Pierre Sellal au Coreper (crédit : Amb Roumanie / UE)
(B2) Pierre Sellal quitte ses fonctions comme représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Un poste qui lui est cher, car il l’a occupé à deux reprises, ce qui est rare, et avec une longévité on ne peut plus enviable (10 ans sans compter les autres fonctions).
Pierre Sellal a, en effet, effectué une bonne partie de sa carrière à suivre les affaires européennes soit à Bruxelles (conseiller de 1981 à 1985, puis représentant permanent adjoint, de 1992 à 1997, ambassadeur – représentant permanent du printemps 2002 à l’été 2009, et à nouveau de l’été 2014 à maintenant) et à Paris (comme secrétaire général adjoint du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne de 1985 à 1990 ou chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères Pierre Védrine de 1997 à 2002). Il aura ainsi suivi de près en particulier la négociation de l’Acte unique, celle de la Constitution européenne et du Traité de Lisbonne et le début du Brexit. Et il a participé de près à plusieurs des présidences françaises de l’Union (en 1995, 2000 ou en 2008 notamment).
Ce n’est un secret pour personne qu’il ne se serait pas fait prier pour rempiler pour une petite année encore. Histoire notamment de terminer les négociations du Brexit. Mais le couperet fatidique de l’âge de la retraite est tombé. Place aux jeunes avec Philippe Léglise Costa qui n’est pas un inconnu sur la place de Bruxelles (1).
« L’oracle de Bruxelles »
Le dernier Coreper de Pierre Sellal était mercredi (15 novembre). Comme c’est l’usage, c’est la présidence (l’Estonie en l’occurrence) qui a fait le discours d’adieu… en français, une langue que ne pratique pas couramment et régulièrement l’ambassadrice estonienne. Kaja Tael a tenu ainsi à saluer en Sellal « l’oracle de Bruxelles », avec un « style déterminé et énergique » témoignant d’une « diplomatie engagée et constructive ».
Le secrétariat du Conseil a également parlé par la voix du directeur du service juridique, Hubert Legal. Ensuite est intervenu l’intéressé qui a rappelé, à l’aide de quelques anecdotes, comme il sait bien le faire, tous les méandres de l’Union européenne.
« Un grand merci Pierre. Un vrai plaisir de travailler ensemble! Mes meilleurs voeux pour l’avenir! » a salué son homologue roumaine, Luminita Odobescu, via twitter. « Always a gentleman, a true professional, a real European! France can be proud of one of its best. Thank you Pierre and all the best » a répliqué l’ambassadeur suédois Lars Danielsson.
Une connaissance fine des dossiers
Pour les journalistes, Pierre Sellal était une source précieuse. Sa connaissance fine des dossiers et des méandres des différentes politiques européennes, comme son sens de la formule, toute diplomatique mais avec des piques parfois acérées, obligeait à une écoute constante. Il permettait de comprendre pourquoi un dossier était bloqué ou débloqué, quels avaient été les termes du compromis, les grands enjeux d’une réunion apparemment anodine. En vrai diplomate, Pierre n’avait pas son pareil également pour slalomer entre toutes les questions pièges que nous pouvions lui poser et vous emmener là, exactement, il voulait aller. Nous n’avons réussi à lui faire critiquer, ne serait-ce qu’un peu, une position de Paris pourtant difficile à défendre. Il avait toujours ce souci, même aux moments les plus tendus, de montrer combien la France était présente, sa position intelligible, à défaut d’être parfaitement comprise, avait son rôle et pesait de tout son poids. « La France a su animer le débat » était une de ses formules favorites, notamment au moment de la virevoltante présidence Sarkozy de l’Union en 2008. Son insistance à parler de la proximité franco-allemande était une autre constante, touchante parfois quand on savait le fossé existant de part et d’autre du Rhin. Mais, sur le fond, il avait raison, les deux positions finissaient par se rejoindre. « Vous voyez… ». Merci Pierre
(Nicolas Gros-Verheyde)
NB : Pierre Sellal avait fait récemment une petite vidéo présentant le rôle d’un ambassadeur, regarder ici
(1) Il a été représentant permanent adjoint, chargé du Coreper I, le conseiller Europe de François Hollande de 2012 à 2015 et était le secrétaire général des Affaires européennes depuis 2014.
(B2) Le patrouilleur de haute mer français Premier-maître L’Her (F-792), a été intégré au sein de l’opération maritime européenne en Méditerranée centrale, au large de la Libye (EUNAVFOR Med / Sophia) depuis le 1er novembre.
Avec un équipage de 98 marins, et une équipe d’abordage de 20 membres, il est particulièrement aiguisé pour les missions de surveillance et de protection. Son objectif est de « s’assurer du respect et de l’application de la résolution 2292 de l’ONU relative à l’embargo sur le trafic d’armes à destination ou en provenance de la Libye [et] lutter contre le trafic humain lié à l’immigration clandestine au départ de ces côtes » confirme un communiqué de la marine nationale.
Durant sa phase de ralliement vers la zone d’opération, le patrouilleur brestois a « retrouvé ses sisterships toulonnais, les patrouilleurs Cdt Bouan et Cdt Ducuing. Les trois bâtiments ont alors effectué des entraînements mutuels ».
Six navires et quatre avions
L’opération EUNAVFOR MED / SOPHIA compte désormais six navires de surface :
deux hélicoptères embarqués (un AB-212 espagnol et un AB 212 ASW italien)
et quatre avions :
(crédit : Bundeswehr)
(B2) Le quotidien allemand Die Zeit a publié un compte-rendu de sa présence à bord de la frégate Mecklenburg-Vorpommern. « Nous sommes ici pour lutter contre les trafiquants et faire respecter l’embargo sur les armes » a souligné le commandant Christian Schultze. Autrement dit pas seulement pour faire du sauvetage de réfugiés, comme on le croit souvent en parlant de l’opération (1).
Récolter un maximum d’informations
Les soldats de la Bundeswehr visitent régulièrement les pêcheurs libyens ou tunisiens. Embarquant eau, fruits ou… chocolat, les équipes d’embarquement ont pour but de faire amis-amis avec les bateaux locaux. « Les soldats parlent à l’équipage, demandent aux pêcheurs des informations sur l’activité de contrebande ou s’ils ont remarqué quelque chose d’inhabituel près de la côte ». « C’est comme se faire des amis » raconte Schultze.
… recoupées, disséquées
L’information remonte au QG à la mission de l’Union européenne à Rome et au QG des opérations de de la Bundeswehr près de Potsdam. Ils sont évalués, partagés (avec l’agence des frontières de l’UE Frontex, l’agence de police Europol et les autorités italiennes) et recoupées. Car chacun a des informations différentes. « Je ne sais pas si une unité française pourrait avoir des informations similaires [à celles que nous avons récoltées] », explique Schultze à la journaliste de Die Zeit, Veronika Völlinger.
Une vraie mosaïque de réseau, insoupçonnable
Petit à petit, se dessine ainsi une image plus complète des activités des passeurs et de leurs réseaux. « C’est une vraie mosaïque », signale le commandant, « personne ne soupçonne vraiment comment c’est important. »
(NGV)
(1) Une confusion entretenue à profusion par la communication générée par l’opération qui n’a souvent comme seul bilan concret à fournir que le nombre de personnes récupérées en mer comme la Bundeswehr.
Un A400M sur le tarmac de Mogadiscio pour rapatrier des blessés (crédit : armée de l’Air turque / Archives photos B2)
(B2) Iran, Somalie, Iraq… l’A400M commence à s’imposer comme l’outil de transport, tout terrain, par excellence, à l’image de ce qu’est le bon vieux camion Mercedes pour les ambulances, mais aussi comme un bel outil diplomatique. Et c’est Ankara qui est devenu, aujourd’hui, un des meilleurs utilisateurs de l’avion de transport européen construit par Airbus, dans différents lieux où on n’avait pas vu cet avion auparavant.
Un A400M turc a ainsi très vite été décollé après le violent séisme qui a frappé Iraq et Iran. Direction : le Kurdistan iraquien. L’avion de transport militaire turc a atterri à l’aéroport de Sulaymaniyah dans le nord de l’Irak aux petites heures, lundi 13 novembre. A son bord, une équipe de recherche de 20 personnes, une équipe médicale de 10 personnes, et 20 tonnes de matériel.
C’est aussi un A400M turc qui avait été envoyé à Mogadiscio après le terrible attentat du 14 octobre, pour procéder à l’évacuation sanitaire de 34 blessés de Somalie vers la Turquie pour continuer leur traitement.
C’est encore un A400M qui avait atterri sur l’aéroport de Mahrabad (à Téhéran), précédant la visite de Recep Tayip Erdogan, en Iran, début octobre, transportant les forces de sécurité et leurs véhicules pour préparer la visite officielle, qualifiée d’historique, célébrant la réconciliation des voisins que tout opposait jusqu’à là en Syrie. Un évènement en soi.
(NGV)
NB : Britanniques et Français ne sont pas en reste. Mais dans une utilisation qui reste, somme toute plus classique, pour les lieux. Ce sont ainsi plusieurs A400M qui ont été dépêchés dans les iles des Caraïbes (Barbades, Bermudes, Dominique, et Saint Martin) après le passage des ouragans Irma et Maria.
(B2) Dans son long rapport d’enquête, publié récemment, la commission belge de la Chambre des députés réfute toute accusation de faute ou d’erreurs dans la fuite d’Abdeslam vers la Belgique (1). Ils apportent cependant plusieurs détails qui expliquent comment l’arrestation ratée de Abdeslam, le lendemain même des attentats du 13 novembre à Paris, a été une succession de « petites » erreurs, commises à tous les niveaux de l’échelle, qui ont abouti à une erreur plus importante.
On est le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats de Paris au Bataclan, à Saint-Denis et dans les terrasses. Le traumatisme est important en France mais aussi partout en Europe. Les contrôles ont été renforcés dans tous les coins du territoire, particulièrement dans la section nord-est de Paris jusqu’à la frontière belge.
Il est 9h10. Salah Abdeslam est contrôlé par la gendarmerie française au péage de Hourdin sur l’A2, sur la commune de Thun-l’Evêque (près de Cambrai), à une quarantaine de km de la frontière belge. Il est accompagné de Mohamed Amri, 27 ans et Hamza Attou, 20 ans.
Quand les gendarmes consultent le fichier SIS (Schengen), Salah Abdeslam n’apparait que comme devant faire l’objet d’un « contrôle discret », c’est-à-dire, « aux fins de recueil de renseignement » (2). Ce qu’on appelle en jargon policier un 36.2 et non un 36.3 (menace à la sûreté de l’État) (3). Une divergence dans les pratiques belge et française (cf. encadré) qui s’avèrera fatale. Certes l’individu a été cosignalé par les services anti-terroristes belges (4). Mais cette subtilité échappe tant aux gendarmes sur place qu’à leurs supérieurs semble-t-il. Idem pour le fichier d’Interpol, personne ne songe à le consulter apparemment alors que Abdeslam figure bien comme lié au terrorisme (5).
9h40, les gendarmes français retiennent le véhicule le temps des contrôles. Il est libéré, une demi-heure plus tard (selon le rapport de la commission d’enquête française), le délai normal pour un « contrôle discret », qui n’est pas un contrôle approfondi (6).
9h44, la permanence du SPOC (Single point of operational contact) belge reçoit un formulaire G du bureau Sirene en France, indiquant la teneur du contrôle. Celui-ci mentionne : « L’intéressé se trouvait à bord d’un véhicule Golf gris foncé immatriculé en Belgique. Deux autres individus à bord, Attou Hamza (avec date de naissance), Amri Mohammed (avec date de naissance). Tous ont déclaré revenir de chez un cousin à Barbès, Paris. Nous vous transmettrons toutes les copies des documents présentés dès réception. »
9h55, après enregistrement de ce “hit” et la recherche d’une série de données, le SPOC belge transmet le message à l’unité centrale terrorisme de la police fédérale. Le 14 novembre est un samedi. La « communication transite par la permanence de la direction des opérations de police judiciaire ». Donc juste quelques minutes de plus.
10h00, un opérateur du SPOC belge rappelle le bureau Sirène français, les invitant à faire « preuve de prudence », dès lors que l’affaire est liée au terrorisme, bien que cela ne transparaisse pas du signalement. Le bureau Sirène français répond qu’il transmet cette information à l’équipe policière ayant procédé au contrôle.
NB : A cette heure-là, l’homme a déjà été libéré. Mais apparemment les Belges n’en sont pas informés.
10h53, Sirène France transmet des informations plus précises à ses homologues Belges : « le véhicule a été laissé libre après le contrôle en raison de l’article 36.2. En raison des éléments que vous nous avez apportés en relation avec la Syrie, il a été demandé à la patrouille de l’intercepter de nouveau, mais il était déjà trop tard. Le véhicule circule actuellement sur l’autoroute A2 en direction de la Belgique, susceptible d’être déjà à votre frontière ». Ce message est immédiatement transmis, côté belge, par la CGI (la direction de la coopération policière de la police fédérale), tant à la permanence de la direction des opérations de police judiciaire qu’à la direction des opérations de la police administrative (chargée d’alerter la police de la route)…
NB : Le message semble se perdre en route. Mais il est vraiment très tard. Cela fait plus d’une heure que la Golf a été libérée par les gendarmes. Elle est quasiment aux portes de Bruxelles (à allure normale). Trop tard…
Epilogue : Le 15 novembre 2015 – le lendemain du contrôle à Cambrai -, le signalement international est modifié, la police judiciaire fédérale de Bruxelles signale Salah Abdeslam comme devant être recherché et arrêté.
Conclusion : chacun pourra se faire une idée et jeter la faute à l’un ou à l’autre. Chaque commission parlementaire a jeté, ainsi, l’opprobre sur son voisin. Il aurait été intéressant de faire un « retour d’expériences » en commun…
En l’occurrence, si on comprend bien ce qui s’est passé, de petites erreurs d’inattentions dans la consultation des bases de données (côté français), un manque de réactivité, occasionnant des retards de quelques minutes, précieux, dans la transmission des informations (surtout coté français mais aussi côté belge), un manque sérieux d’insertion de certaines précisions dans les bases de données (côté belge), et un certain retard à l’allumage (côté français comme côté belge), ajoutés à une complexité ou manque d’anticipation des outils européens (le fameux fichier Schengen) ont produit, en bout de chaîne à l’erreur fatale : un individu, bien que soupçonné de liens avec le terrorisme, se dirigeant vers la Belgique, est relâché le lendemain même des attentats du 13 novembre, avec deux de ses « complices ». Et il s’évanouit dans la nature pour plusieurs semaines…
(Nicolas Gros-Verheyde)
Une divergence d’appréciation entre France et Belgique sur l’insertion dans le fichier Schengen
La France avait coutume d’effectuer les signalements de présumés combattants terroristes étrangers sur la base du 36.3. Une politique « solitaire » alors. « Fin 2015, on ne dénombrait que très peu de signalements de ce type de la part d’autres États membres de l’Union européenne. Certains États membres n’ont même jamais utilisé cette option. » indique la commission d’enquête. Cette politique a changé après les attentats du Bataclan, le Conseil des ministres de l’UE demandant expressément à tous les États de veiller « à ce que les autorités nationales introduisent systématiquement dans le SIS II les données concernant tous les combattants terroristes étrangers présumés, notamment en vertu de l’article 36.3 ». En Belgique, il a fallu quelque temps pour que cette donnée s’applique. « Le premier signalement effectué par la Sûreté de l’État en vertu de l’article 36.3 ne date que du 30 septembre 2016. »
(1) « Contrairement à ce que prétend la commission d’enquête française, nos services n’ont été aucunement négligents et n’ont pas davantage commis de fautes » souligne la commission d’enquête belge (rapport provisoire de la Chambre des représentants du 15 juin 2017, § 4.2.4., p. 427)
(2) Le premier signalement de Salah Abdeslam dans le SIS a été émis par la zone de police Bruxelles-Ouest (Molenbeek) le 9 février 2015. Celle-ci « a bel et bien précisé l’existence d’un lien avec le terrorisme dans la demande de signalement international ». Mais celui-ci n’est pas repris dans le fichier « Schengen » consulté par les gendarmes. Pour les Belges, un tel signalement n’était pas possible (cf. encadré).
(3) Le paragraphe 2 de l’article 36 du code Schengen concerne les signalements en vue de la répression d’infractions pénales ; le paragraphe 3 vise plus spécifiquement la menace grave OU d’autres menaces graves pour la sûreté intérieure et extérieure de l’État.
(4) Il aussi été introduit dans la banque de données d’Interpol, signalé pour terrorisme, aux fins d’une « surveillance discrète » et non une arrestation. Une pratique plutôt exceptionnelle reconnaissent les députés belges. Le manuel Sirene régissant le système Schengen indique ainsi qu’il convient d’éviter les signalements parallèles dans le SIS II et via Interpol dans l’espace Schengen. L’utilisation des signalements d’Interpol sera dès lors “limitée à des cas exceptionnels.
(5) L’Unité centrale anti-terrorisme de la police fédérale (DJSOC/Terro) a bien effectué une demande de signalement de Salah Abdeslam. Mais la règle veut « qu’un seul signalement » ne puisse fait « pour une même entité dans un seul pays, ce deuxième signalement n’a pas été retenu ». Le SPOC belge de la CGI a simplement enregistré la DJSOC/Terro comme service co-signalant lui demandant de se concerter avec la zone de police Bruxelles-Ouest.
(6) A l’époque, il n’était pas possible encore d’ajouter une mention « terrorisme » quand une personne fait l’objet uniquement d’un signalement au titre de l’article 36.2 (contrôle discret). Cela n’est rendu possible selon une décision européenne que le 23 février 2015 (selon une décision de la Commission du 29 janvier 2015, publié au JO le 18 février). Mais la Belgique traîne pour les mises à jour. Le Collège des procureurs généraux comme les notes de service du pilier judiciaire de la police fédérale, estiment qu’il n’y a nécessité « de n’actualiser [les fiches] que [pour] les signalements en vue de contrôles spécifiques et non ceux en vue d’une surveillance discrète ».