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Diplomacy & Crisis News

Le Djihadisme

Politique étrangère (IFRI) - Wed, 10/05/2017 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Asiem El Difraoui, Le Djihadisme (PUF, 2016, 128 pages).

Asiem El Difraoui, spécialiste germano-égyptien de la mouvance djihadiste, a été journaliste et producteur de documentaires avant d’entamer une carrière de chercheur. Sa thèse de doctorat, parue aux Presses universitaires de France en 2013, portait sur la propagande audiovisuelle d’Al-Qaïda. Son dernier livre relève moins du travail de recherche que de la synthèse.

Il se décompose en quatre chapitres. L’introduction et le premier chapitre portent sur l’histoire du djihadisme. Les grands idéologues de cette mouvance sont présentés succinctement, l’influence de Sayyid Qutb et Abdallah Azzam étant particulièrement mise en avant. La guerre en Afghanistan des années 1980 est décrite comme le véritable « berceau du djihadisme ». L’accent est ensuite mis sur l’évolution d’Al-Qaïda jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, l’affaiblissement de cette organisation à la suite des représailles américaines, puis sa renaissance à partir du déclenchement de la guerre en Irak en 2003. Al-Qaïda reste active aujourd’hui. La tuerie de Charlie Hebdo, en 2015, a été revendiquée par sa branche yéménite.

Les deuxième et troisième chapitres sont consacrés respectivement à Daech et à la propagande djihadiste. Daech a connu un double développement phénoménal au cours des dernières années. Sur le terrain moyen-oriental tout d’abord, l’organisation a multiplié les conquêtes territoriales jusqu’en 2014, année de « rétablissement du califat » par Abou Bakr Al-Bagdadi. Sur le terrain numérique ensuite, Daech s’est démarqué par son usage sophistiqué des réseaux sociaux. La propagande de cette organisation fait alterner des vidéos présentant le djihadisme comme un phénomène jeune et « cool » – ce qu’Asiem El Difraoui appelle le « djihad pop » –, et des contenus ultra-violents de combats ou d’exécutions.

Le quatrième chapitre – rédigé avec Milena Uhlmann – a trait à la radicalisation et à la déradicalisation. L’accent est mis spécifiquement sur la France – pays occidental qui compte le plus de ressortissants engagés dans des groupes djihadistes en Syrie et en Irak. Différentes expériences menées pour tenter de « désembrigader » les individus séduits par Daech ou Al-Qaïda sont présentées, à l’instar du Centre de déradicalisation de Dounia Bouzar, ou du Centre de prévention de la radicalisation lancé à l’initiative de la Fédération des musulmans de Gironde. Outre ces structures privées, des initiatives publiques sont également mentionnées. Les auteurs se montrent particulièrement critiques envers les « centres de réintégration et citoyenneté », dont l’approche collective et « autoritaire » serait vouée à l’échec.

Dans la conclusion de ce petit livre, Asiem El Difraoui expose les courants universitaires qui s’affrontent autour du phénomène djihadiste. Les travaux d’Olivier Roy, Scott Atran, François Burgat et Gilles Kepel sont ainsi brièvement décrits. L’auteur ne cherche pas à faire une « synthèse molle » entre ces différents chercheurs. Il ne cache pas sa préférence pour Gilles Kepel, sous la direction duquel il a d’ailleurs effectué ses recherches doctorales. Pour finir, El Difraoui esquisse quelques pistes pour combattre Daech, qu’il considère comme une « secte eschatologique ». Il prône une « approche holistique », qui inclurait notamment une « réfutation idéologique » et une lutte contre les inégalités socio-économiques. En d’autres termes, la bataille est encore loin d’être gagnée.

Marc Hecker

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Embarras de la gauche sur l'immigration

Le Monde Diplomatique - Tue, 09/05/2017 - 16:48

La stratégie conservatrice visant à opposer les plus démunis entre eux est parvenue à faire de l'immigration une question décisive pour nombre de Français. Aubaine pour la droite, cette situation impose à la gauche d'évoluer sur un terrain miné… et la divise.

Théo Haggaï – de la série « Cailloux » http://theo-haggai.tumblr.com/

L'immigration divise les principaux candidats à l'élection présidentielle en deux camps : ceux qui font de son rejet leur fonds de commerce et ceux que le sujet embarrasse. Très prolixes, les premiers attribuent aux étrangers toutes sortes de problèmes, du chômage au terrorisme, de la crise des finances publiques au manque de logements, de l'insécurité aux sureffectifs dans certaines salles de classe. Pour y remédier, ils préconisent des mesures radicales. Mme Marine Le Pen (Front national, FN) s'engage à supprimer le droit du sol, à sortir de l'espace Schengen, à instaurer la préférence nationale et à systématiser les expulsions d'étrangers en situation irrégulière. M. François Fillon (Les Républicains) promet pour sa part de durcir les règles du regroupement familial, de conditionner les aides sociales à deux ans de présence sur le territoire, de supprimer l'aide médicale de l'État ou encore de faire voter par le Parlement des quotas annuels d'immigrés par origines nationales — une rupture avec les principes en vigueur depuis l'ordonnance du 2 novembre 1945, selon laquelle la faculté d'assimilation des étrangers dépendait non pas de leur origine, mais de leurs caractéristiques individuelles.

Face à cette surenchère, le camp des embarrassés se contente de propositions floues et parfois incohérentes. Dans un entretien accordé à l'hebdomadaire protestant Réforme, M. Emmanuel Macron, le candidat du mouvement En marche !, déclare que « l'immigration se révèle une chance du point de vue économique, culturel, social (1)  ». Or cette ligne ne se retrouve pas dans son programme présidentiel : il évoque surtout le droit d'asile — que la droite promet de durcir, mais pas de supprimer —, prévoit de « reconduire sans délai » les déboutés dans leur pays, mais laisse largement de côté les autres migrations.

MM. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ne se montrent guère plus précis. S'appuyant exclusivement sur les cas des réfugiés climatiques et politiques, le candidat de La France insoumise entend « lutter contre les causes des migrations ». Quant au prétendant socialiste, s'il a souvent critiqué la politique migratoire du gouvernement de M. Manuel Valls, regrettant que la France ne se montre pas plus solidaire des réfugiés, son programme peine à assumer cette ligne : outre la sempiternelle promesse du Parti socialiste (PS) — jamais tenue — d'accorder le droit de vote lors des élections locales aux étrangers non communautaires, il se borne à proposer la création de « visas humanitaires » dont les contours et les modalités d'attribution ne sont pas définis. Rien sur les immigrés économiques et les clandestins, qui sont au cœur des discours de la droite.

Cette discrétion a ses raisons. De l'Américain Donald Trump au Hongrois Viktor Orbán, des défenseurs britanniques du « Brexit » au Mouvement 5 étoiles italien, de l'Union démocratique du centre (UDC) en Suisse à l'Alliance néoflamande (Nieuw-Vlaamse Alliantie, N-VA) en Belgique, du FN en France au parti Droit et justice (PiS) en Pologne, les partis et dirigeants qui s'opposent à l'arrivée d'étrangers ont depuis quelques années le vent en poupe dans la plupart des pays occidentaux. Tous doivent une bonne partie de leur succès à l'électorat populaire. En France, le FN séduit surtout dans les « zones fragiles (2)  », où les jeunes sans diplôme sont nombreux et les taux de chômage et de pauvreté très élevés. Au Royaume-Uni, le « Brexit » a fait des adeptes essentiellement dans les régions durement frappées par la mondialisation et la désindustrialisation, tandis que la plupart des partisans du maintien dans l'Union vivaient dans les grandes agglomérations dynamiques. Le référendum suisse de février 2014, qui a vu une majorité d'électeurs se prononcer contre « l'immigration de masse », a lui aussi révélé un clivage entre zones rurales et urbaines. Quant à M. Trump, s'il a été boudé par les couches supérieures et les minorités des côtes Est et Ouest, il a triomphé au sein des classes populaires blanches.

En 2017, Jean-Luc Mélenchon ne prône plus l'accueil des étrangers

Dans ce contexte, la crainte de se mettre à dos l'électorat populaire à cause d'un programme qui paraîtrait trop favorable à l'immigration semble avoir gagné M. Mélenchon. Lors de la précédente élection présidentielle, sans aller jusqu'à défendre explicitement la liberté d'installation, il s'était présenté avec une liste de mesures d'ouverture : rétablissement de la carte unique de dix ans, abrogation de toutes les lois votées par la droite depuis 2002, régularisation des sans-papiers, fermeture des centres de rétention, décriminalisation du séjour irrégulier… « L'immigration n'est pas un problème. La haine des étrangers, la chasse aux immigrés défigurent notre République : il faut en finir, affirmait son programme L'Humain d'abord. Les flux migratoires se développent dans le monde, ils mêlent des motivations diverses. La France ne doit pas les craindre, elle ne doit pas mépriser [leur] immense apport humain et matériel. »

En 2017, la ligne a changé. M. Mélenchon ne prône plus l'accueil des étrangers. « Émigrer est toujours une souffrance pour celui qui part, explique le 59e point de sa nouvelle plate-forme. (…). La première tâche est de permettre à chacun de vivre chez soi. » Pour cela, le candidat propose rien de moins qu'« arrêter les guerres, les accords commerciaux qui détruisent les économies locales, et affronter le changement climatique ». Ce changement de pied a divisé le camp progressiste, dont une frange défend l'ouverture des frontières, à laquelle M. Mélenchon s'oppose désormais (3). Figure du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), M. Olivier Besancenot dénonce cette « partie de la gauche radicale [qui] aime se conforter dans les idées du souverainisme, de la frontière, de la nation », tandis que M. Julien Bayou, porte-parole d'Europe Écologie - Les Verts, qui soutient le candidat socialiste Benoît Hamon, accuse le candidat de La France insoumise de « faire la course à l'échalote avec le Front national ».

Défendue par le NPA et par une myriade d'organisations militantes — le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), l'association Migreurop, le Réseau éducation sans frontières… — ou issues du christianisme social — Cimade, Secours catholique… —, qui ont en commun de refuser la distinction entre réfugiés et immigrés économiques, la cause de la liberté de circulation tire argument de l'échec des politiques de fermeture : ni l'agence européenne Frontex, ni les contrôles douaniers, ni les accords de sous-traitance avec la Turquie ou la Tunisie n'empêchent les migrants d'entrer en Europe. Mais ils les contraignent à la clandestinité et les rendent particulièrement vulnérables à toutes les formes d'exploitation. La liberté d'installation permettrait aux étrangers de réclamer légalement de meilleures conditions de travail, afin de ne pas faire pression à la baisse sur les salaires.

L'amélioration du niveau de vie dans les pays de départ ne fixe pas les populations

Pour compléter sa démonstration, le NPA avance le caractère « économiquement bénéfique (4)  » de l'immigration. Même si, de la part d'un parti révolutionnaire, l'argument peut surprendre, de nombreuses études montrent bien en effet que l'immigration n'est pas un coût, mais un bénéfice pour l'État comme pour les entreprises. Selon une étude menée par les économistes Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, et coéditée en 2012 par le quotidien Les Échos, la présence des immigrés entraînerait une contribution budgétaire nette positive : souvent jeunes et en bonne santé, ils paient davantage d'impôts et de cotisations qu'ils ne reçoivent de prestations sociales (5). Dans un rapport salué par le cahier économique du Figaro, le cabinet McKinsey estimait que les immigrés « contribuent à près de 10 % de la richesse mondiale », notamment parce que la main-d'œuvre étrangère est très profitable aux entreprises. Le mensuel Capital (mars 2015) détaille : « La flexibilité est le premier atout de la main-d'œuvre immigrée. (…) Dans d'autres secteurs, c'est leur côté “durs à la tâche” qui rend les travailleurs immigrés si précieux. » Troisième atout « de ces employés venus d'ailleurs : ils n'hésitent pas à faire les boulots méprisés par les autochtones. Les premières à s'en féliciter sont les entreprises de nettoyage. Pour vider les poubelles des bureaux, la connaissance du français n'est pas vraiment indispensable ». L'immigration est d'autant plus « économiquement bénéfique » que le système reste profondément inégalitaire…

Les partisans révolutionnaires de l'ouverture des frontières ne cautionnent évidemment pas l'exploitation patronale des travailleurs immigrés. Leur dessein de libre installation se projette dans un monde où les États-nations auraient disparu. Cette perspective fait peu de cas de l'état présent du rapport de forces : « Une nouvelle conscience est en train de se forger de part et d'autre des frontières au sein de la jeunesse et des classes populaires, des travailleurs de toutes origines, langues et couleurs de peau, nourrie par la révolte et la solidarité internationale », annonçait en octobre 2016 un texte du NPA (6). Elle s'appuie en outre sur une rhétorique d'une radicalité absolue — « Nous sommes avec les migrants, contre la police, contre l'État et tous ceux et celles qui collaborent à sa politique. (…) Nous défendons le droit de prendre et d'occuper ce que l'État refuse d'accorder (7)  » — qui, dans le contexte actuel, semble présager des scores confidentiels lors des élections.

Théo Haggaï – de la série « Cailloux » http://theo-haggai.tumblr.com/

M. Mélenchon, lui, souhaite dépasser le PS dans les urnes. Pour y parvenir, il n'hésite plus à mettre en cause l'immigration économique : « Pour l'instant, il n'y a pas moyen d'occuper tout le monde, alors je préfère le dire », a-t-il notamment lancé sur France 2 le 11 mars. Après avoir réaffirmé son attachement à l'accueil des réfugiés, il a ajouté : « Les gens qui aujourd'hui sont en France et n'ont pas de papiers, s'ils ont un contrat de travail et qu'ils sont au boulot, qu'ils payent leurs cotisations, alors je leur donne des papiers, et à tous. (…) Les autres, je suis obligé de leur dire : “Écoutez, je ne sais pas quoi faire. Arrêtez de dire que vous nous donnez un coup de main, parce qu'on a le monde qu'il faut.” Et surtout, je dis : “Il faut arrêter de partir [de votre pays d'origine].” »

Aujourd'hui, les immigrés économiques représentent une minorité des étrangers arrivés chaque année en France, loin derrière les personnes admises au titre du regroupement familial, les réfugiés politiques ou les étudiants en échange international (lire « Émigrés, immigrés, réfugiés »). Or, à moins de revenir sur certains accords internationaux, comme la convention de Genève de 1951 pour les réfugiés ou la convention européenne des droits de l'homme de 1953 concernant le regroupement familial — ce que M. Mélenchon n'envisage pas —, ces autres contingents, majoritaires, sont difficilement compressibles.

Un ralentissement de l'immigration économique n'aurait donc qu'un impact très limité sur les flux migratoires. Mais il revêtirait une fonction symbolique importante, celle de réfuter les accusations de laxisme, tout en permettant de se distinguer de la droite, qui, elle, propose l'expulsion de tous les clandestins et déboutés du droit d'asile. Toutefois, M. Mélenchon accrédite implicitement l'idée d'un lien entre immigration économique et chômage, ce que l'histoire et les comparaisons internationales semblent invalider : au début des années 1930, la France a pratiqué l'expulsion massive des étrangers, sans remédier en rien au manque d'emplois ; des pays comme le Canada comptent de nombreux immigrés économiques, mais très peu de chômeurs. De plus, régulariser uniquement les clandestins titulaires d'un contrat de travail risque de s'avérer périlleux, puisque la condition de sans-papiers contraint justement à travailler au noir…

Le projet de lutter contre les causes des migrations par l'enrichissement des pays de départ se heurte, à court terme, au principe connu sous le nom de « transition migratoire ». L'amélioration du niveau de vie — qui favorise la baisse de la mortalité infantile et le rajeunissement de la population —, les gains de productivité — qui libèrent la main-d'œuvre — et l'augmentation des revenus ne fixent pas les populations : ils accroissent le réservoir des candidats à l'émigration, davantage de personnes pouvant assumer le coût physique et matériel de l'exil. D'après un modèle établi par la Banque mondiale, quand le revenu des habitants (en parité de pouvoir d'achat) d'un pays est situé entre 600 dollars (comme en Éthiopie) et 7 500 dollars (Colombie ou Albanie) par an, l'augmentation des revenus encourage l'émigration. Puis, une fois ce seuil franchi, l'effet s'inverse. Au rythme de 2 % de croissance annuelle des revenus, il faudrait au Niger ou au Burundi plus de cent trente ans, et au Cambodge plus de soixante ans, pour passer ce cap (8).

M. Besancenot voit dans les nouvelles positions de M. Mélenchon une « régression pour la gauche radicale ». Le candidat de La France insoumise lui réplique qu'il se situe « dans la tradition de [son] mouvement ». Tous deux ont, d'une certaine manière, raison…

À la fin du XIXe siècle, alors que la Grande Dépression (1873-1896) frappait la France, la gauche affichait un discours uni et cohérent sur l'immigration. Elle combinait une critique théorique décrivant la main-d'œuvre étrangère comme un outil pour maximiser les profits du patronat et une analyse pratique sur la nécessaire alliance entre travailleurs français et immigrés contre ce même patronat. « Les ouvriers étrangers (Belges, Allemands, Italiens, Espagnols) chassés de leurs pays par la misère, dominés et souvent exploités par des chefs de bande, ne connaissent ni la langue, ni les prix, ni les habitudes du pays, sont condamnés à passer par les conditions du patron et à travailler pour des salaires que refusent les ouvriers de la localité », écrivaient par exemple Jules Guesde et Paul Lafargue dans le programme du Parti ouvrier de 1883. Même s'ils déploraient « les dangers nationaux et les misères ouvrières qu'entraîne la présence des ouvriers étrangers », ils ne réclamaient pas la fermeture des frontières : « Pour déjouer les plans cyniques et antipatriotiques des patrons, les ouvriers doivent soustraire les étrangers au despotisme de la police (…) et les défendre contre la rapacité des patrons en “interdisant légalement” à ces derniers d'employer des ouvriers étrangers à un salaire inférieur à celui des ouvriers français » (9). Cette ligne théorique et pratique fut celle des principaux partis de gauche pendant les décennies de croissance du XXe siècle — dans les années 1900-1920, puis pendant les « trente glorieuses ».

Les fractures sont apparues dans les temps de crise. Au début des années 1930, alors que le chômage explose, des voix s'élèvent pour réclamer l'expulsion des étrangers ; des pétitions, des lettres sont envoyées aux élus pour demander la préférence nationale. En novembre 1931, le socialiste Paul Ramadier présente à la Chambre un texte qui prévoit de stopper l'immigration et de limiter à 10 % la proportion d'étrangers par entreprise. Alors député communiste, Jacques Doriot lui porte la contradiction : il dénonce des « mesures xénophobes », une « politique nationaliste qui a pour but de diviser les ouvriers en face du capital ». Pour défendre son parti, le dirigeant socialiste Léon Blum parle de « palliatifs empiriques qui ménagent le mieux les intérêts de la classe ouvrière » et évoque « les difficultés et les contradictions du réel » (10).

Un discours dont les failles sont exploitées par le Front national

La crise qui s'ouvre dans les années 1970 produit de nouvelles dissensions. À l'approche de l'élection présidentielle de 1981, les communistes multiplient les mises en cause de l'immigration. Dans L'Humanité, le journaliste Claude Cabanes s'alarme des problèmes sociaux et culturels auxquels sont confrontées les banlieues dirigées par le Parti communiste français (PCF) : « Tous ces déséquilibres, aggravés par les difficultés dues à la baisse du pouvoir d'achat, au chômage, à l'insécurité, rendent la cohabitation [entre Français et immigrés] difficile », écrit-il le 30 décembre 1980. Quelques jours plus tard, le 6 janvier 1981, Georges Marchais, le secrétaire général du Parti, prononce un discours qui fera date : « Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine, assène-t-il. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français et immigrés. » Les socialistes reprennent alors la position jadis occupée par les communistes. « On ne peut pas isoler la population immigrée de l'ensemble de la classe ouvrière, affirme un texte programmatique publié dans l'hebdomadaire L'Unité, le 19 décembre 1980. (…) C'est tout le parti qui doit se mobiliser sur les principes de base de l'internationalisme et du front de classe » (11).

MM. Mélenchon et Besancenot s'inscrivent ainsi tous deux dans la tradition du mouvement progressiste, dont ils reprennent à la fois le meilleur et le pire. Le premier tente de prendre en compte les difficultés que l'immigration pose spécifiquement aux classes populaires, mais se laisse gagner par la rhétorique des expulsions et du surnombre. Le second reste fidèle à l'internationalisme, mais promeut une lecture idéologique qui paraît en décalage avec les aspirations des couches moyennes et populaires fragilisées par l'austérité et la mondialisation, et rendues ainsi perméables à la stratégie du bouc émissaire.

Ces failles sont exploitées par le FN, qui cherche à se reconvertir en « parti du peuple » grâce à une lecture sociale de l'immigration. À l'instar du chroniqueur Éric Zemmour, qui lui-même renvoie au géographe de « la France périphérique » Christophe Guilluy, il oppose les « élites » urbaines, diplômées, favorables à une immigration dont elles seraient protégées, et le « peuple », en concurrence avec des étrangers pour obtenir un emploi, un logement social, une place en crèche, et auquel il promet la « préférence nationale ». « Ce sont les couches populaires qui prennent en charge concrètement la question du rapport à l'autre », écrit par exemple Christophe Guilluy (12).

Cette analyse appelle de multiples nuances. Le marché de l'emploi étant très segmenté, les secteurs qui embauchent essentiellement des étrangers (nettoyage, bâtiment, restauration…) sont peu convoités par les travailleurs nationaux. De même, la ségrégation urbaine est telle que les immigrés se retrouvent souvent en concurrence avec d'autres immigrés pour obtenir un appartement dans les banlieues des grandes villes ou une place en crèche. Enfin, comment expliquer que le FN obtienne d'excellents scores dans des zones où l'on ne croise presque aucun étranger, sinon par le fait que la concurrence est en partie imaginaire, construite par les discours publics ?

Des lois et des directives organisent la mise en concurrence des travailleurs

Il est toutefois exact que les classes aisées ne portent qu'un regard extérieur et lointain sur l'immigration. Les saisonniers étrangers risquent peu de priver d'emploi des diplômés de Sciences Po ou des journalistes, tout comme le recours aux travailleurs détachés ne préoccupe guère les cadres supérieurs ou les artistes. Et les habitants des quartiers huppés ont moins de chances de voir ouvrir dans leur rue un foyer pour travailleurs étrangers.

Mais les écarts sociaux dans le rapport à l'immigration ne sont pas le fruit d'une fatalité. Ils résultent bien souvent de lois, de politiques urbaines, de décisions politiques qui organisent la mise en concurrence des travailleurs français et immigrés, ou qui protègent les classes supérieures de la concurrence étrangère. Le travail au noir contribue à la dégradation des conditions d'emploi. Or il prolifère à mesure que l'inspection du travail est démantelée, les employeurs sachant alors qu'ils ont très peu de risque d'être sanctionnés. Il n'y aurait pas de travailleurs détachés sans la directive européenne du 16 décembre 1996, ni de saisonniers si le code du travail n'offrait pas cet avantage aux employeurs. Contrairement à leurs prédécesseurs des « trente glorieuses », bon nombre d'immigrés contemporains possèdent des titres universitaires, des qualifications. S'ils en viennent à chercher des emplois déqualifiés, c'est faute de politique d'apprentissage du français, de système d'équivalence juridique des diplômes, d'ouverture de certaines professions (13). Alors qu'un étranger peut facilement devenir maçon ou caissier, accéder au métier d'architecte, de notaire ou d'agent de change relève du parcours du combattant. Il fut un temps où les maires communistes de banlieue déploraient que « les pouvoirs publics orientent systématiquement les nouveaux immigrés » vers leurs villes et exigeaient « une meilleure répartition des travailleurs immigrés dans les communes de la région parisienne », tout en précisant que leurs municipalités continueraient d'« assumer leurs responsabilités » (14). Aujourd'hui, les foyers pour travailleurs immigrés sont surtout installés dans des quartiers populaires, et plus personne ne s'en étonne.

La droite se réjouit chaque fois que l'immigration s'invite dans le débat politique : il lui suffit, comme elle le fait depuis trente ans, de dérouler son discours de peur, ses mesures répressives. La gauche n'est toutefois pas condamnée aux programmes flous et contradictoires. Mais, pour formuler des propositions précises, une analyse cohérente, elle doit accepter d'engager la bataille idéologique, en renversant les questions que les médias et « l'actualité » lui jettent à la figure.

(1) « Migrants, politique migratoire et intégration : le constat d'Emmanuel Macron », Réforme, Paris, 2 mars 2017.

(2) Hervé Le Bras, Le Pari du FN, Autrement, Paris, 2015.

(3) « Je n'ai jamais été pour la liberté d'installation, je ne vais pas commencer aujourd'hui », a-t-il notamment expliqué au journal Le Monde (24 août 2016).

(4) Denis Godard, « Politique migratoire : Y a pas d'arrangement… », L'Anticapitaliste, Montreuil, 24 novembre 2016.

(5) Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, L'immigration coûte cher à la France. Qu'en pensent les économistes ?, Eyrolles - Les Échos éditions, coll. « On entend dire que… », Paris, 2012.

(6) Isabelle Ufferte, « À travers la mondialisation de la révolte émerge une nouvelle conscience de classe… », Démocratie révolutionnaire, 27 octobre 2016.

(7) L'Anticapitaliste, 24 novembre 2016.

(8) Michael Clemens, « Does development reduce migration ? » (PDF), Working Paper no 359, Center for Global Development, Washington, DC, mars 2014.

(9) Jules Guesde et Paul Lafargue, Le Programme du Parti ouvrier, son histoire, ses considérants et ses articles, Henry Oriol Éditeur, Paris, 1883.

(10) Cité dans Claudine Pierre, « Les socialistes, les communistes et la protection de la main-d'œuvre française (1931-32) », Revue européenne des migrations internationales, vol. 15, n° 3, Poitiers, 1999.

(11) Cité dans Olivier Milza, « La gauche, la crise et l'immigration (années 1930 - années 1980) », Vingtième siècle, vol. 7, no 1, Paris, juillet-septembre 1985.

(12) Christophe Guilluy, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, coll. « Champs actuel », Paris, 2014.

(13) Cf. Yaël Brinbaum, Laure Moguérou et Jean-Luc Primon, « Les ressources scolaires des immigrés à la croisée des histoires migratoires et familiales », dans Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon (sous la dir. de), Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France, Institut national des études démographiques (INED), coll. « Grandes enquêtes », Paris, 2016.

(14) « Déclaration des maires communistes de la région parisienne et des députés de Paris », octobre 1969.

« Mon voisin vote Front national »

Le Monde Diplomatique - Tue, 09/05/2017 - 16:48

Combattre un parti impose-t-il de condamner ceux qu'il a réussi à séduire ? Un militant de longue date de diverses organisations antiracistes d'extrême gauche interroge les formes de lutte dont il a usé, sans succès, contre le Front national. Son témoignage aide à comprendre comment celui-ci a réussi à devenir l'un des acteurs décisifs de la prochaine élection présidentielle française.

Max Neumann. – Sans titre, 2015 www.maxneumann - Galerie Bernard Vidal - Nathalie Bertoux, Paris

J'ai participé dans la joie, l'élan, l'impression de servir, à des coups de poing contre les meetings du Front national (FN), à la dénonciation d'« affaires » où il était impliqué, à des démonstrations « expertes » de l'incohérence de ses programmes, etc. Ces indignations n'empêchent pas les votes Le Pen. On peut même se demander si le sentiment de supériorité morale de ces archanges exterminateurs qui ne connaissent pas un seul « votant » Le Pen, pas un seul adhérent FN, et les imaginent possédés par des passions basses, brutales, effrayantes, ne témoigne pas surtout de leur propre « racisme de classe » (1).

Deux exemples parmi tant d'autres. La Ligue des droits de l'homme titre son communiqué du 15 novembre 2013 : « Conjurons la bêtise et le cynisme, refusons la haine et le racisme ! » et dénonce « une bêtise et une ignorance infiltrant tous les rouages de la vie sociale ». Dans l'édition du 11 février 2012 de La Règle du jeu, Romain Goupil invite à « une insulte par jour contre le Front national », qui « rassemble toute la France moisie et rance » ; il propose « qu'on se lâche… N'essayons plus de convaincre ! ».

21 avril 2002, 18 heures. Nous sommes à la Mutualité à Paris, vidés, soucieux, après une campagne exaltée. Instants flottants, deux heures d'incertitude et d'anxiété. Les militants rassemblés s'impatientent.

Vingt heures, résultats définitifs. Le Pen devance Jospin ! Nous rejoignons l'assemblée générale, consternés, renversés, déçus presque aux larmes, réduits à rien par l'ennemi qui triomphe, mais d'un coup si proches. L'Internationale, nous la crions presque, plusieurs fois, poings levés, à pleine gorge tendue.

Les chants, les slogans dissuadent « ceux qui n'en sont pas ». Mais ils renforcent aussi (surtout ?), chez « ceux qui en sont », la communion, les certitudes partagées. Qui se trouve là ? Quelques salariés de rang moyen, trop intellectualisés et en porte-à-faux ; des professionnels de l'action sociale confrontés aux limites et aux redéfinitions de leurs tâches, qu'ils contestent ; des syndicalistes trop oppositionnels pour « parvenir » ; des étudiants surtout militants ; des « intellectuels » trop absorbés dans des activités politiques pour être intellectuels de plein exercice ; des enseignants qui auraient eu l'agrégation s'ils ne s'étaient pas engagés à corps perdu en politique, etc.

Je me souviens du reste de la nuit comme d'une féerie. Nul ne sait qui passe le mot. Serrés, comprimés, direct en bagnole. Direction Odéon : à quarante, puis cinquante, puis cent, deux cents, vite rejoints par d'autres, Ras l'Front, libertaires, étudiants, écolos, communistes. Pour faire quoi ? Nous ne savons pas. Être là contre Le Pen. Mais comment ? Nous n'en savons rien. Être là, juste là. Rassemblés par un identique désarroi, révulsés par ce « vote des Français » qui met en cause toutes les valeurs indiscutées, toutes les croyances indiscutables, qui font nos vies. Être là, « que du bonheur, ça commence, on sait pas où ça s'arrête », dit Sophie, prof des écoles, Sud-Éducation, vingt ans de Ligue (2), qui passait de groupe en groupe à la Mutualité, répétant : « S'il arrive au pouvoir, on est dans les camps, sûr. » Une sorte de standing-ovation de nous-mêmes, revendiquant ce droit d'être « exactement comme nous sommes », dit Françoise, infirmière, commission LGBT (3).

Immobilisé dans un espace en déclin

Nous nous tenons chaud, nous « tenons bon ». Ceux qui arrivent, beaucoup les connaissent, les embrassent, se serrent dans leurs bras longtemps, peinent à rompre l'étreinte. Les regards sont d'une tendresse affligée et remercient les voisins. Ils disent la reconnaissance.

Nous sommes vite des milliers, un tourbillon. Certains rappliquent à vélo, le sang aux joues, certains s'enveloppent de drapeaux, les brandissent, les déposent sur des bancs, les laissent là, des couples se tiennent la main, il y a des enfants. Où allons-nous ? Dans cette mêlée, à l'improviste, débordant sur les trottoirs à peine nettoyés, nous ne savons pas, nous ne l'avons jamais su, partant là, ici, enthousiastes dans des rues latérales, farandole perdue qu'on applaudit des balcons, cette nuit tiède. Il fait bon vivre là, irrités, meurtris, furieux, mais apaisés dans cette chaleur sombre. Arnaud, la quarantaine, un biologiste qui défend le Deep Web (4), me dit : « Les gens sont trop beaux pour Le Pen. »

La nuit blanchissait, devenait rose. Cette longue marche aigre et allègre s'étala sur les 10e, 11e et sur les contreforts des 12e et 20e arrondissements, rassemblant des manifestants affranchis de la nécessité de se lever tôt. Dans les quartiers populaires ou au-delà du périphérique, personne n'en entendit parler. Nulle part ailleurs il n'y en eut de semblable. Sur leurs territoires d'élection, de résidence, d'affinités, manifestèrent ceux qui, sous l'effet du vote Le Pen, se sentaient tout d'un coup étrangers au monde social qu'ils espéraient conquérir. Ceux qui votent FN ne nous ont pas vus. Ils n'habitent pas nos quartiers.

Depuis trois ans, nous habitons l'Aisne, ma compagne et moi, entre Chauny, Soissons, Noyon, Vic-sur-Aisne, entre champs de betteraves et forêts, des perdrix, des faisans. Un hameau de vingt maisons. Hors deux couples qui s'invitent, personne ne fréquente personne (beaucoup de retraités restent cloîtrés). Nous avons pour quasi- voisins, à dix minutes de route, Éric et Anissa. Le frère d'Éric nous a vendu des meubles de ferme. « Les citronniers, c'est mon rêve », dit Éric, « fana de serres » : « Dans ta serre, t'oublies tout, t'as plus de con qui vient te casser. (…) Des citronniers, le père d'Anissa en fait, ça tient, il est dans sa serre H24, je l'adore, ça lui fait rappeler son pays. »

Éric, 48 ans, est ouvrier qualité dans l'emballage industriel, polyester, PVC plastifié. Avant, il a travaillé pendant seize ans chez Saint-Gobain, mais à Soissons : « Tout ce qu'est verre, c'est foutu. » Anissa — dont les parents sont venus du Maroc dans les années 1970 — est vendeuse dans l'habillement. Elle a 43 ans. Elle a été licenciée trois fois car les boutiques fermaient. Elle a « souvent envie de pleurer » de ne pas voir assez ses « deux puces », que son ex-mari, qu'elle a quitté du jour au lendemain pour Éric, lui laisse à son avis trop peu. Anissa et Éric sont mariés, économisent et achètent en location-vente « une vraie maison, une en pierre », dit Anissa. Au boulot, Éric a des stagiaires, mais « à peine s'ils t'écoutent, y en a que pour leurs trucs vidéo, ils se droguent… L'autre fois, y en a un qui me dit si je pouvais lui faire un mail pour qu'il voie comment marche la machine… Je venais de lui dire : il a pas d'oreilles ou il me prend pour un con ». Est-ce que la boîte va tenir ? « C'est tout amerloque, même l'accueil, t'y comprends que dalle et ça licencie, ça licencie, personne empêche. »

Éric et Anissa nous donnent des laitues, des courges, des radis. On leur donne des noix, des framboises. On prend des apéros. Éric, un soir, m'a dit avoir « longtemps été un peu raciste », mais qu'il ne l'est plus depuis qu'ils sont allés au Sénégal (au Club Med, leur seul voyage). Le soir, c'était des parties de dominos « à plus en dormir » avec le personnel de l'hôtel, « des mecs balaises ». Ce qui l'avait « rendu un peu raciste », c'est qu'Anissa a « failli se faire revirer, parce qu'elle a accepté le chèque d'un Noir, un jeune, une grosse somme en plus, mais c'était un faux… Pourtant elle a demandé la carte d'identité ».

Une fin d'après-midi dans sa serre, l'air s'était alourdi sur la fertilité grasse du sol — mais nous avions enquillé les verres —, Éric me dit : « Tu répètes pas à Anissa, vu que t'es parisien, elle veut pas qu'on te dise, j'ai voté Marine, moi, deux fois… Quand je l'entends, elle me fout les poils cette femme… Je sais pas, c'est comme elle parle des Français, t'es fier… Le parti à la Marine, dans le coin, je connais des gens qu'il a bien aidés… J'étais près de payer ma cotise et tout, mais j'ai arrêté, même de voter… On a été fâchés un an pour ça avec Thierry et Marie-Paule… Elle, c'est une rouge, elle bosse au collège, à la cantine… Moi j'étais pas fâché, c'est une connerie… Ils voulaient plus nous voir. Toi, tu te fâcherais pour ça ? Tu trouves que c'est grave, toi ? »

Je n'ai pas répondu, j'étais ivre, et dans la senteur âcre, profonde, des verdures de la serre, j'étouffais. Je n'ai pas trouvé ça grave non plus. Peut-être parce que mon existence s'était resserrée autour de ce hameau isolé ? Peut-être parce que, depuis trois ans, des militants, je n'en vois plus autant ? De « 100 % militant », je suis devenu « militant en retrait », moins pris par les groupes auxquels j'ai donné tant. Peut-être parce qu'avec la reconnaissance dans le milieu restreint où ma vie militante est « validée », je n'ai plus à prouver que je suis un militant modèle ? Peut-être parce qu'Éric est une de ces personnes qu'on quitte en étant de meilleure humeur ?

À chaque aller-retour à Leclerc ou Carrefour, je croise des gens sans le sou, abandonnés. Alentour, des routes au goudron troué, des départementales parfois fermées… Dans les bourgs traversés, il n'y a plus ni bureau de poste, ni médecins, ni infirmières, ni pharmacie, quasiment plus de bistrots, pas d'accès Internet, mais des magasins clos et parfois, aux fenêtres, des drapeaux bleu, blanc, rouge. Des classes de primaire et des églises ferment. Les associations de sport mettent la clé sous la porte. Les sociétés de chasse et les majorettes se renouvellent mal. Le volume des impayés EDF (5) explose. Les jeunes s'enfuient dès qu'ils peuvent. Les dénonciations de voisins au centre des impôts augmentent, les violences intrafamiliales et les « dragues » des filles à la limite de l'agression aussi. Pas d'emplois. Dans chaque village, des maisons anciennes et détériorées, en vente. À Noyon, Chauny, Compiègne, Soissons, hiver après hiver, des trains sont supprimés. Dans la campagne, les cars circulent de moins en moins.

Les lieux de rencontre se disloquent

Et puis, à l'entrée des bourgs, des panneaux jaune vif, un œil (iris bleu ciel) au centre, avec l'avertissement « Voisins vigilants » (les cambriolages sont pourtant exceptionnels). Ici, tout se dégrade continuellement depuis vingt ans. Ce ne sont pas seulement les lieux de rencontre qui se disloquent (faute de gens pour s'en occuper) ; les moyens d'y accéder disparaissent eux aussi : les routes, l'argent, les réseaux d'accès. Les communes entre Chauny, Soissons, Noyon, Vic (sauf rares ghettos de riches) sont quasi ruinées. Les anciens sont trop pauvres pour secourir leurs enfants, et les enfants sont trop pauvres pour secourir leurs parents. C'est dans ce contexte que le FN réalise des scores élevés (6).

Le frère aîné d'Éric a hérité de la ferme familiale de cent vingt hectares. Éric lui donne des coups de main. Ils ont résisté mais se résignent à vendre. Seule la vaste monoculture de betteraves rapporte. Les petits exploitants se débarrassent comme ils peuvent des terres, achetées à bas coût par les gros propriétaires (dont les familles contrôlent fréquemment les mairies). Éric et son frère ont trois chevaux. Ils ne savent qu'en faire : cela coûte trop. La location-vente est un investissement lourd. Les travaux de rénovation de leur maison sont arrêtés. Pour Anissa comme pour Éric, le chômage menace. Dans leur hameau et aux environs, les voisins sont des personnes âgées pauvres ou des salariés sans travail (souvent un sur deux dans chaque couple). Mais ceux qu'ils appellent des « Parisiens », et qui semblent « se la couler douce », habitent là aussi : des familles de cadres ou de professions libérales (en poste à Compiègne, Soissons, Amiens), qui rachètent pour leur « caractère » (et leur prix) des bâtiments de ferme (qu'ils refont). Au travail, Éric estime qu'il n'est pas respecté par « les jeunes » : pourtant, il s'occupait d'une équipe de cadets, mais son club de foot a fusionné avec un autre. À vivre là, immobilisé dans un espace en déclin, impuissant face à l'écroulement d'un monde qui ne « tient plus », alors qu'il avait cru pouvoir s'en sortir (de la ferme) et que son territoire se peuple de « Parisiens », comment Éric pourrait-il se sentir « fier » ?

Le vote d'Éric, je ne l'ai pas trouvé « grave ». Je l'aurais spontanément détesté le 21 avril, invectivé même, le jugeant « super grave ». Mais je peine aujourd'hui à voir en lui l'« ennemi principal ».

(1) Cf. Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, « Racisme et racisme de classe », Critiques sociales, n° 2, Treillières, décembre 1991.

(2) NDLR. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR), à laquelle a succédé en 2009 le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).

(3) NDLR. Lesbiennes, gays, bi et trans.

(4) NDLR. Partie du Web non indexée par les moteurs généralistes.

(5) NDLR. Électricité de France.

(6) Dans l'Aisne, aux élections régionales de 2015, la liste « Marine Le Pen » est arrivée en tête avec 43,5 % des suffrages exprimés, contre 25 % pour la liste de droite conduite par M. Xavier Bertrand, qui l'a emporté au second tour grâce à un report massif des votes de gauche.

Lire le courrier des lecteurs dans notre édition de mars 2017.

Espoirs et simulacres du changement en Iran

Le Monde Diplomatique - Tue, 09/05/2017 - 10:19

Le nouveau Parlement iranien comptera moins d'ultraconservateurs. Mais le jeu électoral masque l'étroitesse des transformations sociales envisageables. En entretenant les espoirs de changement, les modérés et les réformateurs qui soutiennent le président Hassan Rohani espèrent faire évoluer sans rupture un régime dont la force tient aujourd'hui davantage au ferment national qu'au ciment islamique.

Moment festif, l'anniversaire de la révolution du 11 février donne lieu à un grand défilé populaire auquel on participe en famille. Photographies de Philippe Descamps, février 2016.

« Ni vaincu ni soumis ! » En ce 11 février 2016, la foule s'anime autour d'un turban blanc. Le président Hassan Rohani vient de rejoindre le cortège de la fête annuelle de la révolution sur l'avenue Azadi, l'une des principales artères de Téhéran. Le slogan repris en chœur reflète la lecture de l'accord sur le nucléaire (1) faite par la « rue » ; ou, du moins, par le petit peuple resté fidèle au régime, qui marche dans une atmosphère plus proche de la kermesse que du défilé révolutionnaire. Cette occasion de prendre un bain de foule tombe à pic pour le chef de file des « modérés » après ses succès diplomatiques et à la veille des élections législatives des 26 février et 29 avril.

La presse officielle comptera des « millions » d'Iraniens convergeant vers la place de la Liberté. Plusieurs centaines de milliers, c'est certain. On retrouve le traditionnel culte de la personnalité, avec les effigies des deux Guides, l'ayatollah Rouhollah Khomeiny (mort en 1989) et son successeur Ali Khamenei, ou des pancartes hostiles à Israël et aux Etats-Unis. Mais on est bien loin de l'ambiance d'il y a vingt ou même dix ans, quand les comités de quartier orchestraient la parade contre l'« arrogance occidentale ». Beaucoup se promènent en famille. Les plus jeunes portent des casquettes tricolores ou affichent les couleurs du drapeau sur leurs joues. Dans les haut-parleurs comme sur les pancartes, les harangues islamiques sont exceptionnelles, tandis que partout on célèbre la grandeur de l'Iran. Nul ne peut échapper à son « retour » sur la scène internationale. Non seulement parce que le pays qui appartenait naguère à l'« axe du Mal » négocie avec les plus grands, mais aussi parce que — comme un tardif écho à la révolution — ses alliés libanais, irakien, syrien ou yéménite marquent des points dans un conflit régional qui ne dit pas son nom.

Fête de la révolution, Téhéran. Téhéran sous la neige se pavoise pour la fête de la révolution.

« Vous voyez, c'est payant, nous lance une femme, la quarantaine, devant une échoppe. N'allez pas raconter que l'on distribue de la nourriture aux gens pour qu'ils viennent ! » Le propos est ferme, mais prononcé avec le sourire ; et les betteraves cuites sont délicieuses… L'ambiance reste bon enfant. Aux stands des humoristes succèdent ceux des chanteurs. Après un spectacle de danse folklorique arrive une « attraction » des gardiens de la révolution, qui reconstituent l'arrestation de marins américains en perdition dans le Golfe, le 12 janvier dernier. On revient vite aux mimes, puis aux chants patriotiques, avant de découvrir le stand… de la Bourse, qui voisine avec celui de l'Office des privatisations ! En permanence, les appareils photographiques crépitent. Les très rares étrangers sont assaillis de propos de bienvenue et de demandes d'égoportraits. Au loin apparaît un missile dressé sur la chaussée. Juste devant, trois jeunes homosexuels affichent sans crainte leur orientation au milieu du cortège (2), tandis que les forces de l'ordre se font des plus discrètes. Une fusée (civile) et un drone (militaire) marquent l'entrée de la place où une femme dans la trentaine, habillée à l'occidentale, vient nous résumer cette matinée : « Quand on a des problèmes à l'intérieur, il est important de se montrer unis à l'extérieur. »

« Un million dans la rue, peut-être, mais cinquante millions contre ! » Mme Sajida L. (3) et son mari Nasim L. boudent toujours la fête de la révolution. Militants de la gauche laïque, ils ont participé activement au renversement de l'ancien régime, en 1979, avant d'être jetés dans les geôles de la République islamique de 1983 à 1990. Entre deux verres de vin — que de nombreuses familles fabriquent à domicile pour contourner l'interdit de l'alcool —, M. Nasim L. décrit le dilemme des militants de gauche à la veille des élections : « Je défends une forme d'écosocialisme, associant développement durable et justice sociale. Mais nous, les progressistes, n'avons pas d'autre choix aujourd'hui que de donner la priorité à la seule bataille des libertés en votant pour les moins conservateurs, qui essayent de réduire les pouvoirs du Guide. »

Une mollahrchie constitutionnelle Philippe Descamps & Cécile Marin, 1er mai 2016

« Nous n'ignorons pas que certains réformateurs préconisent des recettes toujours plus libérales et qu'il n'y a pas beaucoup de différences entre les programmes sociaux des candidats, ajoute Mme Sajida L. Mais le plus important serait de respirer un peu, de bâtir les fondements d'une vraie démocratie, d'essayer de reconstruire des syndicats, des associations. Certes, le régime a perdu l'essentiel de sa base populaire. Mais on a vu également le “mouvement vert (4)” retomber très vite, à cause de la répression bien sûr, et aussi parce qu'il n'était porté que par les couches moyennes. Les jeunes ne sont pas prêts à faire une nouvelle révolution. » Sur le plan social, elle place quelques espoirs dans l'approche « inclusive » du président Rohani, élu en 2013 : « Une amie a besoin d'un médicament très onéreux contre le cancer. Si elle peut être soignée, c'est grâce à Rohani, qui a facilité les importations et augmenté la couverture par l'assurance-maladie. »

Dans un pays où l'expression d'une pensée critique passe par un jeu de cache-cache avec les autorités, les militants progressistes vont nous aider à démêler les simulacres des authentiques changements, en éclairant plusieurs facettes de l'Iran dont il est rarement question. Chez de nombreuses personnes interrogées avant le scrutin, y compris à l'occasion de rencontres informelles, revient avec constance une expression : « On nous donne le choix entre le mauvais et le pire. »

L'amertume de la « génération brûlée »

M. Pouya T. accompagnera son fils, qui votera pour la première fois (et pour les « mauvais »), mais lui ne peut se résigner à déposer un bulletin dans l'urne : « Ultraconservateurs, modérés, réformateurs : les étiquettes ne veulent pas dire grand-chose. Tous étaient déjà au pouvoir dans les années 1980 et se sont sali les mains. » Ces militants de la gauche laminée par la répression ne peuvent oublier les années volées ou les massacres des prisons de 1988, qui firent plusieurs milliers de morts (5). L'actuel Guide suprême était alors président, le candidat réformateur de 2009, M. Mir Hossein Moussavi, était premier ministre et M. Ali Hachémi Rafsandjani était commandant en chef des armées… Depuis son passage par la présidence de la République (1989-1997), ce dernier fait figure de « pragmatique », champion de la libre entreprise. L'épuisement de l'idéologie de la « révolution mondiale de l'islam » a favorisé la diffusion parmi les élites d'une représentation néolibérale du monde, dont témoignent la plupart des publications autorisées. En dépit de ses 82 ans, de son enrichissement ostentatoire ou de l'affaire de corruption qui a conduit son fils en prison, M. Rafsandjani demeure le personnage-pivot de la vie politique. Aujourd'hui rangé parmi les « modérés », il a fait alliance avec M. Rohani et obtenu le soutien des réformateurs proches de l'ancien président Mohammad Khatami (au pouvoir de 1997 à 2005).

Comme beaucoup de ceux qui disent appartenir à la « génération brûlée », née dans les années 1970, M. Pouya T. observe les contradictions de son pays et de sa capitale d'un œil tantôt triste, tantôt narquois, fait d'attachement et de dérision. Cette mégapole de plus de treize millions d'habitants est défigurée par des centaines de kilomètres d'autoroutes engorgées en permanence ; la pollution occulte un merveilleux décor de montagnes. Tout en slalomant sur la chaussée, M. Pouya T. recense les tours construites par les bonnes grâces d'une banque centrale qui rémunère généreusement les dépôts sans regarder d'où peut provenir l'argent. Résultat : un secteur bancaire intérieur hypertrophié en dépit des sanctions internationales, une inflation galopante (autour de 15 % en 2015) et une bulle immobilière qui a fini par éclater. L'économie informelle prospère, et l'absence d'impôt sur le patrimoine ou sur les revenus financiers favorise la croissance rapide des inégalités. Les prix des appartements en donnent une mesure : autour de 7 000 euros le mètre carré sur les hauteurs tempérées du nord de la ville et à peine quelques centaines d'euros dans le sud, aux portes du désert. Tout peut s'acheter : pour l'équivalent de 4 500 euros, un étudiant entre à l'université avec une simple admissibilité et sans avoir réussi le concours ; pour échapper au service militaire, qui dure dix-huit mois, il faut payer environ 3 500 euros pour un bachelier, 8 500 euros pour un médecin (6). Et l'on s'arrange toujours avec la doctrine : ainsi, les prêts sont devenus des « facilités » et l'usure, interdite en 1983, fut constamment pratiquée avant de se généraliser à partir des années 2000 sous l'appellation de «  profit escompté » (7).

Féroce répression du trafic de drogue

Un réel militantisme politique restant impossible, beaucoup préfèrent s'investir dans le secteur associatif. La présidence Khatami a été marquée par l'émergence de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG). Elles réapparaissent après une période difficile durant celle de M. Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). Mme Azadeh G. nous fait visiter un centre implanté dans les quartiers sud, les plus pauvres : un lieu d'entraide où l'on peut apprendre à coudre, à gérer son budget ou sa maison. Sans réserve, un groupe de parole nous accepte. Sous la conduite d'un psychologue, on vient ici chercher des solutions pour ses problèmes de couple, de relations au travail ou dans la famille. Le plus frappant est l'absence de tout repère religieux. Tout le monde vit avec les références institutionnelles islamistes, mais rares sont ceux qui y adhèrent encore en tant qu'idéologie politique. La foi regagne la sphère de l'intime. Si le recul du collectif a favorisé le repli sur soi, de nombreuses actions témoignent d'un retour de la solidarité, comme cette autre association implantée dans une ville périphérique qui aide à la scolarisation précoce des enfants d'origine afghane afin de faciliter leur intégration.

Dans la périphérie sud de Téhéran, une association de solidarité organise la scolarisation précoce des plus pauvres, essentiellement originaires d'Afghanistan.

Beaucoup d'organisations viennent en aide aux personnes dépendantes de la drogue ou à leurs proches. Dans celle que nous visitons, une vingtaine de familles sont accompagnées en liaison avec les services médicaux qui surveillent le sevrage. Mme Farideh D., la responsable, a elle-même été mariée à un toxicomane : « Aujourd'hui, je me sens utile. J'ai donné un sens à ma vie. » Là encore, on ne parle pas de religion : « C'est par humanisme que nous nous engageons, pas par devoir. »

« La consommation de drogue devient massive, observe Nasser Fakouhi, anthropologue de l'université de Téhéran. Le phénomène est comparable à celui de l'alcool en Union soviétique. Stimulants ou tranquillisants, les toxiques permettent de s'évader, et en définitive d'accepter sa situation. » Près de trois mille morts par an seraient liées aux stupéfiants (8), tandis que, selon son délégué au Conseil économique et social des Nations unies, l'Iran représenterait à lui seul 74 % des saisies mondiales d'opium et 25 % des saisies d'héroïne et de morphine (9). Les deux mille kilomètres de frontière commune avec l'Afghanistan, principal pays producteur de pavot, favorisent grandement les importations et le transit. Mais l'Iran devient aussi un gros fabricant de drogues chimiques, en particulier du « cristal », une variante de métamphétamine. La lutte contre ce trafic justifie aux yeux des autorités une répression féroce. La plupart des 977 condamnés à mort exécutés en 2015 — un record depuis 1989 — l'ont été pour des infractions relatives à la législation sur les drogues. Et plusieurs milliers de détenus, dont certains étaient mineurs au moment de leur arrestation, attendraient leur pendaison (10).

Plombier à la retraite, M. Cyrius F. préside une union de quartier, toujours dans le sud de Téhéran. Il observe la dégradation sociale et ses conséquences : « Ces habitations traditionnellement ouvrières ont vu déferler des vagues de chômeurs venant de l'industrie, puis celles du bâtiment après l'éclatement de la bulle. L'économie grise explose, tout comme les trafics, en particulier la vente de drogue dans les jardins publics. » Seul signe positif à ses yeux, l'émergence de mouvements de contestation et de revendications salariales : ouvriers du pétrole, enseignants, infirmiers. Mais il ne voit guère de convergence des luttes, avec toujours cet horizon du choix entre « le mauvais et le pire ».

L'ayatollah Mohammed Emami-Kashani devant le bureau de vote de la mosquée de Tajrich. Figure conservatrice de l'assemblée des experts, il avait appelé les Iraniens de tous bords à voter pour « repousser l'ennemi », février 2016.

D'origine modeste, veuve d'un syndicaliste connu dans les années 1970, Mme Zoreh V. voit les choses sous un autre angle et prend du recul : « Il y a trente ans, j'étais la seule de ma famille à ne pas être pratiquante, la seule à savoir lire et écrire. Mes enfants, neveux et nièces, eux, sont tous diplômés de l'université. Ils réfléchissent par eux-mêmes. Le niveau de vie a augmenté, la fécondité a été divisée par trois, tout le monde peut voyager. On peut critiquer la priorité donnée au libre choix du consommateur, l'absence de perspective plus citoyenne ou plus égalitaire. Mais la situation concrète s'est améliorée et les gens ont de moins en moins peur de dire ce qu'ils pensent. » Chez les anciens militants progressistes, les débats sur les acquis de la révolution sont âpres, tant les conquêtes sociales dans la santé, l'éducation ou le logement ont été plus qu'écornées depuis. En dépit des souffrances endurées, Mme Sajida L. concède que, « même si on l'insulte aujourd'hui, l'imam Khomeiny aura sa place dans l'histoire », en particulier pour avoir tenu tête à l'Amérique et à Saddam Hussein (11).

On retrouve un discours pas si lointain dans les quartiers huppés du nord de Téhéran. Lors d'une soirée au sein de la haute bourgeoisie qui envoie ses enfants étudier aux Etats-Unis, les mets traditionnels iraniens sont accompagnés de vodka ou de whisky. Ces chefs d'entreprise attendent beaucoup de l'ouverture économique et apprécient le président Rohani, sa « finesse », son « habileté à composer avec l'appareil étatique tenu par le Guide ». Toutefois, le discours philo-occidental n'est pas du tout incompatible avec l'affirmation de la souveraineté nationale, en particulier dès qu'il s'agit de la rivalité avec l'Arabie saoudite.

Durant une campagne très courte, le moindre village est visité par les candidats et leurs convois de supporters. Plusieurs centaines de femmes étaient candidates aux élections législatives, y compris dans les circonscriptions les plus rurales, comme dans le Loristan.

La campagne électorale est courte, très courte. Dans les montagnes de Zagros, elle prend des allures de Tour de France. Le Conseil des gardiens de la Constitution arrête définitivement la liste des prétendants à la députation huit jours avant le scrutin. La moitié des 12 000 candidats ont été écartés et, avec les désistements, il en reste un peu plus de 5 000… pour 290 sièges à l'Assemblée consultative. Ils ont une semaine pour se faire connaître. Le moindre village de quelques âmes voit défiler les caravanes de supporteurs. Une voiture couverte d'affiches ouvre le cortège, suivie par le candidat, qui tend la main aux badauds, et par plusieurs dizaines d'autres véhicules, qui abusent de leurs avertisseurs sonores dans un décor austère, entre deux bancs de neige. Les affichettes envahissent le moindre poteau, tandis que plusieurs échoppes sont reconverties en locaux de campagne. On vient y boire du thé, commenter l'actualité, entre hommes… Aussi limité soit-il, ce jeu électoral était ici inimaginable il y a moins de vingt ans. Les routes n'existaient pas, l'électricité n'arrivait pas. Le gaz, lui, n'est disponible que depuis quatre ans, alors que les températures descendent fréquemment au-dessous de — 15° C en hiver. La modernité a surgi brutalement, bouleversant la région des Lors, une ethnie encore largement nomade. Sur les alpages où ils plantaient leurs tentes s'érigent des villages permanents en béton. Entre-temps, l'Iran est devenu un pays essentiellement urbain, les villes ont vu leur population quasiment tripler depuis la révolution.

En l'absence d'isoloir et face à un mode de scrutin complexe, les électeurs s'entraident devant un bureau de vote de Téhéran.

Le régime s'adapte, joue sur la saturation plutôt que sur l'interdiction. On l'avait déjà observé dans le domaine des médias avec l'éclosion de nombreuses chaînes nationales ou émettant depuis l'étranger (12) : contrôlées par des proches du pouvoir, elles s'appuient sur le divertissement pour capter l'attention et faire diversion. En matière politique, et en l'absence de véritables partis structurés, il n'y a pas vraiment de débat sur d'éventuels programmes, mais l'électeur est submergé par l'offre. Exemple à Téhéran, où 1 200 candidats se présentaient pour seulement trente postes. Dans les bureaux de vote, implantés généralement dans une école ou une mosquée, l'électeur se voit remettre un tableau de trente cases dans lequel il doit inscrire sans faute trente noms et trente numéros. Il n'y a pas d'isoloir et chacun doit s'installer comme il peut devant la liste officielle qui égrène par ordre alphabétique les centaines de candidats. Dans la pratique, la tâche est quasiment impossible. Les deux grandes tendances diffusent donc leur liste avec les moyens du bord. Les plus prévoyants ont amené leur petit carton ; les autres consultent leur téléphone ou leur voisin. Il n'a pas été difficile de comprendre que le bureau que nous avons pu visiter votait très majoritairement pour la « liste de l'espoir » menée par le réformateur Mohammad Reza Aref, qui a fait élire ses trente candidats. En dépit du filtrage de l'accès à Internet, les réseaux sociaux, utilisés par des millions d'Iraniens, ont mobilisé dans la capitale. Sur Instagram ou Telegram, la photographie la plus partagée ce 26 février représentait un doigt maculé d'encre indélébile avec un pansement et cette légende : « Je vote quand même, en espérant ne pas me blesser comme la dernière fois. »

Des banques occidentales toujours réticentes

Le second tour du 29 avril devait donner sa physionomie définitive au Parlement. Déjà, les modérés ont engrangé quelques succès, plusieurs figures des ultraconservateurs ayant été écartées, à l'image du président de l'Assemblée des experts, l'ayatollah Mohammad Yazdi. Cette assemblée élue, en même temps que la Chambre basse, pour huit ans pourrait jouer un rôle important, car il lui revient de nommer le futur Guide en cas de démission, révocation ou décès de l'actuel, âgé de 76 ans et de santé fragile. Mais ce signal ne vaut pas victoire d'un camp sur l'autre, les deux tendances étant également représentées, tandis que la plupart des réformateurs ont été écartés du scrutin. Le pouvoir peut s'enorgueillir d'avoir suscité autant d'intérêt et de participation (lire « Vers une réconciliation ? »). Les villes ont voté pour le changement, mais pas les régions les plus déshéritées, et beaucoup des élus faisant figure de modérés ont longtemps été considérés comme des conservateurs. En outre, les institutions accordent suffisamment de pouvoir aux mollahs pour orienter les choix à venir concernant tout ce qui touche aux affaires étrangères, à la politique et à l'économie. Le président Ahmadinejad s'était rendu populaire en distribuant une allocation de ressources aux plus pauvres et en faisant construire « un million » de logements pour les sans-toit. Mais il a organisé en parallèle la privatisation d'une bonne partie de l'important secteur public au bénéfice de fondations et d'autres structures contrôlées par les gardiens de la révolution.

Renforcée par les urnes, la position des « modérés » deviendra vite fragile si l'accord sur le nucléaire tarde à produire ses effets dans la vie quotidienne. Certes, le pays a commencé à récupérer une petite partie des avoirs gelés et augmente ses exportations de pétrole. Mais les projets de contrats avec des entreprises européennes (Airbus, Peugeot, Renault, Siemens, etc.) butent encore sur les réticences des banques occidentales, qui craignent toujours de tomber sous le coup de la justice américaine. Car la levée des sanctions internationales ne concerne pas les mesures de rétorsion prises dès les années 1980 par les seuls Etats-Unis, et toujours énergiquement défendues au Congrès. Le président Barack Obama a affirmé que son pays allait « remplir sa part » de l'accord. Mais, tout en s'engageant à « éclaircir (13) » les règles régissant les transferts internationaux pour faciliter les échanges, le sous-secrétaire d'Etat Thomas Shannon a rapidement dû préciser que cela ne signifiait pas un accès au système financier américain pour l'Iran.

Les tractations diplomatiques sont loin d'être achevées et Téhéran voit défiler les entrepreneurs occidentaux, y compris l'américain Boeing. L'ouverture économique n'ira pas sans risque pour un appareil de production qui, bâti dans un contexte d'embargo, avait permis à l'Iran de réduire sa dépendance au pétrole (environ 25 % des ressources budgétaires). Dans le palais des Quarante Colonnes d'Ispahan, symbole du rayonnement de la grande Perse, l'infini jeu des miroirs encourage à se méfier des apparences. En dépit d'une rhétorique sociale et d'une idéologie islamiste, l'Iran s'inscrit dans la marche du monde et dans les tourments de la modernité, avec peut-être un goût prononcé pour la dissimulation.

(1) Lire « Un accord qui ouvre le champ des possibles en Iran », Le Monde diplomatique, mai 2015.

(2) La loi permet de changer de sexe, mais l'homosexualité reste passible de la peine de mort et a servi de prétexte par le passé à l'exécution d'opposants.

(3) Pour assurer la liberté de parole de nos interlocuteurs, nous avons dû leur garantir un parfait anonymat. Tous les prénoms ont été changés.

(4) Mouvement qui contestait la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad en 2009.

(5) La fatwa de l'ayatollah Khomeiny visait principalement les Moudjahidins du peuple, dont les responsables étaient passés du côté irakien, mais de nombreux militants de la gauche laïque périrent également. Cf. Geoffrey Robertson, The Massacre of Political Prisoners in Iran, 1988, Abdorrahman Boroumand Foundation, Londres, 2011.

(6) Bien que difficile à évaluer compte tenu du poids de l'économie informelle, le salaire moyen est d'environ 300 euros par mois.

(7) Ramine Motamed-Nejad, « Monnaie et illégalisme. Genèse des protestations monétaires en Iran (1979-2013) », Revue de la régulation, n° 18, Paris, automne 2015.

(8) « Rapport mondial sur les drogues », Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Vienne, 2014.

(9) Conseil économique et social des Nations unies, Genève-New York, session du 8 avril 2015.

(10) « La peine de mort dans le monde », rapport 2015, Amnesty International.

(11) En septembre 1980, le président irakien décida d'attaquer l'Iran, qu'il pensait affaibli par la révolution de 1979. La guerre dura huit ans et fit probablement plus d'un million de morts.

(12) Lire « Le pouvoir iranien perd la main sur les médias », Le Monde diplomatique, juillet 2011.

(13) Agence France-Presse, 5 avril 2016.

La question allemande. Histoire et actualité

Politique étrangère (IFRI) - Tue, 09/05/2017 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Hans Stark, Secrétaire général du Cerfa à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Lucien Calvié, La question allemande. Histoire et actualité (Éditions du Cygne, 2016, 144 pages).

Germaniste de formation, professeur émérite à l’université Jean Jaurès de Toulouse, Lucien Calvié livre un essai consacré à l’histoire et à l’actualité de « la question allemande » qui fait froid dans le dos. L’auteur affirme qu’il a « essayé d’examiner […] les conditions et les modalités de la marche de l’Allemagne, à partir de 1949, vers une forme renouvelée d’hégémonie européenne, débouchant sur un retour à une politique de puissance à l’échelle de la politique mondiale ». Le double leitmotiv de cet ouvrage est donc la continuité entre le IIe, puis le IIIe Reich, et l’Allemagne d’aujourd’hui d’une part, et sa quête de puissance et d’hégémonie d’autre part.

Pour défendre son propos, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère, puisqu’il estime, se répétant, qu’on « assiste désormais à la révélation progressive d’une nouvelle grande puissance allemande, agissant de façon autonome à l’échelle européenne ». Il s’insurge contre la naïveté et les erreurs françaises : on n’aurait pas compris que « le projet européen était pour l’Allemagne, après les atrocités nazies, surtout un moyen de réhabilitation et de reconstruction. Cet objectif ayant été atteint en 1990, l’Allemagne est désormais passée à l’échelon supérieur de l’hégémonie, dans l’Union européenne et de la puissance mondiale en devenir ». Or « l’Allemagne impose son inexorable contrainte à la majeure partie de l’Union européenne, et Bruxelles n’est vue que comme un relais ou prête-nom de Berlin, une manière de kommandantur bruxelloise des années 1940 dans une version plus civilisée ».

De cette réflexion, l’auteur passe à une lettre ouverte écrite par Jean-Christophe Cambadélis à la mi-juillet 2015 (à propos du traitement allemand de la Grèce) qui, selon lui, « a le mérite, sur un ton retenu, de poser la question, généralement passée sous silence, de la continuité entre l’Allemagne hitlérienne et celle de Merkel, Schäuble et même du social-démocrate Sigmar Gabriel ». Cette continuité explique aussi les inquiétudes de l’auteur, qui souligne « qu’au xxe siècle, l’Allemagne s’est plutôt distinguée par son non-respect des traités internationaux », constatation qui l’amène à évoquer « la question tout de même inquiétante – en raison des fortes capacités budgétaires du pays, le budget militaire de l’Allemagne étant aujourd’hui déjà supérieur, chose peu connue, à celui de la France – d’un possible armement nucléaire pour l’Allemagne »… Or pour l’auteur, cette question se pose d’autant plus que les Allemands, après l’unification, sont responsables de la « destruction de la Yougoslavie », de la « mise à genoux financière et politique de la Grèce », et d’un « interventionnisme agressif en Ukraine » dirigé contre « le pouvoir légal en place », « afin de régler leurs comptes avec la Russie ». Il va sans dire que l’auteur regrette beaucoup l’acceptation par les alliés de l’unification allemande, menée « au pas de charge », et concédée à Gorbatchev pour « refiler le problème allemand aux Occidentaux ». Ainsi, pour Lucien Calvié, « l’unification allemande apparaît comme un élément majeur d’une montée générale en Europe des revendications régionalistes, autonomistes, séparatistes, communautaristes, indépendantistes et nationalistes ».

Voilà. On comprend bien que si l’Europe va aussi mal, c’est la faute de l’Allemagne. Il faut donc d’urgence reconstruire la ligne Maginot. Vite, bien, mais surtout pas à l’ancienne.

Hans Stark

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East China Sea: 4 China Coast Guard Vessels Enter Territorial Sea Near Disputed Islands

TheDiplomat - Tue, 09/05/2017 - 02:34
Japan claims this is the 12th incursion by Chinese vessels in the East China Sea to date this year.

Japan Dispatches Biggest Warship to Protect US Navy Vessel, Putting New Security Law to Work

TheDiplomat - Tue, 09/05/2017 - 01:00
Japan has issued its first order to protect a U.S. Navy warship under the country’s new security legislation.

In Zimbabwe, UNICEF Goodwill Ambassador calls for more protection of child victims of sexual violence

UN News Centre - Mon, 08/05/2017 - 23:41
Drawing attention to the harrowing traumas of child victims of sexual violence, a Goodwill Ambassador for the United Nations Children’s Fund (UNICEF) has called for greater recognition of the fact that it is “not OK” for children to be touched inappropriately as well as for raising awareness among youngsters that under-age sex can lead to pregnancy or sexually transmitted diseases.

Consultations on migration compact begin; UN envoy urges policies that reject ‘us vs. them’ tactics

UN News Centre - Mon, 08/05/2017 - 23:26
A lack of trust leads to increased intolerance and xenophobia, the United Nations envoy on international migration told UN Member States told, calling on Governments to review and put in place effective migration policies that reject an “us vs. them” mentality between national and migrants.

Soft Power: Russian and American University Students Find Common Ground

Foreign Policy Blogs - Mon, 08/05/2017 - 23:00

Students from Volgograd Institute of Management and American University.

With Kseniia Zheleznikova, assistant at the Department of Corporate Management and head of non-formal education in the Project Laboratory, at the Russian Academy of National Economy and Public Administration (RANEPA)’s Volgograd Institute of Management.

While formal ties between Russia and the United States are uncertain, Kseniia Zheleznikova’s students at the Volgograd Institute of Management engaged American students in some diplomatic bridge-building.

Zheleznikova was a delegate to Open World Leadership Program last year. She spent a week in Cleveland, Ohio, living with an American family and working with political communications professionals. In Washington, she joined a tour of the Library of Congress with American University’s Jim Quirk. They decided they should get their students together on Skype.

Russian students asked their American peers about political engagement in student government and local government. American students asked about Russia’s perspectives on Syria, President Trump, and the economy. Students at both universities are engaged in climate change issues and the environment. Each campus has held recent clean-up activities near parks and rivers, and both universities recently held film festivals focused on the environment.

Students also talked about more relaxed topics, like what kinds of things they do for entertainment—sports, movies, music, parties, and more.

After the videoconference, each group talked about the benefits of this kind of event. For most of the American and Russian students, it was their first activity of this kind. The planned 30-minute call extended to over an hour, and the students were eager to continue the conversation.

Russian students were impressed with the American students’ direct involvement in international and domestic policy issues—many worked on the 2016 presidential campaign and intern with Members of Congress. The Russian students emphasized the importance of personal and professional development, through efforts such as the scientific extracurricular activities available on campus. They wanted more informal seminars, joint projects conferences, and perhaps online academic competitions.

Finally, they noted the value of these “face-to-face” meetings: broadening horizons, fighting stereotypes, establishing professional ties, and insights that help shape personal and career strategies.The American students were similarly excited by the personal and professional nature of the exchanges, and look forward to continuing the conversation.

President Trump has proposed massive budget cuts to the Department of State and other “soft power” programs. But programs like Open World that sent Zheleznikova and her colleagues to the United States, and other U.S. government programs that have sent Quirk to Bosnia, Serbia, and other Balkan nations, help form relationships at a personal level. Formal government and business relations are critical, of course. But connections among students—the future government, business, and cultural leaders in Russia and the United States—can help establish long-term relationships and shape positive opinions and perspectives of each other.

The students at RANEPA-Volgograd and American University are big beneficiaries from these kinds of conversations. The United States Government should work to make more of them, not fewer. The students of Zheleznikova and Quirk will do their part, at least.

Special thanks for expert translation during the videoconference go to Dr. Ekaterina Stepanova, associate professor of the Department of Linguistics and Intercultural Communication, Volgograd Institute of Management.

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Soft Power: Russian and American University Students Find Common Ground

Foreign Policy Blogs - Mon, 08/05/2017 - 23:00

Students from Volgograd Institute of Management and American University.

With Kseniia Zheleznikova, assistant at the Department of Corporate Management and head of non-formal education in the Project Laboratory, at the Russian Academy of National Economy and Public Administration (RANEPA)’s Volgograd Institute of Management.

While formal ties between Russia and the United States are uncertain, Kseniia Zheleznikova’s students at the Volgograd Institute of Management engaged American students in some diplomatic bridge-building.

Zheleznikova was a delegate to Open World Leadership Program last year. She spent a week in Cleveland, Ohio, living with an American family and working with political communications professionals. In Washington, she joined a tour of the Library of Congress with American University’s Jim Quirk. They decided they should get their students together on Skype.

Russian students asked their American peers about political engagement in student government and local government. American students asked about Russia’s perspectives on Syria, President Trump, and the economy. Students at both universities are engaged in climate change issues and the environment. Each campus has held recent clean-up activities near parks and rivers, and both universities recently held film festivals focused on the environment.

Students also talked about more relaxed topics, like what kinds of things they do for entertainment—sports, movies, music, parties, and more.

After the videoconference, each group talked about the benefits of this kind of event. For most of the American and Russian students, it was their first activity of this kind. The planned 30-minute call extended to over an hour, and the students were eager to continue the conversation.

Russian students were impressed with the American students’ direct involvement in international and domestic policy issues—many worked on the 2016 presidential campaign and intern with Members of Congress. The Russian students emphasized the importance of personal and professional development, through efforts such as the scientific extracurricular activities available on campus. They wanted more informal seminars, joint projects conferences, and perhaps online academic competitions.

Finally, they noted the value of these “face-to-face” meetings: broadening horizons, fighting stereotypes, establishing professional ties, and insights that help shape personal and career strategies.The American students were similarly excited by the personal and professional nature of the exchanges, and look forward to continuing the conversation.

President Trump has proposed massive budget cuts to the Department of State and other “soft power” programs. But programs like Open World that sent Zheleznikova and her colleagues to the United States, and other U.S. government programs that have sent Quirk to Bosnia, Serbia, and other Balkan nations, help form relationships at a personal level. Formal government and business relations are critical, of course. But connections among students—the future government, business, and cultural leaders in Russia and the United States—can help establish long-term relationships and shape positive opinions and perspectives of each other.

The students at RANEPA-Volgograd and American University are big beneficiaries from these kinds of conversations. The United States Government should work to make more of them, not fewer. The students of Zheleznikova and Quirk will do their part, at least.

Special thanks for expert translation during the videoconference go to Dr. Ekaterina Stepanova, associate professor of the Department of Linguistics and Intercultural Communication, Volgograd Institute of Management.

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Task of eradicating poverty must be met 'with a sense of urgency,' says deputy UN chief

UN News Centre - Mon, 08/05/2017 - 22:18
Eradicating poverty remains the greatest global challenge, United Nations Deputy Secretary-General Amina Mohammed said today, calling for a collective and comprehensive approach that recognizes the multidimensional nature the issue and its interaction with other aspects.

PODCAST: Saving ‘the blue heart of the planet’ with Sylvia Earle

UN News Centre - Mon, 08/05/2017 - 21:24
As a little girl, Sylvia Earle, today perhaps the world’s best known woman marine scientist, literally fell head over heels in love with the ocean.

Indonesia Wants Global War on Illegal Fishing

TheDiplomat - Mon, 08/05/2017 - 21:18
The Southeast Asian state wants illegal fishing to be declared a transnational crime.

India, Russia 5th Generation Fighter Jet Deal to Be Signed ‘Soon’

TheDiplomat - Mon, 08/05/2017 - 21:15
India and Russia have so far failed to conclude a work-sharing agreement for the co-development of a new fighter jet.

Globalization with Chinese Characteristics: A New International Standard?

TheDiplomat - Mon, 08/05/2017 - 21:13
As the US focuses inward, China promotes its own take on globalization.

Lawyer Says Suits Against Media Organizations in Kyrgyzstan Suspended

TheDiplomat - Mon, 08/05/2017 - 20:51
A lawyer has asked the Constitutional Chamber to examine the constitutionality of recent libel cases against media.

Nigeria: Welcoming release of 82 Chibok girls, UN urges support for their rehabilitation

UN News Centre - Mon, 08/05/2017 - 20:50
Welcoming Saturday’s release of 82 of the schoolgirls abducted from the Nigerian town of Chibok by the Boko Haram insurgent group three years ago, the United Nations has called for continued global support for the country’s efforts to release, rehabilitate and reintegrate all Boko Haram victims.

Taiwan Detains Chinese Fishermen in Latest Cross-Strait Spat

TheDiplomat - Mon, 08/05/2017 - 19:50
Two of the seven fishermen were injured by rubber bullets after resisting inspection by the Taiwan Coast Guard.

More than one million children have fled escalating violence in South Sudan – UN

UN News Centre - Mon, 08/05/2017 - 19:01
The escalating conflict in South Sudan had driven more than one million children out of the country, the United Nations announced today, warning that the future of a generation is ‘on the brink.’

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