Fin mars, la classe politique métropolitaine s'est réveillée pour constater les terribles retards de développement qu'accuse la Guyane malgré le succès économique du centre spatial de Kourou (16 % du produit intérieur brut) : 22,3 % de chômage, la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, des aliments 45 % plus chers qu'en métropole et une insécurité record. Les Guyanais partagent le sentiment que Paris les méprise. Bien que très diverses, les revendications convergent toutes vers le même constat : un désengagement de l'État, alors que la population guyanaise croît à un rythme bien supérieur à celui de tous les autres départements. La population est passée de 115 000 habitants en 1990 à plus de 250 000 aujourd'hui (1). Tous les champs du service public manquent de moyens : la santé, l'éducation, la sécurité. Et les horizons de développement semblent bien sombres : la coopération économique avec les voisins (Brésil et Surinam) est quasi inexistante, tandis que persiste une sorte d'économie de comptoir, artificielle et captive, souffrant d'un déficit d'investissement chronique. Ce désespoir explique la forte mobilisation non seulement de toutes les catégories sociales, mais aussi de toute la mosaïque des peuples guyanais.
(1) « Recensement de la population en Guyane », Insee Flash Guyane, n° 56, Cayenne, 2 janvier 2017.
12 août 1961. Assassinat de Salah Ben Youssef à Francfort (Allemagne). Il était le principal opposant du président Habib Bourguiba.
Janvier 1963. Interdiction du Parti communiste (elle durera jusqu'en 1981). Mise en place du régime de parti unique.
Janvier 1966. Lettre à Bourguiba, de l'homme politique Ahmed Tlili. Il y dénonce notamment un « système policier ».
14 décembre 1966. À la suite de l'arrestation de deux étudiants, une manifestation tourne à l'émeute ; 200 étudiants sont arrêtés. Parmi les neuf condamnés, cinq sont membres du Groupe d'études et d'action socialiste en Tunisie (GEAST), les fondateurs de la revue de gauche Perspectives tunisiennes (qui va devenir le symbole de tout un mouvement d'opposition).
6 juin 1967. Un militant du GEAST, Ahmed Ben Jannet, est condamné par le tribunal militaire de Tunis à vingt ans de travaux forcés pour avoir organisé une manifestation.
18 mars 1975. Bourguiba est nommé président à vie.
26 janvier 1978. « Jeudi noir » : répression militaire d'une grève générale, qui fait 200 morts.
1978. Publication d'un rapport d'Amnesty International couvrant la période 1977-1978. Le document dénonce les répressions policières violentes et meurtrières des manifestations ainsi que les arrestations arbitraires d'opposants et de syndicalistes.
29 décembre 1983 - 1984. Les « émeutes du pain » interviennent après l'augmentation des produits céréaliers provoquée par la suspension des subventions à ces cultures. L'émeute populaire est réprimée violemment par la police mais aussi par l'armée. L'état d'urgence est déclaré. Le gouvernement recule et fait baisser les prix. Bilan officiel de la répression : 70 morts.
1984. Publication d'un rapport d'Amnesty International sur l'année 1983. Le document dénonce le maintien en prison des prisonniers d'opinion. Il met aussi l'accent sur les soupçons de tortures et de privations sur les prisonniers politiques.
7 novembre 1987. M. Zine El-Abidine Ben Ali succède à Bourguiba (dont il était le premier ministre) en le déposant pour sénilité.
18 mars 1988. Annulation des amendes qui avaient été prononcées contre les médias des partis d'opposition (pour infraction au code de la presse).
30 avril 1988. Le président Ben Ali décide de gracier M. Ahmed Ben Salah, ancien responsable de l'expérience socialisante, M. Rached Ghannouchi, leader islamiste, ainsi que les prisonniers islamistes.
27 juin 1989. Loi d'amnistie générale : 5 416 personnes qui avaient été condamnées pour raison politique ou syndicale peuvent de nouveau jouir de leurs droits civiques et politiques.
Janvier 1991. Début de la répression du parti politique Ennahda. Des milliers d'islamistes sont arrêtés dans le pays.
28 août 1992. Condamnation à de lourdes peines pour un grand nombre de dirigeants islamistes.
Janvier 1994. Rapport d'Amnesty International intitulé « Du discours à la réalité ». Le texte dénonce notamment les arrestations arbitraires et le double langage du gouvernement tunisien sur la scène internationale par rapport à la réalité du respect des droits humains.
21 mars 1994. M. Moncef Marzouki (qui deviendra président de 2011 à 2014) est emprisonné sans jugement pendant quatre mois. La veille, il s'était présenté à l'élection présidentielle. Il ne sortira de prison qu'après l'intervention personnelle de Nelson Mandela.
11 février 1998. Le vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, M. Khemaïs Ksila, est condamné à trois ans de prison.
30 décembre 2000. M. Marzouki est condamné à un an de prison pour son appartenance au Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et pour avoir critiqué la gestion du Fonds de solidarité nationale, placé sous l'égide du président Ben Ali.
12 février 2001. La justice annule les actes du Congrès de la ligue tunisienne des droits de l'homme.
Septembre 2002. Libération de M. Hamma Hammami, dirigeant du Parti communiste, qui était en prison depuis onze ans.
Octobre-novembre 2005. Des opposants se lancent dans une grève de la faim pour dénoncer les atteintes aux libertés publiques.
Janvier-juillet 2008. Mobilisation sociale à Gafsa (bassin minier). Arrestation de centaine de personnes. Les leaders écopent de dix ans de prison.
Novembre 2009. Taoufik Ben Brik (journaliste d'opposition) est condamné à six mois de prison ferme au prétexte (controversé) de l'agression d'une femme.
19 décembre 2010. Les manifestations consécutives à l'immolation, le 17 décembre, d'un jeune marchand tunisien, Mohamed Bouazizi, prennent de l'ampleur et se multiplient dans le pays. Début de la révolution tunisienne.
24 décembre 2010. La police ouvre le feu sur les manifestants. Mohamed Ammari est tué d'une balle dans la poitrine.
2 mars 2011. Des centaines de prisonniers politiques sont libérés. Ces libérations font suite à la loi d'amnistie générale qui a été décrétée le 20 janvier par le gouvernement intérimaire, six jours après la chute du régime de M. Ben Ali.
16 octobre 2011. Des milliers de tunisiens manifestent pour la liberté d'expression et contre l'islam radical en réponse à l'attaque qu'a subi la chaîne de télévision Nessma, qui avait diffusé le film Persepolis (sur la révolution islamiste en Iran), par des islamistes et à la plainte déposée contre la chaîne par un groupe d'avocats pour atteintes aux valeurs religieuses et morales.
28 janvier 2012. A Tunis, 10 000 personnes marchent pour la défense des libertés et contre les violences religieuses.
27 novembre 2012. Répression violente d'une manifestation des habitants de Siliana, qui protestaient contre leur gouverneur (préfet).
6 février 2013. L'homme politique et opposant de gauche Chokri Belaïd est assassiné à Tunis.
25 juillet 2013. L'homme politique Mohamed Brahmi est assassiné à Tunis.
16-21 janvier 2016. Vague de protestations populaires contre le chômage et les inégalités. Mouvement sans précédent depuis la révolution en 2011.
Novembre 2016. Début des audiences publiques de l'Instance vérité et dignité (IVD).
13 février 2017. Amnesty International publie un rapport sur les violations des droits humains commises au nom de la sécurité, « Tunisie. “Nous ne voulons plus avoir peur”. Violations des droits humains sous l'état d'urgence ».
En Espagne, la jeune formation Podemos a manqué son objectif de « prendre le ciel d'assaut » : renverser le système politique par le biais des élections générales. De Barcelone à Madrid en passant par Valence ou Saragosse, les forces progressistes critiques de l'austérité ont toutefois conquis plusieurs municipalités-clés. Mais changer de maire permet-il de changer le monde ?
Boa Mistura. – « Dors moins et rêve plus », Madrid, 2014 www.boamistura.comUne montagne de fleurs et de crucifix s'élève sur la place du Pilar, en cette mi-octobre, à l'occasion de la fête annuelle de Saragosse. Les rues regorgent de touristes, les grands magasins font le plein : aucun soviet, pas de prise d'un quelconque Palais d'hiver ibérique. Ici comme à Madrid, Barcelone ou encore Valence, une « coalition d'unité populaire » formée par des militants du mouvement social et de divers partis de gauche a remporté les élections municipales de mai 2015. Mais, en dépit des cris d'orfraie des conservateurs, alarmés par ces victoires, la révolution se fait discrète.
« On ne change pas une ville en un an et demi », plaide M. Guillermo Lázaro, coordinateur du groupe municipal de la coalition Zaragoza en Común (ZeC) (1). Avant d'ajouter que, en dépit des promesses de progrès social figurant dans les programmes électoraux, le changement auquel aspire la population consiste moins à abolir la propriété privée qu'à balayer la « caste » : « Les gens n'espéraient pas tant un changement réel de leurs conditions de vie que l'accession au gouvernement de personnes normales, qui leur ressemblent. »
À Saint-Jacques-de-Compostelle, la plate-forme victorieuse Compostela Aberta (« Compostelle ouverte ») est née d'« un dégoût », nous expliquent Mme Marilar Jiménez Aleixandre et M. Antonio Pérez Casas, respectivement porte-parole et militant de la coalition. « À peine un an après son élection, le précédent maire, le conservateur Gerardo Conde Roa, a été condamné pour fraude fiscale. » Deux autres se sont succédé au cours d'une mandature scandée par les affaires judiciaires, ce qui a valu à la ville d'être rebaptisée « Santiago de Corruptela ».
Cette crise de la représentation politique, moteur du mouvement du 15-M (né le 15 mai 2011 à Madrid), a favorisé la création de coalitions hétéroclites, renouvelant le profil des exécutifs traditionnels : « Compostela Aberta se compose en partie d'anciens militants de grands partis, mais pas uniquement, indiquent Mme Jiménez Aleixandre et M. Pérez Casas. Beaucoup de ses membres n'avaient jamais fait de politique auparavant ou viennent des associations de voisins (2), du mouvement féministe ou syndical, de collectifs de lutte contre la spéculation immobilière, etc. On trouve aussi des personnalités, des écrivains, des représentants du monde de la culture, ainsi que des gens issus du 15-M. » Et tout le monde ne se définit pas comme « de gauche ».
Utilisée par leurs adversaires et par une partie de la presse, l'appellation « mairies Podemos » (du nom du parti apparu en octobre 2014) oblitère les relations délicates, voire conflictuelles, que ces équipes entretiennent avec la jeune formation. D'ailleurs, « au-delà de nos différences avec les autres coalitions municipales, nous avons un point commun, observe Mme Jiménez Aleixandre : nous ne nous concevons pas comme des partis. Dans leur grande majorité, les partis de gauche traditionnels donnent la priorité aux intérêts de leurs noyaux dirigeants : garder son poste, sans toujours dialoguer avec les militants. On observe une évolution similaire au sein de Podemos. Nous, nous testons diverses formes d'organisation pour donner la priorité à notre programme. »
Main dans la main ou face à face ?Lequel ? D'une ville à l'autre, les feuilles de route intègrent de nombreuses ambitions communes : démocratie, répartition des richesses, réduction du poids de l'Église, réappropriation des services publics, droits des femmes, etc. Notre entretien n'a débuté que depuis quelques minutes lorsque le maire de Saint-Jacques-de-Compostelle, M. Martiño Noriega Sánchez, se lève : « Je descends dans la cour, prévient-il. Nous organisons une minute de silence chaque fois qu'une femme meurt sous les coups d'un homme. » Dans cette ville de près de cent mille habitants, de telles actions accompagnent la réhabilitation d'un centre d'accueil pour les femmes victimes d'agression, ainsi que des campagnes destinées à rendre leur lutte plus visible. Le 25 novembre, défini par les Nations unies comme la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, la ville se drapait de noir, bus et vitrines arborant l'inscription « Contra a violencia ».
À son retour, le maire nous expose le plan de prestations sociales entré en vigueur en octobre et dont il souhaite que d'autres gouvernements s'inspirent. « “Compostela Suma” est le programme le plus ambitieux que nous ayons porté jusqu'à présent. Nous avons signé des accords avec des hôtels, des associations, comme la Croix-Rouge, et débloqué des moyens pour loger les sans-abri, en utilisant des immeubles de la mairie qui n'avaient jamais été destinés à cela. » Le programme prévoit de venir en aide à des habitants considérés comme « trop riches » pour bénéficier de l'allocation d'inclusion sociale de Galice (Risga). M. Noriega Sánchez n'hésite pas, en outre, à afficher son soutien aux grévistes lors des grandes journées de mobilisation des travailleurs précaires et des sous-traitants de Telefónica, le principal opérateur de télécommunications d'Espagne.
Parmi les cibles des nouvelles équipes municipales, certains symboles. À Barcelone, la réapparition d'une statue décapitée du général Francisco Franco a scandalisé les conservateurs. Pour l'Épiphanie, le 6 janvier 2016, la mairie de Valence a choqué en remplaçant certains Rois mages par des reines. Provocations gratuites ? Il s'agirait plutôt de bousculer les héritages franquiste et catholique, en écho à l'aspiration républicaine du 15-M. Laquelle continue de flotter sur les manifestations espagnoles à travers le drapeau violet, jaune et rouge (les couleurs de la IIe République espagnole, 1931-1939).
Une fois le programme défini et l'élection remportée, il faut gouverner. L'entrée dans l'institution d'anciens militants associatifs habitués, pour les avoir souvent subis, aux rapports conflictuels avec les équipes municipales a provoqué un changement d'attitude du nouveau pouvoir local vis-à-vis du secteur associatif. « On constate une volonté de nous inclure dans les processus de décision, se félicite M. Enrique « Quique » Villalobos, président de la Fédération régionale des associations de voisins de Madrid (FRAVM). Il est devenu plus facile d'obtenir des informations. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais c'est un pas de géant, parce que, une fois en possession de ces informations, nous pouvons revendiquer. Les conflits qui nous opposent actuellement à la mairie ont donc été facilités par la mairie elle-même ! »
Boa Mistura. – « Je te mangerais de poésie », Madrid, 2013 www.boamistura.comTravailler main dans la main, mais sans renoncer au face-à-face : pour les collectifs militants, collaborer avec d'anciens camarades implique également de conserver son indépendance, pour « maintenir la pression ». Car l'amélioration des relations entre les acteurs des sphères publique et politique n'offre pas un gage d'avancées sociales, pas plus que la cordialité n'est synonyme de collaboration. « Nous portons un regard mitigé sur les premiers temps du gouvernement de Barcelona en Comú, déclare M. Daniel Pardo, membre de l'Assemblée des quartiers pour un tourisme durable (ABTS). Des espaces de dialogue se sont ouverts, alors qu'auparavant les questions liées au tourisme demeuraient le pré carré de l'institution, en lien avec les professionnels du secteur : les seconds décidaient, la première signait. Mais nous sommes assez surpris de voir que notre voix, qui défend l'intérêt général, est mise sur le même plan que l'avis du premier hôtelier venu. »
Accompagné d'une vingtaine de militants reconnaissables à leurs tee-shirts verts et à leurs slogans enjoués, M. Carlos Macías, porte-parole de la Plate-forme des victimes du crédit hypothécaire (PAH) de Barcelone, manifeste devant la mairie, en ce jour de tenue du conseil municipal, en octobre 2016. Une motion qu'ils portent depuis des mois vient d'être adoptée. Elle dénonce une clause prévoyant l'indexation des intérêts de certains prêts immobiliers sur un indice dont la méthode de calcul a été revue de manière très favorable aux banques par une loi de septembre 2013. Plus d'un million de prêts seraient concernés, empêchant de nombreuses familles de payer leurs mensualités à cause du surcoût important engendré par cette disposition, régulièrement jugée abusive par les tribunaux. À Barcelone, la municipalité s'engage désormais à ne plus travailler avec les banques qui l'utilisent et à fournir une aide administrative aux victimes. À l'échelle nationale, le rôle des mairies est pourtant limité : au mieux, elles peuvent demander au gouvernement espagnol de changer la loi, de mettre en place un système de prêts à taux zéro ainsi qu'un remboursement de tous les intérêts injustement perçus par les banques. Ce qui suffit à faire trembler les grands financiers. « Je sais qu'il est peu probable que la mairie cesse de travailler avec ces établissements financiers, confesse M. Macías. Il resterait deux banques, tout au plus, et aucune qui puisse lui prêter de l'argent. Mais je suis convaincu qu'il faut continuer à mettre la pression pour que l'équipe municipale ne baisse pas les bras. »
Ne pas se démobiliser, telle serait la priorité. « Barcelona en Comú ou Podemos ont une responsabilité : celle du discours, poursuit M. Macías. Si vous envoyez à votre propre camp le message : “Tout va bien, calmons-nous, nous sommes arrivés au pouvoir et on va tout régler”, c'est que vous n'avez rien appris au cours des quarante dernières années. » Les nouvelles équipes se disent conscientes du risque : « Nous ne voulons à aucun prix reproduire l'erreur de 1982, quand la victoire du PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol] a abouti au démembrement du mouvement social, veut rassurer Mme Luisa Capel, membre de l'équipe de communication d'Ahora Madrid (« Madrid maintenant »). À l'époque, la gauche a choisi une logique de démocratie représentative, et nous avons perdu du pouvoir dans la rue. Cela s'est vérifié tout au long des années 1990, avec des effets dévastateurs. Nous souhaitons que le mouvement social continue à jouer son rôle pour nous aider à mener notre politique. Ceux d'en face, eux, ne se privent pas d'essayer de peser. »
« Technique de profanation des institutions »Cette invitation provoque néanmoins quelques tensions. À Barcelone, elles se cristallisent autour de la lutte contre le tourisme de masse, point fort du programme de Barcelona en Comú. À l'été 2015, la maire, Mme Ada Colau, a adopté un moratoire d'un an (prolongé jusqu'en juin 2017) sur les licences permettant l'ouverture de nouveaux logements touristiques, le temps de mettre sur pied une politique de long terme dans une ville où tous les quartiers souffrent de l'essor du tourisme de masse. Si le moratoire — au grand dam des représentants du secteur — répond à la première des exigences de l'ABTS, le plan spécial urbaniste de logements touristiques (PEUAT) qui l'accompagne a essuyé le feu de ses critiques.
Encore en discussion après avoir reçu une centaine d'amendements, cette réglementation vise à définir quatre zones urbaines. Dans le centre, zone dite de « décroissance naturelle », aucune nouvelle construction hôtelière ne serait autorisée, et les établissements existants ne pourraient être ni agrandis ni remplacés par d'autres si leur activité venait à cesser ; dans la deuxième zone, le statu quo serait maintenu ; et, dans les quartiers périphériques des troisième et quatrième couronnes, des licences seraient délivrées de manière « soutenable », avec des restrictions en fonction de la superficie et du nombre de places des établissements. « Nous savons que ce projet est ce qui s'est fait de plus courageux à Barcelone, mais nous savons aussi à quel point il est insuffisant, explique M. Pardo. La mairie nous demande de la soutenir, mais nous ne pouvons pas lui signer un chèque en blanc. La “décroissance naturelle” est un tour de passe-passe langagier. En l'état, certains des quartiers représentés dans nos assemblées se retrouveraient immédiatement à la merci de la spéculation. Notre exigence ? Un moratoire indifférencié. Politiquement, c'est peut-être un suicide, mais nous ne pouvons pas demander moins. »
Chaque jour, les « mairies du changement » se retrouvent aux prises avec les difficultés qu'implique le passage de la rue aux institutions. Cette mutation dépossède le mouvement social d'une part significative de ses forces. Assise à la terrasse d'un café, Mme Ana Menéndez, récemment propulsée à la tête de la Fédération des associations de voisins de Barcelone (FAVB), énumère ceux de ses anciens camarades qui travaillent désormais pour les services municipaux. Le phénomène fait écho au siphonnage de nombreux animateurs du mouvement social par Podemos. Dans les rangs de Compostela Aberta, Mme Jiménez Aleixandre ne parvient pas à dissimuler son découragement quand elle analyse l'impact sur l'action militante d'un an et demi de présence dans les institutions : « Ces derniers temps, le fonctionnement de Compostela Aberta, comme celui des autres “mairies du changement”, a été très affecté par les processus électoraux. Nous avons vécu une élection municipale, deux générales et une régionale en un an et demi ! Nous nous y sommes investis à corps perdu, et elles ont absorbé une énorme part de l'énergie que nous aurions pu consacrer à la ville. Sans compter les tensions internes que ce processus a provoquées, puisque les coalitions changeaient en fonction du type d'élection. »
Boa Mistura. – « La vie pourrait être de couleur rose », Madrid, 2014 www.boamistura.comCes tensions ne résultent pas seulement de visions divergentes. Elles révèlent la difficulté de reproduire dans les institutions politiques les pratiques et les mots d'ordre du mouvement social. Adeptes du concept d'empowerment, repris et développé par Podemos, les nouvelles mairies pensent le terrain institutionnel comme un champ d'expérimentation politique. Elles misent sur la conception de plates-formes numériques citoyennes (3) — une prolongation des méthodes en vogue pendant le 15-M, où chacun pouvait, au coin d'une place, au détour d'un débat, inscrire ses propositions sur un tableau blanc. « L'objectif est de rompre avec cette bureaucratisation de la participation pour faire quelque chose de plus dynamique, davantage dans l'esprit du 15-M, où les accords s'obtiennent par consensus et où il n'est pas nécessaire d'appartenir à une association déclarée pour pouvoir participer », explique Mme Capel à Madrid.
Mais cette inventivité numérique — que le journaliste Ludovic Lamant qualifie de « technique de profanation des institutions (4) » — et la bonne volonté qui l'accompagne se heurtent parfois aux pratiques des habitants. « Beaucoup ont finalement découvert que l'institution, ce n'est pas Twitter », constate le directeur de la FRAVM. À Saint-Jacques-de-Compostelle, le vote des budgets participatifs a mobilisé un millier de personnes, soit un peu moins d'un habitant sur cent. À Madrid, lors de la vaste campagne de réhabilitation de la place d'Espagne en 2016, 31 761 personnes ont voté en ligne pour les divers projets : environ 1 % de la population totale de la capitale. La répartition des 60 millions d'euros du budget participatif a quant à elle suscité l'intérêt de 45 522 habitants. Gadgets hors-sol ou « démocratie réelle » ? Pour le maire de Saint-Jacques-de-Compostelle, M. Noriega Sánchez, ces outils feront la preuve de leur efficacité de manière rétroactive, « une fois que les habitants auront pu constater que les propositions dont ils ont été les auteurs ont bien été adoptées et mises en place ».
Devenir de simples exécutants locaux ?À condition, toutefois, de pouvoir porter ces mesures et les faire adopter par le conseil municipal. Aucune des coalitions de gauche arrivées au pouvoir en mai 2015 ne jouit d'une majorité absolue. « Nous gouvernons la ville, mais nous n'avons pas le pouvoir », résume M. Pablo Hijar, conseiller municipal au logement de ZeC. Le soutien d'autres groupes — souvent le PSOE, ou des partis régionaux comme Chunta Aragonesista (Union aragonaisiste, CHA), mouvement nationaliste et écosocialiste en Aragon — s'avère donc indispensable. À Saragosse, « les socialistes nous empêchent d'appliquer des critères de progressivité fiscale », s'agace le maire Pedro Santisteve. « Le PSOE entrave systématiquement les grandes décisions, celles qui remettent en question le système capitaliste », renchérit M. Guillermo Lázaro, de ZeC.
Sans compter qu'un certain nombre de mesures figurant dans les programmes électoraux relèvent de prérogatives régionales ou nationales. « S'il y avait eu un changement simultané à ces échelles, cela aurait été plus facile, soupire M. Villalobos. La région de Madrid gère les hôpitaux, l'éducation publique, la loi du sol. Nombre de décisions de la mairie sont donc accessoires : elle invite la région à prendre telle ou telle mesure... le plus souvent sans l'obtenir. » Les moyens ne suffisent pas à mettre en œuvre les mesures radicales promises contre les expulsions. Et ce d'autant moins que les mairies subissent la pression budgétaire de Madrid : « Seul 12,8 % du budget national leur parvient, reprend M. Santisteve. Elles doivent pourtant répondre aux besoins élémentaires des citoyens en matière de transport, de traitement des eaux et des déchets. »
La stratégie de « changement de l'intérieur » promue par les nouveaux exécutifs municipaux achoppe sur la définition de leurs compétences, héritée de la transition démocratique et des lois nationales. En particulier la loi de rationalisation et durabilité de l'administration locale, dite loi Montoro, du nom du ministre des finances de M. Mariano Rajoy, M. Cristóbal Montoro, qui l'a fait adopter en 2013. La première phrase de son préambule ne laisse planer aucun doute sur ses visées : « La réforme de l'article 135 de la Constitution espagnole (…) consacre la stabilité budgétaire comme principe directeur devant présider à l'action de toutes les administrations publiques. » Dictée par le « respect des engagements européens en matière de consolidation fiscale » et arrivant dans le sillage des politiques d'austérité, cette loi impose, en plus de la réduction du déficit, de consacrer tout éventuel excédent budgétaire au remboursement de la dette. Au-delà des exigences de leur politique, les mairies doivent mener un combat sur la conception même de l'action municipale : faut-il se satisfaire de devenir des exécutants locaux dans le cadre prévu par l'État ou bien tenter de se consolider comme entités politiques à part entière, dans la lignée de la tradition « municipaliste » ancrée dans l'histoire du pays depuis le XIXe siècle ?
Cette situation oblige les coalitions progressistes à d'étranges contorsions en matière de communication. Si toutes peuvent se vanter d'avoir assaini les comptes publics et dégagé un confortable excédent budgétaire depuis leur prise de pouvoir (5), elles ont dû, en vertu de la loi Montoro, reverser celui-ci aux banques (2,3 milliards d'euros cumulés (6)). Certaines décident toutefois de faire contre mauvaise fortune bon cœur : faute de pouvoir investir l'argent récupéré, elles choisissent de présenter ces remboursements comme la preuve de leur bonne gestion.
Une telle stratégie n'interdit pas aux figures de proue du mouvement de tenter d'obtenir une modification de la loi. Avec le soutien des « maires du changement », le groupe parlementaire Podemos a déposé une proposition de loi allant dans ce sens en octobre 2016. Fin novembre, une cinquantaine de représentants municipaux se sont réunis à Oviedo afin de lancer un cycle de rencontres pour dénoncer la dette illégitime et les coupes budgétaires. Loin d'être isolée, la réunion d'Oviedo relève d'une démarche familière aux « mairies rebelles » : faire front. Les 4 et 5 septembre 2015 se tenait ainsi à Barcelone le sommet « Villes pour le bien commun. Partager les expériences du changement », prolongé à La Corogne un mois plus tard. Il s'agissait dans les deux cas d'échanger sur les sujets les plus conflictuels : la remunicipalisation des services publics, les centres de rétention administrative, les réfugiés, la mémoire.
Pour certains, douze mois ont toutefois suffi à susciter un sentiment de déception. Successeur de Mme Colau dans le rôle de porte-parole de la PAH de la capitale catalane, M. Macías déplore la lenteur des changements promis : « Prenons la question de la sanction des banques propriétaires de logements maintenus vides : la mairie n'a pas rempli sa mission. Elle a infligé entre cinquante et soixante amendes ; il aurait dû y en avoir deux mille. Soit elle ne va pas dans la bonne direction, soit elle est excessivement lente. Et, sur cette question, il n'y a pas de débat quant à ses prérogatives : c'est bien de son ressort. »
Tenus par les décisions de leurs prédécesseursDébut 2016, un conflit a agité l'équipe municipale, critiquée pour sa gestion de la grève des travailleurs des transports publics. Convoquées au moment du Mobile World Congress, vitrine internationale du secteur de la téléphonie, fin février 2016, les mobilisations exigeaient la fin des contrats précaires, le dégel des salaires et la publication des revenus des cadres dirigeants. Après le rejet par les syndicats des solutions proposées par la « mairie rebelle » pour arrêter la grève, Mme Colau a qualifié le mouvement de « disproportionné », et sa conseillère à la mobilité, Mme Mercedes Vidal, en a appelé à la « responsabilité » des grévistes. « Cette position totalement hostile à la grève, peut-être plus féroce que celle d'autres équipes municipales, a beaucoup surpris, rapporte M. José Ángel Ciércoles, délégué CGT Metro, le syndicat majoritaire dans cette branche des transports. Il est évident que ceux qui avaient voté pour Ada Colau se sont sentis trahis. »
Président d'Ateus de Catalunya (« Athées de Catalogne »), une association nationale dénonçant le poids de la religion catholique dans la société espagnole, M. Albert Ruba Cañardo se demande quand aboutira le recensement des propriétés immobilières de l'Église — et de leurs privilèges —, qu'il a réclamé à la mairie de Barcelone et qu'il considère comme une donnée-clé de la question du logement. « Le concordat, que nous voulons abolir, exonère d'impôt les propriétés de l'Église référencées comme lieux de culte. Mais c'est une hypocrisie. Vous pouvez avoir un immeuble gigantesque, avec une façade longue de plus de cent mètres et donnant sur une place centrale de la ville, qui appartient à l'Église, avec, à l'intérieur, des bureaux d'avocats, des magasins, tous loués. Et, sur cet immeuble, l'Église ne paie aucun impôt. Pourquoi ? Parce qu'elle a installé une sculpture de saint dans un coin. »
En prenant le relais de la droite dure, comme à Madrid, où Mme Manuela Carmena a été élue après vingt-quatre ans de gouvernement du Parti populaire (PP), les coalitions héritent d'accords et de projets antérieurs. Les nouveaux venus subissent alors le feu d'une critique qui devrait en grande partie s'adresser à leurs prédécesseurs. La capitale espagnole vient ainsi d'avaliser la construction du quartier Los Berrocales, imaginé par l'ancienne mairie. Plus de 22 000 logements devraient y être construits d'ici à 2018. « Le PP a laissé derrière lui tout un héritage de contrats sur trente ans ou plus avec telle ou telle entreprise, commente M. Villalobos. Les remettre en question impliquerait des indemnisations énormes. Los Berrocales, par exemple, est une folie. La ville dispose aujourd'hui d'un nombre suffisant de logements pour les trente ou quarante prochaines années. Si nous construisons le nouveau quartier, certains resteront vides. » Mme Carmena avait promis de ne pas autoriser de nouveaux chantiers urbains de cette ampleur ; elle a néanmoins estimé ne pas pouvoir révoquer ce projet conçu par ses adversaires politiques.
En avril 1931, la victoire des forces progressistes dans plusieurs grandes villes du pays, dont Madrid, avait préfiguré la IIe République. Certains voient dans les « mairies du changement » un écho à ce précédent. Mais, sur place, une forme de déception guette, à la mesure de l'enthousiasme qu'avaient suscité ces victoires en 2015, dans un contexte différent. À l'époque, de nouvelles formations politiques, Podemos en tête, bénéficiaient d'une forte dynamique. Elles espéraient triompher lors des dernières élections législatives. Leurs dirigeants théorisaient l'idée d'un « assaut institutionnel » : la conquête rapide du pouvoir à tous les niveaux par le biais d'une stratégie électoraliste assumée, peu clivante (le discours du « ni droite ni gauche ») et ouvertement revendiquée comme « populiste ».
Dans l'attente d'un nouvel assaut, et au-delà de leurs propres contradictions, les « mairies du changement » doivent faire face à des exécutifs nationaux et régionaux structurellement plus puissants, et bien décidés à les tenir en échec.
(1) Formée par Podemos, Izquierda Unida (union du Parti communiste d'Espagne et d'autres partis de la gauche radicale), Equo (écologistes), Puyálon (souverainistes aragonais anticapitalistes), Somos (républicains de gauche), Demos Plus (né du mouvement social de défense de la santé et de l'éducation publiques) et Piratas de Aragón (Parti pirate).
(2) Le mouvement des associations de voisins tient une place particulière en Espagne depuis la dictature franquiste. Présentes dans tout le pays, celles-ci se regroupent par fédérations dans les communautés autonomes et participent de manière très large au débat public.
(3) La mairie de Madrid a par exemple créé la plate-forme https://decide.madrid.es
(4) Ludovic Lamant, Squatter le pouvoir. Les mairies rebelles d'Espagne, Lux, Montréal, 2016.
(5) Madrid, en particulier, fait figure de « bon élève » pour avoir réduit la dette publique de 19,7 % en un an.
(6) Eduardo Bayona, « La deuda en los ayuntamientos del cambio se reduce 160.000 euros cada hora », Público, 26 novembre 2016.
Longtemps oubliée, la question sociale revient au cœur du débat politique. En France, pour avoir sous-estimé l'attachement de ses électeurs à cette question, la gauche a été sévèrement sanctionnée. Les élections présidentielle et législatives du printemps 2002 se sont traduites, en effet, par un véritable séisme : défaite du gouvernement de la gauche plurielle ; retrait de la vie politique du premier ministre en exercice, M. Lionel Jospin ; quasi-disparition du Parti communiste ; forte montée de l'extrême droite ; réélection « triomphale » (82 % des voix) de M. Jacques Chirac ; victoire de la droite, qui a obtenu, le 16 juin 2002, la majorité absolue à l'Assemblée nationale.
L'oubli de la question sociale est sans doute à l'origine de ce grand chambardement. Après cinq ans de gouvernement d'une « gauche plurielle » qui comprenait des socialistes de toutes les tendances, des communistes, des Verts, des radicaux de gauche et des républicains du Mouvement des citoyens, cette gauche ne soulevait plus aucun enthousiasme populaire et ses importantes réformes (1) étaient oubliées, voire critiquées.
Ce 21 avril 2002, une certitude confortable s'est effondrée : alors que tout changeait dans le monde, deux vieux partis — gaulliste et socialiste — devaient continuer de se partager tranquillement le pouvoir comme depuis trente ans…
Or ces deux forces étaient usées, leur mission historique épuisée. Elles donnaient l'impression, chacune à sa manière, d'être en panne, avec des appareils déliquescents, sans organisation ni véritable programme, sans doctrine, sans boussole et sans identité.
Des élections précédentes avaient montré qu'aucun de ces deux partis ne savait s'adresser à ces millions de Français victimes des nouvelles réalités du monde postindustriel engendré par la mondialisation libérale. Cette foule des ouvriers jetables, des déclassés des banlieues, des chômeurs endémiques, des RMistes, des exclus, des retraités en pleine force de vie, des jeunes précarisés, des familles modestes menacées par la pauvreté. Toutes ces couches populaires angoissées par les effets brutaux de la mondialisation libérale...
Le Parti socialiste, en particulier, qui ne compte presque plus de cadres issus du peuple et dont de nombreux dirigeants, en revanche, sont assujettis à l'impôt sur les grandes fortunes, a donné l'impression d'être sur une autre planète sociale, à des années-lumière du peuple commun. Il s'est montré peu sensible aux mille et un problèmes — licenciements massifs, délocalisations d'entreprises, insécurité, marginalisation, chômage, précarité, nouvelles pauvretés — qui accablent la France d'« en bas ». Il a été incapable de sentir le mouvement en profondeur de « la souffrance de cette sous-France », selon l'expression du journaliste Daniel Mermet.
« Ce mouvement en profondeur écrit un analyste politique, la gauche plurielle ne l'a pas vu venir. D'où sa déroute. A l'évidence, Lionel Jospin n'était pas le bon candidat. Il a mené une mauvaise campagne avec un mauvais entourage. (…) L'erreur de Lionel Jospin et de sa gauche plurielle est bel et bien d'avoir privilégié les bobos contre les prolos (2). »
Comme d'autres pays européens — Autriche, Norvège, Belgique, Suisse et, plus récemment, Italie, Danemark, Pays-Bas et Portugal —, l'extrême droite, en France, a su tirer profit des traumatismes causés au sein de la société par la mondialisation libérale, l'unification européenne, la désindustrialisation, les privatisations, le démantèlement des services publics, la réduction de la souveraineté nationale, la disparition du franc, l'effacement des frontières, l'hégémonie des Etats-Unis, le multiculturalisme, la crise de l'Etat-providence…
Tout cela dans un contexte de très grandes mutations technologiques qui ont entraîné l'apparition d'une grave insécurité économique et ont causé d'insupportables ravages sociaux. Un contexte où, la logique de la compétitivité ayant été élevée au rang d'impératif naturel, les violences et les délinquances de toute sorte devaient naturellement se multiplier.
Devant la brutalité de ces changements, les incertitudes s'étaient accumulées, l'horizon s'était brouillé. De nombreux Français se sont alors sentis abandonnés par des gouvernants de droite comme de gauche, que les médias n'ont cessé par ailleurs de décrire comme des « affairistes », des « tricheurs », des « menteurs » des « voleurs » et des « corrompus ». Sur un tel terreau social, fait de peurs, de désarroi et de ressentiment, il était presque fatal que réapparaissent les vieux magiciens. « Le fascisme ne tombe pas du ciel, écrit Jean-Michel Quatrepoint. Il se nourrit toujours de la paupérisation et de l'exaspération des classes moyennes ainsi que des erreurs, de la suffisance et de l'aveuglement des pseudo-élites du moment (3). » A base d'arguments démagogiques, les néofascistes promettent de revenir au monde d'antan (« Travail, famille, patrie »), rejettent sur l'étranger, l'immigré maghrébin ou le juif la cause de tous les maux et de toutes les insécurités. Les immigrés constituent en particulier les cibles les plus faciles et les plus constantes parce qu'ils symbolisent les nouveaux bouleversements sociaux, et représentent aux yeux des plus modestes une concurrence indésirable.
Absurde, haineux, ce discours séduit depuis longtemps, selon certaines enquêtes, « plus d'un Français sur quatre (4) ». Et a été approuvé, le 21 avril 2002, par des millions d'électeurs issus des classes sociales modestes (30 % des sans-emploi, 24 % des ouvriers, 20 % des jeunes).
La crise de la politique s'était accentuée en France en raison notamment d'attitudes inacceptables adoptées par certaines formations politiques. En particulier depuis le revirement de M. Jacques Chirac en octobre 1995, lorsque, cinq mois après son élection à la présidence, il renia le programme sur lequel il avait été élu (fondé sur le constat de la « fracture sociale »), et adopta une politique ultralibérale. La grande révolte des cheminots en novembre et décembre 1995, soutenue par la majorité des salariés et appuyée par des intellectuels, en particulier Pierre Bourdieu, avait déjà montré que la société était consciente des dangers que la globalisation libérale faisait courir au modèle social.
Cela s'est traduit aussi par la montée de l'abstention, ainsi que par celle du vote blanc et la non-inscription sur les listes électorales. En France, un jeune sur trois de moins de vingt-cinq ans n'était pas inscrit à la veille de l'élection présidentielle de mai 2002 ; le nombre de militants politiques ne dépasse pas 2 % des électeurs, et seuls 8 % des actifs salariés adhèrent à un syndicat (ces deux derniers chiffres étant l'un des plus faibles du monde occidental).
A gauche, le Parti communiste n'a plus d'identité politique, et a même largement perdu son identité sociologique. Les élections de mai et juin 2002 ont confirmé sa quasi-disparition (moins de 5 % des voix) en tant que force politique nationale. Quant au Parti socialiste, il a été lâché par les couches populaires.
Le socialisme, l'un des grands mythes unificateurs de l'humanité — « Le socialisme est l'expression de la vérité, de la raison et de la justice absolues » disait Engels —, a également été trahi par les dirigeants sociaux-démocrates européens. Déjà la démission, le 12 mars 1999, de M. Oskar Lafontaine, ministre allemand des finances, avait révélé la panne sociale-démocrate, son effondrement idéologique et son incapacité à proposer une solution de rechange à l'hégémonie néolibérale. Naviguant à vue, obsédée par l'urgence et la proximité, la social-démocratie demeure sans boussole et dépourvue d'assise théorique, à moins d'appeler théorie ces catalogues de renoncements et de reniements que sont La Troisième Voie d'Anthony Giddens, ancien conseiller de M. Anthony Blair, et Le Bon Choix de Bodo Hombach, longtemps inspirateur de M. Gerhard Schröder.
Pour la social-démocratie, qui gouverne plusieurs grands pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Suède), la politique, c'est désormais l'économie ; l'économie, c'est la finance ; et la finance, ce sont les marchés. La question sociale ne figure plus parmi ses priorités. C'est pourquoi elle a favorisé les privatisations, la réduction du budget de l'Etat, le démantèlement du secteur public, tout en encourageant les concentrations et les fusions des firmes géantes. Elle a accepté de se convertir au social-libéralisme. Plus question de se fixer pour objectifs prioritaires le plein emploi, la défense des acquis sociaux, la relance des services publics ou l'éradication de la misère pour répondre à la détresse des 18 millions de sans-emploi et des 50 millions de pauvres que compte l'Union européenne.
Entre les déceptions du rêve socialiste et les décombres de nos sociétés déstructurées par la barbarie néolibérale, y a-t-il un espace pour une nouvelle utopie sociale ?
Beaucoup de citoyens souhaitent voir la gauche se ressaisir et introduire des graines d'humanité pour faire dérailler la machinerie néolibérale. En Italie, en Espagne, dans d'autres pays, les salariés se mobilisent, participent à des grèves générales. Partout on sent le désir d'action collective. Chacun éprouve la nécessité de réintroduire du collectif porteur d'avenir (5). Et le seul avenir acceptable est celui qui s'édifie sur un projet politique dont la préoccupation centrale reste précisément la question sociale.
(1) Le gouvernement de M. Lionel Jospin a fait adopter quelques grandes lois sociales qui représentent incontestablement des avancées historiques : les 35 heures, la couverture maladie universelle (CMU) et l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
(2) Jean-Michel Quatrepoint, « La France d'en bas », La Lettre A, Paris, 26 avril 2002.
(3) Ibid.
(4) Le Monde, 13 avril 1996.
(5) Lire Pierre Bourdieu, « L'essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998 ; lire aussi, du même auteur, « Le néo-libéralisme, utopie (en voie de réalisation) d'une exploitation sans limites », in Contre-feux, Liber-Raison d'Agir, Paris, 1998.
Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Michel Forget, Nos armées au temps de la Ve République (Economica, 2016, 208 pages).
Le général de corps aérien Michel Forget, ancien pilote de chasse, a eu une carrière très riche dans l’armée de l’Air française. Depuis qu’il a quitté le service actif en 1983, il se consacre à des études sur la défense et publie régulièrement sur ces sujets. Son dernier ouvrage offre une intéressante perspective historique (1958-2016) sur les armées françaises.
Le livre s’ouvre sur la fin de la guerre d’Algérie qui marque une première rupture franche pour la défense française. La seule armée de Terre passe de 700 000 à 300 000 hommes et, entre 1962 et 1965, 5 000 officiers sont contraints de quitter le service actif. S’ouvre alors une période de refondation et de modernisation, avec un budget de la défense jamais inférieur à 4 % du PIB dans les années 1960. Deux événements majeurs contribuent à définir la stratégie de défense française pour la période à venir : la place prépondérante prise par la dissuasion nucléaire et le retrait du commandement intégré de l’OTAN.
Le début des années 1970 est ponctué par une crise sérieuse dans les armées, symbolisée par « L’appel des cent » de mai 1974, les Comités de soldats et des manifestations d’appelés. Mais cette époque voit aussi l’effort de modernisation des équipements se prolonger et s’ouvrir une ère d’opérations extérieures (Mauritanie, 1977 ; Tchad et Kolwezi, 1978, etc.) qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Contrairement à ce qui était attendu, l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981 marque une continuité, avec la poursuite de la stratégie de dissuasion, des programmes d’équipements et des interventions extérieures.
La fin de la guerre froide constitue bien entendu un nouveau tournant majeur, qui entraîne en particulier la professionnalisation, annoncée en 1996 par le président Jacques Chirac. S’ensuit la mise en œuvre de nouveaux modèles d’armées. Ils sont rapidement invalidés par « l’échec » de deux Lois de programmation militaire (1997-2002 et 2002-2008), la dernière présentant, par exemple, un manque de 11 milliards par rapport aux dépenses prévues pour les équipements.
L’arrivée du président Nicolas Sarkozy en 2007 signale un infléchissement stratégique, avec le plein retour de la France dans l’OTAN. Mais d’importantes ambitions dans le domaine de la défense entrent en concurrence avec les déflations prévues, comme la réduction de la flotte d’avions de combat de l’armée de l’Air de 300 à 240 appareils. L’auteur décrit particulièrement bien la réforme des soutiens des années 2000, basée sur une mutualisation entre armées et organismes censée produire des économies de fonctionnement. Ses arguments en sa défaveur sont convaincants. Le début de la présidence de François Hollande poursuit sur la lancée, mais les attentats de janvier 2015, et les insuffisances de notre modèle d’armée mises au grand jour par le déclenchement de l’opération Sentinelle finissent par infléchir cette politique.
Le général Forget ébauche une très intéressante mise en perspective de notre politique et de notre outil de défense, avec une analyse convaincante de ses forces et de ses faiblesses actuelles. Il est dommage que l’auteur ne cite quasiment pas de sources et que nulle bibliographie ne figure en fin d’ouvrage. De plus, les opérations extérieures, qui, pourtant, sont au cœur de notre défense depuis une quarantaine d’années, ne sont qu’évoquées. L’ouvrage est cependant à recommander à tous ceux qui s’intéressent aux évolutions de la défense française.
Rémy Hémez
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Pour les auteurs — l'une directrice du Centre de théorie politique à l'Université libre de Bruxelles, l'autre membre de ce même centre —, « nous vivons sans doute dans “l'âge des droits” au sens où les droits de l'homme sont la seule idée politique et morale qui ait reçu une consécration universelle ». Une lingua franca mondiale, en quelque sorte, compte tenu de l'échec des autres utopies. Mais le constat est accablant : « Plus de la moitié du monde vit dans une situation où les droits de l'homme sont quotidiennement violés. » En effet, l'exigence d'universalité n'a de sens que si elle s'appuie sur un projet politique d'émancipation sociale, faute de quoi les droits humains ne constituent qu'une idéologie participant d'une légitimation du statu quo. C'est en effet la même Assemblée nationale qui adopte la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et qui vote deux ans plus tard la loi Le Chapelier, interdisant notamment les organisations ouvrières. Les arguments des « procès » intentés par Edmund Burke ou Carl Schmitt, Marcel Gauchet ou Régis Debray sont analysés.
Seuil, coll. « La couleur des idées », Paris, 2016, 352 pages, 22 euros.
C'est essentiellement aux « valeurs-principes », celles qui sont facteurs de valorisation, que s'attache ici Nathalie Heinich, au fil de cet essai touffu de sociologie axiologique. L'ouvrage est porté par une ferme critique des méthodes quantitatives dans ce domaine, de l'« invisibilisation » de cette question imputée à « la tradition matérialiste, et plus précisément marxiste », et de l'approche de Pierre Bourdieu, pour qui il n'existerait d'autre motivation « qu'intéressée à la perpétuation de la domination ». Il entend en particulier « mettre en évidence, à partir d'exemples concrets pris dans des contextes variés, les différentes catégories de principes d'évaluation et de justification, et leur articulation ». Appuyée sur de nombreux exemples porteurs de conflits, de l'appréciation de la corrida à celle de l'artiste Jeff Koons, c'est donc « la question des représentations que se font les acteurs de ce qui possède, ou de ce qui produit, de la valeur » qui se met en place, refusant l'universalisme pour un « relativisme descriptif ». Au lecteur soucieux de comprendre le sens — historique, idéologique, philosophique — de telle ou telle valeur de prolonger le travail.
Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, 2017, 416 pages, 25 euros.
À travers les témoignages des acteurs de l'épopée cubaine, ce livre raconte l'influence de la petite île sur les mouvements révolutionnaires latino-américains. Le retour historique sur les relations entre les États-Unis et Cuba éclaire les motivations des barbudos : une fibre nationaliste doublée d'une profonde préoccupation sociale. Le récit décrit par la suite le soutien apporté aux guérillas et aux partis de gauche en Amérique latine, ainsi que l'influence d'Ernesto « Che » Guevara, dont la vie (puis la mort) fut une source d'inspiration pour beaucoup.
Si ses forces militaires ont plutôt opéré en Afrique, Cuba n'a jamais hésité à prêter main forte à ses alliés dans la région. Deux mille professeurs, par exemple, furent envoyés au Nicaragua afin de soutenir le gouvernement sandiniste dans sa politique d'alphabétisation. Au fil des pages et des années, on observe la façon dont La Havane adopte une attitude plus pragmatique. En témoigne sa participation aux négociations de paix entre les guérillas colombiennes et Bogotá.
Zed Books, Londres, 2017, 304 pages, 19,99 livres sterling.
La « France qui gronde », c'est celle de la désindustrialisation, des délocalisations, des quartiers sensibles, des déserts médicaux, des paysans et des policiers suicidaires… Pendant des mois, les journalistes Jean-Marie Godard et Antoine Dreyfus sont partis à la rencontre de cette France « qui fait parfois irruption dans le quotidien médiatique à travers des sondages, lors d'un micro-trottoir ou à l'occasion d'une émission politique pour laquelle quelques-uns de ces visages viennent pousser un coup de gueule minuté face au ministre, au chef de parti, au président ». Les deux reporters lui donnent la parole « sans fard ni filtre » et livrent le tableau d'un pays qui se débat face aux difficultés quotidiennes et se montre écœuré par l'arrogance des nantis. Certains de ces témoins s'avouent tentés par le vote Front national. Mais d'autres, observent les auteurs, font le choix « d'innover de manière pragmatique, loin des idéologies, pour résoudre des problèmes très concrets ».
Flammarion, Paris, 2017, 376 pages, 19,90 euros.
Après la publication de l'article d'Olivier Cachard « Ondes magnétiques, une pollution invisible » (février), puis d'une lettre contestant certaines sources dans le courrier des lecteurs de mars, plusieurs lecteurs ont réagi, dont Mme Victoria Heleven
Cela fait des années que j'attendais de la part du Monde diplomatique un article sur cette question, et les propos du courrier des lecteurs n'apparaissent pas fondés. [Parmi les preuves de dangerosité], les études du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont classé les champs électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes pour les humains (groupe 2B), le 31 mai 2011 à Lyon (…). En mai 2016, l'Académie américaine de pédiatrie a recommandé aux parents de limiter l'utilisation du téléphone portable chez les enfants et les adolescents. L'étude scientifique révèle des tumeurs au cœur et au cerveau de rats exposés aux irradiations du téléphone portable (…).
Après l'indépendance de juillet 1962, l'Algérie fut à l'avant-garde des pays du tiers-monde qui tentaient d'éradiquer les restants du colonialisme et de bâtir un nouvel ordre international. Cinquante ans plus tard, alors que le monde arabe est emporté par une contestation sans précédent, le pays semble immobile. Jusqu'à quand ?
L'Algérie restera-t-elle longtemps à l'écart de la lame de fond qui bouleverse le monde arabe ? A Alger, ses dirigeants, même s'ils restent muets en public sur le sujet, veulent le croire. Ils avancent deux arguments qui devraient à leurs yeux fonder durablement l'exception algérienne. Le premier tient à ce qu'une révolution démocratique a déjà eu lieu en 1988 quand le Front de libération nationale (FLN) a cessé d'être le parti unique au profit d'un multipartisme « rationalisé », que l'armée s'est retiré dans ses casernes et qu'une presse indépendante a vu le jour. M. Rached Ghannouchi, le dirigeant du parti tunisien Ennahda, en visite à Alger le 19 novembre 2011 à l'invitation du président Abdelaziz Bouteflika, a repris à son compte cette antienne de ses hôtes, expliquant benoîtement que la « révolution » algérienne de 1988 a été un modèle pour la Tunisie... et oubliant fort opportunément qu'elle a commencé par un bain de sang à la suite de l'intervention des chars du général Khaled Nezzar contre de jeunes manifestants emmenés par un futur dirigeant, islamiste lui aussi, M. Ali Belhadj (1).
La deuxième raison de cet optimisme officiel, qui pour nombre d'observateurs relève de l'aveuglement, tient à ce que le régime a pu, à la différence de ses homologues tunisien ou égyptien, résister à la pression de la rue. On l'oublie, mais la révolte arabe a commencé en janvier 2011 dans les grandes villes d'Algérie presque en même temps qu'en Tunisie. Pour une fois, le mouvement a été national, n'épargnant aucune région d'Alger à Annaba. Du 5 au 10 janvier, la jeunesse a défilé, souvent derrière un drapeau tunisien, pour le pain et la dignité. A Alger, les émeutes, les plus graves depuis 1988, ont débordé des quartiers populaires et touché les zones huppées. Un habitant de ces quartiers présent avoue sa surprise : « Je suis né ici, j'ai presque 50 ans et je n'ai jamais vu cela. Même durant les événements de 1988 (2)... »
Les autorités sont parvenues in extremis à contenir tant bien que mal les manifestations en les noyant sous un tsunami bleu — la couleur de l'uniforme des cent quarante mille policiers. Et en multipliant les promesses : les légumes secs ont été ajoutés aux douze produits alimentaires dont les prix sont réglementés et/ou subventionnés, les salaires relevés souvent jusqu'à 80 % avec dix-huit mois ou plus de rappel. La levée de l'état d'urgence en vigueur depuis plus de vingt ans a, une fois de plus, été évoquée ainsi que l'ouverture de la télévision à des chaînes privées.
Pour la réponse politique à la crise, il faut patienter jusqu'au 15 avril 2011, après la déposition de MM. Zine El-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak et le déclenchement de la guerre civile en Libye. Le président Bouteflika promet ce jour-là des initiatives majeures dans la vie politique et l'information, deux secteurs où il y a loin des principes affichés dans la Constitution à la réalité sur le terrain. L'accueil est mitigé : deux importants partis tolérés de l'opposition, le Front des forces socialistes (FFS) (3) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) (4), boycottent la conférence nationale proposée par le pouvoir. Seules quelques personnalités sont reçues au palais présidentiel puis participent à la rédaction des quatre nouvelles lois organiques promises (régime électoral, représentation des femmes dans les assemblées, incompatibilités avec un mandat parlementaire et autonomie des départements) qui, comme d'habitude, est confiée au ministère de l'inté-rieur, véritable citadelle de l'autoritarisme et du conservatisme.
Le projet semble oublié quand, fin août 2011, deux jours après un attentat meurtrier contre l'académie militaire de Cherchell — le Saint-Cyr algérien — (dix-huit morts), le président le relance et fait adopter en conseil des ministres ce que l'on présente comme une importante réforme de la loi électorale avec création, comme en Tunisie, d'une commission électorale indépendante. Mais le diable est dans les détails : ses membres seront désignés par les neuf partis politiques « autorisés à présenter des candidatures sans dépôt de listes de signatures ». En clair les trois partis qui composent l'Alliance présidentielle, largement majoritaire à l'Assemblée (5), le seront également dans la commission. Et elle sera doublée par une seconde commission composée de magistrats désignés par le président de la République, qui tient à garder un œil sur les élections.
Et pour cause. Les prochaines législatives en avril 2012 seront décisives pour le rendez-vous suprême, la présidentielle du printemps 2014. Le FLN, le parti de M. Bouteflika, qui a actuellement la majorité au sein de l'Alliance présidentielle, devrait perdre la prépondérance au profit de celui du premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, chef du deuxième parti en importance de l'Alliance, le Rassemblement national démocratique (RND) : il deviendrait ainsi le candidat « naturel » du bloc majoritaire et le successeur programmé de M. Bouteflika, malade depuis 2005.
Ce clash d'ambitions explique la crise actuelle de l'Alliance, qui connaît une guerre larvée et n'est plus qu'une majorité éclatée pour cause de « succession anticipée ». Le président ignore superbement le chef du gouvernement, qu'il n'a jamais reçu en tête à tête depuis sa nomination en août 2009 et qui lui a été imposé ; ce dernier est contesté dans son parti par un ancien secrétaire général qui lui demande de « dire la vérité au peuple » et lui reproche l'absence d'un « discours mobilisateur ».
Au FLN, une tendance qui se réclame du redressement et de l'authenticité conteste le dirigeant, M. Abdelaziz Belkhadem, prédécesseur de M. Ouyahia au poste de premier ministre, et veut organiser un congrès de refondation. Le ministère de l'intérieur s'y oppose parce que « le mouvement n'existe pas légalement »… Quant aux islamistes « légaux », ils sont plus divisés que jamais et se neutralisent en partie alors que, de l'aveu même de hauts responsables, si demain des élections devaient se tenir en Algérie sur le modèle de ce qui s'est fait en Tunisie, une bonne moitié des électeurs se prononceraient pour eux.
La proximité du premier ministre avec le très influent département de la recherche et de la sécurité (DRS) (6) et son chef, le tout-puissant général de corps d'armée Mohamed Mediène, dit « Toufik », lui donne une longueur d'avance dans la présidentielle sur d'hypothétiques concurrents. « Bouteflika a été victime de son habileté, décode un ancien ministre algérien des affaires étrangères. Quand il est arrivé au pouvoir en 1999, il y avait en face de lui un triumvirat de généraux qui le cornaquait. Il en a débarqué deux et le troisième, resté seul, parle au nom de l'armée, plus puissant que jamais… »
Cette agitation du microcosme, obnubilé par les élections législatives du printemps 2012, laisse de marbre l'opinion. « Chacun veut un peu plus d'argent, les jeunes réclament les droits humains et la démocratie à Dieu, et le discours politique est éclipsé par le discours religieux, qui submerge tout », explique un sociologue.
Al-Jazira et Al-Arabiya ont remplacé TF1 et France 2 sur les écrans. L'influence du Qatar passe, bien sûr, par sa télévision, mais pèse également sur la politique extérieure de l'Algérie, qui fait figure de dernier régime nationaliste encore en place dans le monde arabe, les jours de M. Bachar Al-Assad en Syrie et de M. Abdallah Ali Saleh au Yémen semblant comptés.
Le 15 novembre 2011, le président Bouteflika a dû, toute honte bue, se rendre à Doha, officiellement pour un sommet gazier, où il était le seul chef d'Etat à s'être déplacé, en réalité pour réchauffer ses relations avec le Conseil national de transition (CNT) libyen et son chef, M. Moustapha Abdeljalil, qui a accusé publiquement l'Algérie d'avoir soutenu Mouammar Kadhafi jusqu'au bout et refusait de se rendre à Alger. « Les deux rencontres se sont déroulées dans la résidence de l'émir du Qatar, Cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani, dans un des rôles qu'il affectionne le plus, celui de la médiation (7). » Le Qatar accueille également M. Abassi Madani, l'ancien leader du Front islamique du salut (FIS), vainqueur des élections interrompues par les généraux en décembre 1991.
Et à peine de retour de Doha, M Bouteflika a invité à Alger un autre protégé de marque du monarque qatari, M. Ghannouchi, pour également trouver un terrain d'entente avec la nouvelle Tunisie dont El Watan disait dans son éditorial du 24 octobre 2011 : « Le pouvoir algérien vient de recevoir une belle leçon de démocratie. » Il peut, aussi, attendre un coup de main du leader tunisien pour isoler le RND au sein de l'Alliance présidentielle en rapprochant le FLN et les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP), ce qui compromettrait les chances de M. Ouyahia de succéder en 2014 à M. Bouteflika.
L'argent du pétrole alimente le systèmeIsolé sur le plan diplomatique, mal vu du bloc monarchique et pétrolier du Golfe qui, en revanche, soutient le voisin marocain et a désormais la haute main sur la Ligue arabe, le régime algérien n'a plus qu'un atout dans son jeu : le prix élevé du pétrole, qu'il joue d'ailleurs plutôt mal. Les hydrocarbures devraient lui rapporter cette année plus de 70 milliards de dollars. Ils passent pour l'essentiel dans une gigantesque politique de redistribution qui arrose, inégalement, à peu près tout le monde. Anciens combattants, ménages, abonnés au gaz, à l'électricité et à l'eau, automobilistes, usagers des transports en commun, agriculteurs, débiteurs, locataires de HLM, primo-accédants au logement, retraités, banquiers, entrepreneurs, et beaucoup d'autres sont subventionnés d'une façon ou d'une autre par le Trésor public alimenté par la manne pétrolière.
La redistribution à la Bouteflika, qui se résume à une culture intensive des clientèles les plus diverses et qui lui a permis à l'automne 2008 de faire réformer la Constitution en moins de deux heures par des parlementaires apeurés, désorganise en profondeur l'économie et la société.
Sur le plan économique, elle alimente la trop forte croissance de la demande intérieure. La production nationale est incapable de suivre. Selon la Banque d'Algérie, la demande a augmenté en 2010 de plus de 5,5 % en volume et la production de 3,3 %. L'écart (2,2 % du produit intérieur brut [PIB]) provoque à la fois une forte poussée des importations, qui ont doublé en cinq ans, et un regain d'inflation invisible dans les statistiques officielles, mais très mal vécu par les ménagères, qui con-sacrent en moyenne plus de 55 % du budget familial à l'alimentation.
La hausse, modeste, de la production nationale est en partie illusoire parce que due à deux secteurs très particuliers : l'administration et le bâtiment. Le premier reflète surtout l'augmentation des effectifs de la fonction publique et le second un investissement qui cherche, sans y réussir, à rattraper la demande d'une population en croissance rapide.
En revanche, l'économie « productive », c'est-à-dire l'agriculture et l'industrie, recule année après année ; elle pesait à peine 10 % du PIB en 2009. « La désindustrialisation du pays s'accentue », constate la très officielle Banque d'Algérie. Le secteur public con-tinue sa descente aux enfers (—2,8 %). Seule son entreprise-phare, Sonelgaz, l'EDF-GDF algérien, augmente sa production et... ses pertes, faute d'un relèvement de ses tarifs, inchangés depuis 2005. Quant à l'agriculture, qui oscille entre les bonnes années comme 2009 (+ 20 %) et les moins bonnes comme 2010 et 2011 (+ 6 %), elle reste dominée par les aléas climatiques et plus incapable que jamais de nourrir le pays.
Au total, la justice sociale, tant vantée par le régime, ne bénéficie guère à l'Algérien moyen, dont le niveau de vie augmente au mieux de 1 % par an, soit 3 euros supplémentaires à la fin de l'année ; la démographie, il est vrai, ne facilite pas les choses. En cinq ans, le taux de croissance annuel de la population est remonté de 1,78 % à 2,03 %, et en 2010 il y a eu 888 000 naissances en Algérie, contre 828 000 en France.
Le retour au nationalisme économique — qui a coïncidé dès 2005 avec l'aubaine pétrolière (8), les amendements restrictifs à la loi sur les hydrocarbures, de facture libérale — a accru les difficultés. La fiscalité sur les compagnies étrangères installées dans le pays a été augmentée. Résultat, les compagnies internationales boudent le pays et, en volume, les exportations d'hydrocarbures régressent en 2011 pour la quatrième année d'affilée.
Les contentieux se sont multipliés avec des entreprises américaines, britanniques, égyptiennes, espagnoles, françaises ou italiennes. La baisse des cours du brut en 2008, passé de plus de 140 dollars le baril en juillet à moins de 50 en décembre, s'est traduite par un effondrement des recettes en devises de l'Algérie. M. Ouyahia, le premier ministre, a pris peur et multiplié les mesures administratives pour réduire les importations alors que son président, en pleine campagne électorale pour son troisième mandat, multipliait, lui, les promesses et les cadeaux. Résultat, au même moment, alors que l'un réduisait l'offre, l'autre augmentait la demande !
Les retombées locales du clientélisme ne sont pas moins dommageables. Chaque groupe, chaque région, chaque ville, chaque quartier, se juge, à tort ou à raison, moins bien traité que son voisin et tient à le faire savoir. Faute d'autres canaux de transmission avec un pouvoir ultracentralisé et autiste, l'émeute, la destruction d'édifices publics, la coupure des routes sont devenus des moyens d'expression habituels. Selon le ministère de l'intérieur, l'an passé plus de deux mille cinq cents « incidents » de ce type ont été enregistrés. La sécurité n'est plus qu'un souvenir dans beaucoup de localités où les autorités judiciaires notent, impuissantes, une recrudescence des assassinats, des enlèvements et des rackets. De plus, le régionalisme, qui est l'une des plaies du pays, se trouve encouragé par les inégalités entre régions, les favoritismes qui avantagent celles qui sont bien vues du pouvoir et « oublient » les autres au moment de la distribution des faveurs.
Enfin, à long terme, la politique économique du régime étouffe littéralement la production et l'emploi. Le commerce, légal ou plus souvent illégal, comme l'importation sauvage inondent le marché national des produits les plus invraisemblables et interdisent l'émergence d'une économie moderne. Les entreprises légales n'y résistent pas plus que l'emploi des cent cinquante mille jeunes diplômés qui sortent chaque année des quarante-huit universités du pays.
Il leur reste, maigre consolation, le secteur « informel », seul débouché de masse pour la jeunesse depuis la fermeture des frontières européennes. « Après les émeutes de janvier dernier, le commerce informel, petit et gros, a pratiquement été légalisé » écrit Le Quotidien d'Oran du 21 septembre 2011. Les petits sont omniprésents sur les trottoirs des villes et le long des grandes artères, les « gros » sont invisibles mais actifs. Une nouvelle fois, ils ont réussi à faire reculer le gouvernement, qui voulait imposer le règlement des transactions commerciales par chèque. Les parrains du trafic, comme les douaniers qui au passage prélèvent leur dîme, préfèrent les sacs poubelles remplis de billets ; ils ne laissent pas de trace. L'Algérie bat un triste record du monde en ce domaine ; les billets de banque y représentent plus du quart de la masse monétaire ! Pourtant, à l'automne 2011, les déposants faisaient la queue aux guichets des banques comme dans les bureaux de poste pour retirer de l'argent. A l'évidence, les liquidités sont dans d'autres poches...
(1) Cf. Octobre à Alger, préface de Pierre Vidal-Naquet, Seuil, Paris, 1988.
(2) Agence France-Presse, Alger, 8 janvier 2011.
(3) Le FFS a été fondé en 1963 par un des chefs historiques de la révolution algérienne, M. Hocine Aït Ahmed, qui le dirige toujours.
(4) Fondé au début des années 1980 par le docteur Saïd Sadi, il recrute, comme le FFS, surtout dans les régions berbérophones du pays. Les deux partis s'opposent l'un à l'autre au moins autant qu'au pouvoir...
(5) Aux élections législatives du 17 mai 2007, l'Alliance a obtenu 64 % des 389 sièges, dont 136 pour le FLN, 61 pour le Rassemblement national démocratique et 52 pour le Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamistes). Le ministère de l'intérieur n'a jamais publié les résultats détaillés de ces élections.
(6) Le DRS est un département de l'état-major de l'armée ; il a son mot à dire sur les affaires publiques, des nominations de hauts fonctionnaires et des ministres à la passation des marchés publics. Il est chargé de la lutte contre le terrorisme (Al-Qaida au Maghreb islamique, AQMI), et sa direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) anime une véritable diplomatie parallèle plus influente que celle du ministère des affaires étrangères. Le DRS tient en gros dans le système algérien le rôle qui était celui du Parti communiste dans les pays de l'ex-bloc soviétique.
(7) Salem Ferdi, « Realpolitik au sommet », Le Quotidien d'Oran, 16 novembre 2011.
(8) Les recettes pétrolières ont doublé entre 2000 et 2005, puis à nouveau doublé en trois ans.
Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Thibault Boutherin propose une analyse de l’ouvrage de Christopher Bennett, Bosnia’s Paralysed Peace (Hurst, 2016, 392 pages).
L’ouvrage de Christopher Bennett n’est ni un énième constat fataliste sur la situation de blocage politique et économique du pays, ni un nouvel essai polémique à bon compte comme il en paraît trop souvent. Ce travail est non seulement minutieux, fin et éprouvé, résultat d’une approche critique aiguë et étayée, – en effet l’auteur connaît très bien le pays, notamment pour y avoir officié pour l’International Crisis Group puis comme Haut représentant adjoint en charge de la communication – mais il se double d’un second volet audacieux, sinon risqué, et d’autant plus appréciable : il avance des propositions pratiques.
Sur le constat, difficile d’être novateur. L’auteur s’en tient aux faits, qu’il s’applique à remettre dans la perspective du passif politique du pays, en évitant tout travers déterministe. Le panorama est morose et, en l’état, inquiétant. Toutefois, l’acuité de l’analyse est appréciable et aide le lecteur à saisir l’ampleur des défis, ainsi que la dimension inextricable des paradoxes multiples qui président au fonctionnement de l’État bosnien – si tant est qu’il y en ait un – dans l’ère post-Dayton et avec un constat essentiel : la Bosnie n’est plus en guerre mais elle n’est pas en paix pour autant.
Tout chercheur s’étant penché sur le cas de la Bosnie-Herzégovine l’aura cruellement expérimenté : rien dans ce cas d’étude n’est anodin ou neutre, tout est sujet à caution et prête à interprétation. La tâche était d’autant plus ardue pour Christopher Bennett que ses fonctions passées l’ont amené à intervenir directement dans les situations qu’il propose d’analyser. Pourtant, le lecteur reconnaîtra que le travail critique ne cède pas au plaidoyer pro domo. S’il y a des signes épars d’une volonté d’expliquer, voire de défendre, l’action du Haut représentant, l’auteur fait montre d’un désir d’objectivité qui tient pourtant de la gageure, tant les enjeux sont sensibles et les intérêts entremêlés. Christopher Bennett ne revendique pas une neutralité infaillible, mais il propose une grille de lecture qu’il estime équilibrée, et qu’il met à profit pour en tirer des conclusions et nourrir le débat.
Là réside donc l’autre valeur ajoutée de cet ouvrage : il dépasse la seule sphère académique avec des propositions non consensuelles qui aspirent à une transformation durable et, de l’aveu de beaucoup, souhaitable pour le fonctionnement constitutionnel et politique de la Bosnie-Herzégovine. Christopher Bennett invite à une approche enfin volontariste et pragmatique de la part de l’ensemble des acteurs qui ont façonné, mis en place puis perpétué la Bosnie de Dayton, leur enjoignant d’acter le dépassement d’un modèle qui n’avait pas vocation à durer. Comme il le rappelle, il y va de la stabilité d’une région au potentiel explosif que l’Europe a déjà éprouvé, et où les intérêts russes, européens et américains risquent encore de se heurter. Le changement doit être radical et passe par la fin des vœux pieux, des doubles jeux et une meilleure connaissance de la Bosnie. Cet ouvrage devrait largement y contribuer, pour tout lecteur aspirant à une vision large, complète et plutôt équilibrée d’une paix paralysée.
Thibault Boutherin
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Directeur exécutif du conglomérat médiatique News Corp (M. Rupert Murdoch), M. Robert Thomson a publié dans le Wall Street Journal, propriété du groupe, un article contre Google et Facebook titré « Fausses nouvelles et duopole numérique » (6 avril 2017) où affleure une pointe de jalousie.
Ensemble, les deux éditeurs d'information les plus puissants de l'histoire humaine ont créé un écosystème à la fois dysfonctionnel et socialement destructeur. Les deux entreprises auraient pu faire beaucoup plus pour mettre en avant le fait qu'il existe une hiérarchie des contenus. Au lieu de cela, ils ont prospéré considérablement en colportant une philosophie du « tout se vaut » qui ne distingue pas le vrai du faux parce que l'un et l'autre leur rapportent de substantielles sommes d'argent. « Fake News and the Digital Duopoly, 6 avril 2017. Piquets à travers la ChineLe nombre de conflits du travail a tellement augmenté dans l'empire du Milieu que le gouvernement insiste sur la nécessité de réformer le syndicat unique, la Fédération des syndicats de toute la Chine (All-China Federation of Trade Unions), explique le China Labour Bulletin.
Il y a eu 1,77 million de conflits du travail en Chine en 2016, selon le ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale (...). China Labour Bulletin [CLB] a recensé plus de cinq mille grèves, manifestations ou incidents sérieux en 2015-2016. Dans un document appelé « Opinion sur le renforcement des arbitrages lors des conflits du travail et l'amélioration du système de résolution » de ces conflits, le gouvernement suggère que la Fédération des syndicats de toute la Chine joue un rôle plus actif. (...) Mais, insiste le directeur de CLB, la négociation collective est la vraie solution pour résoudre les conflits. « Labour disputes on the rise, authorities call on union to take greater role », 7 avril 2017 Chiens de « hipsters »La gentrification de Vancouver, au Canada, provoque une ruée sur la nourriture de luxe pour animaux de compagnie. L'engouement touche en particulier le régime cru, très prisé par les « hipsters » et leurs chiens, comme le note le Vancouver Business.
« Nous cherchons à développer de nouvelles formules qui se concentrent sur les problèmes de santé cruciaux des animaux de compagnie », explique Inna Shekhtman, fondatrice et directrice de Red Dog Deli Raw Food Co. Inc. « Près de la moitié d'entre eux se verront diagnostiquer un cancer au cours de leur vie, et beaucoup de propriétaires ne commencent à se soucier de leur régime que lorsqu'ils sont déjà malades. » De nouvelles recherches restent à mener pour prouver que le régime cru améliore la santé des animaux. Tyler Nyquvest, « Millennials boost premium pet-food business », 18 avril 2017. Le parti de l'intelligenceDans un article consacré au « culte que voue la gauche aux élites intellectuelles » et à leurs aveuglements, Rick Perlstein rappelle un arrêt quasi unanime de la Cour suprême de 1927 en faveur duquel deux piliers de l'intelligentsia progressiste, Oliver Wendell Holmes et Louis Brandeis, pesèrent de tout leur poids.
Dans cette décision historique, la Cour jugea constitutionnelle la stérilisation chirurgicale d'une femme nommée Carrie Buck. La loi de l'État examinée lors de l'affaire Buck v. Bell indiquait, comme Holmes le résuma, que « la santé du patient et le bien-être de la société peuvent être améliorés dans certains cas par la stérilisation des débiles mentaux ». Et cela parce que, « dans ses diverses institutions, la Virginie subvient aux besoins de personnes déficientes qui deviendraient une menace si elles étaient rendues à la vie civile mais qui, si elles étaient incapables de procréer, pourraient retrouver la liberté en toute sécurité et devenir autonomes au bénéfice de tous ». Buck était « la fille d'une mère faible d'esprit dans la même institution, et la mère d'un enfant illégitime faible d'esprit ». « Trois générations d'imbéciles, ça suffit ! ». « Outsmarted », The Baffler, mars 2017. L'art du rectificatifAvec son mordant proverbial, Jeffrey St. Clair ironise sur les manies du New York Times.
Alexander Cockburn avait coutume de dire que le New York Times publie deux ou trois rectificatifs par jour afin de persuader ses lecteurs que le reste du texte imprimé dans le journal est vrai. Comme celui-ci : « Rectificatif, 5 avril 2017 : du fait d'une erreur d'édition, une version précédente de cet article identifiait Ivanka Trump comme la femme du président Trump. Sa femme est Melania. Ivanka est sa fille. » « Roaming Charges : Metaphysical Graffiti », Counterpunch, 7 avril 2017.