Le Cantabria qui va service de navire-amiral pour l’opération Sophia / EUNAVFOR Med (crédit : MOD Espagne)
(B2) C’est désormais l’Espagne qui va assurer le commandement tactique « sur zone » de l’opération EUNAVFOR Med / Sophia. Le contre-amiral espagnol Javier Moreno Susanna remplace ainsi le contre-amiral italien Andrea Romani. Il exercera son commandement dès ce 1er septembre à bord du navire ravitailleur BAC Cantabria (A-15). Pour l’occasion, les deux ministres de la Défense l’Italienne Roberta Pinotti et l’Espagnole Maria Dolores Cospedal avaient fait le déplacement jusqu’au port de Tarente, où le navire italien « San Giusto » – sur lequel a eu lieu la cérémonie de changement de drapeau – était amarré.
Un contributeur fidèle
Depuis que l’opération Sophia a commencé en 2015, l’Espagne a participé « de manière ininterrompue et toujours comme l’un de ses principaux contributeurs » a souligné la ministre . Une réalité. Madrid fournit des moyens à la fois maritimes – la frégate Victoria est présente depuis le 24 juin dans l’opération – et aériens. Un détachement tactique de l’air (DAT), dénommé « Grappa », , fonctionne à partir de la base aérienne Sigonella (Sicilia). Composé de 38 membres de l’armée de l’air, sous le commandement du lieutenant-colonel Rafael de Quintana Díaz, il a opéré 250 missions, assurant 2.000 heures de vol.
Un commandement multinational
A noter que le commandement (stratégique = politique) de l’opération reste assuré par un amiral italien, Enrico Credendino, assisté d’un contre-amiral français Gilles Boidevezi (lire : Un nouveau numéro 2 à la tête de l’opération EUNAVFOR Med), depuis le QG terrestre, installé à Rome.
Une bonne entente italo-espagnole
Ce relais italo-espagnol est à mettre en relation avec un relais inverse effectué au sein de l’autre opération maritime de l’Union européenne, dans l’Océan indien, où les Espagnols ont passé le relais aux Italiens en juillet dernier (lire : Un Italien va prendre le commandement de la force EUNAVFOR Atalanta). Les deux pays méditerranéens assurent ainsi la responsabilité des opérations navales européennes.
Ce qui leur permet d’assurer une présence notable dans des lieux stratégiques (Océan indien, Méditerranée) pour leurs deux pays (1), et pouvoir revendiquer un rôle de premier plan au niveau maritime, tout en permettant pour leurs marines de sauvegarder un certain budget opérationnel et de prouver leur utilité. C’est peut-être un peu trivial, mais c’est une réalité non négligeable aujourd’hui.
(NGV)
(1) L’Espagne a été un des pays à l’initiative, avec la France, de l’opération EUNAVFOR Atalanta.
Une relève de la pensée stratégique, brillante, qui se féminise, mais peu intéressée par l’Europe à quelques exceptions près (© NGV / B2)
(B2 à Paris) Ce mardi se tenait à Paris, au sein de l’école militaire, un exercice très intéressant. La jeune fleur de la pensée stratégique française venait présenter ses travaux sous la houlette de l’IRSEM, l’institut de recherche. Une cinquantaine de chercheurs et chercheuses (aussi nombreuses que leurs homologues masculins) qui avait 10 minutes (pas plus) pour présenter le résultat de leur recherche, de leur thèse (en cours d’écriture ou quasiment terminée).
De la Russie (qui a fait l’objet de nombreux points de vue) au Mali, en passant par la Corée du Nord, l’Arctique, le terrorisme, les changements climatiques, Djibouti, la Mongolie, la Syrie, le G5 Sahel, Taïwan, la politique de défense de l’Inde, le budget de défense français, etc. Le panel de réflexion était large. Et les nouveaux visages de cette pensée en herbe mériteraient (tout autant que les anciens) de trouver le chemin des plateaux télé, radio et pages des journaux car les points de vue qu’ils développent sont fort intéressants.
J’ai cependant un petit bémol à apporter à cet enthousiasme. Un regret. De façon (très) étonnante, aucun travail n’était consacré à l’Union européenne, aux nouveaux projets de coopération, au rôle du Haut représentant… Une impasse inexplicable, inexpliquée d’ailleurs. Bien entendu, l’Union européenne était mentionnée à de nombreuses reprises (pour ce que j’ai pu écouter) en matière de position politique sur la Corée, ou de sanctions, de financements pour le Mali, de lutte anti-terroriste, etc. La mention était récurrente. Mais elle n’était l’objet d’aucune étude propre. Même en élargissant au plan des pays européens, je n’ai recensé qu’un seul travail, celui de Laurent Borzillo sur l’Allemagne, avec une question ô combien pertinente : « Peut-on compter sur [Berlin] et les forces militaires communes existantes en cas de besoin de projection de force ? ».
Rien sur le Brexit, sur les capacités militaires ou industrielles de tel pays européen, sur le choc des crises financières sur les pays du sud de l’Europe, sur les possibles (ou impossibles) projets européens, sur les opérations maritimes de l’UE… Ni en mode explicatif ni en mode critique ou tout simplement prospectif. Une pauvreté qui tient sans doute au hasard des disponibilités des étudiants. Mais pas seulement. Nous l’avions déjà constaté lors de la rédaction de notre ouvrage sur la PeSDC : autant les travaux d’étudiants étaient nombreux dans le monde francophone dans les années 2000 à 2010 sur les missions, les instruments de la PSDC, autant ils sont plus rares aujourd’hui.
Est-ce le reflet d’une position plus générale ? A suivre de près. Mais il y a aujourd’hui un certain tropisme français, assez répandu dans les rangs militaires, de considérer l’Europe comme un problème plutôt que comme une solution, du moins en matière de sécurité. On semble préférer les sujets exotiques, lointains, plutôt que de s’attacher à mieux connaître et coopérer avec les voisins, jugés peu efficaces, peu entreprenants et peu dotés. Chacun ne jure que par les Britanniques qui demeurent pour les Français l’alpha et l’oméga de la défense européenne. Ce qui semble un (beau) leurre politique.
Cette ignorance dans le champ de la réflexion est plutôt étonnante à l’heure où, justement, la défense a fait irruption dans le champ politique européen au plus haut niveau. Des évolutions notables sont en cours. Il ne se passe pas aujourd’hui une journée à Bruxelles, à Paris et dans les autres capitales européennes où ce sujet n’est pas mentionné, discuté, débattu. L’Europe a (enfin) brisé certains tabous en acceptant de financer des projets de défense et elle sera, certainement, un des points clés de la révision stratégique en cours. Emmanuel Macron a fait de la réforme européenne un de ses axes de gouvernement.
L’Europe de la défense souffre de multiples défauts, certes. Les Européens peuvent apparaître parfois pusillanimes, sans doute. Cela n’enlève pas qu’il importe de bien connaître les ressources et les insuffisances de nos voisins pour pouvoir interagir avec eux, de saisir plus finement les jeux de pouvoirs en cours dans les couloirs européens pour avoir une capacité d’influence et apporter son grain de sel dans ce maelström.
(Nicolas Gros-Verheyde)