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Russia’s Latest Presidential Hopeful Is Another Anti-Establishment Populist. Sort Of.

Foreign Policy - mer, 14/12/2016 - 20:13
The lawyer turned anti-corruption blogger and activist wants to make Russia great again. That doesn't necessarily make him like Trump.

Hello, Death Star: Russia Had a Secret Cold War Space Station Equipped with Cannons

Foreign Policy - mer, 14/12/2016 - 20:02
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Données personnelles, une affaire politique

Le Monde Diplomatique - mer, 14/12/2016 - 17:34

Les traces que nous laissons sur Internet, les informations de nos smartphones, nos contributions aux réseaux sociaux ne sont pas seulement convoitées par les agences de renseignement : elles ravissent les publicitaires et enrichissent les géants de la Silicon Valley. Pourtant, les données personnelles ne sont pas condamnées à ce destin. Leur usage à des fins d'utilité publique exige une mobilisation politique.

Kim Dong-Kyu. – Détournement du tableau de Paul Cézanne « Les Joueurs de cartes » (entre 1890 et 1895), 2013

Il s'est vendu dans le monde 1,424 milliard de smartphones en 2015 ; deux cents millions de plus que l'année précédente. Un tiers de l'humanité porte un ordinateur dans sa poche. Tripoter cet appareil si pratique relève d'une telle évidence qu'on en oublierait presque le troc qu'il nous impose et sur lequel repose toute l'économie numérique : les entreprises de la Silicon Valley offrent des applications à des utilisateurs qui, en échange, leur abandonnent leurs données personnelles. Localisation, historique de l'activité en ligne, contacts, etc., sont collectés sans vergogne (1), analysés et revendus à des annonceurs publicitaires trop heureux de cibler « les bonnes personnes en leur transmettant le bon message au bon moment », comme le claironne la régie de Facebook. « Si c'est gratuit, c'est vous le produit », annonçait déjà un adage des années 1970.

Alors que les controverses sur la surveillance se multiplient depuis les révélations de M. Edward Snowden en 2013, l'extorsion de données à visée commerciale n'est guère perçue comme une question politique, c'est-à-dire liée aux choix communs et pouvant faire l'objet d'une délibération collective. En dehors des associations spécialisées, elle ne mobilise guère. Peut-être parce qu'elle est mal connue.

Dans les années 1970, l'économiste américain Dallas Smythe s'avise que toute personne affalée devant un écran est un travailleur qui s'ignore. La télévision, explique-t-il, produit une marchandise : l'audience, composée de l'attention des téléspectateurs, que les chaînes vendent aux annonceurs. « Vous apportez votre temps de travail non rémunéré et, en échange, vous recevez les programmes et la publicité (2).  » Le labeur impayé de l'internaute s'avère plus actif que celui du téléspectateur. Sur les réseaux sociaux, nous convertissons nous-mêmes nos amitiés, nos émotions, nos désirs et nos colères en données exploitables par des algorithmes. Chaque profil, chaque « J'aime », chaque tweet, chaque requête, chaque clic déverse une goutte d'information valorisable dans l'océan des serveurs réfrigérés installés par Amazon, Google et Microsoft sur tous les continents.

« Travail numérique », ou digital labor, est le nom dont on a baptisé ces tâches de mise en données du monde réalisées gratuitement. Les mastodontes de la Silicon Valley prospèrent sur ce « péché originel ». « Ce qui gît au fond de l'accumulation primitive du capital, écrivait Karl Marx en 1867 dans Le Capital, c'est l'expropriation du producteur immédiat. » Pour clôturer les pâtures communes, mettre au travail salarié les paysans affamés ou coloniser le Sud, le capital recourut à « la conquête, l'asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale ». Au XXIe siècle, l'arsenal comprend aussi des armes légères, comme les vidéos de chatons rigolos.

L'histoire économique créditera peut-être le patronat en baskets d'avoir universalisé la figure du dépouillé ravi, coproducteur consentant du service qu'il consomme. Les 75 milliards de dollars de chiffre d'affaires de Google en 2015, principalement tirés de la publicité, indiquent assez l'ampleur d'une accumulation par dépossession qui ne se cache même plus. À l'annonce des résultats de Facebook au deuxième trimestre 2016, le site Re/Code s'esbaudissait de ce que le réseau social, fort de 1,71 milliard d'inscrits, « gagne encore plus d'argent sur chaque personne, 3,82 dollars par utilisateur (3) ».

Rien n'est donc plus mal nommé que la donnée : elle est non seulement produite, mais de surcroît volée. Si le travail involontaire des internautes fait l'objet de lumineuses analyses universitaires (4), la gauche politique ou syndicale n'a pas encore intégré cette dimension à son analyse — et encore moins à ses revendications. Pourtant, les formes matérielles et immatérielles de l'exploitation s'imbriquent étroitement. Le travail numérique n'est qu'un maillon d'une chaîne passée aux pieds des mineurs du Kivu contraints d'extraire le coltan requis pour la fabrication des smartphones, aux poignets des ouvrières de Foxconn à Shenzhen qui les assemblent, aux roues des chauffeurs sans statut d'Uber et des cyclistes de Deliveroo, au cou des manutentionnaires d'Amazon pilotés par des algorithmes (5).

Les fermiers se rebiffent

Qui produit les données ? Qui les contrôle ? Comment se répartit la richesse qu'on en tire ? Quels autres modèles envisager ? Ériger ces questions en enjeu politique urge d'autant plus que la multiplication des objets connectés et l'installation systématique de capteurs tout au long des circuits de fabrication industrielle gonflent chaque jour les flux d'informations. « Les voitures actuelles produisent une quantité massive de données, fanfaronne le président de Ford, M. Mark Fields (Las Vegas, 6 janvier 2015) : plus de 25 gigaoctets par heure », soit l'équivalent de deux saisons de la série Game of Thrones. Des trajets aux paramètres de conduite en passant par les préférences musicales et la météo, tout atterrit sur les serveurs du constructeur. Et, déjà, des consultants s'interrogent : en échange, les conducteurs ne pourraient-ils pas négocier une ristourne (6) ?

Certaines forces sociales organisées et conscientes de leurs intérêts ont choisi d'élever le chapardage des données au rang de leurs priorités politiques. Par exemple les gros fermiers américains. Depuis plusieurs années, les engins agricoles bardés de capteurs moissonnent quantité d'informations qui permettent d'ajuster au mètre près l'ensemencement, les traitements, l'arrosage, etc. Début 2014, le semencier Monsanto et le fabricant de tracteurs John Deere ont, chacun de leur côté, proposé aux agriculteurs du Midwest de transmettre directement ces paramètres à leurs serveurs afin de les traiter.

Mais l'austère Mary Kay Thatcher, responsable des relations de l'American Farm Bureau avec le Congrès, ne l'entend pas de cette oreille. « Les agriculteurs doivent savoir qui contrôle leurs données, qui peut y accéder et si ces données agrégées ou individuelles peuvent être partagées ou vendues », affirme-t-elle dans une vidéo pédagogique intitulée « Qui possède mes données ? ». Mme Thatcher redoute que ce matériel capté par les multinationales ne tombe entre les mains de spéculateurs : « Il leur suffirait de connaître les informations sur la récolte en cours quelques minutes avant tout le monde (7). » La mobilisation a porté ses fruits. En mars 2016, prestataires informatiques et représentants des fermiers s'accordaient sur des « principes de sécurité et de confidentialité pour les données agricoles », tandis qu'une organisation, la Coalition des données agricoles (Agricultural Data Coalition), mettait sur pied en juillet 2016 une ferme de serveurs coopérative pour en mutualiser le stockage.

De telles idées n'effleurent pas les dirigeants de l'Union européenne. En octobre 2015, une série de plaintes déposées par un étudiant autrichien contre Facebook pour non-respect de la vie privée a conduit à l'invalidation d'un arrangement vieux de vingt ans qui autorisait le transfert des données vers les entreprises américaines (le Safe Harbor). L'Union aurait alors pu imposer aux géants du Web de stocker les informations personnelles des Européens sur le Vieux Continent. Elle s'est au contraire empressée de signer, début 2016, un nouvel accord de transfert automatique, l'orwellien «  bouclier de confidentialité » (le Privacy Shield), en échange de l'assurance par le directeur du renseignement national américain qu'aucune « surveillance de masse indiscriminée » ne serait pratiquée — promis-juré ! Il suffit ainsi d'allumer son téléphone mobile pour pratiquer l'import-export sans le savoir. Au moment où la bataille contre le grand marché transatlantique rassemble des millions d'opposants, la réaffirmation du libre-échange électronique n'a pas suscité de réaction particulière.

L'existence et l'ampleur de mobilisations sur ces thèmes aiguilleront l'avenir du « travail numérique » sur l'une des pistes qui déjà se dessinent. La première, celle d'une défaite sans combat, consacrerait le statut de l'usager-courtier de ses propres données. Selon ce modèle imaginé aux Etats-Unis au début des années 2010 par Jaron Lanier, informaticien et gourou de la réalité virtuelle, « dès qu'une personne contribue par quelque moyen et si peu que ce soit à une base de données, (…) elle recevra un nanopaiement proportionnel à l'ampleur de la contribution et à la valeur qui en résulte. Ces nanopaiements s'additionneront et fonderont un nouveau contrat social (8) ». Tous (nano)boutiquiers !

La deuxième voie est celle d'une reprise en main par les États. Depuis le début des années 2010 aux États-Unis et le renforcement de l'austérité, l'exaspération monte contre la grande évasion fiscale pratiquée par les entreprises de haute technologie. En marge des procédures ouvertes par le commissariat européen à la concurrence contre Google et des diverses enquêtes nationales pour fraude, l'idée a germé en France de taxer les entreprises technologiques sur la valeur générée par les données personnelles. Dans leur rapport sur la fiscalité du secteur numérique, les hauts fonctionnaires Nicolas Colin et Pierre Collin militent pour que « la France recouvre un pouvoir d'imposer les bénéfices issus du “travail gratuit” des internautes localisés sur le territoire français » selon le principe du « prédateur-payeur » (9).

S'appuyant sur cette méthode, le sociologue Antonio Casilli a proposé que cette taxe finance un revenu inconditionnel de base. Ce dernier, explique-t-il, serait envisagé à la fois « comme levier d'émancipation et comme mesure de compensation pour le digital labor (10) ». La métamorphose de la question des données personnelles en une question politique progressiste trouve ici une formulation. On peut en imaginer d'autres, qui reposeraient non plus sur la marchandisation, mais sur la socialisation.

Dans les domaines du transport, de la santé, de l'énergie, les informations de masse n'ont jusqu'ici servi qu'à mettre en musique l'austérité en réalisant des économies. Elles pourraient tout aussi bien contribuer à améliorer la circulation urbaine, le système sanitaire, l'allocation des ressources énergétiques, l'éducation. Plutôt que de migrer par défaut outre-Atlantique, elles pourraient échoir par obligation à une agence internationale des données placée sous l'égide de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco). Des droits d'accès différenciés étageraient la possibilité de consultation et d'usage : automatique pour les individus concernés ; gratuite mais anonymisée pour les collectivités locales, les organismes de recherche et de statistique publics ; possible pour les animateurs de projets d'utilité collective non commerciaux.

L'accès des acteurs privés à la précieuse matière première serait en revanche conditionné et payant : priorité au commun, et non plus au commerce. Une proposition connexe, mais envisagée à l'échelon national, dans une optique de souveraineté, a été détaillée en 2015 (11). Une agence internationale présenterait l'avantage de regrouper d'emblée autour de normes strictes un ensemble de pays sensibles aux questions de confidentialité et désireux de contester l'hégémonie américaine.

Une colère qui se trompe d'objet

L'élan nécessaire pour populariser une propriété et un usage socialisés des données se heurte encore au sentiment d'infériorité technique qui conjugue le « C'est trop complexe » au « On n'y peut rien ». Mais, malgré sa sophistication et son lexique emberlificoté, le domaine numérique n'est pas détaché du reste de la société, ni placé en apesanteur politique. « Nombre de concepteurs d'Internet déplorent le devenir de leur créature, mais leur colère se trompe d'objet, observe le critique Evgeny Morozov  : la faute n'incombe pas à cette entité amorphe, mais à la gauche, qui s'est montrée incapable de proposer des politiques solides en matière de technologie, des politiques susceptibles de contrecarrer l'innovation, le “bouleversement”, la privatisation promus par la Silicon Valley (12). »

La question n'est plus de savoir si un débat émergera autour du contrôle des ressources numériques, mais si des forces progressistes prendront part à cet affrontement. Des revendications comme la réappropriation démocratique des moyens de communication en ligne, l'émancipation du travail numérique, la propriété et l'usage socialisés des données prolongent logiquement un combat vieux de deux siècles. Et déjouent le fatalisme qui situe inéluctablement l'avenir au croisement de l'État-surveillant et du marché prédateur.

(1) Bruce Schneier, Data and Goliath. The Hidden Battles to Collect Your Data and Control Your World, W. W. Norton and Company, New York, 2015.

(2) Dallas W. Smythe, « On the audience commodity and its work », dans In Dependency Road : Communications, Capitalism, Consciousness, and Canada, Ablex, Norwood (États-Unis), 1981.

(3) Kurt Wagner, « You're more valuable to Facebook than ever before », Re/Code, 27 juillet 2016.

(4) Cf. notamment la revue en ligne Triple C.

(5) Trebor Scholz (sous la dir. de), Digital Labor. The Internet as Playground and Factory, Routledge, New York, 2012.

(6) Chuck Tannert, « Could your personal data subsidize the cost of a new car ? », The Drive.com, 18 juillet 2016.

(7) Dan Charles, « Should farmers give John Deere and Monsanto their data ? », NPR.org, 22 janvier 2014.

(8) Jaron Lanier, Who Owns the Future ?, Simon & Schuster, New York, 2013.

(9) Nicolas Colin et Pierre Collin, Mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique, La Documentation française, Paris, 2013.

(10) Dominique Cardon et Antonio A. Casilli, Qu'est-ce que le Digital Labor ?, INA Éditions, Paris, 2015. Lire Mona Chollet, « Le revenu garanti et ses faux amis », Le Monde diplomatique, juillet 2016.

(11) Pierre Bellanger, « Les données personnelles : une question de souveraineté », Le Débat, no 183, Paris, janvier-février 2015.

(12) Evgeny Morozov, Le Mirage numérique. Pour une politique du Big Data, Les Prairies ordinaires, Paris, 2015. Lire aussi Thomas Frank, « Les démocrates américains envoûtés par la Silicon Valley », Le Monde diplomatique, mars 2016.

Welcome to the Poisoned Chalice

Politique étrangère (IFRI) - mer, 14/12/2016 - 12:46

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Vincent Bignon propose une analyse de l’ouvrage de James K. Galbraith, Welcome to the Poisoned Chalice. The Destruction of Greece and the Future of Europe  (Yale University Press, 2016, 232  pages).

Quand en janvier 2015, Yanis Varoufakis accueille James Galbraith dans les locaux du ministère grec des Finances, il lui dit : « Bienvenue au pays du calice empoisonné ! ». Galbraith, professeur à l’université du Texas à Austin, est très actif dans les milieux socio-démocrates européens. Il arrive à Athènes avec quelques banquiers de Lazard pour y conseiller le nouveau ministre. Il y reviendra quelques jours par mois jusqu’en juillet et sera l’un des experts du « plan B », c’est-à-dire des mesures que la Grèce aurait dû prendre si elle était sortie de la zone euro. Galbraith publie dans ce livre ses différentes contributions au débat sur la gestion européenne de la crise grecque. On y trouve les conférences qu’il a données pour des cercles de réflexion européens, des tribunes publiées dans la presse depuis mai 2010, quelques courriels, ainsi que des mémos écrits pour Varoufakis.

La thèse générale de l’ouvrage est (bien) connue. La politique d’austérité budgétaire, imposée par l’Union européenne, et plus particulièrement un certain nombre de pays, était vouée à l’échec au regard de son but, à savoir améliorer la soutenabilité des dettes publiques. En effet, elle a créé une récession qui réduit le PIB beaucoup plus vite qu’elle ne dégage les ressources nécessaires au remboursement de la dette. En fin de compte, le ratio d’endettement augmente, et toute la population s’appauvrit sans que les dettes en soient plus soutenables. Galbraith ajoute que les problèmes budgétaires de la Grèce étaient amplifiés par les inefficacités d’un État défaillant (notamment pour la collecte de l’impôt), et une classe politique incapable de proposer des solutions aux souffrances du pays. C’est sur la base de ce diagnostic que le gouvernement dirigé par Tsipras, dès son entrée en fonction, aurait donné son accord à 70 % des mesures requises par les institutions internationales en charge de négocier une solution à la crise grecque, tout en refusant les 30 % de mesures qui avaient un effet dépressif sur l’activité économique. La suite est connue : l’échec des négociations et le référendum de juillet 2015.

L’ouvrage n’ajoute pas beaucoup d’informations au lecteur attentif de la presse internationale. Il recèle cependant quelques documents intéressants, notamment les courriels envoyés à l’adjointe du secrétaire au Trésor des États-Unis, dans lesquels Galbraith décrit les intentions du gouvernement Tsipras. L’ouvrage contient également quelques notes écrites du « plan B ». Ces notes sont très générales, au point que le lecteur se demande si la sortie de la Grèce a été sérieusement considérée. Les différentes tribunes reflètent incontestablement le goût de Galbraith pour la polémique et présentent des opinions tranchées et parfois discutables. Son approche des processus de décision européens est toutefois particulièrement stimulante. Son diagnostic est que le projet européen échouera sans changement des processus de décision, sans passage d’une organisation confédérale à une organisation fédérale. L’architecture actuelle favoriserait la prise de décision permettant de rejeter la faute sur les autres, plutôt que la fabrication de solutions mutuellement avantageuses. Ce livre peut finalement être lu comme un témoignage polémique sur un sujet crucial pour l’avenir de l’Union.

Vincent Bignon

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Noces de plomb

Le Monde Diplomatique - mer, 14/12/2016 - 12:05

Vivant entre le Nigeria et les États-Unis, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie a livré dans une conférence, en 2012, son regard sur les inégalités de sexe dans les deux pays.

Une de mes amies américaines a un poste très bien payé dans la publicité. C'est une des deux femmes de son équipe. Lors d'une réunion, son patron n'avait pas tenu compte de ses observations puis avait complimenté un homme qui avait dit plus ou moins la même chose. Elle avait eu envie de hausser le ton pour demander à son patron de s'expliquer, mais elle ne l'avait pas fait. Au lieu de quoi, dès la fin de la réunion, elle s'était précipitée dans les toilettes, où elle avait pleuré avant de m'appeler pour s'épancher. Elle avait gardé le silence parce qu'elle ne voulait pas avoir l'air agressive. Et elle avait rongé son frein.

Ce qui m'a frappée, tant chez elle que chez nombre d'amies américaines, c'est leur souci d'être « aimées ». On les a élevées en leur donnant à croire que plaire est primordial, qu'il s'agit d'une caractéristique spécifique. Et que cela exclut l'expression de la colère, de l'agressivité ou d'un désaccord formulé avec trop de force.

Nous passons un temps fou à apprendre à nos filles à se préoccuper de l'opinion que les garçons ont d'elles. Mais le contraire n'est pas vrai. Nous n'apprenons pas à nos fils à se soucier d'être aimables. Nous passons un temps fou à répéter à nos filles qu'elles ne peuvent être en colère, ni agressives ni dures, ce qui est déjà assez grave en soi, sauf que nous prenons le contre-pied et félicitons ou excusons les garçons qui, eux, ne s'en privent pas. Dans le monde entier, il y a un nombre incroyable d'articles de magazines et de livres qui abreuvent les femmes de conseils sur ce qu'il faut faire, sur la façon d'être ou de ne pas être pour attirer les hommes ou leur plaire. On ne trouve pas, loin s'en faut, autant de guides de ce genre destinés aux hommes.

Une jeune fille qui participe à l'atelier d'écriture que j'anime à Lagos m'a confié qu'une de ses amies lui avait recommandé de ne pas écouter mon « discours féministe », sinon elle assimilerait des idées qui saperaient son mariage. Dans notre pays, on menace bien davantage une femme qu'un homme de cela —la ruine d'un mariage, l'éventualité de ne jamais se marier. (...)

Une de mes relations nigérianes m'a demandé un jour si je ne craignais pas d'intimider les hommes. Je ne le craignais absolument pas —ça ne m'était jamais passé par la tête, étant donné qu'un homme que j'intimiderais serait précisément le genre d'homme qui ne m'intéresserait pas.

Cela ne m'en avait pas moins frappée. Comme je suis une fille, on s'attend à ce que j'aspire à me marier. On s'attend à ce que je fasse des choix en gardant toujours à l'esprit que le mariage est ce qu'il y a de plus important. Le mariage peut être une bonne chose, une source de bonheur, d'amour, d'entraide. Mais pourquoi apprenons-nous aux filles à y aspirer et non aux garçons ? (...)

Je connais une célibataire nigériane qui, lorsqu'elle se rend à une conférence, porte une alliance parce qu'elle souhaite —selon ses propres termes— « inspirer du respect » à ses collègues.

Le plus triste, c'est qu'une alliance lui vaudra automatiquement le respect alors qu'elle n'aura droit qu'à du dédain si elle n'en porte pas —et il s'agit d'un lieu de travail moderne.

Chimamanda Ngozi Adichie, Nous sommes tous des féministes, Gallimard, coll. « Folio 2 euros », Paris, 2015.

Ça vous choque ?

Le Monde Diplomatique - mer, 14/12/2016 - 11:33

Féminisme ! Prononcer le mot — pis, s'en revendiquer — attire souvent des froncements de sourcils. Goût pour l'outrance, tendance à l'exagération, le « féminisme » est encore aujourd'hui considéré comme un gros mot. La journaliste Clarence Edgard-Rosa a préféré tenter de le définir, pour mieux s'en saisir. Extraits d'un abécédaire « joyeusement moderne du féminisme » (1).

« Queen bee » Syndrom

« Queen bee » n'est pas seulement le petit surnom de Beyoncé. C'est aussi le nom d'un « syndrome », celui de la reine de la ruche. Au début des années 1970, une étude de psychologie révèle que les femmes ayant atteint un poste de leadership traitent leurs subordonnés plus durement s'il s'agit de femmes. Pire, elles les piétinent parfois sciemment pour protéger leur place. Une seconde étude vient dans la foulée renforcer cette idée, et décrit la « queen bee » comme une femme « ayant réussi professionnellement, refusant d'aider les autres femmes à en faire autant ». Nous sommes à l'orée des années 1980, avènement de la figure d'une executive woman qui doit jouer des coudes pour se faire une place dans un monde du travail encore massivement trusté par les hommes, où la compétition ne peut faire que rage. Un mythe est né, et l'imagerie qui l'accompagne s'illustre désormais dans une pop culture qui prend l'habitude de montrer les femmes de pouvoir comme des bitches malveillantes à l'égard de leurs semblables. L'idée fait son chemin dans l'imaginaire collectif : les femmes préfèrent aujourd'hui que leur boss soit un homme plutôt qu'une femme. Le symbole de la « queen bee » est-il toujours une réalité ? Après plus de quarante ans de statu quo, des chercheurs ont questionné la véracité du syndrome, et révèlent que cette malveillance supposée toute féminine ne se vérifie pas du tout chez les executive women de la nouvelle génération (2). Il est peut-être temps de dépoussiérer l'idée qu'on se fait des femmes qui en ont.

Règles

Les Suédoises parlent de la « semaine des airelles », les Allemandes de celle « des framboises », les anglophones disent que « tante Flo » ou « Bloody Mary » vient rendre visite. Au Danemark, il y a « des communistes à la fête foraine » ; en Afrique du Sud, « Maie est coincée dans les embouteillages » ; en Chine, « la petite sœur est arrivée ». D'où qu'elles viennent dans le monde, les femmes déclarent être gênées de parler de leurs règles.

En 2015, une marque de sous-vêtements proposant des culottes « pour les femmes qui ont leurs règles » utilisait sobrement le mot dans une campagne placardée dans le métro de New York. Selon la marque, la MTA (équivalent new-yorkais de la RATP parisienne) a estimé que la campagne était « trop risquée ». Leur inquiétude : si des enfants voyaient le mot « règles », ils pourraient demander à leurs parents sa signification. Aïe, vous imaginez le bazar dans les chaumières si les enfants en venaient à s'interroger sur le fonctionnement du corps humain…

(1) Clarence Edgard-Rosa, Les Gros Mots, Hugo Doc - Les Simone, Paris, 2016.

(2) Il s'agit d'une étude de la Colombia Business School, qui a étudié le comportement des executive women sur une période de vingt ans.

Instability in the DRC: The Kabila Problem

Foreign Policy Blogs - mar, 13/12/2016 - 22:08

DRC president Joseph Kabila speaking at the United Nations in New York. (MONUSCO Photos)

For the second time in 16 years, the United States is preparing to inaugurate a president-elect who has lost the popular vote. While his opponents are organizing a number of dubious recounts in Midwestern states, his own supporters retort by spreading untruths about massive amounts of voter fraud in California. The president-elect himself is under fire for unprecedented conflicts of interest. And then there are strong suggestions that a foreign power meddled in the election process, possibly tipping the scales in favor of its preferred candidate.

Meanwhile, in Ghana, a majority of voters cast their votes for the candidate who proceeded to win the election. The current office holder promptly conceded. This marks the seventh peaceful political transition in a row in the West African country. Of course, democracy has long since ceased to be the province of America alone. In Africa, Ghana is perhaps the best example.

Alas, for every Ghana, there is a Democratic Republic of Congo. The DRC is a paradigm of the kind of state that people often associate with the African continent: weak governance, instability, violence, and a trend towards autocratic rule. However, current president Joseph Kabila had an opportunity to make history. Constitutionally barred from running for a third term, Kabila could have set a precedent by handing over power peacefully. He instead chose to do the opposite.

In the late 1990s, his father Laurent Kabila wrestled control over the DRC from long-time dictator and connoisseur of hats Mobutu. Upon Laurent’s death, Joseph was handed the reigns and then went on to win the presidential elections in 2006. These were widely regarded free and fair. However, inconsistencies and allegations of fraud marred his re-election bid in 2011, and his rule has become increasingly autocratic ever since.

Members of the Congolese community in Toronto protest the 2012 election results in the DRC, in which President Joseph Kabila was named the winner (Wikimedia)

According to the DRC’s constitutional rules, presidential elections were supposed to take place in November. Kabila and his supporters have argued that logistical and budgetary constraints have made this impossible. While there may be some merit to these concerns, these are clearly strawman arguments.

The constitution bars Kabila from running for a third term. He is wildly unpopular in the country, as fewer than 10% of Congolese want him to remain in power. He and his allies are trying to protect the economic and political gains they have amassed over the past 15 years in power. Kabila himself appears to have little to no interest in leaving the DRC for a position as an elder statesman in the mold of former Nigerian president Olusegun Obasanjo. In his mid-40s, he is still young. There is also a sense that his camp has safety concerns. They fear that handing over power to the opposition will lead to prosecutions.

Kabila’s solution has been to drag his feet on organizing elections. He now wants to delay them until 2018. Protests have been met with violent repression. In September, security forces reportedly killed more than 50 people over two days. While the opposition is vocal, it is also weak and disorganized. Meanwhile, the international community has been slow to respond. All the ingredients for the outbreak of major conflict are there.

What happens in the DRC has never been limited to a domestic political issue. Over the past two decades, conflict and instability in the country have tended to pull in both neighboring countries and those further afield. For reasons ranging from security concerns to maintaining resource access, various states have involved themselves in counterproductive ways by funding rebel groups and sending military troops. In particular, Rwanda and Uganda have repeatedly meddled in Congolese affairs, helping to destabilize the DRC in the process. Renewed outbreak of tensions will therefore make it more likely that Congo’s neighbors will once again intervene, which could have implications for regional stability and development.

The situation in the DRC takes place in a context in which several African leaders have recently tried to circumvent constitutional rules on term limits. Examples include neighbors Rwanda, Burundi, and the Republic of Congo. In Uganda, Yoweri Museveni has held on to power for 30 years. These autocrats will be emboldened by Kabila’s desperate attempt to cling on to the presidency.

Lastly, as the site of the most expensive peacekeeping operation in UN history, the DRC could be among the first tests for incoming UN Secretary-General António Guterres. With no end in sight in the Syrian civil war, and a U.S. president-elect likely disinterested in supporting UN missions, there is potential for the international community to turn a blind eye to what is going on in the DRC. While the MONUSCO mission is supersized by UN standards, it is already struggling to maintain order as it is. Already, the eastern provinces of the country are among the largest sources of refugees and internally displaced people worldwide. As the long-time head of UNHCR, Guterres may find himself in familiar territory sooner rather than later.

UN peacekeepers shortly before the 2006 presidential elections (United Nations Photo)

The reasons for instability in the DRC are varied and complex. The worst kind of colonial rule under Belgium, Cold War meddling by the United States and the Soviet Union, and some thirty years of Mobutu have left the country in ruins. It is barely a state. It ranks 147th in Transparency International’s Corruption Perceptions Index, 184th in the World Bank’s Ease of Doing Business Index, and 176th in the UN Human Development Index.

Now, Joseph Kabila is pouring oil into the fire. While the U.S. will probably survive Donald Trump’s autocratic tendencies, Kabila’s might be the final straw for the DRC.

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Africa’s Tech Scene: Drones Deliver, Uber Innovates, Entrepreneurs Repatriate

Foreign Policy Blogs - mar, 13/12/2016 - 21:37

Africa is becoming a hotbed for technology, shifting again the conventional wisdom on the continent. Reinforcing regional trends in business, investment, and modernization is the emergence of an IT ecosystem—a growing patchwork of entrepreneurs, startups, and innovation centers coalescing from country to country. There are over 300 tech incubation hubs on the continent.

Young IT impresarios have launched several thousand African startups spanning e-commerce, to healthcare, to digital payments. Fueling these new companies is venture capital expected to top $1bn by 2018. And the world’s blue chip tech names, such as Facebook, IBM, and eBay, have all recently expanded in Africa.

Those in Africa business and foreign policy circles would be wise to tune into these IT developments. Tech is reshaping the continent’s orientation to the world and producing innovative models with application in advanced economies. Here are a few snapshots drawn from my research and writing.

The World’s First Drone Delivery Program

In October 2016 San Francisco based startup Zipline launched the world’s first national drone delivery program in Rwanda, as reported in TechCrunch. In partnership with UPS and the government of Rwanda, Zipline’s unmanned aerial vehicles make 50-150 daily deliveries of critical medical supplies (primarily blood and vaccines) to 21 locations across Rwanda. The small craft lift-off from a customized “drone-nest,” drop their loads by parachute, then return to base—guided digitally by Zipline’s California navigation system connected to Rwanda’s 3G network.

A core determinant of Zipline starting drone delivery in Rwanda before the U.S. is the government of Rwanda’s commitment to creating a modern ICT environment, including a fresh regulatory code for drone transport. Zipline’s Rwanda program has not only gained the attention of UPS and investors such as Google Ventures. In August the program was tapped by the White house and FAA as a model to follow for U.S. drone delivery.

Kenya’s Ride-Hail Rivalry Fosters Innovation

Global ride-hail company Uber expanded in Africa in 2012. As reported in the World Economic Forum’s Agenda, The San Francisco startup’s rivalry with a homegrown Kenyan app could impact innovation in digital taxi markets across the world. Uber entered the tech savvy East African nation (aka Silicon Savannah) in 2015 and has been relatively well received. Kenyans have taken over 1 million Uber trips, the app gets 100,000 hits a month in Nairobi, and Uber has created over 1,000 jobs in Kenya.

In Kenya and other African countries, Uber has tested unique service options not available to passengers in many of its global markets. These include cash payments, new safety measures, and photo direction apps that direct drivers to passengers through mobile phone images.

Of course, Uber’s Kenya presence has brought some of the digital disruption and blowback seen in many of its other global operating cities. Some Kenyan drivers and cab services have pushed back on “unfair competition” on local wages and jobs. Anti-Uber protests (and even violence) have erupted.

Enter local Kenyan telco Safaricom in July 2016. Widely recognized for the success of its M-Pesa mobile money product, the company launched the Little ride hail app and positioned the new service to aggressively take on Uber. Little immediately offered cheaper pricing and expanded services, such as free in-car Wi-Fi and a “female friendly” Lady Bug option, where women can request female drivers after dark.

Safaricom also zeroed in on driver wages, announcing it would take 10 percent less of earnings than Uber. The Uber-Little competition has spurred a tit for tat exchange in Kenya’s ride hail market on price, product offerings, and driver terms. The rivalry continues to reduce costs, expand services, and provide drivers more leverage. The Uber-Little rivalry could serve as model for how local competition can offset globalization’s downsides. It could also produce homegrown ride-hail innovation that ends up in digital taxis in London, Hong-Kong, or New York.

African E-commerce Draws Global Talent and Investment

A growing focal point in African tech is the race to wire the continent for e-commerce through Nigeria led by competing e-commerce startups Jumia and Konga. I’ve covered this extensively in The Next Africa, TechCrunch and The New Yorker.

Both ventures are collectively backed by over $400 million in VC funding. Each is also innovating new ways to bring online sales to the masses in a region still lacking many of the requisites for doing e-commerce. This is creating unique digital models around logistics, payments, and customer service that could impact online shopping globally. Jumia and Konga are also representative of how Africa’s tech sector is reshaping the continent’s global relations, in particular when it comes to people and investment.

Konga and Jumia’s roots weave paradigm shifting personal and financial ties through the U.S., Europe, and Africa. Ties that are much different than stereotypical patterns of brain drain, development work, and foreign aid. Jumia’s first CEOs Tunde Kehinde and Raphael Afaedor earned Harvard MBAs before co-founding the company and returning to Africa in 2012. Konga’s original CEO, Sim Shagaya, went to Harvard Business School and worked for Google before founding the startup.

In addition to bringing young talent home, local tech is attracting MBA types (compared to Peace Corps volunteers) to Africa. Jumia’s current CEO Sacha Poignonnec is a French alum of McKinsey and Company. Jumia’s Kenya MD, Parinaz Firozi, is an American and former banker from Texas. On the financial side, Jumia made global business headlines in 2016 when it became Africa’s first startup unicorn valued at $1 billion. The $326 million investment round that got them there included U.S. financial firm Goldman Sachs.

So again, to foreign policy and business folks keen on Africa, keep an eye on the continent’s tech scene. It will continue to redefine African business, politics, and foreign relations. 

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Dans le Nord, emploi en miettes et sentiment d'abandon

Le Monde Diplomatique - mar, 13/12/2016 - 12:49

Contestée par une large part des forces syndicales et de la jeunesse, la loi El Khomri entend poursuivre — et accélérer — la déréglementation du marché du travail. Flexibilité, travail le dimanche, horaires décalés : dans ce domaine, le nord de la France fait figure de laboratoire. Une évolution dont seul le Front national semble tirer profit, comme lors des élections régionales de décembre 2015.

Jean-Marc Deltombe. – Usine Jules-Desurmont à Tourcoing, de la série « Friches industrielles », 2012 www.jeanmarcdeltombe.com

Ce matin de février, il y a déjà foule dans les locaux vétustes de la Bourse du travail de Tourcoing, dans l'agglomération lilloise (Nord). L'époque où cette ville et sa voisine Roubaix pouvaient se targuer d'être les capitales mondiales de la laine paraît bien loin. Depuis les années 1980, le travail ouvrier a cédé la place aux emplois de services. Caractérisé par sa pénibilité et par ses bas salaires, le premier avait le mérite d'être encadré par un droit du travail forgé dans les luttes. En comparaison, personnel de ménage, caissiers, gardiens, serveurs font aujourd'hui figure de tâcherons précaires et flexibles. « En quelques années, observe M. Samuel Meegens, secrétaire général de l'union locale de la Confédération générale du travail (CGT), on est passé d'un dialogue social certes musclé, genre lutte des classes, à une sorte de Far West où tout est permis. Surtout dans le nettoyage et la sécurité, ces laboratoires du détricotage du code du travail qui concentrent les plus faibles, les plus pauvres, les anciens sans-papiers, les personnes issues de l'immigration. »

Tendre l'oreille dans le hall du bâtiment, c'est découvrir les souffrances quotidiennes d'une grande partie du salariat. Des élus du personnel de la société Diam, spécialisée dans le routage, sont venus chercher des informations pour défendre leurs collègues. En décembre 2014, cette filiale de l'entreprise de vente par correspondance La Redoute a été rachetée par le groupe Prenant, qui remet en question la convention collective de tous ses employés. « Ils parlent d'instaurer les trois-huit, même le week-end, confie cette ouvrière, mère célibataire d'un enfant de 10 ans. Ça me fait peur. Comment je vais faire pour m'organiser ? » Un peu à l'écart, un agent de sécurité en guerre contre sa nouvelle société. En rentrant de vacances, il a appris qu'il était muté à plus d'une trentaine de kilomètres du supermarché où il travaillait. « C'est interdit par la loi, normalement », soupire ce Français d'origine maghrébine.

« La paupérisation n'est plus réservée aux chômeurs »

Permanent de la structure en contrat aidé (1), M. Jean-Claude Vanhaecke accueille tous les jours ces salariés déboussolés et les informe de leurs droits. « J'ai une petite expérience. A 50 ans, j'ai été licencié trois fois, deux fois pour faute grave et une autre pour faute lourde. A deux reprises, j'ai gagné aux prud'hommes, raconte cet ancien ouvrier de l'agroalimentaire. Ici, on est sur le front. On voit une partie des victimes de la guerre sociale. Et, comme dans toute guerre, il n'y a pas de différence entre ceux qui sont français et ceux qui viennent d'ailleurs. C'est ce qu'on leur répète tous les jours. »

Deux femmes élégantes attendent leur tour dans un couloir qui sert de salle d'attente. La prise de contact est rapide et directe. « Je suis agent petite enfance aux Petits Chaperons Rouges, l'un des leaders des crèches d'entreprise en France, explique la première. Le boulot, ça devient le grand n'importe quoi. On se retrouve seul en poste le matin, les congés sont repoussés au dernier moment, les salaires toujours plus bas. On en a ras le bol. A 40 ans, c'est la première fois que je me syndique. » Derrière elle, une femme d'un certain âge opine du chef. A quelques mois de la retraite, cette employée de banque sort d'un arrêt maladie de longue durée : « Ils ont profité de ma maladie pour me voler une quarantaine de jours de congés payés. Je suis d'accord avec ces dames. Ça devient de plus en plus dur. J'ai travaillé toute ma vie dans la même banque comme conseillère en agence ou sur un plateau téléphonique, mais là, je ne sais pas comment ça va finir. »

Responsable du syndicat Sud Travail - Affaires sociales pour la région, M. Pierre Jaouny a été en poste à Tourcoing comme inspecteur du travail pendant dix-huit ans. Les fermetures d'entreprises, les vagues de licenciements, les transformations du salariat, il connaît. « Entre les temps partiels subis, les horaires décalés, le travail du dimanche, la flexibilité et l'intérim, les emplois sont de plus en plus déstructurés. Et, dans le secteur des services, les gens sont de plus en plus isolés. Seuls face à leurs patrons ou leurs chefs, ils n'ont pas les moyens de se défendre. » Conséquence ? Angoisse, frustration, mais aussi colère : « L'envie de ne plus accepter ces humiliations, de tout envoyer balader. »

« On évoque souvent le chômage, la misère, la déstructuration sociale pour expliquer la colère et le vote Front national d'une partie de la population, poursuit-il. Mais il ne faudrait pas oublier que 10 ou 20 % de chômage, cela veut dire 80 ou 90 % de gens qui travaillent. Et, parmi ceux-là, beaucoup vivent des situations proches de celles des chômeurs. La paupérisation n'est plus réservée aux demandeurs d'emploi. Comment imaginer que le ressentiment accumulé ne se traduise pas dans les urnes ? »

Au premier tour des régionales de décembre 2015, à Tourcoing, la liste de Mme Marine Le Pen est arrivée en tête avec 33,48 % des voix, largement devant celle du Parti socialiste (20,71 %). Cinq ans plus tôt, le Front national (FN), troisième, ne récoltait que 18,29 % des voix, quand le PS en recueillait 34 % avant de l'emporter au second tour avec une liste d'union de la gauche. L'arrivée au pouvoir de M. François Hollande en 2012 en aurait conduit beaucoup à conclure que, avec les partis traditionnels, le même était condamné à succéder au pire, les invitant à tourner leur regard ailleurs...

A deux cents kilomètres au sud-ouest, la ville de Montataire (Oise) connaît une autre tragédie industrielle : celle de la métallurgie et de la chimie. La région a été marquée par la fermeture de l'usine Chausson, spécialisée dans la fabrication de véhicules utilitaires pour Peugeot et Renault. Trois ans d'agonie, entre 1993 et 1996 ; quatre mille salariés licenciés. Chacun s'en souvient encore ; les plaies sont à vif. En décembre 2015, au premier tour des régionales, la liste de Mme Le Pen est arrivée en tête, largement devant celle du Front de gauche : 36,3 % contre 27,87 %. En 2010, le FN atteignait 15,32 % et le Parti communiste français, 35,38 %.

Autour de la petite ville ouvrière, les digues ont lâché davantage encore. A Mouy, Mogneville, Pont-Sainte-Maxence, Rantigny, la liste FN a dépassé les 40 %, voire les 50 % en 2015. Pour le sénateur de l'Oise et maire communiste de Montataire, M. Jean-Pierre Bosino, délégué CGT chez Chausson dans les années 1980, la raison de la percée du FN est à chercher dans l'onde de choc qui, vingt ans après, n'en finit pas de détruire ses concitoyens. « Je connais d'anciens salariés qui ne sont jamais repassés devant l'usine depuis la fermeture, en 1996. Des copains ont été recrutés et relicenciés trois ou quatre fois. Et il y en a plein qui n'ont jamais rien retrouvé. Alors les gars, ils ont en marre des promesses. Certains votent FN pour tout envoyer paître. »

Un jeune de 21 ans écrasé par un wagon de minerai

Difficile d'obtenir des témoignages à ce sujet lors de nos échanges à la Bourse du travail de Tourcoing. « Vous savez, l'entreprise s'avère parfois plus dangereuse que les “quartiers” », ironise un interlocuteur qui préfère garder l'anonymat. Et les immigrés ? « Contrairement à ce que suggèrent les médias, les zones de non-droit ne sont pas forcément les banlieues », tranche un autre. La menace patronale préoccuperait donc davantage que celle incarnée par « l'étranger » ? Pas sûr non plus… « Il y a des gens qui viennent ici et qui laissent entendre qu'ils votent Le Pen, nous raconte M. Meegens. Je ne me gêne pas pour leur dire qu'ils se plantent, qu'ils vont se faire avoir. Ils ont l'impression que tout le monde se fout de leur gueule : les patrons, les politiques. Alors ils cherchent des soutiens. »

Au sentiment d'une absence de réponse politique de la part des partis traditionnels s'ajoute un durcissement de l'attitude des employeurs. « Le dialogue n'est pas simple aujourd'hui avec le patronat, même au niveau des entreprises, souligne M. Stéphane Maciag, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) de la métallurgie de l'Oise. L'UIMM [Union des industries et métiers de la métallurgie, l'organisation patronale] a donné des consignes pour envenimer les choses. Le plus rageant est qu'on essaie de négocier sur des points comme le compte pénibilité, qu'on porte depuis des années, et que les patrons bloquent. »

M. Antonio Molina est entré à l'usine sidérurgique de Montataire (désormais détenue par ArcelorMittal) en 1985. Il a vu les effectifs fondre, passant de 5 000 salariés à environ 500 aujourd'hui. « Il y a trente ans, des dizaines de bus déversaient des centaines d'ouvriers. Si vous vous pointez à la sortie, à 13 heures, vous ne verrez pas plus de cinquante personnes. Et ils nous ont annoncé une nouvelle restructuration à l'horizon 2018 : 180 gars en moins. Quand vous avez du gras et que vous faites 80 kilos, vous pouvez en perdre deux ou trois. Mais quand vous en faites 45, ce n'est pas pareil. Chaque gramme compte. La menace d'une fermeture définitive plane tout le temps. Alors les gars, soit ils ont peur de l'avenir, soit ils ont perdu l'espoir. Dans tous les cas, ils apprennent à vivre au jour le jour, même avec un CDI [contrat à durée indéterminée] et une colère de plus en plus rentrée. »

Depuis une vingtaine d'années, la sous-traitance est venue perturber les solidarités d'antan. La logistique du transport des bobines a été confiée à une centaine d'ouvriers employés par la société ISS Logistique & Production. La sécurité et le ménage, à une trentaine d'agents embauchés par Elior. « Notre direction a travaillé à fractionner certaines tâches. A ISS, la majorité des salariés sont d'origine maghrébine. A Elior, ce sont plutôt des Italiennes et des Portugaises. La sous-traitance n'a pas seulement divisé les tâches , elle a divisé les gens. L'ennemi, ça devient peu à peu l'autre, qui n'est plus réellement ton collègue. » Une aubaine pour les employeurs… et pour Mme Le Pen.

Dans le port de Dunkerque, à deux cents kilomètres au nord, l'un des plus importants sites d'ArcelorMittal en France emploie 3 000 salariés, dont 230 intérimaires et environ 1 500 sous-traitants. En avril 2015, un jeune de 21 ans a été écrasé par un wagon chargé de minerai ; en juillet, un fondeur de 41 ans a été précipité dans une rigole d'acier en fusion. A la même période, trois travailleurs détachés sur le chantier du terminal méthanier de Loon-Plage (2) ont également trouvé la mort : deux Portugais et un Polonais. « Chaque fois qu'on ajoute un niveau de sous-traitance, observe M. Marcel Croquefer, animateur d'un collectif de lutte contre la précarité à l'union locale CGT, on ajoute un niveau supplémentaire de précarité, et donc un niveau de danger dans nos installations à risque. »

« La preuve que ce parti n'est pas du côté des salariés »

En décembre 2015, dans l'agglomération dunkerquoise, à Loon-Plage, Craywick, Brouckerque, Cappelle-la-Grande, la liste de Mme Le Pen a dépassé la barre des 50 %, contre 20 % cinq ans plus tôt. Pour la plupart des militants syndicaux, l'insécurité chronique qui règne dans les entreprises, l'emploi massif de salariés précaires comme les travailleurs détachés et la menace qu'ils incarnent pour les titulaires de CDI expliquent au moins en partie la montée de l'extrême droite. « Le FN joue sur la peur, oppose les salariés entre eux et désigne des boucs émissaires, par exemple les travailleurs détachés, tempête M. Croquefer. Il ne dénonce jamais les grands donneurs d'ordres et les multinationales responsables de ce désordre économique. Son grand silence actuel sur la réforme du code du travail est bien la preuve que ce parti n'est pas du côté des salariés. »

Pour M. Molina, la solution passe par un regain de l'action syndicale : « Nous, à la CGT, on ne fait pas de différence entre les gens. On a mené des combats avec tout le monde, et les gars nous apprécient, ils votent massivement pour nous. Résultat : on fait 49 % aux élections professionnelles, avec un taux de participation de 90 %. A ISS et à Elior, on est ultramajoritaires. On a 180 syndiqués, dont beaucoup de jeunes. » La mobilisation observée contre la destruction du code du travail porte-t-elle les germes d'une autre réponse politique à cette sourde colère ?

(1) Un contrat aidé est un contrat de travail dérogatoire au droit commun, pour lequel l'employeur bénéficie d'aides : subventions à l'embauche, exonérations de certaines cotisations sociales, aides à la formation.

(2) Lire « Travail détaché, travailleurs enchaînés », Le Monde diplomatique, avril 2014.

Le seul peuple « autochtone » d'Europe

Le Monde Diplomatique - mar, 13/12/2016 - 12:41

Les Saames seraient entre 50 000 et 65 000 en Norvège, 20 000 à 40 000 en Suède, environ 8 000 en Finlande et 2 000 en Russie, selon le Centre d'information saame d'Östersund (Samer). Dernier peuple autochtone d'Europe (1), ils se sont installés dans le nord de la Scandinavie et dans la péninsule de Kola (Russie) à la fonte des glaciers, il y a environ dix mille ans. Tacite est le premier à évoquer, dans Germania (98 après Jésus-Christ), les nomades du Grand Nord, pour s'étonner que les femmes participent à la chasse. L'historien romain aurait pu ajouter que les huit saisons du calendrier saame correspondent chacune à un cycle de la vie du renne. Et que, dans leur langue, le mot « guerre » n'existe pas.

Les États ne s'intéressent aux terres glaciales de Laponie, à ses fourrures et à ses eaux poissonneuses qu'à partir du XVIIe siècle. La Suède accélère la colonisation à partir de 1634, avec la découverte d'un gisement d'argent. Les percepteurs royaux font payer aux « Lapons » des taxes, tandis que l'Église luthérienne s'efforce de convertir ces animistes, livrant aux flammes leurs tambours sacrés… et parfois leurs chamans, tel Lars Nilsson, exécuté en 1693. Le climat extrême rebutant les volontaires, la proclamation de Lappmark (1673) exempte les colons d'impôts et de service militaire. Pour le pouvoir royal, éleveurs de rennes et colons pouvaient se côtoyer sans se gêner. Mais subsister de la seule agriculture s'avérant impossible sous ces latitudes, les colons devaient chasser et pêcher… Néanmoins, en cas de litige avec des colons, les Saames — dont les fourrures sont appréciées du Trésor royal — l'emportent souvent devant les tribunaux.

La perception des Saames change cependant à la fin du XIXe siècle, avec l'irruption du racisme biologique : « Dans les années 1920, rappelle Anna-Karin Niia, éleveuse de rennes et journaliste à Sámi Radio, radio publique en langue saame, des chercheurs de l'Institut de biologie raciale sont venus mesurer les crânes des Saames, dont ceux de mes grands-parents. Un procédé qui a inspiré l'Allemagne nazie. Cette humiliation reste un traumatisme pour notre peuple. » En outre, la fermeture des frontières entre la Suède, la Norvège (indépendante de la Suède en 1905), l'URSS et la Finlande (indépendante de la Russie en 1917) rend impossible les pérégrinations des nomades. En Suède, plusieurs milliers d'entre eux sont déplacés de force plus au sud dans les années 1920. La Suède entend alors assimiler les Saames. Dans les écoles, les enfants qui parlent leur langue sont punis et ostracisés. « Mes parents ne comprenaient même pas ce que disait l'instituteur », raconte Anna-Karin Niia. Les nomades se voient retirer leurs enfants, placés en internat. Afin de se couler dans le moule, beaucoup de Saames changent de patronyme et ne transmettent pas leur langue à leurs enfants.

L'émancipation politique s'amorce dans les années 1970. En Norvège, les Saames s'opposent alors avec virulence à un projet de barrage sur la rivière Alta. Cette lutte conduit Oslo à instaurer en 1989 le premier parlement saame, dont s'inspireront la Finlande puis la Suède. La Norvège demeure le seul État concerné à avoir ratifié, dès 1990, la convention 169 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui préconise d'octroyer davantage de droits aux peuples autochtones. Oslo a accordé une large autonomie à 95 % de son comté le plus septentrional, le Finnmark (46 000 kilomètres carrés pour 73 000 habitants), cogéré depuis 2005 par le parlement saame et le comté. « La lutte des Saames de Norvège nous a inspirés. Les nouvelles générations ont appris la langue », poursuit Anna-Karin Niia en allant chercher son fils à la sortie de l'école saame de Kiruna, l'une des cinq que compte la Laponie suédoise. « J'ai grandi dans le Sud, et je n'ai appris que le suédois à l'école, témoigne Me Jenny Wik-Karlsson, avocate de l'Association nationale des Saames suédois (Svenska Samernas Riksförbund) qui défend le sameby (regroupement d'éleveurs de rennes) de Girjas. Depuis une dizaine d'années, j'apprends le saame, avec la fierté de me réapproprier quelque chose qui a été pris à ma famille. » Le Samer estime que, désormais, 40 à 45 % des Saames parlent leur langue.

(1) Selon les Nations unies, quatre critères définissent un peuple autochtone : il descend des habitants présents avant la colonisation de la région ; il conserve, dans ses pratiques économiques et culturelles, des liens étroits avec sa terre ; il souffre, en tant que minorité, de marginalisation économique et politique ; il se perçoit lui-même comme autochtone.

Green Parties in Europe

Politique étrangère (IFRI) - mar, 13/12/2016 - 11:38

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Florence Faucher propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Émilie van Haute, Green Parties in Europe  (Routledge/Université libre de Bruxelles, 2016, 338  pages).

L’écologie politique et électorale a plus de 40 ans, et les partis qui l’incarnent sont bien installés dans l’espace politique européen. Ils sont entrés au Parlement européen, dans les parlements nationaux, dans les conseils locaux et régionaux avec une grande diversité de labels, de projets et d’alliances. Ils ont également participé à des gouvernements de coalition dans neuf pays de l’Union européenne. Pourtant, la question de l’unité de la famille politique verte demeurait peu expliquée systématiquement, en partie parce que l’on ne disposait pas de données comparatives suffisantes. Émilie van Haute a réuni une équipe d’experts internationaux, familiers pour certains de ces organisations depuis plus de 20 ans, pour proposer un bilan des savoirs sur les partis verts. Leur travail démontre l’existence d’une famille partisane nouvelle à part entière.

Le travail éditorial et de direction est remarquable. Introduction et conclusion encadrent de manière stricte et concise des chapitres eux-mêmes assez courts, qui donnent un panorama synthétique des évolutions, mais aussi réflexif et analytique mettant en lumière les points névralgiques des organisations considérées. L’ouvrage est divisé en deux parties. La première comprend dix études de cas portant sur un seul parti (comme EELV ou Die Grünen), ou comparant deux ou trois partis (les partis belges, scandinaves ou d’Europe du Sud), ou le groupe du Parlement européen. Bruno Villalba analyse ainsi les tensions internes aux Verts français et leurs difficultés à construire l’unité du mouvement politique. Niklas Bolin interroge l’apparent succès des écologistes suédois et finlandais qui partagent des visions très proches mais dont les succès sont étroitement dépendants des contextes institutionnels dans lesquels ils évoluent (le parti suédois est contraint par les résultats du partenaire social démocrate ; les Finnois ont participé à plusieurs gouvernements de coalition et l’élection présidentielle a pu leur servir de vitrine).

Les quatre chapitres de la deuxième partie présentent des précisions précieuses pour qui aspire à une vision d’ensemble de cette famille. Ils analysent par exemple les entrées et sorties des coalitions, mettent en lumière la nécessaire phase d’apprentissage institutionnel qui permet de négocier alliances électorales, portefeuilles ministériels et concessions politiques. Ils soulignent les traits identitaires des écologistes et leurs difficultés à conserver à la fois leur autonomie, leurs différences (y compris en tant qu’organisations résistant à la professionnalisation politique). Benoît Rihoux analyse l’institutionnalisation des rebelles d’autrefois, en s’attachant particulièrement aux effets sur les implications organisationnelles.

Au final, cet ouvrage est un excellent exemple de travail cumulatif et comparatif. Il est plus qu’une collection de chapitres disparates et est à la hauteur de son ambition : passer l’écologie politique européenne au crible de la science politique. On regrettera néanmoins l’absence d’un chapitre sur les effets de ces partis sur les systèmes partisans et sur les programmes électoraux de leurs adversaires et partenaires de coalition. Peut-on attribuer à l’écologie électorale le verdissement (modeste) des partis de gouvernement ? Si cet impact existe, est-il lié aux nécessités de la compétition électorale, ou à la capacité des Verts à négocier des accords de gouvernement ?

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Une lente laïcisation

Le Monde Diplomatique - mar, 13/12/2016 - 10:41

Loin d'être régie par la charia, la vie sociale de la plupart des pays musulmans comprend une composante laïque croissante.

Le regard occidental posé sur l'islam soulève quelques questions fondamentales : l'islam est-il compatible avec la modernité, avec la laïcité, avec la démocratie, avec la liberté d'expression, avec la tolérance religieuse, autrement dit avec l'humanisme laïque ? Mais ce regard est obscurci par une réponse a priori : non, ils ne sont pas compatibles et ne peuvent pas l'être.

Au nom de l'ijtihad (effort d'interprétation), je voudrais tenter, moi qui me situe du côté des observés, d'autres réponses, dans l'espoir d'améliorer, ne serait-ce que très légèrement, la qualité de ce miroir fracturé. L'islam en tant qu'idéal cohérent et statique fondé sur des principes éternels n'est, bien sûr, compatible avec rien d'autre qu'avec lui-même. En ce sens, il refuse, rejette et combat jusqu'au bout la laïcité et l'humanisme, à l'instar de toute autre grande religion considérée du point de vue de son caractère éternel.

Mais l'islam en tant que foi vivante, dynamique, s'adaptant à des environnements très différents et à des circonstances historiques changeantes, s'est révélé compatible avec les principaux types d'Etat et les formes diverses d'organisation sociale et économique que l'histoire de l'humanité a produits : de la monarchie à la république, de la tribu à l'empire, de la cité-Etat archaïque à l'Etat-nation moderne. De même, l'islam, en tant que religion appartenant à une histoire mondiale s'étendant sur quatorze siècles, a incontestablement réussi à s'implanter dans une grande diversité de sociétés, de cultures et de modes de vie, du nomadisme tribal au capitalisme industriel, en passant par le centralisme bureaucratique, le féodalisme agraire et le mercantilisme.

Au regard de ces faits historiques, il devrait être un peu plus clair que l'islam a dû être très souple, adaptable et malléable, interprétable et révisable à l'infini, afin de survivre et de s'étendre sous des conditions aussi contradictoires et dans des circonstances aussi variées que possible. Il n'y a donc rien, en principe, qui puisse empêcher l'islam de s'adapter et de devenir compatible avec la laïcité, l'humanisme, la démocratie, la modernité, etc. Toutefois, le fait que l'islam évolue réellement ou non dans cette direction relève d'une contingence historique et d'une probabilité socioculturelle ; or celles-ci dépendent de ce que font réellement les musulmans en tant qu'agents historiques.

N'oublions jamais que, à l'apogée de la révolution islamique en Iran, les ayatollahs triomphants n'ont pas restauré le califat islamique (alors qu'il a existé un califat chiite) ni instauré un imamat. Ils ont établi une République pour la première fois dans la longue histoire du pays, avec des élections au suffrage universel, une Constitution inspirée de la Constitution française de 1958, un Parlement où de vrais débats ont lieu, un président, un conseil des ministres, des fractions politiques et l'équivalent d'une Cour suprême. Autant d'institutions qui n'ont rien à voir avec l'islam en tant qu'orthodoxie et dogme, mais beaucoup à voir avec l'histoire de l'Europe moderne et de ses institutions politiques.

Cela est d'autant plus significatif que les religieux iraniens, gardiens de l'orthodoxie et de la pureté dogmatique du chiisme, ont été, au cours de l'histoire contemporaine, de féroces opposants aux idées républicaines, les dénonçant comme absolument étrangères à la religion. Ils avaient réussi - au nom de l'islam orthodoxe et du rejet des modèles européens, des institutions importées, etc. - à faire avorter toutes les tentatives précédentes des dirigeants réformateurs qui cherchaient à proclamer la République.

En dépit de leur phraséologie islamique, les discours, débats et polémiques politico-idéologiques des religieux iraniens, gardiens de la foi, sont dictés en substance par les conditions historiques de la conjoncture politique et socio-économique présente, et non par les exigences dogmatiques de l'orthodoxie. Ainsi, le discours public des mollahs ne traite pas tant de théologie, de califat, d'imamat, etc., que de planification économique, de réforme sociale, de redistribution de la richesse, d'impérialisme, de dépendance économique, du rôle des masses populaires en opposition à celui des élites technocratiques, ou encore de thèmes comme l'identité, la modernisation, l'authenticité, etc. Il est évident que la nécessité historique républicaine l'a emporté en Iran sur la tradition dogmatique islamique antirépublicaine.

Dans le monde arabe, il n'a jamais existé d'expérience kémaliste dramatique, dans laquelle l'Etat aurait été déclaré, d'en haut, laïque et séparé officiellement de la religion, comme ce fut le cas lors de l'émergence de la Turquie moderne des cendres de la première guerre mondiale. Ce processus avait atteint son paroxysme avec la célèbre abolition du califat Par Mustapha Kemal en 1924. En revanche, le mouvement de laïcisation dans les principales sociétés arabes a été lent, informel, hésitant, Pragmatique, graduel, plein de demi-mesures, de compromis partiels, de mariages de raison, de retraites temporaires et de renvois aux calendes grecques, mais à aucun moment intensément dramatique.

On aurait pu atteindre une telle situation, proche du modèle kémaliste, avec le Président égyptien Gamal Abdel Nasser, après Ici nationalisation du canal de Suez en 1956, acte héroïque et immensément populaire dans l'ensemble du monde arabe. Mais Nasser ne prit jamais de telles mesures, ce qui favorisa en réaction une véritable rupture, sous la forme de l'intégrisme islamique, de l'islam rebelle armé, etc.

Pourtant, dans des pays-clés comme l'Egypte, l'Irak, la Syrie ou l'Algérie, il n'y a presque rien dans la société, l'économie, la politique, la culture et la loi qui soit géré en vertu des principes islamiques, en conformité avec la charia, ou qui fonctionne selon la doctrine et les enseignements théologiques. En dehors du domaine du statut personnel, de la foi individuelle et de la piété ou de l'impiété privées, le rôle de l'islam a incontestablement régressé jusqu'à la périphérie de la vie publique. Quiconque inspecte, dans l'un de ces Etats, les usines, les banques, les marchés, les corps des officiers, les partis politiques, les appareils d'Etat, les écoles, les universités, les tribunaux, les arts, les médias, etc., doit se rendre à l'évidence : il ne subsiste que fort peu de religion en leur sein.

Même dans un pays comme l'Arabie saoudite, où l'élite tribale dirigeante revêt de façon si ostentatoire les habits de la stricte orthodoxie musulmane, du puritanisme, de l'austérité et de la rectitude sociale bédouins, la contradiction entre les prétentions officielles extérieures et la vie réelle est devenue si grande, si aiguë et si explosive que ceux qui prennent encore les prétentions religieuses au sérieux ont organisé l'insurrection armée qui s'empara des lieux saints de La Mecque en 1979, ébranlant jusqu'aux fondements du royaume. Leur objectif déclaré n'était rien de plus que de corriger cette schizophrénie, c'est-à-dire de mettre un terme à cette contradiction entre l'idéologie officielle et la réalité, en rendant la vie réelle saoudienne strictement conforme à l'orthodoxie religieuse officiellement prêchée.

Dans les pays arabes républicains, les repères laïques nationalistes - calendrier moderne avec ses nouveaux jours fériés, symboles, monuments, sites historiques, batailles, héros, cérémonies et journées de commémoration - balisent la vie publique, reléguant les anciens repères religieux à la marge. Plutôt que d'affirmer l'impossibilité de laïciser l'islam, les islamistes dénoncent « l'éclipse et la marginalisation de l'islam » ; « l'absence de l'islam de tous les domaines de l'activité humaine, parce qu 'il a été réduit à la prière, au jeûne, au pèlerinage et à l'aumône » ; la manière dont « les programmes scolaires et universitaires, sans être ouvertement critiques de la religion, subvertissent en fait la conception islamique du monde et les pratiques qui lui sont attachées » ; la façon dont « l'histoire de l'islam et des Arabes est écrite, enseignée et expliquée sans référence à l'intervention divine » ; la façon dont « les Etats-nations modernes, musulmans de nom, bien qu'ils ne proclament jamais la séparation de la mosquée et de l'Etat, subvertissent néanmoins l'islam en tant que mode de vie, en pratiquant de facto une forme de séparation fonctionnelle de la religion et de l'Etat, plus sinistre encore ».

Ces radicaux mesurent à leur manière la nature des forces et des processus modernes qui rongent le tissu traditionnel des sociétés, cultures et politiques musulmanes. Ils sont plus clairvoyants que les sociologues, experts, mollahs et religieux, qui continuent à ressasser la formule selon laquelle « l'islam ne saurait être laïcisé ». En conséquence, ils s'indignent vivement du fait que l'islam contemporain est allé loin dans la direction de la privatisation, de la personnalisation et même de l'individualisation de la religion, au point de permettre que ses principes fondamentaux deviennent des croyances et des pratiques rituelles et cultuelles facultatives. Afin de renverser cette tendance apparemment irréversible, ils vont en guerre, au sens propre du terme, pour réaliser ce qu'ils appellent la réislamisation des sociétés.

Ils ne s'indignent pas moins vivement de l'ampleur de la déstabilisation, de l'ébranlement et de l'altération de la hiérarchie sexuelle traditionnelle dans les sociétés musulmanes contemporaines ; de l'érosion lente du pouvoir traditionnel des hommes sur les femmes, qui accompagne des mutations sociales majeures comme l'urbanisation, le passage à la famille mononucléaire, l'extension de l'éducation, la formation et l'emploi rémunéré des femmes ; de la tendance à instaurer des relations plus égalitaires entre les sexes dans le mariage et la vie en général ; de la reproduction sociale, à travers la socialisation des enfants, selon des normes qu'ils considèrent comme totalement étrangères à l'islam. D'où leur colère contre tout ce qui a trait au féminisme, leurs discours irrités au sujet de la famille musulmane et de son destin, la grande attention qu'ils accordent à la socialisation religieuse des enfants, et leur appel au rétablissement pour les femmes, les jeunes et la famille en général des normes traditionnelles du respect, de l'obéissance, de la ségrégation des sexes et de l'allégeance exclusive au chef mâle du foyer.

Pour illustrer ces transformations, on pourrait citer un article de Naguib Mahfouz qui décrit la condition trouble et confuse d'un musulman cairote typique, affrontant bon gré mal gré les paradoxes et anomalies générés quotidiennement par un mouvement de laïcisation historique de longue durée, que la plupart n'aperçoivent que par intermittence et à travers une vitre opaque : « Il mène une vie contemporaine [moderne]. Il obéit au droit civil et pénal d'origine occidentale, se trouve impliqué dans un enchevêtrement complexe de transactions sociales et économiques, et n 'est jamais sûr du degré auquel elles s'accordent ou non avec sa foi islamique. Le courant de la vie l'emporte et il oublie pour un temps ses inquiétudes, jusqu'à ce qu 'un vendredi il entende un imam ou lise la page religieuse d'un journal, ravivant ses inquiétudes avec une certaine peur. Il réalise que, dans cette nouvelle société, il a été frappé de dédoublement de la personnalité : une moitié de son être est croyante, prie, jeûne, et va en pèlerinage. L'autre moitié frappe ses valeurs de nullité dans les banques, devant les tribunaux et dans les rues, dans les cinémas et les théâtres, voire même chez lui, parmi les siens, devant la télévision. »

Security Council underlines need for stronger judicial cooperation to combat terrorism

UN News Centre - mar, 13/12/2016 - 00:03
Condemning acts of terrorism and their impact on innocent civilians and on peace and stability, the United Nations Security Council emphasized the need for establishing wilful violation of prohibition on financing of terrorist organizations or individual terrorists as serious criminal offenses in national laws and regulations.

UN inaugurates water project in Haiti benefiting 60,000 people as part of fight against cholera

UN News Centre - lun, 12/12/2016 - 21:56
Sandra Honoré, the Special Representative of the Secretary-General (SRSG) for Haiti and Head of the United Nations Stabilization Mission in Haiti (MINUSTAH), inaugurated on 8 December a water capture and distribution project in the town of Merger, an hour outside of the Caribbean nation’s capital Port au Prince.

UN pays tribute to Secretary-General Ban’s ‘never-tiring service to humanity’

UN News Centre - lun, 12/12/2016 - 19:53
The General Assembly today paid a tribute to United Nations Secretary-General Ban Ki-moon for his “never-tiring service to humanity” over the past decade, while also swearing in his successor António Guterres, who will assume his duties on 1 January 2017.

Malnutrition among children in Yemen at ‘all-time high,’ warns UNICEF

UN News Centre - lun, 12/12/2016 - 19:10
With Yemen’s health system near collapse, the United Nations Children’s Fund (UNICEF) warned today that nearly 2.2 million children are acutely malnourished and require urgent care, while at least 462,000 are suffering from Severe Acute Malnutrition (SAM) – a near 200 per cent increase since 2014.

New online portal helps World Health Organization track global access to universal health coverage

UN News Centre - lun, 12/12/2016 - 18:48
Marking Universal Health Coverage Day, the United Nations World Health Organization (WHO) has launched a new data portal to track global access to universal health coverage, including information about equity of access and where services need to be improved.

Taking oath of office, António Guterres pledges to work for peace, development and a reformed United Nations

UN News Centre - lun, 12/12/2016 - 18:15
Sworn in today as the ninth and next United Nations Secretary-General, António Guterres pledged to reposition development at the centre of the Organization’s work and ensure that the UN can change to effectively meet the myriad challenges facing the international community.

Conflict threatens decades of progress for children in Middle East, North Africa – UNICEF

UN News Centre - lun, 12/12/2016 - 17:38
Although countries across the Middle East and North Africa have made major strides in protecting children’s rights and wellbeing since the inception of the United Nations Children’s Fund (UNICEF) 70 years ago, conflict risks reversing these gains for 157 million children in the region.

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