Dernièrement, la Commission européenne a sanctionné Apple d’une amende de 13 milliards d’euros, après avoir épinglé Google et Starbucks. De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis veulent infliger une amende record de 14 milliards de dollars à la Deutsche Bank. Les Américains s’étaient déjà attaqués à la BNP, Airbus ou Volkswagen. Comment interprétez-vous ces attaques judiciaires ? Traduisent-elles une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe ou simplement une volonté des Etats de faire respecter leurs lois aux multinationales ?
Depuis la crise de 2008, les opinions publiques, organisations internationales et ONG remettent régulièrement en cause certaines pratiques jugées peu éthiques, voire illégales de la part des multinationales, des institutions financières, etc. On leur reproche de profiter de la globalisation pour contourner les règles, pratiquer l’optimisation fiscale, voire du dumping social. Les Etats européens ont, dans un premier temps, timidement réagi, se limitant à soutenir l’OCDE dans sa volonté de lutter contre les paradis fiscaux ou encore en annonçant la fin des bonus des traders. Face à la difficulté d’instaurer des règles communes au niveau international, c’est la justice américaine qui s’est montrée la plus réactive en n’hésitant pas à poursuivre des entreprises américaines mais aussi étrangères pour des faits de corruption, la violation d’embargos ou autres affaires gênantes pour les grandes entreprises. On a vu cela avec notamment les poursuites engagées à l’encontre de BNP Paribas qui violait un embargo sur les armes, ou la mise en cause de Volkswagen par rapport aux émissions de CO2 de ses moteurs.
La prise de conscience est réelle au sein des entreprises et la « compliance » (mise et conformité) est devenu « à la mode ». A tel point – et cela peut questionner – que nombre d’entreprises affirment aujourd’hui préférer se conformer d’abord à la législation américaine. D’autres entreprises, pour s’exonérer de ces réglementations, font le choix de ne plus travailler avec des intérêts américains en refusant des clients ou d’embaucher des collaborations issues de ce pays.
Plus récemment, la question de la fiscalité des entreprises devient un sujet clé tant aux Etats-Unis qu’en Europe d’ailleurs. Face aux contestations de la mondialisation, à la crise politique qui touche les Etats-Unis et la plupart des pays européens, lutter contre la cupidité sans vergogne de certaines grandes entreprises devient une issue possible. La fiscalité est aussi un moyen de récupérer un peu d’argent là où les Etats en manquent tant pour investir dans les infrastructures, la santé, l’éducation, aider les personnes en difficulté ou autres. La question de la fiscalité des entreprises peut donc permettre de gagner à la fois en popularité et d’obtenir de nouveaux moyens financiers. Il est assez logique que les Européens apprécient peu de voir leurs entreprises attaquées par la justice américaine, et qu’outre-Manche, on s’offusque lorsque des fleurons de l’économie américaine sont stigmatisés par la Commission européenne.
Il est cependant quelque peu excessif de parler de guerre économique. Les sanctions européennes et américaines sont pour l’heure des processus distincts et sans visée politique. Cela étant, des futures négociations entre les différentes parties afin que les entreprises américaines et européennes soient traitées de la même manière, ne sont pas à exclure.
Cet échange de sanctions entre deux des trois plus grandes puissances économiques peut-il remettre en cause les négociations sur le TAFTA, déjà mal engagées ?
Les sanctions américaines et européennes peuvent générer des tensions dans les relations transatlantiques, mais je ne pense pas qu’elles soient susceptibles de remettre en cause le TAFTA. Les négociations sont d’ores et déjà mal en point pour de nombreuses raisons étrangères aux poursuites judiciaires, ce des deux côtés de l’Atlantique. Fondamentalement, les négociations s’inscrivent dans un contexte très peu favorable tant sur un plan politique qu’économique où les crises succèdent aux crises, levant toujours plus d’inquiétudes et toujours plus de craintes surtout lorsqu’il est question de mondialisation. Par contre, la position plus ferme de la Commission européenne sur la fiscalité des entreprises, mais aussi sur d’autres thématiques, sont de nature à renforcer la Commission, voire l’idée européenne si cela va jusqu’au bout. Son aboutissement ne dépend toutefois pas uniquement de la volonté de cette instance, les Etats européens étant également parties prenantes. La réaction de l’Irlande au redressement d’Apple n’est d’ailleurs pas de nature à rassurer. Si la Commission doit probablement apprendre à se positionner en porte-à-faux des positions de certains Etats, elle doit aussi apprendre à écouter les citoyens et défendre d’abord leurs intérêts. Si jusque-là elle a été le bouc émissaire des leaders politiques des pays européens, elle doit aussi travailler son image pour y gagner en légitimité et pouvoir enfin dépasser les divergences des Etats européens qui tendent à bloquer tous les dossiers.
Aujourd’hui, c’est bien la Commission européenne qui est à l’origine des sanctions contre Apple. Par cette mesure, elle démontre sa capacité à prendre des initiatives et des décisions contraignantes, au détriment de la volonté de certains Etats membres, en imposant au géant américain une amende de 13 milliards d’euros. Forte de cette position, la Commission européenne pourrait bien enfin arriver à exister comme acteur à part entière des relations internationales.
Le dénouement des élections américaines peut-il changer la nature des relations commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis ?
Certes, les élections américaines pourraient jouer un rôle dans la nature des relations transatlantiques. L’arrivée de Donald Trump, qui prône fermeture et protectionnisme, aurait un fort impact sur les relations commerciales avec l’Europe notamment sur le TAFTA, que le républicain ne semble pas apprécier… Pour autant, les Etats-Unis regardent déjà ailleurs et ce n’est pas un hasard si le traité transpacifique a connu une issue plus positive que le TAFTA !
Néanmoins, ces élections sont à suivre avec attention car les relations économiques et commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis sont essentielles aux deux rives de l’Atlantique. Les deux économies représentent 50% de la demande mondiale et sont les premiers partenaires commerciaux en termes d’investissement. Leurs liens sont extrêmement forts et une part non-négligeable des acteurs économiques et financiers de l’Atlantique sont interdépendants. Une tentative de les modifier ou de les rompre pourrait affaiblir leurs économies dans un contexte déjà difficile.
Un troisième élément nous permet cependant de nuancer la gravité d’un affaiblissement des relations transatlantiques. Le monde se globalise. Si le commerce international dépendait autrefois de la triade Etats-Unis / Union européenne / Japon, les échanges se sont diversifiés ces dernières années laissant la place à de nouveaux acteurs en Amérique et en Asie, notamment la Chine. Cette diversification s’est exercée au détriment des relations transatlantiques qui ont perdu du poids. Aussi bien les Américains que les Européens ont diversifié leurs partenaires ces trente dernières années. Ils sont donc moins interdépendants. Et puis, la question est moins politique qu’il n’y paraît et les relations économiques qui existent des deux côtés de l’Atlantique ne vont pas être remises en cause par de simples élections.
La vingt-neuvième SERA se déroulera du 27 février au 3 mars 2017 en France, du 27 au 31 mars 2017 au Royaume-Uni, du 15 au 19 mai 2017 en Pologne et du 26 au 30 juin 2017 en France.
The twenty-ninth SERA will take place in 2017, from February 27th to March 3rd in France, from March 27th to 31st in the United Kingdom, from May 15th to 19th in Poland and from June 26th to 30th in France.
Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS, répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Daech : Histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’Etat islamique » aux Editions Eyrolles :
– L’étude de l’islam permet-elle de mieux d’appréhender l’émergence de groupes terroristes comme Daech
– Comment Daech est-il parvenu à rallier des candidats de tout horizon et à reléguer Al-Qaïda au second plan?
– Pourquoi l’Occident n’arrive t-il pas à neutraliser Daech?
Le régime nord-coréen vient d’effectuer un essai nucléaire et des essais de missile balistique. Ils pourraient permettre à Pyongyang d’atteindre le territoire des États-Unis à moyen terme. Les nouvelles venant de la péninsule sont inquiétantes car la possibilité d’une guerre nucléaire est évoquée. L’effort militaire nord-coréen et la nature du régime sont angoissants. La Corée du Nord est certainement le dernier État totalitaire sur la planète. Il existe, certes, encore de nombreux régimes dictatoriaux et autoritaires, mais la Corée du Nord est le seul à ne laisser ni espace privé, ni espace public. L’irrationalité du régime serait ainsi de nature à le lancer dans une aventure militaire aux conséquences incalculables.
La réalité est pourtant différente. Si Pyongyang pourrait infliger des dégâts importants à Séoul, qui ne se situe qu’à 60 km de sa frontière, ou à Tokyo, qui est à portée des missiles nord-coréens, ces destructions ne profiteraient pas longtemps à la Corée du Nord. Elle serait elle-même immédiatement vaincue, voire détruite. Le rapport de force militaire n’est plus en sa faveur.
Si ce régime est certainement détestable, il est loin d’être irrationnel. Les dirigeants nord-coréens ne sont pas animés par la volonté de gagner une guerre, mais par celle de se maintenir au pouvoir. Se lancer dans une guerre dans laquelle la défaite serait certaine est la meilleure façon de perdre le pouvoir. La Corée du Nord agitera, longtemps encore, une menace du style « Retenez-moi ou je fais un malheur »afin de conforter son régime, tant sur le plan international que sur le plan interne. C’est l’option la plus envisageable.
La possession d’armes de destruction massive permet au régime de montrer aux Nord-Coréens qu’il les défend. Les habitants de la Corée du Nord ont très peu de connaissances sur la situation extérieure et ont du mal à percevoir la différence de situation économique entre ce qu’ils vivent et ce que vivent les autres. Ils peuvent, ainsi, d’autant plus adhérer aux thèses du régime par la peur et la contrainte. Pour le régime nord-coréen, l’arme nucléaire représente également un moyen de dire aux autres pays : « Nous sommes détestables mais n’essayez pas de changer la donne car nous avons les moyens de vous faire mal. » Il existe donc une situation d’équilibre. La Corée du Nord, d’une part, ne lancera pas d’offensive sur la Corée du Sud, le Japon, ou un autre État ; les pays voisins, d’autre part, n’attaqueront pas la Corée du Nord.
Les dirigeants nord-coréens sont persuadés, et ils n’ont peut-être pas tort, que si Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi avaient eu des armes de destruction massive, ils seraient toujours au pouvoir. L’arme nucléaire constitue donc une arme de dissuasion et de sanctuarisation du régime qui permet de le protéger contre le monde extérieur.
En fin de compte, si tout le monde prétend la souhaiter, personne ne trouve d’intérêt à la réunification coréenne. La Corée du Nord n’en voudrait pas, car elle ne pourrait se faire que sous une domination sud-coréenne, étant donné l’échec total du régime à nourrir la population et développer le pays.
La Corée du Sud ne souhaite pas plus la réunification dans la mesure où elle aurait un impact négatif significatif sur son économie. Les Sud-Coréens se souviennent du coût de la réunification de l’Allemagne. Pourtant, l’écart de développement entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est était moins important que l’écart de développement entre les Corées. De plus, il y avait quatre Allemands à l’Ouest (riches) pour un allemand de l’Est (pauvre), alors qu’il n’y a que deux Sud-Coréens pour un Nord-Coréen. La réunification serait, par conséquent, trop coûteuse.
Si le Japon n’entretient aucune sympathie pour le régime nord-coréen, il ne voudrait pas que l’unification coréenne se fasse car, pour des raisons historiques, elle se ferait sur un sentiment antijaponais. Quant aux États-Unis, ses dirigeants pensent qu’une réunification pourrait les priver d’un des motifs de leur présence stratégique dans la région. La Chine pense, à l’inverse, qu’elle pourrait permettre aux troupes américaines d’avancer jusqu’à ses frontières. Cette situation de menaces régulières, sans unification, où la guerre reste – heureusement – un horizon lointain, risque de durer. Les habitants de la Corée du Nord demeurent les seuls à souffrir de cette situation puisqu’ils se voient privés non seulement de liberté d’expression, mais aussi d’accès aux besoins élémentaires.