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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 5 days ago

L’Union européenne : quels défis, quelles opportunités ?

Tue, 27/02/2018 - 15:04

Miguel Angel Moratinos, diplomate et homme politique, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération d’Espagne, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux 10e Entretiens européens d’Enghien organisés par l’IRIS et la Ville d’Enghien-les-Bains, le 10 février 2018 :
– La désaffection des citoyens envers l’Union européenne n’est-elle pas davantage une défiance envers ses institutions ?
– Quel défis les institutions doivent-elles relever pour renouer ce lien ?
– Avec la formation d’une coalition gouvernementale pro-UE en Allemagne, Emmanuel Macron bénéficie-t-il d’un soutien de poids sur les dossiers européens ?

VIIIème sommet des Amériques : querelles vénézuéliennes

Tue, 27/02/2018 - 11:38

Le VIIIème sommet des Amériques, se tient à Lima les 13 et 14 avril 2018. Plus que l’ordre du jour c’est la liste des chefs d’Etat invités qui pose problème. Le Venezuela et son premier magistrat, Nicolas Maduro, ont-ils leur place dans ce forum ? Les ministres des affaires étrangères concernés multiplient déplacements et appels téléphoniques. Les « cherpas » de différents pays participants sont en agitation diplomatique quasi quotidienne.

Rex Tillerson, Secrétaire d’État nord-américain, a visité début février cinq pays de la région. À tous il leur a dit tout le mal que Washington porte à Caracas. Cet ostracisme tardif permet de recomposer une relation avec les alliés de Washington, mise à mal par  les propos inamicaux du président Trump. Mexique et Colombie ont très vite et publiquement signalé leurs réserves à l’égard du premier magistrat vénézuélien, Nicolas Maduro. Les 14 pays membres du groupe dit de « Lima » ont officialisé la démarche le 13 février 2018. Et donc le Pérou, hôte de la conférence a repris de la main gauche le 14 février l’invitation qui avait été envoyée précédemment de la droite. Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua  ont contesté cette décision.

Nicolas Maduro, fort de son bon droit, et s’appuyant sur l’absence de majorité hostile à sa présence, -l’ Organisation des États d’Amérique (OEA) compte 35 membres-, a confirmé qu’en dépit de la déclaration du groupe de Lima[1], et de l’attitude hostile du pays hôte, le Pérou, il avait la ferme intention d’assister au VIIIème sommet des Amériques. Les polémiques croisées en coups de menton se sont entremêlées entre gouvernants péruviens et vénézuéliens. Chacun faisant valoir son bon droit et ses raisons.

Cet imbroglio diplomatique interpelle la raison. Les Sommets dits des Amériques « inventés » par les Etats-Unis en 1994 ont été tantôt boudés, tantôt contestés par tout ou partie des latino-américains. Les « bolivariens » et assimilés, y allaient en trainant les pieds. Cuba en effet en était exclu par principe, par un oukase unilatéral des États-Unis. Mais forts de leur majorité ils ont pesé sur les VIème et VIIème sommets[2], pour obtenir la réintégration de Cuba. Celle-ci a été confortée par la normalisation ultérieure des relations Washington-La Havane. Les conservateurs et libéraux  latino-américains requinqués par leur montée en puissance, et l’accès à la maison Blanche de Donald Trump  renvoient aujourd’hui la balle au reliquat des bolivariens. Et donc proposent l’exclusion du Venezuela.

Les motifs avancés par les conservateurs-libéraux sont fondés sur la violation des règles démocratiques par les autorités vénézuéliennes. Ils méritent d’être pris en considération. Les opposants vénézuéliens, bien qu’ayant gagné les législatives de décembre 2015, ont été systématiquement empêchés d’exercer le rôle que leur reconnaît la Constitution. Les autorités ont arrêtés et interdits d’élections plusieurs responsables de l’opposition. Une Constituante a été élue selon des critères partiellement corporatistes garantissant  une large majorité au parti gouvernemental. Cette Constituante a dès sa prise de fonction usurpé les compétences qui sont celles de l’Assemblée législative. Les élections législatives ont été avancées sur décision exécutive. Les juges du Tribunal suprême, instance d’équilibre démocratique et de recours, ont été renouvelés de façon unilatérale par l’Exécutif.

Le concert latino-américain reposant sur le respect du droit démocratique, le Venezuela d’évidence s’est placé hors des clous, hors de la Charte de l’OEA et de la déclaration adoptée au sommet de Québec en 2001. Le constat est incontestable. Et pourtant la décision d’exclusion prise par les États participants à la VIIIème conférence, par le Pérou, État invitant, n’est pas recevable, et ce pour plusieurs raisons.

La première et sans doute la plus importante est son caractère partiel et partial. Plusieurs des gouvernements latino-américains donneurs de leçons ont une légitimité démocratique incertaine. Michel Temer, chef d’État brésilien est un moraliste sans pudeur. Il est en effet arrivé au pouvoir en 2016, au prix d’une manipulation constitutionnelle démocratiquement condamnable. Sa présence à Lima pourtant ne pose pas problème. Le président en fonction du Honduras, Juan Orlando Hernandez, a été élu en novembre 2017 grâce au recours à « la main de Dieu » qui avait bien aidé l’Argentine à gagner la coupe du monde de football. Les voix nécessaires à sa victoire ont en effet selon bien des observateurs été poussées vers les urnes de façon subreptice. Le chef de la mission de l’OEA contre la corruption au Honduras a démissionné le 15 février, faute de soutien de la part de son secrétaire général. Les États-Unis, il est vrai, ont mis un terme aux critiques, déclarant que l’élu avait bien mérité sa victoire.

La seconde raison relève du bon sens diplomatique. Depuis plus d’un siècle, la société internationale s’efforce de construire des ponts institutionnalisés entre pays afin de réduire les risques de contentieux et de conflits. SDN, ONU, UA, UE, OSCE, OEA  etc… ont été créées à cet effet. Il est vrai que parallèlement d’autres initiatives diplomatiques avaient pour objectif la construction de réseaux  homogènes, opposables et mobilisables à d’autres posés comme antagonistes. Ce fut le cas de l’OTAN et Pacte de Varsovie pendant la guerre froide. L’OEA a depuis sa fondation en 1948 glissé de l’un à l’autre de ces modèles intergouvernementaux. Le VIIIème Sommet, à Lima, pourrait acter une régression, requalifiant l’organisation en cercle d’amis. L’entre soi idéologique primant alors sur la diplomatie, et le dialogue.

Il n’est pas dit que le projet arrive à terme et que le Venezuela soit de fait exclu de l’OEA, comme il l’est déjà du Mercosur. Pour des raisons arithmétiques. Certes le Pérou a repris sa lettre d’invitation. Certes le Pérou est pays hôte du Sommet. Mais la conférence est multilatérale et suppose un consensus majoritaire. Qui est loin d’être acquis. Il n’est pas dit non plus en cas d’exclusion ou de suspension que le Venezuela soit l’objet d’ingérences militarisées visant à le contraindre rejoindre le groupe libéral-conservateur. Tout simplement parce que la perpétuation d’un bouc-émissaire convient au président des Etats-Unis, comme à ses homologues d’Argentine, du Brésil, du Guatemala, du Pérou, ou du Mexique. Faute d’entente sur le commerce, le traitement des flux migratoires, le dossier des stupéfiants, et en raison d’un recours commode à Nicolas Maduro pour diaboliser les opposants internes progressistes, il est bien utile d’avoir sous la main un grand méchant loup.

 

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[1] Composé par l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, le Guatemala, le Guyana, le Honduras,  le Mexique, le Panama, le Paraguay , le Pérou, et Sainte-Lucie.

[2] A Carthagène (Colombie) en 2012 et à Panama en 2015

« Guerres humanitaires ? Mensonges et intox » – 3 questions à Rony Brauman

Mon, 26/02/2018 - 17:15

Rony Brauman est médecin, ancien président de Médecins sans Frontières (MSF) de 1982 à 1994. Directeur de Recherche à la Fondation MSF et professeur à l’université de Manchester (HCRI), il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Guerres humanitaires ? Mensonges et intox », aux éditions Textuel.

Comment expliquer que la première des guerres humanitaires (Somalie, 1992) est venue considérablement aggraver une situation qui n’était pas si désespérée ?

La situation était très dégradée, le conflit ayant provoqué des déplacements massifs de population, en proie à la famine, que les quelques organisations humanitaires présentes sur le terrain tentaient d’assister. Les images de cette catastrophe ont surgi sur les écrans durant l’été 1992, montrant des scènes de désolation qui, si elles n’étaient pas fabriquées, ne reflétaient pas la situation d’ensemble du pays. De même que n’étaient pas inventées les attaques de convois de vivres ni la violence des groupes armés qui se disputaient l’accès au pouvoir.

Pour autant, contrairement à ce qui était souvent dit, l’assistance n’était pas impossible. C’est ce que démontrait l’action des organismes d’aide à pied d’œuvre dans le pays, et qui réclamaient à cor et à cri une intensification de l’aide alimentaire. Nous estimions[1] qu’il fallait amplifier les apports d’aide alimentaire, quitte à en laisser une partie aux mains des groupes armés ; il fallait les organiser de manière régulière et prévisible de façon à en faire chuter la valeur et donc dépouiller ces vivres de leur intérêt marchand. Nous pensions, et je continue de le croire, qu’il s’agissait de la bonne réponse à l’insécurité et aux attaques de convois.

Mais ce pragmatisme n’avait, semble-t-il, pas droit de cité face au dispositif hésitant des Nations unies : leurs émissaires sur le terrain affirmaient, ignorant les opérations d’aide en cours, que les conditions de sécurité interdisaient le déploiement des aides. De même, les tentatives de négociations menées par le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies n’étaient pas soutenues par la hiérarchie et ont été disqualifiées afin de privilégier l’option sécuritaire. Au lieu d’envoyer de la nourriture rapidement, on a préparé le terrain à un déploiement militaire qui a eu lieu des mois plus tard, décalé par rapport à l’urgence, et qui a été lui-même happé dans le conflit.

Les guerres humanitaires ne sont-elles qu’une formidable affaire de communication ?

La communication en est une dimension primordiale, puisque leur intitulé même est une affaire de communication. Pour la Somalie par exemple, il s’agissait pour le Secrétariat général de l’ONU de promouvoir le projet et de se donner des moyens militaires de gestion de crises internationales. Ceux-ci étaient prévus par la charte, mais avaient jusqu’alors été neutralisés par la guerre froide et ses vétos automatiques. En imposant une vision sursimplificatrice de la crise en Somalie – des enfants affamés condamnés à mort par des miliciens barbares qu’il fallait mettre hors d’état de nuire, Boutros Boutros-Ghali pensait sans doute agir pour le renforcement du multilatéralisme. L’objectif n’était pas honteux, loin de là, mais sa mise en œuvre a considérablement retardé la marche des secours, sans même parler de la catastrophique dérive militariste qui a coûté de nombreuses vies.

Et que dire de notre dernière « guerre humanitaire » en Libye, sinon qu’elle fut le règne du mensonge ? Là encore, le bellicisme se travestissait en sauvetage, mais d’une manière plus caricaturale : je montre dans mon livre la succession de mensonges franco-qataris qui ont conduit à la guerre et qui ne le cèdent en rien à ceux proférés par les Américains pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003. J’ajoute qu’aujourd’hui encore, je suis sidéré par la passivité, voire la docilité, avec laquelle les allégations de massacres ont été relayées, sans vérification, sans recoupement, par une grande partie de la presse et de la classe politique en France. À quand une commission d’enquête parlementaire sur cette guerre, comme l’ont fait les Britanniques ?

Vous dîtes refuser le pacifisme. Comment, dès lors, définir des guerres légitimes ?

Je ne suis pas pacifiste, en effet. Avant tout parce que je crois qu’il est légitime de recourir à la force pour se défendre en cas d’attaque, mais aussi parce je pense qu’il existe des situations qui appellent à l’usage de la violence pour prévenir de violences plus grandes encore. C’est ici que les critères de la « guerre juste » peuvent aider à y voir plus clair.[2] On voit qu’en Somalie, on peut considérer comme satisfaits les trois premiers critères, mais que les deux derniers, les plus importants à mes yeux, ne le sont pas. Rien de sérieux n’a en effet été tenté pour offrir une alternative à l’usage de la force ; et les objectifs de cette intervention armée sont rapidement devenus irréalistes et vagues, allant jusqu’à la « construction étatique » (state building), ce qui était un irrémédiable passeport pour l’échec.

Reste que prévenir ou enrayer un massacre peut demeurer une cause juste et que l’on a vu des situations où des forces extérieures ont joué un rôle positif : au Timor oriental (1999), en Sierra Leone (2002), et dans une moindre mesure, au Kosovo (1999). Dans ces diverses situations, on peut dire que la situation après intervention est préférable à celle d’avant. Bien que très différents, ces trois cas présentent des similarités éclairantes : il y a un gouvernement en place, ou prêt à s’installer, le territoire est exigu, les buts de l’intervention armée extérieure sont limités et précis. À défaut de pouvoir parler de guerres « justes », on peut tout de même les qualifier de « justifiables ». Ce n’est certainement pas le cas pour la Libye : la cause était fabriquée, toute tentative de médiation était immédiatement disqualifiée et les chances de succès étaient d’emblée nulles, si l’on veut bien se rappeler que l’on n’installe pas un État de droit avec des missiles.

[1] Je parle ici notamment du CICR, de World Vision et de MSF, trois organisations aux méthodes sensiblement différentes.

[2] Ils sont au nombre de cinq : une cause juste, une autorité légitime, une réponse proportionnée, la force comme ultime recours et des chances raisonnables de succès.

Hybridation criminelle : quand les organisations criminelles utilisent l’action humanitaire comme stratégie de légitimation

Fri, 23/02/2018 - 12:25

Une organisation criminelle est dite « hybride » lorsqu’elle est en capacité de présenter différents visages[1]. Elle ne se limite pas à ses activités criminelles, et s’investit dans des actions plus légales et légitimes, telles que des activités financières, commerciales, politiques, sociales ou humanitaires. Le Hamas, par exemple, possède une branche politique, une branche sociale et une branche armée qui est qualifiée d’organisation terroriste par l’Union européenne depuis 2001. L’organisation a longtemps bénéficié d’une distinction entre ses différentes branches jusqu’à ce que des liens soient reconnus et que l’organisation dans sa totalité soit inscrite sur la liste des organisations terroristes de l’UE en 2003. Pablo Escobar s’était également servi de cette hybridation, en mêlant le trafic de drogues avec le développement de plans sociaux à Medellín et l’intégration dans la vie politique colombienne[2]. Aujourd’hui, c’est Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et présente au Yémen, qui se sert de la reconstruction d’infrastructures et du soutien à la population pour étendre son influence au-delà de ses activités criminelles[3]. La forme d’hybridation qui nous intéresse ici, est l’association d’activités criminelles avec des activités sociales ou humanitaires. Véritable stratégie de légitimation, il est essentiel de comprendre son fonctionnement et son intérêt si l’on veut lutter contre l’enracinement et la propagation de ces acteurs criminels dans les sociétés.

L’opacité provoquée par cette hybridation rend la définition et la catégorisation de ces acteurs complexes et difficiles. Le Hezbollah, par exemple, est-il un parti politique, une organisation caritative ou une organisation terroriste ? L’Union européenne n’a inscrit que la branche armée du Hezbollah dans sa liste d’organisations terroristes, contrairement aux États-Unis qui considèrent que l’organisation dans son ensemble est terroriste[4].

En s’investissant sur différents plans, tels que la lutte armée, la vie politique, la reconstruction sociale ou des activités commerciales, les acteurs non-étatiques sont en mesure de brouiller les frontières entre leurs activités criminelles et leurs activités plus légitimes, de se positionner en tant qu’acteurs politiques légitimes, et/ou de s’enraciner durablement au cœur des sociétés en créant, ou en conservant, une base sociale. La légitimité populaire apporte pouvoir et soutien aux acteurs qui l’obtiennent : une base sociale permet notamment à un acteur non-étatique (agissant dans la légalité ou non) d’acquérir un poids face aux États et autres acteurs politiques.

L’action sociale-humanitaire devient alors un atout stratégique. Elle permet à une organisation de créer un contact direct et positif avec les populations, utilisant ce que Joseph Nye appelle le soft power. Construire ou réhabiliter des infrastructures culturelles, sportives, sanitaires, ou des infrastructures routières permet d’améliorer sensiblement les conditions de vie des populations. Lorsque l’action est ciblée dans des quartiers, des zones ou des régions habituellement délaissées par les autorités étatiques, elle permet à l’acteur non-étatique de prendre la place de l’État providence et de concurrencer, voire de défier sa légitimité. L’acteur non-étatique qui réussit à tisser un réseau de solidarité et de communication loin du regard de l’État peut aboutir à la création d’une véritable société parallèle, régulée par ses propres lois, comme le font les mafias. En intervenant dans des situations de crises, de guerre, ou de catastrophe naturelle, l’acteur non-étatique peut également gagner la confiance des populations et, par sa seule intervention, mettre en lumière l’absence ou la faiblesse de l’intervention étatique. En 2011, après le tremblement de terre au Japon, ce sont les Yakuza qui ont fourni les premiers secours et acheminé les fournitures nécessaires aux habitants de certaines régions isolées, plusieurs jours avant l’arrivée de l’État[5]. De plus, en infiltrant une société par le moyen de l’action sociale, une organisation criminelle devient plus résistante aux pressions de l’État ou d’autres acteurs internationaux.

L’action humanitaire, pour des acteurs criminels qui aspirent à être reconnus comme des acteurs étatiques, est également un moyen de démontrer leur capacité de gouvernance, à la fois au niveau local et international. En se positionnant comme un acteur responsable, capable de gérer, protéger et gouverner des populations, là où l’État souverain ne le fait plus, l’organisation criminelle plagie les acteurs politiques traditionnels, et se construit une identité légitime. Si Daech gère des écoles, développe les systèmes de transports, ouvre des bureaux de plaintes, et redistribue de la nourriture en Syrie[6], c’est bien pour y acquérir une légitimité qui lui fait défaut. AQPA a même réussi à se positionner comme défenseur des populations, en se retirant de la ville de Mukalla au Yémen, dans le but d’épargner à ses habitants un combat imminent[7]. En se présentant comme des organisations capables de respecter certaines règles du droit international (dont le droit humanitaire), les organisations criminelles revendiquent une place dans la communauté des acteurs des relations internationales, réclamant le droit d’être traité comme tels.

Pour les guérilleros, le changement social n’est pas un moyen, mais une finalité. Che Guevara définissait un guérillero comme un réformateur social, qui, n’ayant pas réussi à atteindre son but de manière légale et pacifique, s’engage sur une voie violente[8]. Or, en utilisant la violence, le guérillero risque de s’aliéner la population qu’il entend soutenir. Il devient donc essentiel pour lui d’allier sa lutte armée avec des actions sociales et humanitaires. En retour, le soutien de la population lui permet de se cacher, de s’informer, et de trouver des ressources (économiques, matérielles et humaines). L’action sociale est également un moyen efficace de propagation idéologique. Pour les acteurs criminels qui ont des visées politiques et une identité idéologique, leur présence au sein de structures éducatives ou culturelles (sportives, artistiques ou religieuses) leur permet de transformer les agents de socialisation en véritable cheval de Troie. Enfin, dans des sociétés où la liberté politique est restreinte, les acteurs criminels, en se présentant comme des acteurs sociaux et culturels souterrains, deviennent un support favorable à l’expression des frustrations et colères ressenties par les populations, ce qui leur permet par la suite de canaliser ces griefs au profit de buts politiques.

Malheureusement, trop peu souvent abordée par les théoriciens des relations internationales, ou reléguée à l’état d’anecdote, l’hybridation des organisations criminelles et terroristes, plus spécifiquement dans le domaine du social et de l’humanitaire, est pourtant un mécanisme essentiel à comprendre et approfondir en vue de développer des stratégies globales de lutte contre le terrorisme et la criminalité. Plus les acteurs non-étatiques se développeront à travers l’hybridation, plus une analyse et une approche pluridisciplinaires et pluridimensionnelles seront indispensables. La dimension sociale d’un conflit ne se limite plus seulement au champ des causes, mais entre dans celui de la stratégie in bello. Il serait dommage de ne pas y prêter attention.

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[1] Voir la définition de Boaz Ganor, The hybrid terrorist organization and incitement”, p. 14, in “The changing form of incitement to terror and violence: the need for a new international response”, Jerusalem Center for Public Affairs, 2011.
[2] Villegas Diana, « Le pouvoir de la mafia colombienne des années 1980 et 1990 », Pouvoirs, janvier 2010, n° 132, pp. 77-90.
[3] Elizabeth Kendall “How can al-Qaeda in the Arabian Peninsula be defeated?”, Washington Post, 3 mai 2016.
[4] Inscrit depuis 1997 sur la liste des Foreign Terrorist Organizations.
[5] Bouthier, Antoine « La reconstruction après le séisme, un enjeu pour la mafia japonaise », Le Monde.fr, 25 mars 2011.
[6] Abis, Sébastien, « La subsistance alimentaire, une arme de Daech », La Croix, 15 avril 2016.
[7] Elizabeth Kendall “How can al-Qaeda in the Arabian Peninsula be defeated?”, Washington Post, 3 mai 2016.
[8] Ernesto Che Guevara, Guerrilla warfare, BN publishing, p.31.

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Cet article est basé sur le mémoire réalisé par Isabelle Kemmel-Noret sur « L’action humanitaire comme stratégie de légitimation : le cas de l’utilisation politique et sociale de l’action humanitaire par les acteurs non-étatiques » (sous la direction d’Olivier Baconnet), dans le cadre de son année d’études à IRIS Sup’ en Management humanitaire (parcours stratégique).

Lutte contre l’argent sale : enjeux et moyens

Fri, 23/02/2018 - 11:37

Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, et Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS, répondent à nos questions à l’occasion de la parution de leur ouvrage « Argent sale. À qui profite le crime ? (Eyrolles) :
– De quelle manière “l’argent sale”, problématique interne aux États est-il devenu un enjeu géopolitique ?
– L’expression “Too big to fail” popularisée à la suite de la crise des subprimes en 2008, est-elle devenue une prime à l’impunité pour les grands établissements financiers en matière “d’argent sale” ?
– Quels sont les moyens déployés en matière de lutte contre les paradis fiscaux par les États et les organisations internationales ?
– Comment les sociétés civiles se sont progressivement saisies de la question de “l’argent sale” afin qu’elle devienne une thématique citoyenne transnationale ?

Oui nous enseignons la shoah normalement, non nos élèves ne sont pas massivement antisémites. Le faire croire est une faute morale et une injustice.

Fri, 23/02/2018 - 10:52

Le lundi 12 février, s’est tenu au Sénat un colloque organisé par l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) sur le thème : « Israël-Palestine : a-t-on le droit de contester la politique israélienne ? » À cette occasion, Nathalie Coste, professeure agrégée d’Histoire-Géographie au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie, nous livre le témoignage suivant. 

J’y ai été invitée par mon ami Pascal Boniface, qui se montre très attentif à ce que des paroles de praticiens de terrain soient entendues. C’est en effet en tant que professeure d’Histoire-Géographie d’un lycée de Mantes-la-Jolie que je suis intervenue, non pas sur la pertinence de contester en classe la politique israélienne, ce qui n’est pas l’objet de l’historien et de l’enseignant, mais pour témoigner de situations pédagogiques qui abordent la question dans le cadre des programmes institutionnels.

Ce matin-là, c’est mon expérience d’enseignante, qui est née et a grandi au Val Fourré, qui y enseigne et assure en même temps des conférences de méthode à l’Institut d’études politiques de Saint-Germain-en-Laye, qui trouvait sa place aux côtés de Rony Brauman et Isabelle Avran, dans une table ronde intitulée : Y a-t-il un mal français ? Autrement posée, la question aurait pu être : la France est-elle particulièrement perméable à l’antisémitisme et autres formes de racisme et quelles en seraient les expressions aujourd’hui ?

Je n’ai pas hésité à m’associer à cette réflexion car, comme de nombreux enseignants d’Histoire, je trouve insupportable la vulgate médiatique qui diffuse l’idée que la Shoah ne serait plus enseignée dans certaines classes, que les « questions sensibles » du programme liées au conflit israélo-arabe puis israélo-palestinien seraient phagocytées par des élèves antisémites face auxquels les professeurs renonceraient. Si je ne prétends parler que de mon humble expérience, et non au nom de tous les enseignants, notamment de collège, je peux cependant attester n’avoir jamais rencontré de difficulté à enseigner la Shoah, et encore moins de professeurs d’Histoire qui auraient accepté d’en rabattre sur leurs ambitions pédagogiques et scientifiques face à ce type de situation.

Je n’ai pas hésité à témoigner que nous sommes nombreux à ne pas reconnaître nos élèves dans la représentation fantasmée des jeunes de banlieue, présentés comme majoritairement et presque essentiellement antisémites dans certains médias, au demeurant peu présents sur les terrains dont ils se prétendent pourtant experts. Celle-ci est à la fois fausse et dangereuse, parce que participant d’une assignation identitaire mortifère sur des adolescents. Ces pratiques peuvent même finir par fabriquer chez certains jeunes des réflexes de mise en conformité avec l’image diffusée, par provocation, incompréhension ou dépit. Finirait-on donc par renforcer ce contre quoi on affirme lutter ?

J’ai ainsi naturellement exposé, depuis ma position et mon expertise, ce que je savais du supposé antisémitisme des jeunes de banlieue, sans angélisme, ni diabolisation, en rappelant seulement quelques faits et constats.

  • Cette affirmation n’est à ma connaissance ni avérée ni établie par des études scientifiques larges et solides, produites par l’Institution ou d’autres experts, et nous sommes plusieurs à nous réjouir que, par prévention, des programmes de lutte contre le racisme et l’antisémitisme aient été développés, comme ceux contre le harcèlement sexiste ou l’homophobie, sans que cela ne soit nécessairement « curatif ».
  • Beaucoup de nos élèves sont musulmans et nombreux sont instruits, à commencer par leur famille, souvent à l’origine d’une spiritualité respectueuse des religions du Livre et il n’est pas rare que, dans nos cours, ces élèves soulignent les passerelles et les proximités entre les trois religions monothéistes.
  • Nos lycéens sont des adolescents qui, comme de très nombreux adolescents, sont angoissés par l’état du monde et candidement épris de paix universelle. C’est souvent ce qui dicte leurs premières réactions face aux conflits contemporains. Peut-être, après tout, comme nous à leur âge ?
  • Beaucoup de nos élèves sont ignorants du conflit israélo-palestinien et manifestent, il est vrai, une curiosité plus aiguisée sur celui-ci que sur d’autres. Nombreux expriment en effet une empathie particulière et perceptible pour les Palestiniens qui agit comme un catalyseur identitaire. Les Palestiniens représentent souvent pour eux la figure de l’opprimé, une image sublimée qui entre en résonance (à tort ou à raison) avec la représentation de leur vécu de la relégation sociale et territoriale. Parce que ce sont des adolescents, il y a une forme de « fusion romantique » avec l’identité palestinienne, nourrie par les chaines arabes et les réseaux sociaux. Le Palestinien est aussi perçu comme celui que le monde arabe à trahi et abandonné. Une forme de « prolétariat géopolitique », en somme. Pour autant, cela ne conduit pas ces jeunes à développer une haine contre les juifs, mais plutôt une colère contre le gouvernement d’un État. Ce conflit est en effet le « mauvais objet » contre lequel une génération unifie sa rancœur, un peu leur « Vietnam ». Signalons de ce point de vue que cette réaction est fréquente chez des lycéens très différents, du jeune musulman du quartier, à l’enfant de la classe moyenne ou supérieure, chrétien ou athée, voire juif, de quartiers plus favorisés. J’ai entendu avec intérêt les mêmes remarques formulées par des étudiants de Sciences Po sur la politique israélienne.
  • Il est également vrai que nos élèves s’interrogent sur la forte présence de l’enseignement de la Shoah dans le parcours scolaire et, surtout, sur l’absence de temps consacré à d’autres génocides : arménien, khmer, rwandais. Ils ont parfois une impression d’un « deux poids deux mesures » sans pour autant délégitimer la place du premier dans les programmes. Ils ne comprennent simplement pas ce silence sur d’autres séquences historiques.
  • La question de l’impunité internationale face à la colonisation croissante des territoires occupés, ou l’absence de solution apportée par la diplomatie sur ce conflit qui dure, soulèvent de nombreuses incompréhensions et éloignent la jeune génération de la confiance dans le droit international. Cela nourrit à la fois une forme de dépit, de nihilisme (rien ne sert à rien) et de fatalisme devant la puissance, et parfois aussi la tentation du « complotisme », dont les ordonnateurs vont bien au-delà des seuls sages de Sion.

Pour toutes ces raisons je n’ai pas hésité à dire ce que nous faisons en classe d’Histoire avec nos élèves qui, pour peu que la relation de confiance soit bien installée avec leur enseignant, hésitent beaucoup moins qu’on pourrait le croire à venir vérifier auprès de nous ce qu’ils entendent de part et d’autre. Au fond d’eux, ils ont l’ambition de maîtriser un savoir afin de pouvoir argumenter face à des contradicteurs de « cage d’escalier » (et ce n’est pas méprisant de ma part, parce qu’il se mène souvent des conversations très engagées sur le monde actuel dans ces cages d’escalier).

Alors nous contextualisons, nous historicisons, avec rigueur et méthode. Nous déconstruisons patiemment les stéréotypes, nous produisons une compréhension politique du conflit, sur le long terme. Nous portons attention à l’usage des notions, nous les définissons, les circonscrivons, nous refusons les approximations et les réductions. Mais nous acceptons aussi d’écouter et de partir des représentations de nos élèves pour mieux les rectifier si nécessaire. Nous organisons des conférences, des rencontres avec des chercheurs, parfois même des acteurs de l’Histoire. Ces rencontres comptent parmi les plus beaux moments de ma vie professionnelle, comme cette chanson de rap écrite et produite par des garçons du quartier, touchés par le témoignage d’Ida Grinspan, ancienne déportée juive à Auschwitz, ou comme ces « merci , on comprend maintenant mieux et on sait qu’il ne faut pas dire n’importe quoi sur le conflit entre Israël et la Palestine », ou encore ces élèves enthousiasmés par la publication conjointe d’une femme rabbin et d’un imam (Delphine Horvilleur et Rachid Benzine). De tout cela, je n’ai vu aucune restitution médiatique, écrite ou filmée.

Certes, il y a incontestablement des actes antisémites intolérables et des paroles antisémites inadmissibles qui prennent appui sur le conflit israélo-palestinien pour espérer se légitimer. Chaque citoyen français doit se mobiliser contre ces violences de toute nature. Pour autant, les faire reposer sur des « ennemis de l’intérieur », jeunes en construction de surcroît, est non seulement injuste mais totalement irresponsable et contribue à creuser un fossé dans lequel d’aucuns veulent faire tomber le vivre ensemble.

Nathalie Coste est professeure agrégée d’Histoire-Géographie au lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie, fortement mobilisée pour dénoncer le traitement très souvent réducteur, mal informé, voire mal intentionné, réservé aux banlieues et singulièrement du silence concernant l’intelligence collective qui s’exprime dans de nombreux établissements de quartiers populaires. Elle n’a eu par conséquent aucune réticence à rendre compte de son expérience de praticienne dans la manière dont la Shoah et le conflit israélo-palestinien sont enseignés ainsi que de la façon dont les élèves réagissent et s’approprient ces questions.

Heisbourg, Encel : la délation comme un art

Wed, 14/02/2018 - 10:46

On emploie des méthodes indignes quand on est à court d’arguments.

À la rentrée, la revue Foreign Affairs prit contact avec l’IRIS, par l’intermédiaire de l’auteur franco-américain Romuald Sciora, afin d’organiser début 2018 une conférence commune sur les relations franco-américaines à l’ère de Donald Trump. Cette revue est certainement la plus influente des revues trimestrielles en matière de relations internationales aux États-Unis et, au regard de la suprématie américaine dans le domaine du débat international sur les questions stratégiques, également dans le monde. Elle émane du Council on Foreign Relations, créé juste après la Première Guerre mondiale aux États-Unis par des opposants à la politique isolationniste qui avait conduit Washington à ne pas adhérer à la Société des Nations. Foreign Affairs, c’est le moins que l’on puisse dire, n’adhère pas à la ligne de D. Trump et souhaite une politique américaine plus engagée auprès de ses alliés. Elle effectue une tournée européenne, en coorganisant quatre conférences à Berlin, Londres, Bruxelles et Paris.

L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), que je dirige, était ravi d’être contacté pour être leur partenaire français. Nous sommes, de manière générale, toujours prêts à débattre et un partenariat de ce type est intéressant. Tout se mettait en place de façon harmonieuse.

Trois semaines avant l’événement, fixé au 6 février, nous avons eu une petite alerte. Le responsable de Foreign Affairs avait été contacté par François Heisbourg au sujet du caractère « problématique » d’une collaboration avec nous. Bien sûr, ce dernier l’avait fait dans notre dos, les mettant en garde sur le caractère sulfureux de l’IRIS et de son directeur, en envoyant des liens avec les différentes attaques menées par Manuel Valls contre nous. F. Heisbourg est assez connu aux États-Unis. Il est l’un des Français qui constituent pour eux un bon relais d’opinion ; sa voix peut donc compter.

Alors qu’il n’a pour sa part jamais été en contact avec Foreign Affairs, F. Encel, sans doute informé par F. Heisbourg, n’a pas souhaité être en reste : “ (…) many professors and reserchers in France are agree with my friend François Heisbourg about M. Boniface ”, a-t-il envoyé de son côté.

Il y a donc ajouté son grain de sel. Pour lui, la dénonciation cachée semble être une seconde nature ou un besoin compulsif puisqu’il a déjà eu plusieurs fois recours à cette méthode contre moi, et même contre mon fils.[1] Heureusement, Foreign Affairs, après avoir pris connaissance de la réalité des choses, n’a pas tenu compte de ces dénonciations calomnieuses et un passionnant débat a eu lieu comme prévu.

Au sein d’un monde normal, ceux qui se veulent influents dans le domaine intellectuel, qui se prétendent experts et universitaires, et qui ont recours à ce type de méthode devraient être condamnés par leurs pairs autant que par médias. La dénonciation masquée est indigne et devrait disqualifier ceux qui y ont recours. J’imagine qu’il n’en sera rien et qu’ils pourront continuer à délivrer de façon sentencieuse leur expertise. Il est vrai qu’ils avaient déjà soutenu la guerre d’Irak, même s’ils prétendent aujourd’hui le contraire, et prônaient des solutions militaires pour contrer le nucléaire iranien, sans que cela vienne nuire à leur exposition médiatique. Les néoconservateurs à la française ont la vie dure.

Mais leurs méthodes en ce cas sont franchement pitoyables. F. Heisbourg a une approche bien personnelle pour régler les problèmes de concurrence. Quant à F. Encel, il poursuit toujours insidieusement le travail de sape entamé contre moi il y a dix-sept ans. Je n’aurais pas aimé être leur voisin durant l’occupation.

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, vient de publier Antisémite (Max Milo), et 50 idées reçues sur l’état du monde (Armand Colin).

[1] Cf. BONIFACE (Pascal), les pompiers pyromanes, Pocket, 2016 et Antisémite, Max Milo, 2018.

Cet article est également disponible sur Mediapart Le Club et mon blog.

La rénovation de la politique française de développement, des orientations, des interrogations et des lacunes

Tue, 13/02/2018 - 17:52

Le premier Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du quinquennat d’Emanuel Macron s’est tenu le 8 février sous la présidence d’Édouard Philippe. L’objectif de ce Comité est, pour le gouvernement, de donner un cadre stratégique et opérationnel aux premières annonces faites par le chef de l’État relatives à la solidarité internationale.

Un inventaire

Dans cet exercice, on trouve de bonnes choses. La qualité de la concertation en amont du CICID en est une. Les acteurs non-étatiques ont été consultés et quelques recommandations des ONG ont été prises en considération, mais plutôt à la marge.

De nombreux rapports récents plaident pour une aide française « plus qualitative, catalytique et durable dans ses effets », portée par de nouvelles « coalitions d’acteurs » (État, secteur privé, collectivités locales, associations, fondations). Ces idées semblent avoir inspiré certaines conclusions du CICID. Les Objectifs du développement durable et la feuille de route de l’Agenda 2030, adoptées en 2015 par les Nations unies, sont cités à plusieurs reprises comme référentiels. Parmi les priorités sectorielles, l’éducation et la jeunesse arrivent en premier, juste avant le climat, la parité femme-homme et la santé. On trouve aussi de bonnes réflexions sur le « développement rural inclusif », le renforcement des capacités fiscales, la justice, les statistiques, les médias. La « focale Sahel » est particulièrement ajustée. Des engagements chiffrés sont pris pour certaines interventions : sur l’action humanitaire d’urgence (500 millions en 2022 au lieu de 220 actuellement), sur le Partenariat mondial pour l’éducation (200 millions sur 3 ans), sur l’adaptation au changement climatique (1,5 milliard d’ici 2020), sur les projets en faveur de la biodiversité (au-delà de 300 millions par an), sur le Fonds mondial de lutte contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, sur l’Alliance pour le vaccin (GAVI), etc. L’Afrique restera, comme dans les documents des gouvernements précédents, le centre de concentration des moyens alloués en dons, avec 18 pays parmi les 19 présentés comme prioritaires (le 19e étant Haïti). Le détail de ce rééquilibrage n’est cependant pas indiqué. Actuellement l’aide française ne bénéficie que pour 25 % aux pays les moins avancés. Faire plus de bilatéral est aussi une exigence récurrente, qui n’empêche pas le CICID de décliner les obligations de la France envers le système de Nations Unies et envers l’Europe. La clé de répartition bi/multi n’est toujours pas clairement formulée en dépit du doute fréquemment formulé sur l’efficacité de certaines agences qui reçoivent des contributions françaises.

Un scepticisme non levé

Ce fut un rude combat entre Bercy et le Quai d’Orsay, une trajectoire de hausse du montant de l’aide publique au développement, pour atteindre l’engagement réitéré depuis six mois par Emmanuel Macron de parvenir à un effort global de 0,55 % du revenu national au terme de son mandat (contre 0,38 % actuellement), est donnée, avec une hausse annuelle moyenne qui devrait être de l’ordre de 1,2 milliard par an. La condition est que la trajectoire soit bel et bien inscrite dans une programmation budgétaire.

La circonspection est de mise ; elle porte précisément sur cette trajectoire très volontariste, que les Britanniques et les Allemands ont suivie scrupuleusement ces dernières années pour figurer aujourd’hui parmi les pays vertueux de l’OCDE. On ne la retrouve pas en France traduite dans la loi de finances 2018, loin de là, puisque l’augmentation de l’APD budgétée n’est de l’ordre que de 100 millions. Tant de promesses, déçues depuis trois décennies, d’atteindre le fameux 0,7 % ont fait naître le scepticisme.

En outre, derrière l’exhaustivité apparente du texte et le détail de certaines mesures, des interrogations persistent.

Des interrogations

D’abord sur le pilotage stratégique du dispositif de la coopération internationale française dont le gouvernement proclame la rénovation. Pour la première fois depuis le début de la 5e République, il n’y a pas de ministre parfaitement identifié comme étant en charge du développement et de la solidarité, une charge qui, on en conviendra aisément en lisant le relevé des conclusions du CICID, réclame un temps plein. L’Agence française de développement joue de fait tous les rôles, de la définition des stratégies à la mise en œuvre, de la recherche à l’évaluation des actions, et intègre à l’occasion Expertise France, une des rares innovations récentes de l’organisation, chargée de mobiliser l’expertise française à l’international. Plusieurs parlementaires de la majorité réclament la création d’un ministère de plein exercice, doté d’un poids politique important dans l’appareil institutionnel français (le député LRM Hubert Julien-Laferrière s’est engagé sur ce point dans son rapport d’octobre 2017).

Ensuite, on ne retrouve pas la volonté exprimée par le chef de l’État lors de son voyage en Afrique, à l’Université de Ouagadougou le 28 novembre dernier précisément, d’avoir une coopération plus efficace et pour cela étant davantage en proximité avec les bénéficiaires finaux. Les acteurs de la société civile, les ONG, les collectivités locales ont seulement droit à deux courts paragraphes sur une centaine que compte le relevé, avec la promesse de doubler les moyens budgétaires qui leur sont alloués (comme le fit F. Hollande, mais avec un médiocre résultat), ce qui est ridicule tant le niveau de départ (3 % de l’aide française en 2017) est bas, comparé à la moyenne de l’OCDE (17 %). Cette faiblesse des financements français est la marque du manque d’intérêt et de reconnaissance de la France pour ses ONG qui, par conséquent, ne jouent pas avec les mêmes atouts de départ que leurs alter ego dans d’autres pays (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Belgique, Allemagne…).

Le jacobinisme technocratique reste bien ancré en France au détriment d’une coopération proche du terrain et en écoute des préoccupations des acteurs du Sud. Les bonnes idées qui avaient présidé à l’adoption de la Loi d’orientation de juillet 2014 (dite Loi Canfin) et qui constituaient une véritable avancée démocratique pour la politique de développement de la France sont oubliées. Le gouvernement recentre.

Pour une vraie rénovation

L’on retrouve là le défaut majeur, endémique, de l’aide française : pas une ligne sur les modalités de partenariat avec les bénéficiaires, pas de cadre de concertation paritaire (de type commission mixte), pas de raccordement aux réseaux locaux, pas de relais dans les associations impliquées dans la défense des droits, pas de moyens renforcés sur le terrain auprès des ambassades pour établir avec elles un dialogue indispensable, identifier les vrais « porteurs de changement » et favoriser la responsabilisation des bénéficiaires, seul gage de la pérennité des actions. La France a encore du chemin à faire pour comprendre que l’aide ne peut pas avoir un effet positif tant qu’elle est accordée en fonction de programmes déterminés par des « planificateurs professionnels » extérieurs aux réalités locales, installés dans un tour d’ivoire, oubliant le sens du mot « co-opération » et dans l’incapacité de prendre en compte toutes les complexités pratiques auxquelles les acteurs de terrain sont confrontés.

La vraie rénovation de l’aide française consistera à reconnaître avant toute chose que la logique d’intervention en cette matière est devenue celle de la symétrie horizontale, du cadre partagé d’analyse et d’actions, de la co-construction et de la co-évaluation, de l’appui aux dynamiques de proximité entre acteurs – associatifs, décentralisés, publics et privés –, des liens de territoire à territoire, et enfin des garanties de transparence et de redevabilité.

Une loi de programmation militaire 2019-2025 aux objectifs contradictoires

Mon, 12/02/2018 - 12:44

Le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a été adopté en conseil des ministres le 8 février, définissant ainsi le périmètre stratégique des armées pour les sept années à venir, les équipements nécessaires à sa réalisation et les moyens budgétaires qui y seront alloués. Cette nouvelle LPM se veut être la première pierre qui bâtira l’édifice « d’un modèle d’armée complet et équilibré » à l’horizon 2030, tel que préconisé dans la revue stratégique publiée, en octobre 2017. Toutefois, si l’inflexion budgétaire est notable, il est nécessaire d’analyser le projet de la prochaine LPM à la lumière des ambitions affichées par le président de la République en matière militaire, soit atteindre 2% du PIB affectés à la défense en 2025, mais également d’une autre ambition affichée, celle de restaurer les comptes de l’État et d’accroître la compétitivité économique de l’industrie et des services.

L’inflexion notable du budget de la défense, pour les 7 prochaines années, est-elle soutenable ?

Le président de la République a fixé le cap pour les armées françaises, celui d’une « Ambition 2030 ». Dans un monde en plein réarmement, la France s’exprime clairement en faveur d’un accroissement de son budget de défense qui se traduit dans la nouvelle LPM 2019-2025. Cela n’aura échappé à personne, les attentats qui ont touché le pays depuis 2015, la multiplication des opérations extérieures, ont fini de convaincre François Hollande d’abord, puis Emmanuel Macron depuis son élection, d’enrayer la diminution des effectifs militaires, et de revoir à la hausse un budget qui avait diminué, puis stagné, depuis la chute du mur de Berlin. Cette loi de programmation militaire traduit sans doute une inflexion stratégique majeure que l’on avait pu constater en Asie et que l’on voit depuis deux ans au sein de l’Union européenne : les budgets de défense repartent à la hausse. La lutte contre le terrorisme djihadiste, en France et dans le cadre des opérations extérieures, la crise ukrainienne – même si la Russie ne peut être considérée comme un ennemi -, la croissance forte et continue du budget de la défense de la Chine, la multiplication des cyberattaques et le redémarrage à la hausse du budget de la défense des États-Unis avec la présidence Trump, créent un climat propice à une croissance des dépenses militaires.

Sur le plan comptable, cette LPM prévoit un effort de 197,8 milliards d’euros entre 2019 et 2022, soit une augmentation de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022, et de 3 milliards d’euros à partir de 2023. L’objectif affiché par Emmanuel Macron durant la campagne électorale aux élections présidentielles était d’atteindre des dépenses de défense à hauteur de 2% du PIB à horizon 2025, et c’est bien ce qui a été retenu dans la LPM 2019-2025.

Difficile à l’heure actuelle de dire si cet objectif financier sera tenu dans les délais impartis. L’évolution du contexte macroéconomique dans les années à venir, l’élection présidentielle de 2022, la fluctuation de l’environnement stratégique, incertain et instable, sont autant de facteurs qui pourraient avoir une influence sur le déroulé de la LPM. Tout se passe comme si la première partie de la programmation se traduisait par une progression raisonnable des dépenses militaires, qui s’accentuent dans les dernières années. C’est en effet à partir de cette date que le coût du renouvellement des deux composantes de la dissuasion nécessitera une augmentation sensible des dépenses militaires.

Une première étape, celle de la « régénérescence »

Les premières années de la programmation militaire seront consacrées au renouvellement de matériels militaires usés par le temps. L’effort portera sur les véhicules blindés avec le programme Scorpion, et de manière générale, sur tous les matériels nécessaires à la protection du soldat. Le programme Scorpion était certes prévu de longue date, mais la multiplication des opérations extérieures avait encore accéléré l’usure de matériels vieillissants comme le VAB. Cette régénérescence nécessaire aux « conditions d’exercice du métier des armes » passe également par la mise à disposition de petits équipements indispensables à l’entraînement du soldat, et aux besoins d’outils individuels exigés par le métier (munitions de petits calibres, habillements, gilets pare-balles modernisés, outils technologiques performants, tels que des moyens de communication améliorés). Cette régénérescence se traduit par l’accroissement de la disponibilité des équipements militaires et de nos matériels nécessaires aux opérations. Cela sous-entend la hausse des crédits dédiés au maintien en condition opérationnelle (MCO). Notre armée est aujourd’hui une armée en guerre. Or, notre soutien des matériels était configuré pour une armée en paix : il fallait donc changer la donne.

Dans le domaine aérien, l’entrée en service des ravitailleurs A-330 MRTT permettra de prendre le relai des KC-135 qui avaient été acquis dans les années 60 pour ravitailler les Mirage IV, porteurs de notre première arme atomique. Dans toutes les opérations extérieures récentes, nous étions dépendants des capacités américaines dans ce domaine, ce qui n’était pas souhaitable en termes d’autonomie stratégique. L’avion de transport A 400 M vient, quant à lui, remplacer les Transall qui étaient entrés en service dans les années 60.

La quête sans fin du modèle d’armée complet

Mais les défis futurs s’annoncent déjà, et le comblement des lacunes capacitaires d’aujourd’hui ne fait que mettre en lumière les lacunes capacitaires qui s’annoncent pour demain. La rénovation des avions de patrouille maritime Atlantique 2 sera poursuivie, mais il faudra bien développer un nouveau système, peut-être avec les Allemands, afin de remplacer des avions entrés en service au début des années 80. Il faudra également se doter enfin de drones – en coopération avec les Allemands, les Italiens et les Espagnols -, 20 ans après que les Américains et les Israéliens se soient dotés de ce type de matériel. Il sera également nécessaire d’avancer dans la définition du système de combat aérien futur (SCAF), là aussi en coopération avec les Allemands, et sans doute avec d’autres pays, qui pourront s’agréger ultérieurement à ce projet.

Enfin, il faut préparer et développer les technologies du futur. Depuis plus de quinze ans, le budget de recherche et technologie (R&T) est en baisse. Il sera désormais porté à 1 milliard d’euros contre 730 millions d’euros aujourd’hui. Le défi technologique prendra d’ailleurs sans doute une autre forme que par le passé. Les nouvelles technologies, dans lesquelles investissent massivement Américains et Chinois, ont pour nom l’intelligence artificielle, le big data ou l’information quantique, et elles sont développées essentiellement dans le secteur civil.

Protéger l’autonomie stratégique nationale et favoriser l’autonomie stratégique européenne

Le terme est réutilisé à de nombreuses reprises tout au long de la nouvelle LPM. L’autonomie stratégique de l’outil de défense français est une priorité inconditionnelle, et elle éclipserait presque la recherche d’une autonomie stratégique européenne, pourtant elle aussi valorisée dans le projet de la prochaine loi de programmation militaire. L’argument retenu par celle-ci est subtil, la première – nationale – doit être en mesure de conditionner la seconde – européenne -, et ce pour parvenir à ce que la France appelle le développement d’une « culture stratégique commune ».

Cela passe par la réalisation des ambitions politiques en matière de défense européenne à travers la mise en œuvre du Fonds européen de défense, le développement d’une coopération en matière industrielle, et la coopération intensifiée, ou renouvelée, avec des partenaires européens sur des théâtres d’opérations. Par ailleurs, la nouvelle LPM annonce que les programmes d’équipements qui seront lancés entre 2019 et 2025 seront conçus dans une perspective de coopération européenne, hors programmes de souveraineté nationale, et sans parler des programmes européens d’ores et déjà en cours. Il faut ici y voir des opportunités dans le secteur des drones (programme de drone MALE), des avions de patrouille maritime (programme PATMAR Futur), du programme de démineurs SLAMF avec le Royaume-Uni, ou encore des réflexions conduites en commun avec l’Allemagne liées au remplacement du Char Leclerc.

Au final, la question principale porte sur la capacité de la France à maintenir un modèle d’armée complet avec une croissance des dépenses militaires que l’on peut considérer comme raisonnable, tout au moins sur les quatre premières années, au regard de la contrainte économique. Pour le moment, le sentiment est que deux discours sont tenus de concert avec deux objectifs contradictoires : augmenter les dépenses militaires et restaurer les comptes publics. Il n’est pas certain que cette stratégie soit tenable dans le temps, et il faudra peut-être se résoudre, soit à privilégier le premier objectif, mais cela nécessite sans doute une croissance plus forte des dépenses militaires, soit à privilégier le deuxième objectif, auquel cas cela nécessite que le modèle d’armée complet soit élaboré dans un cadre plus large que le cadre national, c’est-à-dire dans le cadre de l’Union européenne avec les 27 autres États membres, ou avec quelques partenaires européens uniquement.

Février 2018, les États-Unis tentent de reprendre la main en Amérique latine

Fri, 09/02/2018 - 18:03

Donald Trump, président des États-Unis, élu le 8 novembre 2016, avait, dès les débuts de sa campagne électorale, montré du doigt un bouc émissaire à ses concitoyens, l’Amérique latine. Criminalité, maladies, trafics en tout genre, commerce des stupéfiants, terrorisme, concurrences commerciales déloyales, le mal était au Sud. Pour faire bonne mesure, les musulmans du monde avaient été associés à cet opprobre électoraliste.

Entré à la Maison-Blanche le 1er janvier 2017, Donald Trump avait confirmé et persévéré. Les déclarations agressives se sont succédé. Le Mexique a été sommé de payer un mur frontalier. Les migrants clandestins ont été menacés. Une réforme de la politique des visas a été annoncée. Ainsi qu’une révision des accords commerciaux en cours de négociation ou déjà signés.

Un appel d’offres pour construire un mur sur la frontière sud a permis de vérifier sa faisabilité. Les arrestations de clandestins ont été plus nombreuses. Les États-Unis se sont retirés des négociations engagées pour mener à bon port un Traité de libre-échange transpacifique, ou TPP. Mexique et Canada ont été fermement invités à revoir la copie de l’ALENA, l’accord de libre-échange nord-américain.

L’Amérique d’abord, America First. Le mot d’ordre a déstabilisé la relation avec les partenaires des États-Unis les plus inégaux. En clair, ceux du Sud, ceux qui se trouvent à la périphérie des puissants, au premier rang desquels on trouve les Latino-Américains. Le 22 décembre 2017, Donald Trump a menacé de rétorsions ceux qui n’acceptaient pas de déplacer leur ambassade en Israël à Jérusalem. Les propos brutaux tenus devant un groupe de congressistes par le chef des États-Unis le 12 janvier 2018, sont cohérents avec sa pensée, sa vision géopolitique du monde et ses orientations diplomatiques. Haïti, le Salvador et les Africains sont des « pays de merde »[1].

Parallèlement, pourtant, devant un parterre choisi d’interlocuteurs privés et officiels, à Davos, le 28 janvier 2018, comme le 30 janvier devant le Congrès des États-Unis, le président a fait preuve d’une logorrhée en coitus interruptus. Lisant le texte sur prompteur, et donc un discours préparé, il a défendu la priorité américaine en termes mesurés. La défense de l’intérêt national, la sécurité des ressortissants nord-américains, la révision des conditions d’entrée et de séjour sur le sol des États-Unis ont bien occupé une place importante dans le propos présidentiel. Mais sans viser personne, pays ou peuple en termes désobligeants.

Ce double exercice de rhétorique politique a été suivi les 2-7 février 2018 d’un déplacement inédit du Secrétaire d’État des États-Unis, Rex Tillerson, dans cinq pays de la région (Argentine, Colombie, Jamaïque, Mexique, Pérou). Le déplacement a pris une tournure d’autant plus significative qu’il a été précédé d’une longue explication de texte devant les étudiants de l’université du Texas le 1er février[2].

Plus qu’une succession de rendez-vous de routine, cette tournée du Secrétaire d’État en terres « hémisphériques », au vu des agendas et des propos tenus, visait à recadrer les propos à l’emporte-pièce du président et à redonner du sens à une diplomatie en perte de boussole. Commerce bilatéral, lutte contre le trafic de stupéfiants, politiques migratoires ont bien sûr été évoqués.

Mais des gestes inattendus, compte tenu du passif accumulé ces derniers mois, ont été faits. Ils avaient pour objectif de reconstruire un climat de confiance. Ils l’ont été au cours de conférences de presse conjointes du Secrétaire d’État avec les ministres des Affaires étrangères argentin, mexicain, péruvien, et en Colombie avec le président Juan Manuel Santos.

À Mexico, le Secrétaire État a parlé ALENA avec son homologue mexicain, mais aussi avec la ministre canadienne des Affaires étrangères. Dans ses différentes étapes, Rex Tillerson a repris à son compte la reconnaissance d’une coresponsabilité des États-Unis faite par Barack Obama sur le dossier des stupéfiants. Et dans toutes les capitales visitées, l’accent a été mis sur les valeurs qu’auraient en partage Argentine, États-Unis, Colombie, Jamaïque, Mexique, et Pérou, ainsi que sur les libertés politiques comme commerciales. Le Venezuela, dénoncé à chacune des étapes, a servi de fil conducteur au lien que cherchait à renouer Rex Tillerson.

Mais il y a sans doute une autre raison ayant motivé cet aggiornamento. Aux Nations unies, Bolivie, Brésil, Chili, Costa-Rica, Cuba, Équateur, Nicaragua, Uruguay, Venezuela ont condamné le transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Les Latino-Américains néo-libéraux, désormais aux affaires dans une majorité de pays, ont par ailleurs saisi depuis un an les échappatoires offertes par le monde global. Les échanges avec toutes sortes de pays se sont multipliés (Israël, la Turquie, l’Inde, la Russie et bien sûr la Chine). Colombie, Mexique, Pérou, pays membres de l’Alliance du Pacifique, ont décidé avec leurs partenaires asiatiques du TPP de poursuivre leurs négociations sans les États-Unis. Le sommet des Amériques qui se tient à Lima-Pérou, les 13 et 14 avril 2018, quelques mois avant un G-20 [3]en Argentine ne pouvait que mettre en évidence l’impasse diplomatique et commerciale des États-Unis.

Les gestes signalés en direction des Latino-Américains rappellent, selon Rex Tillerson, que pour ces pays « les États-Unis sont disposés à approfondir les relations mutuelles, (..) parce qu’ils sont le partenaire le plus constant de l’hémisphère occidental (..) L’Amérique latine n’a pas besoin de nouvelles puissances impériales » (..) la Chine, la Russie, (..) qui ne partagent pas les valeurs fondamentales de la région ». À bon entendeur …

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[1] « Shitholes countries », dans le texte original

[2] Devant le Centre Clements de sécurité nationale et le Centre Robert Strauss pour la sécurité et le droit international

[3] Trois pays latino-américains sont membres du G-20, l’Argentine, le Brésil et le Mexique.

Theresa May et le bateau ivre du Brexit

Fri, 09/02/2018 - 16:56

Alors que la deuxième phase de négociations sur le Brexit vient de débuter, le pays est plongé dans un état de chaos politique inédit : le parti conservateur semble plus que jamais divisé sur la politique à mener, fragilisant Theresa May, la cheffe du gouvernement. D’autant que le Royaume-Uni paraît être affaibli également sur la scène extérieure. Le point de vue d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.

Entre la publication dans la presse d’un rapport officiel démontrant les dégâts sérieux qu’occasionnerait le Brexit sous toutes les hypothèses, et les rumeurs de renversement de la cheffe du gouvernement, Theresa May dispose-t-elle encore d’un leadership tant au sein de sa famille politique que vis-à-vis de l’Union européenne ?

Le début des négociations de la seconde phase du Brexit a débuté suite à la visite de Michel Barnier à Londres cette semaine. Celles-ci doivent tracer les contours de la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne au-delà de l’échéance du 29 mars 2019, ainsi que les modalités d’un éventuel accord de transition. Le moins que l’on puisse dire est que le Royaume-Uni n’aborde pas ces négociations en position de force. Le pays, qui traverse une période d’instabilité et d’affaissement politique assez inédit dans son passé récent, semble déboussolé.

Un rapport du ministère du Budget britannique est sorti inopinément dans la presse la semaine dernière. Il démontrait que sous tous les scénarios, négociés ou non, le Brexit infligerait un dommage conséquent au pays. Franchement, le constat est loin d’être une surprise. Tout d’abord, parce que ce sont les conclusions auxquelles ont abouti la majorité des experts depuis un an et demi. Mais, on l’a oublié aujourd’hui, c’est aussi le résultat auquel le gouvernement avait abouti lui-même dans son Balance of Competencies Report, une grande étude qu’il avait commandée avant le référendum, et que les conservateurs ont enterré. Il portait sur les relations eurobritanniques et concluait que la situation était relativement favorable aux intérêts nationaux britanniques. Les conclusions du rapport du ministère du Budget sont homogènes par rapport à toutes les analyses récentes, y compris celles du gouvernement britannique lui-même.

Cette annonce arrive dans un moment de fragilité politique très fort. Rendez-vous compte. Tout d’abord, un ministre en charge du Brexit a ouvertement désavoué sa propre administration à la suite de la publication de ses prévisions économiques, et l’a accusée d’avoir falsifié les chiffres afin de présenter des résultats orientés, avant de s’excuser. Des parlementaires ont été accusés de traîtrise pour avoir fait leur travail, et avoir demandé qu’au pays de la démocratie représentative, le parlement ait voix au chapitre dans le vote sur l’accord final. Les juges de la Cour Suprême ont été accusés d’être des « ennemis du peuple » dans la presse, ayant jugé que l’activation de l’article 50 de l’Union devait recevoir approbation du Parlement. Boris Johnson, ex-maire de Londres tout de même, et donc de la City, a violemment critiqué la Confederation of British Industries – peu ou prou l’équivalent anglais du MEDEF – qui souhaite rester dans l’Union douanière. Vénérable et respectée institution britannique, la BBC, après avoir été dénigrée pour sa position anti-Brexit, est aujourd’hui assez durement accusée du contraire.

Avec un bref recul historique on s’aperçoit en somme, que le système politique, juridique, médiatique et diplomatique britannique, qui était reconnu et envié de par le monde, a volé en éclat. Comme sur un bateau qui traverse l’équateur, tout est sens dessus dessous. Rappelons par ailleurs que les postes les plus puissants de l’exécutif britannique sont occupés par des personnalités qui désapprouvaient le Brexit avant le référendum. Theresa May avait (certes timidement) appelé au « Remain », de même que le chancelier de l’échiquier Philip Hammond, et la ministre de l’Intérieur, Amber Rudd. Aussi, l’exécutif britannique et globalement les Tories sont-ils atteints d’une véritable schizophrénie, tiraillés en leur propre sein entre les factions en faveur d’un soft ou hard Brexit. C’est la résultante des tensions qui parcourent le Parti conservateur depuis des décennies, et que le référendum n’a fait qu’exacerber. Mais la personne sous les auspices de laquelle ce bateau ivre qu’est le Brexit a commencé à naviguer est tout de même l’ancien premier ministre David Cameron, ne l’oublions pas. Lui est parti se retirer sur ses terres en sifflotant.

Quant à Theresa May, elle est prisonnière de son poste. En dépit de ce climat marqué d’une grande tension, la Première ministre britannique reste paradoxalement la moins mauvaise solution à l’heure actuelle. Elle est un trait d’union entre toutes ces factions qui s’affrontent et ne trouvent pas de terrain d’entente. Face à la question de Michel Barnier « Quel est votre choix ? », elle n’est pour l’instant pas en capacité de répondre, alors que le temps commence à manquer. Pour le Royaume-Uni, le risque est que la nécessité d’énoncer un choix clair dans des délais de plus en plus courts commence à prendre le pas sur le contenu précis des modalités de sortie de l’UE. Or, actuellement, personne n’est sûr de l’option prise, y compris au sein des conservateurs.

Quelle est la position de l’Union européenne vis-à-vis de cette période d’instabilité politique britannique qui tend à enrayer le processus des négociations ? Saura-t-elle conserver l’image d’unité qu’elle semble afficher jusque-là ?

L’affaiblissement du Royaume-Uni ferait presque passer l’Union européenne pour un acteur uni, cohérent et parfaitement au fait de ses objectifs.  C’est un constat paradoxal au regard des divisions politiques qui minent l’Union européenne sur d’autres dossiers. Sur le Brexit, l’Union européenne est toujours restée cohérente dans les négociations. Cette unité est certes compréhensible à long terme, car tout le monde a compris qu’il s’agissait d’une menace existentielle pour elle. Mais à court et moyen terme,  l’UE joue la partition de la cohésion tout simplement parce que cela fonctionne – comme l’a montrée la première phase des négociations qui fut dominée par l’UE.

Il y a néanmoins plusieurs dangers à cela. Tout d’abord, la seconde phase des négociations sera plus délicate que la première pour Bruxelles, car les intérêts économiques et commerciaux – industrie automobile allemande, agriculture et agro-industrie françaises – des États membres de l’UE vont s’entrechoquer, et des voix vont naturellement émerger pour les défendre.

Par ailleurs, ce succès lors de la première phase ne devrait pas être interprété pour autre chose qu’il n’est. Par exemple, soyons clair, il n’est en rien l’illustration d’une relance tant espérée du projet européen. L’unité de l’UE ne s’étendra pas magiquement du Brexit aux autres domaines qui font dissension. Or, en 2017, les États membres s’étaient dit que l’année 2018 serait cruciale pour le projet européen au vu des échéances en 2019 : élections européennes, nouvelles équipes à la Commission, nouveau budget en préparation. Or, pour l’instant, tout est en stand-by, les réformes se font attendre.

Cet aspect est crucial, car les défauts de l’UE sont connus et la volonté des Britanniques de quitter l’organisation ne vient pas de nulle part. Il ne faudrait donc pas que cette union circonstancielle serve de feuille de vigne pour persister dans le statu quo une année de plus et dissimule d’autres divergences non moins importantes.

L’international a été présenté au lendemain du Brexit comme l’opportunité de renforcer des partenariats bilatéraux avec des pays tiers de l’UE. Pouvez-vous revenir sur le concept de bilatéralisme comme « béquille diplomatique » ?

Pour simplifier, la politique extérieure du Royaume-Uni marche actuellement sur deux jambes : une économique, et l’autre stratégique. La jambe stratégique est inextricablement liée aux États-Unis, notamment à travers l’OTAN et en matière de dissuasion nucléaire, de renseignement, ou d’opérations extérieures.

La jambe économique, elle, est rattachée à l’Union européenne. Il s’agit du premier bloc économique et commercial du monde, et pour le Royaume-Uni, c’est un peu moins de 50% de ses échanges. Le pays s’est ainsi tiré une balle dans le pied économique pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec les enjeux économiques.

Rappelons que depuis John Major et Margaret Thatcher, Londres a eu une énorme influence sur la création du marché unique et sur sa définition. Les Tories sont donc en train de renoncer à un objet qu’ils ont contribué à créer. Si son partenariat économique avec Bruxelles est menacé, sa relation stratégique avec Washington l’est également depuis l’arrivée de Donald Trump. Theresa May se voit donc contrainte de trouver dans le bilatéralisme une béquille diplomatique.

Cette stratégie pose question néanmoins, quand il faudra obtenir des résultats tangibles. Un accord commercial avec la Chine mettrait sans doute plus d’une dizaine d’années pour être préparé, négocié et conclu après le Brexit. Et si l’on prend des pays comme la Chine ou l’Inde, ils ont leurs propres intérêts. Dans le contexte actuel, le rapport de force serait forcément asymétrique et la négociation se ferait mécaniquement aux dépens des Britanniques.

« Faire l’Europe dans un monde de brutes » – 4 questions à Enrico Letta

Fri, 09/02/2018 - 10:31

Enrico Letta fut chef du gouvernement italien dans les heures mouvementées de la crise de l’euro et de la crise des migrants. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage, « Faire l’Europe dans un monde de brutes », aux éditions Fayard, fruit d’entretiens avec Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors.

Européen convaincu, vous regrettez néanmoins que l’Europe ait été façonnée principalement pour les élites.

Aujourd’hui, les citoyens européens vivant « sur leur propre peau » les grandes opportunités offertes par l’Europe représentent un faible pourcentage de la population totale. C’est la partie « cosmopolite » de nos sociétés. Je pense, par exemple, aux étudiants hautement spécialisés qui parlent différentes langues, aux managers qui voyagent souvent pour le travail, etc. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’avantages pour le reste de la population ; cependant, ceux-ci ne sont pas également évidents et tangibles.

Quand nous parlons d’Erasmus en tant que symbole par excellence de l’Europe, nous pouvons tomber dans un piège. Il est certainement vrai que le projet d’échange entre les étudiants universitaires a été et continue d’être un succès ; néanmoins, c’est précisément quelque chose qui ne vise qu’une partie de la société, c’est-à-dire les familles qui peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants à l’université. Aujourd’hui, cette logique doit être élargie, afin que tout le monde puisse profiter de ce type de projets. L’Europe n’aura de futur que si elle parvient à entrer positivement dans la vie quotidienne de tous les secteurs de la société, afin de réduire au maximum le fossé réel, mais surtout perçu, entre les élites et le reste des citoyens.

La concentration géographique des institutions européennes à Bruxelles contribue également à creuser ce fossé, donnant l’impression que l’Europe n’est que froide, bureaucratique et distante, même physiquement, de la vie, des besoins et des préoccupations des citoyens. Le message n’est pas seulement trompeur, mais aussi contre-productif, car il aliène et décourage les populations. Dans le livre, j’ai intitulé un chapitre « Dé-bruxelliser », précisément pour attirer l’attention sur la nécessité de revoir la relation entre l’Europe et ses membres : européaniser certaines compétences ne signifie pas créer un « super-État » européen ; au contraire, cela signifie maximiser la valeur ajoutée pour le citoyen, selon le principe de subsidiarité.

Pourquoi, selon vous, est-ce la perception d’une domination allemande de l’Europe qui explique le ressentiment général des populations des autres pays ?

C’est une question complexe car de nombreux facteurs contribuent à donner une telle image de l’Allemagne. Tout d’abord, en période de difficulté, il y a toujours une tendance à identifier un ennemi externe à blâmer. Or, l’Allemagne, à certains égards, se prête bien à ce rôle.

Je pense toujours à une couverture de 2013 de l’Economist, dans laquelle l’Allemagne a été définie comme l’« Hégémon réticente ». La question est la suivante. D’un côté, le leadership de l’Allemagne en Europe est indiscutable ; il suffit de regarder les chiffres. D’un autre côté, parmi les classes dirigeantes allemandes, il semble y avoir encore une résistance trop répandue à exercer ce leadership jusqu’au bout ; et, par conséquent, en assumant aussi les fardeaux de la direction elle-même et en prenant en charge les intérêts propres et communs des autres Européens.

Au cours de la crise économique, les Allemands prétendaient imposer des réformes à tout le monde, mais sans un horizon idéal durable, c’est-à-dire un projet qui tient compte de l’évolution du contexte économique et social et qui interprète profondément l’esprit d’intégration entre les États membres. Celui-ci aurait pourtant dû être fondé sur la solidarité mutuelle et pas seulement sur l’orthodoxie comptable de la Bundesbank.

Mais je pense que quelque chose a changé au cours des dernières années. L’Allemagne est plus encline à assumer ses responsabilités de leadership. Le chaos mondial des trois, quatre dernières années – et je pense en particulier à la crise ukrainienne, la question des réfugiés et la menace du terrorisme – ainsi que les résultats des dernières élections, qui ont montré à tout le monde que même l’Allemagne n’est pas totalement immunisée contre l’avancée du populisme, semblent avoir inversé la tendance. En particulier, la crise des réfugiés a permis à Angela Merkel de jouer un rôle de véritable femme d’État, essentiel pour promouvoir une solution européenne partagée. Paradoxalement, cette nouvelle position, ou perçue comme telle à l’extérieur, a suscité une réaction presque contraire en Allemagne.

Dans les prochains mois, la contribution de l’Allemagne aux réformes en Europe sera cruciale. J’espère donc que l’incertitude politique qui a caractérisé les derniers mois au-delà du Rhin disparaîtra le plus rapidement possible.

Quelle distinction faites-vous entre « leadership » et « homme fort » ?

Partant d’un aspect sémantique, le leadership est un concept qui peut être décliné de plusieurs façons. Par exemple, il peut être vertical ou horizontal, diffus ou concentré, partagé ou individuel. Au contraire, quand on parle d’un homme fort, il n’y a pas beaucoup d’interprétations possibles : il n’y a qu’un seul individu. Mon concept du leadership est ainsi exactement inverse.

Je crois que dans le monde d’aujourd’hui, aux mille nuances et facettes, une seule personne, même bien préparée, n’est pas capable d’affronter seule la complexité des défis. Je suis un partisan convaincu du leadership partagé et diffus, qui exalte la diversité, qui cherche à impliquer et à responsabiliser le gens. Nous devons donc dissiper le mythe selon lequel il n’y a qu’un seul type de leadership, celui de l’homme fort. L’avenir exige un changement de paradigme, même dans le leadership.

Il ne s’agit cependant pas d’un modèle facile à encourager en temps de crise ou d’incertitude comme celui que nous traversons actuellement, où certains sont prêts à renoncer à une partie de leur liberté en échange d’une plus grande sécurité, compris à la fois d’un point de vue économique, mais aussi physique. Selon leur logique, les valeurs démocratiques sont incompatibles avec la sécurité. En réalité, cette incompatibilité n’existe pas : au contraire, nos valeurs sont un élément essentiel du bien-être et de la croissance. C’est la vraie bataille actuelle : une bataille culturelle. Gagner cette dernière permettrait de défendre nos valeurs, qui constituent la base de notre modèle de société. Au contraire, si nous ne trouvons pas une façon de rester unis, nous deviendrons de simples récepteurs de règles décidées par d’autres ; et ces autres sont des hommes forts qui sont à la tête de géants non européens…

Quelles sont les responsabilités du monde occidental dans les crises stratégiques actuelles ?

Les classes dirigeantes du monde occidental ont de nombreuses responsabilités et il est crucial qu’elles soient reconnues. L’alibi facile et banal du populisme, derrière lequel se cache une classe politique, ne permet plus de s’acquitter des lourdes responsabilités. Prenons deux exemples peut-être les plus pertinents à l’heure actuelle : la situation au Moyen-Orient et les inégalités.

Concernant le premier point, il est frappant de regarder les statistiques des demandeurs d’asile en Europe en 2015 : on y constate l’explosion de flux de réfugiés. Les trois premiers pays d’origine étaient, dans l’ordre, la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak, qui coïncident avec les trois dernières grandes campagnes militaires de l’Ouest. À ces pays s’ajoute la situation difficile en Libye, aujourd’hui le théâtre de graves violations des droits de l’homme et de la jonction fondamentale dans le terrible trafic d’êtres humains de tout le continent africain. Il est évident que les grandes migrations sont un phénomène d’époque conduit par des processus démographiques ; cependant, les échecs occidentaux en matière de politique étrangère ont contribué à rendre la situation plus complexe, notamment par la formation de groupes terroristes.

Concernant le second domaine, celui des inégalités, on constate un échec des classes dirigeantes. En fait, la seule redistribution partielle des avantages de la mondialisation a laissé beaucoup de gens derrière – les soi-disant left behind – et a mis en difficulté la classe moyenne, qui est l’épine dorsale des démocraties. Tout cela a provoqué une polarisation interne des sociétés occidentales, créant, avec d’autres facteurs, un terrain extrêmement fertile pour le succès des partis antisystèmes. Mais il s’agit des effets de l’échec des classes dirigeantes, pas la cause ! Il est essentiel d’inverser cette relation de cause à effet.

« Les Jeux offrent une visibilité diplomatique »

Fri, 09/02/2018 - 09:57

Les deux Corées mettent leurs rivalités de côté le temps des Jeux olympiques. A qui va profiter cette trêve ?

La Corée du Sud est la grande bénéficiaire de cela, dans la mesure où elle a la garantie que les Jeux vont bien se passer, sans incident, et que chacun se sentira en sécurité et pas sous la menace d’un chantage permanent de la Corée du Nord. C’est aussi une victoire personnelle pour le président Moon, puisqu’il veut montrer que sa stratégie de petits pas avec la Corée du Nord produit plus d’effets que la stratégie du coup de poing sur la table et des déclarations agressives de Donald Trump. Le premier vainqueur c’est donc plutôt le président sud-coréen. Kim Jong-Un de son côté y a gagne aussi, parce qu’il va apparaître, non pas comme le fou que tout le monde prétend qu’il est, mais comme le chef d’une Corée du Nord qui est un pays finalement pas aussi éloigné des autres. Il va montrer qu’il n’est pas quelqu’un qui menace la Terre entière et la région en permanence.

Le perdant est un peu Donald Trump qui a été pris de court par la participation de la Corée du Nord aux JO. Trump apparaît un peu isolé et finalement esseulé, même s’il communique en disant que si la Corée du Nord est venue à un meilleur comportement, c’est du fait de ses menaces. Mais quand on entend les demandes de Trump pour obtenir des scénarios d’options militaires, quand on entend que l’ambassadeur américain désigné en Corée du Sud, qui est pourtant un faucon, juge les déclarations de Trump dangereuses, on voit bien que c’est le président américain qui sort perdant.

Que va-t-il se passer entre les deux Corée après les Jeux ?

Les relations inter-coréennes sont depuis vingt ans soumises au chaud et au froid : des rapprochements suivis de ruptures. On peut donc difficilement anticiper. Mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y aura pas de réconciliation, car la Corée du Nord ne renoncera pas aux armes nucléaires qui sont la garantie du régime. Deux options sont alors possibles : de nouveau un retour aux invectives en cas de manœuvres militaires importantes, ou un apaisement entre les deux Corées débouchant sur une relation plus stable.

Les Jeux olympiques sont-ils la seule façon pour certains pays d’exister diplomatiquement ?

La Corée du Nord existe sans les Jeux olympiques, mais de façon négative. Avec les JO, elle va exister cette fois de façon positive. Les Jeux olympiques ont été pour la Corée du Nord un prétexte idéal pour faire un geste vers la Corée du Sud. Les Jeux ont donc été extrêmement utiles pour faire baisser les tensions. Sans les JO, cela aurait été beaucoup plus difficile.

Dans le choix des villes hôtes des JO, dans la façon dont les JO ou certaines grandes compétitions sont organisées, les enjeux sportifs ne sont-ils pas éclipsés par les enjeux diplomatiques ?

Il y a les deux. Il y a bien sûr des enjeux sportifs qui restent. On va regarder les épreuves, on va suivre, les uns et les autres, des athlètes en fonction du pays ou de la discipline, etc. Les enjeux sportifs donnent une visibilité énorme aux Jeux olympiques, et notamment pour ceux d’été. Mais il y a également une visibilité diplomatique, stratégique qui est très forte.

Les Jeux olympiques sont-ils encore une tribune pour certaines causes, comme on l’a vu par le passé à Mexico en 1968 ?

Parallèlement aux Jeux, cela peut être l’occasion de faire avancer des causes. Mais pour les athlètes, le CIO (Comité international olympique, ndlr) interdit toute manifestation de peur d’être débordé. Pour les athlètes qui participent, s’ils montraient le moindre signe, ils seraient sanctionnés. Il y a bien sûr des exceptions, comme à Mexico, mais c’est extrêmement rare.

Propos recueillis par Philippe Rioux pour la Dépêche du Midi

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