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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Mis à jour : il y a 1 jour 7 heures

Projet FAIRES : pourquoi France terre d’asile s’engage

mer, 25/04/2018 - 16:15

Fatiha Mlati, directrice de l’intégration à France terre d’asile, nous dit pourquoi France terre d’asile s’est associé au projet FAIRES (Favoriser l’inclusion sociale des réfugiés par le sport), piloté par l’IRIS, en partenariat avec la Ligue Île-de-France de Badminton, et le soutien de Solibad.

Ce programme, financé par le programme Erasmus + de l’Union européenne, s’articule autour de 3 objectifs : faciliter l’inclusion sociale de jeunes réfugiés (18-35 ans), femmes et hommes, installés en Île-de-France, suivis par l’association France terre d’asile ; encourager le débat sur la question de l’inclusion sociale des réfugiés, permettre la mise en relation de protagonistes ne travaillant pas, jusqu’alors, ensemble et mettre en lumière le rôle de l’Union européenne dans les initiatives citoyennes ; réaliser un manuel technique présentant les bonnes pratiques permettant de favoriser l’inclusion sociale des réfugiés.

Le rapport « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France » mené par Aurélien Taché, député du Val d’Oise, et remis au Premier ministre, rend notamment compte de l’initiative FAIRES en ces termes : « De nombreuses initiatives citoyennes se développent dans le domaine du sport et les clubs sportifs locaux ou universitaires peuvent être des tremplins d’intégration pour les jeunes réfugiés. Il n’existe pas cependant d’initiatives des grandes fédérations sportives, à l’exception notable de celle de badminton qui a organisé en Île-de-France de mars à juin 2017, des binômes réunissant des étudiants de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et des réfugiés de 22 à 35 ans (18-35 ans depuis cette année), pour pratiquer le badminton.” (page 109).

Mon agression à Tel-Aviv

mar, 24/04/2018 - 16:07

Invité par l’Institut français de Jérusalem pour donner une série de conférences, l’annonce de ma venue a vite suscité de véhémentes protestations. Comment osait-il inviter un antisémite animé par la haine d’Israël dans ce pays ?

Plusieurs sources m’ont mis en garde. Deux solutions étaient évoquées : le refus des autorités de me laisser rentrer ou un comité d’accueil musclé. Résolu à ne pas céder au chantage, je m’y rendais comme prévu[1].

À la douane, les formalités furent rapides. C’est après que je fus interpellé par quelques individus plus que vindicatifs. J’ai assez vite réalisé que la discussion était absolument vaine face à leur incapacité d’avoir un échange. Avec le courage que procure le fait d’être deux fois plus jeune et six fois plus nombreux, ils ont proféré les insultes les plus délirantes et grossières (où se mêlaient homophobie et islamophobie)[2]. Les yeux injectés de haine, promettant de me régler mon compte, ils ont commencé à vouloir m’entraîner de force en dehors de l’aéroport.

Je commençais à rebrousser chemin vers la douane, la vue d’un garde de sécurité ne décourageant pas ma si peu aimable escorte. Au bout de quelques minutes, des policiers sont intervenus et m’ont ramené au poste de douane. Après vérification, ils m’ont accompagné afin de m’exfiltrer, néanmoins toujours suivis par trois excités vociférant. Aucun d’entre eux ne fut interpellé.

Cette affaire illustre au plus haut point ce que je dénonce dans l’ouvrage Antisémite[3]. Je suis diabolisé par certains, alors que je n’ai jamais tenu le moindre propos antisémite, du fait de l’importation malsaine du conflit au Proche-Orient. Mes agresseurs sont intimement persuadés que je suis antisémite. Pourtant, ils n’ont rien lu de moi. Ils ont juste « entendu dire ».

Comment des individus peuvent-ils arriver à de telles violences ? À être persuadé que je mérite d’avoir les yeux crevés ? Tout simplement parce qu’ils sont chauffés à blanc par la campagne de dénigrement et de calomnie que je subis depuis 17 ans.

Ceux qui ont mis en ligne mon agression s’en sont félicités :

« De jeunes Juifs de cœur et de conscience juive l’apercevant ont décidé de l’accueillir comme il se doit. À ce titre, il est bon de rappeler que des personnalités juives pourtant favorables à la solution de deux États comme Frédéric Encel ou le journaliste Frédéric Haziza ou des signataires de JCall comme Bernard-Henri Lévy ne laissent point la place au doute sur le fait que la motivation de Pascal est tout simplement antisémite. »

Une semaine après mon agression, Pascal Bruckner me mettait encore en cause sur France inter, concernant la montée de l’antisémitisme.

Pour beaucoup, critiquer le gouvernement israélien équivaut à être antisioniste et donc antisémite. Depuis 17 ans, un mauvais procès m’est dressé alors que j’ai toujours combattu toute forme de racisme et d’antisémitisme. Mais, ceux qui ont répandu cette haine sont les mêmes qui privilégient depuis 2001 la sanctuarisation du gouvernement israélien sur la lutte contre l’antisémitisme. Le passage à la violence pour délit d’opinion est un dérapage inacceptable. Cette agression a été condamnée par le Consulat de France à Jérusalem. L’ambassade de France en Israël et le quai d’Orsay sont restés muets. Quelques médias français ont depuis évoqué l’affaire.

On peut penser que si un intellectuel français était pris à partie par certains individus mécontents de ses positions sur le Proche-Orient dans un pays du Maghreb, les réactions auraient été beaucoup plus vives. De même, si un intellectuel israélien était pris à partie à Roissy, ses agresseurs auraient été interpellés et l’ambassade d’Israël en France réclamerait des comptes à l’État français. Mais l’inverse n’est pas vrai. Mes agresseurs ont pu tranquillement rentrer chez eux, en toute impunité. Ils n’hésiteront pas à recommencer.

Pour ma part, je ne céderai pas, ni sur la liberté d’expression ni sur ma volonté de dialogue. L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) est certainement la seule institution universitaire où sont venues s’exprimer cette année devant nos étudiants, Aliza Bin-Noun, ambassadrice d’Israël en France, et Leïla Shahid, ancienne déléguée de l’Autorité palestinienne en France et ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne.

Je continuerai à lutter contre l’antisémitisme et le racisme antimusulman, sans jamais privilégier un combat sur l’autre.

[1] http://www.pascalboniface.com/2018/04/13/la-semaine-prochaine-a-jerusalem/

[2] Ceux qui parlent de l’antisémitisme des musulmans devraient également s’interroger sur la montée du racisme anti-arabe bien présent chez une minorité de juifs.

[3] Max Milo, 2018.

Urgence numérique pour le Sud

lun, 23/04/2018 - 15:27

Alors que les discussions piétinent à l’ONU autour des principes et des mécanismes qui permettraient d’encadrer la « révolution numérique », celle-ci continue d’être guidée, par défaut, par et pour les intérêts des États et des multinationales du Nord. Ces derniers sont évidemment les premiers responsables de cette situation, mais ils peuvent compter, dans leurs efforts, sur la désunion et le désintérêt relatif des pays du Sud. Il y a pourtant urgence à (ré)agir.

Genève, le 31 janvier 2018. Dans l’indifférence quasi générale, le groupe de travail de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) sur « la coopération renforcée en matière de politiques publiques liées à l’internet » (WGEC, selon son acronyme anglais) achève son second mandat sur un constat d’échec. Ce bilan est dû à l’impossibilité pour les participants de se mettre d’accord sur les recommandations finales. Pour l’un d’entre eux, l’Indien Parminder Jeet Singh, cette situation a au moins l’avantage de « montrer au monde qu’il n’existe pas encore de volonté politique suffisante pour développer des mécanismes globaux appropriés de gouvernance publique de l’internet ». Maigre consolation, étant donné l’importance et l’urgence de l’enjeu. C’est que, pendant ce temps, la « révolution numérique » suit son cours. De plus en plus d’aspects de nos vies sont touchés, du travail à la santé en passant par la sécurité, l’alimentation, le transport ou encore la culture. Les coûts économiques, mais aussi politiques ou sociaux d’une non-connexion sont de plus en plus élevés, incitant même les plus réticents à se connecter quand ils n’y sont pas purement et simplement contraints par l’État ou leur employeur.

Politiser le débat sur le numérique

 Dans ce contexte, la thématique de la « fracture », voire du « gouffre » numérique qui sépare les pays riches des pays pauvres s’est progressivement installée au centre du débat mondial. De nombreux rapports ont été consacrés à la question[1], et les nouveaux « Objectifs du développement durable » de l’ONU en ont fait l’une de leurs priorités. Mais, trop souvent, avec le défaut d’en faire une question étroitement technique (comment favoriser l’accès des pays pauvres aux nouvelles technologies ?) plutôt que politique (comment s’assurer que la « révolution numérique » profite au plus grand nombre ?). Or, l’ampleur des bouleversements en cours rend justement urgente leur prise en charge politique. Et c’est encore plus le cas pour les pays du Sud, pour au moins deux raisons :

Une infrastructure numérique dominée par le Nord

 D’abord, parce que le Nord – et les États-Unis en particulier – domine largement l’infrastructure même du numérique. Rappelons, par exemple, que l’organisme en charge des noms de domaine (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, ICANN, basé en Californie) relève toujours du droit américain[2], ce qui signifie concrètement « qu’au nom de la défense des intérêts nationaux américains, les tribunaux, législateurs ou autres agences exécutives peuvent à tout moment interférer « légitimement » dans la gouvernance technique de l’internet par l’ICANN »[3]. Ainsi, selon Parminder Jeet Singh, il n’est pas rare que des entités situées dans des pays sous le coup de sanctions américaines constatent le bon fonctionnement de leur nom de domaine perturbé, ce qui peut avoir des conséquences importantes d’un point de vue économique, mais aussi en termes de sécurité nationale. De même, les différentes technologies (hardware et software) qui permettent le fonctionnement et l’utilisation du numérique sont très largement la propriété des pays du Nord, créant un double problème de dépendance et d’adéquation de ces technologies aux contextes et besoins particuliers des pays du Sud. Même un pays comme le Nigéria, par exemple, importe jusqu’à 90% des logiciels qu’il utilise. Cette tendance est d’ailleurs encouragée par des pays occidentaux qui « offrent » souvent matériels et logiciels informatiques à leurs « partenaires » du Sud au titre de l’aide publique au développement.

Des contenus et des acteurs du numérique issus du Nord

 Ensuite, parce que les principaux acteurs (publics et surtout privés) du numérique sont au Nord. The Guardian soulignait ainsi récemment que si l’accès à internet se démocratisait à l’échelle mondiale, le contenu du web restait quant à lui profondément biaisé en faveur des pays occidentaux. En témoignent, par exemple, les 0,7% de noms de domaine enregistrés en Afrique subsaharienne, alors que la région compte 10% des utilisateurs mondiaux d’internet. Ou encore l’écrasante domination de l’anglais (60% du contenu en ligne), alors que la langue n’est parlée que par 10-15% de la population mondiale. Les populations du Sud utilisent donc de plus en plus internet, mais sans participer à en produire le contenu, ce qui renforce l’hégémonie culturelle du Nord au détriment des voix et récits des populations marginalisées.

Parallèlement, la réorganisation croissante de pans entiers de l’économie mondiale autour de « plateformes » numériques situées dans les pays du Nord soulève également des problèmes économiques et (géo)politiques cruciaux pour le Sud. En effet, pour reprendre l’analogie faite par Parminder Jeet Singh avec les relations économiques mondiales de l’ère industrielle, « les données numériques sont aujourd’hui la matière première fournie par les pays en développement aux pays développés (à commencer par les États-Unis) dans des termes extrêmement inégaux, pour que ceux-ci la transforment en « intelligence numérique » avant de la revendre aux pays en développement (ou plutôt de leur vendre ou louer de nouveaux services basés sur cette intelligence) ». Cela s’ajoute à la particularité que cette nouvelle économie de plateforme génère des monopoles sectoriels extrêmement difficiles à concurrencer et/ou à démanteler étant donnés les puissants effets de réseaux dont ils peuvent bénéficier. Sans compter les enjeux politiques et éthiques inédits que soulève cette appropriation privée et monopolistique de données individuelles et sociales qui influencent des secteurs aussi variés que l’accès à l’information, la santé publique, les transports urbains, la criminalité ou encore l’alimentation. Comme le souligne notamment un observateur africain, « individuellement et collectivement, ces compagnies en savent plus sur les populations africaines (leurs intentions, sentiments, comportements) que les gouvernements africains » …

Un Sud à la traîne et divisé

Les défis que pose la révolution numérique au Sud sont donc visibles, nombreux et urgents, car plus le temps passe, plus les écarts et les asymétries avec le Nord se creusent. Or, à en croire Parminder Jeet Singh, « rien ou presque n’a encore été fait pour développer une perspective du Sud dans ce secteur crucial ». En témoigne notamment l’échec du WGEC le 31 janvier dernier, qui doit au moins autant, selon lui, à l’absence de propositions concrètes de la part des pays du Sud qu’à la mauvaise volonté des pays du Nord. Ou encore le peu d’intérêt soulevé dans ces mêmes pays par l’avenir de l’ICANN. Pour Parminder Jeet Singh, cette situation s’explique par différents facteurs :  le découragement qu’inspire au Sud toute nouvelle initiative en matière de gouvernance mondiale à l’heure où les institutions existantes semblent déjà vaciller, la complexité et la nouveauté des enjeux soulevés par le numérique, ainsi que les faibles moyens humains et matériels dont disposent les pays du Sud pour les adresser. L’expert souligne également les divisions qui traversent les pays du Sud – que l’on a notamment pu observer récemment à l’OMC dans le cadre des discussions sur le commerce électronique[4] – ou encore « l’absence de forums mondiaux où les pays en développement pourraient se réunir et développer une vision commune, loin du regard des multinationales du numérique dont il s’agit précisément d’encadrer le pouvoir ».

Une gouvernance par défaut au profit du Nord

 Or, à l’inverse, le Nord apparaît quant à lui bien plus uni (du moins jusqu’à un certain point[5]) et conscient de ses intérêts sur ces questions, tout en disposant des moyens et des lieux institutionnels nécessaires pour les promouvoir : l’OCDE par exemple, mais aussi de nombreux sommets mondiaux sur la gouvernance de l’internet qui se multiplient aujourd’hui sous la domination quasi systématique des gouvernements du Nord et/ou des multinationales du numérique[6]. De nos jours, la position officielle des pays du Nord consiste toutefois à nier l’existence d’enjeux de politiques publiques liés à l’Internet, et encore plus l’utilité de nouveaux organes internationaux destinés à les encadrer. Ils sont, en effet, les premiers à profiter du vide politique actuel sur ces questions, multipliant en parallèle les initiatives ad hoc et les accords plurilatéraux (accords de libre-échange, régimes de propriété intellectuelle, etc.) qui dessinent une gouvernance juridique et institutionnelle par défaut du numérique dont ils sont les principaux bénéficiaires.  Cependant, pour Parminder Jeet Singh, cette stratégie n’est que transitoire : « Au fur et à mesure que le cadre juridique et politique ad hoc ou plurilatéral développé par le Nord va s’imposer globalement au point de devenir pratiquement irréversible, leur stratégie changera. Ils chercheront alors à instituer des régimes globaux solides et inclusifs de tous les pays, mais basés sur leur propre cadre par défaut, avec pour objectif d’en garantir l’application mondiale. Un tel changement peut intervenir d’ici une décennie ou plus ».

D’où l’importance d’agir maintenant.

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[1] Par exemple : Banque mondiale, « Les dividendes du numérique », Rapport sur le développement dans le monde 2016 ou encore Broadband Commission, « The State of broadband, 2017 », ITU-UNESCO.

[2] Jusqu’à l’affaire Snowden, il était également sous contrôle administratif du gouvernement américain, mais celui-ci a accepté d’abandonner cette prérogative suite au scandale causé par ces révélations.

[3] Sauf mention contraire, le reste des citations de cet article sont tirées de : Parminder Jeet Singh, « Developing Countries in the Emerging Global Digital Order », IT for Change, Inde, 2017.

[4] La Conférence ministérielle de Buenos Aires du mois de décembre dernier a ainsi vu le Sud se diviser sur cette question, nombre de pays en développement ayant en effet rejoint une initiative commune avec les pays du Nord pour travailler à une plus grande libéralisation du secteur devant le blocage de la question au sein de l’OMC.

[5] Marie Bénilde, « Joyeuse colonisation numérique », Le Monde diplomatique, novembre 2015.

[6] À commencer par les « Sommets mondiaux sur la société de l’information » ou encore les « Forum sur la gouvernance de l’Internet » de l’ONU.

Hommage à Philippe Hugon

lun, 23/04/2018 - 15:25

C’est avec une immense douleur que j’ai appris la disparition de Philippe Hugon. Et toute l’équipe de l’IRIS partage ma peine autant qu’elle partage mon plus profond respect pour Philippe.

J’ai rencontré Philippe au Conseil de la coopération internationale, créée sur une idée de Stéphane Hessel lorsque Lionel Jospin était à Matignon en 1997. Peu après, lors d’un colloque où nous participions en commun en Afrique du Sud, Philippe m’annonçait être bientôt en retraite de l’Université Paris X où il enseignait. Je lui exprimais alors mon souhait de le voir rejoindre l’équipe de l’IRIS, ce qu’il fit pour notre plus grand bonheur et au plus grand bénéfice de l’institution.

Philippe a prouvé qu’il était possible de lier grande intelligence et immense gentillesse. Par ses écrits et ses enseignements, il a marqué plusieurs générations d’étudiants et de dirigeants politiques, tout en conservant une humilité hors du commun. Toujours disponible, il était de bon conseil, prêt à aider les jeunes chercheurs, les étudiants de l’IRIS, mais aussi son directeur. Il était réellement la personne-ressource, qui apportait toujours des solutions et jamais aucun problème. Je ne l’ai jamais vu s’agacer et encore moins s’énerver.

Sa production intellectuelle n’a jamais fait de lui l’homme d’une seule préoccupation. Il avait, au contraire, de multiples cordes à son arc, dont le chant et la troupe qu’il avait formée. Sa famille, qu’il n’a jamais négligée malgré ses nombreuses activités, a toujours été au centre de son projet de vie. Nous lui présentons nos plus sincères condoléances.

Lorsque sa maladie s’est déclarée, il nous a souvent dit la hâte qu’il avait de reprendre ses activités à l’IRIS. Et lorsqu’il réalisa que ce ne serait plus possible, il fit face avec la lucidité qui le caractérisait, et une sérénité qui force l’admiration. Jusqu’au bout, il a souhaité transmettre, corrigeant même jusqu’au dernier moment un article pour publication.

Philippe Hugon a toujours eu le goût d’apprendre aux autres comme d’apprendre des autres. L’IRIS et moi-même sommes redevables. Il restera dans nos mémoires comme un homme d’une rare humanité. Qu’il repose en paix.

« La complicité sociale dont bénéficiait l’ETA s’est dissoute »

ven, 20/04/2018 - 17:50

La Croix : Quelle est la portée de la demande de pardon publiée vendredi 20 avril par l’ETA ?

Jean-Jacques Kourliandsky : L’organisation n’a plus aucun écho au sein même du Pays basque. Elle comptait encore 1 000 activistes, selon le gouvernement espagnol, en 2000. Elle n’en avait plus qu’une cinquantaine lors du cessez-le-feu en octobre 2011. Dans ces conditions, rendre les armes, comme ils l’ont fait l’an dernier, était assez théorique, puisqu’il n’y avait plus grand monde pour s’en servir.

Progressivement, la complicité sociale dont bénéficiait l’ETA s’est dissoute. Le mouvement politique indépendantiste basque Batasuna a pris ses distances avec l’organisation avant de finalement rompre avec ETA. Batasuna a estimé que sa démarche vers plus d’autonomie avait plus de chances de porter des fruits que des bombes. Les attentats de Madrid, en 2004 – attribués dans un premier temps à l’ETA par le gouvernement Aznar – ont été un vrai choc pour les Basques. Ces attentats islamistes ont disqualifié aux yeux de tous les Espagnols le terrorisme d’où qu’il vienne. En ce sens, le succès actuel en Espagne du livre « Patria » de Fernando Aramburu est révélateur. Il raconte l’histoire de familles basques pendant l’époque du terrorisme.

Peut-on comparer le scénario basque à ceux de l’Irlande du Nord et de la Colombie ?

J-J. K. : En Colombie, la démobilisation des FARC a concerné 7 000 combattants. C’est loin d’être le cas pour l’ETA. En Irlande, le mouvement politique Sinn Féin a pu rompre sa subordination à l’IRA, grâce à l’appui des gouvernements britannique et irlandais. Cela a permis au Sinn Féin d’imposer la paix à l’IRA.

En Espagne, les contacts entre Batasuna et Madrid ont été interrompus avec l’arrivée au pouvoir en 2011 du Parti populaire de Mariano Rajoy. La démobilisation de l’ETA est due aux pressions combinées de Batasuna et du gouvernement basque. Celui-ci est le fruit d’une alliance entre les partis nationaliste et socialiste basques.

Le parti nationaliste basque joue la carte du compromis, dans le cadre espagnol, pour négocier plus d’autonomie. Actuellement ses députés à Madrid monnayent leurs votes en faveur du budget espagnol – déterminants pour la majorité de Mariano Rajoy – contre 500 millions d’euros d’investissements dans le Pays basque.

Comment les Basques vivent-ils la situation en Catalogne ?

J-J. K. : Au Pays basque, comme en Catalogne, le gouvernement espagnol refuse tout dialogue avec les acteurs locaux politiques. Les nationalistes catalans ont considéré que ce blocage leur permettait de violer la loi. Ils sont tombés dans le piège du gouvernement espagnol qui a demandé à la justice de juger les hors-la-loi. Ce pourrissement du dossier catalan a fabriqué de la sympathie pour Madrid dans le pays.

Le parti nationaliste basque, qui représente 37 % de l’électorat de la province, ne condamne pas le parti catalan mais n’est pas d’accord avec sa stratégie. En fait, ces Basques considèrent que l’indépendantisme est une idée du XIXe siècle. Ils jouent à fond la carte de l’Europe. Elle est pour eux une machine à fabriquer une autonomie plus large. C’est cette Europe qui a signé la disparition de la peseta pour l’euro. C’est elle qui a aboli les frontières avec Schengen.

 

Propos recueillis par Pierre Cochez pour la Croix

Fin de l’ère Castro : est-ce réellement un nouveau départ pour Cuba ?

ven, 20/04/2018 - 17:36

Cuba vit un moment historique. Unique candidat, le numéro deux du régime Miguel Diaz-Canel vient d’être élu par l’Assemblée nationale de l’île en tant président de Cuba. Cette transition marque la fin du pouvoir des frères Castro, Fidel puis Raoul, à la tête du pays depuis 1959. Le système de parti unique, dans lequel Raoul Castro reste cependant le Premier secrétaire général, interroge sur la marge de manœuvre du nouveau chef d’Etat, le castrisme ne semblant pas avoir donné son dernier mot. Pour nous éclairer, le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Peut-on dresser un bilan des dix années au pouvoir de Raul Castro, marquant la fin de la génération historique de la révolution à la tête de l’État ?

Raul Castro a assuré une continuité évidente. Il a succédé à son frère Fidel Castro, sans toucher au gouvernement de parti unique. Cela étant, Raul Castro a durant sa présidence assoupli un certain nombre d’éléments, notamment dans le domaine des droits de l’Homme. Désormais, les Cubains peuvent avoir accès à internet et voyager à l’étranger. Dans le domaine économique, l’ancien chef d’État a favorisé le « secteur privé », sous l’appellation des personnes qui ont des activités personnelles en propre. Il a également favorisé l’accès à la terre, les terres en friche, pour des agriculteurs individuels et pour des coopératives. Il a assoupli le droit de propriété en donnant la possibilité de vendre son appartement.

L’événement marquant de ses années au pouvoir reste évidement le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis en 2014, confirmé par la visite de Barack Obama sur l’île en 2016.

Cela dit, il n’y a pas eu de changement fondamental dans le système politique cubain, et non plus une évolution clairement affirmée en direction d’une économie de marché, comme ont pu le faire le Vietnam et la Chine, tout en souhaitant préserver l’idéologie communiste.

Miguel Diaz-Canel va-t-il incarner une nouvelle ère ou simplement rester dans la continuité de ses prédécesseurs ? Que reste-t-il finalement de l’esprit révolutionnaire du Parti communiste cubain au sein de la population ?

Le nouveau président va se situer pour l’instant, et jusqu’à au moins 2021, dans la continuité de ses prédécesseurs. Le discours qu’a prononcé Miguel Diaz Canel, bien que né après la révolution et fêtant aujourd’hui son 58e anniversaire, aurait pu être prononcé par Raul Castro. Il devrait prendre la place de son prédécesseur au poste de Premier secrétaire général, Raul Castro souhaitant quitter la tête du parti unique en 2021. Dès lors, il sera opportun de voir à cette échéance si le nouveau président s’inscrit dans une continuité, qui est celle de maintenir l’essentiel du système en pratiquant des réformes économiques à la marge, ou s’il se révèle être un « Gorbatchev » cubain avec de profondes réformes. Pour les trois années à venir, il ne faudra pas s’attendre à quelque chose de fondamentalement nouveau de sa part.

Concernant la ferveur révolutionnaire, les Cubains participent toujours largement à la fête du 1er mai et à l’anniversaire de la révolution, mais cela relève plus du rituel social que d’une adhésion au régime, sans qu’il y ait pour autant une opposition massive à la figure des Castro, ou une remise en cause du processus révolutionnaire.

Quels sont les défis qui attendent Miguel Diaz-Canel ?

A l’heure actuelle, il ne faut pas s’attendre à une modification de la politique ainsi qu’à de grandes décisions de la part du nouveau président. Le pays est dirigé par une sorte de « consulat », Raul Castro restant le Premier secrétaire général du Parti communiste cubain (PCC). Cuba est un régime politique à parti unique, permettant au secrétaire général d’avoir un poids extrêmement important sur la politique du pays. Dès lors, Raul Castro garde les clés des grandes orientations politiques et donc une mainmise sur le futur proche de Cuba.

Les défis vont essentiellement être économiques durant le mandat de Miguel Diaz-Canel. En effet, la préoccupation de la majorité des Cubains n’est pas le changement du système politique, mais concerne davantage une amélioration de la vie quotidienne qui demeure difficile. Le nouveau président a eu un mot dans son discours au sujet de la vie des Cubains, souhaitant que son peuple puisse vivre mieux. Ce qui pose le redoutable défi de mettre un terme au double système monétaire. Au sein de la population, cette inquiétude s’illustre sous différentes formes. Avec la possibilité de sortir du pays qui n’existait pas avant 2013, il y aurait autour de 60 000 jeunes cubains qui quitteraient chaque année leur pays pour rejoindre leur famille, soit aux Etats-Unis, en Espagne ou bien en Amérique latine. Quant à ceux qui restent à Cuba, de nombreuses personnes ont deux professions, la seconde généralement liée au tourisme, pour assurer une vie convenable à leur famille. Les Cubains qui sont dans la plus grande difficulté sont ceux qui n’ont pas de famille à l’étranger qui puisse les aider financièrement, ou ceux qui ne connaissent pas de langues étrangères, les empêchant de bénéficier de la forte présence touristique à Cuba. Les retraités, bien que bénéficiant de cartes alimentaires privilégiées, sont les moins bien lotis, car cette aide ne leur permet pas de s’alimenter correctement les 30 jours du mois.

Dans ce contexte, le nouveau chef d’État va devoir faire des choix de partenariat diplomatique et économique. Il y a quelques temps, Cuba bénéficiait de livraisons de pétrole à des prix préférentiels du Venezuela, que Caracas est de moins en moins en mesure d’assurer. En 2014, La Havane a fait le pari d’une ouverture avec les Etats-Unis et l’arrivée massive de touristes. Ces espérances ont été refroidies depuis la présidence de Donald Trump. Le chef d’État nord-américain ne remet pas en cause le rétablissement des négociations diplomatiques, mais il ne souhaite manifestement pas faciliter la vie des Cubains. Le renforcement des relations avec les pays d’Amérique latine ou d’Europe s’avère également limité. Dès lors, l’option qui paraît la plus probable pourrait être un approfondissement des relations avec la Chine, une Chine affichant de nombreux intérêts dans cette région, et qui est de plus en plus déjà présente sur l’île.

Eurozone Reform Risks Ending in Franco-German Acrimony

ven, 20/04/2018 - 11:08

As hopes of a broad Eurozone reform are fading, Europe is once again confronted with a complex political equation. Emmanuel Macron’s election last year was expected to usher in a new era of trust among member states, and especially between France and Germany. The story went that, while France would send the “right signals” to Berlin in terms of structural reforms, Angela Merkel would in return bypass her country’s aversion to risk sharing and accept the core of Macron’s proposals aimed at fixing the Eurozone’s flaws.

Last September’s federal election in Germany undoubtedly helped to derail those plans. Not only has the governmental crisis delayed European negotiations on these issues by several months, but the electoral surge of the far-right Alternative for Germany (AfD) has translated into increased pressure on the entire political spectrum, away from any commitment to bold European reforms. Despite the optimism that dominated European debates until recently, the horizon was, however, already far from clear, even before the election complicated the situation further.

French policy circles in particular tended to downplay Germany’s persistent financial taboos, which preclude decisive steps towards a substantial common budget or a genuine banking union with a joint deposit insurance, not even to mention debt pooling or the reviled notion of a “transfer union”. Macron had not even been installed as president that Wolfgang Schäuble, then Germany’s finance minister, voiced his opposition to any ambitious reform, as he was more concerned about the Eurosceptic turn he foresaw in his country. Though strict and inflexible in crisis negotiations, Schäuble remains a sincere, old-school European federalist, in his own way.

When countering Macron’s proposals, he at least bothered to advocate alternatives of symbolic significance, such as transforming the European Stability Mechanism into a “European Monetary Fund,” which could provide assistance even outside episodes of systemic crisis. During the coalition talks that were later taking place in Berlin, a majority of French commentators tried to stick to the faith that the coalition would put Europe (and Eurozone reform) first, under the impulse of Martin Schulz, until he finally had to throw in the towel. Yet, coalition parties, while perpetuating Schäuble’s overall stance and trying to strike a more consensual tone, now even seem to be backtracking on other minor concessions that he implied before the German election.

This is hardly surprising if one takes on board the diverging definition of the monetary union on either side of the Rhine. These differences were visible as early as the 1980s during early discussions of a single currency, in the already complex environment of the exchange rate mechanism (ERM). While the elites of France and Italy expected the ultimate cause of monetary and political unification to prevail, economies further diverged throughout the early phase of the euro in the 2000s, and defiance surged on all sides as a result of the euro crisis. Simultaneously, the very notion of a grand plan following the course of history has diverted attention from real economic trends and the worsening political divide both within and among European countries. Quite paradoxically, while convergence towards Germany was set as the ultimate goal of European cooperation, actual interest in the country, in its culture and its complex economic reality plummeted. On specific subjects like Eurozone reform, this contradiction resulted in overly optimistic assertions.

Although this confusion could have been avoided by means of a more realistic assessment, a wave of resentment seems to be setting in. While Emmanuel Macron convenes the public message that the European agenda remains unchanged, many among the advocates of a federal Europe à la française have already begun to express their disappointment and to fulminate against the German government’s lack of commitment. Optimism easily morphs into trepidation.

As a result of these tensions, tacit arrangements, for example over the appointment of Jens Weidmann as ECB President next year, could be put into question, and contentious issues related to trade imbalances could come to the fore. While the euro will remain an unfinished monetary union in the foreseeable future, new lines of cooperation will have to emerge, which will probably centre less on institutional constructs and more on investment, technology and other concrete steps aimed at making European economies converge on the upside.

Blocages dans les universités : retour aux années 70 ou nouvelle ère ?

jeu, 19/04/2018 - 14:27

Quels sont les marqueurs de ces mouvements étudiants et de cette nouvelle génération ?

On trouve des points communs dans les “causes” avec les mouvements des années 70 (remises en cause du capitalisme, de l’autorité , modes d’action etc) mais les affrontements entre groupes de type extrême gauche (anarchistes, trotskystes) et extrême droite (Occident, Gud…) ont quasiment disparu. La différence majeure tient au fait ce n’est plus une culture politique commune qui fédère ces groupes, parce que « tout simplement  » ils savent qu’ils ne changeront rien et ont intégré la défaite. Le nihilisme caractérise cette génération plus que les autres.

Tout est remis en question, et pas seulement la légitimité des autorités universitaires, qui par ailleurs semblent douter elles-mêmes de leur propre légitimité! Ce sont des activistes dépolitisés, des gens intelligents et diplômés qui remettent en cause tous les savoirs, et qui ne font aucune projection dans l’avenir. Ils n’ont pas vraiment d’idées à mettre en avant ou à défendre ni de but précis. Une seconde caractéristique découle directement de ce constat : désormais c’est l’action, son efficacité et son résultat qui prime et qui devient leur élément structurant.

Le recours à l’occupation d’universités et au blocage de lieux publics a toujours existé comme mode d’action, mais les mouvements actuels révèlent-ils des bouleversements dans la société actuelle ?

On retrouve bien sûr des procédés communs avec les années 70, mais les intentions n’ont plus grand-chose à voir! Dans les ZAD, une partie des occupants peut croire dans l’idée d’un « laboratoire innovant » mais on est quand même très loin du communautarisme “hippie” incarné par le Larzac. Les zadistes cherchent surtout un lieu repli sur soi, le but de leur autosuffisance étant surtout de pouvoir se couper de la société, à l’image des groupes survivalistes. La Zad de Bure n’est plus vraiment un lieu de contestation du nucléaire.

Dans un communiqué, les étudiants de Sciences Po dénoncent une « école qui sert de laboratoire aux politiques d’éducation néolibérales et racistes telles que celles orchestrées aujourd’hui par le gouvernement ». Le blocage de Sciences Po est-il révélateur d’un changement au sein même de la « fabrique des élites »?

Oui, avec un phénomène nouveau de désintérêt de ces futures élites pour des parcours pourtant prestigieux en entreprise ou dans les cabinets ministériels. Une partie de ces étudiants n’adhèrent plus à ce modèle, car ils ne croient pas non plus dans un quelconque changement, y compris à des postes élevées. C’est un signal inquiétant pour le pouvoir et pour Emmanuel Macron, qui est l’incarnation de cette élite mondialisée, sociale-démocrate bon teint, etc. Le vrai danger de ces mouvements, c’est leur éloignement et leur indifférence aux projets de société qu’on leur impose.
Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/blocages-dans-universites-retour-aux-annees-70-ou-nouvelle-ere-eddy-fougier-3368366.html#3bhERG8iT8q6YQhR.99

Emmanuel Macron face au durcissement des négociations européennes

mer, 18/04/2018 - 17:55

Le président français s’est exprimé hier pour la première fois devant les eurodéputés au Parlement européen à Strasbourg pour évoquer sa vision de la réforme de l’Union européenne, et en particulier de la zone euro. Or, l’absence de concession du nouveau gouvernement allemand crispe les ambitions de la France. La visite du président français à Berlin ce jeudi va peut-être permettre à ces deux pays de refonder leurs liens, importants pour l’avenir de l’UE. Le point de vue de Rémi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l’IRIS.

Que doit-on retenir de la réforme sur l’Union européenne présentée par le président français ?

Le projet initial d’Emmanuel Macron pour la réforme de l’UE se concentre sur la zone euro, avec l’idée d’approfondir l’union monétaire par le biais de deux mécanismes : un renforcement de l’union bancaire et la création d’un budget spécifique pour la zone euro. Toutefois, ces négociations s’avèrent très difficiles, notamment avec Berlin, dont les réticences traditionnelles sur les sujets touchant à la solidarité financière et aux transferts entre pays membres sont renforcées par la crise politique.

À l’occasion de son discours devant le Parlement européen à Strasbourg, la question de la zone euro n’a dès lors pas était centrale, du fait de l’impasse sur cette question. Par souci d’insister sur la notion « d’Europe des peuples » et d’amorcer une négociation au sein de l’Union, le président français a davantage focalisé son discours sur des sujets jugés importants pour Berlin, en évoquant notamment la crise migratoire. Pour cela, Emmanuel Macron a affirmé l’idée d’une assistance financière accrue de la part de l’Union européenne au profit des collectivités territoriales qui accueillent des réfugiés. Il s’agissait notamment d’envoyer un signal à Berlin, en vue de son déplacement de jeudi, en ce qui concerne la solidarité dans la gestion de cette crise, mais également à certains pays de l’Union qui sont en première ligne de ce dossier, comme l’Italie ou la Grèce.

Le président a par ailleurs dû évoquer le sujet de l’intervention en Syrie face au scepticisme exprimé, à défaut de critiques frontales, par plusieurs des partenaires européens de la France. Par ailleurs, alors que l’Europe de la défense était au cœur de la réponse de l’Union au Brexit, les divergences dans les approches stratégiques, notamment au niveau franco-allemand, continuent à soulever un certain nombre de questions quant à son évolution.

Au niveau de la zone euro, quel est le projet de la France ? Quels sont les points de convergence avec l’Allemagne ?

Concernant le dossier de la zone euro, il existe un clivage difficilement dépassable au sein de l’Union, et qui précède les difficultés supplémentaires issues de la crise politique allemande. D’une part, la vision française qui consisterait à approfondir la zone de manière structurelle, et de l’autre, la vision allemande partagée avec la plupart des pays du nord de l’Europe, qui privilégient un durcissement des contrôles tout en restant dans tous les cas assez opposés à l’accroissement de la solidarité financière et surtout à toute idée de transfert systématique entre pays au sein de la zone, en particulier du Nord vers le Sud. Ces derniers jugent tout ce qui pourrait aller à terme dans le sens d’une « union des transferts » comme inacceptable pour les contribuables du nord de l’Europe.

Depuis l’élection du président Macron, la France plaçait d’importants espoirs dans cette réforme. Le gouvernement français, du fait de son engagement européen et de ses projets de réformes structurelles au niveau national, pensait jouir d’une crédibilité suffisante sur la scène européenne pour convaincre l’Allemagne de consentir à un certain nombre de concessions de fond. Il s’agissait de penser qu’Angela Merkel accepterait ces modifications après les élections allemandes du mois de septembre dernier. Toutefois, avec la montée de l’extrême droite (AfD), entraînant un affaiblissement marqué des partis de gouvernement, notamment du bloc conservateur (CDU-CSU) et des sociaux-démocrates (SPD), la crise politique a suspendu toute forme de négociation européenne sur la zone euro et même conduit à un durcissement marqué de la position allemande, sur la base de réserves déjà profondes. La contestation de l’implication de l’Allemagne au sein de la zone euro est en effet un des premiers objectifs de l’AfD, au même titre que l’immigration ; ce qui exerce une pression marquée sur les deux partis de coalition contre l’intégration européenne. Au-delà de l’aggravation de la situation et du durcissement de la position allemande au sein de la coalition, le blocage actuel est lié plus fondamentalement à des définitions différentes de l’union monétaire.

Cette forte réticence s’est notamment exprimée avec le rejet à peine masqué de la proposition française par Wolfgang Schäuble, alors qu’il était ministre des Finances, concernant la création d’un budget substantiel au sein de la zone euro. Il y avait opposé l’idée moins ambitieuse sur le fond, mais ambitieuse dans la forme consistant à transformer le Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen, qui pourrait également soutenir les pays membres en dehors des périodes de crise systémique. Aujourd’hui, même cette proposition de Wolfgang Schäuble a tendance à être jugée trop ambitieuse, notamment par le ministre des Finances allemand actuel, le social-démocrate Olaf Scholz.

Sur la question de l’union bancaire et de la mise au point d’une garantie commune des dépôts bancaires, le sujet ne peut être complètement écarté, mais toute avancée est repoussée au lendemain d’un véritable assainissement de la situation du secteur bancaire d’un certain nombre de pays, dont l’Italie en particulier. En plus de l’Allemagne, un certain nombre d’États du nord de l’Europe, emmenés par les Pays-Bas, affichent collectivement leur opposition au projet de la France visant au parachèvement de la zone euro. On constate réciproquement une forte déception en France du côté du gouvernement et de l’administration face à une situation européenne qui pourrait ternir l’image d’Emmanuel Macron comme réformateur de l’UE.

Face aux tentations autoritaires et populistes et avec l’émergence d’un scepticisme du côté allemand, la France est-elle en capacité de devenir le fer de lance d’une nouvelle Union européenne, davantage démocratique et soudée ?

En plus d’obtenir certaines concessions au moins symboliques sur certains dossiers liés à la zone euro, Emmanuel Macron aura probablement à cœur de lancer de nouvelles pistes de réforme et de coordination, comme il l’a fait sur la question de la taxation des GAFA ou sur la politique douanière d’une Union européenne qu’il voudrait pouvoir présenter comme protectrice.

Le président français va plus généralement devoir déployer une nouvelle approche de sa politique européenne, en se concentrant probablement sur des aspects plus concrets de la coordination macro-économique entre les pays de l’Union, et par un approfondissement des relations entre la France et l’Allemagne ancré dans la réalité de conceptions différentes de l’intégration européenne et des crises politiques qui traversent les deux pays. Si la négociation en cours reste dans l’impasse actuelle, des crispations sur différents sujets pourraient émerger, à la fois sur certains déséquilibres profonds au sein de l’Union ou à propos d’éléments qui semblaient acquis, y compris dans des secteurs comme l’aéronautique.

Durant les prochaines semaines, Emmanuel Macron va devoir choisir entre deux options. D’un côté la voie d’une crispation et d’un relatif retrait, et de l’autre, celle qui consisterait à développer de nouvelles options concrètes. Ces projets concrets reposeraient moins sur une réforme structurelle de la zone euro et plus sur le problème tout aussi grave du rééquilibrage réel entre économies européennes, notamment sur le plan commercial, et en dépassant le cadre de la focalisation sur les comptes publics. Il est probable que l’on assiste à une combinaison de ces deux approches, mais dans tous les cas les négociations sont appelées à se complexifier entre partenaires européens.

Frappes occidentales en Syrie, nouvelle étape dans le conflit ?

mer, 18/04/2018 - 17:45

Vendredi 13 avril, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont procédé à des frappes aériennes en Syrie, contre des sites stratégiques du régime. L’offensive occidentale a été perçue comme une agression par les alliés de Bachar al-Assad, entraînant dans ce jeu de puissances, une plus grande affirmation de deux blocs, et augmentant les tensions. Ces bombardements marquent-ils une nouvelle étape dans le conflit syrien ? Pour nous éclairer, l’analyse de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.

 Comment analyser les réactions des alliés du régime syrien (Russie, Iran et Turquie), et du reste de la communauté internationale à propos des frappes occidentales ? Assiste-t-on à la formation de deux blocs dans le cadre du conflit syrien ?

La Russie, l’Iran et la Turquie ont réagi de façon différente. Les réactions de la Russie ont été plus véhémentes. Elle considère que « la Russie perd le peu de confiance qui existait entre elle et l’Occident […] et que la Russie et l’Occident se trouvent dans une situation plus dangereuse que pendant la guerre froide ». Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a déclaré au lendemain des frappes sur la BBC que « les Occidentaux, plus particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne » ont fermé « les voies de communication et ont créé une situation dangereuse ».

En Iran, même si le Guide de la République islamique a qualifié les trois chefs d’État impliqués dans les frappes « de criminels », les réactions gouvernementales ont été plus mesurées. Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien, a même pris contact avec son homologue britannique, Boris Johnson, pour lui indiquer qu’« aucun pays n’a le droit de lancer des opérations militaires unilatérales punitives contre un autre pays en dehors des règles internationales ».

La Turquie se trouve, quant à elle, dans une situation délicate entre la Russie et l’Iran, ses deux nouveaux alliés, et l’Occident dont le pont n’a pas encore été coupé entièrement. Dans une première réaction, la Turquie a approuvé le bombardement contre les installations chimiques syriennes, puis quelques heures après, a déclaré sa neutralité entre les Russes et les Iraniens d’un côté, et ses trois partenaires au sein de l’OTAN.

Les divergences sur la Syrie et le régime de Bachar al-Assad entre la Russie et l’Iran d’un côté, et les États-Unis et l’Europe de l’autre, sont telles que nous pouvons parler effectivement de deux blocs. Quant à la Turquie, si elle fait désormais, et de plus en plus, partie de la troïka, elle a des intérêts et des objectifs distincts de ses deux partenaires, notamment sur l’avenir de Bachar al-Assad. Également, même si les Iraniens affirment au cours des discussions avec ses interlocuteurs qu’ils partagent la même vue que les Russes sur cette question, tout laisse à penser que Moscou est plus souple sur cette question que Téhéran. Quant aux divergences entre les Occidentaux, elles sont publiques : le président français a ainsi laissé entendre qu’il a œuvré auprès de Donald Trump pour que l’envoi des missiles sur les objectifs choisis ne soit pas interprété comme une action contre l’Iran et la Russie.

Quant à la réaction de « la communauté internationale » en dehors des pays concernés par les frappes, il existe un réel malaise. Devant le veto russe à une intervention militaire en Syrie, la France et ses deux alliés occidentaux ont pris la décision d’outrepasser le Conseil de sécurité de l’ONU. Emmanuel Macron a ainsi présenté une nouvelle interprétation de la « communauté internationale », déclarant pendant qu’il s’agissait d’une intervention menée « de manière légitime, dans un cadre multilatéral », ajoutant que « c’est la communauté internationale qui est intervenue ». Deux arguments discutables l’un et l’autre. En effet, il laisse à penser que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – même quand ils ne sont que trois sur cinq dans le cas présent – peuvent exprimer, y compris par des actions militaires, la volonté de la communauté internationale. Il a également évoqué la résolution 2118, en date du septembre 2013, sur l’interdiction de l’usage des armes chimiques qui laisse la possibilité au Conseil de sécurité de prononcer des sanctions si Damas ne respectait pas ses engagements en la matière. Mais, il ne s’agit pas de sanctions automatiques. En cas de violation du plan de désarmement, une deuxième résolution « sous chapitre VII de la charte de l’ONU » serait nécessaire. Ces arguments rappellent ceux de George W. Bush et de Tony Blair pour envahir l’Irak, même si les objectifs de ces deux interventions ne sont bien évidemment pas les mêmes.

Est-on entré dans une nouvelle phase du conflit syrien ? Une solution politique est-elle toujours possible ?

Une nouvelle étape de la guerre en Syrie vient d’être franchie, marquée par la victoire de plus en plus évidente du régime syrien face aux forces rebelles. L’une des étapes décisives pour les troupes de Bachar al-Assad a été la récente prise de la Ghouta orientale, zone proche de Damas. Ce territoire fut occupé par les forces rebelles et des organisations présentes majoritairement issues de mouvements jihadistes et salafistes. La reprise de la Ghouta libère une partie importante des forces militaires syriennes. D’ores et déjà, le débat se porte sur la prochaine cible de Damas, Deraa au sud de Damas, ou Idlib plus au nord.

Parallèlement, l’implication de l’Iran et de la Russie au côté de Bachar al-Assad est de plus en plus affirmée et présente. Dans le passé, les Iraniens n’étaient pas d’accord sur tous les points avec la stratégie de la Russie en Syrie. Les Russes ne faisaient pas du maintien de Bachar al-Assad leur objectif à tout prix, mais étaient intransigeants sur leur influence en Syrie. L’Iran apparaissait comme le plus solide allié du régime sur ce point. Cependant, tel que déjà mentionné, leurs positions se sont désormais rapprochées. Les deux alliés du régime syrien ont toujours exprimé leur attachement à une solution politique et d’autres initiatives comme celle d’Astana, en parallèle des pourparlers de Genève sous l’égide de l’ONU.

Mais aujourd’hui, la perspective d’une solution politique rapide s’éloigne, comme l’a affirmé le Kremlin au lendemain des frappes, suite à un entretien entre Vladimir Poutine et l’ayatollah Khamenei. C’est une réaction diamétralement opposée à celle du président français, Emmanuel Macron, qui pense que ces frappes de « représailles » vont déboucher vers une solution politique.

Cela étant, la différence d’approche sur la Syrie entre la France et les États-Unis existe toujours également. Pour répondre indirectement au président français qui a laissé entendre qu’il a fait changer la position de Donald Trump sur la Syrie pour que les États-Unis ne retirent pas ses forces présentes en Syrie, la Maison-Blanche a confirmé que Washington aller le faire « le plus rapidement possible » du pays.

Après sa victoire dans la Ghouta orientale, le président syrien, va par ailleurs certainement pousser son avantage sur le terrain, ce qui recule d’autant la perspective d’une solution politique. Celle-ci ne serait d’ailleurs possible qu’en la présence d’une opposition forte et crédible. Or, ce qu’on appelle « l’opposition modérée » constitue une partie infime des rebelles au sein desquelles les jihadistes et des forces salafistes sont majoritaires, ce qui ne facilite pas la position occidentale.

La Syrie reste vitale pour la Russie, comme point d’appui pour son retour sur le plan international ainsi qu’au Moyen-Orient. Il serait ainsi très peu probable que les Russes changent leur stratégie à la suite de ces bombardements. Poutine pourra peut-être abandonner Bachar al-Assad au terme d’une solution politique, mais il ne se risquerait pas à délaisser le régime actuel. Cette guerre semble pour l’instant être remportée par la Russie, marquant son retour sur la scène internationale grâce à son réalisme. D’autant que face à l’avancée militaire des troupes de Damas et l’arrêt de l’opposition, le camp occidental ne s’est pas réellement préparé à apporter une solution politique. Et jusqu’alors, les nombreuses discussions au sein de l’ONU, le processus de Genève ou la mise en place de cessez-le-feu n’ont pas pu influer sur le cours du conflit.

Les conséquences de ces frappes aggravent finalement davantage les relations entre les pays occidentaux et les alliées du régime syrien, et surtout freinent la volonté de la France de jouer un rôle de médiateur au Moyen-Orient, que ce soit au sein du conflit syrien, ou bien plus largement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ou entre Beyrouth et Riyad.

Au lendemain des frappes occidentales, le régime syrien a annoncé avoir entièrement repris l’enclave rebelle de la Ghouta orientale. Est-ce à dire que les frappes n’ont pas eu d’impact sur la stratégie syrienne et de ses alliés ? Où en est-on des forces en présence sur le territoire syrien ?

Évidemment, le régime syrien, même avant les frappes, avait totalement repris la Ghouta orientale. Cette offensive va sûrement permettre à l’armée syrienne de déployer une stratégie de plus grande ampleur pour continuer dans cet élan de reprise de territoires, les rebelles étant toujours présents dans certaines régions. Le régime syrien a compris que ces frappes de représailles n’avaient pas comme objectif de changer stratégiquement le rapport des forces en présence et qu’elles étaient destinées essentiellement à crédibiliser la position occidentale en envoyant un signal à la Russie. Quant à l’Iran, il semblerait que son gouvernement soit davantage préoccupé par la réaction israélienne que par les frappes françaises. Des informations contradictoires en provenance de la Syrie font d’ailleurs état d’un bombardement israélien sur des bases iraniennes en Syrie au lendemain des frappes occidentales.

À l’heure actuelle, le plus grand groupe d’opposition au régime n’est plus Daech ou d’autres organisations jihadistes salafistes, mais bien les Kurdes syriens n’ayant pas la même position que les autres organisations mentionnées vis-à-vis du régime syrien. Récemment, à Afrine, des soldats syriens ont porté soutien aux combattants kurdes, cibles de l’armée turque. Des organisations salafistes telles que Jaych al-Islam et Faylaq al-Rahmane, soutenues par l’Arabie saoudite, ont été vaincues à la Ghouta et ont ensuite été évacuées vers Idlib, la province du Nord, très peuplée, où l’ex al-Nosra (affiliée à Al-Qaïda) est présente en force. Des poches de rébellion moins importantes, y compris Daech, existent également au sud de Damas, à Deraa.

Ainsi, plusieurs conflits se déroulent en Syrie au même moment. Aujourd’hui, même si des élections s’organisaient en Syrie sous l’égide de l’ONU, il serait peu probable que le régime de Bachar al-Assad soit perdant. Cette perspective aggrave la situation actuelle et explique d’une certaine manière les récents bombardements occidentaux souhaitant affaiblir le régime en place.

« Moins on se découvre, plus on a de chances de rester au pouvoir « 

mer, 18/04/2018 - 14:20

Après soixante ans de pouvoir des frères Castro à Cuba, l’Assemblée nationale de l’île va élire un nouveau président. Trois questions à Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Espagne et de l’Amérique latine, permettent de préciser les contours flous du futur diplomatique de l’île.

Quelle ligne politique peut-on attendre du nouveau président?

Dans ces régimes, il est très difficile de prévoir les décisions du comité central, qui se prennent derrière des portes closes.
Ces élections sont un peu comme l’élection d’un nouveau pape au Vatican : on ne sait pas ce qui se passe à l’intérieur, on doit attendre la fumée blanche. On n’est pas à l’abri d’une surprise du Parti communiste cubain, mais a priori, ce sera Miguel Diaz-Canel qui sera élu. Il a été formé et préparé à prendre la succession des frères Castro. C’est lui qui est là lorsque Raul ne l’est pas. Il représente la prochaine génération de ce système politique.
Dans ce type de régime, moins on se découvre, plus on a de chances de rester au pouvoir. Pour l’instant, tout semble indiquer que le régime va poursuivre une évolution à petits pas vers une ouverture économique, sans forcément d’ouverture politique. Mais là encore, ce ne sont que des hypothèses. Cette situation rappelle un peu l’accession au pouvoir de Gorbatchev, qui lorsqu’il a été élu à la tête du parti communiste soviétique paraissait être dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Même Ronald Reagan, à l’époque, a estimé que rien n’allait changer. Il a fallu plusieurs mois pour que Gorbatchev ne rompe avec la ligne du Parti.

L’économie de Cuba est en partie soutenue par Venezuela, qui lui vend du pétrole à bas prix en échange de l’envoi de médecins cubains. Quelles conséquences pourraient avoir la crise dans ce pays sur Cuba ?

Au Venezuela, l’économie fonctionne mal, les revenus pétroliers baissent. Même si le régime actuel, qui fait preuve de « sympathie » envers Cuba, reste en place, le Venezuela ne peut plus vendre de pétrole en dessous du prix du marché. Cette situation ravive le souvenir à Cuba de la période de la fin des aides soviétiques dans les années 1990 : il s’en est suivi une période d’austérité très sévère. C’est pour cela que depuis quatre ou cinq ans, Cuba cherche à diminuer sa dépendance envers le Venezuela en se tournant vers d’autres pays.
Du côté européen, Cuba compte déjà beaucoup de capitaux français, espagnols, allemands ; mais aussi des capitaux colombiens, brésiliens, canadiens. Le régime essaye donc déjà depuis quatre ou cinq aux de se diversifier en se tournant vers les Etats Unis et la Chine. Mais depuis que Trump est au pouvoir, ce développement est devenu très incertain.

Miguel Diaz-Canel tient justement des discours ambivalents à propos des Etats-Unis : comment peut-il se positionner face à ce voisin imposant ?

Donald Trump reste très imprévisible dans sa ligne politique, ce qui est un élément de contrainte non négligeable sur la politique de Cuba. Si les Etats-Unis se montrent plutôt ouverts, plus de changements économiques voire politiques seront possibles. Mais si ce n’est pas le cas, cela aura des conséquences directes dans l’île.
Parmi les membres du parti communiste de Cuba, certains pensent que le mandat de Trump n’est qu’une parenthèse avant un retour à une politique de détente plus proche de celle d’Obama par le président suivant. D’autres au contraire pensent que ce durcissement de la position américaine est durable et qu’il faut donc se montrer intransigeant envers les Etats-Unis. C’est peut-être pour cela que les discours de Miguel Diaz-Canel sur les relations de Cuba avec ce pays paraissent contradictoires : cela lui permettrait, à l’avenir, de s’appuyer sur les uns ou les autres selon la tournure qu’aura pris la situation.

1968-2018 : 50 ans après, que reste-t-il du message de Martin Luther King ?

mer, 18/04/2018 - 11:34

Rokhaya Diallo, éditorialiste et essayiste, répond à nos questions à propos de l’héritage de Martin Luther King aujourd’hui :
– Quel est l’héritage du message de Martin Luther King dans l’Amérique d’aujourd’hui ?
– Un demi-siècle après l’assassinat de Martin Luther King, comment interpréter le mouvement Black Lives Matter ? Assiste-t-on à un renouveau de la révolte de la communauté afro-américaine ?
– Quels ont été et quels sont les échos de l’action de Martin Luther King sur le militantisme français engagé contre le racisme ?

« Une histoire populaire du football » – 3 questions à Mickaël Correia

mer, 18/04/2018 - 10:46

Mickaël Correia est un journaliste indépendant. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Une histoire populaire du football » [1], aux éditions La Découverte.

Pourquoi, alors qu’il est fréquent d’entendre que le football est l’opium du peuple, considérez-vous qu’il est, au contraire, un moyen de contestation ?

La simplicité des règles du football, tout comme le peu de moyens nécessaires à sa pratique (un ballon, même rudimentaire, et un coin de rue suffisent), font du football un sport facilement appropriable par tous et toutes. Qu’il s’agisse d’une pratique sportive ou d’un spectacle, il a d’ailleurs tout au long de l’Histoire été approprié par des groupes sociaux opprimés ou des communautés de lutte.

Sur le terrain, jouer au ballon peut avoir une portée politique, car il met en scène des corps en mouvement. Les exemples sont nombreux, mais on peut citer les ouvriers britanniques du XIXe siècle qui font de la passe à un coéquipier un geste essentiel du football, alors que ce sport, initialement aux mains de la bourgeoisie victorienne, était très individualiste et considérait cette action comme un aveu de faiblesse. D’une certaine manière, le jeu collectif déployé par la working class et basé sur la passe traduit sur la pelouse l’esprit de coopération et de solidarité qui règne à cette époque au sein des usines et des communautés ouvrières. On peut aussi mentionner le football féminin qui possède pour nombre de féministes une dimension politique, car il met en scène une autre vision du corps de la femme, contestant en acte les stéréotypes de genre autour de la féminité. On peut enfin souligner la popularisation du dribble au Brésil au début des années 1920-1930, qui permettait aux Afro-brésiliens d’esquiver les charges brutales des défenseurs blancs que les arbitres racistes ne sifflaient pas… C’est un geste qui incarne la condition du colonisé : pour exister sur le terrain comme dans la société, il doit se soustraire à la violence du colon.

Les clubs, en tant que structure démocratique et espace social, furent aussi des lieux de résistance à l’ordre établi. Durant l’occupation allemande, aux Pays-Bas comme en France, certains ont servi de réseau d’entraide. En Afrique subsaharienne, notamment au Nigéria, les clubs de foot autoadministrés furent un des foyers de contestation de la domination coloniale. Au Brésil, au début des années 1980, des joueurs mythiques comme Sócrates ou Wladimir ont fait de leur club, le SC Corinthians de São Paulo, un étendard populaire de contestation de la junte militaire, au pouvoir depuis 1964. En mettant en place des pratiques d’autogestion et de répartition équitable des bénéfices au sein du club, ils ont démontré, dans une société verrouillée par une dictature militaire, que la démocratie était possible.

En quoi, dans de nombreux régimes autoritaires, le stade est-il un refuge pour les protestataires ?

Sous le totalitarisme stalinien ou sous la dictature franquiste, les tribunes des stades vont en effet être un espace où il est possible d’échapper un temps à la surveillance policière grâce à l’anonymisation que permet la foule. Ainsi, à Moscou dans les années 1930, lors des matchs où jouent le Dynamo (affilié à la police politique soviétique) ou le CSKA (le club de l’Armée rouge), on entendait dans les gradins des slogans hostiles aux forces de répression et à l’armée. Quant au Camp Nou, le stade du FC Barcelone, il était sous Franco un lieu de résistance culturelle, dans le sens où l’on a pu y converser en catalan (alors que la langue était prohibée) à partir des années 1960, y faire circuler des pamphlets anti-franquistes ou entonner des chansons populaires interdites par le régime comme Els Segadors, chant de ralliement des Catalans républicains durant la guerre civile d’Espagne.

Plus récemment, lors des printemps arabes en 2011, les supporters ultras ont réussi à échapper aux régimes autoritaires en place à l’époque. Ces « radicaux » sont organisés en groupes indépendants des clubs, autonomes financièrement, farouchement antiautoritaires et cultivant l’anonymat, autant d’éléments qui leur ont permis d’échapper à la mainmise du pouvoir étatique. Ils ont fait des tribunes un espace libéré de toute répression pour une jeunesse qui aspire à plus de liberté.

En Égypte, les premiers slogans anti-Moubarak sont donc entendus dans les stades et, quand la révolution de 2011 éclate, ces supporters vont devenir le bras armé du mouvement révolutionnaire égyptien. Comme ils sont le seul groupe social à avoir élaboré des pratiques d’autodéfense face à la police, ils vont apporter leur savoir-faire à l’ensemble du mouvement social égyptien et vont défendre la place Tahrir face à l’armée. On retrouve le même phénomène en Turquie, lors du mouvement de la place Taksim en 2013 : ce sont les ultras des clubs d’Istanbul, notamment du Besisktas, qui vont apprendre à la jeunesse stambouliote comment résister collectivement à la répression policière du régime d’Erdoğan.

Comment expliquez-vous le mépris d’une grande partie des élites françaises à l’égard du football ?

Parmi les grandes figures intellectuelles du XXe siècle, les défenseurs du ballon rond, à l’instar d’Albert Camus ou Pier Paolo Pasolini, sont plutôt rares. Sans compter qu’une théorie critique du sport, portée entre autres par le sociologue freudo-marxiste Jean-Marie Brohm, a émergé dans les années 1970, analysant le sport comme une idéologie purement capitaliste, voire fascisante. Une réflexion critique encore vivace aujourd’hui à gauche – mais qui fait paradoxalement part d’un incroyable mépris de classe – appréhende les amoureux du foot et ses pratiquants comme une « masse d’aliénés » …

Plus globalement, les stéréotypes du footballeur benêt et du supporter sexiste et raciste ont longtemps été assénés par les médias français, ce qui a participé à ce que les élites se distancent de ce sport populaire. Mais ces clichés s’érodent : depuis les années 1980, l’université aborde de plus en plus le football sous un angle historique ou social, grâce à des pionniers comme Alfred Wahl en France ou « l’école de Leicester » outre-Manche, portée par des sociologues comme Eric Dunning. Sans compter que dans le champ médiatique, nombre de revues et de sites internet abordent désormais le football en tant que culture.

Bref, le vent tourne et on découvre enfin que le football a toujours été intimement lié à l’histoire politique, autant qu’il est le support d’une culture populaire à la fois riche et inédite.

[1] http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Une_histoire_populaire_du_football-9782707189592.html

 

Bilan du 8e Sommet des Amériques : entre lutte contre la corruption et division sur le cas vénézuélien

mar, 17/04/2018 - 15:41

Du 13 au 14 avril s’est déroulé le 8e Sommet des Amériques, à Lima (Pérou). Malgré l’absence du président des États-Unis, de Cuba, de l’Équateur et du Venezuela, cette rencontre a regroupé 33 chefs d’État du continent américain. Le thème de la corruption a été au cœur des discussions, interrogeant sur l’état des démocraties latino-américaines. La situation préoccupante au Venezuela a également été source de division entre les participants, alors que les élections présidentielles doivent y avoir lieu le 20 mai prochain. Pour nous éclairer, le point de vue de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS.

 Quel bilan peut-on dresser de ce 8e Sommet des Amériques ? L’absence de Nicolas Maduro et de Donald Trump a-t-elle impacté la bonne tenue de la rencontre ?

Depuis plusieurs semaines déjà, le gouvernement péruvien – actif au sein du Groupe de Lima qui regroupe les 14 pays américains hostiles à Caracas sur la base des positions de l’opposition interne au gouvernement vénézuélien – avait déclaré Nicolas Maduro persona non grata à ce Sommet. Quant à ce dernier, il avait fait savoir qu’il ne s’y rendrait pas, ce sommet étant devenu désormais inutile pour la région selon lui. La présence de Donald Trump, quant à elle, était fortement attendue autant que redoutée. Il a finalement décliné quelques jours avant le début du Sommet en se déclarant prioritairement concentré sur la Syrie. C’est Mike Pence, le vice-président, et la fille du président, Ivanka Trump, qui ont représenté les États-Unis. Raul Castro ne s’est également finalement pas rendu à Lima, mandatant son ministre des Affaires étrangères Bruno Rodriguez. Il faut également mentionner l’absence du nouveau président de l’Équateur, Lenin Moreno. Ces absences ont permis d’ôter à cette rencontre une partie des tensions potentielles, mais également de sa symbolique, et ont eu des conséquences mesurables à plusieurs niveaux.

Les annonces préfigurant ce sommet semblaient avoir pour objectif de mener un front anti-vénézuélien. C’est en partie ce qui s’est passé puisque de nombreux États sur place ont condamné Nicolas Maduro. Dans une déclaration conjointe intitulée « Déclaration sur le Venezuela », l’Argentine, les Bahamas, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, les États-Unis, le Guatemala, le Guyana, le Honduras, le Mexique, le Panama, le Paraguay, le Pérou et Sainte-Lucie (c’est-à-dire 16 des 33 pays représentés) ont exigé « la restauration des institutions démocratiques » au Venezuela et l’organisation d’une élection présidentielle donnant « toutes les garanties nécessaires pour un processus libre, juste, transparent et démocratique, sans prisonniers politiques, qui inclue la participation de tous les acteurs politiques ». Les États-Unis ont rappelé par avance qu’ils ne reconnaîtront pas les résultats de l’élection présidentielle du 20 mai. Le message signifie : un nouveau train de sanctions, qui plongera le pays dans toujours plus de difficultés, sera adopté contre le Venezuela après cette échéance.

Cette déclaration n’a cependant pas fait consensus puisqu’elle n’a pas été signée par plusieurs acteurs de poids régionaux : la Bolivie, Cuba, l’Équateur, le Nicaragua ou l’Uruguay. On retrouve la ligne de fracture régionale. Il n’est pas fait mention du Venezuela dans la déclaration finale du Sommet.

Cette rencontre a par ailleurs permis de comprendre davantage la position des États-Unis vis-à-vis de la région. Leur intérêt s’est principalement porté sur les sujets comme la lutte contre la corruption – dont Washington considère qu’elle nuit aux entreprises américaines interdites de pratiques autorisées ou tolérées en Chine ou en Europe -, le narcotrafic ou les relations commerciales. Les États-Unis veulent imposer aux pays latino-américains plus de bilatéralisme à leurs conditions et souhaitent qu’ils se distancient plus de la Chine. Ici aussi, le thème de la lutte contre la corruption doit être compris comme une partie de la stratégie de Washington. Il y a la question des entreprises, mais aussi l’idée – qui va avec –  consistant à réduire considérablement les pratiques de prêts, contrats ou marchés « gré à gré » prisées par la Chine dans ses relations avec les Etats et entreprises latino-américaines.

Dans un climat d’événements tragiques – forte corruption, droits humains bafoués, assassinats de trois journalistes du quotidien équatorien El Comercio en Colombie -, dans quelle situation les démocraties latino-américaines se retrouvent-elles ?

La question des démocraties latino-américaines est paradoxale. L’Amérique latine reste une des régions parmi les plus démocratiques au monde, en comparaison au continent africain ou asiatique. Elle est devenue une région de stabilité et d’ancrage démocratiques au cours des années 2000, en rupture avec sa tradition passée (région des régimes dictatoriaux et des coups d’État au 20e siècle). Cela étant, la situation s’est indéniablement détériorée ces dernières années suite à différents phénomènes combinés : la crise économique, la crise sociale et les crises politiques plus ou moins intenses (Venezuela, Brésil, Pérou) démarrées dans la période mondiale post-2008. Parallèlement, d’autres phénomènes s’ajoutent à ces dynamiques cycliques, telles que la violence et le narcotrafic. Dans certains pays, ils sont structurels à la société. Le Mexique, en premier lieu, est dévasté par ces phénomènes rendant impossible la bonne gouvernance et l’existence d’une démocratie viable – certains parlent de «narco-État » pour le qualifier. On pourrait parler du « Triangle Nord » (Guatemala, Salvador, Honduras) en Amérique centrale. La Colombie connaît, quant à elle, un nombre important d’assassinats, touchant les défenseurs des droits humains, les syndicalistes, etc.

Dans ce contexte, la corruption est également devenue un thème central dans le débat public latino-américain, directement lié à la question de l’altération des processus démocratiques. C’est un des défis globaux aujourd’hui au sein du continent – mais pas seulement en Amérique latine, toutes les sociétés sont concernées dans le monde, à commencer en Europe.

À ce titre, ce sujet fut au cœur des travaux de Lima. Ce Sommet a établi un lien entre qualité démocratique et lutte contre la corruption. Mais la déclaration finale est paradoxale quant à ces thématiques, car si elle affirme bien plusieurs orientations utiles quant à l’assainissement et la modernisation des pratiques au sein des institutions et des administrations publiques (transparence, marchés publics, cyberadministration, autonomie judiciaire, renforcement des organismes de contrôle, coopération en matière de partage des données, traçabilité dans le financement des campagnes électorales, etc.), elle ne dit rien sur les moyens financiers mobilisés pour atteindre ces objectifs et très peu sur le rôle  – pourtant déterminant –  du secteur privé dans la corruption, comme agent corrupteur (évasion et fraude fiscales, corruption des agents publics, etc.). Mention de l’évasion fiscale est faite, mais quelques codes de bonne conduite pour les multinationales et le secteur privé ne font pas du tout le compte.

En Amérique latine, l’importance prise par le thème de la corruption a plusieurs causes. Tout d’abord, les pays de la région ont connu un enrichissement significatif dans les années 2000 (les Etats, le secteur privé, la société en général), ce qui a multiplié et accru les niveaux de détournement et d’accumulation frauduleuse. Ce phénomène est connu partout. Plus un pays s’enrichit, plus la corruption y augmente.

Dans le même temps, lorsque l’État et les tissus institutionnels restent fragiles, vulnérables comme c’est le cas dans la région, elle trouve un terrain de prolifération. Plus l’État est faible et absent de la société, plus la corruption, la violence, l’économie noire et sauvage sont fortes. Et dans des pays où pauvreté, inégalités, absence de sécurité collective, manque de services publics dominent, ce qu’on appelle « corruption » sont aussi des arrangements quotidiens qui permettent une sorte de répartition des ressources disponibles et organisent des formes de liens clientélistes de solidarité sociale. Ce thème est très délicat et compliqué.

Enfin, en Amérique latine, ce thème est aussi devenu, tandis que les opinions publiques tolèrent moins la corruption lorsque la vie quotidienne devient plus difficile (crise économique et sociale), un thème politique. La corruption est l’un des thèmes par lequel les forces de droite attaquent désormais pour éliminer celles de gauche, au pouvoir ces dernières années. La situation est cocasse lorsqu’on sait à quel point elles sont pourtant concernées par le sujet.

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