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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 3 days ago

Joe Biden et l’Amérique latine : changement dans la continuité ?

Wed, 24/03/2021 - 16:28

La victoire du candidat démocrate, Joe Biden, aux dernières présidentielles états-uniennes, le 3 novembre 2020, a suscité beaucoup d’attentes, au sud du Rio Grande. Plus de deux mois après son entrée en fonction, le 20 janvier 2021, qu’en est-il exactement  ? La page Trump, vierge de tout projet et souvent très rude, a-t-elle été tournée comme on l’espérait à Caracas, La Havane ou Mexico  ? Le nouveau résident de la Maison-Blanche est-il plus attentif et positif à l’égard de ses voisins du Sud  ?

e passé plaide pour une approche rompant avec les années Trump. Joe Biden n’a-t-il pas été vice-président de Barack Obama, président ayant ouvert un dialogue positif avec ses voisins du Sud et en particulier avec Cuba ? De 2009 à 2017, Joe Biden n’a-t-il pas effectué 16 visites officielles et de travail en Amérique latine ? Le legs trumpien a effectivement multiplié malentendus et humiliations entre nord et sud du continent américain. Donald Trump a remis systématiquement en question les acquis de la mandature Obama-Biden : renforcement de l’embargo cubain, menaces à l’égard d’un Mexique soupçonné de laisser-aller migratoire et de concurrence commerciale inamicale, violences verbales assorties de sanctions pour le Venezuela, pressions répétées sur la Colombie soupçonnée de complicité avec le trafic de stupéfiants, coups de menton tarifaires tous azimuts, de l’Argentine au Brésil, absence de visite officielle ou de travail dans l’un quelconque des pays d’Amérique latine.

Son départ et la victoire du candidat démocrate ont provoqué le soulagement quasi général des dirigeants latino-américains. Et l’espoir souvent exprimé d’une relation différente, apaisée au minimum. La plupart des gouvernements avaient, tout au long du mandat du milliardaire nord-américain, développé une triple stratégie, en vue de préserver leur tranquillité souveraine. Celle du soutien diplomatique à la diplomatie agressivement anti-vénézuélienne de la Maison-Blanche, pour certains. Ce choix a été celui des responsables les plus conservateurs. Ils ont accepté de fabriquer une sorte de « Sainte-Alliance » anti-Caracas, le Groupe de Lima, qui ne leur a apporté aucun retour sur investissement, qu’il s’agisse du commerce bilatéral, de la gestion du dossier migratoire ou de celui des questions liées aux stupéfiants. Celle du dos rond a été pratiquée en 2019 par le nouveau chef d’État mexicain, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), échaudé par les humiliations répétées subies par son prédécesseur Enrique Peña Nieto.

AMLO a effectivement réussi à détendre l’atmosphère, mais au prix de concessions ayant permis de préserver l’accord tripartite Canada-États-Unis-Mexique. Et au risque d’une brouille future avec Joe Biden, AMLO ayant accepté en échange d’un entretien bilatéral à Washington, le 8 juillet 2020, en pleine campagne électorale états-unienne, d’ignorer le candidat démocrate. Ultime stratégie, enfin, celle de faire avec, en cherchant des partenaires d’équilibre. La Chine, la Russie, saisissant les inconséquences diplomatiques de Donald Trump comme une aubaine ont pris une place de plus en plus importante en Amérique latine. Les mises en garde, sans contreparties, de l’équipe Trump, n’y ont rien fait. La Chine et la Russie assortissaient leurs bonnes paroles d’offres sonnantes, trébuchantes et alléchantes. Le ministre des Affaires étrangères uruguayen, un homme de droite, a résumé la situation en ces termes : « Quand on nous demande que peuvent faire les États-Unis pour le Mercosur, bon, la première des choses serait de nous écouter, parce que pour l’instant, on dirait que le seul qui nous écoute, c’est la Chine 1».

Joe Biden a donc pris les rênes du pouvoir le 20 janvier 2021. Les grands discours prononcés ont ciblé une diplomatie de valeurs, de coopération, dans un cadre multilatéral. Ils ont été bien reçus en Amérique latine. À l’exception du Brésil dont le président, Jair Bolsonaro, a gardé de bout en bout un préjugé idéologique « trumpien ». Un bref échange de lettres courtois a toutefois rappelé l’importance attachée par Joe Biden à une coopération active pour lutter contre la Covid-19 et le réchauffement climatique.

Faute d’annonces concernant le sud de « l’hémisphère occidental », chacun a interprété les propos du président nord-américain comme l’annonce d’une nouvelle ère de « bon voisinage », qui pourrait se décliner en reprise d’un dialogue positif avec Cuba, l’ouverture d’un espace de négociation avec le Venezuela, un compromis apaisé sur l’immigration mexicaine et centraméricaine, ainsi que sur les questions de lutte contre le narcotrafic, avec la Colombie.

Un dossier a effectivement bougé, celui des migrations. Au nom des valeurs éthiques revendiquées par Joe Biden, une ouverture a été décrétée sur plusieurs fronts. Celui des mineurs séparés de leurs parents ; il a été mis un terme à cette « politique ». Celui des « anciens jeunes » jamais régularisés, connus sous le nom de dreamers ; ils pourraient l’être après le vote d’un projet de loi actuellement en cours d’examen devant le Congrès. Celui aussi des demandeurs d’asile qui pourront désormais présenter leur requête sur le territoire des États-Unis ; ce qui n’était pas le cas, sur décision ici encore de Donald Trump. Celui enfin d’accorder une aide financière aux États d’Amérique centrale afin de fixer les candidats à l’exil économique.

Le candidat Biden avait évoqué pendant sa campagne une enveloppe de 4 milliards de dollars. Une fois élu, il a nommé le 2 mars 2021 un responsable en charge des pays émetteurs de migrants, pays dits du Triangle du nord (Guatemala-Honduras-Salvador), Ricardo Zuñiga. Ces décisions ne concernent toutefois qu’une petite partie des flux. Le gros des migrants, ce sont les migrants économiques. Depuis février 2021, les adultes et les familles sont refoulés comme ils l’étaient en décembre 2020. 100 441 migrants ont été détenus pour le seul mois de février. Le Département d’État (équivalent au ministère des Affaires étrangères) a diffusé dans la presse centraméricaine, 33 canaux radiophoniques, Facebook et Instagram, des messages en espagnol, portugais et six langues amérindiennes, destinés à dissuader les migrants potentiels. À supposer que les aides annoncées soient très rapidement concrétisées, leur impact sera au mieux de moyen terme. La Garde nationale états-unienne a donc été déployée sur la frontière mexicaine pour gérer le court terme.

Le Mexique, en première ligne, a salué l’annonce par Joe Biden de la suspension des travaux du mur frontalier. Mais la conjoncture migratoire a imposé la prise rapide de décisions. Il est vrai qu’AMLO, dans l’une de ses mañaneras (conférences de presse quotidiennes du matin), le 2 mars, a critiqué Joe Biden, qui aurait pris de façon inconsidérée des décisions encourageant les candidats à l’émigration. Point de vue rejoignant ceux émis aux États-Unis par le camp républicain. La garde nationale mexicaine a été déployée sur la frontière avec le Guatemala. Antony Blinken, secrétaire d’État de Joe Biden, s’est aussitôt déplacé à Mexico pour rappeler que « la frontière était fermée à l’immigration irrégulière ». Une seconde mission dirigée par l’ex-ambassadrice de Barack Obama au Mexique, Roberta Jacobson, s’est également rendue à Mexico avant de poursuivre son travail à Guatemala, le 23 mars 20212. Ces visites ont été accompagnées d’une annonce ayant « huilé » la relation bilatérale. Tout en permettant de remettre les États-Unis dans le jeu sanitaire latino-américain, abandonné à la Chine et à la Russie. Les États-Unis, détenteurs de millions de doses du vaccin Astra-Zeneca, vaccin non homologué, ont négocié leur envoi au Mexique3. La décision a été publiquement officialisée le 19 mars 2021.

Concernant Cuba, « rien ne presse » a déclaré Ned Price, porte-parole de la Maison-Blanche. « Le secrétaire d’État, Antony Blinken, a appelé les ministres des Affaires étrangères de la région » a-t-il dit, « à une exception, celle de Cuba. Le signal est clair ». Message renouvelé le 9 mars 2021 en termes identiques par la secrétaire de presse de la présidence, Jen Psaki. Ce report de décision a pour conséquence immédiate la perpétuation des sanctions ayant remis en cause une part importante de la politique d’Obama. Seul l’exposé des motifs justifiant leur permanence a changé. Une lettre adressée au Congrès par Joe Biden, le 24 février 2021, a confirmé le statu quo. Non pas pour punir un régime « communiste », mais pour protéger les États-Unis d’une vague de migrants potentiels4.

Le sort réservé au Venezuela repose sur la même approche. Une évolution est possible. Un petit geste a été fait le 2 février 2021, avec la levée par le Secrétariat au Trésor d’entraves aux transactions portant sur certaines opérations portuaires et aéroportuaires. Mais c’est Carlos Vecchio, « ambassadeur » de Juan Guaido à Washington qui a représenté le Venezuela, le 20 janvier 2021, pour l’entrée en fonction de Joe Biden qui, comme Donald Trump avant lui, reconnaît Juan Guaido comme président du Venezuela. Antony Blinken a mis les points sur les « i » devant la commission des Affaires étrangères du Sénat : « Maduro est un dictateur brutal (…). Nous avons besoin d’une politique efficiente permettant de restaurer la démocratie au Venezuela ».

Au final, le changement principal est d’ordre local, électoral et même électoraliste. Les votants d’origines latino-américaines ont été très sollicités par le camp démocrate, pendant la campagne. Beaucoup, à l’exception d’une partie notable des Cubano-Américains, souhaitaient manifester leur hostilité vis-à-vis de Donald Trump. Les messages signalés supra, depuis la Maison-Blanche, ont cela dit ménagé les Cubano-Américains, présentés comme « les meilleurs ambassadeurs des libertés ». Donald Trump avait fait de la chasse aux sans-papiers « latins », assortie de commentaires agressifs envers cette communauté, l’un de ses chevaux de bataille. Joe Biden a bien reçu le message. Il a intégré dans son équipe gouvernementale des « Hispaniques ». Il a libéralisé le droit d’asile et annoncé la régularisation de sans-papiers. Au risque de provoquer un appel d’air en Amérique centrale, Haïti et même au-delà, générateur de difficultés avec son voisin mexicain et son opposition républicaine.

Après Barkhane, quel avenir pour le Sahel ?

Tue, 23/03/2021 - 17:14

Le sujet est difficile et délicat. Sa formulation, mettant sur un même plateau la force Barkhane et l’avenir du Sahel, laisse planer une certaine prédominance de la dimension sécuritaire sur la question sahélienne. Il n’en est évidemment rien, mais cela tend à montrer que le sujet très pesant de « Barkhane » contribue à brouiller ou orienter quelque peu la libre réflexion sur l’avenir de l’espace sahélien.

Barkhane et son évolution : une vision sécuritaire à replacer dans une stratégie globale

 Un rappel de sa mission s’impose, et donc du sens de la présence militaire française au Sahel. Il s’agit bien de lutter contre le djihadisme.

En 2013, à la demande des autorités maliennes et en accord avec les pays voisins, la France est intervenue pour barrer la route à une force djihadiste menaçant la capitale du Mali. L’opération Serval fut alors déclenchée, force de reconquête du terrain, elle-même très vite remplacée, en 2014, par Barkhane, force occupant le terrain pourpoursuivre la lutte contre les djihadistes.

Pour autant, Barkhane n’a pas pour vocation à rester indéfiniment, elle s’inscrit dans la stratégie suivante :

– stopper l’avancée djihadiste ;

– constituer une coalition et la renforcer progressivement pour éradiquer le djihadisme

– replacer l’action sécuritaire dans une stratégie globale incluant notamment le développement et visant au retour de la paix et de la sécurité au Sahel ;

– transférer progressivement la responsabilité de la lutte contre le djihadisme aux forces locales après avoir participé à leur renforcement opérationnel.

Cette stratégie a pour conséquence logique un changement de posture pour Barkhane qui ne peut rester aussi visible qu’elle l’est aujourd’hui. À cet égard, trois raisons lui imposent désormais de passer le pas très rapidement :

– au Sahel, la situation sécuritaire ne s’améliore pas malgré l’énormité des moyens militaires consentis, ce qui montre que la stratégie du tout sécuritaire a trouvé ses limites, et l’image de Barkhane a progressivement évolué, perçue désormais par les populations locales comme une force d’occupation ;

– en France aussi, l’opinion publique a changé en ce qui concerne sa perception de l’engagement français au Sahel, avec désormais 51% d’opinion défavorable au maintien de Barkhane, chiffre appelé probablement à augmenter en cas de nouvelles pertes humaines au sein du contingent français. Nul doute que le sujet a pris une dimension politique et s’imposera à la prochaine présidentielle dans un an. La pression pour un changement de posture vient donc aussi de France ;

– dernière raison, majeure, les autorités maliennes (et aussi burkinabées) considèrent aujourd’hui qu’un retour à la paix passe par la négociation avec tous les acteurs nationaux, y compris certains groupes djihadistes importants comme le JNIM d’Iyad Ag Ghali et le Front de libération du Macina d’Hamadou Koufa, d’obédience Al-Qaïda. Or il se trouve que ces mêmes groupes ont été nommément désignés par Barkhane comme les cibles prioritaires à combattre en 2021, et cela a été repris par le président de la République lors du sommet de N’Djamena en février dernier. Il y a donc une ambiguïté majeure à lever, évidemment, car dans ces conditions, Barkhane ne peut plus être le porte-drapeau de la lutte contre le djihadisme.

Pour ces raisons, Barkhane doit rapidement changer de posture, certainement en 2021, probablement à l’été. Cela pourrait se faire en deux temps, après concertation avec les membres de la coalition :        

– 1er temps : tout en poursuivant activement la lutte, il s’agira de poursuivre et d’accélérer le transfert de responsabilité des affaires sécuritaires aux forces locales (aujourd’hui, il y a déjà plus de militaires locaux que de non sahéliens dans les opérations communes contre le djihadisme). Parallèlement, Barkhane devra réduire son empreinte au sol, c’est-à-dire passer d’un dispositif éclaté sur le terrain, exposé, visible et très exigeant au plan logistique, à un dispositif regroupé, moins visible, agissant sur renseignement, faisant appel à plus de technologie, dispositif moins lourd à soutenir au plan logistique, car s’appuyant sur moins d’emprise sur le terrain. Cela permettrait une réduction notable d’effectif.

– 2e temps : Barkhane interviendrait au sein des forces de la coalition, mais sur demande des forces locales assurant elles-mêmes la responsabilité des opérations sur le terrain. À terme, Barkhane quitterait progressivement le théâtre, toutes ces décisions étant prises en concertation avec les autres acteurs de la coalition.

Quelles perspectives d’avenir au Sahel ?

Après avoir évoqué Barkhane et son effacement progressif à terme, les perspectives à attendre au Sahel s’inscrivent dans le schéma suivant.

La dimension sécuritaire devrait être replacée dans une stratégie globale, intégrant les dimensions politique, économique, sécuritaire, sociale… Tout le monde pense cela aujourd’hui, sauf qu’on attend toujours une stratégie globale digne de ce nom. Cette stratégie ne peut être que sahélienne, ce sont les Sahéliens qui détiennent les clés de la solution au Sahel. C’est donc aux Sahéliens de définir cette stratégie, tout le monde y a intérêt, les Sahéliens tout comme les acteurs de la communauté internationale.

Du point de vue des Sahéliens d’abord :         

Cela demande d’admettre que le djihadisme n’est pas la cause du désordre et de l’anarchie, mais une conséquence qui s’appuie sur le désordre et l’anarchie provoqués par des maux endémiques :             

le vide d’État d’abord : depuis trop longtemps, l’État n’assume plus ses missions régaliennes en matière de santé, d’éducation, de développement, de social… Les populations se sentent abandonnées et livrées aux mains des djihadistes, ce qui les amène parfois à recruter des milices, sur une base ethnique, pour assurer leur protection. Tout cela ne fait qu’ajouter aux tensions intercommunautaires donc à la cohésion nationale et plus globalement au désordre général ;

les trafics illicites ensuite : trafic de drogue, d’êtres humains, d’armes… et la recherche du contrôle de ces trafics débouche sur des luttes sanglantes qui participent au chaos ambiant ;

la corruption enfin : corruption et autres comportements déviants proches de la criminalité organisée ont pris une importance d’autant plus colossale que le développement de ces maux est lié à la culture d’impunité régnante. Tout cela surajoute (proposition : contribue) à l’anarchie de la situation locale.

En prenant tout cela sérieusement en compte, il est temps de définir une stratégie globale réaliste et vertueuse, ambitieuse en termes d’objectifs, englobant toutes les dimensions, politique, économique, sécuritaire, sociale…

Du point de vue de la communauté internationale ensuite :        

Tous les acteurs de la communauté internationale ont intérêt à ce que cette stratégie sahélienne réussisse, mais cela leur impose d’admettre quatre exigences :

faire confiance : la communauté internationale doit accepter de participer à une stratégie qui n’est pas la sienne et doit se tenir prête à y jouer son rôle. Pas facile de faire preuve d’humilité ;

donner les moyens : on connaît la faiblesse matérielle des pays sahéliens, il s’agit donc d’accepter de donner généreusement les moyens d’une véritable mise à niveau, non seulement sécuritaire, mais aussi politique, économique, sociale… Une aide massive peut être déclenchée aux conditionnalités décidées par les deux partis. Il faut arrêter de donner de façon mesurée et condescendante ;    

accompagner les Sahéliens : dans cette entreprise, on sait que les pays du Sahel ont besoin d’alliés expérimentés. Dans ce cadre, la communauté internationale doit accepter de se plier à une démarche d’accompagnement de la solution décidée par les Sahéliens et non d’imposition de sa propre solution ;       

être patient : il faudra du temps, évidemment, car cette stratégie ne portera ses fruits que dans plusieurs années, ce qui signifie que l’aide et l’accompagnement ne peuvent s’imaginer que sur le temps long. Difficile à accepter quand on a l’habitude d’exiger des autres tout, tout de suite.

Le retour de la paix est-il possible au Sahel ?

Oui, le retour de la paix est possible au Sahel, on vient d’en voir les conditions, et côté sahélien et côté communauté internationale. Certes, cela ne sera pas facile, car cette stratégie ambitieuse et vertueuse devra intégrer des points majeurs comme le retour de l’État et des institutions, la reprise des missions régaliennes, la lutte acharnée contre la corruption et les trafics illicites, la fin de la culture d’impunité sur le plan de la justice… Certains parleront de vision exagérément optimiste, voire utopique. Pourtant, des signes positifs concrets montrent sur le terrain que rien n’est impossible et que tout est affaire de volonté. Ces exemples sont facteurs d’espérance :

– au plan politique, le parti des Transformateurs au Tchad prône la mise en place d’un système politique libre, juste et transparent. Son jeune dirigeant a volontairement abandonné une carrière d’économiste internationale qui s’annonçait prometteuse pour se consacrer à l’organisation d’une vie politique vertueuse pour son pays. Chacun pourra observer l’enthousiasme qu’il déclenche au sein de la population ;

– au plan social, dans plusieurs pays sahéliens apparaissent des plateformes pour dénoncer la corruption qui rencontrent toutes un succès étonnant. De même, des mécanismes d’aide sociale de type assurance maladie, taillés pour les petits métiers, émergent ici ou là en Afrique de l’Ouest, en mode public comme privé ;

– au plan économique, des initiatives ambitieuses sont proposées par des acteurs trop souvent ignorés, voire méprisés, alors qu’ils sont essentiels au renouveau économique des pays. Il s’agit bien sûr des acteurs du secteur privé. Le projet des corridors économiques reliant les capitales du Sahel, porté par le Conseil National du Patronat malien, en est un exemple prometteur ;            

– au plan sécuritaire, il serait intéressant d’étudier pourquoi un des pays sahéliens tire son épingle du jeu beaucoup mieux que les autres. Le maintien des savoir-faire traditionnels, bien adaptés pour contrer les djihadistes, n’explique pas tout. La volonté et l’engagement de son dirigeant, au comportement vertueux, compte pour l’essentiel.

Force est de remarquer que derrière toutes ces initiatives, il y a toujours une forte volonté politique de les imposer. C’est une nécessité absolue lors de la mise en œuvre de toute stratégie. Au-delà du déclaratoire, cela doit se traduire par l’action concrète et l’engagement résolu. Aussi, il est illusoire de penser que la paix reviendra au Sahel si ses dirigeants n’en ont pas vraiment la volonté. Dans le cas contraire, l’adoption par les pays du Sahel d’une stratégie ambitieuse et vertueuse, portée par une volonté politique résolue, soutenue par une communauté internationale généreuse acceptant de l’accompagner sur le temps long plutôt que d’imposer ses solutions, serait de nature à donner enfin l’espoir de sortir de la situation infernale dans laquelle est plongé le Sahel.   

Attention, les temps changent, on ne peut plus tricher impunément. Partout, la jeunesse connectée au reste de la planète demande des comptes, et elle a raison. Des événements soudains, en cours à l’ouest du Sahel, sont là pour nous le rappeler.

[Chroniques GéoÉco #13] Affaire Danone : la fin des entreprises à mission ?

Wed, 17/03/2021 - 19:06

Dans le cadre de ses chroniques géoéconomiques, Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, revient sur l’éviction du patron de Danone, remettant en cause le modèle d’entreprise à mission qu’il avait voulu y développer.

[Chroniques US #15] Que retenir du début de mandat de Joe Biden ?

Tue, 16/03/2021 - 18:59

Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne régulièrement rendez-vous pour analyser la politique américaine. Elle répond aujourd’hui aux questions suivantes :

– Quelles sont les leçons politiques du plan de relance décidé par Joe Biden ?

– Où en est la démocratie américaine ?

– En quoi les États-Unis traitent-ils la question de la lutte contre le Covid-19 comme un enjeu géopolitique ?

À propos du « Dictionnaire amoureux de la géopolitique » d’Hubert Védrine

Tue, 16/03/2021 - 17:44

La collection Dictionnaire amoureux (Plon) est bien établie et a trouvé son public. Lorsque Hubert Védrine signe celui sur la géopolitique, cela ne peut qu’attiser l’appétit. Ce type d’ouvrage ne se lit pas d’une traite. On vient y picorer au fur et à mesure avec gourmandise.

Hubert Védrine s’adapte au format de la collection pour livrer une série de petits éditoriaux sur chacune des entrées. Il y apporte la vision globale qu’on lui connait et qui permet justement que chaque chapitre ne soit pas une définition fermée. Il y ajoute aussi son habituelle causticité. Étant donnée la personnalité de l’auteur, on n’est pas étonné de le voir évoquer le Gaullo-Mitterrandisme, concept qu’il a lui-même forgé. S’il rappelle que bien malin serait celui qui saurait ce que De Gaulle ou Mitterrand feraient aujourd’hui, il reste une question centrale : la France peut-elle conserver, au sein d’entrelacs et d’interdépendance mondiales et européennes, une sorte d’autonomie de pensée et d’action ? La realpolitik dont il est un partisan avéré et lucide y figure bien sûr également. Pour lui, le réalisme est une honnêteté intellectuelle. Il s’oppose donc à l’idéalisme, au chimérisme ou à la démagogie. Il écrit « Le réalisme de l’analyse n’empêche pas l’idéalisme des positions. » Mais il est justement assez réaliste pour reconnaître que dans le dictionnaire moderne des idées reçues, on est sommé de condamner le réalisme, jugé immoral et nauséabond. Il n’hésite pas à réhabiliter le cynisme, en tête selon lui du palmarès des mots employés à contresens puisqu’à l’époque des Grecs anciens, le cynisme signifiait au contraire la vertu et la sagesse grâce à la liberté de pensée, de parole, quitte à heurter l’opinion dominante du moment, en général hypocrite.

Une analyse réaliste et une volonté de préserver les marges de manœuvre de la France sont les deux principes qui guident son analyse, comme elles ont guidé son action comme ministre des Affaires étrangères. Il n’a jamais pris de précaution pour l’affirmer avec franchise, ce qui lui vaut de solides inimitiés chez ceux qui préfèrent l’affichage et la posture à l’action concrète pour améliorer les situations ou qui estiment que la France doit rentrer dans le rang. Sur l’irrealpolitik, il regrette que cette formule qu’il a inventée ait eu moins de succès que celle d’« hyper puissance » pourtant moins significative à ses yeux. « Sans doute les médias subodorent-ils dans l’irrealpolitik, une critique les englobant ? Ils auraient raison ! » écrit-il.

Sur la France-Afrique, il note qu’il serait un paradoxe que la France soit la seule puissance du monde qui ne conserve pas une politique africaine ou du moins une politique en Afrique au moment où le continent est l’objet de politiques africaines ciblées d’à peu près toutes les puissances, Chine en tête.

L’auteur n’esquive pas le sujet du Rwanda (une entrée sur 250) dont il admet qu’elle est la controverse la plus virulente sur la politique étrangère française contemporaine. Il décrit les deux thèses s’opposant : celle qu’il soutient lui-même selon laquelle la France est le seul pays qui, ayant pris conscience des risques de massacre inhérents à la guerre civile déclenchée en 1990, a agi pour enrayer cet engrenage et pensait y être parvenu en obtenant en août 1993 la signature des accords d’Arusha ; l’autre, celle de Kigali et de ses relais selon laquelle la France a coopéré avec un régime qui préparait un génocide, elle est au minimum coresponsable. Parmi les rappels qu’il effectue, il y a celui du fait que Kagamé l’avait rencontré deux fois lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères sans aucun problème et que ce n’est qu’après que le juge français Jean-Louis Bruguière enquêta sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président Habyarimana, à la demande des familles du personnel navigant français, que Kagamé a changé de braquet et a fait publier un rapport accusant les politiques et militaires français d’avoir armé les génocidaires. On sait que sur ce point, la polémique fait rage et que si Kagamé commence à être critiqué à l’étranger pour la répression qu’il exerce – allant jusqu’à l’assassinat de ses opposants – il bénéficie d’une réputation intouchable en France. The Economist, peu susceptible d’être accusé d’être un organe Gaullo-Mitterrandiste, avait pourtant qualifié le régime rwandais de totalitaire.

Enfin, Hubert Védrine dresse de nombreux portraits de Deng Xiaoping à Poutine, de Gorbatchev à Jimmy Carter sans oublier Churchill, Bismarck ou des figures plus contemporaines, françaises, que je laisse découvrir au lecteur, portraits éclairants et savoureux. Mais il y a surtout des entrées qui donnent une véritable profondeur historique à l’ouvrage.

 

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, est membre du Conseil d’Administration de l’IRIS. Il publie Dictionnaire amoureux de la géopolitique chez Plon, Fayard (février 2021)

 

 

Tempêtes à venir sur la sécurité alimentaire mondiale ?

Mon, 15/03/2021 - 18:16

La pandémie de Covid-19 a dégradé depuis plusieurs mois la situation alimentaire des personnes les plus vulnérables de la planète. Cette tendance pourrait s’accroître avec la crise économique qui s’amplifie. À plus forte raison, si l’offre agricole dans le monde se contracte, risque potentiel en 2021. Plusieurs questions stratégiques se posent à court et moyen termes.

Des équilibres agricoles et alimentaires mondiaux structurellement fragiles

Rappelons tout d’abord une évidence historique : l’agriculture et l’alimentation sont des facteurs de paix. L’instabilité géopolitique et les difficultés humaines se développent quand elles sont absentes – sur un espace, dans une période, au sein d’un foyer[1]. Cela fait des millénaires que tous les êtres vivants doivent se nourrir. Nul n’échappe à cette nécessité. Si les produits de la mer ne doivent pas être oubliés de l’équation alimentaire, ce sont d’abord ceux de la terre qui apportent la sécurité alimentaire.

La population mondiale a doublé au cours des 50 dernières années. Plus de bouches à nourrir, et plus d’exigences de la part de ces consommateurs. L’explosion des classes moyennes entre la décennie 1990 et 2010 a renforcé les dépendances intercontinentales, d’autant que les sociétés, éprises de liberté, veulent accéder à tout et tout au long de l’année. Il faut donc rapprocher l’offre de la demande, car peu de régions parviennent à produire en grande quantité de la nourriture. Si l’agriculture est présente dans tous les pays, les volumes et les variétés agricoles s’avèrent très hétérogènes. Nous avons donc assisté à une mondialisation des systèmes alimentaires, pour satisfaire le consommateur. Alors que 90% de la nourriture reste à domicile et dans le pays de sa récolte ou production, le reste est internationalisé. Pour certains produits (fruits exotiques, céréales, sucre, soja, café, cacao, huiles, épices, lait, etc.), le chemin des marchés mondiaux est même plus significatif, car peu de zones en cultivent, mais la planète entière en consomme.

Des dynamiques inquiétantes actuellement

En 2020, la situation a globalement été ambivalente, bien qu’il faille toujours insister sur les disparités géographiques et socio-économiques qui fragmentent le monde dans ses performances agricoles et ses tendances de consommation.

D’un côté une offre agricole robuste, grâce à des récoltes mondiales favorables en 2019 et au premier semestre 2020, très peu d’accidents climatiques et une relative stabilité du prix et du commerce international de produits agricoles de base. Il faut rappeler ici que les agriculteurs et les entreprises du secteur n’ont pas été confinés, mais bien au front de la bataille productive pour fournir aux populations ces biens indispensables. En revanche, depuis l’été 2020, les marchés se tendent et l’inflation sur les produits de base est significative, notamment sur le sucre, les huiles et les céréales. L’indice FAO des prix alimentaires mondiaux a augmenté de 27% entre avril 2020 et mars 2021. Il est à son plus haut niveau depuis 2014. Ce renchérissement est lié notamment aux achats massifs effectués par la Chine, mais également à ces nombreux pays qui doivent inévitablement recourir aux importations pour construire leur sécurité alimentaire. Quand les prix s’emballent, que les coûts logistiques et le fret maritime augmentent et que le spectre d’un embargo à l’export est agité par certains États agricoles pour protéger leur marché domestique, le réflexe de beaucoup d’acheteurs est…d’intensifier les courses avant que les produits ne manquent ou que la facture de ces importations ne devienne budgétairement insoutenable. À cela s’ajoutent des conditions climatiques moins propices aux récoltes et les effets de la crise pandémique sur les circuits de distribution, locaux ou régionaux, sans oublier les mobilisations de main d’œuvre qui se sont parfois taries.

À l’autre bout de la chaîne, des consommateurs secoués par la polycrise de Covid-19. Avec d’abord le défi de la faim qui frappe un habitant sur neuf dans le monde et qui nécessite une mobilisation humanitaire de tous les instants. D’ailleurs en 2020, le prix Nobel de la paix a été attribué au Programme alimentaire mondial (PAM). Son directeur général vient de rappeler que la faim tuait chaque jour bien davantage que le coronavirus et que le meilleur vaccin contre cette tragédie-là s’appelle la nourriture. Combien de personnes, privées de leur mobilité, de leur travail et de leur revenu, plongent en ce moment dans l’insécurité alimentaire ? Un récent rapport estime que plus de 160 millions de personnes sont tombées dans l’extrême pauvreté et la faim en raison du Covid-19[2]. N’oublions pas que la pauvreté génère toujours de la faim ou de la précarité nutritionnelle. Cette réalité universelle vaut pour l’Europe ou la France, où le nombre d’individus fragilisés sur le plan alimentaire s’est accru avec la crise du Covid-19. Environ 2,1 millions de Français ont ainsi bénéficié d’une aide alimentaire[3] depuis le début de l’année 2021 et la moitié avaient commencé à y avoir recours depuis moins d’un an, dont 20% pour la première fois depuis cet hiver 2020/2021.

Réflexions prospectives

Trois considérations sont à faire pour se projeter un peu plus loin dans le temps que les prochains mois.

  1. A contrario de 2020, rien ne peut dire si les grands équilibres du système agricole et alimentaire mondiaux pourraient tenir en cas de nouvel épisode pandémique demain : l’analyse des variables permet même d’esquisser plusieurs scénarii contrastés si nous devions faire face à la résurgence d’un virus[4]. Dans le domaine du Vivant, en agriculture comme dans la santé, la morphologie des crises n’est jamais identique et des cycles longs existent par-delà les vicissitudes conjoncturelles. Le Covid-19 n’est-il pas un puissant rappel pour que nous puissions distinguer davantage l’essentiel du superflu et ainsi savoir distinguer avec constance quels enjeux traversent les époques et sont notre affaire à tous au quotidien ?
  2. Aucun pays ne désarme sur le plan agricole ; certains (Chine, Russie, États-Unis) font même de ce secteur un axe central de résilience intérieure et d’influence extérieure. La crise du Covid-19 réveille même les États qui en avaient sous-estimé la valeur. Dans les débats animés du moment sur la souveraineté et l’autonomie stratégique de l’Europe, ou de la France, l’alimentation figure parmi les priorités. Cela reclasse l’agriculture en haut des agendas sur ce continent qui est, soulignons-le, celui où la sécurité alimentaire est la plus grande car bâtie depuis plus d’un demi-siècle sur une organisation en commun des marchés, des règles et des moyens économiques. Le Covid-19 va-t-il conforter l’importance de la politique agricole commune (PAC), qui conditionne la sécurité d’un demi-milliard de consommateurs européens ?
  3. Le paysage sanitaire et socio-économique actuel ne paraissant pas se clarifier, le risque est réel de voir les vulnérabilités alimentaires s’accroître dans les mois ou années à venir. Nous parlons d’un milliard de personnes ici pour qui la bataille du quotidien sera avant tout de pouvoir manger. En outre, la moitié de la population mondiale dépense encore plus de la moitié de ses revenus pour se nourrir. À l’échelle du globe, rares sont ceux qui peuvent débattre de la seule qualité des produits qu’ils consomment. L’accès et le prix déterminent donc encore le comportement de beaucoup de personnes. Et pourtant, bien manger, en quantité et en qualité, constitue l’un des meilleurs moyens pour construire sa santé à long terme. Comment renforcer l’accès à une alimentation de qualité pour tous demain ? Il en est de même pour l’agriculture : produire mieux permet de renforcer la résilience à long terme des écosystèmes à même de fournir des aliments sains et durables. Comment continuer à produire tout en réparant la planète ? Vastes chantiers, que la crise de Covid-19 complexifie terriblement.

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[1] Abis (Sébastien) et Blanc (Pierre), Géopolitique de l’agriculture, collection « 40 fiches illustrées pour comprendre le monde », Eyrolles-IRIS, 2020.

[2] Baquedano (Félix), Christensen (Cheryl), Valdes (Constanza) et Abrehe Zereyesus (Yacob). « COVID-19 Working Paper: International Food Security Assessment, 2020-2030: COVID-19 Update and Impacts on Food
Insecurity ». USDA, Economic Research Service, January 2021.

[3] Institut CSA, « Banques alimentaires : le profil des bénéficiaires de l’aide alimentaire », étude CSA, 23 février 2021.

[4] Abis (Sébastien), Brun (Matthieu) et Le Lay (Aymeric). « Covid-24 : scénarios pour des mondes agricoles et alimentaires immunisés ? », Sébastien Abis éd., Le Déméter 2021. IRIS éditions, 2021, pp. 25-39.

Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

 

Syrie : 10 ans de descente aux enfers

Mon, 15/03/2021 - 09:45

Le 15 mars 2011, il y a dix ans, la révolution syrienne naissait dans le sillage des révolutions tunisienne et égyptienne. La politique de répression totale appliquée par le pouvoir a enfoncé le pays dans la guerre civile. Fort des soutiens russe et iranien, Bachar al-Assad s’est maintenu au pouvoir mais il est désormais à la tête d’un pays en ruine, où près de 400 000 personnes ont été tuées et plusieurs millions ont fui.

Syrie, 10 ans de descente aux enfers, l’analyse de Pascal Boniface.

Quel avenir politique pour Lula ?

Sat, 13/03/2021 - 14:09

Le lundi 8 mars 2021 restera à n’en pas douter une date clé de la vie politique au Brésil. En déclarant que le tribunal de Curitiba (État du Parana) n’était en fait pas « compétent » pour juger l’ancien président du Brésil (2003-2011), Luiz Inácio Lula da Silva, dans quatre affaires présumées de corruption, en annulant de ce fait, pour cette raison de procédure, les condamnations de l’ancien président et en rétablissant l’ensemble de ses droits politiques, le juge de la Cour suprême (Tribunal suprême fédéral, TSF) Edson Fachin a projeté le pays dans une nouvelle situation politique. Et ce, à un an d’une élection présidentielle qui interviendra dans un pays meurtri par la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 et qui s’apprête à affronter ses conséquences économiques et sociales.

Pour motiver sa décision – intervenue suite à un recours juridique engagé par les avocats de Lula en novembre 2020 -, le juge Fachin a notamment développé deux arguments. Le premier est que le tribunal serait incompétent dans la mesure où son mandat consistait à instruire les cas de corruption liés à l’affaire dite « Lava Jato »[1] (éclatée en 2014) et qu’aucun lien matériel n’a pu être établi entre Lula et cette dernière. Le deuxième consiste à affirmer que le principe du « juge naturel » n’a pas été respecté dans le procès de Lula. Ce principe de droit établit, de manière schématique, qu’un accusé ne peut choisir le juge qui le jugera et qu’un juge ne peut, à l’inverse, choisir l’accusé qu’il va juger. Il s’agit d’un principe d’impartialité et de neutralité du juge et de l’institution judiciaire. En rendant cet avis, Edson Fachin observe, sans le nommer, que ce principe n’a pas été respecté avec Sergio Moro, le juge fédéral de Curitiba en charge de l’enquête « Lava Jato » et du procès contre Lula[2].

La décision du juge du TSF aura un impact majeur sur l’avenir personnel et politique de Lula, mais peut être aussi sur celui de Sergio Moro. Ce dernier, dont les méthodes, les agissements et le parti pris contre Lula ont été maintes fois dénoncés et documentés va, de surcroît, faire l’objet d’une autre procédure, également lancée à l’initiative des avocats de Lula. Le déclenchement de cette procédure – dite de « suspicion » – a été considéré recevable, le 9 mars 2021, par une commission d’étude de la Cour suprême. Elle permet d’ouvrir une enquête visant à déterminer la partialité d’un magistrat dans une affaire et d’annuler, le cas échéant, tous ses jugements et ses condamnations si cette « suspicion » est avérée. Les juges (par 4 voix contre 1) ont accepté d’enclencher cette procédure, sans toutefois se prononcer à cette étape sur son calendrier de mise en place.

Ainsi, la défense de Lula veut non seulement prouver l’innocence de son client, mais également disqualifier le juge Sergio Moro en soulignant l’illégalité et la dimension arbitraire de son jugement. Ils veulent démontrer que son objectif était, depuis le départ, de poursuivre une « persécution politique » contre l’ancien président.

Le seul juge à avoir voté contre l’ouverture d’une enquête de « suspicion » contre Sergio Moro n’est autre que… Edson Fachin, connu pour sa proximité avec le juge de Curutiba. Cette singulière situation aux apparences paradoxales donne en réalité lieu à une interprétation qui circule parmi nombre d’acteurs politiques et médiatiques brésiliens. De nombreux éléments à charge permettant de prouver la partialité de Sergio Moro existent. Sa disqualification éventuelle au terme d’une enquête de « suspicion » affecterait l’ensemble de l’institution judiciaire et pourrait remettre en cause de nombreuses condamnations prononcées dans le cadre de l’affaire « Lava Jato » dont il avait la charge. Dans le cas de Lula, une telle issue signifierait une reconnaissance définitive de son innocence. Pour éviter un tel scénario, Edson Fachin – qui a toujours voté contre Lula par le passé à chaque fois que la défense de ce dernier a déposé des recours devant le TSF avant son incarcération – aurait pris l’initiative. D’un côté, accorder à Lula l’annulation immédiate de ses condamnations sur une question de procédure, la reprise à zéro de ses procès dans une autre juridiction (celle de Brasilia) à une échéance suffisamment lointaine pour que l’ancien président puisse, entre temps, se présenter, s’il le souhaite, à l’élection présidentielle de 2022, et s’assurer une immunité s’il la remportait. De l’autre, éviter une enquête contre Sergio Moro du fait que, selon Edson Fachin, si « le tribunal de Curitiba a été déclaré incompétent, il n’y a plus lieu d’enquêter sur l’action du juge ». Mais cette stratégie n’a pas été suivie par ses pairs dont certains dénoncent publiquement la partialité du juge Moro.

Quoi qu’il en soit, ces deux décisions prises au sein d’une institution dont on observe les divergences internes vont connaître des développements imprévisibles aujourd’hui. Toutefois, plusieurs scénarios sont possibles.

Dans les deux cas évoqués, les décisions des juges peuvent faire l’objet d’un appel de la part du procureur général de la République, Augusto Arras, nommé par le président Jair Bolsonaro. Dans le cas de Lula, c’est déjà chose faite depuis le 12 mars 2021. En effet, la sous-procureure générale Lindôra Araújo a déposé, au nom du parquet, ce recours en indiquant que « dans la perspective de préserver la stabilité procédurale et la sécurité juridique, les condamnations doivent être maintenues et la procédure poursuivie ». Pour le parquet, le tribunal de Curitiba est donc compétent et ses décisions doivent être respectées. C’est donc désormais l’ensemble des onze juges du TSF réunis en session plénière qui devra cette fois confirmer ou désavouer la décision de leur pair. S’ils la confirment, Lula verra donc s’annuler toutes les condamnations qui pèsent contre lui et pourra reprendre une activité politique (en attendant la réouverture ultérieure de ses procès à Brasilia). S’ils l’infirment, alors la situation antérieure prévaudra de nouveau, sous réserve de nouveaux rebondissements.

Dans ces conditions, l’ancien président pourra-t-il être candidat en 2022 ?

Il est impossible de répondre définitivement à cette question aujourd’hui. D’une part, des rebondissements judiciaires sont toujours possibles, même s’il paraît périlleux pour le TSF de remettre en cause, dans le nouveau contexte créé, la décision prise. Et ce, malgré l’appel déposé par un parquet proche du président Jair Bolsonaro avec lequel la Cour suprême entretient une détérioration constante de ses rapports (confrontation autour de la question de la gestion de la crise sanitaire notamment).

Par ailleurs, sur le terrain directement politique, dans son discours prononcé le 10 mars 2021 au siège du syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo à Sao Paulo – là où il avait donné son dernier discours avant de se rendre à la police et d’être incarcéré en avril 2018 sur ordre de Sergio Moro -, l’ancien président Lula n’a pas abordé la question de sa candidature, préférant indiquer ses priorités immédiates : contribuer à l’élaboration d’un projet national prenant l’exact contrepied de Jair Bolsonaro en matière de gestion sanitaire, de politique économique, agricole, d’emploi, de transition écologique et climatique, de politique étrangère, etc. Et de préciser dans ce dernier domaine, à l’attention de l’Union européenne (UE), faisant implicitement référence à l’accord de libre-échange UE/Mercosur, que le Brésil ne saurait se satisfaire d’un accord commercial lui permettant seulement d’exporter un peu plus de ressources agricoles vers l’UE tandis que les Européens verraient, eux, l’espace de leurs exportations industrielles et de produits technologiques au Brésil s’accroître. Ainsi, il a réaffirmé que le « Brésil veut être un pays industrialisé. Le Brésil veut avoir de nouvelles industries, le pays veut posséder de nouvelles technologies », a-t-il lancé.

Pour Lula, ce programme doit être le produit d’une concertation avec toutes les forces politiques, syndicales et sociales se reconnaissant dans la perspective d’une mobilisation collective visant à sauver et restaurer la démocratie brésilienne face à Jair Bolsonaro. La définition de ce périmètre large d’alliances permet à l’ancien président de se positionner en dirigeant souhaitant dialoguer avec le maximum d’acteurs dans la période qui s’ouvre (partis de gauche, de centre-gauche mais aussi de centre-droit, mouvements sociaux, intellectuels, secteur privé, investisseurs nationaux et internationaux, etc.). Pour ce faire, il s’engagera dans les mois à venir à sillonner une nouvelle fois le pays et à rencontrer les acteurs politiques et sociaux.

Les perspectives ouvertes par la décision du juge de la Cour suprême, l’annonce de ce processus de concertation et de dialogue souhaité par Lula et le fait que ce dernier est l’homme politique le mieux placé pour vaincre aujourd’hui Jair Bolsonaro dans l’optique d’une confrontation électorale directe le remettent au cœur du jeu politique brésilien. La simple décision du juge Fachin, indépendamment des suites qui lui seront données après le recours déposé par le procureur général de la République, a déjà modifié le cadre politique du pays. Tandis que les forces de gauche, affaiblies et fragmentées, se félicitent du retour de Lula, ce dernier reçoit également des signaux de soutiens provenant de certains secteurs de la droite traditionnelle jusque-là hostiles. C’est le cas par exemple de l’ancien président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia (parti des Démocrates -DEM-, droite). Ce dernier a salué dans une série de tweets la décision du juge et qualifié Lula de dirigeant qui « respecte et défend la démocratie », doué d’une « vision pour le pays ». Remplacé le 1er février 2021 par le candidat soutenu par Jair Bolsonaro, Arthur Lira (Parti progressistes, PP), Rodrigo Maia est un opposant virulent au président brésilien.

La répercussion internationale de la décision du juge Fachin constitue également une autre source de satisfaction pour Lula. Le président argentin Alberto Fernandez a immédiatement salué la décision et félicité l’adversaire de Jair Bolsonaro avec lequel il entretient de forts liens d’amitié. D’autres figures régionales comme l’ancien président du Chili Ricardo Lagos, connu pour sa proximité avec Fernando Cardoso, l’ancien président du Brésil longtemps adversaire de Lula, se sont réjouis du retour de Lula au premier plan.

Ces signaux pourraient confirmer que l’option Lula 2022 soit accueillie favorablement par une partie du centre-gauche et du centre-droit latino-américains hostile à ce que Jair Bolsonaro continue de gouverner la première puissance régionale.

Pour leur part, les militaires brésiliens n’ont pas réagi aux annonces. Hamilton Mourao a quant à lui déclaré que « si le peuple brésilien veut élire Lula, patience ». Pour le vice-président et général d’armée à la retraite, cette déclaration vise à indiquer que le choix des électeurs sera in fine respecté. Toutefois, il a ajouté qu’il ne croyait pas en une victoire possible de Lula, un « homme politique vieux » aux « idées vieilles ».

La perspective d’une confrontation entre Lula et Jair Bolsonaro en 2022 s’avère probable même si elle n’est pas totalement certaine. Plusieurs inconnues politiques demeurent au-delà de l’avenir même des suites des décisions prises par la Cour suprême. Parmi ces inconnues, plusieurs peuvent être formulées à ce stade : un affrontement Lula/Bolsonaro peut-il laisser une place à un candidat autonome du centre-droit et de la droite traditionnelle[3] capable de remporter l’élection ? Un duel frontal entre Lula et Jair Bolsonaro favorisera-t-il la relance d’une dynamique de polarisation maximale qui avait profité en 2018 au second sur fond de radicalisation des électorats de droite et des classes moyennes et supérieures ? Qui, des partis du centre-droit et de la droite traditionnelle ou de Jair Bolsonaro seraient considérés, par les forces conservatrices et les élites économiques et financières brésiliennes, comme le meilleur rempart contre un éventuel retour de ceux qui, avec Lula, avaient été éliminés du pouvoir ces dernières années ?  Au prix de la pire crise démocratique intervenue au Brésil depuis la fin de la dictature ?

En attendant la résolution de ces questions judiciaires et politiques entremêlées dans les prochains mois, le président Jair Bolsonaro est apparu muni, pour la première fois, d’un masque sanitaire de protection le 10 mars 2021 lors d’une cérémonie publique organisée au palais du Planalto (le palais présidentiel) …

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[1] « Lavage express » en français. Cette opération anticorruption a révélé l’existence d’un vaste système de pots-de-vin, de détournement de fonds publics et d’enrichissement personnel mêlant l’entreprise pétrolière Petrobras, des acteurs du BTP (OAS, Odebrecht) et la plupart des partis politiques brésiliens.

[2] Ce dernier deviendra ministre de la Justice et de la Sécurité publique de Jair Bolsonaro jusqu’à sa démission en avril 2020.

[3] Singulièrement du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), du Mouvement démocratique brésilien (MDB) et des Démocrates (DEM).

Le prince Harry et le Truman Show

Fri, 12/03/2021 - 18:00

Pour un public américain fan des intrigues de palais décrites dans la série The Crown de Netflix, l’interview-événement de Meghan Markle et de son mari, le prince Harry, par Oprah Winfrey, la reine des talk-shows, dimanche 7 mars, sur la chaîne CBS, a été l’équivalent d’un épisode bonus explosif.

Cela a été feu à volonté sur la famille royale britannique du début à la fin. Tout y est passé. Des accusations de racisme – la monarchie anglaise a été décrite comme une institution excessivement traditionaliste, voire institutionnellement raciste, incapable d’intégrer une jeune actrice américaine métisse et dont les membres se seraient inquiétés de la couleur de peau de son enfant à naître -, à celles d’harcèlement.

Les yeux embués de larmes, chignon bas et longue robe noire, Meghan a dit s’être sentie si isolée et si peu soutenue par sa prestigieuse famille d’adoption qui aurait tout fait pour la réduire au silence, qu’elle en était arrivée à avoir des pensées suicidaires. « J’ai été naïve, j’aurais dû me renseigner avant d’entrer dans le giron de la famille Windsor », a ajouté la duchesse sans peur du ridicule.

Harry, costume clair et air grave, comme s’il était en train de discuter d’une catastrophe globale, genre guerre atomique, a expliqué, quant à lui, à quel point il se trouvait pris au piège dans sa propre famille avant de rencontrer sa femme. S’il a fait le choix douloureux de s’exiler à Hollywood, loin de tout et de tous, c’est avant toute chose pour éloigner son épouse des monstres de Buckingham et la préserver du destin funeste de sa propre mère, la princesse Diana.

« Je ne voulais pas que l’histoire se répète », a-t-il confié à Oprah Winfrey, confortablement assise dans l’un des fauteuils de jardin de la villa à 11 millions de livres sterling que le couple de réfugiés a acheté après être arrivé sain et sauf en terre libre d’Amérique.

Harry et Meghan ont, enfin, assuré qu’ils voulaient tirer un trait sur les dissensions familiales et avancer. Difficile cependant, après une telle interview, d’imaginer une réconciliation rapide : un an après le « Megxit », Meghan et Harry ont vraiment brûlé tous les ponts avec Buckingham Palace.

Comment cette fois-ci le palais va-t-il répliquer aux attaques du couple, se demande d’ailleurs fébrilement l’ensemble des commentateurs people de la planète – et pas seulement people, le New York Times dont pourtant la devise, affichée dans le coin supérieur gauche de la première page du journal, est All the News That’s Fit to Print, en a fait sa Une…

À titre personnel et pour être tout à fait franc, je me moque totalement de la réaction dudit palais.

Ce qui ici retient mon attention, au-delà du taux d’audience extraordinaire de l’émission – il parait que Michelle et Barack Obama ont « super-méga adoré » – et de la curieuse affection qu’éprouvent les Américains pour une monarchie dont ils se sont pourtant libérés il y a près de 250 ans, c’est le mot « prisonnier » qui est revenu à plusieurs reprises dans la bouche de Harry, non seulement le 7 mars, mais aussi depuis son départ du Royaume-Uni.

En tant que contempteur du système monarchique en général et plus précisément en Europe aujourd’hui, j’aurai tendance à me joindre à ceux qui méprisent le couple Meghan-Harry, parfaits représentants d’une génération self centred à qui tout est dû, mais qui croit ne rien devoir à personne, et donc à considérer Harry comme un gosse de riches bon à rien, engraissé depuis sa plus tendre enfance sur le dos d’un peuple britannique bien idiot de ne pas le mettre à la porte avec toute sa famille.

Mais si on réfléchit bien, on peut voir les choses différemment. Très différemment.

Imaginons un instant que nous apprenions demain dans le journal qu’un plombier (par exemple, mais n’importe quel métier pourra faire l’affaire) endoctrinait depuis le berceau, son fils, en lui mettant dans le crâne qu’il n’aurait d’autre choix une fois adulte que de lui succéder. Imaginons encore que nous apprenions que ce plombier, épaulé par toute sa famille, mais aussi par l’ensemble des habitants de son village et des enseignants de l’école communale, n’a eu de cesse au cours des années de forcer son rejeton à se sensibiliser aux techniques de la plomberie tout en lui refusant toute autre possibilité d’apprentissage. Imaginons que toute la communauté villageoise est ensuite persuadée le pauvre enfant devenu jeune homme, qu’il avait le devoir de la servir jusqu’à sa mort en tant que plombier et que refuser reviendrait à trahir sa famille, ses concitoyens et par-dessus tout, à bafouer la volonté de Dieu.

Que penserions-nous de cela ? Nous crierions au scandale, à la maltraitance infantile, à la privation des droits fondamentaux d’un individu et accuserions l’ensemble du village de folie collective.

Certains, bien sûr, plaideraient en faveur des villageois en disant qu’après tout, cet enfant assuré d’un travail à vie et donc de sa pitance quotidienne avait vocation à être épargné des aléas de l’existence, comme le chômage. Et puis, après tout, il pouvait quitter le village s’il n’était pas content de son sort, ajouteraient-ils hypocritement.

La majorité de l’opinion n’en démordrait pas et rétorquerait alors avec raison à ces avocats du diable qu’un enfant endoctriné ne peut que très rarement trouver en lui les ressources nécessaires à son émancipation et que le plus souvent, il demeurera prisonnier du carcan dans lequel il a grandi, refoulant ainsi et pour toujours ses aspirations profondes. Qu’il s’agit ici d’un crime odieux et que le père et ses complices doivent être sévèrement punis, point barre !

N’est-ce pas plus ou moins la même chose qui se passe avec les enfants de monarques, qu’ils soient héritiers du trône ou non ? Les premiers se retrouveront dans une position, toute proportion gardée, similaire à celle du fils du plombier, obligés de faire un métier qu’en dépit des avantages matériels qu’offre la royauté, ils n’aiment pas et pour lequel, très souvent, ils ne sont pas faits – souvenons-nous du pauvre Louis XVI. Les autres, c’est-à-dire les cadets, seront le plus souvent cantonnés toute leur existence à être des faire-valoir que l’on sortira uniquement les jours de fête, prisonniers d’un rôle qu’ils seront condamnés à interpréter jusqu’à leur dernier souffle sous peine de devenir parias et d’être exclus du clan familial et de la communauté nationale.

On peut encore pousser la réflexion plus loin. Les têtes couronnées d’aujourd’hui et leurs enfants, légataires d’un système anachronique qui n’existe plus en Europe que comme folklore, ne sont-ils pas les vrais Truman de notre temps ?

Rappelez-vous The Truman Show, ce film ou Jim Carey interprète Truman Burbank, star d’une télé-réalité à son insu. Depuis sa naissance, son monde n’est qu’un gigantesque plateau de tournage et tous ceux qui l’entourent sont des acteurs. Lui seul ignore la réalité alors que des centaines de millions de téléspectateurs suivent son existence au jour le jour et le considère comme leur chose, leur propriété.

Le sort du petit Georgie, fils du prince Williams et de Kate Middleton et héritier du trône d’Angleterre, est-il après tout si différent de celui du petit Truman Burbank, l’enfant esclave sur lequel une société de voyeurs-consommateurs projette ses fantasmes ?

Si l’on accepte de voir les choses de ce point de vue, alors on peut considérer la démarche du prince Harry comme un acte de courage. Un acte émancipateur qui, au-delà du manque de profondeur d’un personnage qui ne semble penser qu’à l’exploitation de la marque « Sussex » et du ridicule de l’interview de CBS, mérite d’être reconnu et encouragé.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.

Les États-Unis de nouveau dans l’action climatique ?

Fri, 12/03/2021 - 15:21

De passage à Paris le mercredi 10 mars 2021, John Kerry, nommé par le Président américain Joe Biden en tant que représentant spécial pour le climat, a pu s’entretenir avec Emmanuel Macron, Bruno Lemaire, Jean-Yves Le Drian et d’autres membres du gouvernement. Cette visite démontre l’importance donnée par la nouvelle administration américaine aux enjeux climatiques, qu’ils soient économiques ou sécuritaires. Le point de vue de Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses au sein du Programme Climat, Énergie et Sécurité de l’IRIS.

Cette visite de John Kerry semble souligner la différence de positionnement entre le gouvernement américain actuel et le précédent. Le retard diplomatique des États-Unis causé par l’administration Trump en matière d’action climatique pourra-t-il être rattrapé par celle de Joe Biden ?

Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris en 2017 avait profondément marqué la communauté internationale. À juste titre, l’absence d’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) du cadre de gouvernance climatique mettait à mal l’ambition commune de réduire les émissions de GES – pourtant indispensable pour réussir à maintenir l’augmentation de la température moyenne en dessous de 2°C et limiter l’ampleur du changement climatique. Il faut cependant souligner que, malgré le retrait officiel de l’accord de Paris par le gouvernement fédéral des États-Unis entre 2017 et 2020, certains États fédérés américains et les acteurs privés ont continué à agir en faveur de la lutte contre le changement.

Dès son arrivée, Joe Biden a fait de cette lutte une priorité de sécurité nationale. La visite de son envoyé spécial pour le climat à Paris, dans le cadre d’une tournée européenne, le prouve. John Kerry a notamment déjeuné avec Bruno Lemaire, après avoir rencontré Ursula von der Leyen la veille et avant de discuter avec les Britanniques (hôtes de la COP26). Les déclarations faites montrent une recrudescence de l’ambition : au cœur des discussions, la mise en place de normes communes quant à la finance verte, notamment dans le cadre de la taxonomie développée par l’Union européenne, ou encore la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, portées par la future présidence française du Conseil de l’Union européenne. Ces efforts sont nécessaires (mais restent insuffisants) pour espérer atteindre les réductions d’émissions de GES nécessaire à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris.

Alors que la Chine avait remplacé les États-Unis dans le leadership climatique aux côtés de l’UE, que signifie la visite de Kerry à Paris ?

L’Union européenne avait en effet continué dans la lignée des ambitions de l’Accord de Paris lors du retrait américain et la nouvelle Commission, présidée par Ursula von der Leyen, porte des objectifs plus ambitieux que la précédente. L’Accord de Paris avait permis une forte synergie entre l’Union européenne et les États-Unis, tandis que l’après-Accord de Paris a donné une place croissante à la Chine. En septembre 2020, celle-ci s’est également démarquée en partageant de nouveaux objectifs en matière d’action climatique, dont celui de neutralité climatique à 2060. Dans le contexte plus global de rivalité sino-américaine, la Chine s’est affichée comme plus ambitieuse que les États-Unis de Donald Trump. Aujourd’hui, Joe Biden paraît vouloir rattraper ce retard : la visite européenne de John Kerry laisse à penser que le duo Europe (Union européenne et Royaume-Uni) + États-Unis sera de nouveau solide et moteur de la COP26.

On comprend donc que l’action des États-Unis dans les mois qui viennent va être suivie avec attention, d’une part pour comprendre l’ambition réelle de la nouvelle administration (qui se positionne en organisant un sommet de haut niveau sur le climat les 22 et 23 avril) et d’autre part pour en analyser les tenants et aboutissants face à une Chine toujours plus présente au sein de la gouvernance climatique. Les États-Unis devraient rendre publics leurs nouveaux objectifs climatiques quelques jours avant le sommet de haut niveau d’avril prochain.

Que signifie la priorité de sécurité nationale donnée au changement climatique par l’administration Biden ?

La signature dès son investiture de nombreux décrets portant sur la lutte contre le changement climatique par Joe Biden est un signal politique fort et sans précédent. Cependant, les dommages sont là : l’administration Trump n’a absolument pas suivi les directives de la feuille de route déposée par les États-Unis durant l’Accord de Paris, affectant leur capacité à suivre une trajectoire suffisamment forte pour limiter les impacts du changement climatique. Or, ceux-ci sont nombreux aux États-Unis, exposés aux ouragans, à la sécheresse, à la montée des eaux. Sans tournant drastique de la part du gouvernement américain, le maintien de la température globale moyenne en dessous des 2°C par rapport à l’ère préindustrielle paraît impossible. Aujourd’hui, au moment de la visite de John Kerry en Europe, l’ONG Climate Action Tracker a publié une estimation de ce que devrait être la feuille de route des États-Unis pour la COP26 : passer des engagements actuels (baisse de 26 à 28% des émissions de GES en 2025 par rapport à 2005) à une baisse de 57-63% en 2030 par rapport à 2005.

L’administration Biden se montre particulièrement active sur la question, d’un point de vue organisationnel : devenu priorité nationale, le climat infuse désormais tous les départements (ministères) américains, dont celui de la défense. Celui-ci a d’ailleurs confirmé officiellement le 9 mars la mise en place d’un groupe de travail spécifique au climat au sein de son administration. En outre, le Président Biden prévoit de soumettre au Congrès américain un plan de 2 000 milliards de dollars pour la relance verte, et notamment la décarbonation de l’industrie énergétique d’ici 2035. Ces initiatives démontrent l’ambition de la nouvelle présidence américaine et, si adoptées, impacteront positivement les efforts de réduction des émissions de GES entrepris par la communauté internationale.

« La France dans le monde » – 3 questions à Frédéric Charillon

Fri, 12/03/2021 - 15:08

Professeur en science politique à l’Université Clermont Auvergne, à l’ESSEC, Sciences Po et l’ENA, ancien directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Frédéric Charillon répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de La France dans le monde qui parait sous sa direction chez CNRS éditions. 

Vous parlez d’une nouvelle sociologie de la diplomatie française, formée par des écoles devenues américanisées comme Sciences-Po. Quel est l’impact sur la détermination notre politique étrangère ? 

L’hypothèse avait été émise par Christian Lequesne dans ses recherches sur « l’ethnographie du Quai d’Orsay », notant l’évolution de cette école depuis quelques années. À partir du moment où de nombreux diplomates français passent par une institution qui propose des programmes d’échange dans le monde anglo-saxon (et ailleurs), leur perception de la place de la France dans le monde n’est plus la même. Parfois pour le meilleur, mais pas toujours… Là où l’on croyait, peut-être de façon naïve, à une « exception française », on se prend désormais à trouver cette idée ringarde. Ce qui pose d’autres problèmes.

Faut-il alors diversifier davantage les trajectoires des diplomates, qui pourraient suivre des formations plus variées les mettant au contact de l’altérité, plus loin de leur zone de confort ? Car il est toujours périlleux de subir les modes d’un seul courant dominant : après le néoconservatisme, verra-t-on des promotions tentées par le trumpisme, la « post-vérité » ou au contraire la cancel culture ? Il ne s’agit pas ici d’empêcher quiconque d’avoir une expérience américaine, indispensable pour qui veut comprendre les relations internationales. Mais il est tout aussi indispensable de multiplier les rencontres culturelles, d’entendre les voix du monde dans leur pluralité. Nous avons en France des étudiants curieux de tout, et des diplomates salués pour leur compétence et leur esprit de synthèse : sachons en tirer le maximum.

Comment maintenir notre influence puisque vous déplorez la diminution de 50% de nos moyens, dans certains secteurs comme le culturel, entre 1986 et 2016 ? 

La notion d’influence doit faire en effet l’objet d’une réflexion. On oublie souvent trois choses. 1- Elle ne peut pas être une simple incantation. L’influence ne se décrète pas, elle se cultive à long terme. Il ne fait pas sens de dire « nous avons depuis ce matin une diplomatie d’influence ». 2- L’influence n’est pas une fin en soi. C’est un moyen. Ce qui signifie que les objectifs doivent en être bien définis. La question est : « qui voulons-nous influencer, pour obtenir quoi, dans quel domaine, et pour servir quels intérêts ? ». Et non pas : « notre objectif : être influents ». 3- Dès lors, l’influence exige des moyens. Il faut que l’influencé trouve son intérêt à suivre l’influenceur. Les plus grandes puissances le savent, comme les États-Unis ou la Chine, qui mettent ces moyens sur la table pour arriver à leurs fins. D’autres, qui ont des moyens plus limités comme la Russie ou la Turquie, élaborent une stratégie en conséquence, avec des priorités plus ciblées. Mais clamer « nous allons développer une stratégie d’influence » pour ajouter immédiatement « à moyens constants », est une chimère.

Nous en revenons donc à votre question : comment maintenir notre influence dans le monde d’aujourd’hui en diminuant nos moyens, alors que les défis se multiplient et que les luttes d’influence sont partout ? La réponse est simple : on ne peut pas, surtout si l’influence ne fait pas l’objet d’une définition précise. Les moyens doivent suivre les ambitions.

Vous estimez que la voix de la France a fini par perdre en cohérence en devenant moins audible… 

Oui, et c’est d’ailleurs aussi le cas de beaucoup d’États ces dernières années : les relations internationales sont complexes, les dossiers et les acteurs se multiplient, il est donc de plus en plus difficile d’imprimer une marque à une politique étrangère, qui soit identifiable aussi bien sur les conflits du Proche-Orient que sur le réchauffement climatique, en passant par Huawei ou Boko Haram, face à des interlocuteurs qui vont de Vladimir Poutine à Greta Thunberg. Des leaders comme Tony Blair ont tenté (on appelle cela le « nation branding ») de proclamer un fil conducteur (une politique étrangère « éthique », annonçait-il en 1997, mais on connaît la suite). Des pays, comme la Suède, tentent d’incarner une posture (en l’occurrence une « politique étrangère féministe », depuis la ministre Margot Wallstrom). Mais cet exercice de communication est difficile.

Sous le général de Gaulle, la France avait une ligne reconnue, qui s’est perpétuée sous plusieurs de ses successeurs, consistant à être un pays occidental allié des États-Unis, mais libre de ses propos et universaliste dans son rapport au monde. Une ligne que Hubert Védrine a résumée par la formule « Amis, alliés, mais pas alignés ». Le refus de la guerre américaine en Irak, en 2003, en fut l’une des dernières manifestations claires. Nicolas Sarkozy n’aura pas été si occidentaliste qu’on lui a reproché, ni François Hollande si indéterminé qu’on l’a dit. Mais le message s’est brouillé. À plusieurs reprises, l’exécutif a même parlé de plusieurs voix, par exemple lors de la crise de Gaza à l’été 2014. Emmanuel Macron a ensuite voulu redonner une ligne claire. Il a annoncé dans sa campagne le souhait d’une puissance « indépendante » (ce qui n’était pas le plus original), « européenne » (ce qui était déjà courageux dans un contexte où l’Europe ne faisait plus recette), et « humaniste », ce qui était intéressant, mais méritait clarification. On a ensuite compris de ses discours qu’il soutenait une vision libérale et multilatéraliste, opposée aux nationalismes illibéraux, avec entre autres priorités la lutte contre les inégalités. Mais les moyens ont manqué, l’Europe s’est divisée, les partenaires classiques ont connu des troubles (le trumpisme, le Brexit, la fin de règne d’Angela Merkel), des dossiers ont posé question (Libye), des tentatives se sont heurtées à une dure réalité (Liban), enfin le Covid a occupé l’agenda international. La réinvention du message français reste donc nécessaire. Là encore, il faut s’en donner les moyens.

 

 

« Overbookés » – 3 questions à Rahaf Harfoush

Tue, 02/03/2021 - 15:26

Anthropologue du numérique et consultante en stratégie digitale, Rahaf Harfoush enseigne l’innovation et les business models émergents à Sciences Po Paris en MBA. Elle a fait partie de l’équipe réseaux sociaux de Barack Obama et a été nommée « Young Global Shaper » par le Forum de Davos. Elle répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Overbookés, aux éditions Dunod.

Soumis à l’impératif de productivité, les travailleurs à la connaissance pourraient-ils perdre leur créativité ?

Oui. Les systèmes de productivité obsolètes encouragent l’épuisement professionnel. Sans le temps de récupération approprié, les travailleurs du savoir souffriront d’idées de moindre qualité et feront plus d’erreurs au travail.

Nous avons développé des habitudes de travail qui encouragent le travail sans interruption pendant des heures. La neuroscience nous montre que notre cerveau a besoin de périodes de repos intentionnel. Nous devons nous ennuyer. Nous devons rêver de jour. Nous devons laisser notre esprit vagabonder. Avec des distractions sans fin, des interruptions et trop de réunions, ce dont nous avons besoin pour produire notre meilleur travail devient une rareté.

Je suis choqué que nous ayons continué à utiliser des systèmes qui nuisent aux entreprises de ressources dans lesquelles elles tentent d’investir. Vous ne pouvez pas être innovant, créatif ou stratégique si vous êtes en manque de sommeil ou stressé. Ce n’est tout simplement pas possible.

Le burn out est un phénomène mondial, plusieurs nations ont inventé un nom spécifique pour le désigner…

Il existe différents mots pour le burn out en chinois et en coréen, ce qui indique à quel point le problème du surmenage est répandu. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l’épuisement professionnel était un problème mondial sur le lieu de travail.

Un surmenage prolongé peut entraîner de graves problèmes de santé liés au stress et à l’anxiété prolongés. Cela peut avoir un impact sur le bien-être mental d’une personne et avoir un impact négatif sur ses relations professionnelles et personnelles. C’est quelque chose que les entreprises et les gouvernements doivent prendre au sérieux.

De manière plus urgente, les individus doivent commencer à examiner leurs propres relations avec le travail. Nous pouvons être nos pires patrons et nous ne prenons souvent pas de mesures pour nous aider.

Vous écrivez que la dévotion au travail est un moyen de nous rassurer sur notre propre valeur…

Pour beaucoup de gens, leur travail est un art critique de leur identité, et il est donc important pour eux de montrer constamment aux autres à quel point ils travaillent et à quel point ils travaillent dur. Nous croyons que le travail acharné est synonyme de succès et en disant aux gens à quel point nous sommes occupés ou combien nous travaillons, nous renforçons l’idée que nous méritons notre succès parce que nous luttons pour cela.

Alors que le monde du travail continue de changer, nous allons être confrontés à une cohorte de personnes qui perdront cette partie de leur identité et ressentiront beaucoup d’angoisse.

 

As Cold as Ice: about the Relationship between Sport, Human Rights and Economic Considerations in Belarus

Tue, 02/03/2021 - 12:29

 

A hat trick in ice hockey, when a player scores three goals in a single game, culminates in the National Hockey League with fans throwing hats onto the ice from the stands. Another sort of hat trick occurred between 15 and 17 January 2021 and included the following sponsors of the International Ice Hockey Federation (IIHF): Nivea Men, Skoda and Liqui Moly. All three corporations were figuratively throwing their hats into the ring for challenging the IIHF to withdraw the hosting rights from Belarus for the World Championships, which was meant to take place in Minsk and Riga between May and June of this year, after continuing debates about the poor human rights record in Belarus. Let’s take a step back to explore how the situation finally threatened to escalate into a geopolitical showdown.

The 2020 Belarusian presidential election held on 8 August, recognised by the EU as electoral fraud and the violent repression of protests by Belarusian ruler Alexander Lukashenko, resulted in the imprisonment and torture of thousands of opposition members, among them were many elite athletes who were deprived of vital preparation time for the forthcoming Olympic and Paralympic Games. International human rights organisations and independent athlete organisations immediately condemned the atrocities by the regime while calling out the International Olympic Committee (IOC) to sanction Lukashenko, who is also the head of the National Olympic Committee (NOC) of Belarus and per definition the highest-ranking sports representative in his country. However, that’s not all: The Belarusian Ice Hockey Association President Dmitry Baskov is currently under investigation for his role in the alleged murder of Raman Bandarenka, a 31-year old artist who died during a peaceful protest in November. After immense pressure from a variety of stakeholders, the IOC finally gave in and suspended all elected members of the Executive Board of the NOC of Belarus from all IOC events and activities from the beginning of December 2020, with a specific mention of Lukashenko and Baskov. This series of events did not prevent IIHF president Réné Fasel however from hugging the Belarusian president and posing together with Baskov on his trip to Minsk in January – the latter currently under investigation by his own federation due to « potential violations » under article 6 of the IIHF’s statutes. Fasel eventually apologised for the public embrace, claiming he only wanted to have an open and honest conversation with Lukashenko regarding the staging of the World Championship.

This brings us back to the initial situation of the three sponsors, Nivea Men, Skoda and Liqui Moly, who threatened the IIHF with withdrawal from supporting the Ice Hockey World Championship if Belarus was confirmed to be co-hosting the event. The statements underlying the respect for human rights seem noble, which is ironic, given that this decision took them over five months post the presidential elections and more than one month after the decision by the IOC. So why?  And why now?

Minsk already hosted the Ice Hockey World Championship in 2014, during which IIHF president Fasel congratulated Belarus on its superb organisation of the competition. At the time, pulling the tournament from Minsk due to the political situation in the country was similarly supported by the opposition, civil society activists and the European Parliament, outlining the arrest of hundreds of peaceful demonstrators including presidential candidates, opposition leaders, journalists, civil society representatives as well as ordinary Belarusians for the past two decades. Official main sponsors of the 2014 championship included Nivea Men and Skoda Czech company which ironically belongs to the VW Group, the German multinational automotive manufacturing corporation that recently opened a factory in Xinjiang, China, where the Muslim minority Uyghurs and Kazakhs are held in internment and labour camps against their will. The third associated party, the German oil manufacturer Liqui Moly, recently signed a three-year contract with the racing series Formula 1, making the deal the largest sponsorship in the company’s history. The provisional 23-race calendar for 2021 includes Bahrain, Azerbaijan, China, Saudi Arabia, Russia, Hungary and the United Arab Emirates. All these countries, unsurprisingly, are criticised for their human rights violations on a regular basis.

We already know how the story ended. In the aftermath of Liqui Moly’s statement to cancel its sponsorship, precisely only one day later, the IIHF Council reached the decision to move the World Cup from Belarus to solely the co-host Latvia, “following the conclusion of an extensive due diligence process”. Although one can only speculate, it seems very likely that beforehand, the three corporations did the exact same thing: a due diligence process including a risk analysis based on the public opinion and what it could mean for product sales of creams, cars and oil. It was the last chance to avoid bad press, while strategically pointing the gun at the only scapegoat remaining: the IIHF. Based on the positive social media reactions on the respective company pages, the strategy worked out just fine.

It remains to be seen whether the respect and promotion of human rights would be equally important when it comes to the sponsoring of the top category of major sporting events, such as the FIFA World Cup or the Olympic and Paralympic Games. The one year countdown towards the controversial Winter Games in Beijing has just begun and IOC president Thomas Bach would be well advised to get a proper understanding of the freshly delivered independent report ‘Recommendations for an IOC Human Rights Strategy’, rather than following Réné Fasel’s failed approach to sit by and wait for the problem to resolve itself. A last spectacular turnaround in this story was proposed by Russia in December 2020, when it offered the alternative hosting of the World Championship. However, this scenario has been ruled out because of the Court of Arbitration in Sport’s decision to uphold the sanctions proposed by the World Anti-Doping Agency, which prohibits Russia to organise adult championships on national grounds within the next two years. But this is yet another story.

Anton Klischewski, founder of the Project PRESFUL, a youth-led research initiative advocating for concrete human rights legislation in the sporting industry. He recently joined the Special Olympics Germany marketing and communications department and served as a Sports & Sustainability Consultant, e.g., for the initiative ‘Sport Trades Fair’ and the Berlin-based football club ‘FC Internationale 1980’. He holds an MSc in Administration and Management of Professional Sports Clubs from the University of Bordeaux.

La fabrique de l’aide publique au développement : réflexions sur la nouvelle loi

Tue, 02/03/2021 - 12:02

Mardi 2 mars 2021, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est soumis au vote de l’Assemblée nationale.  Ce projet de loi sur lequel s’est fortement mobilisé Coordination SUD, la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale, annonce notamment des mutations sur le plan financier. C’est ce que nous décrypte aujourd’hui Olivier Bruyeron, Président de Coordination SUD, dans un entretien réalisé par Magali Chelpi-den Hamer, chercheuse à l’IRIS et responsable du programme Humanitaire et Développement.

Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est soumis au vote aujourd’hui, à l’Assemblée nationale. 666 amendements ont été déposés et ont été examinés en commission. Ce projet de loi est assez technique pour des personnes non spécialistes. Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les évolutions principales pour les organisations de solidarité internationale par rapport à la loi de 2014 existante, et quels sont les points qui restent encore à clarifier ? 

Il me semble qu’à ce stade, le projet de loi comporte quatre évolutions principales par rapport à la loi de 2014.

La première porte sur la programmation financière de l’aide publique au développement (APD) française. Cette programmation était absente de la loi de 2014, et il s’agit d’une réelle avancée de la voir intégrée. Avancée à relativiser toutefois puisque la programmation proposée porte jusqu’à 2022, et que nous sommes en 2021 ! Pour lui donner toute sa portée, il faudrait naturellement que cette programmation aille jusqu’en 2025. Cela est d’autant plus important que les acteurs engagés sur le terrain ont besoin de visibilité sur les moyens disponibles pour agir avec efficacité et maximiser l’impact auprès des populations et partenaires.

Cela est partiellement compensé par la présence dans le texte de la mention que la France s’efforcera d’atteindre la mobilisation de 0,7% de son revenu national brut à destination de l’aide publique au développement en 2025. Il est très positif que cet objectif figure dans le corps de la loi et que celle-ci incite clairement à son atteinte à une date donnée. Mais cela fait plusieurs décennies que la France a pris cet engagement et les besoins sont considérables ; alors ne serait-il pas plus explicite d’inscrire dans la loi, directement, l’atteinte de cet objectif à partir de 2025 ? C’est la position portée par Coordination SUD. J’ajoute qu’il est également positif que soit mentionné que les financements sous forme de dons doivent augmenter, mais cela n’est pas chiffré précisément.

Deuxièmement, je prends acte des avancées sur le plan de la reconnaissance de la société civile. Dans la LOP-DSI de 2014, la société civile n’était que peu mentionnée. Dans le projet de loi actuel, et ce malgré l’absence d’un article dédié sur lequel s’était pourtant engagé le gouvernement suite à notre demande, la reconnaissance du rôle, l’expertise et la plus-value des organisations de la société civile dans les processus de lutte contre la pauvreté, la faim et les inégalités, de respect des droits humains, de protection de la planète, etc. se voient renforcés. Le droit d’initiative est mentionné, la participation à la gouvernance d’Expertise France est inscrite, et un objectif de faire tendre le montant des financements transitant par les ONG vers la moyenne de l’OCDE est présent. À noter que sur ce point une évolution significative serait de mentionner comme objectif l’atteinte du pourcentage moyen de l’APD nationale transitant par les ONG dans les pays du CAD de l’OCDE. Mais peut-être faut-il lire comme cela l’objectif indiqué ! Je regrette également que la loi ne précise pas d’ambition financière associée au droit d’initiative alors que celui-ci contribue grandement à la mise en œuvre d’actions pertinentes, efficaces et efficientes et que les attentes sont fortes du côté des ONG.

La troisième évolution que je soulignerais est le fait que l’approche du genre n’est plus seulement un objectif thématique, mais bien transversal à cette politique. Le fait que la diplomatie féministe de la France soit un principe directeur de la politique de développement était attendu fortement par les ONG françaises. Le cadre de partenariat global annexé à la loi prévoit que 75% des projets financés par l’Aide publique au Développement aient comme objectif principal ou significatif l’égalité femmes-hommes au sens de l’OCDE d’ici 2025. C’est une évolution positive par rapport à la loi de 2014, même si le critère du Comité d’Aide au développement de l’OCDE à ce sujet (85%) ne sera donc toujours pas respecté ; ce qui est regrettable.

Enfin, la quatrième évolution marquante est la révision des priorités stratégiques et géographiques de la politique française. Elles sont présentées dans l’avant article 1er et dans le cadre de partenariat global annexé. Certaines de ces priorités figuraient déjà dans la loi de 2014 (par exemple, l’accès à l’eau, l’éducation), mais d’autres sont nouvelles et pertinentes ; par exemple, l’accent mis sur les défis environnementaux et climatiques, ainsi que la prévention et le traitement des crises et des fragilités. Par ailleurs, les priorités géographiques sont renforcées, par exemple, l’allocation de 0,15 à 0,20% du RNB français aux pays les moins avancés.

Quel rôle a joué Coordination SUD dans le processus de fabrication de cette loi, et quelle impression avez-vous aujourd’hui sur le consensus obtenu ? 

Dès 2018, Coordination SUD a rencontré les interlocuteurs des différentes institutions concernées. Les premiers messages ont été portés dans le cadre des consultations de la mission du député Hervé Berville qui a préfiguré la révision de la loi de 2014. Un groupe de travail interne à la coordination s’est alors constitué.

Coordination SUD a été le point focal pour les ministères compétents, pour le CNDSI et, enfin, lors des débats parlementaires. Le groupe de travail interne a coordonné les recommandations thématiques de Coordination SUD et de ses membres. Il a contribué à définir les axes de plaidoyer à traiter, a facilité l’élaboration et la diffusion de documents de position commune, et a proposé aux députés plus de 50 amendements de la loi.

J’en profite pour féliciter l’engagement de chacune des organisations membres de ce groupe de travail, qui ont toutes, à hauteur de leurs capacités, participé et organisé un grand nombre d’actions de plaidoyer. Par exemple la publication d’une lettre ouverte au président de la République pour l’inciter à passer la loi en conseil des ministres, ou la préparation de quatre auditions avec des groupes de parlementaires en amont de l’examen de la loi en commission.

Coordination SUD a également publié une tribune appelant ces mêmes parlementaires à fixer une date pour atteindre les 0,7% afin d’offrir au secteur de la solidarité internationale visibilité et prévisibilité dont il a besoin pour mettre en place des politiques de développement durable et de qualité.

Bien évidemment, nous nous sommes aussi appuyés sur les réseaux sociaux pour interpeller les parlementaires et le gouvernement aux différentes étapes de loi, et en particulier au moment du vote des différents amendements.

Et le travail continue. Pour chacune des actions de plaidoyer, les messages transmis se structurent autour de 5 axes de plaidoyer : renforcement du narratif de la loi, programmation budgétaire, reconnaissance de la place des organisations de la société civile, renforcement de la cohérence et de la transparence des politiques publiques et, enfin, renforcement de l’approche genre de la loi.

Pour la deuxième partie de votre question quant à mon impression à propos du consensus obtenu, je dirais que de fait, nous devons continuer à porter la question de la solidarité internationale. Les débats qui ont eu lieu au parlement ou au CNDSI sur ce sujet sont importants. Ils doivent avoir lieu régulièrement. Le consensus qui semble avoir été globalement obtenu au niveau du parlement autour de cette loi montre que la France peut, doit (et finalement veut) jouer un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités mondiales. C’est encourageant. Cependant, la société civile devra rester vigilante à la bonne mise en œuvre de ce consensus, continuer d’apporter ses valeurs et son expertise au soutien des politiques de développement et contribuer à leur mise en débat public.

Le financement public des projets de développement à l’international mis en œuvre par des organisations françaises est annoncé doublé dans le projet de loi. Dans le même temps, les contraintes accrues en termes de redevabilité financière font que les coûts administratifs indirects des organisations intervenant à l’international augmentent. Comment peut-on résister à la tendance actuelle de technocratisation de l’aide, qui peut être interprétée comme un détournement des fonds destinés aux opérations dans les Suds au profit d’une logique comptable et financière que certains qualifient d’excessive ?

Je suis content que vous souleviez cette question de cette façon.

Je commencerais en rappelant que la redevabilité et la transparence sont essentielles à la qualité de la mise en œuvre de l’aide publique au développement, et c’est pourquoi ces deux éléments sont également au cœur de notre plaidoyer concernant la future loi. Cette redevabilité et transparence doivent s’appliquer à toutes les parties prenantes : les ONG bien sûr, mais aussi les institutions publiques ou parapubliques, ainsi que les acteurs et actrices du secteur privé marchand.

Cela ne contredit en rien notre position de refuser la surredevabilité procédurale et la surbureaucratisation de l’aide à l’œuvre depuis plusieurs années, par exemple au sein de la Commission européenne ou plus récemment en France. Cette position peut être entendue par certains comme l’expression d’un refus de la part des organisations de la société civile d’être rigoureuses dans leur gestion financière et opérationnelle. Ce n’est évidemment pas le cas. Il est tout à fait normal que les organisations rendent des comptes et prennent des précautions pour s’assurer du bon usage des financements reçus. Et elles le font. Mais il ne faut pas non plus que cela tourne à l’absurde ou que cela contrevienne au sens ou aux principes fondamentaux de nos actions. C’est malheureusement le cas aujourd’hui sur certains points. Par exemple, les procédures pour engager des dépenses et les justifier se démultiplient, engendrant des coûts, des lenteurs, des erreurs procédurales, etc. pour quels bénéfices ? La redevabilité accrue pose problème quand elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour avec une lecture fidèle sans doute raisonnable sur la sincérité de ce qui est réalisé.

À quel moment met-on ces contraintes et ces entraves au regard du niveau des risques réellement encourus, de l’utilité des actions engagées, de l’adaptabilité et de la réactivité nécessaires pour faire face aux situations de terrain ? Porter ce sujet est très délicat actuellement. Il est en effet difficile de faire entendre une approche basée sur l’analyse des risques au regard des bénéfices attendus ; qui s’oppose à la pensée dominante de l’atteinte du « risque zéro ». Objectif totalement illusoire, mais plus confortable à brandir pour beaucoup. Le bon sens et le courage doivent s’imposer de façon à briser ce cercle vicieux. Cela passerait par l’examen des exigences face à l’efficacité des actions de solidarité internationale et à leur conformité avec le cadre dans lequel ces actions s’inscrivent (ODD, droits humains, etc.).

C’est le message que nous portons dans différents espaces. Nous sommes persuadés que nos concitoyens et concitoyennes soutiennent cette approche ; car nous sommes tous et toutes conscients qu’un certain niveau de risque doit être assumé. Un parallèle pédagogique peut être présenté : nous, tous et toutes en tant que citoyens et citoyennes, vivons aujourd’hui avec la pandémie. Quotidiennement, nous évaluons le bénéfice et le risque associés à mener telle ou telle activité. Les règles qui nous sont imposées pour freiner l’épidémie – au même titre que les règles de redevabilité qui sont imposées à la société civile – doivent nous protéger au mieux, individuellement et collectivement, mais ne doivent pas devenir toujours plus contraignantes dans le seul but d’atteindre le « graal » du « risque zéro », qui, in fine, n’existe pas et n’existera jamais, et ce contrairement aux discours et espoirs qui peuvent traverser nos sociétés contemporaines ; à tout le moins celles des pays riches.

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Les différentes étapes de ce projet de loi :

La loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale prévoyait une révision obligatoire de ses dispositions après une période de 5 ans (article 15). Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales qui est soumis au vote le 2 mars 2021, à l’Assemblée nationale, a vocation à remplacer cette loi. Le projet de loi est en discussion depuis début 2018, et fait suite à la tenue du dernier Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du 8 février 2018. Ce projet a à la fois cherché à intégrer les orientations stratégiques de la France et une dimension programmatique, en fixant à l’horizon 2022 les moyens que la France alloue à sa politique d’aide au développement. Après un long processus de concertation, la loi, dans son avant-dernière version, devait être présentée en Conseil des ministres courant mars 2020, après avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Conseil d’État. Après plusieurs annonces et reports, une motion dédiée votée lors de l’Assemblée générale 2020 de Coordination SUD, une lettre à la Présidence et une lettre ouverte des ONG, le projet de loi est enfin passé à l’ordre du jour du Conseil des ministres, le 16 décembre 2020, la veille de la Conférence nationale humanitaire, déclenchant de fait son examen parlementaire en vue de son adoption au parlement en procédure accélérée. Au cours du plaidoyer parlementaire, Coordination SUD a publié une tribune appelant à fixer une date pour atteindre l’objectif de consacrer 0,7% du revenu national français à l’aide publique au développement afin d’offrir au secteur de la solidarité internationale les moyens et la visibilité nécessaires pour mettre en place des politiques de développement de qualité. L’examen en Commission des affaires étrangères s’est déroulé les 11, 12 et 13 février. L’examen en séance publique à l’Assemblée nationale a eu lieu les 17 et 19 février. Le vote solennel à l’Assemblée nationale s’est déroulé le 2 mars.

Industrie de défense : le Covid-19 oblige là aussi les États à réagir

Mon, 01/03/2021 - 17:08

Le Covid-19 a impacté le monde dans son ensemble, le secteur de l’industrie de défense n’y faisant pas exception. Où en est ce secteur alors que les fonds d’investissement montraient un intérêt croissant pour les entreprises opérant dans ce domaine ? Le Brexit et la crise actuelle peuvent-ils jouer en faveur d’une autonomie stratégique européenne en matière d’industrie de défense ? Le point avec Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Dans quelle mesure la crise du Covid-19 a-t-elle impacté l’industrie de défense ?

Le premier impact fut celui lié au confinement de mi-mars 2020 et prolongé jusqu’au mois de mai 2020. À cette époque, les entreprises n’étaient pas préparées à une telle épreuve. Le délégué général pour l’armement Joel Barre a évalué à 75% l’activité de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) française durant la période de confinement[1]. 45% des salariés auraient été en télétravail alors que 30% assuraient la production et la maintenance dans les sites industriels. En France, on a surtout veillé à permettre à nos soldats de pouvoir toujours bénéficier de matériels en état de marche dans les opérations extérieures.

Les États-Unis ont pris une mesure plus radicale. Le Secrétariat à la Défense a publié un mémorandum déclarant les entreprises de défense comme infrastructures critiques, enjoignant ainsi celles-ci à ne pas fermer leurs sites industriels. L’État a donc réquisitionné les entreprises de défense afin que la production des équipements militaires ne soit pas arrêtée. En France, sans que la production soit complètement stoppée, il y eut un retard pris dans la production des équipements militaires comme dans la plupart des pays. Ainsi seuls 100 des nouveaux blindés Griffon sur les 128 prévus ont pu être livrés à l’Armée de terre.

Les industriels de l’armement ont également fait part de leurs craintes d’une réduction des exportations. Les pays exportateurs n’ont pas encore publié leurs résultats pour l’année 2020, mais on s’attend en général à une baisse sensible de ces exportations. Dans ce cas, les handicaps se cumulent : la production est ralentie, et les services chargés d’étudier les licences d’exportation et les services des douanes ont travaillé avec des effectifs réduits, notamment durant le premier confinement, et ont donc été moins efficaces. Surtout, les déplacements à l’étranger pour négocier des contrats et les transferts de matériels pour faire des démonstrations ne peuvent plus être organisés.

Les fonds d’investissement font preuve d’un intérêt certain et croissant pour les entreprises de défense, notamment en Europe. La crise actuelle a-t-elle accéléré ce phénomène ?

Le phénomène qui voit ce que l’on appelle les investisseurs institutionnels devenir actionnaire des entreprises de défense n’est pas né avec le Covid-19. Cela s’est développé à la fin des années 90. À cette époque, les fonds d’investissement, pour l’essentiel localisés aux États-Unis, étaient en fait des « faux-nez » du gouvernement américain, qui voulait mettre la main sur des entreprises européennes. Aujourd’hui, le phénomène est plus banal – l’objectif est devenu uniquement financier – et est lié à la fois à un retrait progressif de l’État en tant qu’actionnaire de l’industrie d’armement et à la raréfaction de ce que l’on pourrait appeler les actionnaires industriels comme Dassault en France. Mais avec le Covid-19, les investisseurs institutionnels ont davantage d’argent à placer et la valeur des entreprises de défense a tendance à diminuer. La tendance est donc grande, car la défense représente un placement sûr, puisqu’aujourd’hui jamais les États ne diminueront drastiquement leurs commandes aux entreprises de défense.

Les États sont aujourd’hui conscients du risque que peuvent faire peser ces actionnaires institutionnels, non pas parce que ceux-ci ont des intentions malignes, mais parce qu’ils sont de plus en plus actifs pour influer sur la stratégie des entreprises dans lesquelles ils investissent et que leur seul objectif est le profit et non de garantir la sécurité des citoyens grâce à des équipements toujours plus performants.

Ainsi, afin de venir en aide à des entreprises au caractère stratégique qui peuvent être menacées, les États développent plusieurs instruments.

En premier lieu, les États ont pour le moment maintenu le niveau de leur budget de défense malgré la crise. En effet, il n’a pas été constaté pour le moment de mouvement de reflux tel que celui de la crise économique de 2008.

En second lieu, les États accélèrent même le passage de certaines commandes comme c’est le cas avec le plan de relance du secteur aéronautique en France afin de venir en aide à une filière très touchée par la chute de volume du transport aérien. C’est donc le militaire qui vient en aide à un secteur dual (civil et militaire) par nature.

L’inquiétude porte en priorité sur les PME de la chaîne d’approvisionnement, qui peuvent développer des technologies critiques, dont l’activité est duale et qui n’ont pas de réserves de trésorerie ou de capital. Dans ce cas, le ministère de la Défense a accéléré le paiement des factures, et il a surtout créé deux fonds souverains, chacun doté de 200 millions d’euros. Le premier sert à venir en aide au secteur aéronautique et le second, le fonds d’investissement de défense, doit prendre des participations dans des entreprises innovantes en phase de croissance – start-up, PME ou entreprises de taille intermédiaire (ETI) – développant des technologies duales et transverses, et intéressant le monde de la défense comme l’énergie, le quantique, les technologies de l’information dont l’intelligence artificielle, l’électronique et les composants, les matériaux, la santé et l’humain.

De manière générale, on a vu en 2020 un retour de l’investissement public dans la défense. Le gouvernement britannique a pris une participation à hauteur de 40% dans l’entreprise américaine de satellites OneWord, les Allemands ont racheté 25% de l’entreprise d’électronique de défense Hensoldt jusqu’alors détenue par le fonds d’investissement KKR. L’État allemand s’est d’ailleurs fixé pour objectif de créer un fonds souverain pour protéger les entreprises du secteur des technologies de l’information qui prennent de plus en plus d’importance dans la défense.

Concernant plus précisément l’industrie de défense européenne, le Brexit et la crise actuelle peuvent-ils jouer en faveur d’une autonomie stratégique européenne en matière d’industrie de défense ?

L’industrie de défense a toujours été un secteur de souveraineté. Les marchés de l’armement n’ont jamais été des marchés réellement ouverts et le phénomène de la globalisation n’a pas véritablement affecté le secteur de la défense. L’autonomie stratégique européenne, c’est avant tout la capacité qu’auront les pays de l’Union européenne à pouvoir conduire les missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) sans dépendre d’autrui.

Dans le secteur industriel de défense, l’autonomie stratégique se conçoit donc pour nombre de pays européens dans le cadre des alliances et donc dans le cadre de l’Alliance atlantique avec les États-Unis. Ces États ont donc peur que la France conçoive l’autonomie stratégique européenne comme un moyen d’écarter les États-Unis et l’OTAN. Ce n’est pas le cas, mais il est paradoxal de constater que la réticence de certains de nos partenaires pourrait nous conduire à avoir dans le secteur de la défense moins d’autonomie que dans d’autres secteurs de haute technologie. Cette question devrait donc être envisagée avant tout comme l’objectif et la volonté que nous partageons tous de faire de l’Union européenne une puissance technologique de pointe, l’industrie de défense n’étant qu’un secteur de pointe parmi d’autres.

Ainsi le Covid-19 nous a fait comprendre que nos industries de défense étaient désormais très imbriquées au sein de l’Union européenne. Par exemple, à quoi cela sert-il de continuer à fabriquer des véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) en période de confinement si l’entreprise britannique qui fabrique les rotules des trains roulants de ce VBCI ne peut plus nous livrer, car le client français n’est pas prioritaire en période de Covid-19 ? Il faut donc que l’on puisse assurer la sécurité d’approvisionnement en toutes circonstances au niveau européen.

Pour cela, il est nécessaire de cartographier toutes les chaînes d’approvisionnement des équipements militaires afin d’examiner les dépendances qui pourraient s’avérer critiques sur certains composants, soit du fait d’une pandémie comme le Covid-19 ou du fait d’une crise internationale. La France avait par exemple pris l’initiative dès 2018 de demander à l’Union européenne de financer des recherches sur les logiciels reprogrammables, des composants électroniques utilisés dans la défense pour lesquels nous n’avions plus de filière industrielle en Europe.

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[1] Audition Joel Barre, Délégué général pour l’armement, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 29 avril 2020

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

 

Message de Biden à MBS

Mon, 01/03/2021 - 15:16

L’affaire Khashoggi refait surface avec la publication vendredi dernier d’un rapport de la CIA incriminant directement le prince héritier du royaume saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS), comme commanditaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au sein du consulat saoudien d’Istanbul. Ce rapport intervient quelques semaines après la prise de fonction du nouveau président américain, un signal très net envoyé par les Etats-Unis à leur allié saoudien pour signifier à Riyad que la période Trump, lors de laquelle MBS avait carte blanche, est définitivement révolue, le tout dans un contexte de reprise du dialogue entre Washington et Téhéran. Une manière pour l’administration Biden de rééquilibrer un rapport de force sans pour autant rompre complètement avec Riyad au nom d’une proximité stratégique et économique appelée à se maintenir.

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