Un absent notable… sur la photo de famille à la réunion informelle des ministres de la Défense, dans la cour du Palais du Grand maitre à Malte (crédit : présidence maltaise de l’UE)
(B2) Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a fait ses adieux à ses collègues européens après cinq années intensives passées à la tête du ministère de la Défense et sur la question de la défense européen. C’est ainsi un des piliers du Conseil qui s’en va.
Le ministre est, en effet, le vétéran du Conseil, selon nos éléments (lire Les ministres de la défense de l’UE (et de l’OTAN). Qui est qui ?) précédant de peu la Néerlandaise Jeanine Plaschaert (nommée en novembre 2012).
Des efforts peu récompensés
Européen convaincu, le Breton n’aura pas ménagé sa peine pour voir avancer une défense plus européenne, à l’occasion de réunions mais aussi d’innombrables déplacements dans les capitales européennes. Mais la bonne volonté et l’ambition n’ont pas suffi. Et, du côté français, même si personne ne l’avoue officiellement, c’est plutôt la déception qui est au rendez-vous et une certaine amertume qui domine. Certes sur de nombreux sujets – le financement de la recherche de défense, le renforcement des capacités militaires dans les pays tiers (CBSD), la clause de solidarité, la coopération structurée, les battlegroups, etc. – des avancées ont pu être engrangées. Mais on pourrait parler plutôt de déblocage conceptuel, d’avancées politiques, dans les concepts, qui restent encore à mettre en œuvre et à renforcer.
Une évolution trop lente par rapport aux réalités
La réalité, c’est que les Européens ont évolué… à leur rythme. Mais les évolutions de la sécurité du voisinage ont été plus rapides, plus prégnantes et plus menaçantes. Les hésitations et tergiversations européennes dans un monde tournoyant n’étaient plus de mise. Et la situation mondiale aurait exigé une réaction et des prises de décision beaucoup plus rapides et plus fortes.
Une sorte de déprime européenne à Paris
Du coup, les Français se sont résignés à agir seuls, quitte à se voir rejoints ensuite par les Européens. Il y a ainsi une sorte de déprime européenne à Paris où, désespérant de voir les Européens agir, on préfère désormais travailler en bilatéral, avec les Britanniques d’un côté, les Espagnols de l’autre (sur l’opération Barkhane par exemple), ou les Allemands par ailleurs et, de façon générale, avec les frères d’armes africains, moins argentés mais beaucoup plus décidés. Entre la France et les Européens, c’est un peu un amour déçu à contretemps : quand l’un veut, l’autre ne veut pas ; quand l’autre se ravise et veut bien, le premier est parti ailleurs.
Le bilatéral plutôt que le collectif européen
Du côté militaire, c’est très clair en tout cas. Un officier français préférera travailler avec un Britannique, dont il partage certaines conceptions, à commencer par un certain héritage historique de l’intervention en premier… qu’avec des Européens. « C’est compliqué, c’est lent et, au final, peu efficace » est le leitmotiv, le plus souvent entendu dans les rangs non seulement des officiers du rangs mais également des officiers supérieurs à Paris, jusqu’au premier d’entre eux, le chef d’état-major, Pierre de Villiers. Et cette sentence est devenue également le sentiment dominant dans l’entourage de Le Drian. Le ministre s’est d’ailleurs bien gardé de faire une apparition devant la presse à Malte. Une certaine prudence normale pour éviter d’être pris au piège de déclarations politiques dans un entre deux tours crucial pour l’avenir du ministre mais aussi peut-être pour ne pas devoir avouer face aux journalistes une certaine amertume européenne que, passés caméras et micros, à l’hôtel de Brienne (siège du ministère de la défense), on ne cache pas.
Un adieu qui est peut-être aussi un au-revoir
Le Drian a obtenu cependant un hommage appuyé de ses homologues européens. Interrogé par B2 pour savoir si c’était un adieu ou un au-revoir que les ministres lui avaient prononcé, la Haute représentante de l’Union a répondu, avec un sourire (et en français) « Les deux… Il a dit au-revoir. Et nous l’avons remercié car les résultats qu’on a eu dans cette dernière période sur le domaine de la sécurité et de la défense européenne sont aussi beaucoup grâce à la France et au travail du ministre Le Drian. Il a donc dit au revoir… Et on s’est dit peut-être à bientôt. Mais cela dépend d’autres dynamiques sur lesquelles je ne veux pas nécessairement commenter, plus liées à un calendrier électoral qu’à la défense européenne. »
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) Un policier a été tué, un autre a été grièvement blessé, et un troisième plus légèrement, sur la « plus belle avenue du monde », les Champs Élysées, jeudi soir (20 février), juste avant 21 heures. A trois jours du premier tour des élections présidentielles. l’évènement n’est pas anodin. Dans l’échange de tirs, une passante a été blessée.
Un combattant venant de Belgique
La police semblait délibérément visée par l’agresseur qui a arrêté son véhicule à hauteur des forces de l’ordre, sortant de son véhicule, pour tirer sur eux, à l’arme semi-automatique, selon les premiers éléments d’information – « un fusil d’assaut selon le procureur François Molins – (1). L’agresseur a été abattu (2). L’attentat a très vite été revendiqué par l’organisation de l’état islamique (Daesh), citant Abu Youssef al belgiki selon Wassim Nasr. C’est-à-dire un combattant venant de Belgique (3).
Un terrorisme assez classique
Au-delà de l’émotion première, on peut remarquer que cet acte — comme celui commis à Orly contre des militaires du dispositif Sentinelle samedi 18 mars 2017 – s’assimile au terrorisme classique s’en prenant aux représentants de l’État (4). D’un point de vue technique, il était tout à fait possible à l’agresseur de s’en prendre à la foule présente sur les Champs élysées. Ce qui aurait eu un effet autrement plus négatif en termes de nombre de victimes comme d’impact dans la population. Il a choisi de s’en prendre spécialement aux uniformes mais dans des endroits choisis, hautement symboliques et fréquentés par les touristes. L’objectif recherché est, ici, à double détente : dans un premier temps, marquer la possibilité de frapper à tout moment, contre des forces de l’ordre, dans un second temps, indiquer aux touristes que Paris n’est pas une ville sûre.
Solidarité européenne
Le commissaire européen chargé du terrorisme, le Britannique Julian King, a été un des premiers à réagir, se disant « choqué » par « le meurtre d’un policier à Paris et 2 blessés victimes d’une attaque terroriste ». « Mes pensées [vont] aux familles et [j’exprime ma] solidarité avec eux » a-t-il indiqué sur son compte twitter.
Choqué par le meurtre d’un policier à Paris et 2 blessés victimes d’une attaque terroriste. Mes pensées aux familles et solidarité avec eux.
— Julian King (@JKingEU) 20 avril 2017
Le Premier ministre belge Charles Michel a condamné cette « lâche et ignoble agression ».
Je condamne cette lâche et ignoble agression #paris #ChampsElysees soutien à la #france
— Charles Michel (@CharlesMichel) 20 avril 2017
L’ancien haut représentant de l’Union, l’Espagnol Javier Solana a aussi voulu exprimer « toute sa solidarité avec les Français ».
Toda mi solidaridad con Francia.
— Javier Solana (@javiersolana) 20 avril 2017
La chancelière allemande, Angela Merkel, a réagi par la voix de son porte-parole : adressant « ses condoléances » au président François Hollande. « Ma sympathie va aux victimes et à leurs familles » a-t-elle ajouté.
Nach Anschlag auf Polizisten in #Paris kondoliert Kanzlerin #Merkel Präs. @fhollande: Mein Mitgefühl gilt den Opfern + ihren Familien. (BPA)
— Steffen Seibert (@RegSprecher) 20 avril 2017
Le ministre allemand des Affaires étrangères a réagi sur twitter à ces « nouvelles choquantes de Paris. Nous pleurons les victimes et sommes fermement et résolument du côté de la France » a expliqué Sigmar Gabriel.
Erschütternde Nachrichten aus #Paris. Wir trauern um die Opfer und stehen fest und entschlossen an der Seite Frankreichs #ChampsElysees
— Auswärtiges Amt (@AuswaertigesAmt) 20 avril 2017
Le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johson a aussi tenu à exprimer ses condoléances.
Appalled by attack on #Paris police officers. My condolences to victims & their loved ones. UK & France at one in fight against terror.
— Boris Johnson (@BorisJohnson) 20 avril 2017
La résilience nécessaire
Les différents responsables politiques, et candidats à la présidentielle, vont désormais devoir faire preuve d’un maximum de résilience. C’est-à-dire de résister à la tentation de surexploiter cet évènement, d’en rajouter dans la dramatisation et dans des propositions faites sur le coup de l’émotion. Ce serait le pire de tout. Ce serait en fait donner une prime aux auteurs de l’attentat. Ce que recherchent les terroristes, ce n’est pas en soi l’acte destructeur de vies mais le souffle médiatique et politique supplémentaire qui suit, qui a un effet d’autant plus important que l’acte commis a une symbolique importante. De ce point de vue, l’annulation des déplacements de campagne électorale n’est pas automatiquement une bonne chose. S’il permet d’éviter des déclarations faites sous le coup de l’émotion, plus néfastes qu’utiles, il participe aussi de la dramatisation de l’acte.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) La question de l’origine de l’arme va devoir être analysée de près, notamment dans le cadre de la nouvelle législation européenne sur le contrôle des armes automatiques ou semi-automatiques. Lire : Le renforcement du contrôle des armes à feux à l’intérieur de l’UE (fiche)
(2) Un individu (Karim Cherfi) de nationalité française, résidant à Chelles est déjà connu pour des antécédents similaires. Il avait été condamné en 2003 à 20 ans de prison pour une attaque contre des policiers, comme le rappelle le Parisien.
(3) Ce qui ne cadre pas avec le profil connu de l’individu abattu par la police, cf. ci-dessus.
(4) A l’inverse des attaques au Bataclan ou sur les terrasses qui ressortissaient d’un acte de terrorisme ‘pur’, visant délibérément non pas les forces de l’ordre mais la population ordinaire.
(B2) Vous êtes intéressé/e par les questions stratégiques, la géopolitique, la défense, aimez apprendre, débattre, découvrir, n’hésitez plus… les Rencontres de l’IHEDN (l’institut des hautes études de la défense nationale), samedi 20 mai, à Paris, à l’école militaire, sont faites pour vous. B2 y sera, notamment pour présenter son dernier ouvrage sur la politique européenne de sécurité et de défense commune. Mais surtout il y aura treize tables rondes, des penseurs, des experts, des livres, des peintures.. et un Conseil de guerre. Inscrivez-vous
Le programme
Après quelques intenses semaines, et la publication de notre premier livre sur la PSDC, B2 prend un peu l’air la semaine prochaine. Nous assurerons un filet d’actualité, avec quelques papiers de fond (sur B2 Pro). Le rythme normal reprendra après Pâques le 18 avril.
(NGV)
L’USS Porter – un des navires d’où sont partis les Tomahawk – normalement basé à Rota en Espagne, appartient à la VIe flotte basée en Méditerranée (crédit : U.S. Navy/Ford Williams)
(B2) Les Européens se sont réveillés groggy vendredi (matin). Les États-Unis ont frappé vite après l’attaque chimique menée par le régime Assad sur Khan Cheikhoun. Les stylos et papiers de la conférence sur la Syrie, organisée à Bruxelles mardi et mercredi, étaient à peine rangés que les Américains s’étaient déjà décidés à agir et à passer à l’action.
Dans la nuit du 6 au 7 avril, 59 missiles Tomawakh, lancés à partir de deux navires — l’USS Porter (DDG-78) et l’USS Ross (DDG-71) basés en Méditerranée –, ont été tirés sur la base aérienne de l’armée syrienne de Shayrat (ou Al-Chaayrate).
Des lignes rouges à ne pas dépasser
La décision qu’a prise Donald Trump lui donne une assise que peu avaient pressentie jusqu’ici. En quelques jours, il a opéré un revirement politique quasi complet. D’une désignation de Daesh comme l’ennemi suprême, et de Bachar comme d’un encombrant personnage dont on pouvait s’accommoder, il est passé à désigner celui-ci comme un adversaire. Le régime de Damas est désormais prévenu et de façon très claire : il y a certaines lignes rouges à ne pas dépasser dans la guerre que le régime mène à une partie de sa population. C’est autrement plus efficace que des déclarations non suivies d’effet. Trump inaugure l’ère de l’effet sans déclaration préalable, un peu selon la méthode russe (1).
Un message à triple détente
Ce message n’est pas seulement à destination de la Syrie, il a une triple signification.
Un avertissement à Téhéran et Pyongyang
Le message est à destination aussi des pays voisins, notamment Téhéran : attention à ne pas reprendre un programme de prolifération nucléaire, ou ce pourrait être l’Iran qui pourrait être visé la prochaine fois, une action dont rêvent certains responsables israéliens. Il peut aussi être à destination de la Corée du nord, autre pays qui tend à jouer avec les limites de la prolifération nucléaire.
Un langage de la force pour les Russes
Le message de Trump est à destination des Russes. Même si Moscou a élevé une vive protestation, et que le ton semble monter entre les deux capitales, il semble s’agir pour l’instant plus d’une montée en puissance des muscles politiques que militaires. Le langage de la force est une notion fort utilisée par les Russes… et parfaitement comprise.
Moscou informé à défaut d’être d’accord totalement
Cette attaque semble, de plus, avoir été menée sinon avec l’assentiment de Moscou, du moins avec sa compréhension. Les autorités russes qui assurent conjointement avec les Syriens la surveillance aérienne de la zone ayant été – semble-t-il – averties de la frappe. De plus, ainsi que me l’a confié une source occidentale, les mouvements de navires américains en Méditerranée ne sont pas passés inaperçus et pouvaient laisser présager une réaction américaine. C’est la rapidité qui a surpris les observateurs, même les mieux avertis.
Le message de Vénus à Mars
Enfin, le message du président Trump est à ses alliés européens : il y a un patron à Washington et un seul patron à l’OTAN : ce sont les États-Unis qui seuls en mesure d’agir dans le monde, de façon militaire. C’est le retour très clair de la dichotomie entre la douce Vénus et le martial Mars, l’un cause et sort le chéquier pour réparer, l’autre agit militairement et discute politiquement. Trump s’inscrit ainsi dans les pas de ses prédécesseurs républicains : Ronald Reagan et George W. Bush. Il permet, au passage, au président américain de fédérer les Républicains autour de lui et de faire taire toute critique à Washington le présentant comme un président velléitaire.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Comme me le racontait il y a quelques années Dimitri Rogozine lorsqu’il était ambassadeur auprès de l’OTAN à l’époque de la Géorgie et du bouclier anti-missiles : « on frappe … et on discute après ».
(B2) Pour légitimer cette attaque, les Américains s’appuient sur la logique internationale comme l’a expliqué Rex Tillerson, le secrétaire d’État américain, dans une allocution prononcée, avec le conseiller à la sécurité nationale McMaster, de Palm Beach en Floride.
Plusieurs attaques … imputables au régime de Bachar
« Nous sommes absolument certains que les attaques menées par avion ont été orchestrées sous la direction du régime de Bachar el-Assad, et nous savons aussi assurément que ces attaques ont impliqué l’utilisation de gaz sarin, un neurotoxique. Au moins en ce qui concerne les trois dernières attaques, nous en sommes certains. »
et non pas une seule…
Outre l’attaque « la semaine dernière sur des civils, [Bachar] avait déjà mené des attaques auparavant : le mois dernier, les 25 et 30 mars, dans la province de Hama.»
En violation d’un accord de désarmement
Des accords précédents qui ont été conclus conformément à la résolution 2118 du Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi que les accords de l’Annexe A que le gouvernement syrien a lui-même accepté en 2013 indiquent qu’ils renonceraient à leurs armes chimiques sous la supervision du gouvernement russe.
La supervision russe a échoué
Les États-Unis et le gouvernement russe ont conclu des accords selon lesquels la Russie localiserait ces armes, garantirait que ces armes soient en sécurité puis détruites ‑ la Russie devait s’assurer que ces armes ne seraient plus présentes en Syrie. Clairement, la Russie a échoué dans sa responsabilité de respecter cet engagement de 2013 ; donc, soit la Russie a été complice, soit elle a tout simplement été incompétente dans sa capacité à remplir sa part de cet accord.