(B2) Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a livré samedi (11 avril) depuis le château de Bellevue, la résidence présidentielle, un discours de Pâques empli de responsabilité et d’empathie. J’ai sélectionné trois extraits. A lire
La société vulnérable
« La pandémie nous montre. Oui, nous sommes vulnérables. Peut-être pensons-nous depuis trop longtemps que nous sommes invulnérables, que nous ne pouvons aller plus vite, plus haut, plus loin. Mais c’était une erreur. La crise ne nous montre pas seulement [cela]. Elle nous montre aussi à quel point nous sommes forts! Sur quoi nous pouvons bâtir! »
Ce n’est pas une guerre, mais un test de l’humanité
« Non, cette pandémie n’est pas une guerre. Les nations ne sont pas contre les nations, les soldats ne sont pas contre les soldats. C’est un test de notre humanité. Il évoque le pire et le meilleur des gens. Montrons-nous le meilleur de nous-mêmes! Et montrons-le aussi en Europe! »
La solidarité n’est pas une possibilité, c’est une obligation
« L’Allemagne ne peut sortir de la crise forte et saine que si ses voisins deviennent également forts et sains. […] Trente ans après l’unité allemande, 75 ans après la fin de la guerre, nous, Allemands, ne sommes pas seulement appelés à la solidarité en Europe. Nous y sommes obligés! »
Commentaire : le ton juste
Que dire de plus. Pas grand chose. L’ancien chef de la diplomatie allemande, proche de Gerhard Schröder, a trouvé le ton juste. Ni larmoyant ni guerrier, il reconnait la gravité de la situation, des erreurs, et appelle chacun à être plus dynamique, plus entreprenant. En faisant de la solidarité, une obligation historique au même titre que celle de 1945 ou de 1989, il ferme la porte à toute tentation du repli sur soi. C’est un grand discours, un discours comme on aimerait que certains dirigeants européens et français tiennent.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Qui est Steinmeier ?
Originaire de Rhénanie du Nord, social-démocrate jusqu’au bout des ongles, Frank-Walter Steinmeier incarne la tendance centriste du SPD allemand. Chef de cabinet à partir de 1993 de Gerhard Schröder, alors ministre-président du Land de Basse-Saxe, il l’accompagne dans sa marche vers le pouvoir. En 1998 il devient ainsi le délégué du gouvernement (= chef politique) des services de renseignement puis son directeur de la chancellerie, durant six ans (de 1999 à 2005). C’est un des artisans de la réforme des systèmes de santé mis en place au début 2000 (système plutôt efficace).
Il a ensuite été ministre des affaires étrangères d’Angela Merkel à deux reprises de 2005 à 2009 et de fin 2013 à début 2017. En 2009, il est cité, un moment, comme un possible haut représentant de l’Union (lire : Le groupe socialiste et démocrate veut un Haut représentant, socialiste). Il n’hésite pas alors à s’adresser au président américain B. Obama pour réclamer une remise à plat de l’OTAN (lire : Steinmeier à Obama (usa): « une nouvelle orientation » pour l’Otan). En mars 2017, il est élu président de la RFA, fonction surtout symbolique, mais qui revêt en Allemagne une haute autorité morale car se situant au-dessus des partis.
Télécharger le discours (en allemand) * traduction non officielle
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(B2) L’ancien Haut représentant de l’UE et ancien secrétaire général de l’OTAN, l’Espagnol Javier Solana est sorti jeudi (9 avril) sur ses deux pieds de l’hôpital de Madrid où il avait été admis il y a un mois pour un coronavirus ‘carabiné’
De son séjour, celui qui est âgé de 77 ans ne nous dit pas grand chose si ce n’est un grand remerciement. Après « quatre semaines et demi d’hospitalisation, je rentre chez moi et je veux montrer publiquement mon admiration pour l’équipe qui m’a soigné : médecins, infirmières et gardiens. De grands professionnels. Et ils m’ont donné une grande leçon de responsabilité et de dévouement. Je ne vous oublierai pas ! ».
Une maladie dont il faut être conscient qu’on s’en sort
Ce qu’il ne dit pas trop, c’est qu’il a été à deux doigt d’y passer. Emmené en soins intensifs, placé sous oxygène, il n’a dû sa survie qu’à sa force de caractère (nous gratifiant au passage d’un selfie avec le masque à O2), au personnel soignant et au service public auxquels il dit merci. « J’étais dans toutes les statistiques pour mal finir : j’ai plus de 75 ans et autre chose, mais il ne faut pas venir (à l’hôpital) en pensant qu’on y va, mais être conscient qu’on en sort » a-t-il confié à sa sortie au quotidien Voz populi. Son voisin de chambre n’a pas eu sa chance.
Modestie et ironie
À B2 nous sommes heureux et retrouvons ainsi celui qui reste le premier Haut représentant (et le seul) jusqu’ici avec une stature et une expérience, accompagné de la modestie qui sied à cette fonction. Quand il y avait un succès, ce n’était jamais grâce à lui, mais à tous les autres, à ses équipes. Il le prouve encore aujourd’hui. Un homme qui a gardé tout son ironie, celle qui nous faisait toujours sourire, malgré tout. Il y a quelques heures, il confiait sur twitter, son mode d’expression favori : « C’est impressionnant que 500 morts soit une bonne nouvelle. Le chiffre le plus bas de ces derniers jours !! ».
Javier ! Nous sommes très contents aujourd’hui que vous soyez revenus dans vos ‘pénates’.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi :
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Ayant recommencé à publier sur ce blog, j'ai reçu récemment un compte-rendu de mon correspondant de presse auprès des hérons. Je suis très heureux de le porter à votre connaissance. Merci à lui.
Du poste d'observation où je guette les grenouilles – créées par le Grand Patapon, dans son immense sagesse, pour nourrir les hérons – j'observe aussi les TGC et j'ai remarqué que depuis quelque temps ils sont moins nombreux et se bousculent moins. L'un d'eux m'a expliqué pourquoi.
Mais là je devine que je vous dois d'abord quelques explications. Les TGC, se sont ces créatures bizarres dépourvues de plumes et de bec qui vivent dans la ville bâtie autour de ma rivière – l'Erdre – et autour de la Loire plus loin.
Les TGC, dépourvus de beaucoup de choses indispensables, n'ont pas d'ailes non plus mais seulement deux pattes et ils sont, de ce fait, limités dans leurs déplacements : c'est pour ça qu'ils ont construit des villes, bien qu'ils s'y bousculent. Le Grand Patapon n'a pas été du tout sympa avec eux quand il les a créés. Cependant il faut croire qu'ils ont leur utilité : les voies du Grand Patapon sont impénétrables. Et en plus, comble du ridicule, les TGC ont une grosse tête : c'est aussi pour ça qu'ils ne peuvent pas voler, car le poids de leur tête les déséquilibrerait. Avec les copains, on les appelle TGC parce que ça veut dire les Trop Gros Cerveaux.
Parfois je bavarde un peu avec l'un d'eux quand il passe sur le Pont Saint-Mihiel. Ce pont franchit l'Erdre pas loin de la péniche sur le toit de laquelle je me poste pour guetter les grenouilles. C'est une péniche où loge un artiste, elle ne voyage plus : le toit de ma péniche est presque à la hauteur du pont où les TGC se bousculent pour passer. Mais depuis quelque temps ils se bousculent moins. Un TGC un peu moins bizarre que les autres m'a expliqué pourquoi. Je dis « moins bizarre » parce que de temps en temps il s'arrête et on bavarde. Jamais vous ne verriez un TGC normal parler à un héron.
Pendant qu'il jetait du pain aux canards, je lui ai demandé : « pourquoi les TGC sont-ils moins nombreux ces temps-ci ? – Parce que nous sommes confinés. – C'est quoi, ça ? – Nous n'avons pas le droit de sortir de nos maisons. – C'est toujours pareil : à chaque fois que je te demande de m'expliquer quelque chose, tu me réponds par autre chose d'encore plus compliqué. Qu'est-ce que ça veut dire pas le droit ? – Ça signifie que l'intérêt de tous les TGC est de rester dans leur maison. – Ah, je comprends. Mais pourquoi ? – Parce que quelques uns d'entre nous ont une maladie qui peut se transmettre aux autres. – Comme la grippe aviaire que nous avons eue autrefois ? Je n'étais pas né : mes parents m'ont raconté. Mais eux, ils n'ont jamais été confinés, comme tu dis. – Parce que eux, ils ne savaient pas. – Au contraire vous, vous savez à cause de votre trop gros cerveau et donc vous n'avez pas le droit d'aller où vous voulez comme vous voulez. »
Ayant dit ça, j'ai réfléchi un peu (très peu, comme toujours, mais suffisamment) et j'ai ajouté : « je t'ai toujours dit qu'un trop gros cerveau ce n'est pas un avantage. »
Mon pauvre TGC n'a pas su quoi rétorquer à ça. J'ai continué : « mais toi, qu'est-ce que tu fais là, à donner à manger aux canards, alors que tu n'as pas le droit de sortir de ta maison ? – On a quand-même un peu le droit : là, je sors en conformité avec le 5° de l'article 3 du décret du 20 mars. – Vous êtes d'un compliqué ! Pas le droit mais quand-même le droit d'aller donner à manger aux canards, c'est dingue ! – Je suis assez d'accord avec toi : je crois qu'il y a chez nous des gens qui n'ont pas bien utilisé leur trop gros cerveau et qu'à cause de ça l'on arrive à des incohérences. Par exemple, les gens qui n'ont pas de domicile (on les appelle les SDF), je ne sais pas comment ils font pour rester chez eux. Ni ceux qui vivent toute l'année dans une caravane (on les appelle les gens du voyage). »
Je n'ai pas répondu parce que moi non plus je ne savais pas. J'ai de la difficulté à concevoir que l'on n'aie pas de nid ou que l'on aie un nid qui voyage. Mon TGC a conclu : « Bon mais maintenant tu m'excuseras : il faut que j'aille confiner. – Oui, vas. Mais sache que je suis de tout cœur avec toi : mes parents, avec la grippe aviaire, n'ont pas eu tous ces problèmes de "pas-le-droit-mais-un-peu-le-droit-quand-même-dans-certains-cas". »
Le héron
La crise est un accélérateur de l'histoire : en fait, elle ne sera probablement pas un point tournant (signifiant une réorientation des choses, d'un point de vue géopolitique du moins) mais un point d'inflexion. Reste alors à discerner quelles sont les tendances géopolitiques qui vont être accélérées.
J'en vois plusieurs que je teste avec vous :
- la poursuite de la relativité américaine ou plus exactement : de la sortie de la centralité américaine. L'Amérique restera évidemment une grande puissance, mais de plus en plus relative et donc, reléguée au milieu de ses deux océans. Je ne mentionne pas ici l'hypothèse d'un éclatement américain, qui demeure possible .
- je ne suis pas convaincu de la poursuite de la montée chinoise. Le régime était déjà dans de grandes difficultés, car son modèle économique arrivait à bout de souffle. La crise accélère cette contradiction interne, d'autant qu'à l'extérieur, on va assister à un nouveau regard. De même que les Européens ont découvert l'Amérique de Trump avec un nouveau regard, de même nous allons regarder la Chine de Xi avec un nouveau regard, celui d'une puissance dont nous sommes trop dépendants et qui surtout nous a beaucoup menti.
- sans revenir à la notion de multipolaire, les circonstances permettent un champ des possibles plus ouvert pour l'Europe, pourvu que les Européens cessent de se considérer comme à la traîne, ici des Américains, là des Européens. En fait, il nous faut nous sortir de notre repentance collective, de notre regret d'avoir dominé le monde, de nos complexes. Vous aurez compris que quand je parle de l'Europe, je ne parle pas de l'UE. Cela signifie que les conditions sont possibles pour une nouvelle relation avec la Russie à l'Est et l'Afrique au sud.
O. Kempf