`REUTERS/Charles Platiau CP/dh
En juillet 1994, je croise Michel Rocard, qui est mort samedi dernier, dans les couloirs du Parlement européen, à Strasbourg. C’est la première fois que je le vois en chair et en os. Il a l’air totalement abattu, usé, fatigué. Il erre seul, totalement seul. Je m’aperçois rapidement que cette solitude n’a rien d’exceptionnel. Elle se confirme tout au long de la session, puis en septembre. Ses « camarades » socialistes français l’évitent, l’ignorent ou, au mieux, le saluent de loin, comme s’il était porteur d’un virus mortel. Je trouve cela poignant, car c’est l’un des rares politiques pour qui j’ai une réelle admiration : représentant d’une gauche sociale-démocrate assumée, il a été un excellent Premier ministre (1988-1991) avant d’être proprement viré par François Mitterrand parce qu’il lui faisait de l’ombre.
Rocard vient d’être élu député européen, en juin, à la suite d’une campagne désastreuse pour le PS. Tête de liste (à l’époque, la France était une circonscription unique) en tant que premier secrétaire du PS, il s’est sévèrement ramassé avec moins de 15 % des voix. François Mitterrand, toujours prodigue en mauvais coups, lui a balancé dans les pattes Bernard Tapie et sa liste « MRG » (radicaux de gauche) qu’il a soutenue quasiment ouvertement. Avec un score mirifique de 10 %, Tapie a siphonné une partie des voix socialistes. Rocard est à terre. Définitivement. Il ne le sait pas encore et, surtout, ne veut pas l’admettre.
Je propose donc au journal de faire un portrait de l’homme brisé. J’appelle, en septembre, l’ancien Premier ministre qui me reçoit mal : avec son débit si particulier, il m’explique froidement qu’il ne veut plus parler aux journalistes et n’a aucune intention de me rencontrer. Je lui rétorque que rencontre ou pas, je ferai ce portrait. Un rendez-vous lui permettra peut-être de peser sur mon regard. À lui de voir. Il s’indigne : c’est du chantage. Non, c’est mon travail. Il raccroche. Et me rappelle vingt minutes plus tard : d’accord pour un déjeuner à Strasbourg, mais sans enregistrement et sans carnet de notes et avec l’interdiction absolue d’utiliser ce qu’il me dira.
Le déjeuner a lieu le 28 septembre. Il dure trois heures étourdissantes (le débit de Rocard n’est pas une légende) et alcoolisées. Rocard aime boire et je suis trop jeune journaliste pour oser refuser les verres qu’il me verse généreusement. Je sors totalement ivre pour me précipiter dans mon hôtel afin de régurgiter au plus près ce qu’il m’a raconté. Un récit passionnant de ses rapports avec François Mitterrand, tous les mauvais coups que le Président lui a faits lorsqu’il occupait Matignon. Un « enfer ». « Le matin, en me réveillant, je découvrais souvent qu’un conseil ministériel restreint dont j’ignorais tout avait eu lieu la veille et que le gouvernement avait décidé ceci ou cela. À moi d’assumer ».
Rocard, comme toujours, s’implique consciencieusement dans ses nouvelles fonctions de député européen. Il s’occupe de dossiers techniques qu’un journal comme Libé suit peu. Il préside successivement les commissions de la coopération et du développement (1997-1999), puis de l’emploi et des affaires sociales (1999-2002) et enfin de la culture (2002-2004). Il prend sa retraite en 2009 sans jamais avoir eu l’influence qu’il méritait. Car, en 2004, les Fabiusiens, en bon héritier du mitterrandisme, lui font un dernier mauvais coup : la vengeance, en politique, est sans fin. Le PS de François Hollande (il est premier secrétaire) a explosé les compteurs aux Européennes de juin : 29 % des voix. C’est même la première délégation nationale au sein du groupe socialiste. Ils peuvent donc choisir les postes qu’ils veulent. Rocard se verrait bien président du Parlement: une candidature à laquelle peu de monde s’opposerait dans l’Hémicycle. Mais les Fabiusiens ne l’entendent pas de cette oreille, alors que se profile la bataille du Traité constitutionnel européen : pas question de permettre une renaissance d’un Rocard européen. Pervenche Berès, fabiusienne de toujours, est l’exécutrice des basses œuvres : sous sa houlette, les socialistes français renoncent à la présidence du parlement en échange, pour elle-même, de la commission des affaires économiques et monétaires… C’est un socialiste espagnol, Josep Borrel qui hérite donc du perchoir. François Hollande, alors secrétaire national du PS et député européen (pour quelques semaines), laisse son vieil ami se faire une nouvelle fois humilier. Ce n’est pas demain la veille qu’un socialiste français pourra espérer l’occuper, mais qu’importe. L’essentiel n’était-il pas de se débarrasser de Rocard ? On jugera à cette aune les hommages posthumes que viennent de lui rendre plusieurs hiérarques socialistes qui ont pris une part active dans la marginalisation d’un homme qui aurait dû être le modernisateur du socialisme français.
Voici donc le portrait de Rocard paru dans le Libé du 7 octobre 1994 et intitulé : « Strasbourg, pot au noir de Rocard » avec plein de personnages qui ont totalement disparu depuis…
«Blessé ? Il le reconnaît volontiers. Isolé ? Il feint de ne pas s’en préoccuper. Las ? Il l’admet, tant de vents contraires l’ayant usé. Il est rare que le politique laisse transparaitre l’homme, même dans les pires moments. Michel Rocard est de cette espèce-là. Il a pris des coups violents et ses blessures ne sont pas refermées. Il souffre d’avoir perdu son ultime combat, celui de toute une vie, celui qui devait le conduire à la magistrature suprême. Les résultats désastreux des élections européennes ont sonné en juin le glas de ses espérances. « Il est mort, même s’il ne le sait pas encore », dit l’un de ses rares amis. Il est sonné de voir son vieil adversaire, François Mitterrand, l’avoir emporté par sa propre faute, conscient qu’il est d’avoir accumulé les erreurs.
Mais bien que tourmenté, il ne se cache pas. Depuis qu’il a été élu au Parlement européen, on ne voit que lui, à Bruxelles ou à Strasbourg. Il effectue son travail de député lambda. Les écouteurs vissés sur les oreilles, il écoute sagement les débats. Que ce soit à la commission des affaires étrangères ou en séance plénière, il quitte la salle parmi les derniers. Ce Rocard-là se veut pétri d’humilité et affirme être là pour découvrir le Parlement européen dont il ignore tout, soucieux d’effectuer au mieux son retour à la base. Le Parlement européen l’intéresse comme forum politique international. Il est aimable avec tous, salue précautionneusement les huissiers, répond au téléphone. Mais son échec, il le vit seul. Pathétiquement seul. Ses « amis » socialistes français l’évitent comme on le fait d’un grand malade, par peur, par gêne et plus rarement par pudeur. En juillet, lors de la session plénière de rentrée, le contraste était saisissant entre un Bernard Tapie, papillonnant, entouré, fêté par Jack Lang, et Rocard, totalement ignoré.
Même les soirées, conviviales par nature à Strasbourg, semblent lui échapper. Daniel Cohn-Bendit (Vert, Allemagne), rentrant un soir à son hôtel, l’avise seul, devant un demi, accoudé au bar impersonnel de l’établissement. La conversation qui suit est surréaliste, l’ex-premier secrétaire entretenant l’ancien leader de mai 68 de ses chances à la présidentielle. Au cours d’un déjeuner entre la délégation socialiste française et la presse, en juillet encore, Rocard affirme un peu trop fort, en sortant nerveusement une cigarette brune d’un paquet chiffonné, qu’il est soulagé depuis qu’il a cessé de s’occuper du PS et qu’il bien et même de mieux en mieux. Bernard Stasi (PPE, démocrate-chrétien) se rappelle qu’en juillet, « il frôlait les murs. Personne ne s’intéressait à lui ». Un autre député centriste raconte : « c’est tragique, cette solitude ». « Dans l’avion de Paris, lors de la session de septembre, les socialistes le saluaient, mais personne ne s’est assis à côté de lui ». « Rocard, il me fait de la peine, de la vraie », dit Yves Verwaerde (PPE).
Pierre Moscovici, qui se range parmi les amis de Rocard, juge que l’ambiance au sein de la délégation socialiste française peut difficilement être différente : « elle subit beaucoup le poids des clivages nationaux ». Et, de fait, « les amis de Michel sont rares ». En revanche, un « clan solide de fabiusiens, cultivant la fidélité à François Mitterrand » rend, selon Moscovici, l’atmosphère difficilement respirable. « N’oubliez pas que le meurtre rituel de Rocard est l’une des composantes importantes du mitterrandisme », ajoute-t-il. Un autre eurodéputé PS observe que « ses camarades ne font pas de cadeaux à l’ancien premier ministre. Ils lui font payer ses succès passés, son brillant ». Michel Rocard se console de la bouderie des socialistes français en rencontrant ses « amis internationaux ». Il ne cache pas son plaisir d’avoir retrouvé son « vieux complice » de 68, Dany Cohn-Bendit. Ou encore John Hume, secrétaire général du parti travailliste nord-irlandais et artisan du processus de paix. Il rappelle que, pour les travaillistes anglais, il est le dernier à avoir rencontré en tête-à-tête l’ancien leader de leur parti, John Smith, quelques heures avant sa mort.
Depuis cet été, l’ambiance s’est un peu détendue au sein de la délégation socialiste française, grâce à l’action apaisante de Nicole Péry, vice-présidente du Parlement européen. Rocard lui-même a parcouru du chemin. Comment rebondir est la question qui l’obsède. En bon protestant, il admet les erreurs qui l’ont conduit dans ce trou noir. Mais pour lui, son échec de juin n’est pas le pire de sa carrière. Celui du PSU, « ce laboratoire d’études pour une gauche renouvelée », est, à l’en croire, plus grave puisqu’il a ouvert la voie dans les années 70 à la reconstruction du PS autour de François Mitterrand.
L’ancien Premier ministre sait que sa convalescence est fragile. Il se tient donc à l’écart de la scène parisienne. Pas question de parler aux journalistes pour l’instant. Outre qu’il cultive à leur égard une méfiance développée au fils des ans, ce silence lui permet d’effectuer son « travail de deuil », selon l’expression d’un député socialiste. Mais, pour lui, son retrait n’est pas une retraite. Ainsi a-t-il participé le 27 septembre au soir à un meeting électoral du SPD à Friburg en Allemagne. Il s’entretient aussi régulièrement avec Jacques Delors à qui il donnera un coup de main pour la présidentielle si le président de la Commission le lui demande. Pour Rocard, la société française est malade, les solidarités sont défaites et il faut reconstruire. Si on l’appelle, il aidera à cette reconstruction».
« Le ministère de la Justice se trouve aujourd’hui confronté à un phénomène dont il n’avait mesuré ni la nature ni l’ampleur », estime le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Pourtant le sujet est à l’agenda européen, notamment, depuis longtemps, depuis les attentats de Londres : la nouveauté de cette forme de terrorisme avait alors dérouté les esprits qui n’arrivaient pas à expliquer que des personnes nées et éduquées au Royaume-Uni aient pu perpétrer de tels actes. A l’autre bout de la chaine chronologique, la commission d’enquête sur les attentats du 13 novembre 2015 qui vient de rendre son rapport (rapport du député Fénech),a polarisé son attention sur « le renseignement pénitentiaire » pour reprendre la nouvelle terminologie, renseignement pénitentiaire qu’il « convient de réveiller» Résultat : le renseignement pénitentiaire a végété.
Au cours de ces derniers mois le gouvernement Vals a doté les agents des prisons de moyens et de droits nouveaux. Mais c’est l’échec constate le rapport. Le nouveau ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas précise que depuis sa nomination en mai dernier « il n’avait été destinataire d’aucun élément portant sur le renseignement pénitentiaire et ce malgré un effectif de 380 personnes désormais rattachées à cette mission ». Il a même déclaré « que le système était en panne, inopérant et ne faisait pas remonter les informations concernant les radicalisations en prison ».Difficile d’être plus clair ! Mais à peine rendu public, il est vigoureusement critiqué sur ce point.
Un autre bilan vient d’être rendu public et selon ce bilan dressé par Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le regroupement des détenus islamistes dans les prisons françaises constitue une réponse « insatisfaisante » à un « phénomène sans précédent ». Ce projet, mis en place au lendemain des attentats de janvier 2015, avait déjà été critiqué par un rapport publié l’année dernière.
Pour établir un bilan des premiers mois d’expérimentation de ce dispositif, trois contrôleurs ont visité les établissements pénitentiaires de Fresnes (Val-de-Marne), Lille-Annoeullin (Nord), Osny (Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne). Ils y ont rencontré la majorité des 64 détenus présents (117 places disponibles) ainsi que des personnes chargées de leur prise en charge et leur surveillance.
Adeline Hazan ne juge « pas réaliste (…)l’extension de ce modèle expérimental » dans le contexte « d’une surpopulation carcérale structurelle ».
« Le ministère de la Justice se trouve aujourd’hui confronté à un phénomène dont il n’avait mesuré ni la nature ni l’ampleur (…) La modicité des structures ne paraît pas correspondre au changement d’échelle » du phénomène au regard de la « hausse spectaculaire » du nombre de détenus concernés, observe la CGLPL, qui regrette des mesures mises en place « dans l’urgence ».
« Nous affirmons que ce dispositif présente plus d’inconvénients que d’avantages », a-t-elle ajouté devant les journalistes, estimant « fondamental qu’une évaluation précise » soit entreprise par l’autorité judiciaire dans les plus brefs délais.
« Cet avis » de Adeline Hazan a été transmis au Premier ministre, à la ministre de la justice ainsi qu’au ministre de l’intérieur auxquels un délai de deux semaines a été donné pour formuler des observations.
De son côté le Gouvernement a souhaité apporter ses observations en une réponse unique, adressée par la ministre de la justice au CGLPL, également publiée au Journal Officiel.
Afin d’étudier la question de la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, le contrôle général s’est rendu aux centres pénitentiaires de Fresnes et Réau, ainsi qu’aux maisons d’arrêt d’Osny et Bois-d’Arcy. De nombreux échanges ont également eu lieu avec l’ensemble des acteurs concernés. Ces constats et entretiens ont donné lieu à la rédaction d’un rapport d’enquête, également transmis aux ministres.Un rapport qui peut se résumer en quelques points :
Il y a eu des failles dans les services de renseignement, nous sommes sur des schémas qui datent de 1980 a conclu le rapport . Il faut une ambition plus importante et coordonner véritablement au niveau européen. Du temps a été perdu et le renseignement pénitentiaire n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Les textes de lois et les moyens juridiques sont là mais il faut que l’administration s’en empare. Les lois sur le renseignement de 2014 et 2015 n’ont pas suffi. Il convient avant tout d’opérer une refonte du renseignement territorial de proximité.
Pour en avoir plus :sources principales d’information
Avec mise à jour du 5 juillet
La Commission veut-elle faire ratifier l’accord commercial conclu entre l’Union européenne et le Canada (« CETA ») en contournant les parlements nationaux ? La question sera tranchée, ce mardi, par le collège des vingt-huit commissaires, une bonne partie d’entre eux estimant qu’il suffit d’une approbation du conseil des ministres (là où siègent les États membres) et du Parlement européen. Une position juridiquement défendable, mais politiquement extrêmement risquée à l’heure où l’opposition au CETA et surtout au TTIP, le projet d’accord de libre-échange avec les États-Unis, ne cesse de s’amplifier, comme en a convenu Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen : « si les États membres pensent qu’une analyse juridique ne compte pour rien dès lors que le sujet devient trop politique, alors je serais la dernière personne à essayer de les stopper », a-t-il lancé le 29 juin, en marge du sommet de Bruxelles.
Comme toujours dans le domaine européen, l’affaire est d’une rare complexité, les Etats n’acceptant de partager leur souveraineté qu’à reculons, ce qui aboutit à des procédures byzantines. Accrochez-vous donc, le voyage commence.
Compétence exclusive
Depuis l’origine de la construction communautaire, le commerce international est une « compétence exclusive » de l’Union. Et ce, pour deux raisons. D’une part, il est difficile qu’il en soit autrement à partir du moment où il existe un marché unique et que les marchandises, les capitaux et les services qui entrent dans un pays circulent librement dans l’espace commun. D’autre part, pris ensemble, les États membres sont la première puissance commerciale du monde, ce qui leur permet d’imposer leurs priorités à leurs partenaires commerciaux soucieux d’accéder au grand marché.
Jusqu’au traité de Lisbonne, ces accords, négociés par la Commission sur mandat des États membres, étaient simplement adoptés par le Conseil des ministres à la majorité qualifiée, après une simple consultation du Parlement européen, et ce, sans aucune ratification des parlements nationaux. Sauf pour les accords dits « mixtes », c’est-à-dire qui touchent des compétences nationales, comme les services et la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, les services culturels, audiovisuels sociaux, de santé et d’éducation, etc. Là, il faut en passer par la ratification nationale. Cela a été, par exemple, le cas de l’accord de Marrakech créant l’Organisation mondiale du commerce. Le Traité de Nice de 2001 a un peu modifié la règle du jeu pour les services et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle : un vote à l’unanimité du Conseil suffisait, sans passer par la case nationale.
Contrôle du Parlement européen
Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en novembre 2009, a introduit le Parlement européen dans la boucle afin de démocratiser la politique commerciale (article 207 du traité sur le fonctionnement de l’UE) : le conseil des ministres ratifie toujours à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population), mais avec l’approbation du Parlement européen. Ensuite, le conseil statue toujours à l’unanimité pour les accords « mixtes », mais cette fois avec l’approbation du Parlement européen en plus de celle des Parlements nationaux : « Lisbonne n’a pas modifié la répartition des compétences entre l’Union et les États, comme le prévoit expressément l’article 207 §6 », souligne Jean-Luc Sauron, conseiller d’État et spécialiste des questions européennes. « Il s’agissait simplement de donner plus de pouvoir au Parlement européen ».
Autrement dit, c’est la qualification de l’accord qui va déterminer le processus de ratification. S’il n’est pas « mixte », les Parlements nationaux n’ont pas leur mot à dire, seul le Parlement européen étant impliqué ; s’il est « mixte », on entre dans une procédure de ratification à rallonge puisqu’il faudra passer par le Parlement européen, les vingt-huit parlements nationaux et les parlements régionaux dans les États fédéraux (Belgique, Espagne, Allemagne). Ce qui peut prendre du temps : la ratification de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud a duré quatre ans…
Sentant la contestation contre le CETA monter, une partie de la Commission, emmenée par la commissaire chargée du commerce, Cécilia Malmström, est donc tentée de qualifier le CETA d’accord purement européen, afin de court-circuiter les parlements nationaux. Mais cela fait hurler ceux qui s’opposent au TTIP, le CETA étant désormais perçu comme un « cheval de Troie » des intérêts américains en Europe. Cette démarche « risque d’ouvrir un boulevard aux europhobes en empêchant les Parlements nationaux d’avoir réellement leur mot à dire sur ce type de traité. Tout est fait pour empêcher un véritable débat public et ainsi accroitre la défiance à l’égard des institutions européennes », jugent ainsi Les Amis de la Terre. Il faut dire que le moment choisi est particulièrement malheureux : en plein Brexit et après que les Parlements wallon et néerlandais aient estimé, en avril dernier, que le CETA ne pouvait être ratifié en l’état…
Un boulevard pour les europhobes
À la Commission on se défend de telles arrières pensées : « c’est un problème plus général. Il ne s’agit pas d’éviter le contrôle parlementaire puisque le Parlement européen se prononcera », explique un fonctionnaire européen. Une bonne partie des eurodéputés n’apprécient guère qu’on mette en cause la qualité de leur contrôle : « la ratification de l’accord sera démocratique puisque le Parlement européen ainsi que les États membres devront le ratifier », ce qui est loin d’être « antidémocratique » comme « certains, notamment des députés européens, osent déjà qualifier cette décision », tempête Franck Proust du PPE. Jean-Claude Juncker fait aussi remarquer que les gouvernements « peuvent demander à leur parlement comment ils doivent voter » à Bruxelles… On fait enfin remarquer au sein de l’exécutif européen que « si l’on met des années à ratifier des accords conclus à la demande et par nos États membres et que l’on prend le risque d’un rejet par un seul pays voire un seul parlement subnational, notre politique commerciale commune va devenir de moins en moins crédible ».
Surtout, la Commission fait valoir qu’elle n’hésite pas à qualifier un accord de mixte si tel est le cas : « par exemple, nous venons de conclure un accord avec les pays du sud de l’Afrique. Il comporte des aspects d’aide au développement et cela relève clairement des compétences nationales. On l’a immédiatement qualifié de mixte », souligne un fonctionnaire. Il arrive aussi que la Commission, sous la pression des Etats, change son fusil d’épaule, requalifiant de mixtes des accords qu’elle considérait comme Européen (avec le Pérou, par exemple). Reste que si la Commission estime que le CETA n’est pas mixte, il faudra que les États décident du contraire à l’unanimité, comme le prévoient les traités. Or l’Italie considère déjà que tel est le cas… Cela étant, même si le CETA est considéré comme mixte, il devra être adopté à l’unanimité des Etats et à la majorité du Parlement européen.
Reste que l’affaire est tellement complexe, comme vous venez de le lire, que le message envoyé par la Commission et les États membres risque d’être celui d’une confiscation du débat démocratique même si cela n’est absolument pas le cas. Jean-Claude Juncker, fin politique, le sait : le simplisme l’emporte toujours sur le complexe. C’est pourquoi il a lancé, le 29 juin : « Je ne suis pas prêt à mourir sur l’autel d’une question juridique ».
Mise à jour le 5 juillet à 16h: La Commission a tranché: elle admet que le CETA est un accord mixte qui devra donc être approuvé à l’unanimité du Conseil des ministres, par le Parlement européen et par l’ensemble des Parlements nationaux et subnationaux dans le cas des Etats fédéraux. Il sera signé formellement en octobre , lors du sommet UE-Canada. Les parties purement commerciales de l’accord (par exemple la baisse des droits de douane ou la protection des appellations géographiques contrôlées) entreront en vigueur provisoirement dès que le Conseil des ministres et le Parlement européen auront donné leur feu vert.
Une décision purement politique comme la Commission le reconnait elle-même : «La situation politique au sein du conseil est clair et nous comprenons la nécessité de décider qu’il s’agit d’un accord mixte», a ainsi déclaré Cecilia Malsmtröm. Mais la Commission rappelle qu’elle défend toujours le fait que les accords commerciaux de la nouvelle génération ne sont pas des accords mixtes et elle attend que la Cour de justice européenne tranche, sans doute début 2017, la contestation qui l’oppose sur ce point à certains Etats membres dans le cas de l’accord UE-Singapour. On ne peut, en tout cas, que se féliciter que Jean-Claude Juncker ait pris la mesure des risques politiques qu’aurait fait peser sur l’Union une attitude rigidement juridique.