Nous avons retenu une forme tronquée du titre du Livre de Jean Birnbaum par souci de simplifier un débat mal commode, même mené de bonne foi. Toujours est-il que selon une boutade bien connue « la foi personne n’y croit ».Désormais non seulement nous sommes convaincus que la religion appartient au passé, mais l’idée qu’elle puisse avoir une force politique ou un rôle dans l’organisation de la société parait extravagant. Sommes nous si convaincus ? Oui si l’on s’en tient au monde occidental dans sa majorité mais avec ici et là , dans son sein, des poches de résistance. L’inquiétude face à ce silence du religieux monte et peu à peu et des prises de paroles ont lieu, elles couvrent toute l’amplitude du spectre .
Depuis le pape François qui devant le Parlement européen à Strasbourg a supplié les députés d’être sensibles, de s’ouvrir à la transcendance. Il a renouvelé son appel devant les 190 diplomates accrédités auprès du Saint-Siège pour les vœux de la nouvelle année. Des politiques aussi, qui tel Alain Juppé (candidat et favori pour les futures élections présidentielles françaises) a inclus les racines chrétiennes dans son identité heureuse : « Moi je suis pour le respect de la diversité, à la condition qu’on partage des choses. Parce que si on a rien en commun, on ne fait pas une Nation. Et qu’est-ce qu’on partage quand on vit en France ? On partage les valeurs de la République et l’Esprit des Lumières. J’ai même dit et çà peut choquer certains, que la France a des racines chrétiennes. Il ne faut pas le nier. Il ne s’agit pas d’exclure les autres religions. Mais comment comprend-on nos cathédrales, nos clochers de villages, nos calvaires sur les routes de Bretagne et ailleurs ? Je ne dis pas qu’il faut faire le catéchisme. Mais on a cela dans notre patrimoine historique de fait .Et quand je parle de nos valeurs chrétiennes, je parle de l’accueil de l’étranger, de l’amour du prochain, pas du refus de l’autre. (…) Ce socle commun, cette compréhension de ce que sont la France et ces valeurs et le respect des différences voilà ce que j’appelle « l’identité heureuse ». Alain Juppé s’il ne renie pas l’éducation qu’il a reçue se définit comme un chrétien agnostique.
Poursuivons notre parcours avec Thierry de Montbrial président de l’IFRI (Institut français des relations internationales) Il admet qu’il peut y avoir des mouvements de grande violence dans n’importe quel coin d’Europe, mais la religion doit faire l’apprentissage de la paix et contribuer à la paix de façon plus visible. Il reconnait que l’homme a une dimension transcendantale et qu’il est dans nature de se poser la question de sa place dans l’univers .Les religions en général doivent faire un travail de retour aux fondamentaux, se débarrasser des aspects latéraux qui les ont polluées, se purifier . Que se passera-t-il si on refuse de parler des racines chrétiennes ? si on ne dit rien, il y aura des explosions même s’il se refuse de parler de guerre civile .Donc parlons nous avant qu’il ne soit trop tard !
Poursuivons notre chemin avec l’archevêque belge de Malines ,Jozef De Kessel « l’homme est religieux j’en suis convaincu » mais il craint le vide religieux de nos sociétés. Il faut prendre au sérieux le phénomène religieux. Personne n’est neutre et on ne peut pas demander à quelqu’un de mettre entre parenthèses ses convictions ou de reléguer la religion uniquement dans la vie privée. Il est partisan, le plus possible, des accommodements raisonnables (nourriture halal dans les cantines, horaires décalés dans les piscines) « je trouve çà beau. Dans une culture moderne où il y a cette pluralité de possibilités, je tiens beaucoup au respect à porter à l’autre que moi ».
Terminons avec Abdennour Bidar (auteur de lettre ouverte au monde musulman).Pour lui , l’absence de spirituel est un problème, pas l’islam. « Nous sommes engagés avec la civilisation islamique dans un même défi crucial :trouver une vie spirituelle qui fonde l’univers éthique et politique des droits de l’homme(…) donner à chaque être humain la possibilité, les moyens de cultiver sa propre part d’infini ,une vision de nous même qui nous élève au-dessus de notre ego ordinaire et de ses besoins matériels pour faire justice à nos aspirations les plus hautes (…)la crise majeure n’est ni économique, ni financière, ni écologique, ni sociopolitique, ni géopolitique :c’est une crise spirituelle d’absence radicale, dans les élites et les masses, de vision d’un sublime dans l’homme qui serait partageable entre tous ».
En conclusion il lance un avertissement salutaire : que l’Occident ne soit pas laissé à l’illusion que, seul, il peut fabriquer de l’universel, tout seul pour l’imposer tel quel à la planète.; « L’islam n’est pas notre ennemi, ni seulement le révélateur de notre impuissance. Il est celui qui nous interpelle sur le plan spirituel ».
De ses visions diverses mais pas disparates, il est impossible de tirer une conclusion ou une simple tendance, si non de sortir au plus vite de ce silence religieux.
(1)Un silence religieux. La gauche face au Djihadisme de Jean Birnbaum. Editions du Seuil
Débordée par l’afflux de réfugiés et de migrants, incapable de jouer collectivement, tétanisée par des opinions publiques travaillées par des pulsions xénophobes soigneusement entretenues par des partis populistes, l’Union européenne, pour assurer sa survie, a jeté par-dessus bord, lors de son sommet du 7 mars, le droit d’asile, pourtant l’une de ses valeurs fondamentales qui ont justifié sa création au lendemain du second conflit mondial. Toute honte bue, les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé de sous-traiter à la Turquie, en en payant le prix fort, la crise des réfugiés. Si le plan présenté par Angela Merkel, la chancelière allemande, et Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, est finalement accepté en l’état la semaine prochaine, l’UE va procéder à l’expulsion collective de tous les migrants arrivant dans les îles grecques, qu’ils aient vocation ou non à demander l’asile, et ce dans des proportions jamais vues en Europe depuis le nazisme et le communisme.
Même si elle promet d’en reprendre ensuite un certain nombre, le symbole est terrible pour une Europe qui se veut un modèle pour le reste du monde, une Europe fondée sur le respect des droits de l’homme. Il est vrai que le droit d’asile est d’ores et déjà enterré, chaque Etat tentant de se décharger du fardeau sur ses voisins. Ce sont les pays de l’Est qui ont donné l’exemple en construisant dès l’automne des murs à leurs frontières et en proclamant que les musulmans sont irréductibles à la civilisation européenne, une opinion partagée par de larges secteurs des opinions publiques des pays d’Europe de l’Ouest. Depuis, menace terroriste aidant, toutes les frontières se sont fermées. Dès lors, dans le chaos actuel, l’urgence est de calmer le jeu, d’où la volonté de la chancelière allemande, qui s’est pourtant faite le chantre de l’ouverture des frontières, de ralentir, voire de stopper le flux des migrants et des réfugiés. Mais si l’opération réussit, ce qui n’est pas sûr, il sera extrêmement difficile de revenir en arrière. Mal préparé, mal pensé, son plan, conçu comme temporaire, le temps que les opinions publiques se calment, risque de devenir définitif.
Après tout, comme le dit la vox populi, les réfugiés n’ont-ils pas vocation à s’installer dans le premier pays sûr qu’il rencontre dans leur fuite ? En clair, que la Turquie, la Jordanie ou le Liban, pays de premier accueil, se débrouillent, quitte à ce qu’on les subventionne. Finalement, l’Europe ne donnera asile qu’à ceux qui arriveront directement de zones de conflit soit par avion, soit par bateau, ce qui concernera peu de monde. Cette crise montre qu’il y a urgence à refonder une Europe qui s’est perdue. L’Union élargie n’est pas, contrairement à ce qu’on a cru lors de l’effondrement du communisme en 1989-1990, une union de valeurs partagées, mais une communauté d’intérêts matériels. Cela, François Mitterrand, très réticent à l’idée d’élargir l’Europe, l’avait parfaitement compris, tout comme Valéry Giscard d’Estaing qui avait proposé de créer deux Europe, une «Europe espace» et une «Europe puissance». L’Union paye aujourd’hui au prix fort la naïveté allemande et risque d’y laisser son âme. Car l’Europe sans valeurs a-t-elle encore un sens ?
N.B.: édito paru dans Libération du 8 mars
Cette plainte pointe du doigt les défaillances et dysfonctionnements qui ont provoqué l’infiltration des terroristes sur le territoire français et la « commission des attentats ». Le recours dénonce « une atteinte aux obligations de sécurité », invoque l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie.
Le document d’une quinzaine de pages énumère les nombreuses défaillances, l’inaction des autorités belges d’autant moins compréhensible que neuf des treize interpellations réalisées lors du démantèlement de la cellule de Verviers qui projetait un attentat en Belgique dix mois plutôt en janvier 2015 avaient déjà eu lieu à Molenbeek. Plusieurs d’entre eux un instant inquiétés ont été laissés en liberté, multipliant les allers retours en Syrie sans être repérés, ni inquiétés. Des zones d’ombre subsistent, mais apparaissent comme criantes les lacunes dans le traitement des informations alors que la police fédérale avait bel et bien été mise au courant. Le danger concernant notamment les frères Abdeslam a été minimisé. Des problèmes de carences budgétaires, de manque de personnel qualifié, de vétusté informatique de manque de coordination ont été soulignés.
Le conseil des familles a fait valoir que les autorités belges auraient pu empêcher les attentats parisiens, qu’elles n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger la vie d’autrui. Elles ont failli à leur obligation de sécurité. Depuis des années elles étaient informées de la radicalisation de ces filières, elles ne pouvaient ignorer leur préparation à l’acte et leur endoctrinement. Il n’y a pas eu d’action concertée entre les services, ni de suivi dans les échanges d’information ; les listes de noms n’ont pas été exploitées. Les hommes politiques sont restés inactifs pour s’assurer un réservoir électoral de voix. L’ancien bourgmestre est resté vingt ans à la tête de la ville : « il a selon moi une responsabilité morale et politique » nous dit l’avocat des plaignants Me Samia Maktouf. Les principaux organisateurs de l’attentat ont pu narguer les autorités belges sans être inquiétés. »La Belgique a porté atteinte à un droit fondamental, qui est le droit à la vie, prévu par l’article 2 de la Convention européenne(…) cette tuerie n’était pas une fatalité et on l’a vue venir sans rien faire » !
Ces propos sont accablants et l’intérêt exceptionnel de cette affaire va bien au-là du feuilleton politico policier qu’elle engendre. Cet intérêt est double : c’est le droit à la vie qui est en jeu, d’autre part la plainte sera déclarée recevable ou non, mais la portée sera considérable dans les deux cas par les attendus que la Cour sera amenée à faire valoir. En entrant dans ce fait divers tragique, la Cour Européenne des Droits de l’Homme reçoit une consécration d’une grande ampleur que d’autres (comme le Royaume-Uni par exemple) voudraient lui contester.