe sous l’égide de l’OTAN, ou encore à la participation de la France à la guerre du Golfe de 1990-1991. Par bien des aspects, la politique étrangère menée entre 1981 et 1995 fut plus conservatrice que non-alignée. Surtout, la politique de François Mitterrand est déterminée par le choix majeur d’une Europe de plus en plus fédérale, de l’Acte Unique à Maastricht, perçue comme une protection du rang de la France face aux risques liés à la puissance économique allemande et à la réunification. Le général de Gaulle agissait au nom d’une vision de l’Europe totalement différente, essentiellement politique, fondée et centrée sur l’alliance franco-allemande depuis le Traité de l’Elysée.

En réalité, cette fusion du « gaullo-mitterandisme » traduit plutôt un désir de continuité de la Vème République, au-delà de l’alternance très marquée en 1981. Il s’est agi d’exprimer la pérennité des grands équilibres de la politique extérieure française, notamment sur le plan des principes – indépendance, dialogue, responsabilité multilatérale. Ce qui est intéressant, c’est le consensus qu’elle a réussi à créer autour de la Vème République, conçue comme un tout cohérent et équilibré. En un sens, elle prend l’aspect du mythe, et est une construction qui permet de réunir tous ceux qui se reconnaissent comme républicains derrière un même drapeau.

Ce qui relevait au départ d’une concorde symbolique est devenu après 2007 un effet de contraste avec une nouvelle doctrine, plus néoconservatrice, car les nouveaux clivages en politique étrangère traversent aussi bien les héritiers du gaullisme que du mitterrandisme.

Vous regrettez à de nombreuses reprises la prévalence en France de l’aspect militaire sur l’aspect politique, du ministère de la Défense sur le Quai d’Orsay. Pouvez-vous développer ?

Ces dernières années, la France a commis l’erreur de privilégier trop souvent l’outil militaire en lieu et place de l’outil politique qu’est la diplomatie. En Libye, au Mali, en Centrafrique puis en Irak, c’est d’abord le ministère de la Défense qui a pris l’ascendant sur le ministère des Affaires étrangères en imposant son efficacité, sa réactivité et son adaptabilité. La réponse militaire, du fait de l’entraînement et des capacités d’anticipation de nos armées, a l’avantage d’être disponible dans l’urgence et d’offrir une solution de choix pour le politique sommé de réagir face à une crise. Mais il ne suffit pas de gagner la guerre pour gagner la paix ; ces interventions militaires ne peuvent constituer qu’une réponse ponctuelle à un problème donné (l’avancée des groupes djihadistes sur Bamako ; celle de l’armée de Kadhafi sur Benghazi ; les massacres de Bangui) et ne sauraient pour autant remplacer la mise en place d’une stratégie politique digne de ce nom, ce que les militaires reconnaissent volontiers.

Le choix de l’intervention militaire sans stratégie politique de long-terme mise au service des populations, ne peut que panser momentanément une plaie qui ne manquera pas de se rouvrir, comme ce fut le cas dans les pays mentionnés plus haut. Notre diplomatie ne joue plus son rôle et commet des erreurs d’appréciation dramatiques. Elle ne nous permet plus d’être à l’initiative, aux avant-postes, mais semble au contraire entériner le fait d’avoir en permanence un temps de retard, se condamnant ainsi à n’être qu’essentiellement spectatrice des événements tragiques de notre époque.

Equateur, 19 février 2017 : des présidentielles plus singulières que bolivariennes

Thu, 23/02/2017 - 13:48

L’Equateur a voté dimanche 19 février 2017 pour désigner son président et ses 137 députés. Le pays est dirigé depuis un peu plus de dix ans par Rafael Correa, catalogué par ses détracteurs comme socialiste bolivarien. Cette étiquette lui vaut beaucoup de noms d’oiseau politique, le plus commun, étant le qualificatif passe-partout, de « populiste ». Cette consultation a pourtant été singulière, loin des clichés du genre puisés dans les aléas de la vie politique vénézuélienne et espagnole.

A-t-on assisté, comme le sous-entendent bien des adversaires intérieurs et extérieurs du gouvernement Correa, une élection Potemkine ? En d’autres termes, y-a-t-il eu un simulacre de vote pour un candidat cherchant à perpétuer sa présence au prix des règles élémentaires de la concurrence démocratique ?

La réponse est on ne peut plus claire. Rafael Correa a proposé en 2015 une modification de la Constitution qui autorise la réélection indéfinie, à l’exception de la votation de 2017. Il n’était donc pas candidat. Les observateurs européens ont certes été refusés, faute de réciprocité, a-t-il été précisé par Quito. Mais ceux de l’OEA (Organisation des Etats Américains) et de l’UNASUR (Union des Etats d’Amérique du sud) étaient eux bien présents. Les observateurs de l’OEA étaient sous la tutelle de l’ex-président dominicain, Leonel Fernández, tandis que ceux de l’UNASUR répondaient à l’ancien chef d’Etat uruguayen, José Mujica. Ils ont ainsi couvert 21% des 44 510 bureaux de vote dans 17 des 24 départements du pays. 79% de ces bureaux étaient par ailleurs sous la vigilance d’observateurs des différents partis politiques locaux.

Rien de particulièrement grave n’a été signalé le jour de la consultation. Il est vrai que 36 heures avant le scrutin et 12h après son terme, la consommation d’alcool était interdite. Les 284 contrevenants verbalisés ont été punis d’une lourde amende équivalente à 50% du salaire minimum, soit 187.50 dollars (l’économie du pays est dollarisée depuis 2000). Le civisme a bien été au rendez-vous. Pour la première fois, les électeurs étaient dotés d’une carte électorale avec photo et code barre. Les personnes transsexuelles ont pu voter dans les bureaux réservés aux femmes, grâce à l’adoption d’une loi le permettant en 2016. 271 d’entre elles ont ainsi voté sous le regard de la presse. Au total, près de 83% des électeurs inscrits ont rempli leur devoir électoral. Le vote est certes obligatoire pour les électeurs de 18 à 65 ans et la sanction pour les non votants s’élève à 37,50 dollars, soit 10% du salaire minimum. Mais voter reste facultatif pour les 16-18 ans et les plus de 65 ans, ainsi que pour les policiers et les soldats. Les migrants équatoriens, nombreux aux Etats-Unis et surtout en Espagne, ont également participé. À Madrid, il fallait par exemple patienter deux heures pour pouvoir mettre son enveloppe dans l’urne.

Mardi soir, après le dépouillement de 98,5% des bulletins, les résultats étaient les suivants : Lenín Moreno (gauche sortante), 39,3 % ; Guillermo Lasso (droite), 28,2 % ; Cynthia Viteri (droite), 16,2% ; Paco Moncayo, (centre gauche), 6,7%. Les quatre autres candidats de droite ont recueilli entre 0,7% et 4,7% des suffrages. Le Conseil national électoral (CNE) a alors signalé qu’il lui fallait du temps pour opérer un décompte minutieux des bulletins déjà dépouillés et des 2,5 % restant. Dans le système électoral équatorien, si un candidat du premier tour atteint la barre des 40% des votes exprimés et que le candidat suivant est à 10 points derrière lui, le premier est directement élu. L’éventuel deuxième tour, enjeu de ce décompte, sera organisé le 2 avril 2017.

S’agit-il, comme le soutiennent certains, d’une élection en fausses fenêtres, sans options alternatives ? Le débat a-t-il été occulté par la violence de propos polémiques ?

Chacun a pu voter. Chacun a pu s’exprimer. Mais les échanges verbaux ont été particulièrement rugueux. Les « dehors Correa » d’un côté faisaient écho aux reproches de « campagne sale » de l’autre. Trois grandes familles politiques ont pu exprimer leurs idées, de façon antagoniste certes, mais sans être censurées. Le camp officiel était représenté par un ancien vice-président, au nom invitant au dénigrement facile : Lenín Boltaire Moreno Garcés. Ce dernier avait le soutien des partis Alliance pays, communiste et socialiste. Les couleurs du centre gauche étaient défendues par Paco Moncayo, ancien maire de Quito et ex-général ayant affronté avec succès l’ennemi péruvien en 1995. Pour la droite, quatre candidats étaient en lice. Le plus populaire d’entre eux étant un banquier et ancien ministre, Guillermo Lasso.

Les opposants ont censuré l’absence de réponse à la crise économique. Ils ont aussi annoncé la nécessité de créer 1 million d’emplois, de tailler la dépense publique et de baisser les impôts. Le changement d’alliés stratégiques extérieurs devrait, selon eux, le permettre. Guillermo Lasso a signalé dans ses discours que l’Equateur devait sortir de l’ALBA, l’alliance pilotée par le Venezuela bolivarien, afin de retrouver son environnement en adhérant à l’Alliance du Pacifique. Lenín Moreno a quant à lui mis l’accent sur le passif économique et social des années 2000 précédant Correa, en rappelant que Guillermo Lasso était à cette époque ministre de l’Economie, a-t-il rappelé. Selon Lenín Moreno, c’est « La Révolution du Bien vivre » de 2006 à 2016 qui a coupé court à la crise. L’Etat investisseur a couvert le pays de bonnes routes et de barrages hydroélectriques assurant une autonomie énergétique. L’Etat keynésien et social a permis de réduire la pauvreté de 45% à 25% de la population. Reste encore, reconnaît Lenín Moreno, les difficultés d’une économie dépendante à l’excès de ses exportations pétrolières. Il a donc promis une diversification, la création de 250 000 emplois et un effort social en faveur des handicapés.

Héritier des années Correa, Lenín Moreno a obtenu 40% des voix. Rafael Correa avait été élu en 2009 et réélu en 2013 dès le premier tour. L’érosion est nette. Pour autant, les 28% de Guillermo Lasso et les 16% de Cynthia Viteri, la candidate social-chrétienne, reflètent un doute dans leur division, un doute tout autant qu’un vote sanction. Alliance Pays et ses alliés gardent la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Rafael Correa avait bénéficié en 2009 et en 2013 de la reconnaissance d’électeurs tirés de la misère grâce à l’investissement social, permis par les exportations de pétrole. Lenín Moreno a souffert de la conjoncture mais il a gardé la confiance d’un bloc nostalgique du bilan social, flatteur et inquiet des remèdes à la crise proposés par les candidats libéraux. Le vote exprimé est in fine cohérent avec la singularité équatorienne, loin de toute considération et polémique idéologique.

« Le siècle de Perón » – 3 questions à Alain Rouquié

Wed, 22/02/2017 - 15:02

Ambassadeur de France au Brésil de 2000 à 2003, Alain Rouquié est Président de la Maison de l’Amérique latine. Directeur de recherche émérite à la Fondation nationale des sciences politiques, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Le siècle de Perón : Essai sur les démocraties hégémoniques » aux éditions du Seuil.

Perón a été élu deux fois (1951, 1973) avec des marges fortes et, depuis le rétablissement de la démocratie, seuls les candidats se réclamant de son héritage ont pu terminer leurs mandats. Comment s’explique cette « étrange pérennité » ?

La longévité et l’étrange survie du péronisme doivent autant à la politique de ses adversaires qu’à sa nature organisationnelle et idéologique. Au point de départ, le colonel Juan D. Perón, admirateur de Mussolini, qui craint une explosion sociale à la fin de la Seconde Guerre mondiale, organise la classe ouvrière née de l’industrialisation au sein de syndicats uniques étatisés sur un modèle corporatiste. Ces syndicats verticaux qui ignorent les procédures démocratiques constituent l’épine dorsale du mouvement péroniste. Ils tirent initialement leur légitimité des lois sociales généreuses et sans précédent en Argentine que Perón a fait promulguer.

Lorsque Perón est renversé par un coup d’État militaire en 1955, le parti péroniste est interdit. Les péronistes sont proscrits mais contrôlent toujours les syndicats qui conviennent au patronat. L’Argentine connaît de multiples coups d’Etat (1962,1966,1976) qui visent à « dépéroniser » la vie politique et sociale. Mais, alors qu’ils suspendent tous les partis politiques, les régimes militaires qui en sont issus se gardent de réformer ou de démanteler les organisations professionnelles, auxquelles ils donnent ainsi le monopole de la représentation politique et sociale.

En outre, la proscription électorale du péronisme ne fait que confirmer sa prétention majoritaire. Elle suppose en effet que s’il était autorisé, il retrouverait légalement le pouvoir. C’est ce qu’il se produit d’ailleurs en 1973. Ainsi s’est créée une culture politique anti-libérale dans laquelle le peuple argentin serait par nature majoritairement péroniste. Les transformations successives du mouvement et ses tactiques contradictoires lui ont permis d’occuper tout le spectre politique. La déstabilisation des gouvernements qui ne se réclament pas de cet héritage découle de cette situation singulière.

Perón a accueilli un large spectre idéologique allant du castrisme au fascisme. Comment expliquer qu’après lui la gauche ait été chassée de la vie politique argentine ?

Perón est le créateur dans les années 1940 du welfare state argentin. Parallèlement, il a réorganisé les syndicats en les épurant, c’est-à dire en chassant de leurs directions les partis de gauche. À l’élection de 1946, socialistes et communistes ont choisi contre le candidat Perón, jugé « totalitaire et pro-nazi », de soutenir une alliance démocratique avec les libéraux et les conservateurs. Les partis de la « classe ouvrière » coupés de celle-ci ne reviendront dans la vie publique qu’en 1955, grâce à la dictature militaire anti-péroniste. Discrédités, ils se fragmentent et n’existent plus que localement ou à l’état groupusculaire.

La politique sociale innovatrice et musclée de Perón a éliminé la gauche de la vie politique argentine. Elle n’y est pas revenue. En ce sens, il a accaparé la gauche sociale et anéanti la gauche politique

Vous écrivez (p.181) que la répression de la junte argentine, moins visible que celle de Pinochet au Chili, fut cependant beaucoup plus féroce. Pouvez-vous développer ?

Les chiffres issus de diverses commissions ad hoc dans les deux pays, montrent que le nombre des victimes, par rapport à la population, semble avoir été plus élevé en Argentine. Mais les statistiques de l’horreur ne révèlent pas tout. Il faut y ajouter les modalités répressives, sans doute plus révélatrices encore. La dictature argentine a pratiqué systématiquement la disparition forcée des personnes, les représailles familiales et les vols d’enfants, autant de modalités génocidaires d’éradication de l’ennemi.

En Argentine, l’État terroriste s’est donné les moyens de son efficacité maximale. La répression (au moins entre 1976 et 1980) est décentralisée, compartimentée en droit comme en fait. Les chefs de corps ont droit de vie et de mort dans leur zone d’opération. Tandis que les rivalités entre les trois forces armées (terre, air, mer) entrainent les surenchères et l’arbitraire généralisé, aucun organisme, comme la DINA (Direction nationale du renseignement) au Chili, ne centralise ni n’enregistre les opérations. Pour plus d’efficacité l’action antisubversive se fait de manière anonyme. Des commandos paramilitaires exécutent ou enlèvent les opposants supposés. Les suspects ne sont pas arrêtés mais ils disparaissent et sont regroupés dans 380 centres clandestins de détention. Ce sont autant de réserves d’otages qui alimentent les représailles massives. Cette machine à tuer furtive a fonctionné plusieurs années après le coup d’État alors qu’officiellement toutes les guérillas avaient été anéanties.

« Pour vaincre Daech dans la région, il faut d’abord rétablir la paix entre le Pakistan et l’Afghanistan »

Fri, 17/02/2017 - 15:04

Comment expliquer les attentats perpétrés cette semaine ?

Plusieurs choses sont importantes. Tout d’abord, aujourd’hui la lutte contre les talibans, mais aussi contre Daech, est menée conjointement par l’Afghanistan et le Pakistan. Il faut bien comprendre qu’une rivalité existe entre ces deux entités, même si aujourd’hui, c’est Daech qui tend à prendre l’avantage.
L’attentat commis par les talibans à Peshawar mercredi 15 février a fait six morts, celui organisé par Daech, jeudi 16, en a fait plus de 70. En Occident, on sous-estime trop le fait que Daech n’est pas seulement présent à Rakka et à Mossoul. S’il est militairement possible de vaincre l’organisation dans ces zones, cela ne signifiera pas sa fin définitive. Daech est une organisation tentaculaire qui a étendu son influence un peu partout. Ce qui se passe en Afghanistan et au Pakistan depuis deux ans est extrêmement dangereux, et si on n’y porte pas suffisamment attention, ces deux pays finiront par remplacer la Syrie et l’Irak.

Qu’incarne le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif ?

Une des grandes faiblesses du Pakistan, c’est sa classe politique. Depuis la mort du dictateur Zia-ul-Haq en 1988, le Pakistan a été alternativement gouverné par deux personnes. Benazir Bhutto, aujourd’hui décédée, et Nawaz Sharif. Tous les deux ont, tour à tour, occupé le poste de premier ministre trois fois. Il n’y a pas de renouvellement de la classe politique et le Pakistan souffre de cette stagnation.
En ce qui concerne Nawaz Sharif, au début de ce mandat, il a essayé de négocier avec les talibans. Mais comme cela n’aboutissait à rien, il y a deux ans et demi, il s’est résolu à lancer d’importantes offensives contre leurs bases. L’opération fut un grand succès, ils ont été durablement affaiblis. Chez les talibans, comme dans toute organisation de ce type, quand les « jusqu’au-boutistes » trouvent une organisation qui va plus loin dans la terreur, ils y adhèrent. Si Daech a pu se développer dans la région, c’est donc parce que la situation était favorable. Aujourd’hui, la branche régionale de Daech englobe l’Afghanistan, le Pakistan et l’Asie centrale.

Faut-il s’attendre à d’autres attentats au Pakistan ?

Il faut comprendre que chasser l’État islamique de Mossoul ou demain de Rakka, ne mettra pas fin à Daech. Aujourd’hui, l’organisation est présente dans tout le monde musulman, en Libye, au Yémen, dans le Sahel, ou encore en Égypte… Tout cela va se poursuivre.
Pour vaincre Daech dans la région, il faudra d’abord régler le fond du problème, les relations entre le Pakistan et l’Afghanistan. Tant que la paix ne sera pas revenue entre les deux pays, il y aura des conflits et Daech subsistera.
Il y a une autre tendance importante à prendre en compte, la complicité grandissante entre les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël pour tenter de déstabiliser l’Iran. Cette situation fait naître un certain espoir dans les rangs de Daech. Si le front en Syrie et en Irak venait à disparaître, ils se disent que tout n’est pas fini, que d’une certaine manière, un « avenir » les attend dans cette zone du monde.
Face à l’échec américain et à l’impuissance des autres pays occidentaux, la Chine et la Russie ont pris des initiatives. Mercredi 17 février par exemple, Vladimir Poutine a invité les Talibans à venir à Moscou. Les Russes ont pris conscience que le danger se rapprochait de leur région et qu’il leur fallait agir. L’Union européenne et les États-Unis sont trop absorbés par la lutte contre Daech en Syrie et en Irak ou les attentats perpétrés en Europe, pour s’intéresser à ces régions.

Recueilli par Salomé Parent

Le fusible Michael Flynn

Wed, 15/02/2017 - 15:14

Le (très controversé) conseiller à la Sécurité nationale de la Maison blanche, Michael Flynn, a été contraint à la démission, le 13 février, après qu’il a reconnu avoir fourni « par inadvertance » des informations incomplètes au vice-président, Mike Pence, au sujet de ses échanges téléphoniques avec Sergey Kislyak, ambassadeur de Russie à Washington, fin décembre dernier (avant sa nomination et la prise de pouvoir du duo Trump/Pence).

Flynn sera resté moins d’un mois à ce poste hautement stratégique, ce qui constitue un record absolu. Son départ n’est qu’un nouvel épisode des errements de la politique étrangère de Washington et une preuve supplémentaire de la forte tension existante entre, d’un côté, les services secrets et l’administration qui œuvrent à la continuité du pouvoir et, de l’autre, les conseillers de Trump qui préfèrent les coups d’éclat et promeuvent une rupture radicale avec la politique – interne et internationale – de Barack Obama. Ainsi, Flynn n’est qu’un fusible. Il suscitait de fortes réticences chez les services de renseignements qui craignaient que Moscou ne lui fasse du chantage après ses échanges téléphoniques avec l’ambassadeur russe, auquel il avait implicitement promis une politique conciliante vis-à-vis de Moscou. Flynn part parce qu’il n’a plus la confiance de Trump et parce que Pence et Bannon ont demandé sa tête.

Flynn, fidèle de la première heure du candidat Trump, est un ancien général 3 étoiles qui s’est illustré autant par son rôle dans la guerre contre Al-Qaïda, en Irak et en Afghanistan, que pour ses prises de positions très dures envers l’islam. Il a également affirmé à de nombreuses reprises son souhait d’un rapprochement entre Washington et Moscou. Pour le président Trump, ce départ est une très mauvaise nouvelle. Il est en effet la preuve que, contrairement à ce qu’il affirme à cor et à cri, il ne s’entoure pas forcément des « meilleurs ». Il s’est trompé en faisant le choix de Flynn. Ce dernier avait été poussé vers une retraite anticipée en 2014, alors qu’il dirigeait le département du Renseignement de l’armée américaine, pour son mauvais management et ses propos racistes.

Plusieurs congressistes démocrates (et républicains) réclament une enquête afin d’établir la nature exacte des liens que Flynn entretenait avec le Kremlin mais également le degré de connaissance de Trump, à la fois de cette situation et du danger que son conseiller faisait peser sur la sécurité des États-Unis. Le 14 février, la Maison blanche a, de manière stupéfiante, affirmé que le président était informé depuis plusieurs semaines des conversations entre Flynn et l’ambassadeur russe.

Cette démission intervient alors que les positions de Donald Trump en matière de politique étrangère ne cessent de changer. Il a ainsi récemment rappelé que les États-Unis ne reconnaissaient qu’une seule Chine (exit donc les « provocations » sur Taïwan), que la poursuite de la colonisation israélienne des territoires palestiniens étaient une mauvaise chose (on verra comment Netanyahou et lui échangent à ce sujet cette semaine) et a rappelé, à l’occasion de la visite officielle du premier ministre japonais, la force des liens entre Tokyo et Washington (alors qu’il avait dénoncé pendant la campagne la politique commerciale agressive du Japon). Il n’a que très peu réagi au tir de missile effectué par la Corée du Nord, se contentant, comme à son habitude, de promettre d’y répondre « très fortement » et assurant le Japon – mais pas la Corée du Sud – de son soutien.

Le départ de Flynn suffira-t-il à apaiser les esprits, à calmer les inquiétudes autour de « l’agenda géopolitique » de Trump ? Rien n’est moins sûr. C’est même sans doute le contraire.

Marie-Cécile Naves est l’auteure de « Trump, l’onde de choc populiste » (FYP, août 2016).

« Négociation humanitaire » : la maîtrise ou l’échec

Wed, 15/02/2017 - 12:38

La maîtrise de la « négociation humanitaire » est devenue une compétence déterminante et incontournable pour les humanitaires. Le besoin d’intervenir dans des contextes de conflit expose les équipes de terrain à l’interaction directe, souvent tendue, entre ceux-ci et les entités ou individus capables d’exercer des menaces, la violence ou simplement l’autorité légale qu’ils détiennent.
Ce besoin de négociation n’est pas ancré exclusivement sur les menaces : obtenir l’accord des autorités pertinentes pour mettre en œuvre un projet médical (une campagne de vaccination, par exemple) ; l’acceptation d’engager une recherche médicale ; l’importation de médicaments de qualité pour les projets en cours ; la récupération de matériels coûteux comme des véhicules ou des équipements de télécommunication dérobés ; l’obtention d’une permission pour l’utilisation de fréquences de radio ou le permis de travail pour le personnel international font partie du large répertoire potentiel de négociation.
Néanmoins, l’obtention d’accès des humanitaires aux populations en danger (et l’accès de la population aux services fourni par les organisations humanitaires) reste le sujet de négociation par excellence, au point que quelques spécialistes réduisent la « négociation humanitaire » à la négociation pour l’accès.

Les dynamiques de coercition et la violence sur le terrain d’action, toujours changeants, la métamorphose du modus operandi des acteurs armés, l’affirmation des autorités des pays émergents, faibles ou autoritaires face à des interlocuteurs internationaux ajoutés aux exemples mentionnés au début de cet article, demandent de façon incontournable aux nouvelles générations de responsables de projets un savoir-faire, des compétences spécifiques, en négociation humanitaire.
Une grande majorité du personnel de terrain, jeune bien que passionné, n’a pas été exposé à de telles situations critiques ou une telle responsabilité auparavant, une raison de plus qui exige le renforcement des compétences en négociation.

Mais qu’entend-on exactement par « négociation humanitaire » ?

Malgré le manque d’une définition unique et reconnue par tous, et ce, même dans le milieu humanitaire, d’un point de vue opérationnel on entend par « négociation humanitaire » le processus de transformation des intérêts humanitaires d’une ONG humanitaire en objectifs de négociation par l’échange de concessions et propositions avec les acteurs pertinents pour aboutir à un accord. Cet accord rend possible la mise en œuvre de services (notamment de soins et de santé) ou la livraison de biens humanitaires (eau, nourriture, abri) destinés à une population en besoin. Tout ça dans une volonté de respect des principes et valeurs humanitaires (humanité, neutralité, impartialité, indépendance).

Si, sans doute, l’attitude et les compétences individuelles des négociateurs humanitaires aident à aboutir à un accord ou à régler une situation tendue et conflictuelle, il convient de s’interroger sur l’efficacité du processus si à cette composante individuelle innée on ajoute des tactiques et stratégies éprouvées de négociation, une analyse des intérêts des acteurs clés, la définition d’objectifs immédiats et à longue échéance, la gestion du timing, les ressources de persuasion, la capacité de mise en œuvre des accords et d’autres éléments nécessaires pour réussir et affirmer les résultats d’une négociation.
Bien que les compétences individuelles soient un facteur-clé dans le travail humanitaire, la complexité et multiplicité de théâtres d’intervention exigent toutefois des structures de soutien adaptées. Autrement dit, en même temps que le renforcement des compétences individuelles, la pratique de la négociation humanitaire devrait être aussi accompagnée par le renforcement de capacités institutionnelles en négociation ; c’est à dire l’existence d’espaces de discussion, l’analyse et la formation intra et inter-organisationnelle ; le registre et la capitalisation des expériences de négociation ; la sauvegarde des réseaux de relations et contacts cruciaux au-delà de la période d’engagement du négociateur ; le partage des leçons tirées et la production de matériaux de formation sur le sujet.
Parce que c’est dans ce cadre institutionnel que l’on trouvera les réponses aux questions sur les points forts, les leviers, les faiblesses, les modèles appropriés, l’argumentaire de la négociation et la conformation des équipes de négociation ou de soutien à ceux-ci.
Ainsi, chaque dimensions, individuelle et institutionnelle, renforcerait et nourrirait l’autre : l’expérience et les compétences individuelles serviront de matière première et les capacités institutionnelles apporteront structure, méthode, analyse, systématisation et capitalisation.

En parallèle des sources internes, les cadres de formation des ONGs humanitaires doivent penser sérieusement et profiter de la disponibilité des méthodes, idées et ressources des domaines de la diplomatie et de l’entreprise, pour enrichir leurs expériences, de même que les résultats de recherches académiques concernant le sujet, tout en adaptant les contenus à la spécificité humanitaire, bien entendu. Un éventail de concepts, techniques, méthodes, expertises du milieu « non humanitaire » peut être capitalisé et transformé en atouts pour l’action humanitaire.

C’est dans l’articulation de l’expertise individuelle et institutionnelle, enrichie par des sources externes que le savoir-faire en négociation humanitaire s’étoffera au bénéfice de la pratique humanitaire et, par là même, des populations destinataires de l’aide humanitaire. Le manque d’un renforcement des capacités en négociation, que ce soit individuel ou institutionnel, risque d’induire une réduction de l’espace humanitaire ou, plus concrètement, risque de laisser les populations abandonnées. L’espace humanitaire est une conquête, et cette conquête est remportée par la négociation, l’outil le plus efficace que les humanitaires ont en leur possession.

Pour que la France retrouve sa cote d’amour à l’étranger

Tue, 14/02/2017 - 12:20

Directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Pascal Boniface regrette l’époque pas si lointaine où être Français procurait un avantage inégalable à l’étranger et une prime exceptionnelle de popularité. Dans son Essai Je t’aimais bien tu sais, il s’interroge sur les raisons du désamour entre la France et la communauté internationale et propose des remèdes. Interview.

Lepetitjournal.com : Les conséquences de la guerre en Irak ont donné raison à Jacques Chirac sur la non-intervention, comment expliquer ce revirement de la politique étrangère française en Libye et Syrie qui a mécontenté l’opinion publique arabe ?

Pascal Boniface : Il s’agit d’un long chemin et il y a plusieurs facteurs. Les mises en garde de Jacques Chirac, de Dominique de Villepin et des Français en général en 2003, disant que cette guerre n’allait pas régler les problèmes mais qu’elle allait en créer des supplémentaires, qu’elle allait aggraver les problèmes de terrorisme sans pour autant apporter la démocratie, se sont révélées encore plus exactes qu’on pouvait le penser. La France était alors le porte-voix de ceux qui ne pouvaient se faire entendre.
Alors que tous les voyants donnaient raison à Jacques Chirac, il y a eu une sorte de peur du French Bashing que lui prédisait les lobbys américains. Ce n’est pas avec Nicolas Sarkozy – qui aimait à se faire appeler « Sarko l’Américain » – mais bien dès 2005 avec Jacques que la France décide de faire de la réconciliation avec les Américains une priorité.
La guerre en Libye dont il s’avère aujourd’hui qu’elle est une catastrophe absolue, aussi bien pour le pays que pour la région, relève d’une tout autre logique. Sarkozy a ici cédé aux sirènes médiatiques, à la volonté de montrer le scalp de Khadafi devant les caméras. Il a écouté la voix de Bernard Henri Levy qui s’occupe plus de répercussions médiatiques que des conséquences sur le long terme.
C’est aussi une tragédie pour le principe de Responsabilité de Protéger qui a été tué dans l’œuf avec cette guerre. Ce principe avait été développé après la guerre d’Irak par Kofi Annan pour donner une alternative entre l’inaction ou l’intervention illégale. Initialement on peut comprendre la guerre en Libye comme une opération de protection de la population de Benghazi. En poussant l’opération jusqu’à la destitution de Kadhafi et au changement de régime, on a dénaturé le principe même de responsabilité de protéger.
Les interventions en Libye et en Irak ont conduit à ce que la Syrie soit livrée à elle-même ou aux puissances extérieures comme la Russie. Si les Russes sont si tenaces sur la Syrie, c’est bien en souvenir de la guerre de Libye. De même, si les Américains ne veulent pas intervenir en Syrie, c’est bien en souvenir de la guerre d’Irak. Ce double héritage explique en partie les malheurs actuels de la population syrienne.

Existe-t-il un moyen de sortir de la torpeur et de sauver le concept de « responsabilité de protéger ?

Il faut reconnaître ses erreurs. Or pour l’instant la France a du mal à le faire, du moins en tant que gouvernement, même si ce n’était pas le gouvernement actuel qui a enclenché l’opération en Libye.
En trahissant la mission qui nous avait été donnée et les engagements pris à l’égard de la Russie, nous avons jeté le discrédit sur le principe de « responsabilité de protéger ». Par exemple un paradoxe me frappe toujours : ce sont les membres du conseil de sécurité qui sont les premiers à intervenir sans mandat.
Il faudrait, je crois, pour sortir de cette contradiction, organiser une grande conférence internationale pour analyser les raisons de l’échec de la sécurité collective, pour définir les règles, reconnaître les erreurs passées.

L’opération française au Mali s’est faite sous mandat onusien et à la demande des dirigeants maliens, est-ce selon vous un bon exemple de mise en œuvre de cette sécurité collective ?

Certains ont conclu des échecs en Irak et en Libye qu’il ne fallait plus intervenir militairement, or il ne faut pas sombrer dans le pacifisme béat. Entre le pacifisme total et l’interventionnisme, il y a un chemin à trouver. L’intervention au Mali est le contre-exemple de l’intervention en Libye ou en Irak car il y a eu une acceptation internationale avec un vote devant le conseil de sécurité. L’intervention est en outre faite à la demande des autorités nationales, donc avec un soutien local. La majorité de la population malienne soutient l’opération, c’est aussi le cas des Etats voisins du Mali. On voit aussi que les Russes et les Chinois ont soutenu l’intervention française au Mali.
Au Mali, on s’est efforcé de penser l’après, c’est à dire la réconciliation nationale.

L’influence de l’opinion publique sur la diplomatie d’un pays est un thème sur lequel vous vous attardez, quelle est sa mesure et est-elle toujours souhaitable ?

Il est aujourd’hui impossible d’envisager la diplomatie sans se soucier des phénomènes d’opinion. Ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose. Certes, l’opinion est parfois pousse au crime mais elle est souvent stabilisatrice.
En tous les cas, c’est une réalité, on ne peut plus faire cavalier seul. Même la grande puissance américaine avec Georges Bush a eu une telle impopularité qu’elle a placé Obama à sa tête par la suite, pour retrouver cette popularité perdue sous les deux mandats de Georges Bush.
Les gouvernements ne doivent cependant pas céder aux impératifs immédiats de l’opinion. Gouverner par les sondages, ce n’est pas gouverner. Souvent les gouvernements suivent l’opinion sans même chercher à l’éduquer. Ce qu’on appelle la RealPolitik, c’est connaître les contraintes qui pèsent sur la prise de décision et en tenir compte, sans se laisser guider par elles.

Vous montrez que, ces dernières années, la morale fait un retour en force dans les opinions et donc dans les relations internationales : comment l’expliquer ?

Parce que c’est plus facile, beaucoup de journalistes qui sont des faiseurs d’opinion ne sont pas des spécialistes de politique internationale. Le recours à des critères moraux « bien et mal » est beaucoup plus pratique et confortable que l’explication rationnelle de réalités complexes. Par exemple, la presse est très russophobe dans son ensemble. Ce prisme peut s’expliquer par l’atlantisme de la plupart des médias où les gens ont la même formation, viennent de la même culture. On parle des moyens d’influence de la Russie en France mais quand on regarde de plus près, ils sont très faibles et peu nombreux par rapport à ceux qui portent une voix américaine et qui ont pignon sur rue. Si bien que cette voix américaine paraît aujourd’hui naturelle en France.

Vous parlez longuement de l’influence de la politique intérieure sur la politique extérieure, quelle est-elle ? Vous vous attardez notamment sur les polémiques liées à l’islam et aux musulmans en France.

Cela écorne notre image dans les pays musulmans, mais aussi dans tous autres pays qui ne comprennent pas notre intolérance. Je fais dans mon livre la liste des Unes de journaux français sur les musulmans, toutes plus tapageuses les unes que les autres.
L’intégration est l’un des défis les plus importants que nous avons à relever, selon moi. Je dis aux musulmans que certes ils sont plus discriminés que certaines communautés, néanmoins la situation s’est améliorée par rapport aux dernières générations. Il ne s’agit pas de se voiler la face sur les discriminations dont les musulmans sont victimes mais de les inviter à regarder le chemin parcouru depuis 50 ans pour tracer le chemin à venir.

Quel rôle peuvent jouer les Français de l’étranger pour remédier à ce désamour que vous décrivez ?

Les expatriés recouvrent des réalités très différentes ; le fait que la présence des Français à l’étranger ait augmenté est plutôt bon signe, ils sont très souvent les avocats de la France dans le pays où ils résident, tissent des liens entre ces pays et le France. C’est donc comme un atout pour la France qu’il faut considérer les expatriés.
Certains s’alarment de ce qu’ils appellent une fuite des cerveaux, mais la très grande majorité des Français reste sensible aux intérêts et à la culture de la France. Ils sont donc une force démultiplicatrice de l’influence française à l’étranger.

Quels espoirs entretenez-vous pour l’élection de 2017 ?

Le prochain président aura le choix : continuer sur la pente actuelle, qui est loin d’être honteuse mais n’est pas enthousiasmante, ou redonner une impulsion à la France afin qu’elle se distingue à nouveau, se singularise positivement.
Le prochain quinquennat est peut-être l’occasion d’un nouveau départ en offrant plus de visibilité à notre politique étrangère. La France, à condition d’exprimer une idée juste et répondant aux aspirations du plus grand nombre, sera plus écoutée que bien d’autres. Elle pourrait s’appuyer sur le nouveau Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui sera beaucoup plus mobile et actif que son prédécesseur.
À l’heure où les pays africains se retirent un à un de la Cour pénale internationale en lui reprochant son « deux poids, deux mesures », il y a un risque de déréliction des institutions internationales. La France peut jouer un rôle dans leur relance.

Propos recueillis par Robin Marteau (www.lepetitjournal.com) mardi 14 février 2017

« Les Chinois » – 3 questions à Alain Wang

Mon, 13/02/2017 - 17:05

Alain Wang, journaliste, sinologue, enseigne à l’École centrale Paris et à l’Institut français de la mode. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage : « Les Chinois », aux éditions Tallandier.

Vous évoquez un « contrat de croissance » passé entre la population et la direction chinoise. Peut-il tenir longtemps et assurer la stabilité du régime ?

Après l’écrasement du mouvement démocratique du Printemps de Pékin en juin 1989, le Parti communiste (PCC) reprend d’une main autoritaire la direction politique du pays. En échange, il s’engage à offrir à la population une « petite prospérité ». La relance des réformes au début des années 1990 aboutira à une période d’hypercroissance économique et des inégalités de richesse criantes. Deux nouvelles strates sociales urbaines, de deux à trois cents millions de Chinois chacune, se forment. Une classe moyenne au sein de laquelle les plus riches peuvent adhérer au Parti grâce à l’adoption de la doctrine des « Trois représentativités ». Un monde d’ouvriers déclassés et de paysans migrants exploités, autrefois considérés comme les « fers-de-lance » de la révolution, finalement trahis par leurs élites politiques.

Avec les crises des subprimes, puis de la dette dans la zone euro à la fin des années 2010, les exportations chinoises chutent. Les usines de l’atelier du monde sont touchées. Le licenciement massif d’ouvriers dans les manufactures entraîne une instabilité sociale, accentuée par la montée des revendications des jeunes ouvriers migrants qui se battent pour obtenir des augmentations de salaire et un meilleur système de protection sociale. L’ascenseur social semble bloqué pour nombre de jeunes Chinois.

Pour le moment, rien ne prouve que les mesures pour lutter contre la corruption endémique dans le Parti-État et les entreprises d’État, pour développer la consommation intérieure et le secteur des services, et pour pousser l’innovation afin de relancer les exportations, puissent assurer la stabilité et la pérennité du régime « communiste ». Le président Xi Jinping devrait annoncer les grandes orientations économiques et sociales jusqu’en 2022 lors du 19e Congrès du Parti qui se tiendra en octobre prochain à Pékin. Une grande partie des cadres supérieurs seront renouvelés, laissant entrevoir peut-être la constitution de la nouvelle équipe de la 6e génération de dirigeants, à moins que le président Xi Jinping ne se décide à modifier les règles tacites de succession au sein du Parti-État pour se maintenir à la fin de son second quinquennat…ouvrant ainsi une période d’incertitude.

L’« airpocalypse » dont vous parlez peut-il être enrayé par le nouveau virage vert de Pékin ?

Il est clair que les dirigeants chinois ont depuis longtemps opté pour la croissance économique comme objectif principal. Sortir la population de la pauvreté reste un enjeu majeur depuis l’établissement de la République populaire de Chine. Lors de l’utopique Grand bond en avant, à la fin des années 1950, la déforestation massive, nécessaire pour alimenter la production d’acier dans des centaines de milliers de hauts fourneaux à travers les campagnes, a abouti à une véritable catastrophe environnementale. Puis les réformes économiques lancées en 1978 n’ont fait qu’accentuer la pollution de l’air et de l’eau. Aujourd’hui, la protection de l’emploi et la poursuite de la croissance économique sont indispensables au maintien du Parti-État au pouvoir. Les mesures pour enrayer le processus de dégradation de l’air ont été longues à prendre et à appliquer. Leur efficacité reste à prouver. La pollution atmosphérique touche le nord de la Chine, les provinces côtières industrialisées jusqu’à Shanghai, ainsi que le Guangdong et la région de Hongkong. Là encore, les inégalités sont criantes. En vivant dans des lieux confinés et purifiés, l’élite économique et politique sait se protéger. Mais la grande masse de la population respire au quotidien des particules fines dont les taux étaient, à Pékin, en janvier dernier, vingt fois plus élevés que les normes fixées par l’Organisation mondiale de la santé. La Chine possède le record mondial annuel des malades qui décèdent suite à un cancer des poumons. Selon une étude publiée en 2013, l’espérance de vie pour les citadins résidant au nord du pays aurait reculé de plus de cinq ans.

Enrayer l’« airpocalypse » supposerait un contrôle plus strict des entreprises industrielles – appartenant souvent à l’État – qui rejettent ces fumées nocives. Le charbon ne représenterait plus que deux tiers du mix énergétique en Chine, en baisse de 5%. Mais les informations sont floues et contradictoires. D’un côté, le gouvernement annonce une baisse de l’extraction et la fermeture de mines. De l’autre, une augmentation de 25% des importations en provenance de Mongolie en 2016. Dans la capitale chinoise, comme dans les grands centres urbains, l’augmentation du nombre de véhicules en circulation – plus 240 000 véhicules supplémentaires par an – accentue la pollution atmosphérique. La quantité de soufre qui émane des moteurs diesel est vingt fois supérieure aux normes autorisées en Europe. Pour être efficace, le « virage vert » entrepris suppose la mise en place de lois et règles plus coercitives et d’un appareil de contrôle indépendant pour les appliquer.

Quelle est la force de la société civile chinoise ?

Après quatre ans de présidence, le président Xi Jinping est devenu le dirigeant le plus puissant depuis Mao Zedong. Il a verrouillé le Parti-État pour renforcer son pouvoir et restreindre drastiquement les capacités d’expression de la société civile. La répression s’est durcie contre le moindre acte de dissidence. Le prix Nobel de la Paix, Liu Xiaobo, est condamné à rester emprisonné jusqu’en 2020. Sous prétexte de lutte contre la corruption ou de tentatives de déstabilisation de l’État, les avocats, les journalistes et les « citoyens du net » sont les cibles principales du régime. Ces défenseurs des droits de l’homme font un travail remarquable et essentiel auprès des ouvriers migrants, des paysans expropriés de leurs terres, des ethnies minoritaires, des groupes religieux, des malades du Sida, etc. Il y avait environ 380 « manifestations de masse » chaque jour en 2012 – le chiffre n’est plus communiqué depuis. Les paysans et les ouvriers, qui se mobilisent contre les gouvernements locaux, expriment leur mécontentement et une profonde frustration sociale, que l’on retrouve chez ces simples citadins inquiets face à l’implantation – sans concertation préalable – d’usines polluantes près de chez eux. Le Parti-État a replacé l’ensemble des 135 000 ONGs chinoises ou étrangères sous le contrôle de la police grâce à deux nouvelles lois depuis 2015. En dehors du syndicat officiel, les ouvriers n’ont pas le droit de s’organiser pour défendre leurs droits légitimes ou émettre des revendications. La poursuite d’élections « libres » des comités villageois, initiées dans les années 1980, n’a pas mené à une transition démocratique qui aurait pu permettre à la société civile de s’émanciper. Avec la réaffirmation du leadership du Parti, c’est un recul et un échec. Ces quatre dernières années, la lutte gouvernementale contre le « développement désordonné » d’Internet a renforcé l’élimination des « opinions divergentes » sur les réseaux sociaux, enrayant une expression virulente de la société civile contre le Parti-État, apparue au cours des années 2000.

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