You are here

Diplomacy & Crisis News

Angola: UN agency airlifts aid to newly-arrived refugees from DR Congo

UN News Centre - Sun, 30/04/2017 - 07:00
A plane carrying relief items has arrived in Luanda, Angola, to assist over 11,000 people who fled a recent surge violence in the Democratic Republic of Congo (DRC), the United Nations refugee agency said today.

South Sudan: UN urges all sides to cease hostilities; regional force starts to arrive

UN News Centre - Sat, 29/04/2017 - 07:00
Disturbed by the escalation of violence and subsequent suffering of civilians in South Sudan as a result of the recent government offensive, the United Nations today urged the Government and other warring parties to cease hostilities, uphold their responsibility to protect civilians.

FEATURE: Highlighting ‘positive impact’ of migration key to changing policies, public opinion – UN envoy

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 20:03
Recognizing that the issue of large movements of refugees and migrants is too vast for any one country to handle on its own, the United Nations convened a meeting of world leaders in September 2016 with the aim of finding durable solutions. At the summit, all 193 Member States came together around one plan, the New York Declaration, expressing their political will to save lives, protect rights and share responsibility on a global scale.

FEATURE: International Jazz Day – a global celebration of creativity and diversity

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 19:09
Blues, boogie, bebop or ragtime, no matter what it is called, jazz is a language that translates across cultures and continents, bridging gaps and bringing unity.

Trafics d'influence en Afrique

Le Monde Diplomatique - Fri, 28/04/2017 - 19:06

Passé quasiment inaperçu, le quatrième sommet afro-arabe s'est tenu à Malabo, en Guinée-Équatoriale, les 23 et 24 novembre 2016. Cette rencontre traduit l'intérêt croissant des pays du Golfe pour l'Afrique et, pour celle-ci, une diversification inédite de ses partenaires. Les pays situés au sud du Sahara redessinent leur insertion, jusqu'ici subie, dans la géopolitique mondiale.

Omar Ba. – « Afrique Now » (Maintenant l'Afrique), 2016 © Omar Ba - Galerie Templon, Paris - Bruxelles

Mai 2015. Sollicité par Riyad, le Sénégal décide de « déployer en terre sainte d'Arabie saoudite un contingent de 2 100 hommes » dans le but de « participer à la stabilisation de la région » et de « garantir la sécurité des lieux saints de l'islam » (1). L'annonce fait l'effet d'une bombe à Dakar, où l'on craint un enlisement dans le bourbier de la guerre au Yémen (2). Un an plus tard, le nombre de soldats réellement envoyés par le petit pays d'Afrique de l'Ouest demeure flou, mais le geste reste symbolique de la vaste recomposition des relations internationales du continent noir.

Le changement majeur pour l'Afrique contemporaine réside dans une diversification inédite de ses partenaires, concomitante de taux de croissance élevés. Depuis les années 2000, six pays subsahariens figurent systématiquement parmi les dix pays ayant la plus forte croissance du monde. Entre 2010 et 2015, ils étaient même sept : Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, République démocratique du Congo, Ghana, Zambie et Nigeria. Si les perspectives s'assombrissent aujourd'hui — la croissance ne sera que de 2 % en moyenne en 2017, selon le Fonds monétaire international (FMI) —, cette période d'augmentation des richesses a changé la physionomie du continent. Multinationales et puissances étrangères, traditionnellement attirées par les matières premières, sont désormais séduites par la multiplication d'alléchants programmes d'investissement : en 2015, trois cents grands projets d'infrastructure étaient en chantier, pour une valeur de 375 milliards de dollars. Grâce aux cours élevé des minerais et des produits de base au début du millénaire, l'Afrique a en effet bénéficié d'une manne suffisante pour entamer son désendettement et lancer de spectaculaires projets financés sur les marchés mondiaux. Longtemps attendue, la ligne de chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti a ainsi été inaugurée en octobre 2016 ; on assiste à une concurrence accrue des ports en eau profonde dans le golfe de Guinée et dans la Corne (3). Le FMI craint dorénavant que le besoin de financement ne conduise à un réendettement incontrôlé (4).

Cette nouvelle ruée vers l'Afrique modifie progressivement sa géopolitique. Les anciennes puissances coloniales, mais aussi l'Union européenne, perdent leur hégémonie historique. Entre 2000 et 2011, selon l'économiste Philippe Hugon, la part de marché de la France est passée de 10 à 4,7 %. Ce mouvement s'effectue au profit des pays asiatiques : la Chine, devenue le premier partenaire commercial du continent, mais aussi l'Inde et le Japon. « Les trajets les plus créatifs aujourd'hui relient l'Afrique à l'Asie, note le politiste camerounais Achille Mbembe. (…) Les flux ne s'opèrent plus uniquement de façon verticale entre le Sud et le Nord. Ce qui se joue dans ce déplacement géographique, c'est le futur du continent africain : l'Afrique est devenue une question asiatique bien plus qu'une question européenne (5). » Des francs-tireurs misent également sur elle, comme la Turquie, en pleine interrogation sur ses alliances mondiales (6). Le nombre d'ambassades turques a triplé depuis 2009, tandis que le pays investit dans les travaux publics et l'immobilier. « Après la Corne de l'Afrique, note le journaliste Philippe Tourel, [Ankara] a désormais jeté son dévolu sur l'Afrique de l'Ouest, parlant business le jour pendant que ses entrepreneurs islamistes s'activent la nuit (7).  »

Moins commentés que l'offensive asiatique, les flux économiques et financiers venus du monde arabe s'intensifient : entre 2000 et 2009, le commerce entre l'Afrique et les pays du Golfe a bondi de 270 % ; tous les secteurs sont concernés (infrastructures, télécommunications, mines, immobilier, banques, agriculture). Si les liens avec l'Afrique du Nord sont anciens, les pays arabes souhaitent diversifier leurs économies, trop dépendantes du pétrole et du gaz, en profitant des possibilités offertes au sud du Sahara. Dans les années 2000, les États du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, ont pris part au mouvement d'accaparement des terres dans le but d'assurer leur sécurité alimentaire ou de s'inscrire dans la production d'agrocarburants (8). En 2012, le Soudan a mis deux millions d'hectares de terres à la disposition des investisseurs de Riyad. Le Conseil de coopération du Golfe coordonne et stimule la stratégie de diversification des économies de la péninsule (9).

Quelque peu endormie depuis le sommet du Caire en 1977, la coopération afro-arabe fait l'objet d'une relance volontariste : la Ligue arabe et l'Union africaine ont organisé trois rencontres entre 2010 et 2016. La dernière s'est tenue en novembre en Guinée-Équatoriale. Les relations avaient pris leur essor après le premier choc pétrolier, en 1975. Les États du Golfe cherchaient alors à placer leur manne et à soutenir les régimes africains qui avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Israël à la suite de la guerre des six jours. L'aide au développement imaginée à l'époque, matérialisée par la création de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), se combine désormais avec la satisfaction d'intérêts économiques et commerciaux bien compris sur un continent en quête d'investisseurs. « Les pays arabes sont des pays riches, a déclaré le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo sur la chaîne Africa 24, le 18 novembre. Ils peuvent contribuer au développement des pays africains sans aucune forme d'ingérence et sans se comporter comme les pays développés, nos anciens pays colonisateurs. »

Dix pour cent au moins des investissements dans les infrastructures africaines viendraient aujourd'hui du Golfe. Ainsi, en 2014, l'Investment Corporation of Dubai a signé un accord de 300 millions de dollars avec le milliardaire nigérian Aliko Dangote pour une participation dans le capital de Kerzner International. Le septième plan quinquennal de la Badea (2015-2019) est doté de 1 600 millions de dollars, soit une augmentation de 600 millions de dollars par rapport au plan précédent (2010-2014).

Actrice de ce mouvement afro-arabe, la finance islamique est elle aussi en plein essor à travers son fer de lance, la Banque islamique de développement (BID) (10). Celle-ci finance un plan de 7 milliards de dollars consacré aux infrastructures pour la période 2015-2021, ce qui représente près d'un tiers de son budget. Cet engagement s'est notamment matérialisé par la signature d'un accord avec l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui considère la finance islamique comme un axe prioritaire. En janvier 2016, c'était au tour de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) d'accepter de la Société islamique pour le développement du secteur privé (filiale de la BID) un financement de 30 millions de dollars — potentiellement relevable à 100 millions de dollars — en faveur des petites et moyennes entreprises de la sous-région.

Dakar et les « pays frères »

Le Sénégal fait l'objet d'une attention particulière de la part de l'Arabie saoudite. Traditionnellement ouvert sur l'étranger, le petit pays d'Afrique de l'Ouest est perçu par Riyad comme une terre de mission plus facile d'accès qu'une Europe traversée par un rejet croissant de l'islam. Il serait également une porte vers les Amériques. Dakar est la seule capitale au sud du Sahara à avoir accueilli des sommets de l'Organisation de la coopération (ex-conférence) islamique (OCI), en 1991 et en 2008. Officiellement laïque, mais peuplé à 80 % de musulmans, le Sénégal se montre très attaché à ses liens avec les « pays frères » et aux « valeurs de l'islam », termes fréquemment utilisés par le président Macky Sall. Le pays verrait aussi dans son rapprochement avec l'OCI une occasion de financer la rénovation de ses infrastructures. Chaque réunion de l'OCI s'est en effet accompagnée de spectaculaires réalisations dans les transports et les communications.

Pour Dakar, il pourrait également s'agir de contrebalancer le poids, traditionnellement grand, des confréries dans la vie politique et sociale du pays. « On observe, face à un islam noir de tradition syncrétique (par exemple les confréries soufies ou mourides), des luttes d'influence entre les mouvements wahhabites, salafistes et chiites, note l'économiste Philippe Hugon. L'Arabie saoudite apporte son aide financière et développe le wahhabisme dans les pays ou zones à dominante musulmane (11).  » Après la Corne de l'Afrique, géographiquement proche, c'est désormais l'Afrique de l'Ouest qui attire le royaume : en 2014, Riyad a effectué un don de 34 millions de dollars destiné à lutter contre le virus Ebola, puis soutenu le Programme alimentaire mondial au Sénégal, en Mauritanie et au Niger (12).

Avec 30 % des ressources minérales de la planète et une multiplication des perspectives d'investissement, le continent est devenu le terrain d'une guerre économique mêlant acteurs privés et puissances étrangères : mines, terres agricoles, ports, téléphonie, banques, etc., mettent aux prises de grands groupes indiens, émiratis, chinois, français, britanniques, américains, parfois soutenus par des gouvernements (France, Chine, Arabie saoudite…).

Mais, si cette nouvelle géoéconomie confère des marges de manœuvre aux capitales africaines, leur fournissant des partenaires et des financements, elle demeure le fruit d'une insertion passive dans le concert mondial. Comme il l'a toujours fait depuis des siècles, le continent s'adapte à des choix effectués ailleurs, jadis en Europe, aujourd'hui en Asie et dans le Golfe. Il répond à des demandes plus qu'il ne formule des souhaits. Le jeu des puissances extérieures évolue ainsi en fonction de leurs propres intérêts, sans toujours tenir compte des populations locales. La Chine est de plus en plus critiquée en raison de la concurrence que ses produits à bas prix représentent pour les petits artisans et producteurs africains. Les intérêts de l'empire du Milieu sont ainsi régulièrement pris pour cible par les manifestants, comme à Kinshasa le 19 septembre 2016.

Pékin se voit désormais contraint de déroger à sa règle de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays hôtes. Cette réserve, qui contrastait avec le paternalisme des anciens colonisateurs, était plutôt bien perçue. Mais, comme toutes les puissances, la Chine doit protéger ses intérêts et ses expatriés. En février 2016, la puissance dominante de l'Asie annonçait l'ouverture d'une base militaire à Djibouti. La participation aux missions de l'Organisation des Nations unies (ONU) lui permet d'être plus présente tout en respectant les règles internationales. En dix ans, le nombre de ses casques bleus est passé de cent à plus de trois mille, principalement basés au Soudan du Sud, où elle a conclu des accords pétroliers. La perte de l'allié libyen, après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, et la nécessité d'assurer son approvisionnement en pétrole l'ont poussée à prendre ses distances avec le régime de M. Omar Al-Bachir au Soudan, régime qu'elle soutient mordicus depuis plus de dix ans, malgré les nombreuses exactions dont il se rend coupable au Darfour. Elle a même participé à la médiation américaine entre Khartoum et Juba, capitale d'un Soudan du Sud qui a hérité de la plupart des puits de pétrole lors de la partition de 2011. « La doctrine de la non-ingérence est désormais interrogée, mais elle reste un pilier de la diplomatie, précise la politiste Martina Bassan. Pékin ne veut bouger qu'au cas par cas » (Le Figaro, 4 juillet 2016).

Les entreprises chinoises affichent un plus grand respect des lois locales, laissant certains chefs d'entreprise faire les frais des campagnes locales contre la corruption. Travaillant son image et ses réseaux d'influence, Pékin favorise l'implantation des instituts Confucius sur le continent : 40 ont vu le jour en dix ans face au réseau vieillissant des 124 alliances françaises. Au sommet Afrique-Asie de Djakarta, le président Xi Jinping a promis d'inviter 100 000 coopérants africains en Chine et de distribuer 18 000 bourses dans les cinq ans. Pékin chercherait-il, comme jadis la France, à s'assurer avec les pays africains de commodes apports de voix dans les instances internationales, par exemple au Conseil de sécurité des Nations unies ?

En ce début de millénaire, l'Afrique demeure un espace ouvert, vulnérable aux chocs extérieurs. Les économistes de la Banque africaine de développement redoutent ainsi les conséquences du « Brexit » sur l'accès des produits africains au marché britannique ; ils s'inquiètent de l'affaiblissement de la Banque européenne d'investissement, dont Londres détient 16,1 % du capital. En matière politique et diplomatique, la déstabilisation du Proche-Orient et du Sahara favorise la recrudescence des interventions, voire des ingérences internationales. Le développement de mouvements djihadistes, en particulier au Sahel, et l'essor du terrorisme suscitent ainsi des actions militaires, notamment de la France, qui en profite pour sauvegarder ou conquérir des avantages pour elle-même. En 2013, l'opération « Serval », au Mali, a conforté Paris dans son rôle de gendarme du continent. L'ancienne puissance coloniale n'oublie pas les intérêts de groupes tels que celui de M. Vincent Bolloré, souvent sollicité pour assurer la logistique de ses opérations. L'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop et l'ancienne ministre malienne Aminata Dramane Traoré dénoncent une forme de recolonisation (13).

Intérêt croissant de l'Allemagne

Si, avec trois mille soldats déployés au Sahel, ses bases et ses opérations militaires, la France demeure l'acteur occidental majeur de la région, les États-Unis accroissent leur présence depuis l'attaque de leur consulat à Benghazi, en Libye, en 2012. Officiellement, ils ne disposent que d'une base militaire, à Djibouti, dans l'ancien camp Lemonnier de l'armée française. Ils viennent toutefois d'annoncer la construction d'une base aérienne au Niger. Mais Washington a surtout déployé des centaines de conseillers et de petites unités légères qui forment et assistent les armées et les polices locales, parfois conjointement avec Paris. Ses soldats et agents sont au total plusieurs milliers. La livraison de matériel et l'installation d'infrastructures de surveillance et de renseignement (réseaux de communication, drones) facilitent des opérations ponctuelles dans le Sahel ou dans la Corne de l'Afrique contre les Chabab. La présence américaine est désormais visible au Tchad, au Cameroun, en Éthiopie, au Ghana, au Kenya, au Mali, au Niger, au Sénégal ou en Ouganda. Depuis l'entrée en fonction de son commandement militaire pour l'Afrique (Africom) en 2008, Washington cherche un pays disposé à l'accueillir. Après le nouveau refus du Maroc, en octobre 2016, l'Africom demeure basé à Stuttgart, en Allemagne. L'héberger est souvent perçu comme une manière de se placer dans le viseur des terroristes.

Les soubresauts de la géopolitique mondiale conduisent également l'Allemagne à renforcer sa présence en Afrique. En 2011, la chancelière Angela Merkel avait effectué une tournée remarquée au Nigeria, en Angola, au Kenya et au Ghana, où dominaient les enjeux commerciaux et énergétiques. Mi- octobre 2016, afin d'afficher, à un an des élections législatives dans son pays, sa volonté de tarir les flux migratoires d'où qu'ils viennent, elle s'est rendue au Mali, au Niger et en Éthiopie, avant de recevoir à Berlin les présidents du Nigeria et du Tchad, MM. Muhammadu Buhari et Idriss Déby. Fin 2015, le gouvernement allemand a obtenu du Bundestag que le nombre de soldats autorisés à participer à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) passe de 150 à 650, tandis qu'une base de la Bundeswehr est en préparation à Niamey. Lors d'une conférence de presse accordée à Bamako, Mme Merkel a précisé ses intentions : « Il est important pour nous d'établir une cohérence entre notre coopération en matière de développement et notre soutien militaire. (...) Le militaire seul ne peut apporter la sécurité et la paix. »

Comme la Chine, l'Allemagne développe son influence culturelle à travers les instituts Goethe et le mécénat de ses fondations. L'intérêt croissant de Berlin pour l'Afrique pourrait progressivement modifier les termes du débat sur le continent noir au sein du Conseil européen. Troisième exportateur d'armes, mais affichant des convictions pacifistes, Berlin participe à toutes les opérations européennes en Afrique et se montre sourcilleux devant un interventionnisme français soupçonné de masquer un juteux mélange des genres. En 2006, il avait obtenu le commandement de la mission européenne Eufor-République démocratique du Congo, dont le siège se trouvait à Potsdam, même si la France assurait le gros de la logistique sur place (14). En 2011, l'opposition de l'Allemagne avait freiné le déclenchement de l'intervention franco-britannique en Libye.

Dans ce gigantesque jeu d'influence, l'Afrique souffre de deux faiblesses : d'une part, l'absence de leader continental solide et incontesté ; d'autre part, une intégration qui progresse plus vite sur le terrain commercial que politique et diplomatique. Représentant 15 % du produit intérieur brut (PIB) du continent, membre du G20 et du groupe des Brics (avec le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine), l'Afrique du Sud a obtenu la présidence de la Commission de l'Union africaine pour Mme Nkosazana Dlamini-Zuma en 2012. Ces attributs d'un pouvoir réel lui attirent régulièrement des accusations d'impérialisme continental. Mais elle demeure une puissance incertaine. Traversée de violentes tensions sociales, affectée par des scandales politiques à répétition, au bord de la récession économique, elle se voit désormais concurrencée dans le rôle de locomotive économique du continent par le Nigeria. Géant pétrolier et médiateur reconnu dans de nombreuses crises, celui-ci est l'un des partenaires privilégiés de Washington sur le continent. Il souffre en revanche du terrorisme massif de Boko Haram et des tensions sécessionnistes dans le Nord.

L'assassinat de Kadhafi, en 2011, a pourtant ouvert un espace sur la scène continentale. Le Maroc tente maladroitement de s'y engouffrer. Deuxième investisseur africain au sud du Sahara, il multiplie les initiatives diplomatiques : changement de 80 % des postes en Afrique et ouverture de cinq nouvelles ambassades en Tanzanie, au Rwanda, au Mozambique, sur l'île Maurice et au Bénin. Mais ses ambitions continentales restent contrariées par le conflit portant sur le Sahara occidental. Si le royaume a officiellement demandé à réintégrer l'Union africaine en 2016, l'absence d'accord sur la place de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), membre de l'organisation panafricaine, a fait échouer les négociations. Fin novembre, Rabat a même claqué la porte du sommet afro-arabe de Malabo en raison de la participation de la RASD.

Les organisations régionales (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest, Uemoa, Communauté économique des États d'Afrique centrale, etc.) créent des zones de libre-échange sur les bons conseils des institutions financières internationales, mais se révèlent incapables de définir des politiques concertées de développement et une vision des intérêts continentaux. Les marchés intérieurs demeurent sous-développés, tandis que, comme le note M. Carlos Lopes, sous-secrétaire général des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l'Afrique, l'acheminement d'un conteneur du Kenya au Burundi coûte toujours plus cher que de la Belgique ou du Royaume-Uni vers Nairobi (15). « Les résultats [de l'intégration régionale] restent encore loin des espoirs en raison de l'adhésion des pays à plusieurs groupements, note le géographe Georges Courade, du maintien de barrières commerciales, mais aussi de l'insuffisance des infrastructures et de l'incohérence des politiques économiques (16).  »

Le rôle déterminant des diasporas

C ette Afrique dorée qui fait la « une » des magazines occidentaux et séduit les hommes d'affaires en mal de nouveaux marchés est un théâtre fragile. Analysée dès les années 1960, la dépendance du continent aux matières premières persiste. Il ne représente que 1,8 % de la valeur ajoutée manufacturière (trois fois moins d'emplois industriels que la seule Corée du Sud). En 2013, la chute des prix des matières premières a durement touché des pays comme le Nigeria, l'Afrique du Sud ou l'Angola, dont l'essor repose sur le pétrole. « Quand on regarde de près, note la géographe Sylvie Brunel, ce qu'on voit, c'est d'abord une économie d'archipel, avec des zones de croissance, mais limitées aux régions littorales et aux métropoles » (Le Monde, 13-14 mars 2016). Comme au temps des grands empires européens…

Souvent perçues comme une menace ou un problème dans les pays occidentaux, les diasporas se présentent pourtant comme des actrices-clés du développement et des transformations politiques. Elles scrutent et commentent tous les événements africains, et font par exemple pression sur les organisations internationales lors de scrutins douteux, comme au Gabon ou au Congo-Brazzaville en 2016. « La durée de vie d'une dictature dépend de l'ampleur de notre silence », résume ainsi l'écrivain congolais Alain Mabanckou, également professeur à l'université de Californie à Los Angeles. Le rôle de l'« argent des émigrés » est désormais bien connu : les actifs se situeraient entre 700 et 800 milliards de dollars, près de la moitié du PIB de l'Afrique (17). Quant aux populations immigrées libanaise (400 000 à 500 000 personnes en Afrique de l'Ouest), chinoise, indienne et indo-pakistanaise (plus de deux millions en Afrique orientale et australe), elles jouent, elles, un rôle déterminant dans l'insertion de l'Afrique dans la mondialisation. Elles « participent d'un espace transnational, selon Hugon. Elles ont un poids économique important sur le continent africain tout en étant reliées à leur terre d'origine (même système d'information, participation aux mêmes fêtes religieuses, transferts, voire financement, de forces politiques). Elles sont parfois intégrées dans certains circuits parallèles (trafics divers) ».

Le développement de la menace terroriste pourrait-il inciter le continent à s'affirmer davantage ? En 2013, l'incapacité à contrer l'offensive des djihadistes sur Bamako et l'intervention militaire de la France ont provoqué un électrochoc politique dans les capitales africaines. L'Union africaine peaufine ses outils diplomatiques et militaires. Si la mise en place de sa force d'interposition, la Force africaine en attente (FAA), est sans cesse reportée, l'organisation s'est dotée d'un mécanisme de gestion des crises, la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric), opérationnelle depuis novembre 2016. Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine pratique désormais une concertation régulière avec le Conseil de sécurité des Nations unies.

Mais les grandes puissances rechignent à écouter le point de vue d'un continent qui affiche régulièrement ses divisions, comme lors de l'intervention de l'Alliance atlantique en Libye en 2011 (18). En outre, les moyens militaires et financiers de l'organisation panafricaine demeurent limités. Pourtant, nous confie sous couvert d'anonymat un diplomate africain en poste à l'ONU, si les Africains avaient été écoutés, l'intervention française au Mali aurait mieux pris en compte le point de vue des Touaregs, dont la marginalisation fragilise la paix à long terme.

(1) « Message du chef de l'État aux députés sur l'envoi de 2 100 soldats en Arabie saoudite », Dakar, 5 mai 2015.

(2) Lire Laurent Bonnefoy, « Au Yémen, une année de guerre pour rien », Le Monde diplomatique, mars 2016.

(3) Lire Gérard Prunier, « La Corne de l'Afrique dans l'orbite de la guerre au Yémen », Le Monde diplomatique, septembre 2016.

(4) Cf. Antoinette M. Sayeh, « Un changement de cap s'impose » (PDF), Finances & Développement, Washington, DC, juin 2016.

(5) Télérama, Paris, 18 mai 2016.

(6) Lire Alain Vicky, « La Turquie à l'assaut de l'Afrique », Le Monde diplomatique, mai 2011.

(7) Philippe Tourel, « Business le jour, prosélytisme la nuit », Afrique-Asie, Paris, mai 2016.

(8) Lire Joan Baxter, « Ruée sur les terres africaines », Le Monde diplomatique, janvier 2010.

(9) Cf. Frédéric Paquay, « Stratégie de diversification des États du Golfe : la France face à un nouvel adversaire », Les Échos, Paris, 18 décembre 2013.

(10) Cf. Philippe Hugon, « Les nouveaux acteurs de la coopération en Afrique », Revue internationale de politique de développement, Genève, mars 2010.

(11) Ibid.

(12) Philippe Hugon, Afriques. Entre puissance et vulnérabilité, Armand Colin, Paris, 2016.

(13) Boubacar Boris Diop et Aminata Dramane Traoré, La Gloire des imposteurs. Lettres sur le Mali et l'Afrique, Philippe Rey, Paris, 2014.

(14) Lire Raf Custers, « Arrière-pensées européennes », Le Monde diplomatique, juillet 2006.

(15) Cf. Carlos Lopes, « L'intégration pas à pas » (PDF), Finances et Développement, juin 2016.

(16) Georges Courade, Les Afriques au défi du XXIe siècle, Belin, Paris, 2014.

(17) Cf. « Les transferts d'argent de la diaspora : une source de développement ? », Afrique renouveau, New York, 12 janvier 2014.

(18) Cf. Jean Ping, Éclipse sur l'Afrique. Fallait-il tuer Kadhafi ?, Michalon, Paris, 2014.

« Terra nullius », une fiction tenace

Le Monde Diplomatique - Fri, 28/04/2017 - 18:29

Lors des Jeux olympiques de Sydney, en 2000, l'Australie avait célébré dans l'allégresse la réconciliation nationale entre Aborigènes et descendants de migrants européens. La cérémonie d'ouverture mettait en scène l'histoire de son peuple premier, et l'athlète d'origine aborigène Cathy Freeman allumait la flamme olympique. Dix-sept ans plus tard, la question du droit à la terre et de la dette coloniale empoisonne à nouveau la société.

Main d'un artiste aborigène, 2013 © Science Photo Library / AKG-Images

En ce 30 mai 2015, une centaine de militants s'activent sur l'île Heirisson, en plein centre de Perth (Australie-Occidentale). Ces Aborigènes Noongars campent là depuis le mois de mars. Des drapeaux de leur nation, noir, jaune et rouge, flottent sur les stands. L'île sacrée de Matargarup, comme on la nomme en langue noongar, abrite la statue de Yagan. La tête de ce chef guerrier, considéré comme un héros de la résistance à la colonisation, avait été exposée à Liverpool en tant que curiosité anthropologique au XIXe siècle. Elle n'a été rapatriée qu'en 1997. Mois après mois, les organisateurs du campement invitent les citoyens, blancs comme noirs, à discuter des droits des Aborigènes, devenus des « réfugiés dans leur propre pays ».

L'origine de cette mobilisation remonte à novembre 2014. Le premier ministre libéral d'Australie-Occidentale, M. Colin Barnett, confirme alors la fermeture prochaine de 150 des 274 communautés de l'État : « Le gouvernement fédéral est à blâmer pour cette décision qui coupe les fonds destinés aux services essentiels [l'électricité, l'eau ou l'éducation]. Cent quinze communautés comptent en moyenne cinq résidents ; le coût de leur maintien est trop élevé. »

Les communautés reculées (remote communities) se situent dans le Kimberley, à 2 000 kilomètres au nord de Perth : quelques « baraques » éparpillées en plein désert, où l'État assure le minimum. L'attachement à la terre qui fonde leur culture motive les familles à demeurer ici. D'après le recensement de 2014 (1), on dénombre aujourd'hui en Australie 713 600 Aborigènes et insulaires du détroit de Torres, soit 3 % des 23 millions d'habitants du continent. Un peu plus de 50 000 d'entre eux vivent dans des zones éloignées ; 90 000, dans des zones très reculées. L'extraordinaire diversité des tribus en Australie se mesure au pluralisme linguistique : 120 langues aborigènes sont couramment parlées, pour 250 reconnues.

« Avant l'arrivée de la première flotte, rien d'autre que le bush »

L'évacuation des baraques contraindrait plusieurs centaines de personnes à changer d'existence pour aller s'installer à la périphérie des villes ou pour survivre dans des parcs publics. Cette menace a piqué au vif la conscience des Aborigènes, d'ordinaire peu mobilisés. Malgré les distances, une solidarité renaît entre la grande majorité d'entre eux, qui vivent sur la côte est, et ceux du Kimberley. Une longue histoire de luttes resurgit soudain, avec son calendrier, ses héros, ses symboles. Ainsi, le rassemblement politique sur l'île Heirisson a été organisé à dessein fin mai, pendant la « semaine de la réconciliation », qui commémore le 27 mai 1967. Ce jour-là, les Australiens votèrent à 90 % pour le comptage des Aborigènes dans le recensement national, et donc pour leur accession au statut de véritables citoyens. Tous se souviennent également du verdict rendu par la Haute Cour d'Australie en 1992 dans l'affaire Mabo vs Queensland — Eddie Koiki Mabo, originaire du détroit de Torres, ayant été l'instigateur de la procédure juridique. « Les Aborigènes et les indigènes du détroit de Torres ont une relation spéciale à la terre, qui existait avant la colonisation et qui existe toujours aujourd'hui » : le verdict rejetait la fiction de la terra nullius, selon laquelle l'Australie colonisée n'appartenait « à personne » puisque les Aborigènes ne cultivaient pas la terre.

« Il y a eu en quelque sorte une lecture sélective de l'histoire, explique l'écrivain Bruce Pascoe, qui a étudié les textes des premiers explorateurs. Ce qui ne servait pas la réputation des Britanniques a été écarté — à savoir le fait qu'ils avaient envahi une terre déjà occupée et bien entretenue. Ils ont cherché à prétendre que les Aborigènes n'avaient pas utilisé la terre, ou, dans un premier temps, qu'ils n'étaient même pas là (2).  » Cette même année 1992, le premier ministre travailliste Paul Keating prononçait à Redfern, un quartier populaire de Sydney, un discours resté célèbre : « C'est nous qui avons dépossédé les Aborigènes. Nous avons pris leurs terres traditionnelles et brisé leur mode de vie. Nous avons apporté un désastre. »

Le Native Title Act, qui fit suite au jugement Mabo, autorise chaque grande communauté à disposer d'un conseil des terres, habilité à porter devant le National Native Title Tribunal les litiges fonciers l'opposant au gouvernement ou à des intérêts privés. Mais les libéraux, sous la pression des compagnies minières, ont à maintes reprises amendé la loi au prétexte qu'elle accordait « trop de droits ».

Cette protection juridique d'un prolétariat refusant non seulement l'exploitation salariée mais aussi celle des montagnes de bauxite, de fer, d'argent et d'or que renferment ses terres constituait la base d'une possible réconciliation. C'est peu dire que cette perspective s'éloigne. En novembre 2014, en marge d'un sommet du G20, le premier ministre d'alors, M. Anthony Abbott (Parti libéral), expliquait à son homologue britannique David Cameron à quel point il était « difficile d'imaginer qu'avant l'arrivée de la première flotte, en 1788, il n'y avait rien d'autre que le bush » — balayant par là un quart de siècle de progrès politiques et cinquante mille ans d'histoire humaine attestée par les recherches archéologiques. « Les marins ont dû penser qu'ils venaient d'arriver sur la Lune ; tout devait paraître si étrange », a-t-il ajouté (3). Malgré les protestations qui enflammaient les réseaux sociaux, M. Abbott réaffirma sa vision des choses en mars 2015 : « Nous ne pouvons pas subventionner sans cesse des choix de vie qui ne contribuent pas pleinement à la société australienne (4).  »

Le mois suivant, quatre mille personnes descendaient dans les rues aux abords de Flinders Street, la principale gare de Melbourne, pour soutenir les communautés aborigènes. Le Herald Sun, détenu par News Corp., le conglomérat du multimilliardaire Rupert Murdoch, titrait : « La canaille égoïste bloque la ville » (11 avril 2015). Dans un pays dominé par les conservateurs, bloquer une gare le temps d'une journée représentait un affront intolérable.

Les fermetures de communautés seraient-elles liées, au moins en partie, à l'exploration minière ? Elizabeth Vaughan, chercheuse en archéologie et fondatrice avec le syndicaliste Clayton Lewis de l'association de défense du patrimoine Aboriginal Heritage Action Alliance, en est persuadée. « L'un des plus grands enjeux en Australie est la défense du patrimoine des Aborigènes dans le contexte de l'exploration minière. Il s'agit d'une véritable offensive contre leur culture et son héritage. » Fin 2014, rappelle M. Lewis, le Parlement d'Australie-Occidentale a voté une loi destinée à faciliter l'expulsion des populations en redéfinissant la notion de « site sacré », qui protège les lieux de culte. La précieuse appellation ne serait désormais délivrée qu'aux lieux où se tient un office religieux — une pratique qui… n'existe pas dans la culture aborigène. Vingt-trois sites ont ainsi été radiés, comme celui de Murujuga, au nord de Perth, connu pour ses pétroglyphes millénaires. Une heureuse coïncidence pour Chevron, BHP Billiton et Woodside Petroleum, qui, jusqu'alors, ne pouvaient pas exploiter le gaz naturel liquéfié disponible à quelques kilomètres au large de ces gros cailloux…

« La loi sur les sites sacrés a été votée, puis il y a eu celle restreignant la liberté de manifester (5). Enfin, il est prévu de fermer des dizaines de communautés reculées. C'est une guerre pour accéder à la terre et exploiter ses ressources naturelles », analyse M. Lewis. Ce raidissement renvoie au Queensland des années 1970. Pendant la guerre froide, le premier ministre de cet État, Joh Bjelke-Petersen, conjuguait sa politique de développement avec un autoritarisme et un racisme assumés. Le jour où le militant historique Charles Perkins suggéra de rebaptiser les États australiens de noms aborigènes, Bjelke-Petersen l'invita à « sortir de sa brousse » et le compara au witchetty grub, une larve bouffie qui vit dans le désert et dont les Aborigènes se nourrissent (6).

Le spectre d'une pédophilie endémique

Gastronomie d'un autre temps, « choix de vie » inadaptés à la modernité ou surcoûts budgétaires : les prétextes avancés pour justifier la liquidation progressive des communautés ne frappent pas autant l'opinion que celui de la protection de l'enfance. En 2011, la communauté d'Oombulgurri, dans le Kimberley, a été fermée à la suite de viols commis sur des mineurs. Ce fait divers tragique, massivement exploité par les médias et par une partie de la classe politique, a alimenté l'idée qu'une pédophilie endémique commanderait la fermeture des communautés éloignées.

Le procès n'est pas nouveau. Parmi les comportements antisociaux prêtés aux boongs ou aux coons (7), la prédation sexuelle à l'égard des enfants a depuis longtemps remplacé l'anthropophagie. Diffusé sur la chaîne ABC le 21 juin 2006, un reportage de l'émission « Lateline » mettait en scène un « délégué à la jeunesse » racontant, le visage dissimulé (« pour des raisons de sécurité »), le trafic d'esclaves sexuels auquel il assistait dans le Territoire du Nord, une région décrite comme une « zone de guerre ». Le mystérieux témoin, M. Gregory Andrews, travaillait en tant que fonctionnaire au département des affaires aborigènes. Profitant d'une vague de panique morale, le premier ministre conservateur d'alors, M. John Howard, jugea bon d'envoyer l'armée à Darwin pour « sauver les enfants ». Les bruits de bottes dans l'outback (arrière-pays) furent perçus comme une agression. L'anthropologue canadienne Sylvie Poirier note que « ces mesures d'urgence ont été qualifiées de cheval de Troie par des chercheurs, selon qui l'État reprenait par ce biais le contrôle des communautés et des terres aborigènes (8) ».

Depuis, la ficelle est régulièrement réutilisée. En 2007, le ministre des affaires aborigènes Malcolm Brough dénonçait « l'existence de gangs pédophiles dans des proportions inimaginables » dans le Territoire du Nord. Le gouvernement révoqua la surveillance par les Aborigènes de leurs propres terres et imposa un contrôle médical aux enfants. Cet épisode fit écho dans la mémoire collective à celui des « générations volées », ces quelque cinquante mille enfants placés de force dans des orphelinats, « pour leur bien » (9), entre la fin du XIXe siècle et le début des années 1960, comme dans ces pensionnats autochtones du Canada qui visaient à « tuer l'Indien dans l'œuf ». Si nul ne nie l'existence de cas de pédophilie ni la prévalence de l'alcoolisme dans certaines communautés reculées, le racisme et les intérêts industriels ont facilité la transformation du fait divers en trait social, comme au sein des communautés autochtones du Canada ou des États-Unis.

Quitte à se soucier des jeunes, les dirigeants politiques auraient pu s'interroger sur d'autres « proportions inimaginables ». En Australie-Occidentale, en 2013, les jeunes Aborigènes représentaient 6 % de la population des 10-17 ans, mais 78 % des mineurs incarcérés. Sur le plan national, ils courent vingt-six fois plus de risques de faire de la prison que les Blancs (10).

Comment expliquer une telle surreprésentation carcérale ? Ceux qui campaient sur l'île Heirisson peuvent-ils espérer une amélioration de leurs conditions de vie ? Le 18 juin 2015, la police de Perth expulsait manu militari les « réfugiés » de Heirisson (11) ; les militants promettaient, pour leur part, d'y « revenir encore et encore », ce qu'ils ont fait obstinément durant toute l'année 2016.

M. Robin Chapple, membre écologiste du conseil législatif à Perth, a déposé en mai 2016 un projet de loi visant à empêcher « l'éviction forcée des communautés ». Après une année de consultations, le gouvernement d'Australie-Occidentale a détaillé en juillet 2016 sa politique vis-à-vis des communautés reculées (12). Dix d'entre elles, identifiées en décembre, seront transformées en villes ; environ cent dix autres ne bénéficient déjà plus d'aucune aide gouvernementale.

En janvier 1988, deux cents ans après la fondation de Sydney, le militant Burnum Burnum plantait symboliquement un drapeau aborigène à Douvres : « Moi, Burnum Burnum, noble de l'antique Australie, je prends ici possession de l'Angleterre au nom du peuple aborigène. (…) Nous sommes venus vous apporter les bonnes manières, le raffinement et la possibilité d'un Koompartoo, un nouveau départ. Pour les plus intelligents d'entre vous, nous apportons la langue complexe des Pitjantjatjara ; nous vous apprendrons comment nouer une relation spirituelle avec la terre et comment trouver de la nourriture dans le bush. » Ce renversement symbolique attend toujours sa traduction politique.

(1) « The health and welfare of Australia's Aboriginal and Torres Strait Islander peoples : 2015 », Australian Institute of Health and Welfare.

(2) Bruce Pascoe, Dark Emu. Black Seeds : Agriculture or Accident ?, Magabala Books, Broome, 2014.

(3) « Tony Abbott says Australia “nothing but bush” before British arrived (video) », TheGuardian.com, 14 novembre 2014.

(4) Entretien sur ABC Goldfiels Esperance WA, www.abc.net.au, 10 mars 2015.

(5) « Criminal code amendment (prevention of lawful activity) bill 2015 », www.parliament.wa.gov.au

(6) The Sydney Morning Herald, 6 avril 1983.

(7) Termes racistes en argot australien.

(8) Sylvie Poirier, « La différence aborigène et la citoyenneté australienne : une conciliation impossible ? » (PDF), Anthropologie et Sociétés, vol. 33, no 2, Québec, 2009.

(9) D'après le rapport officiel « Bringing them home », 1997.

(10) « A brighter tomorrow. Keeping Indigenous kids in the community and out of detention in Australia » (PDF), Amnesty International Australie, Sydney, 2015.

(11) Brendan Foster, « Police remove Heirisson Island Aboriginal protesters in dawn raid », 18 juin 2015, WAtoday.com.au

(12) « Resilient families, strong communities. A roadmap for regional and remote Aboriginal communities » (PDF), Regional Services Reform Unit, gouvernement de l'Australie-Occidentale, Perth, juillet 2016.

North Korea Offers an Opportunity for U.S.-Russia Collaboration

Foreign Policy Blogs - Fri, 28/04/2017 - 18:20

North Korean military parade celebrating the 105th birthday anniversary of Kim Il Sung

The U.S. has recently attempted to leverage China in order to help it solve the North Korean situation. The thinking is that China is the only state with significant economic clout to affect North Korea’s policy-making process. Additionally, an improved trade treaty with China has been offered by the U.S. as an incentive. While the individual merits of this approach may be debatable, it doesn’t acknowledge the possibility of additionally utilizing Russia to help resolve the crisis.

Russia’s Place In Asian Security

Because of the current downturn in U.S.-Russia relations post-Crimea, Russia’s role in the Six-Party Talks process has been minimally acknowledged by the U.S., if it all. Certainly, while Russia doesn’t possess the economic heft of the Chinese in potentially dealing with North Korea, it does possess similar security concerns as China.

Russia has an implicit agreement with China not to interfere in one another’s respective spheres of influence, such as Chinese apparent deference to Russian security interests in Central Asia. However, it’s critical to remember that Russia has Asia-Pacific interests as well. Like the Chinese, one of these is eventual de-nuclearization of the Korean Peninsula.

Succinctly, further nuclearization and militarization of the Korean Peninsula has the potential to start a cascade effect in the overall Northeast Asian security decision-making process. Japan has already started a review of its defense posture in the region in order to respond to China’s rise. What additional steps may it take if the North Korean Crisis continues on its current trajectory?

More fundamentally, Russia shares China’s concern that further North Korean provocations will only bring U.S. military forces closer to their borders. This is neither in Russia nor China’s ultimate interest. Lastly, Russia shares China’s concerns that any military conflict with North Korea has the potential to cause instability and increased migrant flows across their shared border.

A rough analogy can be made between Belarus in Europe and North Korea in the Asia-Pacific in terms of how both serve overall Russian strategic interests. As during the Cold War, both Belarus and North Korea currently serve as buffer zones between Russia and the West. This North Korean utility is the latest chapter in the book of Russian security interests in Asia going back 400 years to the initial era of Russian expansion into Siberia.

How, Then, To Approach Russia?

As with China, there may be an opportunity for the U.S. to leverage Russian unease with the proximity of U.S. forces on its Asian border in order to elicit its help in resolving the crisis. Russia is already uncomfortable with NATO forces massing on the border of its Kaliningrad enclave in Europe. However, the U.S. would have to make it clear to Russia how their mutual interests would be solved by working together. Any U.S. dialogue with Russia focusing only on how the North Korean situation affects the U.S., Japan, and South Korea would be a non-starter.

The economic component of this possible avenue must not be overlooked as well. The U.S. has apparently convinced China of the necessity of strengthening economic sanctions against North Korea. An example of this new approach is China’s recent refusal to accept North Korean coal exports, vital to China’s own economic stance.

However, with respect to Russia, any U.S. talk of strengthening sanctions against North Korea when Russia itself is still facing Western sanctions over Crimea would be an additional deal-breaker. Economic duress caused by continuing Russian sanctions has had ramifications all across Europe, surely impacting the current French Presidential elections, as an example. Russia definitely does not need any further sources of instability right now, politically or economically.

Japan As A Possible Middleman

Additionally, Japan may not share the U.S.’ current approach to confrontation with North Korea. Of course, North Korean nuclear ambitions are a concern to Japan. However, China’s rise outranks even this concern. In order to deal more effectively with China, Japan has realized that it needs to improve relations with Russia. Likewise, Russia realizes that cooperation with Japan would improve its overall Asia-Pacific security portfolio with respect to China’s ascendancy.

Because of this, there may be an opportunity for the U.S. to utilize Japan as a middleman of sorts in negotiations with Russia to attempt to resolve the North Korean dilemma. Certainly, the U.S. still has limited direct negotiations with Russia, such as Secretary of State Rex Tillerson’s recent visit to Moscow over the Syrian Crisis. However, while there still are disputes between Russia and Japan, such as the Kuril Islands, Russo-Japanese relations remain better than current U.S.-Russia relations overall.

It has been speculated that Russia inserted itself as a major player, both diplomatically and militarily, into the Syrian Crisis in order to gain concessions from the U.S., such as sanctions relief over Ukraine. If this is true, then from the U.S. perspective, there is a risk that Russia might try the same approach with the now-defunct Six-Party Talks to gain additional leverage with the U.S. (and Japan).

However, not seeking Russian help in resolving the Ukraine Crisis, Syrian Crisis, and now North Korean Crisis may ultimately prove unsustainable for the U.S.. A choice is going to have to made by the U.S. as to which of these various crises really threaten U.S. interests in the long-term. With the apparent answer being the North Korean Crisis, Russian assistance in resolving it will be even more indispensable.

The post North Korea Offers an Opportunity for U.S.-Russia Collaboration appeared first on Foreign Policy Blogs.

State of Rebellion. Violence and Intervention in the Central African Republic

Politique étrangère (IFRI) - Fri, 28/04/2017 - 10:54

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Louisa Lombard, State of Rebellion. Violence and Intervention in the Central African Republic (Zed Books, 2016, 256 pages).

Louisa Lombard, anthropologue et professeur à l’université de Yale a déjà codirigé un ouvrage remarqué sur la Centrafrique (Making Sense of the Central African Republic[1], Zed Books, 2015). Dans son dernier livre, grâce à 13 années de recherche et à de nombreux séjours sur place, elle parvient, de façon très convaincante, à déconstruire les explications superficielles et habituelles sur les racines de la crise en République centrafricaine (RCA).

L’auteur aborde ici la dernière décennie de conflits en RCA, mais son propos ne manque pas d’excellentes perspectives historiques, notamment concernant la « période française », marquée par une colonisation dure et un remarquable manque d’empressement à développer le pays. Au fil des pages, elle revient sur de nombreuses idées reçues sur la RCA : par exemple, le pays serait riche de ressources naturelles, alors que leur exploitation est très difficile et qu’elles ne pourraient, en toute hypothèse, pas rendre le pays riche « par magie ».

En introduction, elle note que l’interrogation centrale de ses travaux depuis ces 13 années concerne la nature de l’État en RCA. Cette problématique est donc au cœur du livre. L’auteur souligne à plusieurs reprises qu’une conception rigide de l’État appliquée à la RCA n’aide pas à la compréhension des crises qui secouent le pays. En effet, l’État centrafricain a certes des frontières géographiques, mais son expression politique est très limitée. Pour les Centrafricains, l’État est davantage vu comme prédateur que comme protecteur ; et, dans le même temps, ils rêvent d’un État qui leur fournirait un statut social (entitlements), et surtout un salaire. C’est ainsi que les rebelles peuvent lutter contre l’État et, dans le même temps, rechercher la reconnaissance via un poste de fonctionnaire. Pour Louisa Lombard, le drame de la RCA est que des non-Centrafricains, avec une vision stratégique limitée à la stabilité régionale et fort peu de patience, sont les garants de l’État centrafricain. Ils tentent de promouvoir la stabilité via un régime présidentiel, alors même que l’expérience prouve largement que ce dernier est impuissant à apporter la sécurité sur le long terme.

De manière très intéressante, l’auteur distingue deux périodes pour les rébellions en RCA. La première, celle des « rébellions conventionnelles », s’ouvre dans les années 1980 et prend véritablement forme en 2005 avec la naissance de l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie (APRD). Ces rébellions opèrent essentiellement dans leurs régions d’origine et, bien qu’elles soient violentes, leurs actions sont limitées par la conscience que présent et avenir se limitent à leur aire d’opération. L’émergence de la Séléka en 2012 marque un tournant : les rebelles ne proviennent plus des régions où ils agissent, et opérer loin de leur zone d’origine augmente leur niveau de brutalité. Autre nouveauté, les divisions s’organisent de part et d’autre de lignes identitaires.

Le propos de l’ouvrage est beaucoup trop riche pour qu’on puisse le résumer efficacement, et il suscite de nombreuses réflexions. Louisa Lombard nous offre des clés pour tenter de comprendre les dynamiques à l’œuvre en RCA mais aussi les échecs des multiples missions de maintien de la paix déployées dans le pays. La lecture de ce livre est indispensable à tous ceux qui s’intéressent à la RCA, mais aussi aux États fragiles et plus généralement au maintien de la paix.

Rémy Hémez

[1]. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 2/2016 de Politique étrangère.

Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.

Korean Peninsula: Conflict prevention 'our collective priority' but onus also on DPRK, says UN chief

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
Preventing armed conflict in north-east Asia is the international community&#39s collective priority while the onus is also on the Democratic People&#39s Republic of Korea (DPRK) to refrain from further nuclear testing and explore the path of dialogue, United Nations Secretary-General António Guterres told the Security Council today.

Western Sahara: UN welcomes withdrawal of Polisario Front from Guerguerat area

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
The United Nations today welcomed the withdrawal of all Polisario Front elements from the Guerguerat area, between the berm and the border with Mauritania, as confirmed by observers of the UN Mission on Mission for the Referendum in Western Sahara, on 27-28 April.

UN food agencies urge Governments to step up food action in African countries facing famine

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
Unless urgent action is taken to feed people in north-east Nigeria, Somalia, South Sudan and Yemen, more than 20 million people will not find enough food to eat, the heads of the United Nations food agencies today warned.

Accurate occupational data vital to save lives, says UN labour agency on World Day

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
Even though more than 2.3 million fatalities and 300 million accidents resulting in injuries are estimated to occur in workplaces around the globe each year, the actual impact remains largely unknown, the United Nations International Labour Organization has warned, highlighting the need to &#8220vastly&#8221 improve national occupational safety and health data (OSH).

UN rights office troubled by accelerated executions in US with expiring drug a factor

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
The United Nations human rights office today expressed deep concern about the executions of four men in the United States state of Arkansas, which were reportedly done within the span of eight days to make use of an expiring lethal injection drug.

Returning from Mali, senior UN relief official spotlights country's complex challenges

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
Concluding a three-day mission to Mali, a senior United Nations relief official has underlined the need to keep the humanitarian needs of its people in the international spotlight.

Young Syrian refugees don't want pity; respect their rights and empower them – UNICEF Advocate

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
Concluding a visit to Syrian refugee camps in Jordan where he met with young people displaced from their homes, an advocate for the United Nations Children&#39s Fund (UNICEF) underlined the need to respect their rights and empower them so that they can grow to their full potential.

With two executions of minors looming, UN rights experts urge Iran to halt death penalty

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
At least 90 people on death row in Iran are under the age of 18, United Nations human rights experts today said, urging authorities to abide with international law and immediately stop these executions.

UN calls for restraint following violence in former Yugoslav Republic of Macedonia

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
The United Nations today called for restraint and calm in the former Yugoslav Republic of Macedonia following violence directed at democratic institutions and elected officials.

UN releases $500,000 for fuel purchase to address power outages in Gaza Strip

UN News Centre - Fri, 28/04/2017 - 07:00
The United Nations has approved the allocation of $500,000 for the purchase of emergency fuel to maintain the delivery of essential services at hospitals and other emergency medical facilities in the Gaza Strip of the Occupied Palestinian Territory, following severe power outages.

Le choc des mémoires au mépris de l'histoire

Le Monde Diplomatique - Fri, 28/04/2017 - 01:34

Dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale, la crise démographique et le pourrissement des questions sociales nourrissent le terreau des négationnistes. De façon de plus en plus ouverte, les nationalismes bâtis sur une réécriture de l'histoire font office de programmes politiques. De Stepan Bandera en Ukraine aux oustachis en Croatie, les criminels redeviennent des héros.

Mikhail Bozhiy. – « Vladimir Ilyich Lenin Standing » (Lénine debout), 1959-1961 © Odessa Fine Arts Museum, Ukraine / Bridgeman Images

Les Balkans produisent-ils vraiment « plus d'histoire qu'ils ne peuvent en consommer », selon la célèbre formule attribuée à Winston Churchill ? Durant l'été 2016, la Serbie et la Croatie ont encore polémiqué sur ce terrain. Belgrade accuse Zagreb de procéder à une réhabilitation du régime fasciste des oustachis (1941-1944), qui élimina en masse Juifs, Roms et Serbes. Tous les gouvernements nationalistes de la région utilisent, déforment ou manipulent les faits historiques afin de justifier ou d'asseoir leur propre pouvoir. Tous tentent de reformuler des récits nationaux qui éludent ou relativisent la mémoire de la lutte antifasciste, fondement de la Yougoslavie socialiste et fédérale (1945-1991). Vingt-cinq ans après l'éclatement de l'ancien État commun, ce processus s'emballe à nouveau.

Le 22 juillet 2016, la cour d'appel de Zagreb annulait le verdict de 1946 qui reconnaissait le cardinal Alojzije Stepinac (1898-1960) coupable de collaboration avec l'État indépendant croate (Nezavisna Država Hrvatska, NDH), créé en 1941 par les oustachis sous la protection de l'Allemagne nazie. Mgr Stepinac, nommé archevêque de Zagreb en 1937, est une figure hautement controversée. Resté en place tout au long de la guerre, il cautionna ce régime, même si ses partisans rappellent qu'il condamna les politiques raciales dans certaines de ses homélies et affirment que son procès aurait été diligenté par les communistes pour réduire le poids de l'Église catholique en Yougoslavie. Emprisonné à Lepoglava, puis assigné à résidence dans sa bourgade natale de Krašić, près de Zagreb, où il mourut, il fut élevé au rang de cardinal en 1952 par le pape Pie XII et béatifié en 1998 par Jean Paul II. Le Vatican retarde cependant l'avancée de son procès en canonisation afin de ne pas compromettre le dialogue avec le monde orthodoxe, priorité du pape François.

Une étrange et tardive « révolution nationale » est en cours en Croatie. Lors de son accession à l'indépendance et durant la guerre (1991-1995), sous la houlette du très nationaliste président Franjo Tuđman et de son parti, la Communauté démocratique croate (HDZ), la Croatie avait effectué une première mise à distance de l'héritage symbolique et idéologique de la résistance antifasciste de la seconde guerre mondiale. Certaines unités combattantes croates se revendiquaient ouvertement des oustachis, notamment en Bosnie-Herzégovine. Quant au gouvernement, il fit le choix de donner moins de relief à la commémoration annuelle de l'insurrection des détenus du camp de concentration de Jasenovac, le 22 avril 1945, tout en officialisant celle du massacre de Bleiburg. En mai 1945, près de cette petite bourgade, dans les collines du sud de l'Autriche, les partisans de Tito encerclèrent les cadres civils et militaires de l'État oustachi en déroute. Plusieurs dizaines de milliers de personnes furent tuées (1). Chaque année, la célébration des deux événements ravive une guerre des mémoires interne à la Croatie. La présence des officiels à l'une ou l'autre cérémonie suscite d'intenses commentaires : en 2016, la présidente de la République, Mme Kolinda Grabar-Kitarović (HDZ), a ainsi été « empêchée » de se rendre à Jasenovac, mais elle était présente à Bleiburg…

Néanmoins, le régime oustachi n'a jamais fait l'objet d'une reconnaissance officielle. Au contraire : la Constitution de la Croatie indépendante revendique l'héritage de l'« antifascisme ». Cette ambivalence s'explique en partie par la position personnelle de Franjo Tuđman, ancien général des partisans devenu cadre du régime yougoslave avant de virer nationaliste au début des années 1970. En somme, la Croatie indépendante rejetait les expériences yougoslaves — la Yougoslavie royale de l'entre-deux-guerres et la Yougoslavie socialiste de Tito — mais revendiquait la résistance comme élément de sa propre histoire. Un pas nouveau a été franchi avec le retour de la droite au pouvoir à l'issue des élections du 8 novembre 2015. La Coalition patriotique, dirigée par le HDZ, qui regroupe toutes les chapelles de l'extrême droite croate, a dû s'allier au « mouvement citoyen » Most (« pont »), dont les dirigeants sont très proches de la hiérarchie catholique, tandis que le poste de premier ministre revenait à un homme d'affaires croato-canadien, M. Tihomir Orešković, « sans étiquette » mais fortement lié à l'Opus Dei. L'attelage n'a tenu que jusqu'en juin 2016, ce qui a conduit à de nouvelles élections le 11 septembre dernier, après des mois de polémiques sur fond de révisionnisme.

Ministre de la culture et figure très populaire de ce gouvernement, l'historien négationniste Zlatko Hasanbegović, ancien militant du groupuscule d'extrême droite Pur Parti croate du droit (HČSP) passé au HDZ, rejette l'héritage de l'antifascisme. Il s'agit selon lui d'un « concept vide de sens » avancé par les « dictatures bolcheviques ». Dans ses travaux scientifiques, il tente de relativiser les politiques d'extermination mises en œuvre par le régime oustachi. Musulman de Zagreb, le ministre est issu d'une tradition politique hypermarginale : celle des musulmans de Bosnie-Herzégovine qui rallièrent les oustachis et s'engagèrent pour certains dans la 13e Waffen SS Handschar, répondant à l'appel à la collaboration du mufti de Jérusalem, Mohammed Amin Al-Husseini. « Le discours du gouvernement met sur un même pied la collaboration et les crimes du communisme, explique l'historien Tvrtko Jakovina. Il prétend renvoyer dos à dos les deux totalitarismes, le communisme et le fascisme. Dans la pratique, ce discours permet de stigmatiser l'“ennemi intérieur”, à commencer par les “communistes” et tous les nostalgiques de la Yougoslavie, sans oublier les Serbes et les autres minorités nationales, mais aussi les mauvais catholiques, les féministes et les minorités sexuelles. »

« La collaboration n'est pas un crime »

Ce révisionnisme croate participe d'une nouvelle tendance qui affecte toute l'Europe centrale. Sous la houlette de M. Ivo Sanader, premier ministre de 2003 à 2009, le HDZ avait engagé un net recentrage dans la perspective de rejoindre l'Union européenne. Après l'adhésion, actée le 1er juillet 2013, le parti s'est réorienté à droite toute. « L'un de ses dirigeants m'a confié : “Nous avons atteint un premier objectif avec l'indépendance, un second avec l'intégration européenne ; il est maintenant temps de créer un État vraiment national” », expliquait début mai le député Milorad Pupovac, président du conseil national de la communauté serbe de Croatie. Une fois la Croatie admise en son sein, l'Union a perdu une bonne part des moyens dont elle disposait du temps du processus d'intégration pour prévenir ou sanctionner les dérives idéologiques. La Croatie, qui a les yeux de Chimène pour ses voisins du très conservateur groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), estime que cette caution européenne lui donne les moyens d'affirmer son « identité nationale », et même une vision très droitière de celle-ci.

Le révisionnisme n'épargne pas la Serbie. Le 22 décembre 2004, le Parlement de Belgrade votait une loi octroyant les mêmes droits à la retraite aux anciens partisans et aux anciens tchetniks (2). La loi avait été proposée par M. Vojislav Mihailović, député du Mouvement serbe du renouveau (SPO, monarchiste) et petit-fils de Dragoljub Draža Mihailović (1893-1946), le chef de l'Armée yougoslave dans la patrie, qui regroupait durant la seconde guerre mondiale les unités de francs-tireurs connues sous le nom de tchetniks. Ce mouvement « légaliste », fidèle au gouvernement royal en exil à Londres, s'est d'abord engagé dans la lutte contre les occupants (nazis, bulgares, italiens), contre leurs collaborateurs serbes du Gouvernement de salut national et contre le régime oustachi. Puis une partie de ses unités ont choisi la collaboration, préférant combattre la résistance communiste des partisans de Tito, dont l'influence croissante lui valut le soutien du Royaume-Uni à partir de 1943 (3). Traqué dans les montagnes de Bosnie orientale, Draža Mihailović fut arrêté le 12 mars 1946, jugé à Belgrade et fusillé. Au terme d'un procès ouvert en 2006, il a été définitivement réhabilité le 14 mai 2015. Si les historiens reconnaissent l'ambivalence du mouvement nationaliste tchetnik, qui fut un authentique mouvement de résistance avant de verser partiellement dans la collaboration, cette réhabilitation pose d'autres questions : si Draža Mihailović était innocent, son exécution fut un crime, commis par le régime communiste yougoslave.

Une étape supplémentaire a été franchie avec l'ouverture, en mai 2015, du procès en réhabilitation du général Milan Nedić (1878-1946). Chef d'état-major de l'armée yougoslave de 1934 à 1935, nommé ministre de l'armée et de la flotte en 1939, il fut contraint un an plus tard à démissionner de cette charge par le prince Paul, régent du royaume, en raison de ses sympathies affichées pour l'Allemagne nazie. Tenu pour l'un des responsables de l'effondrement de la défense yougoslave face à l'invasion des forces de l'Axe en avril 1941, il prit le 29 août 1941 la tête du Gouvernement de salut national, qui ne fut qu'un simple outil administratif au service des nazis dans la Serbie occupée. Sous la férule du gouverneur militaire allemand, les troupes de Nedić contribuèrent à l'arrestation, à la déportation et à la mise à mort de milliers de Juifs et de résistants. « La collaboration n'est pas un crime. La collaboration n'est qu'une forme de coopération avec l'occupant », affirmait, à l'ouverture du procès, l'un des plus chauds partisans de la réhabilitation du « Pétain serbe », l'historien Bojan Dimitrijević, par ailleurs membre de la direction du Parti démocratique (DS), une organisation rattachée à l'Internationale socialiste (4).

Avant lui, le Parti libéral serbe, une petite formation disparue en 2010, avait également milité pour la réhabilitation du général. Cet engouement ne procède pas d'un soutien à l'idéologie nazie, mais d'un rejet tellement vif du communisme yougoslave que tous ses adversaires s'en trouvent légitimés. Le régime de Tito est rejeté par les libéraux en tant que système social et en tant que projet fédéral et multinational qui aurait étouffé le peuple serbe. La Serbie, monarchie parlementaire dès le milieu du XIXe siècle, ce qui fait d'elle l'une des plus anciennes démocraties d'Europe, aurait été empêchée de suivre son évolution naturelle. Les intellectuels révisionnistes serbes estiment se battre contre la vision monolithique de l'histoire imposée par le régime communiste ; ils dénoncent le « mythe » de la fraternité et de l'unité des peuples yougoslaves, credo central du régime titiste.

Ce débat a été considérablement obscurci durant le régime de Slobodan Milošević, qui, au pouvoir de 1989 à 2000, excellait dans l'art de jouer sur les deux tableaux. D'une part, l'ancien chef de la Ligue des communistes de Serbie se présentait comme le défenseur de l'héritage yougoslave mis à mal par la sécession des autres républiques fédérées ; de l'autre, il réhabilitait le nationalisme serbe dans ses variantes les plus conservatrices et orthodoxes.

Depuis 2014, le pays est dirigé par le très libéral Parti progressiste serbe (SNS). Directement issu de l'extrême droite nationaliste, celui-ci a effectué en 2008 un aggiornamento radical et professe depuis des convictions proeuropéennes à toute épreuve. Ancien jeune loup du Parti radical serbe (SRS), connu pour ses appels au meurtre des musulmans dans les années 1990, le premier ministre Aleksandar Vučić essaie de cultiver une image lisse de technocrate. Poursuivant un programme de réformes ultralibérales tout en favorisant le culte effréné de sa propre personne, il se garde de trop investir le terrain mémoriel. Son discours exalte une « Serbie de l'avenir » qui devrait rompre avec les fantômes de son passé, solder les comptes de son histoire — notamment à propos du Kosovo, dont Belgrade, sans le dire, reconnaît progressivement l'indépendance, proclamée en 2008.

Dans le regard occidental, les Balkans sont toujours spontanément associés à une histoire touffue, confuse. L'argument de la « complexité » permet de refuser tout travail d'intelligibilité et s'inscrit dans un dispositif idéologique que l'historienne bulgare Maria Todorova (5) qualifie de « balkanisme », dans un sens proche de celui donné à l'orientalisme par Edward W. Said.

La perspective d'entrer dans l'Union européenne après la décennie de guerre des années 1990 était censée offrir à la région le moyen de rompre avec la supposée répétition d'un passé tragique. En quelque sorte, cette intégration devait lui garantir une forme de « sortie de l'histoire », inhérente au processus d'européanisation. L'exemple croate montre bien la vanité de ces prétentions. Mais, alors que le processus d'élargissement n'est plus à l'ordre du jour, nombre de diplomates européens s'accommodent fort bien du discours désidéologisé de M. Vučić, dont la principale qualité serait sa capacité à garantir la stabilité de la Serbie. Ce faisant, ils oublient les excès nationalistes du premier ministre, pardonnés comme des « péchés de jeunesse ». Il est vrai que l'échec du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a permis aux anciens « chiens de guerre » de rester sur le devant de la scène politique. L'égalité postulée en Croatie entre oustachis et partisans, l'« indifférence historique » professée par les autorités serbes ont pour objectif commun d'effacer et de dénigrer la singularité de la résistance yougoslave, qui associait un projet socialiste à une volonté de vivre ensemble et à une promesse d'égalité entre les peuples.

En Macédoine, cet effacement de la mémoire prend une forme plus singulière. À Skopje, l'impressionnant Musée du combat macédonien pour un État indépendant reconstitue depuis 2011 la geste des combattants nationalistes macédoniens, traqués par les Turcs, puis par les Serbes et les Bulgares et enfin par les communistes yougoslaves. La Macédoine, enfin « réconciliée (6) » sous la houlette de l'Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure - Parti démocratique pour l'unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE), oublie ainsi les blessures et les divisions de son histoire, alors même que sa naissance en tant qu'État remonte précisément à la résistance antifasciste. C'est ce moment particulier qu'il faut faire disparaître. Les jets d'eau colorés du monument tiennent lieu d'analyse historique, et collaborateurs des nazis comme résistants ne sont plus que les figures hiératiques d'un carrousel privé de sens.

(1) Jozo Tomasevich, War and Revolution in Yugoslavia, 1941-1945 : Occupation and Collaboration, Stanford University Press, 2002.

(2) Cf. Sonja Drobac, « Serbie : égalité pour les anciens partisans et les anciens tchétniks de la seconde guerre mondiale », Le Courrier des Balkans, 10 janvier 2005.

(3) Sur le mouvement tchetnik, l'ouvrage récent le plus objectif est celui de Roland Vasić, Mihailović entre révolution et restauration. Yougoslavie 1941-1946, L'Harmattan, Paris, 2009. Cf. aussi les Mémoires de l'émissaire de Winston Churchill auprès de Tito, Fitzroy Mclean, Dangereusement à l'Est (1936-1945), Viviane Hamy, Paris, 2015.

(4) Cf. Ljudmila Cvetković, « Nazisme et collaboration en Serbie : l'inacceptable réhabilitation de Milan Nedić », Le Courrier des Balkans, 30 décembre 2015.

(5) Maria Todorova, Imaginaire des Balkans, Éditions de l'EHESS, Paris, 2011.

(6) Lire « La Macédoine à la dérive », Le Monde diplomatique, mai 2016.

Assisting Famine

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Fri, 28/04/2017 - 00:00
(Own report) - This Sunday, Chancellor Angela Merkel is expected in the Saudi capital Riyadh for talks on the wars in Syria and Yemen, according to the Saudi media. Her talks in the Golf monarchy will therefore focus not only on expanding economic relations but on the proxy wars, Saudi Arabia is currently waging against Iran. Berlin supports Riyadh in these proxy wars - politically but also with the supply of weapons proven to have been used in Yemen. Saudi Arabia is strongly criticized for its war in Yemen, which is causing numerous civilian casualties. In addition, Riyadh's maritime blockade of Yemeni ports is causing a famine. 2.2 million children are malnourished, including half a million who are severely malnourished and at imminent risk of death. In March, Berlin authorized the delivery of supplementary German patrol boats to Saudi Arabia, in spite of them being used to enforce the maritime blockade. Aid organizations are sounding the alarm.

Pages