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Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Michel Pesqueur, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Adrien Schu, Demain, la guerre ? Étude sur le risque de guerre entre les États-Unis, la Chine et la Russie (Le Bord de l’eau, 2020, 192 pages).
Rédigé par un chercheur, Adrien Schu, qui lui apporte sa rigueur scientifique – en témoignent ses très nombreuses références –, sous la direction d’un observateur des facteurs d’insécurité internationale, le général Jean-Marc Laurent, cet ouvrage a pour objectif de s’interroger sur les risques de guerre entre les trois grandes puissances nucléaires (États-Unis, Russie et Chine) alors que la période de stabilité post-Seconde Guerre mondiale semble s’achever.
La première partie décrit le contexte géopolitique actuel en partant du constat que la compétition entre les grandes puissances est de retour. Indiscutable depuis la fin de la guerre froide, l’hégémonie américaine est aujourd’hui contestée par la Russie et la Chine. Ces deux États, qualifiés de révisionnistes par l’auteur en ce sens qu’ils cherchent à modifier l’ordre international établi depuis trente ans, considèrent que l’hégémonie américaine est une menace pour leur sécurité et la survie de leur régime, tant sur le plan militaire (élargissement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, OTAN) que normatif : les valeurs véhiculées par les États-Unis (démocratie, droits de l’homme) sont sources de déstabilisation pour ces régimes autoritaires. De plus, alors qu’ils cherchent à reconquérir la place qu’ils estiment leur être due sur le plan international et régional, ces deux États voient les États-Unis comme un obstacle à leurs ambitions.
Pour les auteurs, si elle est contestée, l’hégémonie américaine demeure, tant son avance technologique et son arsenal militaire sont grands. Cependant, si cette suprématie militaire reste incontestable au niveau global, elle l’est moins au niveau régional. Si les États-Unis devaient intervenir localement, leurs forces seraient diluées, et la Russie et la Chine ont les moyens de contester la puissance américaine dans le haut du spectre au niveau régional dans leur sphère d’influence.
La deuxième partie de l’ouvrage analyse la stabilité de l’équilibre nucléaire entre les trois puissances. Les innovations technologiques en matière de précision et de détection pourraient remettre en cause leurs capacités de frappe en second (pilier de la dissuasion). De même, les initiatives américaines dans le domaine des frappes conventionnelles rapides, ou de la défense anti-missile, inquiètent la Russie et la Chine qui répondent en modernisant et développant leur arsenal, la Chine menant en parallèle une réflexion doctrinale. Malgré tout, les auteurs prévoient le maintien de l’équilibre actuel à l’horizon 2030.
La troisième partie est consacrée au risque de guerre régionale limitée. En écartant les concepts de guerre hybride et de zone grise, l’ouvrage s’appuie sur la théorie de la stratégie indirecte du général Beaufre pour expliquer les raisons et les modalités d’action de la Chine et de la Russie. Elles agissent d’une part en utilisant leur faible marge de manœuvre pour avancer leurs revendications révisionnistes sans susciter de réaction de Washington. D’autre part elles pourraient tenter de dissuader une intervention américaine par l’emploi coercitif d’armes nucléaires ou en développant leurs capacités de déni d’accès.
Dans leur conclusion, les auteurs évoquent le débat américain sur la stratégie à adopter face aux agissements de la Russie et de la Chine : défensive ou offensive ? Au bilan, un livre qui apporte une vision claire, quoique quelque peu optimiste, sur la supériorité américaine, et les enjeux stratégiques pour les dix prochaines années.
Michel Pesqueur
Découvrez l’analyse par Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri et rédacteur en chef de Politique étrangère, de l’ouvrage de Véronique Brocard, Les Sortants (Les Arènes, 2020, 336 pages).
En matière de terrorisme, les menaces sont multiples. En 2016, David Thomson a analysé celle des Revenants, dans un ouvrage qui lui a valu le prix Albert Londres[1]. La plupart de ces individus qui rentrent de zone syro-irakienne sont incarcérés. Ils ne représentent toutefois qu’une minorité des 520 détenus pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance djihadiste. 57 d’entre eux devraient sortir de prison en 2021, et 45 en 2022. Ils deviendront alors des Sortants, titre du nouvel ouvrage de Véronique Brocard.
Cette journaliste judiciaire, qui a notamment travaillé pour Libération et Télérama, a obtenu une autorisation exceptionnelle de la direction de l’Administration pénitentiaire pour mener une longue enquête sur la gestion de la radicalisation en milieu carcéral. Elle a multiplié les entretiens avec des agents pénitentiaires occupant des fonctions variées (surveillants, conseillers de probation, psychologues, éducateurs, membres de la direction, etc.), a consulté les dossiers de 65 détenus, et a pu assister à plusieurs commissions pluridisciplinaires uniques, où les professionnels échangent sur l’évolution des détenus radicalisés.
Le phénomène de la radicalisation en prison n’est pas nouveau. Le sociologue Farhad Khosrokhavar lui a déjà consacré un ouvrage il y a quinze ans[2]. L’afflux de centaines de détenus TIS (« terroristes islamistes ») à partir de 2014 a toutefois changé la donne, et déstabilisé l’Administration pénitentiaire. Dans un livre à succès paru en 2020, Hugo Micheron qualifiait la prison d’« ENA du djihad[3] », et dénonçait la mauvaise évaluation de la menace par des agents insuffisamment formés.
Véronique Brocard montre comment, une fois la phase de déstabilisation passée, cette administration a su s’adapter. Une doctrine a été conçue autour du triptyque évaluation, orientation, prise en charge. Les détenus radicalisés passent ainsi quatre mois dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), où ils sont soumis à l’expertise de spécialistes de différentes disciplines. À l’issue de cette période, ils sont orientés, en fonction de leur imprégnation idéologique et de leur rapport à la violence, vers l’isolement, la détention classique ou, pour les cas intermédiaires, les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR).
Ce dispositif a déjà été présenté dans les médias. La nouveauté et la richesse du travail de Véronique Brocard résident dans les nombreux témoignages et exemples recueillis, qui permettent de mieux appréhender la difficulté du traitement de la radicalisation. Le lecteur est mis en capacité de mesurer la diversité des profils concernés par l’incrimination d’association de malfaiteurs terroriste, et la nécessité d’une prise en charge, si ce n’est individualisée au moins différenciée. Les professionnels interviewés font part de certaines réussites, mais ne cachent pas leurs doutes et, parfois, leurs frustrations. En somme, Les Sortants offre un propos nuancé sur un sujet qui suscite bien des passions. Sa lecture est utile, à défaut d’être rassurante.
Marc Hecker
Rédacteur en chef de Politique étrangère
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[1]. D. Thomson, Les Revenants, Paris, Seuil/Les Jours, 2016. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 1/2017 de Politique étrangère.
[2]. F. Khosrokhavar, Quand Al-Qaïda parle. Témoignages derrière les barreaux, Paris, Grasset, 2006.
[3]. H. Micheron, Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, Prisons, Paris, Gallimard, 2020. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 1/2020 de Politique étrangère.