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Diplomacy & Crisis News

Garibaldi, Cavour et l'unité italienne

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:09

Il peut paraître surprenant que le héros italien le plus populaire en France y ait suscité si peu d'historiens. Par compensation peut-être à l'abondance de l'imagerie qui a du reste fortement contribué à obscurcir l'histoire dans les rayons de la légende. Non point que celle-ci contredise celle-là, mais une geste n'est pas une explication. C'est donc dans une perspective rigoureusement historique que s'est placé M. Emile Tersen pour nous donner la première biographie sérieuse de Garibaldi (1).

Sérieuse en ce qu'elle ne cherche pas à ranimer, dans le mouvement, la couleur, la passion, le pittoresque, « l'aventure » publique et les aventures privées du héros, mais à saisir, éclairer l'homme dans ses profondeurs, et J'action dans ses mobiles, ses nécessités, sa nature véritables.

Ce qui n'implique ni sécheresse ni impassibilité, tout au contraire : le moyen, d'ailleurs, quand le biographe ne cache pas une amitié chaleureuse pour son modèle et que celui-ci est le dernier des révolutionnaires romantiques ? Et comment échapper au romanesque de la période américaine, peu connue, où pourtant l'épopée future trouve son élan et sa couleur (jusqu'à la fameuse chemise rouge et au poncho blanc) et l'avenir quelques-unes de ses clés ?

Engagé à vingt-cinq ans dans un de ces complots ourdis à la légère par Mazzini – qui est alors et tout naturellement son maître, – Garibaldi échappe de justesse, prend le large – à la lettre – et le voilà corsaire, au service des mouvements révolutionnaires sud-américains. Attention : « service », chez lui, doit toujours être pris au sens noble. Il ne faut jamais oublier que Garibaldi restera toujours pauvre. Quand, au soir de son dernier combat pour l'Italie, il se retirera dans son île, il n'emportera avec lui qu'un sac de semences. Dans sa jeunesse américaine, il vit surtout de fruits, d'eau fraîche et, bien entendu, d'amours. C'est là qu'au bord de la lagune il rencontre son Anita et lui dit : « Tu seras à moi. » Elle le fut, en effet, totalement, pendant dix années de luttes et d'espérance, dans l'Italie retrouvée et qui par Garibaldi se retrouve, – jusqu'à ce jour torride où elle meurt d'épuisement, à ses côtés, portant son quatrième enfant, dans la retraite harassante qui suit la perte de Rome. Presque seul survivant de sa troupe décimée ou dispersée, Garibaldi enterre sa femme dans un champ. Voilà l'épopée romantique toute pure : Byron ou Delacroix.

Pour M. Tersen, ce ne sont là tout de même que des événements « personnels ». Et ce qu'il s'efforce à saisir et décrire en Garibaldi, à travers l'individu exceptionnel et son dramatique destin, au delà même du forgeur de l'unité italienne, c'est « l'accélérateur d'une Histoire inéluctablement en marche au milieu des forces retardatrices ou des forces d'inertie. Au premier rang desquelles M. Tersen place évidemment la papauté du pouvoir temporel et sa protectrice, la France ; la Prusse, l'Autriche, bien sûr ; mais aussi l'opportunisme de Victor-Emmanuel et de Cavour.

Chez eux, pourtant, quelle astuce souveraine – faut-il dire machiavélique ? – à utiliser Garibaldi : toujours en glorieux franc-tireur, ce qui permet de se désolidariser de son action, de le désavouer (au besoin, le faire arrêter), de lui donner bien haut des ordres en sachant qu'il désobéira, et de protester à la face des puissances, la France en particulier : « Ce n'est pas moi C'est lui, c'est ce rebelle. » Le roi et son ministre ont excellé à ce double jeu dont Garibaldi α plus d'une fois souffert, sans être dupe, mais non plus partenaire. Personne qui soit plus étranger que lui à la « combinazione ».

M. Tersen analyse avec acuité le personnage de Cavour et ses rapports avec Garibaldi. « Le diplomate et le héros » -sujet de pendule un peu simpliste. L'erreur serait de ne voir en Garibaldi qu'un sublime baroudeur : chez lui, certes, l'idée se fait aussitôt action, mais elle n'en a pas moins un profond ressort politique. Et bien plus fermement tendu et orienté dans le sens de l'histoire, pense M. Tersen, que la subtile pensée diplomatique de Cavour. A un moment amer de sa vie, Garibaldi a dit qu'il était l'orange qu'on jette après l'avoir pressée. Pour M. Tersen, l'orange, c'était Victor-Emmanuel et le cavourisme : facteurs nécessaires de l'Unité – qui n est elle-même qu'une étape et un moyen – celle-ci accomplie, les agents accidentels doivent être rejetés. Tandis que Garibaldi, bien qu'il n'ait pas lu Marx et soit le contraire d'un doctrinaire, à travers son Italie, c'est toute l'Histoire dont il précipite la marche « en avant ». Dans sa bouche, Avanti ! n'est plus un cri italien : il exprime tout le progrès, et même le progressisme, universel. Ce n'est pas par romantisme (ou pas seulement) mais par conscience et instinct révolutionnaires qu'il répugne si fort à la « politique de renards », aux « faiseurs politiques » et à leurs * traités diplomatiques ». Non qu'il blâme le réalisme et la prudence, dont il donne lui-même les meilleurs exemples, mais dans l'opportunisme qu'on lui oppose il sent des intérêts qui, pour aller provisoirement dans le même sens, ne sont pas ceux de la nation et du peuple.

Pouvait-on aller plus vite ? Laisser plus libre carrière à ce brûleur d'étapes ? – Non, sans doute, dans la situation de l'Europe. Pour passer outre, avec chance de succès, à une situation telle, il faut un pouvoir révolutionnaire. Garibaldi n'était pas le pouvoir, et sans doute il ne pouvait pas l'être. Et le royaume du Piémont n'était ni la France de 1792 ni la Russie de 1917. Entre Cavour et lui, l'opposition des tempéraments et du mobile politique s'est comme symboliquement cristallisée sur Rome. Or la « question romaine n'était pas italienne, mais européenne, sinon mondiale. Cavour était bien obligé d'en tenir compte. Ce n'est certes pas sur lui que par deux fois Garibaldi s'est brisé, mais contre les fusils français.

M. Tersen ne résiste pas au plaisir intellectuel de faire fonctionner rétrospectivement les aiguillages de l'histoire. Comblant les voeux de Garibaldi et répondant à l'invite de Victor-Emanuel, que Napoléon III en 1870 eût payé de Rome l'alliance italienne qui entraînait celle de l'Autriche, la guerre sans doute n'aurait pas eu lieu. Soit. Mais l'empire était consolidé. L'accélérateur jouait donc aussi comme un frein. Tout eût été plus beau, certes, si Garibaldi avait conduit à la victoire les armées de la jeune République française. (M. Tersen suggère que ce n'était pas une chimère). Trop beau, sans doute : le temps des Jeanne d'Arc était déjà passé. Lui, en tout cas, aura été assez heureux ou assez simple pour n'avoir pas à lier le triomphe de son idée de l'homme à la défaite de sa patrie ; pour poursuivre une victoire unique par une guerre qu'il a toujours cru juste.

(1) Club français du Livre.

Images de la femme dans la société

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:09

La Revue internationale des sciences sociales consacre le premier numéro de son quatorzième volume à cet important facteur d'évolution sociale qu'est la modification du statut de la femme.

A la suite d'enquêtes effectuées sous la direction de M. Paul Chombart de Lauwe en plusieurs pays (France, Maroc, Autriche, Yougoslavie, Pologne), des sociologues s'efforcent de préciser le nouveau rôle que devront assumer les femmes dans les sociétés industrielles et les réactions que ce bouleversement suscite chez les hommes.

Unesco, Paris, 1962.

Des mandarins à Mao

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

Après nous avoir brossé dans la Chine et son ombre un tableau remarquable de la Chine communiste depuis 1948, M. Tibor Mende remonte maintenant aux origines du régime actuel et analyse les facteurs et les causes qui ont déterminé son succès.

De la chute de l'empire mandchou en 1911 à l'avènement des communistes on assiste à la naissance de la République et à ses revers ; derrière Sun Yat-sen se profilent déjà les silhouettes de Mao et de Tchiang, tandis que peu à peu s'effacent celles des mandarins et des seigneurs de la guerre. Le rôle des puissances étrangères, occidentales et soviétique, est analysé ici avec concision et lucidité. Etant donnée l'importance da cette période décisive, on regrettera parfois la rapidité de l'ouvrage dont certains chapitres eussent mérité d'être développés.

Le Seuil, Paris, 1962.

La Reynie et la police au Grand siècle

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

C'est au premier lieutenant de police de Louis XIV qu'il revient d'avoir mis sur pied le premier corps de police de France, qui par la suite devait servir de modèle à de nombreux pays, tant dans son organisation interne que dans son fonctionnement.

Vider le ventre de Paris de ses mendiants, bandits, empoisonneuses, joueurs et tripoteurs ; nettoyer et assainir la capitale au point qu'elle recevra bientôt son fameux surnom de « Ville Lumière », lutter contre les huguenots, les comploteurs et les prostituées ; aucune tâche touchant de près ou de loin au maintien de l'ordre n'a échappé au grand commis de Louis XIV. L'évocation de l'oeuvre considérable qu'il a ainsi accomplie est pour l'auteur l'occasion de dépeindre d'une façon vivante et pittoresque, fort bien documentée, les aspects les plus secrets de Parts au dix-septième siècle.

[<>Hachette, Paris, 1962.]]

Pindare le Dorien

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

Il appartenait à M. Georges Méautis, un des meilleurs hellénistes de notre temps, de faire revivre le poète dorien au nom prestigieux, mais qui est aussi l'un des moins connus de l'antiquité.

Seul un savant doublé d'un écrivain pouvait entreprendre cette tâche avec l'espoir du succès. Il fallait en effet pour cela connaître à fond l'époque dans laquelle se situe la vie de Pindare en même temps que la littérature hellénique du V° siècle. C'est par l'analyse pénétrante de ce que l'on sait et de ce qui reste de son oeuvre que l'auteur nous initie à l'art du poète. Ce livre comble une lacune, car, le croirait-on, il n'existe pas d'ouvrage moderne en langue française sur Pindare.

Ed. La Baconnière, Neuchatel, 1962.

Napoléon a-t-il été empoisonné ?

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

Le destin de Napoléon continue, après un siècle et demi, à passionner les hommes ; la littérature napoléonienne, fort abondante déjà, ne cesse de s'enrichir.

L'ouvrage du Dr Forshufvud, savant suédois de réputation mondiale, se signala par son originalité : il soutient en effet que l'Empereur est mort empoisonné à l'arsenic. On sait que le prisonnier de Sainte-Hélène souffrait de l'estomac ; les premiers symptômes de sa maladie s'étaient déclarés six mois avant la mort. Après une période de cruelles souffrances Napoléon parut se remettre ; puis brusquement une hémorragie se produisit et le malade mourut au cours de la nuit. Le Dr Sten Forshufvud a étudié tous les documents et témoignages disponibles à la lumière des critères et des méthodes de la médecine moderne ; sa conclusion, si elle n'apporte pas une certitude, ne peut cependant pas ne pas faire impression.

Editions Plon, Paris, 1961.

Néron

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

De formation juridique, mais historien par goût de l'érudition, M. Georges-Roux a ouvert le dossier Néron de l'histoire romaine et y a découvert quelques vérités qui modifient sensiblement l'image traditionnelle du fils d'Agrippine.

A travers ce livre Néron, considéré jusqu'à présent comme le symbole de la cruauté, apparaît moins cruel que cabotin. Pour l'auteur on ne saurait lui imputer l'assassinat de Britannicus, celui-ci étant vraisemblablement mort d'une rupture d'anévrisme. S'il tue, c'est pour se défendre, non pour le plaisir de tuer. L'ouvrage de M. Georges-Roux, s'il n'est pas une réhabilitation, constitue une mise au point dont l'empereur en définitive ne sort point grandi.

Editions Fayard, Paris, 1962.

Evolution politique de l'Afrique du Nord musulmane 1920-1961

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

C'est avant tout l'histoire des mouvements d'émancipation nord – africains.

L'intérêt de l'ouvrage réside donc principalement dans la description des différents partis nationalistes du Maghreb et de leur lutte. Après cette longue étude, l'auteur en arrive à une conclusion plutôt pessimiste quant aux possibilités d'unification politique des trois Etats, dont on sait d'ores et déjà qu'ils posséderont des régimes fort différents dans leur structure, et qui par là se trouveront inévitablement amenés à se livrer une certaine forme de concurrence.

Armand Colin, Paris, 1962.

Histoire de l'Algérie

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

Cette histoire embrasse toute la période de l'antiquité à nos jours.

Une présentation originale et de nombreuses illustrations augmentent l'attrait de cet ouvrage, réalisé avec le concours de plusieurs spécialistes éminents, dont Jean Lassus, directeur du service des antiquités d'Algérie. et Georges Marçais, membre de l'Institut, qui vient de mourir.

Les productions de Paris, Paris, 1962.

Un album sur Berlin

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 10:08

Décrire l'aspect extérieur de Berlin, et surtout révéler l'âme tragique de cette capitale par une simple collection de photographies, tel est le but de ce nouvel album des « Richesses du monde qui vient de paraître.

L'entreprise était difficile, mais on peut en féliciter les auteurs, car c'est une réussite. Les photographies ne sont pas seulement belles et techniquement irréprochables. Elles sont aussi parlantes et elles évoquent à la fois. par des images bien choisies, le passé artistique de Berlin et son prodigieux épanouissement d'aujourd'hui, Il faut feuilleter cet album pour se rendre compte du miracle berlinois, c'est-à-dire de la rapidité avec laquelle la capitale déchue de l'Allemagne s'est relevée de ses ruines. Le bourgmestre de Berlin-Ouest, Willy Brandt, qui a préfacé le volume, a raison de dire qu' « aucune autre ville d'Europe n'a autant que celle-ci dû modifier sa physionomie en raison des faits politiques ».

Editions Elsevier, Paris, 1962.

Les Nations unies contre Terminator

Le Monde Diplomatique - Fri, 02/06/2017 - 09:28

Les premières discussions formelles des Nations unies pour interdire l'utilisation des systèmes d'armes létaux autonomes doivent se tenir l'été prochain à Genève. Sans un consensus pour encadrer les développements de l'intelligence artificielle en matière d'armement, la réalité pourrait bientôt rejoindre les fictions où sévissent des machines capables de tuer sans intervention humaine.

Tenmyouya Hisashi. — « Black Helmet in the Shape of a Cloaked Robot » (Casque noir en forme de robot masqué), 2016 Photo Miyajima Kei - © Tenmyouya Hisashi - Mizuma Art Gallery, Tokyo

En juin 2016, les robots de combat terrestre tenaient la vedette au Salon de défense Eurosatory, près de Paris. Ces engins peuvent être équipés de mitrailleuses ou de lance-grenades, comme le Themis, mais aussi servir à la lutte antiterroriste, comme le Dogo, ou à la protection de convois, à l'image du RoBattle, un véhicule de sept tonnes avec une tourelle de tir montée sur six roues motrices. Si ces armes restent contrôlées à distance par un être humain, certains robots terrestres peuvent déjà être entièrement automatisés.

C'est le cas du SGR-A1, conçu par le groupe sud-coréen Samsung. Depuis 2010, de jour comme de nuit, ce « robot sentinelle » surveille la frontière entre les deux Corées grâce à des caméras haute performance et des capteurs pouvant détecter une cible en mouvement à une distance de quatre kilomètres. Il reconnaît les voix et les mots de passe, distingue un homme d'un animal et envoie un ordre de reddition en cas de franchissement de la ligne de démarcation. Si le suspect lève les bras, ce « Robocop » ne tire pas. Sinon, il peut faire usage de sa mitrailleuse Daewoo K3 de calibre 5,56 mm ou d'un lance-grenades de 40 mm. L'autorisation d'ouvrir le feu revient encore aux humains du poste de commandement, mais l'appareil dispose d'un mode « automatique » qui lui permettrait d'agir seul (1). Samsung fait valoir que sa sentinelle n'est jamais fatiguée et ne souffre pas des conditions atmosphériques...

Pour ses promoteurs ou ses concepteurs, le robot présente l'avantage d'accomplir les sales besognes, en particulier les missions « 3D », « déprimantes, dégoûtantes et dangereuses (2) ». Il remplace avantageusement le soldat en lui évitant certaines missions périlleuses (déminage, évolution dans un environnement nucléaire, bactériologique ou chimique), les tâches répétitives (surveillance, patrouille…) ou physiquement difficiles (transport de lourdes charges).

Comme pour les drones, on peut observer que, en dépit des problèmes immenses que soulèvent ces nouveaux types d'armes, leur développement se fait jusqu'à présent hors de tout cadre réglementaire multilatéral. Le principal souci des militaires semble être de ne pas se laisser dépasser par d'autres puissances. Le Pentagone recommande ainsi dans un récent rapport des mesures immédiates pour rester dans la course, et donne plusieurs pistes pour « accélérer l'adoption des capacités autonomes par le ministère de la défense (3)  ». Les entreprises étatiques chinoises développent déjà des robots divers qui tendent vers l'autonomie. La Russie aurait testé récemment le système Unicum, qui, selon l'agence du gouvernement, « dote les véhicules de capacités intellectuelles et permettrait ainsi à l'avenir d'exclure presque complètement l'intervention humaine (4) ». Enfin, Israël met en service de nombreux robots terrestres développés par ses sociétés privées et par les entreprises émergentes de son complexe militaro-industriel florissant.

Une fenêtre ouverte sur l'inconnu

Après la poudre à canon et les armes nucléaires, les rapides progrès de la robotique et les performances de l'intelligence artificielle marquent pour certains une troisième révolution des techniques de guerre. En l'absence de garde-fous, la sophistication croissante pourrait conduire à la mise au point de systèmes d'armes létaux autonomes (SALA), plus trivialement appelés « robots tueurs », bien que les responsables s'en défendent : « Dans de nombreux cas, et certainement quand on en viendra à l'usage de la force, il n'y aura jamais de véritable autonomie, parce qu'il y aura des êtres humains dans la boucle décisionnelle », assurait ainsi en septembre 2016 le secrétaire à la défense américain d'alors, M. Ashton Carter (5). Mais, dans le même temps, le vice-président de l'état-major interarmées américain, le général Paul J. Selva, indiquait que, d'ici une décennie environ, les États-Unis pourraient maîtriser la technologie permettant de concevoir des robots capables de décider par eux-mêmes de tuer… tout en assurant qu'ils n'avaient pas l'intention de le faire (6).

« Affirmer le caractère obligatoire du contrôle humain permettrait d'éviter de menacer certains des principes moraux fondamentaux qui régissent la décision de recourir à la force », estime Bonnie Docherty, chercheuse à la division Armes de Human Rights Watch, qui mène la campagne mondiale « Stop aux robots tueurs » (7). L'autonomisation croissante des armes ouvre une fenêtre sur l'inconnu : « La mise au point de ces technologies soulève des interrogations qui dépassent celles communément rencontrées en droit international », déclare Julien Ancelin, spécialiste du droit du désarmement (8). Elle porte en effet atteinte à plusieurs éléments-clés du droit international humanitaire, qui régit les conflits armés depuis les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels : la dignité humaine, la précaution, la distinction entre civils et militaires, ainsi que la « proportionnalité » visant à éviter les pertes ou les dommages civils « qui seraient excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu ». Si un robot devait un jour décider seul du sort d'un humain, la nature même de la guerre se trouverait changée.

Plusieurs milliers de personnalités, dont l'astrophysicien britannique Stephen Hawking, le linguiste américain Noam Chomsky ou des entrepreneurs comme MM. Elon Musk (SpaceX) et Steve Wozniak (Apple), ont lancé à l'occasion de la 24e Conférence internationale sur l'intelligence artificielle, le 28 juillet 2015, un appel pour le bannissement des SALA : « Nous croyons que l'intelligence artificielle recèle un grand potentiel pour l'humanité de bien des manières, et cela doit être son objectif, disait leur lettre ouverte. L'utiliser pour se lancer dans une course aux armements est un projet néfaste. Il doit être empêché par une interdiction complète des armes offensives autonomes, qui fonctionnent sans contrôle humain significatif. » Leur principale crainte est la dissémination de tels engins : « Si une grande puissance militaire progresse avec le développement d'armes liées à l'intelligence artificielle, une course mondiale aux armements est pratiquement inévitable, et le point final de cette trajectoire technologique est évident : les armes autonomes deviendront les kalachnikovs de demain. » En s'appuyant sur l'expérience des chimistes pour ce qui concerne le bannissement des armes chimiques, ou des physiciens pour la non-prolifération nucléaire, ils affirment que la plupart des chercheurs en intelligence artificielle n'ont aucun intérêt à la construction d'armes fondées sur leurs travaux.

Face à l'émergence de nouveaux arsenaux, des négociations internationales ont régulièrement permis de renforcer les conventions de Genève. En 1980 fut notamment adoptée la convention sur certaines armes classiques (CCAC). Régulièrement complétée, elle a servi de cadre au protocole IV, entré en vigueur en 1998. Ratifié par cent sept États, il bannit l'usage et le transfert des armes à laser aveuglantes, avant même que de telles armes soient apparues sur un champ de bataille. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a participé activement à l'élaboration et à l'adoption de ce texte en mobilisant les organisations non gouvernementales et en informant la presse. Des délégués du CICR se sont également rendus dans plusieurs pays pour s'entretenir avec des représentants officiels. Les soutiens du Parlement européen, de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA) et de l'Union interparlementaire ont été décisifs.

La montée des inquiétudes quant à l'autonomisation du matériel de guerre a animé plusieurs conférences des Nations unies où siégeaient les États parties à la CCAC. Dès 2013, le président des réunions informelles sur les SALA, l'ambassadeur français Jean-Hugues Simon-Michel, a négocié le premier mandat devant conduire à les ranger dans une catégorie spécifique du droit du désarmement, qui pourrait donner lieu, à terme, à un nouveau protocole. Au fil des réunions annuelles — encore informelles —, dix-neuf pays d'Amérique latine et d'Afrique ainsi que le Pakistan se sont prononcés pour une interdiction complète. Lors de la dernière rencontre, en décembre 2016, 88 pays — dont les plus en pointe dans le domaine — sont, plus prudemment, convenus d'entamer des discussions formelles pour soumettre ces engins au droit international. Le groupe d'experts doit se retrouver en août, puis à l'automne, afin de préparer la réunion annuelle de la CCAC, qui se tiendra du 22 au 24 novembre 2017.

Il doit d'abord se pencher sur une définition pratique des SALA, pour pouvoir identifier les robots tueurs comme illicites en fonction du degré de médiation humaine, celle-ci étant seule à même de garantir le respect des conventions de Genève. Les engins sont déjà capables de sélectionner la cible, et nul pays ne revendique une autonomie complète des robots. Reste à savoir si les humains doivent garder le pouvoir d'engager la force ou simplement celui de suspendre l'engagement, et jusqu'à quelle limite. Human Rights Watch réclame un « contrôle effectif » par l'homme, mais une majorité d'États semblent vouloir se contenter d'un « contrôle significatif » qui n'est pas sans ambiguïté. La France souhaite plutôt approfondir la distinction entre les systèmes dotés d'« automatismes » — de complexité variable — et les systèmes « autonomes », sans aucune supervision humaine (9). Un consensus pourrait se dessiner autour de la notion d'« intervention humaine appropriée à l'égard de la force létale », afin de garantir que le système est employé de la façon qui a été prévue par l'homme. Mais quid des conditions mouvantes propres à un théâtre d'opérations ?

Les systèmes d'armement devront également être évalués en fonction des conséquences de leur fonctionnement au regard des principes de « distinction » et de « proportionnalité ». D'où l'importance de limiter la dilution des responsabilités : il faut pouvoir identifier clairement une chaîne de commandement et un décisionnaire comptable de ses actes, qui ne puisse pas invoquer la complexité de la programmation de l'engin.

Le risque d'un accord a minima n'est pas négligeable, tant les puissances armées s'engagent avec parcimonie. La Russie n'a pas exprimé d'opposition à l'interdiction, mais elle n'a pas accepté de formaliser le processus diplomatique tant que l'on n'aura pas défini plus clairement ce qu'est un système d'arme autonome mortel. La Chine a apporté son soutien à l'élaboration d'un instrument juridiquement contraignant. En revanche, tout comme l'Inde, elle reste très circonspecte vis-à-vis des mécanismes d'inspection des armements. Israël s'oppose à une interdiction globale et prône une approche « par étapes », en soulignant que les SALA pourraient aussi présenter des avantages tant militaires qu'humanitaires.

Reste une grande inconnue : l'administration américaine. La question n'a pas été débattue pendant la campagne électorale, et le nouveau secrétaire à la défense James Mattis n'a pas de position connue sur le sujet. Jusqu'à présent, les États-Unis ont jugé l'interdiction « prématurée », tout en soutenant le processus de la CCAC et l'élaboration de « bonnes pratiques » sur les examens des armes comme une « étape provisoire » pour répondre aux préoccupations, indique Mme Mary Wareham, coordonnatrice de la campagne « Stop aux robots tueurs ».

« En se tournant vers un groupe d'experts gouvernementaux pour formaliser le processus officiel, les États ont permis que cette question ne reste pas cantonnée aux discussions d'universitaires, se félicite-t-elle. Cela laisse espérer qu'ils feront enfin quelque chose sur ce sujet. » Un nouveau protocole ne pourra être adopté dans un délai acceptable que si la mobilisation internationale des acteurs étatiques et non étatiques reste forte. Tuer dans l'œuf tout risque de prolifération des « robots tueurs » relève aussi du respect des objectifs de maintien de la paix et de la sécurité internationale fixés par la Charte des Nations unies.

(1) « Robotisation de la guerre : le soldat SGR-A1, l'ultime sentinelle », 7 janvier 2015, Contrepoints.org, et « Samsung techwin SGR-A1 sentry guard robot », GlobalSecurity.org, 11 juillet 2011.

(2) Selon la formule anglaise dull, dirty and dangerous. Cf. Ronan Doaré, Didier Danet et Gérard de Boisboissel (sous la dir. de), Drones et killer robots. Faut-il les interdire ?, Presses universitaires de Rennes, 2015.

(3) « Summer study on autonomy » (PDF), Defense Science Board, juin 2016.

(4) « Bientôt une armée de robots autonomes ? », Sputniknews.com, 19 octobre 2015.

(5) Sydney J. Freedberg Jr. et Colin Clark, « Killer robots ? “Never,” defense secretary Carter says », Breaking Defense, 15 septembre 2016.

(6) Matthew Rosenberg et John Markoff, « The Pentagon's “Terminator Conundrum” : Robots that could kill on their own », The New York Times, 25 octobre 2016.

(7) « Killer robots and the concept of meaningful human control », mémoire pour les délégués de la convention sur les armes conventionnelles de l'ONU, Human Rights Watch, avril 2016.

(8) Julien Ancelin, « Les systèmes d'armes létaux autonomes (SALA). Enjeux juridiques de l'émergence d'un moyen de combat déshumanisé », La Revue des droits de l'homme, Nanterre, octobre 2016.

(9) Intervention du représentant de la France lors de la réunion informelle d'experts sur les SALA dans le cadre de la CCAC, 13-17 avril 2015.

Terre noire. L’holocauste et pourquoi il peut se répéter

Politique étrangère (IFRI) - Fri, 02/06/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Jean-Marc Dreyfus propose une analyse de l’ouvrage de Timothy Snyder, Terre noire. L’holocauste et pourquoi il peut se répéter (Gallimard, 2016, 608 pages).

Ce livre a été attendu par la communauté des historiens de la Shoah autant qu’il a déçu, recevant un accueil prudent mais généralement négatif. Publié après Terres de sang – mieux accueilli – Terre noire propose à nouveau une approche territoriale de la violence de masse qui a provoqué des millions de morts au cœur de l’Europe des années 1940. Les Terres de sang – une Europe médiane des Pays baltes à l’Ukraine – semblaient générer des morts sui generis, vaguement expliqués cependant par le choc titanesque de deux empires expansionnistes et totalitaires, le nazi et le soviétique.

Terre noire part d’une vision idéologique – on pourrait dire ultra-intentionnaliste mais aussi totalisante – du national-socialisme. Hitler aurait développé sa vision dès avant la publication de Mein Kampf jusque dans ses derniers écrits. Timothy Snyder décrit cette vision d’un « état de nature » anarchique et « écologique », idéal et qu’il fallait retrouver, corrompu qu’il avait été par l’ensemble des inventions humaines, dont la science, invention juive et bolchévique. « Dans l’écologie de Hitler, la planète était gâtée par la présence des juifs, qui défiaient les lois de la nature en introduisant des idées corruptrices », écrit Snyder. Cette vision ultra-écologique n’était pourtant qu’une part de l’idéologie d’Hitler. Le nazisme mit aussi en avant la science et les techniques, qu’il finança largement. Mein Kampf contient bien plus d’idées que celle d’une écologie absolue qui voit tout processus civilisationnel comme une dégénérescence ; on y trouve en particulier l’idée d’une primauté de l’État nazi, celle de la construction du NSDAP pour contrôler l’ensemble de la population allemande, etc.

Par ailleurs, dans l’édifice explicatif de l’auteur, il n’est pas dit comment cette idéologie extrême fut partagée par les centaines de milliers de bourreaux. Hitler y apparaît d’une puissance démoniaque ; Snyder fait fi des centaines d’études sur les différentes administrations allemandes et européennes, sur les organisations nazies et sur les opinions publiques, qui montrent la disparité des attitudes face au projet des dirigeants allemands. Parmi les nombreuses sous-thèses de l’ouvrage, dont bien peu ont convaincu malgré l’inventivité de l’auteur, celle de la disparition de l’État comme condition de la Shoah a été beaucoup discutée. Il s’agit là encore d’une approche centrée sur la Pologne. L’idée de la disparition de l’État est elle-même, à lire Timothy Snyder, peu claire. Comment prétendre que l’État néerlandais avait disparu, alors que son administration était intacte et que le gouvernement en exil était remplacé par un gouvernement de secrétaires généraux des ministères – qui collabora avec l’occupant ? Cette idée ne fait que compliquer à l’envi un débat déjà passablement brouillé sur les différentiels de survie des juifs d’un pays à l’autre. Comment dire que l’État grec fut plus démantelé que celui de la Hongrie pour expliquer l’assassinat de presque tous les juifs de ces deux pays ?

La conclusion se veut une réflexion sur les défis d’aujourd’hui et rejoint des analyses – rejetées par la plupart des historiens de la Shoah – sur les similitudes entre les tensions provoquées par les atteintes à l’environnement et le réchauffement climatique d’une part, et la Shoah d’autre part. L’ouvrage, d’une grande érudition, et dont la lecture n’est pas aisée, peine à fournir une nouvelle et unique explication de la destruction de six millions de juifs d’Europe.

Jean-Marc Dreyfus

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