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Diplomacy & Crisis News

Sida, un enjeu global de sécurité

Politique étrangère (IFRI) - ven, 07/08/2020 - 10:00

La rédaction de Politique étrangère vous offre à (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue. Nous vous proposons aujourd’hui, et pour faire un parallèle avec les enjeux de la crise sanitaire actuelle liée au COVID-19, un article de Stefan Elbe, intitulé « Sida, un enjeu global de sécurité », et publié dans le numéro 1/2005 de Politique étrangère.

En décembre 2004, Onusida évaluait à 39,4 millions le nombre de personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), ou vivant avec le sida dans le monde. Parmi elles : 37,2 millions d’adultes (de 15 à 49 ans), et 2,2 millions d’enfants. En 2004, on estimait à 3,1 millions le nombre de morts du fait de maladies liées à l’infection, et à 4,9 le nombre des nouveaux infectés en 2004. Entre 20 et 25 millions de personnes sont, à ce jour, mortes du sida dans le monde depuis l’apparition de l’épidémie.

Le continent africain a été particulièrement affecté par la pandémie. On ne peut pourtant généraliser, les différences régionales demeurant importantes. Pour l’Afrique du Nord, on dispose de peu d’informations, mais il s’agit sans doute de la région la moins touchée du continent. En Afrique de l’Est, les taux de prévalence sont par contre très élevés, dépassant dans plusieurs pays les 5 % de la population adulte. En Afrique centrale et de l’Ouest, huit pays, dont le Nigeria, sont proches ou au-dessus des 5 %, seuil au-delà duquel l’expérience enseigne qu’il est difficile de contrôler la diffusion de la maladie à toute la population. En Afrique australe, où la situation est la plus mauvaise, quatre pays, le Zimbabwe, le Botswana, le Lesotho et le Swaziland, ont un taux de prévalence dépassant un tiers de la population adulte ; plusieurs autres pays se situent entre 10 % et 20 %.

En Asie et dans la région du Pacifique, ce sont 8,2 millions de personnes qui vivent avec le VIH. Le Cambodge, Myanmar et la Thaïlande affichent des taux de prévalence de plus de 1 % de la population adulte, l’Indonésie étant juste au-dessous. Cela peut paraître un chiffre peu important. Mais l’Afrique du Sud comptait en 1990 moins de 1 % de sujets séropositifs parmi les femmes enceintes fréquentant les maternités. Dix ans plus tard, son taux de prévalence dans la population adulte approche 20 %, et elle est le pays qui compte le plus grand nombre de personnes infectées au monde. La Chine a quant à elle identifié des cas de contamination dans ses 31 provinces, entre 500 000 et 1 million de personnes étant touchées ; et le ministre chinois de la Santé prévoit qu’en 2010, 10 millions de Chinois pourraient vivre avec le VIH en l’absence de mesures déterminantes. Quant à l’Inde, elle dispute à l’Afrique du Sud le statut de pays le plus touché par le VIH, avec environ 4 millions de séropositifs.

En termes de progression, l’espace le plus touché est sans conteste l’Europe de l’Est et la Russie, avec environ 210 000 nouvelles infections pour 2004, et un taux de prévalence qui dépasse déjà 1 % de la population adulte en Russie et en Ukraine. Des taux de progression similaires ont été enregistrés dans les États baltes, et certaines républiques d’Asie centrale.

Si l’on s’en tient aux taux de prévalence nationaux, la deuxième région la plus affectée (après l’Afrique) est l’Amérique latine et les Caraïbes. Elle compte désormais 12 pays ayant une prévalence adulte de plus de 1 %, avec un total d’environ 1,7 million de personnes infectées. Haïti et les Bahamas sont parmi les pays les plus frappés, avec une prévalence adulte de 5,6 % et de 3 %. Dans les pays à haut revenu d’Amérique du Nord et d’Europe par contre, moins de 2 millions de personnes vivent avec le virus, avec 64 000 nouvelles contaminations en 2004. Pour ces pays, la mortalité due au sida a bien décliné grâce aux trithérapies, mais ce déclin n’a pas touché le rythme des contaminations.

Historiquement, la pandémie de sida est donc, en chiffres, l’une des pires qu’ait eu à connaître l’humanité. Dans la première décennie du XXIe siècle, elle pourrait avoir fait plus de morts que l’épidémie de grippe espagnole de 1918-1919, accusée d’avoir fait entre 25 et 40 millions de victimes. Elle aura dépassé aussi la peste bubonique, puisque Onusida estime que si le rythme de la transmission n’est pas sérieusement bridé, 45 millions de personnes pourraient avoir été infectées vers 2010. C’est ce caractère démesuré de la pandémie qui incite à s’interroger, au-delà des effets de santé publique, sur ses conséquences en matière de sécurité. Le 10 janvier 2000, le Conseil de sécurité, réuni pour se pencher sur les effets du sida sur la paix et la sécurité en Afrique, identifiait pour la première fois un problème de santé comme une menace à la paix internationale.

Le VIH/sida : un enjeu de sécurité humaine

Le VIH/sida figure déjà parmi les cinq causes majeures de mortalité dans le monde. En Afrique, il n’est pas seulement l’explication majeure des décès : il cause dix fois plus de morts que les conflits armés. Dans les décennies à venir, la durée moyenne de vie va sans doute chuter de 20 à 30 ans dans certains pays d’Afrique. En 2010, l’espérance de vie de nombre de pays pourrait régresser jusqu’à passer sous les niveaux du début du XXe siècle ; et ce, largement en raison du VIH, qui annihile ainsi les modestes progrès d’un siècle de développement.

Au-delà des tragédies individuelles, le VIH a des effets directs ou indirects nombreux sur les familles et les communautés touchées. Contrairement aux maladies de l’âge — cardiaques, respiratoires ou cérébro-vasculaires —, le sida affecte des personnes jeunes, d’âge productif. Il y a donc une relation directe entre la prévalence du VIH et la question de la sécurité alimentaire. Les personnes malades ne peuvent plus produire ou se procurer de quoi nourrir leur famille. Elles peuvent être contraintes de vendre leurs maigres biens pour compenser une absence de revenus. Plus généralement, les personnes atteintes peuvent s’avérer incapables de préserver leur emploi. Et nombre d’entre les urbains choisissent alors de retourner au village une fois malades, perpétuant ainsi un cycle infernal.

Les hauts taux de prévalence ont aussi des implications sur l’éducation des individus. Si l’un de leurs parents — ou les deux — est malade, les enfants peuvent être retirés du système scolaire pour tenir la maison, ou assurer eux-mêmes le revenu de la famille. Et beaucoup d’entre eux deviendront orphelins. En Sierra Leone, on estime que le sida a fait cinq fois plus d’orphelins que le récent conflit. Il faut ajouter que le sida a un redoutable impact sur le système éducatif lui-même, à travers les éducateurs. Dans certaines régions d’Afrique du Sud, c’est sans doute un cinquième des enseignants du secondaire qui sont touchés, certaines écoles ayant déjà été contraintes de fermer. En 1999, on estimait qu’en Afrique subsaharienne, 860 000 élèves des classes primaires avaient déjà perdu leur instituteur du fait du sida.

La sécurité des individus est aussi touchée par l’exclusion et la stigmatisation, qui peuvent tourner en agressions violentes contre des personnes atteintes ou proches de malades. En Afrique du Sud, Gugu Dlamini est morte à 36 ans d’avoir été battue par ses voisins, dans les faubourgs de Durban, après avoir — lors de la journée mondiale de lutte contre le sida — révélé sa séropositivité.

Le VIH/sida et la sécurité des États

L’impact du virus sur les forces armées et sur la stabilité des pays les plus touchés pose dans cet ordre de réflexion le problème majeur. Les forces armées ne constituent pas un groupe marginal dans la pandémie. On considère généralement que les maladies sexuellement transmissibles sont plus présentes dans les armées que dans la population civile comparable. Les données demeurent peu précises, mais les services de renseignements indiquent que c’est également le cas pour le VIH, dans nombre d’armées africaines. Les explications sont connues : les soldats sont à l’âge sexuellement le plus actif; ils sont mobiles et déployés loin de leurs foyers durant de longues périodes ; le milieu militaire favorise les conduites violentes et à risque ; ils ont de multiples occasions d’avoir des relations sexuelles ponctuelles et les recherchent sans doute pour décompresser du stress du combat ; enfin, la présence d’autres maladies sexuellement transmissibles facilite la contamination par le VIH lors de rapports sexuels non protégés. […]

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Tunisie : du protectorat à l'autonomie interne

Le Monde Diplomatique - jeu, 06/08/2020 - 18:40
Le 31 août 1955 avait lieu à l'hôtel Matignon l'échange des instruments de ratification des conventions signées, à Paris, le 3 juin de la même année par MM. Edgar Faure et Tahar Ben Ammar, Pierre July et Mongi Slim, au nom de la France et de la Tunisie. Ainsi prenait fin la période de l'histoire (...) / , , , - 1955/11

Algérie : Les réformes de 1947 et l'intégration

Le Monde Diplomatique - mer, 05/08/2020 - 16:50
Comme s'ils avaient soudain découvert un concept nouveau, les Français et les Algériens livrent bataille autour de la notion d'intégration. Celle-ci est pourtant aussi ancienne que la conquête elle-même et la lutte n'a guère cessé depuis entre deux tendances dont l'une (qui était appelée « assimilation (...) / , , , , - 1955/11

Libya’s Fragmentation: Structure and Process in Violent Conflict

Politique étrangère (IFRI) - mer, 05/08/2020 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Jalel Harchaoui propose une analyse de l’ouvrage de Wolfram Lacher
, Libya’s Fragmentation: Structure and Process in Violent Conflict (I.B. Tauris, 2020, 304 pages).

Consacré à la Libye post-Kadhafi, l’ouvrage de Wolfram Lacher est certain de devenir une référence incontournable sur le pays nord-africain. Le livre retrace des pans entiers du conflit civil qui s’est ouvert sur les soulèvements du 15 février 2011, et dure encore. Plusieurs épisodes significatifs y sont relatés avec une rigueur rare. Les maints séjours effectués en Libye par l’auteur depuis 2007 lui donnent accès à un large éventail de témoignages et de détails factuels. Certains moments clés sont même restitués presque heure par heure.

Précisons toutefois que l’opus de Lacher ne se veut ni narratif, ni linéaire, ni exhaustif. Son ambition est d’abord théorique et démonstrative. En choisissant de se concentrer sur quatre villes – Misrata, Zintan, Bani Walid et Tobrouk – il tente d’expliquer la fragmentation extrême de la société libyenne. Ce morcellement s’illustre notamment par le fait qu’aujourd’hui le controversé maréchal Haftar ne parvient toujours pas à prévaloir à l’échelle nationale : Tripoli et plusieurs autres territoires clés résistent encore à ses assauts.

Les écrits académiques sur la Libye portent encore parfois les traces d’un certain scepticisme sur l’authenticité du soulèvement d’une grande partie de la population libyenne contre la dictature Kadhafi en 2011, plus d’un mois avant l’intervention de l’Organisation du traité de l’Alantique nord (OTAN). Quand Dirk Vandewalle, professeur à Dartmouth, évoque le tournant du 15 février, il ajoute simplement que « la révolte s’est rapidement étendue à toute la partie orientale du pays ». Comme beaucoup, il omet de relever que des villes de l’ouest comme Zintan et Zawiyah vivaient leur propre révolte au même moment. De manière vive et tangible, le travail méticuleux de Lacher immerge le lecteur dans l’incertitude et le danger extraordinaires de ces quelques semaines de 2011, si cruciales dans le façonnage de l’ère post-Kadhafi.

Lacher démonte quelques simplifications devenues presque omniprésentes dans notre représentation de la Libye contemporaine. Par exemple, l’auteur conteste la notion monolithique d’État-cités ou de tribus harmonieuses. Au tout début d’un conflit, il n’y a guère de blocs unis d’emblée dans des griefs précis, autour de positions politiques claires. Au contraire, le chercheur allemand établit que le spectre politique, à l’échelle locale, est souvent très hétérogène. C’est ensuite la brutalité de certains chocs circonstanciels, ou le processus séquentiel de l’escalade violente, qui finit par cristalliser des bastions incarnant telle ou telle orientation politique.

Au-delà de 2011, Lacher se penche également de manière détaillée sur ce qu’il appelle la « deuxième guerre civile libyenne » : celle qui éclate à la mi-mai 2014 sur l’ensemble du territoire. Il explique la manière dont Khalifa Haftar a exploité les divisions et rivalités parmi les élites de Cyrénaïque pour enraciner sa mainmise sur le pouvoir.

On peut regretter l’insistance de l’auteur sur les considérations théoriques. En sacrifiant quelque peu cet aspect, il aurait pu renforcer le côté story-telling de l’ouvrage, le rendant ainsi plus fluide et plus accessible. Puriste, et insensible aux bénéfices de ce type de vulgarisation, Lacher n’a pas souhaité aller dans ce sens. Sa contribution n’en demeure pas moins remarquable.

Jalel Harchaoui

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Which Past Is Prologue?

Foreign Affairs - mar, 04/08/2020 - 22:15
World leaders must heed the right warnings from history as the international order decays.

Paris-Berlin. La survie de l’Europe

Politique étrangère (IFRI) - lun, 03/08/2020 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020).
Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage d’Édouard Husson
, Paris-Berlin. La survie de l’Europe (Gallimard, 2019, 416 pages).

Les relations franco-allemandes sont, par les temps qui courent, plus souvent objet d’humeurs – pro ou contra, sans trop de rationalisations –, que d’analyses. Ce livre veut s’attacher au fond, pour considérer ces relations d’un œil débarrassé du poids des habitudes.

Des habitudes qui remontent loin. Pour Husson, la France (en allant jusqu’à Germaine de Staël) est captivée, au sens fort du terme, par une Allemagne qui la fascine, et qu’elle craint : il existe une véritable « germanomanie » française, largement construite sur l’ignorance des réalités allemandes. Au fil des décennies du deuxième XXe siècle, c’est en France que se cristallise l’idée du « modèle allemand » ; et c’est la peur de l’Allemagne qui incite Paris à sa fuite en avant dans la construction européenne au moment de l’effondrement soviétique. Tout – Maastricht, la création de l’euro, le caractère inégal des relations franco-allemandes – découlerait donc de la foi aveugle des dirigeants français (de Giscard à Macron en passant par Mitterrand) dans la puissance allemande, et de la frayeur qu’elle leur inspire.

Mais la France ignore les faiblesses structurelles ou conjoncturelles de son partenaire. Structurelles : la fascination pour la force qu’on tente de dompter par l’adoration du droit ; la faiblesse de la synthèse politique ou géopolitique, remplacée par le raisonnement pratico-analytique et la gestion locale… Conjoncturelles : les difficultés à parachever l’unification, le creusement des inégalités, les incertitudes sur l’avenir des locomotives industrielles du pays… Bref, l’Allemagne n’est ni une puissance inévitable, ni une force morale sur laquelle il faudrait s’aligner – voir l’opacité de son système bancaire, et sa responsabilité dans la déroute financière grecque.

Constat qu’abonde aujourd’hui la profonde crise de son système politique : fin de règne de celle qu’Husson traite avec constance de « chancelière sans qualités », décisions erratiques sur la fin de l’atome ou l’accueil sans conditions des réfugiés de 2015, marginalisation des partis de masse qui ont fait la démocratie allemande… La période apparaît sans nul doute à l’auteur propice à une vraie redéfinition des rapports franco-allemands. Même si les solutions proposées paraissent faibles : quitter une vision top down pour privilégier les coopérations de base ; sortir du bilatéral dans le cadre des négociations européennes ; définir des exigences claires vis-à-vis de l’Allemagne et n’en plus bouger ; imposer au Chancelier allemand un dialogue avec le Premier ministre, au motif que le président français est, lui, élu au suffrage universel…

Le baroque de la dernière proposition témoigne d’un certain mélange, dans ces pages, entre analyses de germaniste fort informé et jugements à l’emporte-pièce – voire fausses affirmations, comme lorsqu’il est reproché à François Mitterrand d’avoir voulu « empêcher » la réunification allemande, alors qu’il souhaitait la freiner et l’encadrer, ce qui est tout différent… Au fil des pages, Édouard Husson succombe parfois à cet esprit de système, et idéologique, qu’il reproche aux Français dans leur vision de l’Allemagne.

Cet ouvrage provoquant arrive à point nommé : alors que les rapports franco-allemands en panne doivent être redéfinis ; et qu’il nous faut remplacer les invocations par la connaissance de l’Autre. Espérons qu’un même travail – aussi contestable dans ses options politiques apparaisse-t‑il parfois – est en cours de l’autre côté du Rhin.

Dominique David

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«<small class="fine"> </small>The Economist<small class="fine"> </small>», le journal le plus influent du monde

Le Monde Diplomatique - dim, 02/08/2020 - 19:47
Quel point commun entre le soutien à la guerre d'Irak et à la légalisation des drogues, la condamnation de WikiLeaks et celle du « Léviathan étatique » ? Ces positions ont toutes été défendues par « The Economist », journal qui, chaque semaine, tend un miroir flatteur aux classes dominantes. / Royaume-Uni, (...) / , , , , , , , , - 2012/08

L'avènement du tourisme de masse... Près de chez soi

Le Monde Diplomatique - dim, 02/08/2020 - 17:11
/ Loisirs, Relations Nord-Sud, Relations internationales, Tourisme, Monde - Economie et finance / , , , , - Economie et finance

In Kashmir, a Year of Exploding Memories

Foreign Policy - dim, 02/08/2020 - 12:00
A year after the state’s special status was revoked, peace remains a distant hope.

Il y a trente ans : la guerre du Koweït



Il y a trente ans ce jour, le 2 août 1990, l’armée irakienne de Saddam Hussein envahissait le Koweït. Cet épisode a déclenché ou révélé une cascade de recompositions géopolitiques.

Il a d’abord révélé la profonde division du monde arabe, à parts presque égales, soit à l’époque 11 contre 10 (l’Autorité palestinienne n’existait pas encore), entre ceux qui condamnaient l’invasion, et ceux qui fustigeaient « les émirs ». Il a permis ensuite aux Etats-Unis de s’implanter dans la région, à la suite d’une démonstration de force capacitaire (535.000 hommes projetés, des technologies de pointe que le monde allait découvrir, et qui faisaient ressembler – faussement - la guerre à un jeu vidéo). Une démonstration de force diplomatique également (une coalition de 34 pays, dont plusieurs pays arabes hors du Golfe, comme le Maroc ou la Syrie, pour un total de 938.000 hommes), ainsi que de « soft power » : CNN eut le quasi-monopole des images de cette guerre en direct. La France mitterrandienne finissait pas suivre après avoir tenté de tergiverser, et le président demandait aux français de « faire blocs avec nos soldats ». Si plusieurs dirigeants, comme Margaret Thatcher qui allait quitter le pouvoir peu après, faisaient l’analogie avec Munich (arrêter le tyran avant qu’il soit trop tard), le ministre français de la défense Jean-Pierre Chevènement démissionnait, refusant en âme et conscience une opération occidentale contre un pays arabe, qui lui rappelait plutôt Suez ou les guerres coloniales.

La guerre a permis à un président américain plus éclairé que ne le sera sa progéniture, d’imposer un processus de paix au Proche-Orient, conscient qu’après ce conflit, un geste fort à l’égard des Arabes était indispensable pour consolider la région. Elle a permis aussi à plusieurs puissances de prendre conscience de leur faiblesse militaire. Sur le papier, la France pouvait projeter 50.000 hommes. Elle peina à en envoyer plus de 15.000, et tirera les leçons de cette situation en professionnalisant son armée. Sur le papier également, les monarchies du Golfe étaient dotées du matériel (souvent américain) le plus sophistiqué. Mais leur vulnérabilité éclata au grand jour, dans un traumatisme durable. Le poids des acteurs non étatiques, transnationaux, dans ce conflit, allait surprendre. On craignait, dans les chancelleries, le poids des acteurs religieux, l’impact des médias, les opinions publiques… A l’issue de la guerre, la résolution 688 allait imposer à l'Irak de laisser entrer les ONG humanitaires sur son territoire, première brèche importante au principe de souveraineté, au nom du devoir d’ingérence. Ce qui n’empêcha pas la survie de la Realpolitik : le vaincu, Saddam Hussein put s’acharner sur les Kurdes au nord et sur les chi’ites au sud. On découvrait alors que les notions de vaincu et de vainqueur s’étaient considérablement brouillées, puisque le vaincu survivait (sans compter qu’aux Etats-Unis, le vainqueur, qui fit aussi le « vainqueur » de la guerre froide, George H. Bush, allait être battu aux élections).

que reste-t-il de cet épisode ? beaucoup de leçons que l’on croyait durables, cependant, se révélèrent être des illusions à court terme. Le « brave nouveau monde » qui apparut lorsque l’URSS finissante soutenait les Etats-Unis contre son ancien allié, et qui devait sortir de la fin de la guerre froide, n’a pas perduré. Le processus de paix israélo-arabe n’est plus. Le « moment unipolaire » (Charles Krauthammer dans la revue Foreign Affairs) a tenu en apparence une dizaine d’années, sérieusement ébranlé cependant par les épisodes somalien, balkaniques, ou d’autres. Et la prochaine guerre d’Irak, en 2003, allait ruiner les acquis américains au Moyen-Orient, en discréditant moralement une Amérique enlisée dans deux conflits simultanés (Irak et Afghanistan), offrant à l’Iran une prépondérance régionale inespérée. Les tergiversations américaines en Syrie, encore dix ans plus tard, permettront à Moscou de rejoindre Téhéran pour combler le vide américain, un vide que l'administration Trump allait porter à son paroxysme, ce dont Ankara allait profiter à son tour. En lieu et place d’un monde d’ingérence au nom du droit international et des droits humains, les interventions occidentales répétées, toujours à  l’égard d’anciens alliés de Moscou (Irak, Serbie…) allaient finir, avec la goutte d’eau libyenne qui fit déborder le vase en 2011, par reconstituer un front souverainiste, alliant Moscou et Pékin. Les belles idées libérales démocratiques allaient finir par être perçues, dans ces capitales mais aussi au Sud, comme un savoir-faire occidental machiavélique visant à faire exclusivement du regime change à leur avantage. Un regime change qui a donné lieu à plusieurs chaos effroyables, où les rogue states se sont transformés en collapsed states, comme en Irak (ou en Libye). Ce qui donne aujourd’hui des arguments importants à la Russie ou à la Chine, pour s’attaquer à plusieurs décennies de gestion occidentale des affaires du monde.

La guerre du Golfe de 1991, qui suivit l’invasion du Koweït, a été lancée par George H. Bush pour de bonnes raisons (le droit international et la stabilité dans un moment crucial), menée avec un savoir-faire politique et militaire indéniable, et accompagnée d’une initiative louable, à la suite du processus d’Oslo. Trente ans plus tard, cette guerre apparaît non comme annonciatrice des nouveaux conflits, mais comme le dernier cas anachronique d’une guerre interétatique en bonne et due forme, avant le retour des conflits asymétriques et hybrides. Non comme le point de départ d’une stabilité hégémonique américaine sur le Proche-Orient, mais comme le début du power shift dans cette zone. Non comme le déclencheur d’une domination médiatique occidentale avec CNN, mais comme celui du règne des médias globaux dans un environnement terriblement concurrentiel (Al Jazeera, Russia Today…), lorsqu’apparaîtront les technologies numériques puis les réseaux sociaux. C’est sans doute ce que l’on appelle des ruses de l’Histoire.



When Everything Is a Crisis, Nothing Is

Foreign Policy - sam, 01/08/2020 - 22:51
Invoking crisis is a favorite tactic of dictators—and widespread misuse of the word robs it of its power. 

Babel jeune et innocente

Le Monde Diplomatique - sam, 01/08/2020 - 18:19
Écrivain parmi les plus oniriques de son temps, Yan Lianke s'empare des maux de la société chinoise, au risque parfois d'être censuré dans son propre pays. Mais il ne cède rien à son engagement, à son humour et à sa plume. Celui qui révèle la vérité — ou tout simplement la réalité — le paye parfois de la (...) / , , , , , , - 2020/08

Our Top Weekend Reads

Foreign Policy - sam, 01/08/2020 - 15:00
African nations are fighting to repatriate their artifacts, Washington imposes sanctions on a Chinese paramilitary group, and the United States has a new opportunity to rethink its visa policies.

The Sociologist Who Could Save Us From Coronavirus

Foreign Policy - sam, 01/08/2020 - 14:33
Ulrich Beck was a prophet of uncertainty—and the most important intellectual for the pandemic and its aftermath.

Najib’s Dirty Money

Foreign Policy - sam, 01/08/2020 - 00:45
Is the guilty verdict in the prime minister’s corruption trial a sign of hope or business as usual?

Puerto Rico’s Colonial Model Doesn’t Serve Its People      

Foreign Policy - sam, 01/08/2020 - 00:11
One year on from mass protests, Puerto Ricans are still questioning how to refresh the island’s relationship with the United States.

Zimbabwe Cracks Down on Protests as Economy Crumbles

Foreign Policy - ven, 31/07/2020 - 23:32
With inflation running at 700 percent, the pandemic has left an already weak state on the brink.

Alice EKMAN, Rouge vif. L’idéal communiste chinois


Alice EKMAN, Rouge vif. L’idéal communiste chinois, L’Observatoire, Paris, 2020

 

Déjà à l’origine de l’ouvrage La Chine dans le monde (CNRS Editions, 2018), Alice Ekman se penche cette fois sur la politique intérieure de l’Empire du Milieu, mais étudie également les conséquences de ces évolutions chinoises pour le reste du monde. A partir de constats fort bien documentés, de la part de l’une des toutes meilleures spécialistes européennes du sujet (actuellement Senior Analyst en charge de l’Asie à l’Institut de sécurité de l'Union européenne), son travail défriche un terrain considérable. Surtout, il corrige un certain nombre d’idées reçues, ou largement diffusées dans le débat public. On retiendra, comme fil conducteur essentiel de ce travail, la persistance de l'idéologie communiste au sommet du pouvoir à Pékin. Dans les dix constats qui constituent la première partie du livre, l’omniprésence d’un Parti communiste chinois (PCC) qui n’a jamais renié ses fondamentaux marxistes, léninistes et maoïstes est frappante. La supervision des rouages politiques, administratifs, ceux de l'éducation, de la culture et même de la vie quotidienne personnelle, n'a peut-être jamais été aussi forte que sous Xi Jinping, accentuée par les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies. Un vocabulaire que l’on entendait plus depuis Mao, dur, idéologique, intransigeant, refait surface.

Il ressort naturellement de ce tableau une leçon importante pour le reste du monde. La Chine n'a nullement le projet de se convertir au capitalisme. Encore moins à la démocratie libérale, comme l'actualité récente le montre encore. Pékin entend bien promouvoir son modèle, et estime que les normes occidentales ont échoué. De nombreux canaux de diplomatie publique ont ainsi été mis en œuvre, depuis les relations entre partis politiques (notamment avec des pays du Sud, mais pas uniquement) jusqu'au développement des routes de la soie (la Belt and Road initiative, qui sert de cadre à de nombreux liens), en passant par la création de think tanks chargés de rivaliser avec la vision occidentale des relations internationales. Les concepts de politique étrangère occidentaux qui ont connu un large succès dans les dernières années (état de droit, droit d'ingérence, responsabilité de protéger…), sont particulièrement visés par le discours chinois. Pékin cherche à remplacer ces notions par d'autres plus nouvelles comme celle de « connectivité », et dénonce aujourd’hui le culte occidental de la « democrazy ».

L’auteur nous montre bien comment une compétition se met en place à l’échelle internationale, entre plusieurs systèmes politique. La Chine se veut maintenant puissance de proposition pour présenter une alternative à un ordre mondial jugé insatisfaisant. La bataille fera rage, notamment au Sud (Afrique) mais aussi dans l'environnement stratégique asiatique (Hong Kong, Taïwan…).

Ecrit et publié avant la crise du Covid-19, ce livre détecte néanmoins, déjà, une faiblesse chinoise potentielle dans le rôle omniprésent et rigide du PCC, peut-être incompatible avec une diplomatie souple, adaptable à une nouvelle scène mondiale traversées de nombreux soubresauts issus des sociétés civiles. La crise sanitaire actuelle rebat encore les cartes. La Chine, point de départ de l’épidémie, fait l’objet d’une défiance internationale et lutte pour retrouver un statut de modèle. Y parviendra-t-elle ? La tension croît avec les Etats-Unis et même avec leurs alliés européens, sur un vaste ensemble de sujets (Hong Kong, Huawei, le Xinjiang, la Mer de Chine du Sud…). Le debt trap chinois en Afrique est montré du doigt. les crispations du régime aussi. A l’heure où les observateurs se perdent en conjectures et où beaucoup d’analyses oscillent entre les deux extrêmes des « panda-kissers » et du « China bashing », le regard avisé d’Alice Ekman n’en est que plus précieux.


Document of The Week: Global Plan for Sharing Vaccines

Foreign Policy - ven, 31/07/2020 - 22:05
An alliance of international health organizations are competing with the United States and other rich countries in an effort to secure vaccines for the world’s neediest.

Vietnam Steps Up to Take ASEAN Leadership Role

Foreign Policy - ven, 31/07/2020 - 21:32
Hanoi’s strong position on China and COVID-19 success bolster its status.

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