Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Maya Kandel propose une analyse croisée des ouvrages de Peter Baker, Obama: The Call of History (Abrams, 2017, 320 pages) et de Michael d’Antonio, A Consequential President: The Legacy of Barack Obama (Thomas Dunne Books/St Martin’s Press, 2017, 320 pages).
Parmi les livres déjà parus sur la présidence de Barack Obama, et en attendant les mémoires du principal intéressé, un livre se distingue particulièrement : celui de Peter Baker, chronique illustrée des huit années d’Obama à la Maison-Blanche, par un observateur de première ligne puisque Baker fut le correspondant du New York Times à la Maison-Blanche. C’est également un « beau livre », avec son grand format et les photos de Pete Souza (entre autres). C’est enfin une référence grâce à sa chronologie détaillée et son index très complet. Baker livre un récit chronologique, articulé autour des principales étapes de la présidence Obama, ainsi que de portraits plus personnels de la famille et de l’entourage (Joe Biden) du président.
Achevé après la victoire de Donald Trump, il en tient compte pour l’héritage d’Obama, avec un dernier chapitre au titre évocateur : « Une insulte personnelle. » C’est un atout au regard d’autres ouvrages comme celui de Michael d’Antonio, dont le propos aurait été différent s’il n’avait été achevé avant novembre 2016 : il reste cependant intéressant, en particulier pour un public français, car l’auteur revient davantage sur le contexte politique et partisan, lié avant tout à des questions intérieures moins suivies en Europe. Ainsi les pages sur la réforme de santé illustrent à quel point Obama a dû faire face (sur tous les sujets en réalité) à une opposition systématique, corrosive et souvent mensongère.
Ces deux livres, qui ambitionnent d’analyser la présidence Obama au regard de l’histoire, décrivent un premier mandat dédié à l’économie, à la réforme de santé, et à la tentative d’extraire l’Amérique des guerres de Bush – un premier mandat marqué sur le plan politique interne par la défaite démocrate aux élections de mi-mandat de novembre 2010, mais aussi auréolé du raid victorieux au Pakistan qui permet aux Américains, dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, de « rendre justice » en tuant Ben Laden. Baker revient en détail sur ce raid, sans nul doute le pari le plus risqué de la présidence d’Obama, que celui-ci décrira ensuite comme « les 40 minutes les plus longues de [sa] vie ». Un détail est frappant rétrospectivement : c’est en effet la veille, lors du White House Correspondents’ Dinner, institution de la vie washingtonienne, qu’un Obama particulièrement en verve se moque de Trump, présent dans la salle et visiblement humilié.
Le second mandat est plus sombre, avec le retour des blessures et fractures américaines, raciales en particulier, marqué par les violences policières et la naissance du mouvement Black Lives Matter. Sur le plan international surtout, 2014 apparaît comme la véritable annus horribilis d’Obama, avec une succession de victoires de l’État islamique en Irak et en Syrie, l’annexion de la Crimée par la Russie, l’assaut contre Erbil qui conduit les militaires américains à revenir en Irak et à s’impliquer directement en Syrie.
Ce qui se dégage de ces deux livres, c’est aussi, peut-être surtout, la violence contemporaine américaine : violence des guerres de la politique étrangère, violence des armes qu’un système politique vicié par l’argent des lobbies ne parvient pas à réguler, violence du discours politique, des tensions raciales, des attaques personnelles… et de la victoire de Trump, dont l’ascension sur la scène politique est tout entière construite sur un mensonge d’une rare violence politique : celui du birther movement, qui prétendait qu’Obama n’était pas né aux États-Unis, et dont l’objectif était d’instiller dans le débat public l’illégitimité d’Obama. Ce n’est pas là la moindre des ironies tragiques de l’histoire politique américaine contemporaine.
Maya Kandel
Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Maurice Vaïsse propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Patrick Boucheron, Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017, 800 pages).
L’ambition de cet ouvrage est de proposer à un large public « une histoire de France accessible et ouverte ». D’ailleurs, Patrick Boucheron annonce, dans son ouverture, que ce livre se veut « innovant » et « joyeusement polyphonique ». Difficile aux lecteurs de la revue Politique étrangère de bouder une telle invitation, qui privilégie « l’approche du grand large ». Et de fait l’ouvrage, qui se décline de la Préhistoire à 2015 en 146 entrées par dates, illustre le rapport de la France au monde dans un sens bien précis : il ne s’agit pas d’une histoire de la France mondiale, mais d’une histoire mondiale de la France.
Ce qui donne lieu à diverses réinterprétations d’événements, ou à des choix décalés. Citons comme exemples intéressants la notice sur la création de Marseille par les colons grecs, qui n’est pas le départ de l’hellénisation de la Gaule ; celle sur le rôle des Gaulois qui réclament le droit d’accéder au Sénat de Rome ; au détriment du mythe de Poitiers et de Charles Martel en 732, l’auteur de la notice évoque Ruscino (près de Perpignan), où une troupe musulmane s’installe en 719 : les archéologues y décèlent des occupations successives ou simultanées, où l’Afrique se mêle à l’Europe.
Le développement sur Bouvines est un bel exemple d’« histoire mondiale » : « la journée » a peut-être « fait la France », mais l’auteur tient à démontrer qu’elle se dissout dans une approche du grand large ; de même pour les commentaires sur la figure de Rachi, qui rayonne à partir de la ville de Troyes, en plein Moyen Âge.
La révocation de l’édit de Nantes comme événement européen était plus attendue, de même que l’évocation du Code civil, code pour plusieurs nations ; plus près de nous, l’affaire Dreyfus comme affaire européenne, et l’exposition coloniale de 1931 qui pose la question d’une mentalité impériale de la France.
Autant on prend intérêt à lire ces notices substantielles et originales qui font revisiter avec fraîcheur l’histoire de France, autant on est parfois agacé par un parti pris volontaire et militant de minorer le rôle de la France en le dissolvant dans un ensemble mondial ou européen. Que la France n’ait pas tout inventé ou ne soit pas exemplaire en tout, que la nation française résulte d’un amalgame, qui le contesterait ? Mais on a l’impression que ce livre constitue une réponse tardive à la création du ministère de l’Identité nationale – ce qui serait beaucoup diminuer son intérêt. Cet ouvrage rassemble des contributions de qualité, dont on peut contester parfois les présupposés, mais qui ont le mérite d’inciter à la réflexion.
Maurice Vaïsse