(BRUXELLES2 *) Passé le choc du référendum, l’Europe tente de s’organiser, pour préparer au mieux le divorce avec le Royaume-Uni. Seul hic, le Premier ministre britannique n’a toujours pas notifié officiellement son départ de la maison européenne. L’inquiétude est grande
Entre canapé et garage
L’Europe avec le Royaume-Uni, c’est un peu comme une maisonnée, face à un enfant insupportable, qui a décidé de ne plus subir les corvées du quotidien familial, annonce haut et fort qu’il claque la porte, avec quelques insultes au passage, mais au dernier moment se ravise, se dandine, et reste… sans dire dans combien de temps il partira. Alors on s’organise… entre canapé et garage. C’est un peu dans cet esprit que les 27 Chefs d’Etats et de Gouvernement vont se retrouver avec leur alter ego britannique, David Cameron, aujourd’hui et demain, pour essayer de trouver un modus vivendi à 28 ou à 27 pour les mois à venir…
Grosse inquiétude du sommet
Le sommet européen qui se tient à Bruxelles va ainsi s’organiser en deux parties bien distinctes. Tout d’abord, a lieu ce mardi, une discussion à 28 sur les principaux enjeux du moment. Migrations, marché unique, situation en Libye, stratégie de sécurité de l’Union européenne, les sujets ne manquent pas, importants. Mais on ne peut pas dire qu’ils suscitent grand intérêt. Le lendemain, mercredi, doit avoir lieu une discussion, à 27… sans le Royaume-Uni. Un format exceptionnel amené à se reproduire. Il s’agit, a confié un haut diplomate européen, de discuter du « futur » de voir comment « s’organiser » mais surtout d’envoyer un message, urbi et orbi. Les 27 sont décidés à continuer l’aventure européenne, plus que jamais. Entre les deux, il y aura eu un diner, ce mardi soir. Organisé, en format « chefs seuls », sans autre témoin que les scrutateurs du Conseil européen et les huissiers, il promet d’être épique. Le Premier ministre David Cameron est, en effet, attendu de pied ferme par quelques uns de ses collègues. Il va devoir « expliquer » la situation au Royaume-Uni. « Une situation extrêmement confuse et instable » juge des représentants d’Etats membres.
On attend Cameron de pied ferme
Chacun attend en effet que le gouvernement britannique signifie officiellement son désir de quitter l’Union européenne. Le résultat du référendum est pourtant clair et ne laisse planer aucune équivoque. Mais d’un point de vue juridique, et politique, David Cameron doit déclencher ce qu’on appelle la procédure de l’article 50. C’est cette « notification » officielle qui déclenche tout un processus de négociation permettant à terme le processus de sortie du Royaume-Uni. Une « négociation qui promet d’être longue, complexe et difficile » souligne un diplomate européen.
Un futur statut d’Etat tiers quelque part entre la Norvège et la … Corée du Nord
Il faut détricoter en douceur tous les liens, étroits, qui unissent l’ile britannique au continent, sans léser personne mais aussi sans donner d’avantages outranciers à celui qui sorte. A terme, le Royaume-Uni sera un « état tiers » associé à l’Union européenne. « Nous avons beaucoup de modèles en matière de relations extérieure — ironise un diplomate — cela va de la Norvège (très étroitement associée au marché européen) à la Corée du nord (qui est l’objet de sanctions) en passant par la Suisse, la Turquie, les pays des Balkans, etc. ».
Le Royaume-Uni s’efface
Le drapeau britannique flotte toujours à Bruxelles au siège de l’Union européenne. Mais les premiers signes de l’effacement du Royaume ont déjà commencé. Le commissaire britannique, représentant du Royaume à la Commission européenne, Jonathan Hill, chargé des services financiers, a déjà annoncé sa démission. C’est le Lituanien Valdis Dombrovskis qui assure l’intérim en attendant un hypothétique successeur. Toutes les autres nominations de Britanniques à haut niveau sont remisées. Le Royaume-Uni qui devait assurer d’ici un an, au 2e semestre 2017 la présidence de l’Union européenne, pourrait passer son tour (lire : La présidence britannique en 2017 c’est fini ?). Ce devrait un petit pays balte, l’Estonie qui reprendra le flambeau. Et, de façon plus concrète, l’Autorité bancaire européenne, institution européenne installée à Londres, pourrait rejoindre Paris … ou Francfort. Les cartons de déménagement se préparent…
(Nicolas Gros-Verheyde)
On n’en est pas encore aux missions trop robustes. Mais il n’est plus question d’être timide (crédit : EMA / DICOD – archives B2) départ de pilotes de la force Chammal
(BRUXELLES2) Une « relance » de la défense européenne après le Brexit est dans toutes les têtes. Et les titres fleurissent bon comme le muguet en mai. Mais à vrai dire, cette relance est, pour l’instant, encore limitée. Ou du moins il ne faut pas voir dans ce qui est présenté ces jours-ci une conséquence du Brexit… c’est plutôt le contraire. En revanche, la parole se libère… Et, pour cela, tous ceux qui croient un peu que la défense européenne est utile peuvent dire : merci David !
Essayons d’y voir clair !
Il faut veiller, en effet, à ne pas confondre ce qui était déjà « dans les tuyaux » et devait, de toute façon, déboucher, et ce qui pourrait soit être réactivé, soit être mis en place. Entre l’enthousiasme du novice, qui découvre la lune, ou saute en l’air en se disant ‘tiens l’Europe de la défense existe’ et le commentaire à peine blasé du vieux de la vieille revenu de tout, qui se dit, mais çà en 1926 ou 1958 on l’avait déjà pensé ou de ‘de toute façon ca ne marchera pas’… il y a un espace pour la mesure et la réalité.
Un peu de temps nécessaire à la préparation
Si peu de choses sont sorties récemment sur la défense, la faute en revient, en fait, en partie au référendum britannique mais aussi au délai nécessaire pour préparer toute une série d’initiatives, après la période ‘gelée’ de l’époque Ashton-Barroso et des élections européennes. Quand on regarde près, on voit que les prochains mois dans le domaine de la défense, de la sécurité intérieure et extérieure vont être riches en projets aboutis (régulièrement commentés dans nos colonnes). En voici quelques exemples ci-dessous…
La sécurité priorité numéro un
Ce qui semble sûr, en revanche, c’est que la sécurité et la défense ont désormais été hissées au rang de priorité numéro 1. La déclaration des trois dirigeants franco-allemand-italien en témoigne. Mais aussi certains signes imperceptibles. Une déclaration récente des patronats franco-allemand la mettaient également devant les autres priorités économiques. Car, plus que tout, le continent a besoin de sécurité. Ce n’est qu’avec une sécurité qu’il pourra y avoir un développement économique. La formule applicable aux pays africains ou asiatiques est aussi vraie pour les pays européens.
Ca sort ou çà pulse !
Ce qui est en préparation et va sortir coté ‘défense’ dans quelques jours
La stratégie globale, rédigée sous la houlette Federica Mogherini, qui est plutôt ambitieuse même si elle est peu confuse, est publiée aujourd’hui (sans grand changement depuis plusieurs semaines d’ailleurs). Elle devrait être complétée rapidement de ‘sous-stratégies’ dont une en matière de sécurité et de défense. La Commission prépare d’ailleurs un plan d’action en matière de défense d’ici la fin de l’année, sorte de complément « communautaire » à la Stratégie globale.
L’action préparatoire de recherche liée à la défense devrait sortir des limbes dans quelques jours, prélude à un futur programme cadre au-delà de 2020. Elle devrait être suivie d’une initiative visant à financer l’équipement des armées (africaines), un point fondamental réclamé à cor et à cri par la France et tous les chefs d’opération/mission.
L’opération maritime en Méditerranée franchit dans quelques jours (ou semaines) une étape, passant d’une phase ‘gentillette’ à une option plus ‘robuste’ avec contrôle de l’embargo des armes, en attendant que se déploie une autre mission européenne pour aider les Libyens à reconstruire leurs forces de sécurité (police, gendarmerie, justice, douanes, etc.).
Ce genre d’initiative ne se prépare pas en 48 heures. Et n’a d’ailleurs été qu’impacté très à la marge par le Brexit. La réforme des structures de gestion de crise, qui est actuellement sous le boisseau et se poursuit à l’ombre des réunions des ambassadeurs ou des groupes de travail, devrait cependant connaître un coup de fouet avec la sortie britannique. L’idée d’un QG civilo-militaire est désormais évoqué ouvertement (là où hier on parlait de « renforcement », « de synergie » ou de « réorganisation » dans un organigramme interne :-).
Ca bouge aussi ‘coté sécurité intérieure’
Au niveau ‘intérieur’, ca bouge aussi. Mais le moteur est, là, davantage lié aux deux crises majeures que vit l’Europe : la crise migratoire et le terrorisme. Car Brexit ou pas, de toute façon, le Royaume-Uni ne participe pas à la plupart de ces initiatives ou législations.
La mise en place d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes constitue une innovation fondamentale, et un saut réel dans la gestion en commun des frontières (gestion en commun qui était pour l’instant assez théorique). Les législations européennes anti-terroristes sont en passe d’être renforcées (au plan pénal, financement, PNR, etc.)… Et le centre anti-terroriste d’Europol se met (lentement) en place (de façon plus administrative qu’opérationnelle pour l’instant).
Une parole libérée
Au final, si le Brexit a un effet au niveau de la défense, c’est — comme un bouchon de champagne qui saute — de libérer la parole. Tous les responsables politiques qui se taisaient, ne voulaient pas parler vraiment de défense car cela ‘allait gêner les Britanniques’ ou ‘cela ne passerait pas’, semblent tout à coup, retrouver leurs ‘méninges’, leurs ‘convictions’, leur parole.
Les idées ressortent
Il faudra encore du temps pour articuler et mettre en rapport, ce qui ressort de la ‘belle intention’ de ce qui est plus concret. Mais le simple fait qu’on ose aujourd’hui reparler de mettre en place la coopération structurée permanente (jamais mise en place et même jamais discutée très sérieusement), d’avoir un commandement opérationnel civilo-militaire au niveau européen (qui était en préparation mais très très discrètement), d’avoir des capacités autonomes à disposition de l’Europe — comme le fait très officiellement le papier franco-allemand — est une très bonne chose.
L’heure de vérité
C’est en fait l’heure de vérité maintenant. On va voir ceux qui se contentaient de parler mais préféraient s’abriter derrière ce bon vieux veto britannique et les autres. Deux dangers guettent cette ‘relance’. Il faut veiller à ne pas venir repêcher de (vieilles, bonnes) idées, qui ne sont plus tout à fait adaptées aujourd’hui ou, tout simplement, ne tiennent pas compte des impératifs internes (budgétaires, politiques, opérationnels). Il faut aussi en profiter pour faire l’inventaire. Il y a aujourd’hui beaucoup de travaux à entreprendre. Il faut réserver la ‘force humaine’ à l’essentiel. Cela veut dire stopper l’inutile ou, du moins, le manque de résultats concrets, et visibles.
Un droit d’inventaire et de questionnement
Est-ce aujourd’hui nécessaire de continuer à travailler sur les ‘headlines goals’ ? Est-ce nécessaire de garder des battlegroups si on sait très bien qu’il ne pourront pas partir (faute de moyens financiers, opérationnels et de décisionnel politique) ? N’est-il pas temps de fermer certaines missions de la PSDC dont l’atout réel est discutable — et discuté même en interne ? Ne faut-il pas se poser la question du saupoudrage de divers projets de développement qui n’ont juste pour but que de dépenser l’enveloppe indiquée ou de pouvoir dire que l’Europe est le ‘meilleur élève’ de la classe ? Etc.
Réfléchir à ce qui est nécessaire et utile
Il ne s’agit pas de tout casser. Mais il ne faut plus avoir de tabous… Il s’agit de réfléchir aux bons instruments adaptés, à la bonne place. Je pense qu’il vaut mieux dépenser un peu moins un peu mieux (pour le développement) et avoir un peu moins de missions (mais plus efficaces) que la reproduction du modèle actuel.
Pour un aggiornamento dans l’Europe de la défense
Aujourd’hui, l’Europe et les Européens ne peuvent plus se permettre les approximations, ou les faux communiqués de victoire (plus dignes de la propagande nord-coréenne que de l’information européenne). On ne peut plus se permettre de faire la même chose qu’hier sous prétexte qu’hier on le faisait et ne plus faire serait dangereux. L’Europe de la défense mérite un réel aggiornamento, une review complète de ce qui doit être fait, de ce qui doit être abandonné, de ce qui doit être développé.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Le drapeau de l’Angleterre … (crédit : MOD UK)
(B2) Le Royaume-Uni pourrait renoncer à sa présidence de l’Union européenne au second semestre 2017, a appris B2. David Cameron pourrait l’annoncer lors du Conseil européen de mardi. C’est une des premières conséquences politiques concrètes (après la démission du commissaire Hill). Et ce n’est pas la dernière d’un lent effacement grand-breton de la thématique européenne.
Je ne suis pas sûr d’ailleurs que cela rejaillisse sur le prestige britannique à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Europe. La présidence de l’Union européenne a toujours été un exercice de haute voltige permettant au pays et à son Premier ministre d’en tirer profit. Certes, depuis le Traité de Lisbonne, il y a un président permanent du Conseil européen et une présidence permanente du Conseil des ministres des Affaires étrangères. Mais au plan extérieur, à l’aide d’une bonne maestra gouvernementale et politique (ce que David Cameron a assurément), il est très facile de capitaliser sur la présidence européenne une mise en avant d’un Etat membre.
Concrètement, toutes les présidences vont être ainsi avancées d’un cran. C’est l’Estonie qui prendra le « créneau » du Royaume-Uni. La Bulgarie prendra la place de l’Estonie. Ainsi de suite. Les 28 auraient dû modifier l’ordre des présidences de toute façon pour faire de la place à la Croatie. Zagreb va donc trouver un créneau. Londres ne perd pas le sien. Le Royaume-Uni est toujours officiellement membre de l’Union européenne. Il y aura bien une présidence britannique tournante après 2020. D’ici là on devrait avoir, tout de même, réussi à négocier un accord.
Bye bye Cameron !
(NGV)