La levée de l’embargo ravive l’appétit des constructeurs français. Ce qui déplaît fort aux Américains qui font tout pour leur mettre des bâtons dans les roues."Wait and see". Egale prudence chez Peugeot Citroën et Renault, qui brûlent de retrouver leurs positions perdues en Iran, où ils fournissaient, jusqu’en 2011, 40% du marché automobile. Les consommateurs veulent des voitures modernes. "Treizième producteur automobile en 2011, l’Iran a un potentiel considérable qui est sous-exploité, rappelle Patrick Blain, président de l’Organisation internationale des constructeurs automobiles. Les partenariats sont en place, il n’y a pas de raison de ne pas revenir, dès 2014, au chiffre de production 2011 d’1,6 million de véhicules et atteindre à terme les 2 millions."
Normalement, tout devrait rouler pour les Français, après la levée partielle de l’embargo, en contrepartie de l’accord conclu le 24 novembre à Genève avec le groupe des six (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne) qui limite les activités nucléaires de Téhéran. Mohammad Reza Nematzadeh, ministre de l’Industrie, a même souhaité "plus de coopération avec les compagnies étrangères", citant Peugeot et Renault, qui ont "une longue expérience de coopération avec l’Iran".
Mais tout n’est pas si simple: les Français font face à une forte offensive diplomatique américaine pour les sortir du jeu. S’il y a bien un pays où leur présence irrite au plus haut point les Etats-Unis, c’est l’Iran, longtemps leur chasse gardée : ils n’ont jamais accepté de se faire supplanter, après la révolution islamique, par des Français alors qualifiés "d’opportunistes". Ils n’ont pas oublié, non plus, que le partenariat entre Peugeot et Iran Khodro, qui a permis à la marque française de couvrir près de 30 % du marché, est un legs américain, trouvé dans la corbeille du rachat de Chrysler Europe, en 1978.
Dans le collimateur des AméricainsC’est donc contraints et forcés par les Américains que les deux Français se sont retirés. Peugeot, dès mars 2012, au moment où le groupe passait un accord avec General Motors (GM), qui prenait 7 % de son capital. Une condition posée par GM, acceptée par le patron de Peugeot Citroën, Philippe Varin. D’un coup, le français a perdu 458 000 voitures, des milliers d’emplois et des centaines de millions d’euros de résultat. Avec des 206 et des 405 livrées en pièces détachées à partir du centre de Vesoul, l’Iran était le deuxième marché de Peugeot, après la France.
Le gâchis est considérable, au moment où l’on apprend que GM, sans doute peu confiant dans le redressement de PSA et en tous cas peu désireux de cohabiter au capital avec le chinois Dongfeng, annonce la revente de sa participation de 7%, ave une moins-value. Au point que certains se demandent s’il n’y aurait pas eu manipulation.
La détermination des Américains a été totale. Renault, lui, est parti un an plus tard, après que Carlos Ghosn eut été menacé de sanctions sur Nissan aux Etats-Unis. Alors qu’il vendait, en 2012, 100.000 voitures (Mégane, Logan), le groupe a provisionné 512 millions d’euros pour cette perte.
Fabius manipulé par Kerry ?
Aujourd’hui, les Américains négocient leur retour. General Motors a même pris langue avec Iran Khodro et tente de débaucher des correspondants de Peugeot et de Renault. Ils s’appuient sur la position dure de la France lors des dernières négociations. "Vous allez la payer cher, a confié un haut dignitaire du régime à un grand patron français. Nous allons écarter vos entreprises au profit des américaines et des asiatiques." Le propos est relayé en France: "Poussé à l’intransigeance, Laurent Fabius s’est fait manipuler par John Kerry", affirme-t-on dans l’entourage de Nicolas Sarkozy.
Mais on entend aussi, en Iran comme en France, une autre musique: "Les Iraniens n’ont pas oublié qu’on les a aidés quand les Américains voulaient les étrangler, ni que Total, par exemple, a été la seule compagnie pétrolière qui a osé braver la loi d’Amato, qui sanctionne les entreprises commerçant avec l’Iran, note un spécialiste pétrolier. Je sais que les Iraniens ont placé Total, Shell, Eni et BP en tête de liste pour la reprise des contrats, devant les compagnies américaines." Face à ces signaux contradictoires, Peugeot et Renault ne peuvent qu’attendre et voir venir.
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