Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Matthieu Chillaud propose une analyse de l’ouvrage de François Cochet, Les Français en guerres de 1870 à nos jours (Perrin, 2017, 456 pages).
Bien connu pour ses nombreux travaux sur l’expérience combattante ainsi que sur la captivité et la mémoire des guerres, François Cochet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Lorraine jusqu’à 2017, appartenait au très petit nombre d’historiens militaires français qui professaient dans le milieu universitaire. Véritable legs aux nouvelles générations pour qui l’histoire militaire – et notamment l’histoire-bataille, centrée sous la conduite des opérations tactiques et stratégiques – n’est plus ni boudée, ni discréditée dans l’alma mater comme elle le fut longtemps, cet ouvrage se présente, dans une profondeur historique (de la guerre de 1870 à nos jours), comme une synthèse remarquable de la culture de guerre de la France.
Conscription, armements, culture militaire, tactique, batailles, traumatismes de guerre, rien n’échappe ici à l’analyse, qui légitime le commencement de l’étude par la guerre de 1870, premier conflit moderne de l’histoire, non seulement par les armements qui ont fait des progrès immenses au milieu du XIXe siècle mais déjà par la rapidité de déplacement des troupes et l’importance de la logistique. À bien des égards, cette guerre constitue effectivement une rupture importante dans les manières de combattre, qui vont aussi profondément changer durant toutes les guerres dans lesquelles la France sera belligérante (Grande Guerre, Seconde Guerre mondiale, guerres de décolonisation et opérations extérieures sous toutes leurs formes). Dans chacune d’entre elles, François Cochet identifie les acteurs, analyse les motivations des combattants et examine les formes des combats. Les tâtonnements sur les formats des armées et les hésitations sur les principes de la conscription, de l’armée professionnelle et de la réserve, sont largement étudiés à l’aune des doctrines et des stratégies du moment. Entre messianisme et patriotisme, les motivations des Français qui se battent sont ensuite considérées. Enfin, François Cochet examine les mutations des guerres et la manière dont les combattants français y font face.
On trouvera bien peu de défauts à cet ouvrage à l’exception de quelques bévues sur les noms (le commandant de la Force de protection des Nations unies, par exemple, n’était pas le général Pierre Cot mais Jean Cot) et, peut-être aussi d’un système de référencement de notes de bas de pages qui ne rend pas la lecture aisée. Quelques cartes et une imposante bibliographie parachèvent le travail didactique de François Cochet qui, avec cet ouvrage, redonne incontestablement légitimité à l’étude académique du fait militaire – une étude des combats dans une histoire globale –, tout en répondant à des problématiques diverses (géopolitique et géostratégie, analyse politico-militaire, relations opinion/gouvernement/commandement, rapports armée/nation).
Il fut un temps où l’histoire militaire était caricaturalement accusée de s’attacher au seul fait guerrier, qui paraissait bien annexe par rapport aux données démographiques ou économiques, et le terme d’« historien militaire » n’était pas loin de paraître un qualificatif déshonorant. S’il existe encore quelques reliquats de cette époque dans le monde universitaire, l’ouvrage de François Cochet ne pourra que contribuer à réévaluer la légitimité de l’histoire militaire dans l’alma mater.
Matthieu Chillaud
Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Maya Kandel propose une analyse croisée des ouvrages de Peter Baker, Obama: The Call of History (Abrams, 2017, 320 pages) et de Michael d’Antonio, A Consequential President: The Legacy of Barack Obama (Thomas Dunne Books/St Martin’s Press, 2017, 320 pages).
Parmi les livres déjà parus sur la présidence de Barack Obama, et en attendant les mémoires du principal intéressé, un livre se distingue particulièrement : celui de Peter Baker, chronique illustrée des huit années d’Obama à la Maison-Blanche, par un observateur de première ligne puisque Baker fut le correspondant du New York Times à la Maison-Blanche. C’est également un « beau livre », avec son grand format et les photos de Pete Souza (entre autres). C’est enfin une référence grâce à sa chronologie détaillée et son index très complet. Baker livre un récit chronologique, articulé autour des principales étapes de la présidence Obama, ainsi que de portraits plus personnels de la famille et de l’entourage (Joe Biden) du président.
Achevé après la victoire de Donald Trump, il en tient compte pour l’héritage d’Obama, avec un dernier chapitre au titre évocateur : « Une insulte personnelle. » C’est un atout au regard d’autres ouvrages comme celui de Michael d’Antonio, dont le propos aurait été différent s’il n’avait été achevé avant novembre 2016 : il reste cependant intéressant, en particulier pour un public français, car l’auteur revient davantage sur le contexte politique et partisan, lié avant tout à des questions intérieures moins suivies en Europe. Ainsi les pages sur la réforme de santé illustrent à quel point Obama a dû faire face (sur tous les sujets en réalité) à une opposition systématique, corrosive et souvent mensongère.
Ces deux livres, qui ambitionnent d’analyser la présidence Obama au regard de l’histoire, décrivent un premier mandat dédié à l’économie, à la réforme de santé, et à la tentative d’extraire l’Amérique des guerres de Bush – un premier mandat marqué sur le plan politique interne par la défaite démocrate aux élections de mi-mandat de novembre 2010, mais aussi auréolé du raid victorieux au Pakistan qui permet aux Américains, dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, de « rendre justice » en tuant Ben Laden. Baker revient en détail sur ce raid, sans nul doute le pari le plus risqué de la présidence d’Obama, que celui-ci décrira ensuite comme « les 40 minutes les plus longues de [sa] vie ». Un détail est frappant rétrospectivement : c’est en effet la veille, lors du White House Correspondents’ Dinner, institution de la vie washingtonienne, qu’un Obama particulièrement en verve se moque de Trump, présent dans la salle et visiblement humilié.
Le second mandat est plus sombre, avec le retour des blessures et fractures américaines, raciales en particulier, marqué par les violences policières et la naissance du mouvement Black Lives Matter. Sur le plan international surtout, 2014 apparaît comme la véritable annus horribilis d’Obama, avec une succession de victoires de l’État islamique en Irak et en Syrie, l’annexion de la Crimée par la Russie, l’assaut contre Erbil qui conduit les militaires américains à revenir en Irak et à s’impliquer directement en Syrie.
Ce qui se dégage de ces deux livres, c’est aussi, peut-être surtout, la violence contemporaine américaine : violence des guerres de la politique étrangère, violence des armes qu’un système politique vicié par l’argent des lobbies ne parvient pas à réguler, violence du discours politique, des tensions raciales, des attaques personnelles… et de la victoire de Trump, dont l’ascension sur la scène politique est tout entière construite sur un mensonge d’une rare violence politique : celui du birther movement, qui prétendait qu’Obama n’était pas né aux États-Unis, et dont l’objectif était d’instiller dans le débat public l’illégitimité d’Obama. Ce n’est pas là la moindre des ironies tragiques de l’histoire politique américaine contemporaine.
Maya Kandel