On considère souvent la géographie comme une matière ennuyeuse, alors qu'elle s'intéresse aux enjeux les plus importants du XXIe siècle. Ce Manifeste réunit vingt-trois chercheurs qui s'efforcent de débarrasser leur discipline de son image vieillotte. Selon eux, celle-ci est due à des approches qui n'ont pas su se détacher d'une focalisation étroite sur le local, ni percevoir le caractère biaisé de ce que l'on appelle le développement durable. Le livre s'oppose ainsi aux géographes « climatosceptiques », sinon « écolosceptiques », qui jugent les lanceurs d'alerte « catastrophistes ». Composé de seize chapitres abordant des aspects théoriques et historiques, ainsi que d'études de cas dans les pays des Sud, il défend l'idée que la géographie de l'environnement doit prendre en compte la dimension fortement politique de ce sujet, a fortiori dans le contexte contemporain des débats sur l'anthropocène. Un ouvrage qui devrait faire date, comme La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, d'Yves Lacoste, il y a quarante ans.
Presses de Sciences Po, Paris, 2016, 440 pages, 25 euros.
En Allemagne, après la mort de Georg Friedrich Hegel (1831), conservateurs chrétiens et jeunes hégéliens républicains se déchirent. Les premiers occupent les rares hauts postes universitaires ; les seconds sont des « intellectuels précaires » en colère. Bruno Bauer, théologien passé à l'athéisme militant, propose à son jeune ami Karl Marx (23 ans) de jeter avec lui un pavé dans la mare : ce sera cette Trompette du Jugement dernier, pamphlet très drôle publié en 1841 sous couvert d'anonymat. La philosophie de Hegel y est violemment dénoncée comme athée, antiallemande et révolutionnaire par de prétendus chrétiens fidèles à la lettre de la Bible. La farce sera prise au sérieux et applaudie par les journaux conservateurs, avant sa rapide interdiction. Les marxologues ont ignoré ou nié la part de Marx dans cet ouvrage traditionnellement attribué au seul Bauer. Nicolas Dessaux mène une enquête minutieuse et reconnaît sa patte stylistique aussi bien qu'intellectuelle dans plusieurs chapitres. Il repère, en particulier, un concept majeur du Marx de la maturité : le fétichisme.
L'Échappée, Paris, 2016, 400 pages, 22 euros.
Dans cette série d'entretiens réalisés avant l'élection de M. Donald Trump à la présidence des États-Unis, l'ancien correspondant de guerre du New York Times Chris Hedges fustige les élites de droite comme de gauche, asservies au « pouvoir de la grande entreprise ». Ses analyses, celles d'un lauréat du prix Pulitzer opposé à l'intervention militaire américaine de 2003 en Irak et mis à l'écart par les grands médias, révèlent en creux ce qu'un système, celui de l'« État-entreprise », entend occulter : ces accords de libre-échange contractés en dehors de tous les étais démocratiques, comme le partenariat transpacifique, relèvent du business. Hedges rappelle le concept — défini par le philosophe Sheldon Wolin — de « totalitarisme inversé », c'est-à-dire issu non d'un parti fasciste mais « d'organisations privées, économiques, qui investissent leur argent dans le champ public, achètent les élus, modifient la Constitution et rendent en fin de compte les citoyens impuissants ». Premières victimes : les lanceurs d'alerte comme M. Edward Snowden, contre qui le gouvernement de M. Barack Obama fit durement campagne.
Lux, Montréal, 2016, 128 pages, 12 euros.
L'indépendantiste indien Bhagat Singh (1907-1931) est condamné à mort après avoir, avec ses camarades, abattu un policier britannique et lancé une bombe non létale à l'intérieur de l'Assemblée en avril 1929. Parmi ses notes de prison, une dizaine de pages devenues célèbres retracent son cheminement vers l'athéisme. Issu d'une famille sikhe croyante, Singh s'oppose au mariage que lui arrangent ses parents. Au contact de groupes clandestins, il devient marxiste, rejette la stratégie non violente du très pieux Mohandas Karamchand Gandhi. Cela, combiné à quelques lectures anarchistes, le conduit à abandonner toute idée de croyance religieuse. Il refuse surtout le « conte de fées » de la réincarnation. Une seule voie dès lors : consacrer sa vie à la lutte pour la liberté. Fustigeant l'« alliance morbide » entre les autorités religieuses et les colons, Singh n'oublie pas d'attaquer l'ordre édicté par les prêtres brahmanes.
Éditions de l'Asymétrie, Toulouse, 2016, 120 pages, 10 euros.
Magistrat, Vincent Sizaire démonte ici le « sécuritarisme », héritier de l'autoritarisme bonapartiste, qu'il qualifie d'« imposture ». « L'inflation normative sans précédent à laquelle nous avons assisté ces vingt-cinq dernières années » constitue selon lui un « formidable aveu d'impuissance ». En effet, le droit pénal ne devrait présenter qu'un caractère subsidiaire : l'option répressive ne devrait intervenir que « si les autres formes de régulation s'avèrent manifestement insuffisantes à faire cesser l'atteinte à la cohésion sociale ». Et, au lieu de se focaliser sur la délinquance visible, il conviendrait de s'attaquer à ce qui porte directement atteinte à nos fondements démocratiques : la délinquance invisible, « la criminalité organisée et la délinquance financière qui ne sont que les deux faces de la même pièce ». Sizaire dénonce également la très faible diffusion de la connaissance juridique, en particulier à l'école.
La Dispute, Paris, 2016, 136 pages, 13 euros.
Entre l'Occident et la Russie sévit une nouvelle guerre froide, dont cet ouvrage collectif s'attache à décrypter les formes. Depuis la chute de l'Union soviétique, l'arme nucléaire n'est plus aussi centrale dans la doctrine militaire russe, quoique Moscou ait réaffirmé fin 2014 la possibilité de l'utiliser en cas d'agression. Le Kremlin ne jouit plus des relais politiques d'hier, mais les médias extérieurs qu'il finance n'en cherchent pas moins à séduire les opinions publiques étrangères. Aux Nations unies, le représentant russe défend les valeurs traditionnelles de concert avec le Vatican ainsi qu'avec certains pays africains et asiatiques. Les cyberattaques constituent le volet irrégulier de ce soft power. Pour un stratégiste proche du Kremlin, la Russie serait même dans une position plus avantageuse que l'Union soviétique : « Ce n'est plus une guerre, mais un jeu à trois : États-Unis, Russie et Chine. (…) Nous devons observer et jouer dans un jeu ouvert où tous les coups sont permis et les alliances d'autant plus fluctuantes que tous les joueurs sont objectivement bien plus liés les uns aux autres qu'autrefois. »
La Documentation française, Paris, 2016, 192 pages, 7,90 euros.
L'un est député-maire, l'autre sénateur-maire, tous deux dans le Nord. Les frères Alain et Éric Bocquet, communistes, ont éprouvé, notamment par l'intermédiaire des lobbys qui les représentent, la puissance de ceux qui refusent toute législation visant à limiter l'évasion fiscale : les multinationales, les riches actionnaires et leurs experts. Ces derniers ont même inventé une expression désormais célèbre, l'« optimisation fiscale », plus distinguée que la simple « évasion », mais tout aussi coûteuse pour les finances publiques. Comme le résume parfaitement le titre, l'argent n'a pas de patrie — ce que rappelle Jean Ziegler dans sa préface. Ces mille et une entourloupes représenteraient un manque à gagner de 60 à 100 milliards d'euros en France, et de plus de 1 000 milliards en Europe. Les deux élus en décortiquent les mécanismes et avancent une série de propositions.
Le Cherche Midi, Paris, 2016, 288 pages, 17,50 euros.
Contrées donne la parole à ceux qui luttent à Notre-Dame-des-Landes comme dans le val de Suse, en Italie, où la population résiste depuis quarante ans à un projet de train à grande vitesse qui nécessite le percement de tunnels. Chaque mouvement a connu des périodes où un territoire échappait au contrôle de l'État. Les trente jours d'existence des libres communes de Venaus et de la Maddalena, en 2012, représentent un des moments forts du combat italien : des barricades sont alors érigées dans tous les points de la ville pour empêcher un forage. La réoccupation à Notre-Dame-des-Landes est une sécession, alors que, dans le val de Suse, on substitue à une vallée traversée par l'autoroute une vallée en lutte. Les questions de l'action directe, de l'illégalisme ou de la violence sont battues en brèche par la bataille commune et les nouvelles pratiques de décision. « En route, mauvaise troupe, (…) La Chimère tend sa croupe » — Paul Verlaine.
L'Éclat, Paris, 2016, 384 pages, 15 euros.
Dans la palette des sentiments qu'expriment les visages filmés par Bruno Muel depuis un demi-siècle se distinguent la colère et l'espoir, la détermination, la joie du « je » qui devient « nous », la défaite et l'attente. Des maquis colombiens aux usines de Sochaux en France en passant par le Chili de septembre 1973, Muel a saisi des révoltés parfois défaits mais jamais vaincus, à une époque où demander à un guérillero des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ce qu'il ferait après la victoire n'apparaissait pas comme démagogique ou naïf. On ressent avec quelle violence le rapport à l'avenir s'est depuis inversé à la lecture de ce livre-bilan. Le réalisateur y retrace une trajectoire qu'on hésite à dire sienne, tant la notion de collectif occupe une place centrale dans sa conception du cinéma. Tissé d'entretiens, de photographies, d'archives, l'ouvrage contient aussi un DVD qui ressuscite deux films : Les Trois Cousins, de René Vautier (1970), et Avec le sang des autres, réalisé par Muel dans les usines Peugeot de Sochaux en 1974.
Éditions Commune, Marseille, 2016, 240 pages, 25 euros.
L'auteure et journaliste française Catherine Pont-Humbert dresse le portrait de vingt-quatre créateurs montréalais de naissance ou d'adoption — mais parmi lesquels ne figure aucun Amérindien. À travers ces rencontres, c'est Montréal, cité « plurielle, multiple, aléatoire », qui est célébrée. L'auteure, qui porte sur la deuxième plus grande ville du Canada « un regard d'amie, de sœur, de complice », a rencontré l'écrivain Dany Laferrière, la chanteuse Ariane Moffatt, l'architecte Phyllis Lambert et bien d'autres, dans un lieu qui les identifie et auquel ils tiennent. Tous ont évoqué leur vision de Montréal, qui fête cette année son 357e anniversaire. Les confidences révèlent une ville présentée comme un « matériau social et plastique », un lieu à la fois historique et utopique. Parmi les particularités de cet ouvrage, le mariage de la voix de la journaliste avec celle de ses interlocuteurs, qui rend parfois difficile la distinction entre les propos de l'intervieweuse et les propos de l'interviewé(e), rapportés non plus comme discours mais comme événement. Si ces Carnets sont une louange du Canada, ils n'en révèlent pas moins ses contradictions, ses faiblesses et ses tabous.
Éditions du Passage, Montréal, 2016, 292 pages, 28 euros.
Selon que l'on regarde depuis l'Europe ou depuis le monde arabe, l'Asie présente un visage différent, notait dans sa préface le créateur de l'émission « Le dessous des cartes », Jean-Christophe Victor, quelques mois avant sa mort. Cette vision de la région traverse tout l'ouvrage qu'il a coordonné avec Robert Chaouad. La première partie aborde les questions de démographie, d'insécurité sociale ou d'urbanisme, ainsi que, plus classiquement, l'état des lieux de pays comme la Chine, le Japon, le Bangladesh, etc. Textes, cartes et graphiques souvent inédits s'emploient à rendre simple une région qui ne l'est pas. C'est particulièrement vrai dans la deuxième partie, consacrée aux tensions régionales : Corée(s), mer de Chine, Cachemire, mais aussi batailles autour de l'accès à l'eau. Le troisième chapitre pointe ce qu'il y a de plus neuf dans la région, des routes de la soie au Bhoutan en passant par l'Indonésie.
Tallandier - Arte Éditions, Paris-Strasbourg, 2016, 144 pages, 24,90 euros.
Et si, loin de constituer un phénomène historique circonscrit, le péronisme — du nom du président argentin Juan Perón (1895-1974) — incarnait l'archétype d'un régime politique à dimension universelle ? C'est l'hypothèse développée par Alain Rouquié dans cet ouvrage qui instruira au-delà du cercle des latino-américanistes. L'expérience péroniste permettrait de saisir les traits distinctifs d'un type de « démocratie hégémonique » émergeant dans un contexte de « malaise social généralisé contre des gouvernements à la fois impopulaires et inefficaces » : accroissement des inégalités, domination oligarchique et incapacité des institutions à résoudre la crise. Ses caractéristiques : l'autorité charismatique d'un chef et le suffrage universel. La première engendre une pratique du pouvoir qui s'organise par-dessus (et contre) les institutions en place. Le second institue et renouvelle la légitimité populaire de ces pouvoirs « refondateurs » instaurés contre les intérêts dominants de l'étape antérieure. Argentine, Bolivie, Équateur, Russie, Thaïlande, Turquie et Venezuela sont ici étudiés et comparés.
Seuil, Paris, 2016, 416 pages, 25 euros.
La philosophie politique peut-elle se dispenser d'une réflexion sur la nature de l'être humain ? Vieille question, que reprennent trois ouvrages récents. Noam Chomsky, connu à la fois pour ses recherches sur le langage et pour son engagement politique, tente avec Quelle sorte de créature sommes-nous ? une approche systémique (1). À la base de sa réflexion, le langage, qui, selon lui, sert moins à communiquer qu'à penser. Dans ce livre bref en forme de manuel, il entreprend de montrer dans quelle mesure les créatures limitées que nous sommes du point de vue cognitif peuvent tout de même s'approcher d'une idée du bien commun.
Marc Crépon et Frédéric Worms adoptent une approche différente dans La Philosophie face à la violence (2). Disparue du programme de philosophie des classes de terminale, la notion de violence relève de plusieurs domaines, notamment du champ moral, mais également du champ politique. L'État, par exemple, a-t-il le droit d'en user ? Et à partir de quel moment a-t-on le droit d'y résister ? La réflexion dérive alors rapidement vers la liberté, en en cherchant le fondement dans la nature de l'être humain ; mais, afin de ne pas élargir par trop le cadre, les auteurs proposent d'examiner la question à l'intérieur de deux dates : 1943-1968. En 1943, Jean-Paul Sartre publie L'Être et le Néant (Gallimard), où il fonde, à partir d'une interrogation sur l'être et sur la conscience, les prémisses de son engagement à venir. Face à la violence, c'est désormais autour de cette philosophie, dans sa filiation ou de façon antagoniste, que sera pensé l'état du monde de l'après-guerre : la décolonisation, l'âge atomique, la révolution… Les philosophes modernes — Sartre, Albert Camus, Maurice Merleau-Ponty — dialoguent ici entre eux, comme le font ensuite les postmodernes — Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Emmanuel Levinas : c'est l'intérêt du livre. Il est fort intéressant de suivre chez chacun l'articulation entre point de vue sur l'être et positionnement politique, et de comprendre ainsi, par exemple, pourquoi Sartre, à l'opposé de Camus, refuse de mettre sur le même plan la torture et le terrorisme.
Martin Heidegger a inspiré à la fois l'existentialisme de Sartre et la philosophie de la différence de Derrida. Depuis longtemps, une controverse flambe sur l'antisémitisme du philosophe, ravivée par la publication en 2014 en Allemagne des premiers Cahiers noirs, qu'il a commencés au début des années 1930, quand il avait une quarantaine d'années, et tenus quasiment jusqu'à la fin de sa vie, en 1976. Dans ces Cahiers couvrant les années 1931-1946, il expose ouvertement son point de vue sur le rôle qu'il attribue aux Juifs dans l'histoire de l'être : censés avoir contribué à en occulter la question, ceux-ci ont posé les bases d'un totalitarisme technique dont, en dernière analyse, ils ont été les victimes. Autrement dit, les Juifs furent responsables de leur propre extermination.
L'antisémitisme de Heidegger et son engagement nazi ont suscité le déni ou la condamnation, les deux attitudes ayant en commun de séparer la vie de l'œuvre, passant ainsi à côté d'une interrogation proprement philosophique des faits et des écrits, que seul Levinas aura tentée dans Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme (Payot & Rivages, 1997). Donatella Di Cesare (3) reprend ce travail de compréhension de l'antisémitisme politique et philosophique de Heidegger, qui s'enrichit des matériaux des Cahiers noirs. Dans un premier temps, en réinscrivant Heidegger dans l'histoire philosophique allemande, de Martin Luther à Friedrich Nietzsche en passant par Emmanuel Kant et Friedrich Hegel ; ensuite, en se mesurant avec les textes des Cahiers, dans une confrontation serrée où le commentaire est mené avec clarté et rigueur. Même ceux que la philosophie de l'auteur d'Être et Temps indiffère pourront trouver un intérêt au tour que Di Cesare (heideggerienne de longue date) joue à son maître, lorsqu'elle découvre dans cet antisémitisme le résidu métaphysique que le philosophe de Fribourg ne put éliminer de sa propre pensée.
(1) Noam Chomsky, Quelle sorte de créature sommes-nous ? Langage, connaissance et liberté, Lux, coll. « Instinct de liberté », Montréal, 2016, 200 pages, 14 euros.
(2) Frédéric Worms et Marc Crépon, La Philosophie face à la violence, Éditions des Équateurs, coll. « Parallèles », Paris, 2015, 208 pages, 13 euros.
(3) Donatella Di Cesare, Heidegger, les Juifs, la Shoah : les « Cahiers noirs », Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », Paris, 2016, 400 pages, 24 euros.
En octobre dernier, l'attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan a suscité quelques remous amusants. Sans surprise, certains tenants de la « grande culture » s'en sont trouvés assombris. Alain Finkielkraut y a vu un « indice annonciateur de la fin des temps modernes européens (1) ». Annie Ernaux, célèbre pour ses récits nourris d'autobiographie, considère également que ce choix est « le signe d'un tournant : ce qui est proprement littéraire se dissout (2) » — sans, par ailleurs, porter de jugement sur l'œuvre. Irvine Welsh, l'auteur de Trainspotting, a semblé plus nettement meurtri : sur Twitter, il a traité les jurés de « vieux hippies baragouinant à la prostate rance » (13 octobre 2016).
En filigrane, toujours la même vieille question : qu'est-ce que la littérature ? Elle se double d'un vigoureux mépris pour la culture « populaire », si regrettablement vulgaire. Inversement, le long silence de Dylan après l'annonce officielle fut un parfait bonheur pour ceux qui saluent dans le rock (3) son pouvoir de désordre ; car, s'il accepte sa légitimation par les experts de la « grande » culture, qu'en est-il alors de sa force de perturbation du goût dominant ? Le lauréat a bien fini par envoyer un petit mot de remerciement, qu'il n'a pu lire en personne, « retenu » qu'il était « par d'autres engagements ». C'est précisément sur la question litigieuse qu'il se penche avec désinvolture pour mieux l'invalider, en rappelant que lui ne s'est jamais demandé si ses chansons étaient de la littérature. Ce qui lui importait, c'était de trouver le studio adéquat pour enregistrer (4).
Mettre l'accent sur la dimension littéraire du rock (ou, plus largement, de la chanson) afin de le sauver de son indignité d'art mineur, voilà une tentation très répandue, y compris chez certains de ses laudateurs. Les essais biographiques rêveurs que la romancière Christine Spianti consacre avec feu à Jim Morrison et Patti Smith (5) les présentent ainsi tous deux comme des chamans guerriers, sous le parrainage d'Arthur Rimbaud… Il est vrai que Morrison et Smith se sont voulus poètes. Mais c'est en tant que chanteurs rock qu'ils ont été saisissants. L'obstination de Patti Smith à affirmer son admiration pour Charles Baudelaire ou Jean Genet témoigne de l'émouvant désir de respectabilité qui a saisi une partie du rock, notamment aux États-Unis, depuis le tournant des années 1960-1970. Cette volonté d'anoblissement est ambiguë : d'une part, sont minorées la voix et la musique ; d'autre part, le rock avait longtemps eu pour rôle de subvertir les codes de la culture officielle, et non de s'y rattacher.
Pourtant, alors même que le rock de ces années-là fait aujourd'hui figure d'objet de musée, il n'est pas certain que ces multiples entreprises de neutralisation de son « mauvais genre » soient véritablement efficaces. Le Velvet Underground, qui, comme David Bowie ou le punk, a subi l'embaumement, reste méchant, sexy, peu assimilable. Formé en 1965 autour de Lou Reed et de John Cale, il chantait la rue, celle des paumés, des dealers, des travestis. Il chantait Heroin en un temps où s'épanouissaient le « peuple des fleurs » et sa quête du peace and love : à l'évidence, il était à contre-courant. D'ailleurs, même avec l'appui d'Andy Warhol, il n'a pu être durablement à la mode. Trop rétif, même aux injonctions implicites de l'avant-garde, autre fabrique de codes. C'est ce que saluent de façon ardente Philippe Azoury et Joseph Ghosn (6) en détaillant les enjeux de ses expérimentations musicales, appels à l'insurrection intime et à l'écoute de ce qui, d'ordinaire, est tu. Non, ce n'était pas de la littérature, mais… du rock. De l'émotion électrique.
(1) « Le Nobel à Dylan, déclin de la culture ? », Causeur.fr, 18 octobre 2016.
(2) « Annie Ernaux : “La littérature se dissout” », Le Monde, 15 octobre 2016.
(3) Il importera peu ici que Dylan ait chanté aussi de la folk, de la country, etc. Il représente un mouvement plus vaste : le rock.
(4) Discours à lire sur le site officiel www.nobelprize.org
(5) Christine Spianti, Jim Morrison. Indoors/Outdoors, Maurice Nadeau, Paris, 2016, 224 pages, 18 euros ; Patti Smith. La poétique du rock. New York, 1967-1975, Maurice Nadeau, 2016, 200 pages, 18 euros.
(6) Philippe Azoury et Joseph Ghosn, The Velvet Underground, Actes Sud, Arles, 2016, 180 pages, 16,90 euros.
D'avril à septembre 2015, le Guatemala a traversé une grave crise politique. Après la révélation de faits de corruption impliquant des personnalités au sommet de l'État, le président Otto Pérez Molina a dû quitter le pouvoir. Pour beaucoup, sa décision était inévitable après les multiples manifestations qui avaient secoué le pays. Mais la rue était-elle seule à la manœuvre ?
Une riche compilation de témoignages, essais et articles contribue à répondre à la question (1). Certains y analysent les manifestations comme un « réveil citoyen » transcendant les classes sociales. Ainsi, M. Gabriel Wer, à l'origine avec quelques autres de la première manifestation via Facebook, n'ambitionnait pas d'obtenir davantage que la démission du président. À l'inverse, la militante étudiante Lucía Ixchíu raconte les efforts d'organisation au sein de l'université nationale San Carlos pour politiser cet « embryon de mouvement social, qui, pour pouvoir continuer à se former dans le ventre de la lutte, a besoin de renforcer l'organisation à tout niveau ». Selon elle, cette crise a repolitisé l'université publique et permis un « retour des étudiants au sein du peuple ».
Le sociologue Rodrigo Véliz s'interroge sur le lâchage de M. Pérez Molina par les élites économiques et par les États-Unis, ses soutiens d'antan. Les critiques de l'administration Obama envers l'ancien président depuis 2012 révéleraient ainsi la stratégie de Washington : « faire le ménage dans les institutions étatiques », dans le cadre d'une politique « d'investissements et de pressions économiques » visant à répondre à la présence accrue de la Chine et de la Russie dans la région. Raison pour laquelle la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (Cicig) bénéficierait des soutiens dont elle jouit actuellement. Ses travaux ont notamment permis de juger de nombreux anciens militaires proches du pouvoir, érigeant cette institution au rang de modèle régional que, selon l'auteur, les États-Unis aimeraient exporter dans les pays voisins.
Irma Velásquez Nimatuj, journaliste et anthropologue, analyse la relation d'abord distante des organisations indigènes et rurales à ce mouvement principalement urbain. Elle signale la division du pays, profondément travaillé par le racisme. Une division qui s'est traduite dans les manifestations : si beaucoup de citadins battaient le pavé pour la première fois, les populations rurales, elles, s'en sont souvent tenues à l'écart. La corruption, explique en effet Velásquez Nimatuj, « n'est pas le problème structurel qui les empêche d'accéder à une vie digne ». Elle estime plutôt que, en ce qui les concerne, « les problèmes substantiels n'ont pas été abordés » : ils recherchent le « démantèlement de l'État raciste, qui impliquerait une redistribution équitable de la richesse du pays ».
Dans un essai dense et succinct, au terme duquel il conclut à une « révolution qui n'a jamais eu lieu » (2), le sociologue Virgilio Álvarez Aragón consacre un chapitre à la tentative de réforme profonde de la loi électorale et des partis politiques (LEPP), une urgence démocratique majeure. Faute de stratégie de pression citoyenne et de vision structurée, le mouvement aurait échoué face à l'imbrication des élites économiques et politiques, n'obtenant qu'une réformette de plus.
L'échec stratégique, analyse l'auteur, tient aussi à l'imaginaire politique des classes moyennes, libérales et hostiles aux mesures redistributives : « L'aliénation imposée par la théologie de la prospérité, d'un côté, et le discours individualiste et consumériste, de l'autre, ont produit une idéologie suburbaine manquant de contenus politiques progressistes et d'encouragements à une organisation sociale revendicative. » L'idéologie libertarienne, puissante au sein des élites économiques guatémaltèques, a donc pu être légitimée par le discrédit de l'exécutif. Dans ces conditions, ce que beaucoup ont analysé comme une « révolution citoyenne » aurait en fait renforcé l'hégémonie culturelle de la droite qu'avait, un temps, incarnée M. Pérez Molina.
(1) Regina Solís Miranda (sous la dir. de), La Fuerza de las plazas. Bitácora de la indignación ciudadana en 2015, Friedrich-Ebert Stiftung, Guatemala, 2016, 324 pages.
(2) Virgilio Álvarez Aragón, La Revolución que nunca fue. Un ensayo de interpretación de las jornadas cívicas de 2015, Serviprensa, Guatemala, 2016, 80 quetzales, 180 pages.
C'est contre ce qu'il nommait « l'art culturel » que le plasticien Jean Dubuffet (1901-1985), « intellectuel féru de sauvagerie », est allé au bout de quelques intuitions fulgurantes surgies principalement dans l'entre-deux guerres. S'opposant aux conceptions esthétiques dominantes, il saluait la puissance de l'imaginaire chez les enfants, les médiums, les fous. En 1945, intrépidement, il invente l'art brut. Évidemment, les œuvres existaient déjà, mais elles n'étaient pas identifiées comme telles.
La réédition augmentée de la thèse de Lucienne Peiry (1), longtemps responsable de la Collection de l'art brut à Lausanne, précise la généalogie, la concrétisation et les paradoxes de cette notion. Dubuffet poursuit en particulier le travail de sape des surréalistes en affirmant que la création est par nature un « phénomène malsain et pathologique », et qu'il n'y a donc pas un art spécifique aux malades mentaux. En revanche, aliénés ou non, ceux qui peuvent être indemnes de toute culture artistique et témoigner par ailleurs d'une parfaite indifférence à la reconnaissance sociale de leur œuvre ont la liberté rare d'être au plus près de la vérité de leur fantaisie, car « il faut choisir entre faire de l'art et être tenu pour un artiste. L'un exclut l'autre ». Aloïse Corbaz, Adolf Wölfli, Gaston Chaissac, Louis Soutter imposent ici leurs mondes hantés, paradoxalement devenus des valeurs sûres du marché.
(1) Lucienne Peiry, L'Art brut, Flammarion, Paris, 2016, 400 pages, 30 euros.
Les auteurs d'Allemagne de l'Est qui ont publié sous cette « dictature commode », pour reprendre l'expression de Günter Grass, obligent à se poser la question du rapport à la censure. Comment pouvait-on critiquer le régime et être publié par ce même régime ? Avec Reinhard Jirgl, les choses sont simples : né en 1953 à Berlin-Est, il a toujours été interdit d'édition. Ce n'est qu'en 1990 qu'il a pu publier son premier livre, Mutter Vater Roman (pas encore traduit en français). Peu d'écrivains peuvent se targuer d'un tel brevet de radicalité et de fidélité à soi-même. Car, radical, Jirgl l'est sans conteste, dans son absence de compromission et dans son engagement littéraire — un ovni dans le cosmos des lettres.
Après Les Inachevés (2003) et Renégat, roman du temps nerveux (2005), voilà que paraît, sous le titre Le Silence, la traduction de Die Stille (2009), histoire entrecroisée de deux familles, l'une originaire de basse Lusace et l'autre de Prusse-Orientale. Le roman s'articule autour de cent photographies d'un vieil album que l'un des protagonistes, Georg Adam, né en 1935, doit apporter à son fils qui va partir aux États-Unis. Chaque chapitre correspond à l'une d'elles, qui n'est pas montrée mais succinctement décrite. Sauf que les personnages qui y figurent n'apparaissent que très rarement dans les chapitres ainsi introduits. L'absence de chronologie des images accentue encore ce décalage. C'est dire que, si Jirgl avait voulu brouiller les pistes, il ne s'y serait pas pris autrement, et le grand arbre généalogique reproduit en début d'ouvrage a des allures de savoureuse provocation, car il ne clarifie rien. D'autant plus que le fils à qui est destiné cet album est toujours cité entre guillemets, car il est né d'un inceste entre Georg Adam et sa sœur Felicitas. À cela s'ajoute une langue qui fait penser à celle d'Arno Schmidt (1914-1979), où se bousculent les signes de ponctuation, les majuscules et les minuscules, les néologismes et les calembours, les contractions et les ruptures. « Comme si les cieux explosaient, déchaînés&débridés des millions de mètres cubes d'eau é des fleuves de feu en ébullition se fracassèrent & s'emboutirent — des sifflements piaillements mugissements déversés du ciel — s'abattirent d'Unseulcoup avec une force brutale sur terres mers villes. » Si ce style excelle à rendre les états de crise et de catastrophe, il n'ajoute parfois rien : « Et les-hommes : ?Étaient-ils capables de ?!supporter Cesavoir. » L'auteur recourt à un procédé qu'il doit respecter quel que soit le sujet abordé sous peine de détruire le monde qu'il est en train de construire.
Jirgl, en dépit de ses faiblesses et de ses outrances, nous met en face d'un univers auquel il est difficile de se soustraire si l'on prend le temps de s'y plonger : sidérant, séduisant, addictif, même, où vibre comme un regret des formules mathématiques. Il y a fort à parier qu'il ne fera pas école, ne serait-ce que parce que son écriture autarcique, singulière et sophistiquée est allergique à la transmission, à la citation. Mais on ne peut s'empêcher d'admirer de telles prouesses, sans oublier celle de la traductrice, qui renvoie allègrement aux oubliettes toutes les théories de la traductologie pour suivre les coruscants jaillissements de l'empathie.
Le Silence, de Reinhard Jirg, traduit de l'allemand par Martine Rémon, Quidam éditeur, Meudon, 2016, 620 pages, 25 euros.
Relire les sept cents chroniques écrites de 1961 à 1974 par Jacques Yonnet pour L'Auvergnat de Paris et en éditer une soixantaine, classées par quartiers : voilà une excellente initiative (1). L'auteur de Rue des Maléfices (2) y explore un monde quasi disparu, celui des bougnats, des bistrots où on se mêlait sans distinction de classe — « le Parlement du peuple », selon Balzac. Un univers sans lounge bars…
L'ancien résistant, toujours aussi franc-tireur et farceur, convaincu que tout se passe au zinc, traverse la ville selon son humeur, mû par le goût de l'insolite, et conte l'histoire des cafés et des quartiers, qu'il se plaît à restituer, parfois à enjoliver, sinon à inventer. Également sculpteur et dessinateur, cet érudit intarissable, au fil de ses déambulations dans la nuit ou au petit matin, livre maints portraits de tenanciers, d'habitués, célèbres ou non, qui y sont passés ; il revient sur le rôle des tavernes et des cabarets dans la formation de Paris, sur leur poésie ésotérique et leur très riche langue, sans oublier d'accompagner chaque texte d'un dessin d'orfèvre… Ami de Robert Doisneau, Jacques Prévert ou André Hardellet, il aimait profondément ces lieux et ceux qui les fréquentaient, au point de leur sacrifier sa carrière littéraire. À l'aube de la transformation de Paris, alors que les Halles déménageaient et que les spéculateurs immobiliers allaient pouvoir agir quasiment en toute liberté, il n'hésitait pas à faire de sa chronique une tribune, appelant à la vigilance : ces mutations sauvages chassaient « les gens modestes, éjectés comme des malpropres », et représentaient aussi un danger pour le patrimoine de la capitale, et en premier lieu pour les troquets. Il y avait alors environ 200 000 débits de boissons en France, pour à peine 35 000 aujourd'hui.
Deux romans écrits par des membres de la « bande à Yonnet » retrouvent également le chemin des librairies. Faux polar et vraie chronique mélancolique, La Petite Gamberge (3), de Robert Giraud, dresse le portrait d'une fine équipe de monte-en-l'air de la montagne Sainte-Geneviève. Leur bureau, c'est le café du grand René, où, selon un rituel bien huilé, les copains viennent peaufiner leurs affaires — mais la dernière va tourner à la tragédie. Giraud décrit ces malfrats de « la Mouffe » (la rue Mouffetard) avant tout comme de doux rêveurs perdus, avec le comptoir pour seul précepteur et le désir de quitter un jour leur misérable condition — le cynisme d'une certaine modernité finira par les broyer. Après d'acides premiers romans, René Fallet acquiert la notoriété lorsque le cinéma s'empare de quelques-unes de ses œuvres. Moins connu que Paris au mois d'août ou Le Braconnier de Dieu, Au beau rivage (4) (1970) tire son nom du décor principal du récit, un café de la banlieue sud de Paris — celle de l'auteur — dont le petit bal du samedi soir, avec orchestre, est promis à la ringardise par l'essor de la télévision, de la pop et des discothèques. Le patron, 60 ans dont quarante d'accordéon, n'y croit plus et sombre dans une déprime que seule la découverte des pouvoirs du rêve pourra soigner.
La nostalgie atteint son comble avec le beau Paris-Métro-Photo (5), qui, loin de tout folklore, restitue un siècle de ce monde enfoui à travers les images des grands photographes ayant immortalisé le métropolitain et ses usagers, de ses origines à aujourd'hui. On y retrouve Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis… mais aussi des étrangers qui se sont immergés dans les souterrains ferrés de la capitale. Une somme de voyages vertigineuse.
(1) Jacques Yonnet, Troquets de Paris, L'Échappée, Paris, 2016, 368 pages, 22 euros.
(2) Ou Enchantements sur Paris, titre de sa première édition (Denoël, 1954). Rue des Maléfices est disponible aux éditions Phébus.
(3) Robert Giraud, La Petite Gamberge, Le Dilettante, Paris, 2016, 176 pages, 17 euros.
(4) René Fallet, Au beau rivage, Denoël, coll. « Empreinte », Paris, 2016, 208 pages, 13 euros.
(5) Julien Faure-Conorton (sous la dir. de), Paris-Métro-Photo. De 1900 à nos jours, préface d'Anne-Marie Garat, Actes Sud, Arles, 2016, 408 pages, 324 photographies, 49 euros.
« Ce jour-là n'était-il pas un jour comme les autres ? », s'interrogeait Yasuo, le directeur syndical des pêcheurs du village. 11 mars 2011 : dans quelques instants, un tremblement de terre de magnitude 9 provoquera un tsunami sur la côte Pacifique japonaise, puis la catastrophe nucléaire de Fukushima. Cependant, « jusqu'à ce qu'il se rende compte que la vague qui venait sur le rivage avec un grondement se retirait à une vitesse inhabituelle mais sans un bruit, Yasuo mena ses activités quotidiennes ». Yasuo le pêcheur, l'époux, l'homme le plus ordinaire du monde, sera nos yeux. Car, pour Kasumiko Murakami, il s'agit de ramener le drame à hauteur d'homme, puis d'éclairer, une fois l'océan retiré, ce qui reste de vie, d'humanité dans les décombres. Sans emphase, loin de tout sensationnel, elle examine la réaction d'individus plongés au cœur des ténèbres.
Courage et peur, d'abord, indissociables : « Lorsqu'il y avait un risque de tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. (…) Quand le tsunami était sur le point d'arriver il fallait avoir du courage pour se précipiter sans hésitation dans sa direction. » Car c'était alors comme « se jeter dans les bras d'un assassin pour l'affronter à mains nues ». Une fois au large, spectateurs impuissants, les pêcheurs ne peuvent qu'assister, sidérés, au déferlement de la vague gigantesque, à l'incendie du chantier naval.
Des phases d'hébétude, de lucidité, d'espoir et de découragement se succèdent alors. Lorsqu'ils reviennent, tout n'est que ruines. À l'instar du village, de son foyer, de son travail, la mère de Yasuo, placée dans une maison de retraite proche de l'océan, a disparu. De hautes vagues de culpabilité le submergent : « Il avait vraiment été élevé comme un enfant gâté. Pourtant, lui, qu'avait-il fait pour elle ? »
Fantôme parmi les fantômes, Yasuo erre désormais dans le gymnase aménagé en centre d'hébergement d'urgence. Rencontres et récits s'entrecroisent. Progressivement, le tsunami se fait ravir le premier rôle. Au bout du compte, il n'agit que comme un révélateur, permettant l'apparition d'une série de portraits intimes. Dans ce roman, comme dans la séquence du grand séisme de Kanto en 1923 dans le film d'animation de Hayao Miyazaki Le vent se lève (2013), la grande histoire cède le devant de la scène à des « vies minuscules ». Le destin de Yasuo rappelle celui de la fourmi transportant « la dépouille d'une argiope [un genre d'araignée] bien plus lourde qu'elle ».
« En tant que témoin de la confusion et de la lassitude qui suivirent la catastrophe, il fallait que je mette des mots sur tout cela », explique Kasumiko Murakami. De retour à Tokyo après vingt ans passés en France en tant que journaliste et traductrice, elle est partie aider les réfugiés, comme elle l'explique dans la postface : « J'allais distribuer des provisions à Minami-Sanriku et je n'ai pu oublier chacun des visages des sinistrés. » Ce sont ces visages qui surgissent ici. L'Ama Project, vente de bracelets tricotés par les sinistrés, verra le jour sous son impulsion. Et puis après ? Après, il y a ce livre. Cette respiration. Ce vif élan du cœur. Car « plus un homme était blessé cruellement et plus il désirait aimer quelqu'un fougueusement, avait dit celui qui se comparait à la vigne ».
Et puis après, de Kasumiko Murakami, traduit du japonais par Isabelle Sakaï, Actes Sud, Arles, 2016, 112 pages, 13,80 euros.
White House Press Secretary Sean Spicer speaks during the daily briefing. (AP Photo/Susan Walsh, File)
Recent comments at a press briefing from White House spokesman Sean Spicer on the South China Sea seem to have riled the Chinese and confused others who follow developments in the region.
When asked to remark on Rex Tillerson, Trump’s nominee for secretary of state, and Tillerson’s earlier threats to deny China access to man-made, militarized and disputed islands it occupies in the Spratly island chain, Spicer assured, “The U.S. is going to make sure that we protect our interests there.” He added, “It’s a question of if those islands are in fact in international waters and not part of China proper, then yeah, we’re going to make sure that we defend international territories from being taken over by one country.”
Beijing quickly responded to Spicer’s comments, with Chinese Foreign Ministry spokeswoman Hua Chunying telling a regular press briefing the following day, “the United States is not a party to the South China Sea dispute” and reiterating China had “irrefutable” sovereignty over disputed islands. She added, “We urge the United States to respect the facts” and defended Beijing’s actions in the South China Sea as “reasonable and fair”.
Bonnie Glaser, an expert on the South China Sea at the Center for Strategic and International Studies, called Spicer’s remarks “worrisome,” adding the Trump administration was “sending confusing and conflicting messages.”
Other littoral countries of the South China Sea, including Brunei, Indonesia, Malaysia, the Philippines, Taiwan and Vietnam have often argued China’s actions are anything but reasonable and fair, and Chinese Foreign Ministry spokeswoman Hua Chunying’s pleas for the U.S. to “respect the facts,” is confusing in this era of “alternate facts”, a term put forth by Kellyanne Conway, as Counselor to the President. And Spicer, in defending his claims of the size of Trump’s inauguration during Monday’s press briefing, said “I think sometimes we can disagree with the facts.”
But a fact is actual occurrence, not an opinion on a fact, and actions under the new administration will speak louder than heated rhetoric. The fact remains on both sides that China has occupied and militarized these disputed islands, and blocking China’s access to those islands could spark a serious confrontation.
In his vague comments, Spicer may have realized he was sailing into dangerous waters. When pressed over how the United States could enforce such a move against China, he responded: “I think, as we develop further, we’ll have more information on it.” Hopefully, we can take some comfort in this last sentence, and that more information will lead to true facts prevailing over alternative facts, when a new and untested Trump administration determines what actions, if any, to take over the disputed South China Sea.
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