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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 hour 2 min ago

« Marche du retour » à Gaza : RAS sur le plan diplomatique, avis de tempête dans les opinions publiques

Thu, 05/04/2018 - 10:18

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La lutte contre l’argent sale est l’affaire de tou.te.s

Thu, 05/04/2018 - 09:49

Le phénomène de la corruption est multiforme, difficile à saisir. Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), et Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS, ont tenté de relever le défi. Elles répondent aux questions de Chronik à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Argent sale : à qui profite le crime ? », aux éditions Eyrolles.

À quoi correspond l’ « argent sale » et quelle est l’ampleur du phénomène ?

Pour paraphraser le philosophe Thierry Ménissier, qui désignait ainsi la corruption, l’argent sale est une notion aussi bien parlante que mal définie. Si l’on comprend aisément de quoi il s’agit, arriver à poser un cadre, à définir est en revanche plus complexe. Alors que certains, comme Éric Vernier, par exemple, feront entrer dans cette catégorie tout flux d’argent issu d’activités illégales et immorales, d’autres nuanceront en ne prenant en compte que les activités illégales, issues par exemple de la criminalité organisée.

Pour notre part, nous raisonnons en creux, c’est-à-dire que nous considérons comme argent sale tout argent qui doit connaître un blanchiment, pour pouvoir être réinjecté dans l’économie mondiale. En effet, l’argent sale issu d’activités répréhensibles se nourrit de tout un ensemble d’activités légales en tête desquelles se trouve, par exemple, l’optimisation fiscale. Ainsi, dans notre ouvrage, nous revenons sur les questions de corruption, de financement du terrorisme, de contrefaçon, de caisses noires et évidemment sur la question des paradis fiscaux.

Au-delà de la difficile définition qualitative, ce constat est renforcé par l’impossible quantification du phénomène d’argent sale, où des chiffres variant du simple au quintuple sont présentés. Des estimations de 2 000 milliards de dollars, de 8 % du PIB mondial et bien d’autres sont avancées. À la lecture de ces données, un constat s’impose rapidement : il est impossible d’estimer avec précision cette manne financière, sauf à raisonner par secteurs, mais qui, là encore, donneront des estimations, lesquelles, d’un spécialiste à l’autre, seront extrêmement variables.

Dans ce contexte, les seuls moyens qui peuvent être efficaces dans la lutte contre ce phénomène sont culturels et liés au contrat social tel l’acceptation de l’impôt, la lutte contre les inégalités etc. En d’autres termes, l’argent sale est d’abord et avant tout un choix de société !

En quoi la mondialisation est-elle un facteur d’aggravation de la corruption ?

La corruption constitue toujours un transfert d’argent. Dans ce contexte, quand la mondialisation facilite les transferts internationaux et conduit à une accumulation sans précédent dans l’histoire de l’humanité des richesses, tous les ingrédients sont là pour que le phénomène s’aggrave. Il n’est pas sûr toutefois qu’il se soit aggravé d’un point de vue relatif, c’est-à-dire pour ce qui concerne la part de ces richesses qui conduit à de la corruption. En effet, il y a à peine quelques décennies, la corruption était une pratique courante à peu près partout dans le monde et cela était, au mieux, toléré, au pire, considéré comme inévitable.

Aujourd’hui, la corruption est devenue quelque chose d’inacceptable dans de nombreux pays et par une part toujours plus nombreuse de la population mondiale. Les entreprises savent toutes qu’elles prennent d’énormes risques, à la fois légaux mais également réputationnels, en proposant des pots de vin pour obtenir un marché. Cela ne signifie pas qu’elles ne le font plus mais c’est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, pouvant entraîner leur disparition. Nul doute que nombre d’entre elles y ont renoncé, le risque étant devenu trop grand. Et cette situation est aussi liée à une mondialisation qui connecte tout le monde et fait circuler très vite toutes les informations.

Qu’en est-il des législations internationales et nationales de lutte contre la corruption ? Outre la responsabilité des politiques et des États, quel rôle la société civile joue-t-elle dans cette lutte ?

La lutte contre l’argent sale peut être comparée à la lutte contre le dopage. Elle est indispensable, elle parvient à certains coups de filet, mais elle n’avance malheureusement pas au même rythme que ce qu’elle dénonce. La difficulté de la règle est qu’elle est moins rapide que les techniques de fraude et de « production » de l’argent sale. Le temps de la loi est long, les détournements, crimes, évasions fiscales et autres phénomènes de l’argent sale vont très vite.

Autre limite, les règles restent aujourd’hui nationales alors que le phénomène de l’argent sale est mondial et internationalisé. Les politiques peuvent être dans certains cas irresponsables ou mal avertis du phénomène mais ils sont le plus souvent impuissants. Pourtant, la lutte doit se poursuivre, il est impossible d’accepter cela et il faut continuer à la fois à tenter de trouver des parades et à œuvrer pour que des règles globales soient mises en place.

On critique beaucoup les États-Unis quant à leur activisme politique en la matière qui menacerait la souveraineté des autres pays (ce qui est vrai, au demeurant !) mais force est de constater que cela produit des effets. Il suffit de relire l’histoire récente de la lutte contre la corruption… Ce qui est dommage c’est qu’ils ne soient pas plus imités dans leur activisme ! Cela présenterait deux avantages : contrebalancer le poids de ce pays et œuvrer contre l’argent sale.

Le rôle de la société civile est, sur cette question, immense. Par des manifestations monstres qui ont pesé sur les destitutions de chefs d’État, par l’activité d’ONG qui enquêtent et qui mettent en lumière l’activité de certains hommes et femmes politiques et entreprises, par l’influence croissante des lanceurs d’alerte ayant permis le dévoilement des différents scandales (UBSLeaks, LuxLeaks, Panama Papers, etc.), la société civile pèse de tout son poids sur les politiques à la fois nationales et internationales.

Il s’agit évidemment d’un processus long et qui ne portera ses fruits que dans quelques années, voire quelques dizaines d’années, mais cela contribue considérablement au regard que nous portons sur les choses. À toutes fins utiles, il convient de se souvenir qu’il y a encore quelque temps, parler des paradis fiscaux, outre la dimension exotique de la chose, mettait surtout en avant le côté astucieux, presque filou de la manœuvre. Ce n’est qu’avec des études, des enquêtes, des recherches que l’on a pu prendre conscience de l’impact désastreux de l’évitement de l’impôt sur les sociétés.

La Russie : partenaire ou menace ?

Wed, 04/04/2018 - 19:02

Lukas Macek est directeur du campus de Sciences Po à Dijon. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la seconde édition des Internationales de Dijon, organisés par l’IRIS et la Ville de Dijon, le 24 mars 2018 :
– Comment définiriez-vous les liens entre l’Union européenne et la Russie ? Est-elle une alliée ou une menace pour l’Europe ?
– Vous dites que le discours russe s’est durci envers l’Occident, Vladimir Poutine s’opposant à l’européanisation de la Russie. Faut-il craindre cette position ?
– Quels sont les enjeux du 4e mandat de Vladimir Poutine ? Est-ce le mandat de trop ?

Accord sur le nucléaire iranien : les enjeux pour la France et l’Union européenne

Wed, 04/04/2018 - 10:03

Face à la pression américaine sur le dossier iranien, la France mise sur son poids diplomatique pour trouver une sortie de crise dans une région sous haute tension. Lors de sa visite en Iran les 4 et 5 mars derniers, le ministre des Affaires étrangères français a souhaité obtenir des concessions de Téhéran sur son programme balistique et sur son soutien au régime syrien afin de pouvoir convaincre le président américain de respecter l’accord sur le nucléaire iranien. Depuis sa campagne électorale, Trump n’a cessé d’affirmer sa volonté de mettre fin à cet accord signé sous le mandat de son prédécesseur, Barack Obama. Il a lancé récemment un ultimatum aux États européens signataires fixé au 12 mai 2018 pour corriger les lacunes de l’accord qu’il juge « le pire de l’histoire américaine », faute de quoi Washington en sortira et réintroduira les sanctions américaines. Les enjeux de cet accord sont énormes, car le retrait américain non seulement met en jeu la crédibilité déjà fragile du Conseil de sécurité et de l’ONU, mais risque aussi de fermer toute possibilité de dialogue pour établir une paix durable au Moyen-Orient.

Rappelons que l’accord a été conclu à Vienne par l’Iran avec les 5+1 (membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne) en échange de la levée des sanctions économiques imposées depuis 2006. En contrepartie, Téhéran s’est engagé à revenir sur son projet d’arme nucléaire : réduire le nombre de ses centrifugeuses (passées de 20000 à 5060), à limiter sa production de plutonium, son stock d’uranium à moins de 3,67 % – loin des seuils nécessaires à un usage militaire – et enfin faciliter le contrôle des inspecteurs internationaux de l’Agence internationale de l’énergie        atomique (AIEA[i]).

Il est évident que ni l’UE, ni même les alliés de l’Iran, que sont la Russie et la Chine, ne souhaitent laisser Téhéran se doter de l’arme nucléaire, en raison du risque de prolifération dans une région déjà minée et instable. Mais ils pensent que l’accord est le meilleur moyen pour permettre de surveiller et d’encadrer le programme nucléaire iranien ; tandis que ses détracteurs – principalement Washington et ses alliés israéliens et saoudiens – craignent qu’il n’offre plutôt la possibilité à Téhéran d’échapper aux contrôles et de poursuivre ses ambitions.

La France intervient donc dans un contexte de tensions croissantes, notamment depuis que Téhéran a dévoilé, lors du 39e anniversaire de la Révolution islamique, son programme balistique (modèle de missile Qader de 2000 km de portée, selon l’agence Fars). Ces tensions sont d’autant plus fortes que Trump vient de nommer Mike Pompeo – farouche opposant à l’accord sur le nucléaire iranien – comme nouveau Secrétaire d’État, envoyant ainsi un signal fort de l’intransigeance de la politique américaine. La visite du Prince Bin Salman à Washington ne fera que renforcer la position de Trump. L’Arabie saoudite, qui affronte l’Iran dans une guerre d’influence, use de tout son poids diplomatique pour mettre fin à l’accord sur le nucléaire. Que peut faire la France, voire l’Union européenne (UE), face à la politique de défiance de Washington ?

Malgré son inquiétude vis-à-vis du programme balistique iranien, l’UE affirme sa confiance quant à l’efficacité de l’accord comme moyen de renforcer la coopération et le dialogue avec l’Iran. L’UE s’appuie également sur les conclusions de l’AIEA qui soutient, comme l’annonce son directeur général Ykiya Amano, que l’Iran respectait les engagements sur le nucléaire[ii]. Il faut rappeler que cet accord représente aussi un enjeu économique et stratégique majeur pour l’UE : la levée des sanctions ouvre théoriquement le marché iranien aux entreprises européennes, d’autant que l’approvisionnement en gaz et pétrole iraniens réduirait la dépendance européenne à l’énergie russe.

Dans cette logique, Paris tente de faire pression sur Téhéran pour l’inciter à infléchir ses ambitions militaires et son influence dans la région, notamment son soutien au régime syrien, en échange du soutien européen à l’accord. Selon Paris, les relations directes avec Damas permettraient à Téhéran de faire pression sur le régime de al-Assad pour se plier aux résolutions de l’ONU. Il importe ainsi de s’interroger sur le poids de la médiation française et de sa marge de manœuvre compte tenu de l’intransigeance des différents acteurs. Face à la pression américaine, le gouvernement iranien, qui a accepté une réduction drastique de ses capacités nucléaires, refuse de se plier à des mesures supplémentaires et menace, à son tour, de riposter si Washington renonce au traité.

La marge de manœuvre de la France est donc infime, d’autant qu’il serait peu crédible de tenter de convaincre l’Iran de renoncer à son programme balistique et de réduire son influence dans la région alors que les puissances occidentales continuent à vendre des armes à son rival saoudien. De plus, en dépit de son soutien au régime syrien, il est peu probable que Téhéran puisse exercer une réelle influence sur la prise de décision à Damas. L’échec de la visite de Jean-Yves Le Drian en Iran en est la preuve. Le chef de la diplomatie française s’est heurté à l’intransigeance de Téhéran qui rejette toute modification de l’accord ou de sa politique régionale. Sur la crise syrienne, le président iranien a déclaré que renforcer le régime de Bachar al-Assad était la seule issue possible. Le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, avait dénoncé l’« extrémisme » de l’UE  vis-à-vis de l’Iran, quelques heures avant de rencontrer son homologue français.

Pour que la France, et plus globalement l’UE, puisse jouer un rôle efficace de médiateur, elle doit préserver sa neutralité dans la guerre hégémonique qui est à l’origine de la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Le respect de l’équilibre des puissances de la région est la seule voie possible pour instaurer une paix durable au Moyen-Orient ; cela permettrait également à la médiation française de gagner plus de crédibilité auprès des acteurs régionaux.

Pour ce qui concerne la position américaine, Trump augmente le suspense en plaçant le destin de l’accord entre les mains du Congrès qui est divisé sur la question. Cette stratégie permet au président américain d’éviter de porter seul la responsabilité du fiasco qui découlerait d’une éventuelle fin de l’accord, et de sauver l’honneur, vis-à-vis de son électorat et de ses alliés, si le Congrès votait en faveur du traité. La visite qu’effectuera le président de la République à Washington du 23 au 25 avril prochains offre une dernière chance pour la diplomatie française, à savoir si Macron réussira à convaincre Trump de revenir sur sa décision.

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[i]       AIEA, « Verification and monitoring in the Islamic Republic of Iran in light of United Nations Security Council resolution 2231 (2015) », rapport par le Director General, 22 février 2018.  [Consulté le 26/03/2018].

[ii]      AIEA, « Iran is Implementing Nuclear-related JCPOA Commitments, Director General Amano Tells IAEA Board ». 5 mars 2018. https://www.iaea.org/newscenter/news/iran-is-implementing-nuclear-related-jcpoa-commitments-director-general-amano-tells-iaea-board. [consulté le 26/03/2018].

 

La Chine : une émergence pacifique ?

Tue, 03/04/2018 - 17:21

Pierre Grosser est professeur agrégé d’histoire à Sciences Po. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la seconde édition des Internationales de Dijon, organisés par l’IRIS et la Ville de Dijon, le 24 mars 2018 :
– Peut-on considérer la Chine comme favorable à un monde multipolaire ?
– Quelle est la stratégie de Xi Jinping sur la scène internationale ?
– Peut-on dire que la Chine a su tirer profit de l’imprévisibilité de Donald Trump pour s’imposer en tant qu’acteur mondial incontournable ?
– Le projet des nouvelles Route de la soie sera-t-il bénéfique pour l’Europe ?

L’Union européenne : quels défis, quelles opportunités ?

Tue, 27/02/2018 - 15:04

Miguel Angel Moratinos, diplomate et homme politique, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération d’Espagne, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux 10e Entretiens européens d’Enghien organisés par l’IRIS et la Ville d’Enghien-les-Bains, le 10 février 2018 :
– La désaffection des citoyens envers l’Union européenne n’est-elle pas davantage une défiance envers ses institutions ?
– Quel défis les institutions doivent-elles relever pour renouer ce lien ?
– Avec la formation d’une coalition gouvernementale pro-UE en Allemagne, Emmanuel Macron bénéficie-t-il d’un soutien de poids sur les dossiers européens ?

VIIIème sommet des Amériques : querelles vénézuéliennes

Tue, 27/02/2018 - 11:38

Le VIIIème sommet des Amériques, se tient à Lima les 13 et 14 avril 2018. Plus que l’ordre du jour c’est la liste des chefs d’Etat invités qui pose problème. Le Venezuela et son premier magistrat, Nicolas Maduro, ont-ils leur place dans ce forum ? Les ministres des affaires étrangères concernés multiplient déplacements et appels téléphoniques. Les « cherpas » de différents pays participants sont en agitation diplomatique quasi quotidienne.

Rex Tillerson, Secrétaire d’État nord-américain, a visité début février cinq pays de la région. À tous il leur a dit tout le mal que Washington porte à Caracas. Cet ostracisme tardif permet de recomposer une relation avec les alliés de Washington, mise à mal par  les propos inamicaux du président Trump. Mexique et Colombie ont très vite et publiquement signalé leurs réserves à l’égard du premier magistrat vénézuélien, Nicolas Maduro. Les 14 pays membres du groupe dit de « Lima » ont officialisé la démarche le 13 février 2018. Et donc le Pérou, hôte de la conférence a repris de la main gauche le 14 février l’invitation qui avait été envoyée précédemment de la droite. Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua  ont contesté cette décision.

Nicolas Maduro, fort de son bon droit, et s’appuyant sur l’absence de majorité hostile à sa présence, -l’ Organisation des États d’Amérique (OEA) compte 35 membres-, a confirmé qu’en dépit de la déclaration du groupe de Lima[1], et de l’attitude hostile du pays hôte, le Pérou, il avait la ferme intention d’assister au VIIIème sommet des Amériques. Les polémiques croisées en coups de menton se sont entremêlées entre gouvernants péruviens et vénézuéliens. Chacun faisant valoir son bon droit et ses raisons.

Cet imbroglio diplomatique interpelle la raison. Les Sommets dits des Amériques « inventés » par les Etats-Unis en 1994 ont été tantôt boudés, tantôt contestés par tout ou partie des latino-américains. Les « bolivariens » et assimilés, y allaient en trainant les pieds. Cuba en effet en était exclu par principe, par un oukase unilatéral des États-Unis. Mais forts de leur majorité ils ont pesé sur les VIème et VIIème sommets[2], pour obtenir la réintégration de Cuba. Celle-ci a été confortée par la normalisation ultérieure des relations Washington-La Havane. Les conservateurs et libéraux  latino-américains requinqués par leur montée en puissance, et l’accès à la maison Blanche de Donald Trump  renvoient aujourd’hui la balle au reliquat des bolivariens. Et donc proposent l’exclusion du Venezuela.

Les motifs avancés par les conservateurs-libéraux sont fondés sur la violation des règles démocratiques par les autorités vénézuéliennes. Ils méritent d’être pris en considération. Les opposants vénézuéliens, bien qu’ayant gagné les législatives de décembre 2015, ont été systématiquement empêchés d’exercer le rôle que leur reconnaît la Constitution. Les autorités ont arrêtés et interdits d’élections plusieurs responsables de l’opposition. Une Constituante a été élue selon des critères partiellement corporatistes garantissant  une large majorité au parti gouvernemental. Cette Constituante a dès sa prise de fonction usurpé les compétences qui sont celles de l’Assemblée législative. Les élections législatives ont été avancées sur décision exécutive. Les juges du Tribunal suprême, instance d’équilibre démocratique et de recours, ont été renouvelés de façon unilatérale par l’Exécutif.

Le concert latino-américain reposant sur le respect du droit démocratique, le Venezuela d’évidence s’est placé hors des clous, hors de la Charte de l’OEA et de la déclaration adoptée au sommet de Québec en 2001. Le constat est incontestable. Et pourtant la décision d’exclusion prise par les États participants à la VIIIème conférence, par le Pérou, État invitant, n’est pas recevable, et ce pour plusieurs raisons.

La première et sans doute la plus importante est son caractère partiel et partial. Plusieurs des gouvernements latino-américains donneurs de leçons ont une légitimité démocratique incertaine. Michel Temer, chef d’État brésilien est un moraliste sans pudeur. Il est en effet arrivé au pouvoir en 2016, au prix d’une manipulation constitutionnelle démocratiquement condamnable. Sa présence à Lima pourtant ne pose pas problème. Le président en fonction du Honduras, Juan Orlando Hernandez, a été élu en novembre 2017 grâce au recours à « la main de Dieu » qui avait bien aidé l’Argentine à gagner la coupe du monde de football. Les voix nécessaires à sa victoire ont en effet selon bien des observateurs été poussées vers les urnes de façon subreptice. Le chef de la mission de l’OEA contre la corruption au Honduras a démissionné le 15 février, faute de soutien de la part de son secrétaire général. Les États-Unis, il est vrai, ont mis un terme aux critiques, déclarant que l’élu avait bien mérité sa victoire.

La seconde raison relève du bon sens diplomatique. Depuis plus d’un siècle, la société internationale s’efforce de construire des ponts institutionnalisés entre pays afin de réduire les risques de contentieux et de conflits. SDN, ONU, UA, UE, OSCE, OEA  etc… ont été créées à cet effet. Il est vrai que parallèlement d’autres initiatives diplomatiques avaient pour objectif la construction de réseaux  homogènes, opposables et mobilisables à d’autres posés comme antagonistes. Ce fut le cas de l’OTAN et Pacte de Varsovie pendant la guerre froide. L’OEA a depuis sa fondation en 1948 glissé de l’un à l’autre de ces modèles intergouvernementaux. Le VIIIème Sommet, à Lima, pourrait acter une régression, requalifiant l’organisation en cercle d’amis. L’entre soi idéologique primant alors sur la diplomatie, et le dialogue.

Il n’est pas dit que le projet arrive à terme et que le Venezuela soit de fait exclu de l’OEA, comme il l’est déjà du Mercosur. Pour des raisons arithmétiques. Certes le Pérou a repris sa lettre d’invitation. Certes le Pérou est pays hôte du Sommet. Mais la conférence est multilatérale et suppose un consensus majoritaire. Qui est loin d’être acquis. Il n’est pas dit non plus en cas d’exclusion ou de suspension que le Venezuela soit l’objet d’ingérences militarisées visant à le contraindre rejoindre le groupe libéral-conservateur. Tout simplement parce que la perpétuation d’un bouc-émissaire convient au président des Etats-Unis, comme à ses homologues d’Argentine, du Brésil, du Guatemala, du Pérou, ou du Mexique. Faute d’entente sur le commerce, le traitement des flux migratoires, le dossier des stupéfiants, et en raison d’un recours commode à Nicolas Maduro pour diaboliser les opposants internes progressistes, il est bien utile d’avoir sous la main un grand méchant loup.

 

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[1] Composé par l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, le Guatemala, le Guyana, le Honduras,  le Mexique, le Panama, le Paraguay , le Pérou, et Sainte-Lucie.

[2] A Carthagène (Colombie) en 2012 et à Panama en 2015

« Guerres humanitaires ? Mensonges et intox » – 3 questions à Rony Brauman

Mon, 26/02/2018 - 17:15

Rony Brauman est médecin, ancien président de Médecins sans Frontières (MSF) de 1982 à 1994. Directeur de Recherche à la Fondation MSF et professeur à l’université de Manchester (HCRI), il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Guerres humanitaires ? Mensonges et intox », aux éditions Textuel.

Comment expliquer que la première des guerres humanitaires (Somalie, 1992) est venue considérablement aggraver une situation qui n’était pas si désespérée ?

La situation était très dégradée, le conflit ayant provoqué des déplacements massifs de population, en proie à la famine, que les quelques organisations humanitaires présentes sur le terrain tentaient d’assister. Les images de cette catastrophe ont surgi sur les écrans durant l’été 1992, montrant des scènes de désolation qui, si elles n’étaient pas fabriquées, ne reflétaient pas la situation d’ensemble du pays. De même que n’étaient pas inventées les attaques de convois de vivres ni la violence des groupes armés qui se disputaient l’accès au pouvoir.

Pour autant, contrairement à ce qui était souvent dit, l’assistance n’était pas impossible. C’est ce que démontrait l’action des organismes d’aide à pied d’œuvre dans le pays, et qui réclamaient à cor et à cri une intensification de l’aide alimentaire. Nous estimions[1] qu’il fallait amplifier les apports d’aide alimentaire, quitte à en laisser une partie aux mains des groupes armés ; il fallait les organiser de manière régulière et prévisible de façon à en faire chuter la valeur et donc dépouiller ces vivres de leur intérêt marchand. Nous pensions, et je continue de le croire, qu’il s’agissait de la bonne réponse à l’insécurité et aux attaques de convois.

Mais ce pragmatisme n’avait, semble-t-il, pas droit de cité face au dispositif hésitant des Nations unies : leurs émissaires sur le terrain affirmaient, ignorant les opérations d’aide en cours, que les conditions de sécurité interdisaient le déploiement des aides. De même, les tentatives de négociations menées par le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies n’étaient pas soutenues par la hiérarchie et ont été disqualifiées afin de privilégier l’option sécuritaire. Au lieu d’envoyer de la nourriture rapidement, on a préparé le terrain à un déploiement militaire qui a eu lieu des mois plus tard, décalé par rapport à l’urgence, et qui a été lui-même happé dans le conflit.

Les guerres humanitaires ne sont-elles qu’une formidable affaire de communication ?

La communication en est une dimension primordiale, puisque leur intitulé même est une affaire de communication. Pour la Somalie par exemple, il s’agissait pour le Secrétariat général de l’ONU de promouvoir le projet et de se donner des moyens militaires de gestion de crises internationales. Ceux-ci étaient prévus par la charte, mais avaient jusqu’alors été neutralisés par la guerre froide et ses vétos automatiques. En imposant une vision sursimplificatrice de la crise en Somalie – des enfants affamés condamnés à mort par des miliciens barbares qu’il fallait mettre hors d’état de nuire, Boutros Boutros-Ghali pensait sans doute agir pour le renforcement du multilatéralisme. L’objectif n’était pas honteux, loin de là, mais sa mise en œuvre a considérablement retardé la marche des secours, sans même parler de la catastrophique dérive militariste qui a coûté de nombreuses vies.

Et que dire de notre dernière « guerre humanitaire » en Libye, sinon qu’elle fut le règne du mensonge ? Là encore, le bellicisme se travestissait en sauvetage, mais d’une manière plus caricaturale : je montre dans mon livre la succession de mensonges franco-qataris qui ont conduit à la guerre et qui ne le cèdent en rien à ceux proférés par les Américains pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003. J’ajoute qu’aujourd’hui encore, je suis sidéré par la passivité, voire la docilité, avec laquelle les allégations de massacres ont été relayées, sans vérification, sans recoupement, par une grande partie de la presse et de la classe politique en France. À quand une commission d’enquête parlementaire sur cette guerre, comme l’ont fait les Britanniques ?

Vous dîtes refuser le pacifisme. Comment, dès lors, définir des guerres légitimes ?

Je ne suis pas pacifiste, en effet. Avant tout parce que je crois qu’il est légitime de recourir à la force pour se défendre en cas d’attaque, mais aussi parce je pense qu’il existe des situations qui appellent à l’usage de la violence pour prévenir de violences plus grandes encore. C’est ici que les critères de la « guerre juste » peuvent aider à y voir plus clair.[2] On voit qu’en Somalie, on peut considérer comme satisfaits les trois premiers critères, mais que les deux derniers, les plus importants à mes yeux, ne le sont pas. Rien de sérieux n’a en effet été tenté pour offrir une alternative à l’usage de la force ; et les objectifs de cette intervention armée sont rapidement devenus irréalistes et vagues, allant jusqu’à la « construction étatique » (state building), ce qui était un irrémédiable passeport pour l’échec.

Reste que prévenir ou enrayer un massacre peut demeurer une cause juste et que l’on a vu des situations où des forces extérieures ont joué un rôle positif : au Timor oriental (1999), en Sierra Leone (2002), et dans une moindre mesure, au Kosovo (1999). Dans ces diverses situations, on peut dire que la situation après intervention est préférable à celle d’avant. Bien que très différents, ces trois cas présentent des similarités éclairantes : il y a un gouvernement en place, ou prêt à s’installer, le territoire est exigu, les buts de l’intervention armée extérieure sont limités et précis. À défaut de pouvoir parler de guerres « justes », on peut tout de même les qualifier de « justifiables ». Ce n’est certainement pas le cas pour la Libye : la cause était fabriquée, toute tentative de médiation était immédiatement disqualifiée et les chances de succès étaient d’emblée nulles, si l’on veut bien se rappeler que l’on n’installe pas un État de droit avec des missiles.

[1] Je parle ici notamment du CICR, de World Vision et de MSF, trois organisations aux méthodes sensiblement différentes.

[2] Ils sont au nombre de cinq : une cause juste, une autorité légitime, une réponse proportionnée, la force comme ultime recours et des chances raisonnables de succès.

Hybridation criminelle : quand les organisations criminelles utilisent l’action humanitaire comme stratégie de légitimation

Fri, 23/02/2018 - 12:25

Une organisation criminelle est dite « hybride » lorsqu’elle est en capacité de présenter différents visages[1]. Elle ne se limite pas à ses activités criminelles, et s’investit dans des actions plus légales et légitimes, telles que des activités financières, commerciales, politiques, sociales ou humanitaires. Le Hamas, par exemple, possède une branche politique, une branche sociale et une branche armée qui est qualifiée d’organisation terroriste par l’Union européenne depuis 2001. L’organisation a longtemps bénéficié d’une distinction entre ses différentes branches jusqu’à ce que des liens soient reconnus et que l’organisation dans sa totalité soit inscrite sur la liste des organisations terroristes de l’UE en 2003. Pablo Escobar s’était également servi de cette hybridation, en mêlant le trafic de drogues avec le développement de plans sociaux à Medellín et l’intégration dans la vie politique colombienne[2]. Aujourd’hui, c’est Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et présente au Yémen, qui se sert de la reconstruction d’infrastructures et du soutien à la population pour étendre son influence au-delà de ses activités criminelles[3]. La forme d’hybridation qui nous intéresse ici, est l’association d’activités criminelles avec des activités sociales ou humanitaires. Véritable stratégie de légitimation, il est essentiel de comprendre son fonctionnement et son intérêt si l’on veut lutter contre l’enracinement et la propagation de ces acteurs criminels dans les sociétés.

L’opacité provoquée par cette hybridation rend la définition et la catégorisation de ces acteurs complexes et difficiles. Le Hezbollah, par exemple, est-il un parti politique, une organisation caritative ou une organisation terroriste ? L’Union européenne n’a inscrit que la branche armée du Hezbollah dans sa liste d’organisations terroristes, contrairement aux États-Unis qui considèrent que l’organisation dans son ensemble est terroriste[4].

En s’investissant sur différents plans, tels que la lutte armée, la vie politique, la reconstruction sociale ou des activités commerciales, les acteurs non-étatiques sont en mesure de brouiller les frontières entre leurs activités criminelles et leurs activités plus légitimes, de se positionner en tant qu’acteurs politiques légitimes, et/ou de s’enraciner durablement au cœur des sociétés en créant, ou en conservant, une base sociale. La légitimité populaire apporte pouvoir et soutien aux acteurs qui l’obtiennent : une base sociale permet notamment à un acteur non-étatique (agissant dans la légalité ou non) d’acquérir un poids face aux États et autres acteurs politiques.

L’action sociale-humanitaire devient alors un atout stratégique. Elle permet à une organisation de créer un contact direct et positif avec les populations, utilisant ce que Joseph Nye appelle le soft power. Construire ou réhabiliter des infrastructures culturelles, sportives, sanitaires, ou des infrastructures routières permet d’améliorer sensiblement les conditions de vie des populations. Lorsque l’action est ciblée dans des quartiers, des zones ou des régions habituellement délaissées par les autorités étatiques, elle permet à l’acteur non-étatique de prendre la place de l’État providence et de concurrencer, voire de défier sa légitimité. L’acteur non-étatique qui réussit à tisser un réseau de solidarité et de communication loin du regard de l’État peut aboutir à la création d’une véritable société parallèle, régulée par ses propres lois, comme le font les mafias. En intervenant dans des situations de crises, de guerre, ou de catastrophe naturelle, l’acteur non-étatique peut également gagner la confiance des populations et, par sa seule intervention, mettre en lumière l’absence ou la faiblesse de l’intervention étatique. En 2011, après le tremblement de terre au Japon, ce sont les Yakuza qui ont fourni les premiers secours et acheminé les fournitures nécessaires aux habitants de certaines régions isolées, plusieurs jours avant l’arrivée de l’État[5]. De plus, en infiltrant une société par le moyen de l’action sociale, une organisation criminelle devient plus résistante aux pressions de l’État ou d’autres acteurs internationaux.

L’action humanitaire, pour des acteurs criminels qui aspirent à être reconnus comme des acteurs étatiques, est également un moyen de démontrer leur capacité de gouvernance, à la fois au niveau local et international. En se positionnant comme un acteur responsable, capable de gérer, protéger et gouverner des populations, là où l’État souverain ne le fait plus, l’organisation criminelle plagie les acteurs politiques traditionnels, et se construit une identité légitime. Si Daech gère des écoles, développe les systèmes de transports, ouvre des bureaux de plaintes, et redistribue de la nourriture en Syrie[6], c’est bien pour y acquérir une légitimité qui lui fait défaut. AQPA a même réussi à se positionner comme défenseur des populations, en se retirant de la ville de Mukalla au Yémen, dans le but d’épargner à ses habitants un combat imminent[7]. En se présentant comme des organisations capables de respecter certaines règles du droit international (dont le droit humanitaire), les organisations criminelles revendiquent une place dans la communauté des acteurs des relations internationales, réclamant le droit d’être traité comme tels.

Pour les guérilleros, le changement social n’est pas un moyen, mais une finalité. Che Guevara définissait un guérillero comme un réformateur social, qui, n’ayant pas réussi à atteindre son but de manière légale et pacifique, s’engage sur une voie violente[8]. Or, en utilisant la violence, le guérillero risque de s’aliéner la population qu’il entend soutenir. Il devient donc essentiel pour lui d’allier sa lutte armée avec des actions sociales et humanitaires. En retour, le soutien de la population lui permet de se cacher, de s’informer, et de trouver des ressources (économiques, matérielles et humaines). L’action sociale est également un moyen efficace de propagation idéologique. Pour les acteurs criminels qui ont des visées politiques et une identité idéologique, leur présence au sein de structures éducatives ou culturelles (sportives, artistiques ou religieuses) leur permet de transformer les agents de socialisation en véritable cheval de Troie. Enfin, dans des sociétés où la liberté politique est restreinte, les acteurs criminels, en se présentant comme des acteurs sociaux et culturels souterrains, deviennent un support favorable à l’expression des frustrations et colères ressenties par les populations, ce qui leur permet par la suite de canaliser ces griefs au profit de buts politiques.

Malheureusement, trop peu souvent abordée par les théoriciens des relations internationales, ou reléguée à l’état d’anecdote, l’hybridation des organisations criminelles et terroristes, plus spécifiquement dans le domaine du social et de l’humanitaire, est pourtant un mécanisme essentiel à comprendre et approfondir en vue de développer des stratégies globales de lutte contre le terrorisme et la criminalité. Plus les acteurs non-étatiques se développeront à travers l’hybridation, plus une analyse et une approche pluridisciplinaires et pluridimensionnelles seront indispensables. La dimension sociale d’un conflit ne se limite plus seulement au champ des causes, mais entre dans celui de la stratégie in bello. Il serait dommage de ne pas y prêter attention.

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[1] Voir la définition de Boaz Ganor, The hybrid terrorist organization and incitement”, p. 14, in “The changing form of incitement to terror and violence: the need for a new international response”, Jerusalem Center for Public Affairs, 2011.
[2] Villegas Diana, « Le pouvoir de la mafia colombienne des années 1980 et 1990 », Pouvoirs, janvier 2010, n° 132, pp. 77-90.
[3] Elizabeth Kendall “How can al-Qaeda in the Arabian Peninsula be defeated?”, Washington Post, 3 mai 2016.
[4] Inscrit depuis 1997 sur la liste des Foreign Terrorist Organizations.
[5] Bouthier, Antoine « La reconstruction après le séisme, un enjeu pour la mafia japonaise », Le Monde.fr, 25 mars 2011.
[6] Abis, Sébastien, « La subsistance alimentaire, une arme de Daech », La Croix, 15 avril 2016.
[7] Elizabeth Kendall “How can al-Qaeda in the Arabian Peninsula be defeated?”, Washington Post, 3 mai 2016.
[8] Ernesto Che Guevara, Guerrilla warfare, BN publishing, p.31.

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Cet article est basé sur le mémoire réalisé par Isabelle Kemmel-Noret sur « L’action humanitaire comme stratégie de légitimation : le cas de l’utilisation politique et sociale de l’action humanitaire par les acteurs non-étatiques » (sous la direction d’Olivier Baconnet), dans le cadre de son année d’études à IRIS Sup’ en Management humanitaire (parcours stratégique).

Lutte contre l’argent sale : enjeux et moyens

Fri, 23/02/2018 - 11:37

Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, et Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS, répondent à nos questions à l’occasion de la parution de leur ouvrage « Argent sale. À qui profite le crime ? (Eyrolles) :
– De quelle manière “l’argent sale”, problématique interne aux États est-il devenu un enjeu géopolitique ?
– L’expression “Too big to fail” popularisée à la suite de la crise des subprimes en 2008, est-elle devenue une prime à l’impunité pour les grands établissements financiers en matière “d’argent sale” ?
– Quels sont les moyens déployés en matière de lutte contre les paradis fiscaux par les États et les organisations internationales ?
– Comment les sociétés civiles se sont progressivement saisies de la question de “l’argent sale” afin qu’elle devienne une thématique citoyenne transnationale ?

Oui nous enseignons la shoah normalement, non nos élèves ne sont pas massivement antisémites. Le faire croire est une faute morale et une injustice.

Fri, 23/02/2018 - 10:52

Le lundi 12 février, s’est tenu au Sénat un colloque organisé par l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) sur le thème : « Israël-Palestine : a-t-on le droit de contester la politique israélienne ? » À cette occasion, Nathalie Coste, professeure agrégée d’Histoire-Géographie au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie, nous livre le témoignage suivant. 

J’y ai été invitée par mon ami Pascal Boniface, qui se montre très attentif à ce que des paroles de praticiens de terrain soient entendues. C’est en effet en tant que professeure d’Histoire-Géographie d’un lycée de Mantes-la-Jolie que je suis intervenue, non pas sur la pertinence de contester en classe la politique israélienne, ce qui n’est pas l’objet de l’historien et de l’enseignant, mais pour témoigner de situations pédagogiques qui abordent la question dans le cadre des programmes institutionnels.

Ce matin-là, c’est mon expérience d’enseignante, qui est née et a grandi au Val Fourré, qui y enseigne et assure en même temps des conférences de méthode à l’Institut d’études politiques de Saint-Germain-en-Laye, qui trouvait sa place aux côtés de Rony Brauman et Isabelle Avran, dans une table ronde intitulée : Y a-t-il un mal français ? Autrement posée, la question aurait pu être : la France est-elle particulièrement perméable à l’antisémitisme et autres formes de racisme et quelles en seraient les expressions aujourd’hui ?

Je n’ai pas hésité à m’associer à cette réflexion car, comme de nombreux enseignants d’Histoire, je trouve insupportable la vulgate médiatique qui diffuse l’idée que la Shoah ne serait plus enseignée dans certaines classes, que les « questions sensibles » du programme liées au conflit israélo-arabe puis israélo-palestinien seraient phagocytées par des élèves antisémites face auxquels les professeurs renonceraient. Si je ne prétends parler que de mon humble expérience, et non au nom de tous les enseignants, notamment de collège, je peux cependant attester n’avoir jamais rencontré de difficulté à enseigner la Shoah, et encore moins de professeurs d’Histoire qui auraient accepté d’en rabattre sur leurs ambitions pédagogiques et scientifiques face à ce type de situation.

Je n’ai pas hésité à témoigner que nous sommes nombreux à ne pas reconnaître nos élèves dans la représentation fantasmée des jeunes de banlieue, présentés comme majoritairement et presque essentiellement antisémites dans certains médias, au demeurant peu présents sur les terrains dont ils se prétendent pourtant experts. Celle-ci est à la fois fausse et dangereuse, parce que participant d’une assignation identitaire mortifère sur des adolescents. Ces pratiques peuvent même finir par fabriquer chez certains jeunes des réflexes de mise en conformité avec l’image diffusée, par provocation, incompréhension ou dépit. Finirait-on donc par renforcer ce contre quoi on affirme lutter ?

J’ai ainsi naturellement exposé, depuis ma position et mon expertise, ce que je savais du supposé antisémitisme des jeunes de banlieue, sans angélisme, ni diabolisation, en rappelant seulement quelques faits et constats.

  • Cette affirmation n’est à ma connaissance ni avérée ni établie par des études scientifiques larges et solides, produites par l’Institution ou d’autres experts, et nous sommes plusieurs à nous réjouir que, par prévention, des programmes de lutte contre le racisme et l’antisémitisme aient été développés, comme ceux contre le harcèlement sexiste ou l’homophobie, sans que cela ne soit nécessairement « curatif ».
  • Beaucoup de nos élèves sont musulmans et nombreux sont instruits, à commencer par leur famille, souvent à l’origine d’une spiritualité respectueuse des religions du Livre et il n’est pas rare que, dans nos cours, ces élèves soulignent les passerelles et les proximités entre les trois religions monothéistes.
  • Nos lycéens sont des adolescents qui, comme de très nombreux adolescents, sont angoissés par l’état du monde et candidement épris de paix universelle. C’est souvent ce qui dicte leurs premières réactions face aux conflits contemporains. Peut-être, après tout, comme nous à leur âge ?
  • Beaucoup de nos élèves sont ignorants du conflit israélo-palestinien et manifestent, il est vrai, une curiosité plus aiguisée sur celui-ci que sur d’autres. Nombreux expriment en effet une empathie particulière et perceptible pour les Palestiniens qui agit comme un catalyseur identitaire. Les Palestiniens représentent souvent pour eux la figure de l’opprimé, une image sublimée qui entre en résonance (à tort ou à raison) avec la représentation de leur vécu de la relégation sociale et territoriale. Parce que ce sont des adolescents, il y a une forme de « fusion romantique » avec l’identité palestinienne, nourrie par les chaines arabes et les réseaux sociaux. Le Palestinien est aussi perçu comme celui que le monde arabe à trahi et abandonné. Une forme de « prolétariat géopolitique », en somme. Pour autant, cela ne conduit pas ces jeunes à développer une haine contre les juifs, mais plutôt une colère contre le gouvernement d’un État. Ce conflit est en effet le « mauvais objet » contre lequel une génération unifie sa rancœur, un peu leur « Vietnam ». Signalons de ce point de vue que cette réaction est fréquente chez des lycéens très différents, du jeune musulman du quartier, à l’enfant de la classe moyenne ou supérieure, chrétien ou athée, voire juif, de quartiers plus favorisés. J’ai entendu avec intérêt les mêmes remarques formulées par des étudiants de Sciences Po sur la politique israélienne.
  • Il est également vrai que nos élèves s’interrogent sur la forte présence de l’enseignement de la Shoah dans le parcours scolaire et, surtout, sur l’absence de temps consacré à d’autres génocides : arménien, khmer, rwandais. Ils ont parfois une impression d’un « deux poids deux mesures » sans pour autant délégitimer la place du premier dans les programmes. Ils ne comprennent simplement pas ce silence sur d’autres séquences historiques.
  • La question de l’impunité internationale face à la colonisation croissante des territoires occupés, ou l’absence de solution apportée par la diplomatie sur ce conflit qui dure, soulèvent de nombreuses incompréhensions et éloignent la jeune génération de la confiance dans le droit international. Cela nourrit à la fois une forme de dépit, de nihilisme (rien ne sert à rien) et de fatalisme devant la puissance, et parfois aussi la tentation du « complotisme », dont les ordonnateurs vont bien au-delà des seuls sages de Sion.

Pour toutes ces raisons je n’ai pas hésité à dire ce que nous faisons en classe d’Histoire avec nos élèves qui, pour peu que la relation de confiance soit bien installée avec leur enseignant, hésitent beaucoup moins qu’on pourrait le croire à venir vérifier auprès de nous ce qu’ils entendent de part et d’autre. Au fond d’eux, ils ont l’ambition de maîtriser un savoir afin de pouvoir argumenter face à des contradicteurs de « cage d’escalier » (et ce n’est pas méprisant de ma part, parce qu’il se mène souvent des conversations très engagées sur le monde actuel dans ces cages d’escalier).

Alors nous contextualisons, nous historicisons, avec rigueur et méthode. Nous déconstruisons patiemment les stéréotypes, nous produisons une compréhension politique du conflit, sur le long terme. Nous portons attention à l’usage des notions, nous les définissons, les circonscrivons, nous refusons les approximations et les réductions. Mais nous acceptons aussi d’écouter et de partir des représentations de nos élèves pour mieux les rectifier si nécessaire. Nous organisons des conférences, des rencontres avec des chercheurs, parfois même des acteurs de l’Histoire. Ces rencontres comptent parmi les plus beaux moments de ma vie professionnelle, comme cette chanson de rap écrite et produite par des garçons du quartier, touchés par le témoignage d’Ida Grinspan, ancienne déportée juive à Auschwitz, ou comme ces « merci , on comprend maintenant mieux et on sait qu’il ne faut pas dire n’importe quoi sur le conflit entre Israël et la Palestine », ou encore ces élèves enthousiasmés par la publication conjointe d’une femme rabbin et d’un imam (Delphine Horvilleur et Rachid Benzine). De tout cela, je n’ai vu aucune restitution médiatique, écrite ou filmée.

Certes, il y a incontestablement des actes antisémites intolérables et des paroles antisémites inadmissibles qui prennent appui sur le conflit israélo-palestinien pour espérer se légitimer. Chaque citoyen français doit se mobiliser contre ces violences de toute nature. Pour autant, les faire reposer sur des « ennemis de l’intérieur », jeunes en construction de surcroît, est non seulement injuste mais totalement irresponsable et contribue à creuser un fossé dans lequel d’aucuns veulent faire tomber le vivre ensemble.

Nathalie Coste est professeure agrégée d’Histoire-Géographie au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie, fortement mobilisée pour dénoncer le traitement très souvent réducteur, mal informé, voire mal intentionné, réservé aux banlieues et singulièrement du silence concernant l’intelligence collective qui s’exprime dans de nombreux établissements de quartiers populaires. Elle n’a eu par conséquent aucune réticence à rendre compte de son expérience de praticienne dans la manière dont la Shoah et le conflit israélo-palestinien sont enseignés ainsi que de la façon dont les élèves réagissent et s’approprient ces questions.

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