(B2) Lundi était normalement le « jour historique » (1), le moment clé attendu depuis des années pour lancer la fameuse Coopération structurée permanente (PESCO), que tout le monde attendait. Ce jour est venu. Et rien…
Un jour « historique »… sans un mot
Pas un mot de la Haute représentante lors de sa conférence de presse finale, aucun mémo disponible pour expliquer la nature des 17 projets envisagés (2). Seul était disponible l’intitulé pour le moins énigmatique des projets (du moins pour ceux qui ne sont pas lecteurs de B2 Pro) (3). Aucun conseiller technique ou militaire disponible pour expliquer et détailler… Rien, zéro, nada… (4) En soi, ce n’est pas illogique, les projets de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) sont aujourd’hui entourés d’un mystère et d’une discrétion absolue au point qu’on se demande si c’est toujours une action européenne… (cf. encadré)
Une priorité pour les citoyens, vraiment ?
Pour le projet de défense européenne, qu’on a présenté maintes fois comme la priorité non seulement pour l’Europe, mais pour relancer le lien de confiance avec les citoyens, c’est une erreur magistrale. Cela risque de nourrir les soupçons. J’étais ces derniers jours invité à trois débats, réunissant des personnes d’horizons et de convictions très différentes : des pacifistes (autour du pacifisme de demain, au parlement de la région Bruxelles Capitale), des Européens convaincus (le mouvement européen à Arras), des officiers supérieurs (élèves de l’école de guerre française pour se préparer aux plus hautes fonctions). Autant dire des publics très distincts. Les questions posées à l’issue d’un petit exposé l’ont prouvé…
Le manque d’information entraîne des questions…
Quel est le fonctionnement, le contrôle (démocratique, des gouvernements) sur la PESCO ? Pourquoi des instances « civiles » comme l’Union européenne s’occupent de ces sujets de défense, n’y-a-t-il pas un risque de militarisation de l’Union (ou de dépossession des États membres de leurs compétences) ? Le programme de recherche défense n’est-il pas du avant tout au poids du lobbying de l’industrie de défense ? Etc. On le voit les questions tournent toutes autour du contrôle démocratique et du soupçon d’un programme tourné en fonction d’intérêts particuliers plutôt que d’intérêts généraux.
L’absence de transparence nourrit les soupçons
En procédant en catimini, sans débat, avec une communication plus que limitée envers l’opinion publique, aucune information et consultation préalable des parlementaires européens (5), on nourrit immanquablement le soupçon. Ce sont d’excellentes questions. Elles mériteraient d’avoir une réponse claire, sans ambiguïté. D’autant qu’elles surviennent chez des publics plutôt acquis à la cause européenne. Sinon le soutien, avéré, dans les sondages à la politique de défense européenne risquent de fondre comme neige au soleil.
Établir une vraie démocratie européenne
Plus généralement, malgré le fait que les Traités ne prévoient aucune procédure de consultation d’aucune sorte pour la Coopération structurée permanente en matière de défense, il faut prévoir des procédures spécifiques d’information et de consultation du Parlement européen (5). L’existence d’une telle information, d’un tel débat démocratique est une nécessité si l’on veut que le projet de défense soit partagé par l’opinion publique et la population et ne se transforme pas en un débat « techno », réservé à quelques uns. Le silence et le secret nourrissent les soupçons, les erreurs de perception, les rumeurs… Et à terme l’euroscepticisme.
Les autorités européennes doivent corriger le cap, redresser la barre. Vite, très vite … !
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Du moins tel est le terme employé par les institutions européennes elles-mêmes.
(2) La Haute représentante s’est exprimée uniquement en quelques mots à l’entrée de la réunion. Ce qui ne ressort pas à notre de l’information. Un mémo était bien disponible. Mais il a été retenu officiellement « pour des raisons administratives » et n’a été publié que 24 heures après. De même, un briefing technique a été organisé mais seulement ce mardi après-midi (soit le lendemain de la décision). « C’est mieux que rien » soulignent certains officiels. C’est vrai.
(3) Lire : La PESCO comportera 17 projets. La liste définitive. Détails (V4)
(4) Les avis et opinions prévues dans le Traité de Lisbonne (de la Haute représentante ou de la Commission européenne) n’ont ainsi pas été rendus publics.
(5) Le mot important est « préalable ». D’excellents esprits (le doigt sur la couture du Traité) me diront certainement que ce n’est pas prévu par les Traités. Certes. Mais, d’une part, ce qui n’est pas autorisé n’est pas automatiquement interdit. Et il a été observé à maintes reprises, dans le passé, et encore aujourd’hui, que certaines procédures « informelles » de consultation peuvent être facilement entreprises.
Les missions de la PSDC se replient sur elles-mêmes
Nos récentes demandes de visite dans les missions européennes se sont heurtées à deux ou trois reprises à un « non » poli. Une première visite prévue en Centrafrique (où nous payions tous les frais) a dû être annulée, sans aucune explication, « sur ordre de Bruxelles » au dernier moment (ce qui a nous coûté la bagatelle de quelques centaines d’euros perdues du à ce contre-ordre). La seconde tentative a été la bonne. Nos demandes de visites des missions à EULEX Kosovo (à deux reprises) se sont heurtées à une fin de non-recevoir déguisée : 1) aucune interview d’un responsable n’était assurée (« venez mais je ne peux vous garantir d’interview », « aucun responsable n’est là actuellement ») ; 2) aucune contre-proposition de programme de visite ; 3) pas de possibilité d’être « embedded » ; 4) pas de possibilité de monter par exemple dans un véhicule (problème d’assurance), ou de suivre des réunions. La non transparence est désormais devenue la règle dans certaines missions. B2 est un des derniers sites à rendre régulièrement compte de leur action. Mais, honnêtement, nous avons des doutes sur l’intérêt à continuer de le faire. (NGV)
(B2) Les critiques fusent déjà sur la Coopération structurée permanente. Ce qui est prématuré, puisqu’elle n’a pas encore démarré. Il faut cependant se garder de « dénigrer » pour le plaisir… l’Europe pourrait bien nous surprendre.
Des critiques bien établies
Certes, ce n’est pas la première fois que l’Europe de la défense (ou la défense européenne) est « relancée ». Mon ami Frédéric Mauro a compté au moins trois « relances » qui se sont enfoncées dans les sables : le traité de Maastricht, St Malo en 1998 et le paquet défense de la Commission en 2007-2009. En se gardant d’y ajouter le Traité de Lisbonne, on en est tout de même à la quatrième tentative. Cette Coopération est « moins ambitieuse qu’attendu, le concept d’États pionniers a été abandonné », critique le chercheur britannique Nick Whitney dans une envolée lyrique intitulée « EU defence efforts miss the open goal again » (1). D’autres experts se multiplient pour exprimer leurs doutes sur cette Coopération.
Certes, le produit fini n’est pas une révolution. On est loin du projet initial de noyau dur d’avant-garde. Les engagements, même s’ils sont politiquement contraignants, ne le seront pas dans les faits (2). Mais, pour autant, peut-on vendre la peau de l’ours avant d’en voir la queue ? Il faut prendre la Coopération structurée pour ce qu’elle est : un processus politique qui démarre, avec un clair engagement de tous les États membres (ou presque), une saine émulation par les pairs, une vingtaine de projets destinés à concrétiser cet engagement et des dispositifs de planification coordonnée qui ne sont pas encore mis en place.
Se baser sur les expériences du passé pour prédire l’échec de la PESCO tient du pari. Postuler son succès est tout aussi audacieux. Non, la PESCO n’est sans doute pas la panacée de la défense européenne. Pourtant, on peut reconnaître qu’il y a aujourd’hui une conjonction heureuse d’ingrédients – politiques, financiers, opérationnels, techniques – qui n’ont jamais été réunis et qui peuvent produire des résultats. Et le contexte de crises au niveau international pourrait être un puissant moteur pouvant alimenter le système ou pallier certains défaillances. Bref, pas d’emballement, mais pas de pessimisme non plus. Et surtout, ne jouons pas les Cassandre… Dans un an ou deux, si jamais cette Coopération ne produit pas tous les effets escomptés, il sera toujours temps de la critiquer. En attendant… Give PESCO a chance!
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Ceux qui ont connu Nick Whitney dans son poste de direction de l’Agence européenne de défense se rappellent d’un responsable beaucoup moins « allant » sur l’Europe de la défense, voire même réticent. « Il n’était pas aussi enthousiaste à l’époque et pas le dernier quand il s’agissait de bloquer un projet » a confié un responsable européen de l’époque.
(2) Un engagement contraignant est, selon moi, un dispositif « contrôlé », à plusieurs niveaux : par une assemblée démocratiquement élue, une cour de justice, et des documents rendus publics. Non seulement, aucun de ces critères n’est d’emblée rempli mais ils sont même exclus.
(B2) L’émirat qatari a signé successivement plusieurs contrats militaires ces derniers jours avec au moins deux pays européens — la France et le Royaume-Uni.
Jeudi (7 décembre), à l’occasion d’une visite du président français Emmanuel Macron à Doha, l’émirat a levé l’option pour 12 avions français Rafale de plus (à ajouter aux 24 déjà commandés) et mis une option supplémentaire sur 36 autres avions. Le Qatar a également signé une lettre d’intention pour l’achat de 490 véhicules blindés de combat et d’infanterie (VBCI) à l’industriel terrestre Nexter (qui appartient désormais au groupe franco-allemand KNDS).
Dimanche (10 décembre), le secrétaire britannique à la Défense, Gavin Williamson, et son homologue qatari, Khalid bin Mohammed al Attiyah, ont supervisé la signature pour l’achat de 24 avions Typhoon/Eurofighter à BAE, suivant une déclaration d’intention signée en septembre, et de missiles Brimstone et Meteor, au groupe franco-britannique MBDA ainsi que des Paveway IV de l’usine britannique de Raytheon. Le tout pour un montant d’environ 6 milliards £. Cet accord comprend également un ensemble de formation et de coopération entre les forces aériennes et une lettre d’intention pour l’achat de 6 avions d’entrainement Hawk.
A noter que : le ministère de la Défense du Qatar avait annoncé, en juin, la signature d’un contrat d’achat de 36 avions Boeing F-15 pour une valeur de 12 milliards $ ; le Pentagone ayant autorisé la vente au Qatar de 72 avions pour une valeur d’environ 21 milliards $.
Une diplomatie du carnet de chèques
Commentaire : une sorte de diplomatie du carnet de chèques pour le petit émirat, aux prises avec un terrible conflit diplomatique avec son grand voisin, l’Arabie Saoudite. On peut voir trois objectifs dans ces achats en rafale. Il s’agit, premièrement, de faire rayonner l’émirat et de s’assurer de solides amitiés parmi les principaux pays européens (et dans le monde). Ensuite, il s’agit de montrer à l’Arabie Saoudite (le grand concurrent régional) que le Qatar est aussi puissant que lui (il s’agit d’aligner le même nombre d’avions sur le Tarmac). Enfin, cela permet de se constituer une armée de l’air moderne. Mais cela paraît presque un détail car rassembler autant d’avions assez différents, qui sont tout autant concurrents que réellement complémentaires, n’est pas tâche aisée. Le résultat risque d’être largement hétéroclite et pas très efficace au point de vue militaire. Mais l’important ne semble pas être là.