The Guardian m’a demandé d’écrire un article sur Boris Johnson, l’ancien journaliste et ancien maire de Londres, leader du «Brexit» devenu ministre des affaires étrangères de Theresa May. Il a été publié ici samedi et a connu un beau succès: plus de 22.000 partages et plus de 6000 commentaires. Samedi, il a même été l’article le plus lu du site du Guardian. Le voici donc en français. Enjoy !
La Grande-Bretagne peut-être fière d’elle-même. Encore une fois, elle a montré l’exemple au monde ! En portant en triomphe Boris Johnson et Nigel Farage, lors du référendum du 23 juin, elle a montré que Donal Trump, le président élu des États-Unis, n’avait strictement rien inventé. En réalité, la bêtise, la vulgarité, l’inconséquence, l’irresponsabilité sont des inventions britanniques encore une fois laborieusement copiées par les Américains. Fini le temps des tristes figures à la Margareth Thatcher ou à la David Cameron, terminée l’époque des dirigeants dotés d’un cerveau et d’un sens de l’intérêt commun, l’heure des clowns politiques a sonné.
L’ancien journaliste pour qui les faits n’ont jamais constitué un obstacle à une bonne histoire a réussi, en quelques semaines seulement, à dilapider le peu de capital de sympathie et de compréhension qui restait en Europe à l’égard d’une Grande-Bretagne qui s’est pris les pieds dans le tapis du référendum. C’est une contre-performance diplomatique hors du commun que d’avoir réussi à souder comme jamais les vingt-sept États membres de l’Union, y compris l’Allemagne et les Pays-Bas, qui désormais sont décidés à ne faire aucun cadeau à Londres. Ce sera un « hard Brexit », non pas parce que Theresa May le veut, mais parce que ses futurs ex-partenaires estiment ne pas avoir le choix face à une Grande-Bretagne irrésolue.
BoJo a profondément agacé ses partenaires en affichant sa méconnaissance totale de ce qu’est l’Union (ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on l’a connu comme « journaliste » à Bruxelles, ce qui est mon cas). Selon son interprétation toute personnelle des traités européens, il qualifie de « bollock » le fait de considérer que les quatre libertés (libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux) forment un tout indissociable : « chacun croit maintenant que chaque être humain a le droit fondamental donné par dieu d’aller là où il veut. Ca n’est pas vrai, cela n’a jamais été le cas. Cela n’a jamais été un principe fondateur de l’Union européenne. C’est un mythe total ». Pour lui, il y aura une « relation commerciale dynamique (entre la Grande-Bretagne et l’Union) et nous reprendrons le contrôle de nos frontières, mais nous resterons une société ouverte et accueillante ».
Pourtant, Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des Finances, l’avait averti dès le mois de septembre : « nous serons heureux d’envoyer au secrétaire au Foreign office de sa majesté une copie du traité de Lisbonne. Il pourra y lire qu’il y a un lien certain entre le marché unique et les quatre libertés. Je peux aussi le dire en anglais, si nécessaire ». Il a répété le 18 novembre qu’il « n’y aura pas de menu à la carte. C’est le menu complet ou rien du tout ». Son collègue néerlandais, Jeroen Dijsselbloem a enfoncé le clou : BoJo « dit des choses qui sont intellectuellement impossibles, politiquement inimaginables » comme lorsqu’il explique que la Grande-Bretagne « devra probablement quitter l’union douanière, mais c’est une question que nous négocierons, j’en suis sûr ». Or, c’est tout simplement impossible : marché unique et union douanière, c’est-à-dire des tarifs douaniers extérieurs communs, sont indissolublement liés. Qu’importe, BoJo répète son mantra à l’infini : il a raison, les autres ont tort. Le problème est que ce sont les autres qui décideront. Et si on veut obtenir quelque chose, il vaut mieux éviter d’expliquer à l’acheteur qu’il est un crétin…
Le secrétaire au Foreign Office ajoute la lourdeur à l’ignorance. Lui qui a pourtant écrit une biographie de Winston Churchill ne semble pas comprendre qu’il faut posséder un esprit d’une rare finesse lorsqu’on se risque à mélanger humour et diplomatie. Ainsi sa blague sur le fait que les Italiens vendraient moins de « prosecco » en Grande-Bretagne si elle ne gardait pas l’accès au marché unique a non seulement créé un incident diplomatique, mais à souligné la faiblesse de l’argumentation britannique : si l’UE risque de perdre l’accès à un marché de 64 millions de Britanniques, à l’inverse le Royaume-Uni sera privé d’un marché de 440 millions de personnes… Last but not least, Boris Johnson, qui a agité le spectre d’un déferlement de Turcs en Grande-Bretagne en cas de maintien dans l’Union, se fait maintenant l’ardent défenseur d’une adhésion d’Ankara, même si elle rétablissait la peine de mort. « Je ne plus respecter ça. Quand vous voulez quitter le club, vous n’avez plus votre mot à dire sur l’avenir à long terme de ce club », s’est emporté le pourtant très placide Manfred Weber, le président du groupe conservateur (PPE) au Parlement européen.
Un célèbre scénariste français, Michel Audiard, a écrit cette sentence au début des années 60 qui s’applique parfaitement à Boris Johnson : « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Le secrétaire au Foreign Office, qui n’aime pas la langue de bois à l’image de Trump, me pardonnera cette familiarité. Ou pas.