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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

« Demain la Chine : démocratie ou dictature ? » – 3 questions à Jean-Pierre Cabestan

Thu, 24/05/2018 - 10:03

Jean-Pierre Cabestan est directeur du département de science politique et d’études internationales de l’Université baptiste de Hong Kong et directeur de recherche au CNRS. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Demain la Chine : démocratie ou dictature ? », aux éditions Gallimard.

1/ Pourquoi, selon vous, le système chinois est-il plus marqué par le soviétisme que par le communisme ?

On a tendance à sous-estimer la rupture historique qu’a constitué 1949, date de l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois (PCC) et de la fondation de la République populaire de Chine (RPC). Le Parti de Mao, bien qu’indépendant de l’Union soviétique, a été organisé sur la base de principes lenino-staliniens, tout comme les institutions de la Chine populaire. En dépit des réformes introduites à partir de 1978, le système politique reste organisé selon ces principes. En conséquence, le PCC fonctionne comme une société secrète : il est opaque, il prend ses décisions sans rendre de compte à personne sauf à l’échelon supérieur et, au sommet, au chef suprême (aujourd’hui Xi Jinping). Les débats et les procédures de prise de décision au sein du Parti ne sont pas rendus publics, pas plus que ne transparait les divergences politiques qui peuvent le traverser. Les dirigeants sont cooptés selon des méthodes en apparence démocratiques, mais en réalité mafieuses, c’est-à-dire en fonction du rapport de forces entre les grands caciques du Parti.

Hu Jintao, le prédécesseur de Xi, a tenté d’introduire un peu de démocratie au sein du PCC, mais a échoué du fait d’une contradiction fondamentale et insurmontable entre le modus operandi du PCC et toute idée de transparence et de démocratie. En d’autres termes, un système de parti unique ne peut se démocratiser, sauf s’il introduit le multipartisme et les libertés fondamentales nécessaires à toute vie démocratique, donc s’il se suicide.

L’instauration du communisme reste inscrite comme objectif final dans les statuts du PCC, mais sa définition est de plus en plus confuse, et s’apparente à une sorte de prospérité générale sous la houlette du PC. Quoi qu’il en soit, seul le PCC est en droit de définir ce qu’est le communisme et donc aussi le socialisme. Et comme celui-ci se voit au pouvoir pour mille ans, il se croit entièrement capable d’atteindre cet ultime but. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les objectifs fixés par Xi Jinping pour 2049, date du centième anniversaire de la RPC : faire de la Chine un pays développé et puissant, maitrisant les technologies les plus avancées, et devenant même leader dans tous les secteurs d’avenir.

Le soviétisme est plus persistant, insidieux et pervers qu’on le croit, souvent dans le sens où il a été intériorisé par la majorité des Chinois du continent. La rupture de 1949 a gangrené les esprits et produit une sorte d’homo sovieticus qui persiste encore, ce qui explique largement l’absence de revendication démocratique des Chinois, et ceci beaucoup plus que l’influence de la culture politique chinoise traditionnelle, notamment le confucianisme. Car comment expliquer que les autres sociétés chinoises et/ou confucéennes, comme Taiwan, Hong Kong, la Corée du Sud et le Japon ont, elles, embrassé les valeurs démocratiques ?

Les enquêtes d’opinion montrent qu’une majorité de Chinois du continent pensent que leur système politique est déjà démocratique parce que les gouvernants l’affirment. Seuls le soviétisme et une absence de culture démocratique peuvent expliquer ces résultats. La réhabilitation par le pouvoir communiste des valeurs confucéennes traditionnelles, et surtout des plus réactionnaires d’entre elles – respect de la hiérarchie, vision élitaire du pouvoir, sélection des élites politico-administratives par le Parti, soumission au pouvoir au nom de l’harmonie, etc. – concourt à perpétuer le soviétisme du régime actuel. Ce qui ne signifie pas que ce régime ne soit pas efficace. Au contraire, avec les réformes, il a montré une capacité administrative et plus largement de gouvernance qu’aucun autre système soviétique n’était parvenu à maitriser. Il a favorisé le développement du pays, parvenant ainsi à apparaître comme un système de gouvernement efficace et compétent, ce qu’il est souvent, et affaiblissant ainsi, un peu comme Singapour, toute velléité de démocratisation.

2/ Vous ne croyez pas beaucoup à une future démocratisation du régime et pourtant vous estimez que les Chinois en sont globalement satisfaits. Comment l’expliquer ?

Pour les raisons que je viens d’évoquer, la démocratisation de la Chine reste lointaine, incertaine et, je crains, moins pacifique qu’espérée. Les Chinois sont satisfaits de leur régime politique tout d’abord parce que celui-ci leur a apporté la prospérité, ou plutôt un certain bien-être, et l’éradication de la pauvreté. Il leur a également apporté une meilleure gouvernance qu’autrefois, y compris à l’époque de Mao, la stabilité et la sécurité, deux préoccupations qui, pour des raisons très compréhensibles – l’histoire chinoise du XXe siècle – sont vouées à rester prioritaires. Bref, entre sécurité et liberté, les Chinois préfèrent la sécurité, avec tout ce que cela implique comme conséquences, en matière de contrôle social, de censures ou d’atteintes à la vie privée. Les classes moyennes actuelles sont les plus attachées à la sécurité de leurs biens et de leurs proches, manifestant des tendances que la société française pourrait qualifier de « lepénistes ».

La pression des migrants arrivant des campagnes, les difficultés croissantes d’accès à la propriété, la compétition féroce imposée par le système éducatif, les lents progrès des systèmes de protection sociale, etc. tous ces facteurs contribuent à nourrir l’égoïsme des classes moyennes et leur désintérêt pour la démocratie, qui, en l’occurrence, ne faciliterait en rien le règlement de ces problèmes. L’amélioration du niveau d’éducation et la mondialisation de l’économie et de la société chinoises sont de nature à favoriser une diffusion des idées démocratiques. Mais cela prendra du temps avant que les Chinois se révoltent contre la société secrète qui les dirige d’une main de fer. En attendant, et tout en maugréant plus qu’avant, car leurs attentes sont plus importantes, la majorité des Chinois gardent leurs distances du politique et restent, au fond, profondément légitimistes. La montée du nationalisme, et surtout le rôle clé des élites, contribuent à perpétuer ces comportements. En effet, fidèles au PC, la grande majorité des élites politiques, entrepreneuriales et intellectuelles sont conservatrices, dominées par les idées de la nouvelle gauche néo-maoïste et autoritaire ou des néo-confucéens. Dans ce paysage, les réformateurs du PCC et les démocrates en herbe paraissent bien faibles et isolés. La féroce répression de tout mouvement constitutionaliste ou de droits de l’homme, qui s’est accentuée sous Xi, contribue évidemment à consolider ce rapport des forces défavorable. Mais je pense qu’une grande partie des élites se satisfont des privilèges que le PCC leur a distribués, y compris en matière de consultation et d’influence politiques. Et surtout, un peu comme l’establishment hongkongais (et pro-Pékin), ils ne veulent pas partager ces privilèges avec le vulgum pecus, les Chinois sans pouvoir ni argent…

3/ Vous écrivez que les réseaux sociaux laissent plus d’espace aux citoyens tout en permettant de resserrer leur contrôle par le régime. Comment expliquer ce paradoxe ?

L’engouement des Chinois pour Internet et toutes les activités que les tablettes électroniques permettent est connu. Mais je ne pense pas que la toile va démocratiser la Chine. En dépit de la censure, dont la plupart, en réalité, s’accommodent, Internet permet un échange beaucoup plus intense et rapide des informations et des idées, notamment sur Weixin ou Wechat. Mais le PCC veille au grain et a les moyens non seulement de rapidement faire disparaitre de la toile tout message politiquement subversif ou même critique, mais aussi d’identifier et intimider les contrevenants : cette limite essentielle au caractère privé de la correspondance est parfois contestée, mais elle reste intériorisée et acceptée par la plupart, car peu contraignante.

Enfin, le projet de crédit social, actuellement testé dans plusieurs provinces, contribuera à resserrer ces contrôles, de nature orwellienne, distribuant bons et mauvais points aux citoyens en fonction de leurs actes publics (propos ou comportements jugés antisociaux) ou privés (abandon de vieux parents). La généralisation de ce système sera un test qui permettra de mieux mesurer l’acceptation par la société chinoise du soviétisme du régime ou, au contraire, sa contestation.

« Hollywar : Hollywood, arme de propagande massive » – 3 questions à Pierre Conesa

Thu, 17/05/2018 - 12:57

Pierre Conesa, spécialiste des questions géopolitiques, a occupé différentes fonctions au ministère de la Défense. Il est maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Hollywar : Hollywood, arme de propagande massive », aux éditions Robert Laffont.

Hollywood est donc essentiel dans la constitution de l’opinion publique américaine ?

Je ne m’intéressais qu’à la façon dont Hollywood traite du rapport avec « l’Autre », l’étranger, celui qui n’est pas de droit, membre à part entière de la société américaine : ce pouvait être le « Noir », ou les « peaux rouges », mais aussi les « Hispaniques » ou les « Jaunes ». Hollywood les traite tous comme des « sous-hommes » (ennemis cruels, serviteurs, simplets, combattants perfides…). Pour moi, ce ne sont pas les excellents films produits par Hollywood, ceux que nous voyons, qui forment l’opinion américaine, ce sont les mauvais, produits en quantité : les 2700 westerns, les 1500 films représentant le Mexicain comme un personnage transpirant (le Greasy), au rire sardonique, ou les 100 films consacrés au « Jaune » cruel (le docteur Fu Manchu d’abord Mandchou, puis Chinois et enfin Tibétain…) avant de laisser la place au Japonais, au Coréen puis au Chinois aujourd’hui… C’est une sorte de bizutage pour avoir ensuite le droit d’accéder à d’autres rôles, tout en devant attendre encore un certain temps pendant lequel le héros du film est encore un acteur blanc grimé. Je cite un certain nombre de documentaires faits par un arabo-américain ou un sino-américain qui démonte tous les stéréotypes dont leur communauté a souffert. Les Français y ont eu droit aussi, pendant le French Bashing. Aujourd’hui, l’ennemi est « l’arabo-irano-terroristo-nucléaro-musulman ». C’est l’ennemi « busho-trumpien » !
Les États-Unis sont un pays qui n’a pas de ministère de l’Education nationale et donc pas de « récit national » officiel comme le fut l’Histoire de Michelet pour la France de la IIIe république. C’est Hollywood qui a assumé ce rôle. D’autre part, les États-Unis sont un pays fermé sur lui-même : la moitié des parlementaires n’a pas de passeport. Donc les mauvaises productions hollywoodiennes ont constitué et constituent encore la fenêtre sur le monde.

Comment se fait-il que le mass shooting soit absent des scénarios contrairement au terrorisme ?

Hollywood produit des films extrêmement critiques sur la société américaine ou sur la vie politique à Washington. Mais dès qu’il s’agit du rapport avec un ennemi ou une menace, la machine déraille ! Des films montrant la capacité des forces de police et de sécurité ou des services d’espionnage contre les terroristes sont nombreux. C’est de la propagande : je rappelle que les deux dernières interventions militaires américaines (Irak et Afghanistan) ont été des catastrophes, que la CIA a mis 10 ans à retrouver Ben Laden, et on attend toujours de savoir qui a commandité l’assassinat de Kennedy.

Il reste aussi des sujets tabous qu’Hollywood ne tente même pas d’aborder comme les mass shooting. Au XX° siècle, les guerres ont causé moins de morts américains que les morts par armes à feu et les mass shooting, ces tueries anonymes, font une moyenne de 30 000 morts par an. Pourquoi ce manque ? Pour ne pas heurter la puissante National Riffle Association (NRA) ?

« Elephant » de Gus Van Sant (2003) sur le massacre de Colombine (1999) produit par la chaine HBO n’eut qu’une « sortie fantomatique » aux États-Unis. « American Yearbook » (2004) ne fut pas distribué ; « Beautiful Boy » (2010) ; « Heart of America » (2002) ; « Hello Herman » (2012); « Home Room » (2002) ; « The Only Way » (2004), tous ces films qui évoquent le sujet n’ont eu que des diffusions confidentielles. « Bowling for Columbine » de Michael Moore est un documentaire plus qu’un film et il n’a dû son succès qu’à la Palme attribuée à Cannes.

Comment expliquer que le cinéma américain représente 90 % des recettes cinématographiques de la planète pour seulement 15 % des films produits ?

Le cinéma est considéré aux États-Unis comme un secteur de production plus que comme une activité culturelle et fait dès lors partie des domaines que les autorités américaines veulent ouvrir au libre marché dans les négociations de l‘OMC. On se souvient que dans les accords Blum/Byrnes, signés en 1946, juste à la fin de la guerre, le prêt accordé par Washington à la France était conditionné par l’ouverture des écrans français aux 2700 films américains tournés pendant la guerre. Or ces films décrivaient la réalité d’un pays, les États-Unis, qui n’avaient pas connu la guerre sur son territoire alors que les productions françaises étaient principalement centrées sur l’Occupation, la Résistance, les tueries et les privations. Le succès des films américains d’après-guerre auprès d’un public qui avait envie de souffler fut aussi commercial.

Aujourd’hui, seules la France et la Corée s’opposent à Washington exactement pour les mêmes raisons. Mais la grande force d’Hollywood est l’extraordinaire créativité des scénaristes qui sont capables de raconter n’importe quelle histoire en prenant toutes les libertés du monde avec la réalité historique et en faire un magnifique film. Je cite l’exemple du film « Argo » contre lequel les protestations sont venues du Canada, car tout le travail a été fait par l’ambassadeur canadien pendant la révolution islamique à Téhéran, alors que l’agent de la CIA, joué par Ben Affleck, n’a passé qu’une demi-journée à Téhéran. Mais on ne peut pas faire un film comme cela à Hollywood.

Même remarque pour le combattant américain : les États-Unis n’ont jamais connu la guerre sur leur territoire et les guerres modernes ont toujours été médiatisées par le cinéma. C’est le seul cinéma qui peut se permettre de faire un film (« Rambo 2 ») dans lequel un ancien combattant du Vietnam, revenant dix ans après la fin de la Guerre, tue seul 76 Vietnamiens. Jamais la France n‘aurait pu faire un film comme cela sur la guerre d’Algérie.

Vous remarquerez que Sylvester Stallone, qui n’a jamais fait la guerre, ne souffre pas du syndrome post-traumatique. On vient d’ailleurs d’apprendre qu’il rempile avec sa bande de sexagénaires dans « The Expendables » 6 ou 7, bande de joyeux compagnons qui ravagent régulièrement des pays mythiques opprimés par un sanglant dictateur… Dans « The Expendables 2 », c’est le Népal où un groupe armé impossible à reconnaitre a eu le tort d’enlever Schwarzenegger. La bande de joyeux vandales se déplace ensuite en Bulgarie pour libérer des femmes et des enfants esclaves dans une mine puis en Albanie pour une autre tâche humanitaire et enfin dans un des pays d’Asie centrale (le Kazakhstan).

Les spectateurs américains eux-mêmes ne sont pas dupes des films pleins d’hémoglobine et de super-héros puisqu’un site délivre chaque année l’Oscar du film le plus meurtrier.

Comment le cas George Soros met l’UE au pied du mur

Thu, 17/05/2018 - 10:33

La Fondation Open Society (OSF), créée par George Soros, vient de l’annoncer : suite au projet de loi du gouvernement de Viktor Orban contre les ONG qui viennent en aide aux migrants, elle quitte la Hongrie où elle était implantée depuis plus de trente ans pour Berlin. Un tournant pour cette organisation, un test pour l’Europe.

Née de la volonté d’un milliardaire américain d’origine hongroise, George Soros, et installée notamment en Hongrie depuis 1984, afin de promouvoir les valeurs démocratiques et libérales – initialement pour limiter l’influence du communisme –, OSF regrette « la politique de répression croissante » à son encontre dans le pays. Un projet de loi prévoit en effet que toute organisation travaillant avec des migrants devra être contrôlée par le ministère de l’Intérieur hongrois et que toute organisation bénéficiant de financements étrangers sera taxée à 25 %. Ces mesures sont dirigées contre la fondation Soros en raison de son soutien aux ONG de défense des droits de l’Homme et des réfugiés, qui figure parmi ses activités.

Plus globalement, le cosmopolitisme et l’ouverture sur le monde sont pointés du doigt par le pouvoir hongrois. Soros est décrit comme un ennemi de la « nation hongroise ». Avec lui, estime en effet Orban – qui, lorsqu’il était étudiant à Oxford et engagé contre le communisme, avait bénéficié d’une bourse d’une des fondations Soros –, on « apprend que l’immigration illégale ou les ‘gender studies’, c’est bien. » Le premier ministre fait ici référence aux financements qu’OSF accorde à certaines universités à Budapest.

Le retour en arrière sur les droits des femmes, en Hongrie, procède lui aussi d’un projet politique traditionnaliste et nationaliste, parfaitement fantasmé : perpétuer la population blanche en supprimant l’immigration. On observe la même chose en Pologne ou aux États-Unis, par exemple.

Depuis 2016, Fidesz, le parti de Viktor Orban au pouvoir, harcèle et diffame l’OSF et George Soros. Complotisme et antisémitisme en sont les ressorts. Pendant la dernière campagne électorale, des milliers d’affiches présentaient Soros avec une mine grimaçante et ce commentaire : « 99 % des Hongrois sont contre les immigrants. Ne laissons pas Soros rire le dernier. » Une autre, via un montage, montrait le milliardaire manipulant une marionnette. L’image du juif manipulateur, qui « tire les ficelles » dans l’ombre est un vieux cliché antisémite des années 1930-40. Soros, qui a fui la Hongrie occupée par les nazis quand il était enfant, s’est dit très choqué par cette iconographie.

LES FONDATIONS ÉTASUNIENNES EN EUROPE : UNE RELATION SÉCULAIRE

Dès le début du XXe siècle, de grandes fondations étasuniennes ont élaboré une stratégie d’expansion en Europe. Afin d’asseoir leur suprématie géopolitique sur le vieux continent, les États-Unis ont fondé ce soft power sur l’éducation et la culture. Créées par des chefs d’entreprise, ces fondations visaient à la diffusion des principes « universalistes » de libéralisme, politique et économique, et des idéaux de démocratie.

Dans la tradition de l’ « expert », issue du XIXe siècle, qui est depuis à l’œuvre dans les nombreux think tanks à tous les niveaux de l’échiquier politique aux États-Unis, le soutien à la science et aux chercheurs devait renforcer l’influence géopolitique et économique américaine. Parfois, l’adaptation aux contextes nationaux, en Europe, a été difficile. Des centres de recherche ont vu le jour, des bourses d’études ont été décernées, des milliers de livres ont été achetés et des colloques ont été organisés à la pelle. Pour autant, rien ne s’est fait ex nihilo ; les fondations se sont appuyées sur des structures et des réseaux existants, mais en ont souvent modifié les modes de gouvernance.

Ainsi, dans l’entre-deux guerres, la fondation Rockefeller a financé l’école d’infirmières (au féminin à l’époque) et la faculté de médecine de Lyon et a veillé à la bonne santé des ouvriers et des militaires à côté de la grande bourgeoisie locale, ainsi que les sciences économiques à la London School of Economics. Le savoir est un prétexte à une forme de contrôle social, et la recherche empirique, un auxiliaire du politique et du business, notamment au moment de la crise de 1929.

Après la Seconde Guerre mondiale, les fondations Ford, Soros et Rockefeller ont été très actives pour refonder la pensée, la société et les institutions démocratiques en Europe et lutter contre l’influence marxiste. Loin d’avoir « américanisé » l’Europe comme on le dit parfois, ces fondations ont, pendant des décennies, nourrit des intérêts réciproques bien compris, comme le montre par exemple l’historien Ludovic Tournes dans le livre qu’il a dirigé, L’argent de l’influence (Autrement, 2010).

L’EUROPE DÉMUNIE MAIS SURTOUT AFFAIBLIE

La décision de la fondation OSF de quitter Budapest marque incontestablement un tournant, alors que l’Europe est aujourd’hui, de nouveau, gagnée par la montée des nationalismes. La Commission européenne a fait savoir qu’elle considérait ce départ comme un symbole du recul des libertés et de la démocratie en Hongrie. Mais que peut-elle faire concrètement ?

Alors que la Hongrie a signé, comme les 27 autres pays-membres, plusieurs traités garantissant le respect de l’État de droit, l’indépendance de la justice et la protection des minorités, l’UE manque d’outils juridiques pour répliquer. Pour autant, elle envisage aujourd’hui des sanctions inédites contre la Pologne où les médias sont muselés et le système judiciaire n’est plus indépendant. La Commission européenne a laissé entendre qu’elle pourrait lancer une procédure privant la Pologne de son droit de vote… ce qui n’arrivera pas car il faut l’unanimité des États-membres et que la Pologne sera soutenue, au moins, par la Hongrie.

Une autre possibilité serait la suppression de certains fonds européens destinés à la construction d’infrastructures, par exemple. L’UE, qui est par ailleurs explicitement attaquée par Orban pour son « soutien aux migrants » (sic), se penchera-t-elle sur le cas hongrois ? Envisagera-t-elle de revoir ses textes pour mettre en place des procédures de rétorsion contre les gouvernements qui multiplient les politiques anti-démocrates ? C’est un véritable test de la capacité de l’Europe à défendre les valeurs humanistes et de paix qui sont au fondement de sa construction.

Le problème est qu’ailleurs, en Italie, en Autriche et même en France, Orban jouit d’une certaine admiration. La récente couverture du magazine Valeurs actuelles en est une illustration : une photo de Soros s’accompagne du titre : « Le milliardaire qui complote contre la France. Révélations sur Georges Soros, le financier mondial de l’immigration et de l’islamisme. » Et dans le magazine, on peut lire que son but est de déstabiliser l’Occident, déjà affaibli par un afflux d’immigrants. Une littérature qui rappelle une autre époque, mais qui se vend très bien. Dans tous les pays européens.

Amérique latine, Proche-Orient et Jérusalem. Perseverare diabolicum ?

Wed, 16/05/2018 - 15:48

Deux pays d’Amérique latine, le Guatemala et le Paraguay, ont accompagné l’ambassade des États-Unis, délocalisée de Tel-Aviv à Jérusalem. Le Honduras pourrait adopter une décision identique. Avec la Hongrie, la Roumanie, la République tchèque et le Togo, ces deux pays latino-américains ont donné une apparence de légitimité internationale au geste unilatéral de la diplomatie nord-américaine.

On comprend les motivations d’États qui en respectant le droit international, ont plus à perdre qu’à gagner. Modestes, ils n’ont de toute manière aucun droit à la parole sur les grands sujets qui divisent la paix et les équilibres du monde. Modestes, ils ont besoin quel qu’en soit le prix de la bienveillance des puissants. Le Guatemala, tout comme le Honduras, ont beaucoup de ressortissants en situation précaire aux États-Unis.

Le Paraguay est traditionnellement ouvert au mieux-disant. Comme d’ailleurs les pays d’Amérique centrale. En reconnaissant Taipei comme seul représentant légitime de la Chine, ces derniers bénéficient d’une aide appréciée en provenance de Taïwan. Le parlement d’Asuncion, théâtre d’affrontements politiques, incendié en 2017, avait été financé par la coopération de la Chine nationaliste. Israël a usé des mêmes instruments pour tenter de renverser les amitiés d’un continent ayant basculé côté palestinien. Le président paraguayen s’est rendu à Buenos Aires pour rencontrer Benjamin Netanyahou, en 2017.

Ces États sont par ailleurs en sympathie idéologique avec les autorités actuelles des États-Unis et d’Israël. Ils partagent avec Donald Trump et Benjamin Netanyahou leur hostilité à l’égard de tout ce qui de prés ou de loin se définit comme progressiste. Ils s’appuient, quelle que soit l’authenticité de la référence affichée, sur la Bible pour fixer leurs grandes orientations politiques. Donald Trump a fait bénir la nouvelle ambassade des États-Unis à Jérusalem par deux pasteurs pentecôtistes. Le chef d’État actuel du Guatemala, Jimmy Morales, est un prédicateur évangéliste. Jérusalem revêt donc pour l’un comme pour l’autre une dimension qui va bien au-delà de la Cité terrestre.

Le calcul ou le choix du cœur fait par les présidents Jimmy Morales du Guatemala et Horacio Cartes du Paraguay rappelle celui qui en 2003 avait été fait par Dominicains, Guatémaltèques, Honduriens et Salvadoriens. Ils avaient accepté de servir de caution internationale à l’expédition punitive de George W. Bush en Irak. Quelques dizaines de soldats centraméricains avaient donc accompagné plusieurs dizaines de milliers de militaires nord-américains en Irak. Le jeu en valait-il la chandelle ? Au vu du statut actuel des résidents de ces pays aux États-Unis, menacé d’expulsion et traité en ce qui concerne le Salvador « de pays de merde » par Donald Trump, la question mérite d’être posée.

À l’inverse, les voisins du Guatemala, comme ceux du Paraguay, ont manifestement gardé un prudent silence. Ou ont rappelé de façon discrète leur soutien à la légalité internationale, au respect des engagements accordés en 1993, par Israéliens et Palestiniens. Tous du Brésil au Salvador, en passant par le Chili et l’Uruguay ont considéré qu’ils n’avaient rien à faire dans une querelle dépassant leurs intérêts ou leurs sympathies immédiates. Qui plus est beaucoup ont dans leur population des communautés d’origine juive – en Argentine et en Uruguay -, syro-libanaise – en Argentine, au Brésil, au Pérou -, ou même palestinienne au Chili.

Pour autant, en ces temps d’incertitudes alimentées par l’imprévisibilité du président nord-américain, et son agressive politique commerciale et migratoire, toutes les coopérations sont les bienvenues. Benjamin Netanyahou a donc été bien reçu à Bogota, comme à Buenos Aires et Mexico en septembre 2017. La vice-présidente argentine, Gabriella Michetti, s’est rendue en Israël début 2018. Le président panaméen, Juan Carlos Varela, est attendu dans les prochains jours. Les affaires ont donc pris un tour plus dynamique. Des réseaux culturels et universitaires d’accompagnement se sont mis en place afin de pérenniser ces rapports. Les liaisons aériennes directes suspendues en 2001 ont été rétablies en avril 2018.

Quant aux évangélistes de toute nationalité, du Brésil au Costa Rica, de la Colombie au Pérou, portés par des vents politiques favorables, ils sont à l’affût pour faire avancer en Amérique latine la cause de la Palestine juive. La fraternité évangéliste du Honduras a signalé au président Juan Orlando Hernandez que « l’histoire biblique comme l’universelle, nous disent que Dieu bénit toute nation qui bénit Israël ». Le président du groupe d’amitié Brésil-Israël, Jony Marcos, un député évangéliste, s’est félicité publiquement de Donald Trump : « La communauté évangéliste du Brésil voit d’un très bon œil la décision de Trump. (..) Jérusalem a toujours été la ville sainte des Juifs et des Chrétiens ».

Toutes choses laissant ouvertes bien des portes par ailleurs. Le Paraguay qui suit bien des chemins de Damas, en parallèle, a signé il y a quelques semaines plusieurs accords économiques avec le Qatar.

Birmanie : les chantiers ardus de Aung San Suu Kyi

Wed, 16/05/2018 - 10:21

Entre Inde, Chine, Bangladesh et Thaïlande[1], démocratie et régime post-junte militaire, fascination et incompréhension, hostilités et velléités de paix, la Birmanie de ce printemps 2018 suscite une foule de sentiments contraires. Les affrontements du week-end dernier intervenus dans l’Etat de Shan opposant un groupe ethnique armé[2] et l’armée nationale, la redoutable ‘tatmadaw’, viennent les renforcer de manière peu favorable. 

Déjà aux prises avec la grave et sensible crise humanitaire en Arakan et le sort ténu de la communauté rohingya[3] massivement réfugiée au Bangladesh, la Birmanie et son pouvoir hybride[4] contre nature témoignent à cette occasion de la pluralité des écueils, contentieux et défis à gérer parallèlement, ce, moins d’une dizaine d’années après l’entame (2010) d’une complexe transition démocratique[5]. L’occasion de porter un regard synthétique sur quelques-uns des principaux ‘’chantiers’’ du moment pour ceux en charge du destin national birman.

Combats dans le Nord et l’Est, ou le mythe de la réconciliation nationale

À l’instar des événements déplorés ce week-end près de la localité frontalière de Muse[6], une centaine de combattants ethniques de la Ta’ang National Liberation Army (TNLA) ont attaqué  des positions tenues par les forces gouvernementales (causant 20 morts, en majorité des civils), mais également des combats se poursuivant entre la tatmadaw et une noria de groupes ethniques armés (GEA[7]) en divers autres points[8] du territoire, les hostilités violentes, leur lot de conséquences sur le quotidien (plusieurs centaines de milliers de réfugiés), ne font guère montre d’essoufflement. Une situation inquiétante largement imputable à la volonté de l’armée régulière « d’en finir » avec certains GEA réfractaires, qui agit comme un puissant frein à la réconciliation nationale prêchée par le gouvernement civil.

Un processus de paix au point mort

L’administration démocratique a beau le répéter via sa charismatique porte-voix Aung San Suu Kyi[9] depuis sa prise de fonction voilà deux ans en avril 2016, le laborieux processus de paix engagé par l’ancien Président Thein Sein (administration précédente, 2011-16) n’a guère avancé, bien au contraire. Face à des minorités ethniques (1/3 des 55 millions de Birmans…) pour le moins réservées sur l’autorité toute relative du gouvernement civil (et sans expérience) et sceptiques quant à l’agenda véritable de l’armée (plus présente sur les lignes de front qu’à la table des négociations…), l’administration issue des urnes oppose son envie sincère de paix et ses bonnes dispositions, sans suffire ni convaincre.

 

L’Arakan, les Rohingyas et l’opprobre international

C’est peu dire que le drame humanitaire poussant à la fin de l’été 2017 plusieurs centaines de milliers de Rohingyas à fuir précipitamment l’État de l’Arakan (ouest du territoire birman) et à trouver refuge au Bangladesh a brutalement[10] reformaté – en la dégradant sévèrement – l’image extérieure du régime, alors même que ce dernier s’était progressivement sorti ces dernières années, en déroulant un processus de transition démocratique (restant certes à achever), de l’ornière dans laquelle un demi-siècle de junte militaire et de répressions (politiques, démocratiques, ethniques) l’avait confiné.

Adressées aux autorités, les critiques internationales dénonçant les contours d’une opération contre-insurrectionnelle (menée par l’armée, sur laquelle le gouvernement civil n’a aucune autorité) de toute évidence entachée d’exactions, de violences et de drames inexcusables, ont semble-t-il davantage ébranlé Aung San Suu Kyi que le chef des armées, l’inflexible senior-général Min Aung Hlaing, dont le crédit auprès de la population nationale – laquelle ne montre que fort peu d’empathie pour les « Bengalis[11] » – s’est très sensiblement renforcé suite à ces événements.

Net coup de froid avec l’Occident / ONU

Les gouvernements et opinions publiques des États où la population est majoritairement de confession musulmane se sont montrés très critiques à l’encontre des autorités civiles et militaires birmanes pour leurs responsabilités dans la tragédie humanitaire en Arakan. Aussi, hier encore adulée dans la totalité des capitales européennes et nord-américaines ayant longtemps soutenu (de loin) son combat dans l’opposition à la junte, invitée vedette des grands forums dédiés à la démocratie et aux droits de l’Homme, Aung San Suu Kyi y trouve aujourd’hui porte close et mâchoire serrée. Un revers de fortune des plus difficiles à imaginer il y a seulement un an, un coup dur sur la résiliente Dame de Rangoun.

Pékin ou l’improbable retour en grâce

Au contraire d’un pan de la communauté internationale dont le courroux s’est bien abattu sur le pouvoir birman depuis l’automne 2017, les principales capitales asiatiques, de Pékin à Tokyo en passant par New Delhi et Séoul, se sont au contraire empressées de confirmer leur soutien à la capitale birmane Naypyidaw. Pékin, très impliquée depuis une trentaine d’années dans les ‘’affaires birmanes’’ tant économiques, qu’industrielles, mais également ethniques et politiques – trop au goût de nombre de Birmans au point de susciter un fort ressentiment sinosceptique -, a affiché publiquement une solidarité de tous les instants ou presque[12], jusque dans la médiation entre les groupes ethniques armés et la belliqueuse tatmadaw. La Chine s’est ainsi replacée tout en douceur dans les petits papiers des autorités birmanes, une véritable aubaine sur laquelle elle entend bien capitaliser…

Développement économique, croissance, investissements directs étrangers

Après deux années d’exercice du pouvoir, l’administration de la Ligue nationale pour la Démocratie (LND), portée initialement par un soutien populaire aussi ample que ses attentes étaient déraisonnables, est redescendue de son petit nuage, contrainte à la modestie par la lecture de son bilan sujet à plus d’interrogations que de satisfecit, au niveau du processus de paix et de la réconciliation nationale, mais pas uniquement. Pour l’homme de la rue de Mandalay ou de Pathein comme pour l’homme d’affaires de Rangoun ou Sittwe, les performances et orientations économiques de ‘’l’administration Suu Kyi’’ déçoivent pour leur flou, leur insuffisance et leur légèreté. Certes, la croissance économique nationale n’a pas plongé depuis que les couleurs rouge et or de la LND flottent sur les 70 000 villages de la nation (PIB + 7,2% lors de l’année fiscale 2017-18). Mais déjà mise à mal par quelques maux quasi rédhibitoires (corruption, risque politique élevé, expertise technique limitée, infrastructures désuètes, etc.), l’attractivité de la Birmanie en matière d’investissements directs étrangers (IDE[13]) semble pâtir et du manque de solidité du programme économique porté jusqu’alors par la LND, et par les incidences de la crise en Arakan.

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Il serait possible d’ajouter à ces dossiers centraux l’avenir incertain (à deux ans du prochain scrutin général) de la très fragile relation armée / gouvernement civil, les velléités de modification de la Constitution de 2008[14] défendues par la LND et une partie de l’opinion, ou encore la nécessité pour Naypyidaw de rétablir des rapports apaisés avec les États-Unis[15] et l’ONU.

La feuille de route de la première administration civile démocratiquement élue depuis les années 1960 se perd dans les difficultés. Nombre d’écueils sont à dessein dressés par une omnipotente caste de généraux désireuse d’étirer le plus longtemps possible dans le temps le processus de transition démocratique en cours. Face à ces oppositions aux conséquences négatives multiples, il parait de bon aloi d’encourager la communauté internationale à ne pas prolonger plus que nécessaire son blâme, ni durcir au-delà du raisonnable sa politique de sanctions à l’endroit d’un gouvernement démocratique dont on aura bien compris, en ces terres exposées à un nationalo-bouddhisme virulent comptant autant de moines que de militaires, qu’il n’est guère le seul dépositaire de l’autorité.

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[1] Ajoutons, pour être exhaustif, une petite ouverture terrestre vers le Laos (240 km de frontière commune).

[2] On en dénombre une vingtaine au niveau national.

[3] Les ‘’Bengalis’’ pour une majorité de Birmans.

[4] Associant depuis avril 2016, dans une alchimie incommode, un gouvernement démocratiquement élu aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND ; parti politique d’Aung San Suu Kyi, l’ancienne opposante et prix Nobel de la paix) – et l’influente tatmadaw sur qui le gouvernement ne dispose d’aucune prise décisive.

[5] Après un demi-siècle ininterrompu de junte militaire, dès 1962.

[6] Nord-est du pays, dans l’État Shan, face à la province chinoise du Yunnan.

[7] Seuls 10 des 21 groupes ethniques armés ont paraphé l’accord national de cessez-le-feu (NCA) d’octobre 2015 avec le gouvernement.

[8] cf. dans les États Kachin (nord), Karen et Mon.

[9] Officiellement ‘’simple’’ Conseillère d’État et ministre des Affaires étrangères ; dans les faits, la véritable cheffe de l’État.

[10] La violente opération contre-insurrectionnelle engagée fin août dans le nord de l’Arakan par l’armée fait suite à l’attaque coordonnée le 25 août 2017 d’une trentaine de postes de police et d’une base militaire par plusieurs centaines d’assaillants rohingyas sous les ordres d’une organisation radicale, l’Arakan Salvation Rohingya Army (ARSA), dont les liens sont avérés avec plusieurs entités djihadistes internationales.

[11] Une communauté ‘apatride’ – selon Naypyidaw (capitale birmane) – originaire du sous-continent indien et de foi musulmane, à qui le statut de minorité officielle (il en existe 135 dans ce pays…) n’est pas accordé.

[12] Déplacement en Birmanie du ministre chinois des Affaires étrangères en novembre 2017, ‘’navette’’ très régulièrement effectuée (cf. septembre et décembre 2017 ; février 2018) vers Naypyidaw et Rangoun par l’envoyé spécial du gouvernement chinois, Sun Guoxiang.

[13] Ces capitaux nécessaires notamment au financement des infrastructures (routes, électricité, énergie, eau, pont, ports, aéroports, etc.), souvent antédiluviennes dans la Birmanie d’aujourd’hui.

[14] Rédigée par la plume de constitutionnalistes aux ordres de l’armée, avec pour souci central de préserver l’influence et l’autorité des hommes en uniforme, fut-ce dans une logique de transition démocratique graduelle.

[15] Et plus particulièrement avec une administration républicaine aujourd’hui guère birmanophile, à des lieues de l’intérêt que lui portait la Maison-Blanche alors démocrate, lors des deux mandats de Barack Obama (2009-2017).

Israël : un boulevard diplomatique ?

Tue, 15/05/2018 - 18:35

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Accord nucléaire iranien : les sanctions américaines et la désillusion des entreprises étrangères

Fri, 11/05/2018 - 17:44

Mardi 8 mai, Donald Trump a acté le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien. Malgré la volonté des cinq autres pays signataires (France, Allemagne, Royaume-Uni, Russie et Chine) de rester dans l’accord de Vienne, le rétablissement des sanctions américaines serait applicable immédiatement pour les nouveaux contrats et entreprises étrangères engagés en Iran. Face à une divergence de volontés et un risque de sanctions, la question de la souveraineté économique, mais également politique des pays est en jeu. Pour nous éclairer sur la situation, le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

Certains estiment que les Européens pourront continuer à acheter du pétrole iranien, limitant de fait l’impact des sanctions et le risque d’une flambée des prix du baril. Si tel n’était cependant pas le cas, de quelle manière les pays européens devraient-ils se positionner avec l’Iran ?

La sortie de l’accord n’engage que les États-Unis qui souhaitent imposer des sanctions à l’Iran. En tant que tel, cela ne change pas grand-chose puisque seules les sanctions imposées par le président via un executive order avaient été levées par Obama. Il n’avait aucun pouvoir sur les sanctions du Congrès qui ont force de loi et n’avaient, elles, jamais été levées, même si le Congrès avait été relativement coopératif depuis l’accord de 2015. Dans ce contexte de sanctions unilatérales, on peut imaginer que dans l’absolu, les relations commerciales avec l’Iran (achat de pétrole par exemple ou poursuite des contrats initiés depuis 2 ans) ne devraient pas être impactées. Ainsi, malgré les sanctions et surtout depuis leur levée, la Chine a multiplié ses relations commerciales avec l’Iran, et nul doute qu’elle continuera après le 8 mai 2018.

Toutefois, cela reste théorique et il important de prendre en compte la réalité des rapports de force dans le cas européen entre les États-Unis et les pays européens. C’est la « liberté » et le choix des pays européens signataires de l’accord (Allemagne, France et Royaume-Uni) que d’y rester. Pour cela, ils devraient défendre leur souveraineté et refuser de subir les conséquences du retrait américain, même s’il est évident que cela est plus compliqué qu’il n’y paraît et dépendra bien sûr du poids que mettront les Européens à faire respecter leur décision à l’administration Trump. Il y aura des menaces du côté des Américains, des tentatives de déstabilisation et une volonté d’empêcher les Européens, et surtout les entreprises, à faire des affaires avec Téhéran. Il faudra donc que les pays européens s’unissent face aux États-Unis. L’enjeu dépasse largement le seul respect de l’accord : la position des Occidentaux dans la région et la stabilisation économique et politique de l’Iran, qui induirait une possible montée des tensions.

Il y a une vraie opportunité pour les Européens à se positionner et à s’affirmer dans cette région où les intérêts pour la stabilité européenne sont beaucoup plus essentiels que pour les États-Unis qui continuent à attiser les braises. Le Président Trump, comme une bonne partie des élus américains, pensent que les Iraniens constituent un danger majeur dans la région et qu’il faut les écarter. Ce n’est pas un hasard si au début des années 2000, George W. Bush avait désigné l’Iran, comme la Corée du Nord d’ailleurs, comme des « États voyous » (rogue states). Reste à savoir si cet acte peu diplomatique n’avait pas participé à l’exacerbation des tensions dans les deux cas… Les Européens, et en son temps le Président Obama, ont fait le pari que la négociation et la coopération, y compris et surtout économique, peuvent au contraire, normaliser la situation. Ce sont deux analyses différentes d’une même situation où il n’est pas sûr que l’un des acteurs régionaux soit plus raisonnable qu’un autre.

Les entreprises étrangères ayant signé des contrats avec l’Iran, tels que Airbus, Total, General Electrics, vont certainement être pénalisées par la reprise de ces sanctions. Toutefois, un État qui déciderait de signer des accords avec l’Iran serait-il susceptible de sanctions, restrictions ou représailles de la part des États-Unis ?

Dans l’absolu, les Européens n’ont aucune obligation à appliquer des sanctions d’un autre pays, en l’occurrence les États-Unis, dont on peut d’ailleurs questionner leurs légitimités. En effet, seules des sanctions décidées par la communauté internationale, donc l’ONU, ont cette légitimité et doivent être transposées et respectées par tous. Il y a eu en son temps des sanctions à l’encontre de l’Iran qui ont été levées au moment de l’accord sur le nucléaire. Dans la réalité, depuis quelques années les États-Unis appliquent ce que l’on appelle à tort l’extraterritorialité de leurs lois qui est en fait une interprétation très inclusive de la notion de « personne américaine » et des intérêts états-uniens. Ils exploitent leur position centrale dans la mondialisation économique pour pratiquer une sorte de chantage, au prétexte que si vous avez un lien avec les États-Unis (dollars, filiales dans le pays, clients ou fournisseurs américains, etc.), vous devez respecter les règles américaines. Aucun pays ne s’est encore opposé à cette pratique.

De plus, il y a une confusion entre la réalité des poursuites orchestrées par le Department of Justice ces dernières années, qui ont valu d’amende à plusieurs banques européennes, et.la politique étrangère de ce pays, même s’il est vrai que les banquiers européens sont aujourd’hui dans une situation délicate ayant accepté une intrusion et un contrôle américain de leurs activités d’une part, et d’autre part face à un système financier iranien ne fournissant aucune garantie réelle après des années d’isolement d’un système financier mondial ayant beaucoup évolué… Les banques européennes sont donc particulièrement vulnérables, mais là encore la question est à la fois économique et politique. Les banques italiennes, par exemple, plus petites et moins globalisées que les françaises, sont moins sensibles aux pressions américaines. Ce sera certainement la même chose pour certains pays africains, pour la Chine ou pour la Russie. Par ailleurs, fut un temps où les Européens avaient affiché leur refus de ce diktat américain, durant les années 1990 lorsque la loi américaine Helms-Burton sanctionnait Cuba. Les relations économiques des Européens avec Cuba (cf. le développement du tourisme) ont été préservées. Les conséquences du retrait américain dépendront donc aussi de la posture politique des Européens face aux États-Unis et vis-à-vis de l’Iran.

Face au retrait américain, la Chine pourrait-elle tirer son épingle du jeu et renforcer le poids du yuan dans les échanges pétroliers ainsi que dans le financement des investissements en Iran ?

La Chine tire déjà son épingle du jeu. Les relations commerciales avec l’Iran se sont intensifiées depuis l’accord. Rappelons deux choses : la Chine était l’un des pays signataire de l’accord, donc partisane de la recherche ou du pari d’un apaisement avec ce pays. Et les routes de la soie traversent l’Iran, pivot essentiel de la stratégie chinoise dans la région. Elle ne laissera donc certainement pas les États-Unis lui dicter ou influencer ses relations avec l’Iran, cela pourrait d’ailleurs être un grief de plus du président Trump à l’encontre de la Chine. La « diplomatie du panda » développée par la Chine est aux antipodes de la stratégie américaine actuelle et profitera certainement aux intérêts chinois. Elle n’en est pas moins inquiétante pour les Européens et leurs intérêts en Iran, et au-delà d’ailleurs. La balle est dans le camp de ces derniers …

Trump déclenche la plus grave crise de l’Alliance atlantique

Fri, 11/05/2018 - 11:42

La dénonciation par Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien n’est pas uniquement l’expression d’un différend entre alliés. Il constitue une attaque supplémentaire de la part du président américain contre un ordre international multilatéral. Il annonce une crise stratégique aux conséquences potentielles incalculables au Proche-Orient, et est porteur de ruptures du pacte transatlantique.

En réalité, lorsque Donald Trump prend une décision de politique étrangère, il fait toujours preuve de cohérence : il prend en compte ce que pensent et souhaitent ses électeurs au détriment de l’intérêt national à long terme. Il joue en permanence une stratégie de la tension, estimant que cela va conduire les autres nations à se ranger derrière la barrière américaine, et éventuellement intensifier leurs achats d’armements aux États-Unis. Leur poids, leur rôle historique, leur puissance ont conduit les Américains à ne jamais hésiter à avoir une politique unilatéraliste, le multilatéralisme étant plutôt une option. Mais jamais un président américain n’aura poussé le curseur aussi loin. Washington a toujours eu une conception de l’alliance atlantique comme devant être menée sous son leadership. Mais jamais aucun président américain n’a traité ses alliés avec aussi peu de considérations. Pour Trump, il n’y a pas de partenaires, il n’y a que des vassaux qui doivent s’aligner docilement derrière Washington.

La façon dont il gère le dossier iranien est encore plus grave que celle dont fit preuve George W. Bush dans le dossier irakien. Au moins celui-ci avait tenté de convaincre ses partenaires et essayé de trouver une solution au sein de l’ONU, faisant même revenir son pays à l’UNESCO pour montrer qu’il n’ignorait pas totalement le multilatéral. Trump ne s’embarrasse de rien de cela. Il décide seul, en fonction de calculs partisans, les autres nations doivent suivre sans discuter.

George W. Bush avait été suivi par des pays européens, notamment le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie et tous les pays de l’Est. Aujourd’hui, le président américain est bien plus isolé puisqu’il y a un front commun Londres-Paris-Berlin estimant qu’il fait gravement fausse route. Sans doute la République tchèque et les pays baltes, voire quelques autres, vont comme d’habitude le suivre docilement. Mais au niveau mondial, Trump est encore plus isolé que ne l’était George W. Bush en 2003. Pourtant, il est aujourd’hui devenu évident que le monde unipolaire était une illusion.

La volonté de Trump d’interdire aux autres signataires de l’accord sur le nucléaire iranien et à tout autre pays de continuer à avoir des relations commerciales avec l’Iran est une mise en cause fondamentale de leur souveraineté. Paris, Londres et Berlin sont mis au défi : soit ils résistent et ne tiennent pas compte des menaces de Washington, il y aura alors la plus grave crise que l’Alliance atlantique n’ait jamais connu ; soit ils appliquent les consignes de la Maison-Blanche et perdent en crédibilité et souveraineté.

C’est une occasion unique de montrer que l’Europe peut prendre en main son destin. Les États-Unis, qui ont été son protecteur pendant la guerre froide, apparaissent aujourd’hui plus comme une source de danger en termes de sécurité, que de stabilité. Ils rassuraient face à l’URSS, désormais ils font peur. L’Alliance atlantique était une protection, Trump veut en faire une servitude. Nous parlons souvent de valeurs communes des pays occidentaux. Mais le multilatéralisme, qui est une valeur fondamentale dans un monde globalisé, nous sépare en fait. Trump montre une volonté hégémonique et punitive à l’égard de ceux qui sont en désaccord et dépasse ainsi de loin toutes les démarches impériales de ses prédécesseurs.

La France, en s’opposant à la guerre d’Irak en 2003, avait permis non pas de l’éviter, mais de préserver une biodiversité stratégique : le monde occidental n’était pas un bloc uni en se dressant face à une force sans loi, face au recours à la guerre comme moyen de résoudre les problèmes politiques, face à la brutalité aveugle. Elle avait obtenu un surcroît de prestige et une popularité internationale impressionnante. Emmanuel Macron, qui s’est maintes fois réclamé du gaullo-mitterrandisme, a aujourd’hui une occasion de marquer l’histoire.

Coopération États-Unis – Amérique latine : la Chine de plus en plus proche

Thu, 10/05/2018 - 12:08

Le 2 mai dernier, Pékin et Saint-Domingue ont annoncé la mise en place d’un accord exclusif de coopération et de reconnaissance mutuelle. Exit Taipeh, qui perd petit à petit le dernier carré de pays avec lesquels elle entretenait des relations diplomatiques privilégiées. Restent fidèles à la Chine nationaliste, le Guatemala, le Honduras, Haïti, le Nicaragua, le Paraguay, et le Salvador. En 2017 en effet, Panama avait franchi le pas après le Costa-Rica qui avait signé en 2011 un accord de libre échange avec la Chine communiste, prolongeant la reconnaissance officielle de 2007.

Mais derrière Taiwan relégué au rang de région économique de la Chine continentale au même titre que Macao ou Hong Kong, ce sont les États-Unis qui perdent influence et rayonnement commercial. Certes, Taipeh n’est plus le partenaire chinois privilégié par Washington, mais reste malgré tout un point d’appui protégé. Intervenant après bien d’autres, le choix diplomatique de la République dominicaine est révélateur d’un changement d’époque.

Deuxième puissance économique du monde, la Chine a développé sa présence internationale y compris en Amérique latine. Ses présidents successifs ont «ouvert le bal» au tournant du millénaire. Ils ont été suivis assez vite par les ministres du gouvernement central, puis par diverses autorités locales, et enfin par des acteurs économiques, privés comme publics. Dès 2010, un accord de libre échange avait été négocié et signé avec le Pérou.

La Chine a très vite cherché à donner une pérennité à ces échanges humains. Un livre blanc a été publié en 2008. La Chine a consolidé ses rapports avec le Brésil via une appartenance commune au groupe BRIC. La destitution douteuse de la présidente Dilma Rousseff n’a rien changé, du point de vue de la Chine, aux rapports bilatéraux. Michel Temer, chef d’État intérimaire du Brésil a été invité au Sommet BRIC de Shanghaï. Un réseau de consultance et de recherche en espagnol, REDCAEM, a été mis en place en 2015[1]. La CEPAL, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, a organisé à Santiago du Chili une première conférence internationale Chine/Amérique latine en 2015. À peine constituée, la CELAC, Communauté d’États latino-américains et caraïbes, a été invitée à Pékin en 2015. Un Forum Chine-Amérique latine (FCC) a été créé. Il s’est réuni au Chili pour la deuxième fois le 23 janvier 2018. Ces différentes rencontres ont été l’occasion de doter le FCC de structures permanentes.

Le repli national effectué par les États-Unis avec Donald Trump a été saisi par Pékin pour bonifier le rapport mutuel. Initiative bien reçue par des dirigeants politiques et des responsables économiques latino-américains déconcertés par le retrait des États-Unis du TPP, (accord de partenariat transpacifique), et la dénonciation de l’ALENA. Rex Tillerson, secrétaire d’État démis par Donald Trump avait lancé l’alerte le 2 février dernier. «Chine et Russie», avait-il déclaré à l’occasion de son unique déplacement en Amérique latine, «constituent une menace commune aux intérêts des pays de l’hémisphère occidental».

Remercié de façon cavalière, il n’a pas été vraiment remplacé, pas plus que la stratégie commune aux Amériques qu’il avait tenté de proposer à son chef. Donald Trump dénonce la montée en puissance économique et commerciale de la Chine, tout comme celle de l’Europe et de l’Amérique latine. Cette offensive commerciale tous azimuts, sans mode d’emploi réaliste, ouvre la voie à toutes sortes de rapprochements entre la Chine, toujours signalée par les États-Unis comme adversaire principal, et une Amérique latine en quête de nouveaux équilibres.

Le choix de Pékin, assumé sans complexe par la République dominicaine, pourrait en annoncer d’autres. Le Chili a adhéré en 2017 à la banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), créée par Pékin en 2015. L’Uruguay est en négociations depuis plusieurs semaines avec la Chine. La Chine a actualisé le livre blanc de ses relations avec l’Amérique latine, le 25 novembre 2016. Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, a signalé publiquement qu’il négociait un accord de libre échange avec Montevideo le 26 janvier 2018. 2018 devrait voir se multiplier les occasions de rencontres entre décideurs, consultants et universitaires.

Révélateur d’une montée en puissance bilatérale, les liaisons aériennes ont été densifiées. Le 7 avril 2018, Air China a inauguré une liaison directe Panama/Pékin. Celle-ci complète les vols Pékin/São Paulo, via Madrid ; Pékin/La Havane via Montréal ; et les offres concernant le Mexique proposées par les compagnies China Southern Airlines et Hainan Airlines.

De fait, en 2017, la Chine aura été le troisième partenaire commercial de l’Amérique latine. Déjà le premier de l’Argentine, du Brésil, du Chili et de l’Uruguay, le deuxième du Costa-Rica, du Mexique et du Pérou. Les investissements chinois dans la région, toujours en 2017, selon la CEPAL, ont représenté 15% du total. Les trois pays accueillant le plus d’investissements chinois sont, dans l’ordre, le Brésil, le Pérou et l’Argentine. Ces investissements privilégient les secteurs minier, de l’énergie, des télécommunications, des travaux publics. Ces investissements cumulés ont généré la création entre 2001 et 2016 de 254 000 emplois, essentiellement au Brésil, en Équateur et au Mexique. La Chine, enfin, est devenue le banquier de l’Amérique latine. Elle est aujourd’hui son premier créancier, loin devant la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement.

Ce n’est sans doute qu’un début. Les latino-américains sont intéressés par le grand projet de route de la soie, certes euro-asiatique, mais qui pourrait dépoussiérer les souvenirs du galion des Philippines. D’autant plus qu’ils n’attendent rien de particulièrement positif de la part des États-Unis. Situation insolite et même paradoxale qui est celle de voir la coagulation d’une alliance entre une Chine communiste-libérale et celle de pouvoirs latino-américains libéraux-anti bolivariens …

[1] Red China America Latina

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