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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 6 days ago

Daech en Syrie : solution militaire ou politique ?

Wed, 16/09/2015 - 11:10

L’Etat islamique ne cesse de progresser en Syrie et menace des sites classés par l’Unesco, comme celui de Palmyre. La communauté internationale dispose-t-elle encore de marges de manœuvres afin de repousser efficacement ces attaques ?
Après la mise en place de la coalition internationale sous l’égide des Etats-Unis et le début des bombardements intensifs il y a plus d’un an, il faut admettre que le bilan est mitigé. L’avancée spectaculaire des milices de Daech du printemps 2014 a certes été ralentie, mais nous ne pouvons pas considérer que le mouvement a été totalement arrêté et encore moins éradiqué. Les bombardements aériens ont été incapables d’enrayer véritablement cette progression comme l’illustre la conquête du site historique de Palmyre qui est en cours de destruction par les djihadistes. Les frappes aériennes ne sont donc pas suffisantes, même si elles sont nécessaires car Daech continue de recevoir un flux de combattants étrangers assez important et surtout semble s’enraciner dans les zones qu’elle a conquises depuis quelques mois par la mise en place des attributs d’un Etat.
A deux reprises, à Kobané et à Tal Abyad, les combats terrestres menés par les milices kurdes ont été capables d’arrêter les offensives et les avancées de Daech. Cette leçon est à méditer : il semble que les bombardements aériens ne seront efficaces qu’en coordination avec des opérations terrestres. On peut alors se demander si ladite communauté internationale est disposée à envoyer des troupes au sol, avec bien sûr un mandat de l’ONU. Nous ne sommes pas dans cette situation, mais si nous voulons véritablement battre et éradiquer Daech, il faudra envisager des opérations terrestres mais ces interventions devront être coordonnées avec le gouvernement légitime d’Irak et le régime syrien.

Comment les Etats arabes voisins se positionnent-ils face à ce conflit en Syrie ?
Les Etats arabes ne sont pas unanimes : la Ligue des Etats arabes a majoritairement exclu le régime de Bachar el-Assad de son enceinte mais sans unanimité. Les Etats arabes favorables à la chute du régime syrien sont majoritaires mais l’Irak ou l’Algérie, par exemple, sont contre toute intervention extérieure car ils considèrent que le régime de Bachar el-Assad reste un rempart face aux groupes djihadistes (l’Irak est évidemment concerné par Daech au premier chef et l’Algérie entretient le souvenir de la lutte de l’Etat contre les groupes islamistes pendant la guerre civile). Il est commun de considérer que les Etats sunnites, par définition, soutiennent les combattants rebelles syriens mais la réalité est plus nuancée et les facteurs confessionnels ne sont probablement pas le moteur principal du conflit. Il me semble que le facteur politique est l’élément central de cette crise et les facteurs religieux ne sont qu’un des paramètres parmi ceux qui permettent de comprendre les évolutions de cette situation. Comprenons donc que la crise syrienne est instrumentalisée par des puissances régionales pour asseoir et renforcer leur puissance.

Le président syrien Bachar el-Assad est affaibli mais toujours au pouvoir. La coalition anti-Daech doit-elle s’appuyer sur son régime ?
Le terme « s’appuyer » n’est pas le mieux adapté, mais la question du rapport au régime se pose depuis plusieurs années : toutes les assertions formulées à de multiples reprises sur la chute imminente du régime de Bachar el-Assad se sont avérées erronées. Le président syrien, même très affaibli, est toujours présent. Il est nécessaire pour un certain nombre d’Etats, dont la France qui était très engagée dans la volonté de destruction du régime syrien, de revoir leur position. Cet infléchissement incontestable s’est illustré lors de la conférence de presse du président François Hollande du 7 septembre, lorsqu’il a expliqué que l’aviation française avait pour ordre de mener des missions d’observations qui seraient peut-être le prélude de missions de bombardements en Syrie contre Daech. Pas franchi le 14 septembre lorsque le même président a annoncé que la France participerait désormais aux bombardements en Syrie, ce qu’elle s’était refusée de faire jusqu’alors. Malgré des critiques légitimes contre le régime de Bachar el-Assad, il faut comprendre, d’un point de vue réaliste, que si ce régime est partie au problème de la Syrie, il est également partie de la solution. Il est tout à fait désagréable d’être obligé de négocier avec des éléments de son régime mais il n’y aura pas d’autre solution.
De plus, s’il y a des bombardements contre les positions de Daech en Syrie, ils doivent se réaliser en coordination avec le régime syrien qui est d’ores et déjà prévenu lors de ces opérations menées depuis un an. Il serait hypocrite de ne pas reconnaitre ce régime, même si l’idée n’est certes pas attractive. Il me semble, dans tous les cas, qu’il n’y aura pas en Syrie de solution efficiente sur les plans humanitaire et matériel sans une solution politique
Est-ce que le danger principal est le maintien d’éléments du régime de Bachar el-Assad ou bien de voir Daech arriver à Damas ? Il me semble que le choix est clair : il faut tout faire pour éviter que Daech ne parvienne à ses fins. Il est donc nécessaire d’intégrer, de façon appropriée des éléments du régime syrien dans le jeu des négociations. Pour cela, il faudra s’appuyer sur deux puissances importantes et influentes : l’Iran et la Russie. Ces deux Etats sont absolument incontournables dans une future conférence internationale destinée à mettre en œuvre une sortie politique de la crise. Cependant, le départ de Bachar el-Assad ne doit pas être la condition préalable de cette négociation, car cette question ne se posera qu’à l’issue du processus et de la formulation d’un compromis.
Tous ceux qui persistent à mettre le départ de Bachar el-Assad comme condition préalable se refusent en réalité à une solution politique. Pour certains Etats, il faudra procéder à des révisions douloureuses comme c’est le cas pour la France qui n’a cessé de répéter qu’il fallait détruire le régime et qui s’aperçoit aujourd’hui qu’il est nécessaire de changer de perspective et de logiciel si elle veut être efficace et peser un tant soit peu sur la situation.

Rouble, Mistral, Donbass… Tour d’horizon de l’actualité russe de la rentrée

Tue, 15/09/2015 - 12:27

Qu’est-ce qui vous frappe le plus, dans l’actualité russe ?
Comme souvent en Russie, le mois d’août aura été tout sauf calme. Ce que je retiens de l’actualité ? Au plan économique, le nouvel affaissement du rouble, consécutif au décrochage des cours du pétrole. La monnaie russe est passée, en quelques semaines, d’environ 58 roubles pour un euro à un peu plus de 80, avant de revenir aux alentours de 75. C’est presque autant qu’à la mi-décembre 2014. Paradoxalement, il n’y a pas eu de panique cette fois-ci, sans doute parce que les Russes ont intégré que de tels niveaux étaient désormais possibles, voire normaux. Cela indique aussi que le soulagement éprouvé par les décideurs russes au printemps, après la remontée des cours du pétrole à 65 dollars, était prématuré.
La Russie ne s’effondre pas – contrairement à l’Ukraine – mais il n’y aura pas de rebond rapide et spectaculaire comme en 2010. Facteur aggravant – le pays entre dans un nouveau cycle électoral, avec un décalage de 18 mois entre les législatives et la présidentielle. La priorité ne sera donc pas aux réformes structurelles mais à la stabilité. Et il y a un risque réel de voir la Russie perdre encore trois ans.
Au plan politique, c’est le départ de Vladimir Iakounine de la présidence de la Compagnie des chemins de fer russes (RJD) qui me paraît l’événement le plus significatif. C’est le premier « oligarque d’État » de premier plan à être remercié. Et Moscou bruisse de rumeurs quant à de nouveaux départs à la tête d’autres compagnies publiques, voire du service des douanes, lui aussi dirigé par un autre ami de 30 ans du président [Andreï Belianinov, ndlr]. Dans le même temps, il y a cette séance de gymnastique réunissant Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev, qui est une fort inattendue « sortie de placard » pour le Premier ministre. Cela signifie qu’il n’y aura pas de remaniement avant la fin 2016 et que le Premier ministre va recouvrer certaines marges de manœuvre, surtout en ce qui concerne le budget et la gestion des groupes publics.

À quel point les échanges commerciaux franco-russes sont-ils influencés par l’actualité ?
Les échanges commerciaux franco-russes sont en baisse, résultat des sanctions et contre-mesures russes (cela vaut surtout pour les secteurs de la Défense, de l’Énergie et de l’agroalimentaire) et, particulièrement, de la dépréciation du rouble, qui aboutit mécaniquement à une contraction du volume des importations russes. Je relève cependant des signaux encourageants : les premiers chiffres de la Banque centrale de Russie indiquent que la France a maintenu son niveau d’investissements en 2014 (environ 2 milliards d’euros, soit près de 10 % des IDE en Russie l’an dernier), alors que le total des investissements étrangers en Russie était divisé par trois. Aucun groupe français n’a quitté la Russie, et certains – comme Auchan – ont annoncé d’importants projets en régions. Naturellement, il serait souhaitable que les sanctions sectorielles ne soient pas prolongées au-delà de janvier 2016 et que les autorités russes envoient des signaux positifs aux investisseurs.

L’affaire des Mistral mettra-t-elle en danger les investisseurs français en Russie ? Quelles sont les conclusions que les deux pays pourraient en tirer ?
Il me semble que Paris et Moscou ont tout fait pour « sanctuariser » ce dossier, pour que la non-livraison des Mistral ne plombe pas la relation bilatérale dans son ensemble. Tout le monde se dit satisfait de l’issue des négociations, dont acte. Cela n’empêchera pas les uns et les autres de considérer que certains sont plus perdants que d’autres. À l’évidence, les coopérations dans les domaines sensibles (aéronautique, espace, armement) avec la Russie, qui distinguaient la France de ses partenaires européens, seront plus difficiles à court et moyen termes. Je pense néanmoins que l’essentiel sera préservé. Les complémentarités industrielles sont trop évidentes entre industriels de nos deux pays, et les crispations politiques que l’on observe actuellement de part et d’autres passeront.

Quelles sont vos prévisions concernant la situation dans le Donbass ?
La situation dans le Donbass est loin d’être satisfaisante, même si elle est moins dangereuse qu’en août 2014 ou à la mi-février 2015. Les accords de Minsk-2, sans surprise, donnent lieu à des interprétations divergentes à Kiev, Donetsk et Moscou.
La relation des autorités de Kiev aux accords de Minsk-2 est ambivalente. Ces documents reflètent un rapport de force militaire sur le terrain défavorable à l’Ukraine. Plusieurs points (autonomie de fait du Donbass, création d’une milice populaire, etc.) sont difficilement acceptables par l’opinion publique et la classe politique ukrainiennes, qui se sont radicalisées et dont les réactions sont souvent déconnectées de la réalité. De façon assez classique, le président ukrainien Petro Porochenko a une lecture sélective des accords de Minsk-2 et met en avant ce qui l’arrange (comme le contrôle de la frontière avec la Russie). Le président ukrainien refuse systématiquement tout dialogue avec les républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, préférant une approche unilatérale. On peut le comprendre, mais les accords de Minsk-2 incluent la formule po soglasovaniju storon, qui implique une concertation et donc des contacts.
La principale préoccupation de Porochenko est de conserver le soutien politique et financier des Occidentaux. Il lui importe donc de ne pas apparaître comme celui qui enterrera les accords de Minsk-2. De ce point de vue, les récents événements devant la Rada sont problématiques. Certes, ils font apparaître Porochenko comme un modéré et donnent des arguments au président ukrainien, qui explique régulièrement à ses interlocuteurs européens et américains que la décentralisation est mal acceptée dans son pays. Mais si jamais il échouait à faire entériner ce texte crucial à la majorité des 2/3 à la Rada, la Russie pourrait, à bon droit, faire valoir que Kiev a fait dérailler le processus de paix. Et on peut également penser que le très fragile consensus sur les sanctions sectorielles de l’UE contre la Russie ferait long feu.
Dans le dossier ukrainien, on assiste, en réalité, à un jeu à fronts renversés. Sans l’assumer publiquement, Kiev a tiré un trait sur le Donbass, considéré comme un corps cancéreux dont il faut se protéger. C’est la logique du blocus imposé à ces territoires. Donetsk et Lougansk sont tacitement considérées comme irrécupérables. La majorité des élites politiques, économiques et médiatiques à Kiev a fait le choix de la « petite Ukraine ». Contrairement à ce qui est répété, l’intégrité territoriale n’est plus une priorité si elle doit se traduire pour Kiev par un financement de la reconstruction du Donbass et une inclusion dans le champ politique national des représentants de Lougansk et Donetsk.
Dans ce contexte, il me semble que la Russie n’a pas intérêt à un gel du conflit (en tout cas, pas tant que le volet politique de Minsk-2 n’est pas appliqué). Et, naturellement, elle souhaite « diluer » la « petite Ukraine » avec des éléments pro-russes du Donbass. Elle dispose cependant de leviers d’influence limités. Le pari que fait le Kremlin est celui du délitement du pouvoir actuel et de l’effondrement économique de l’Ukraine, scénarios qui sont tout sauf aberrants. Celui d’une lassitude de la population ukrainienne, que les réalités ramèneraient sur le chemin du réalisme, et donc du pragmatisme dans les relations avec Moscou. C’est ce à quoi on commence à assister en Géorgie. En d’autres termes, la Russie ne considère pas que l’Ukraine est perdue. Les perspectives d’entrée de cette dernière dans l’UE et l’OTAN dans un avenir prévisible sont nulles.
La France et l’Allemagne, quant à elles, cherchent à sauver Minsk-2, malgré la mauvaise volonté des uns et des autres. Ces deux pays comprennent bien que le scénario alternatif est non celui d’un conflit gelé, mais celui d’une reprise des combats à grande échelle, avec – probablement – des livraisons d’armes américaines et une intervention militaire directe de la Russie, au moins jusqu’au Dniepr. En réalité, tout le monde aurait à perdre à cette éventualité : l’Ukraine, qui disparaîtrait en tant qu’État, et la Russie, qui serait frappée de nouvelles sanctions sans commune mesure avec celles actuellement en vigueur.
Aujourd’hui, le dossier crucial – outre le cessez-le-feu – est celui des élections dans le Donbass [des élections locales ukrainiennes auront lieu le 25 octobre, ndlr]. Quelles forces politiques pourront y participer ? On comprend bien que les partis siégeant à la Rada à Kiev, qui soutiennent « l’opération antiterroriste », n’ont aucune chance d’y être représentés. Quid du parti communiste ukrainien, qui réalisait de bons scores dans le Donbass mais ne peut se présenter sous cette étiquette en Ukraine du fait de l’adoption des lois « mémorielles » ? On voit aussi que les leaders actuels à Donetsk et à Louganskne souhaitent pas le retour des anciens du Parti des Régions [de l’ex-président ukrainien Ianoukovitch, ndlr]. Rien n’est simple, donc, d’autant que personne n’y met de bonne volonté. Les diplomates de l’OSCE, et notamment le Français Pierre Morel, qui anime le sous-groupe politique à Minsk, ont d’autant plus de mérite.

« Tant qu’il y aura des guerres, les gens voudront partir »

Tue, 15/09/2015 - 12:22

L’Allemagne rétablit le contrôle à ses frontières. Comment expliquer cette volte-face d’Angela Merkel ? Est-ce une faute politique ?
C’est une réponse un peu d’urgence par rapport à un afflux qui a été sous-estimé. L’accueil chaleureux, les déclarations d’ouverture d’Angela Merkel la semaine dernière sont venues accroître encore le nombre de réfugiés qui veulent aller en Allemagne. On peut penser que les dirigeants allemands n’ont pas anticipé que l’Allemagne serait la destination majeure – si ce n’est quasi unique – de tous ceux qui ont fui les zones de guerre. On peut aussi penser que cette mesure a été prise en fonction de la réunion des ministres ce lundi pour faire pression, puisque les pays européens sont divisés et les nouveaux membres de l’Est sont les plus réticents, pour ne pas dire hostiles, à l’accueil de migrants.

L’Allemagne, la Slovaquie, l’Autriche, la Hongrie… rétablissent les contrôles aux frontières. Faut-il réformer Schengen ?
Il y a une divergence politique de ces pays qui refusent l’accueil de migrants, mais qui ont adhéré à l’Union européenne, à un système de valeurs. Et là, ils prennent une position qui n’est pas conforme aux textes qu’ils ont adoptés lorsqu’ils sont entrés dans l’Union européenne.
Il faut faire face à un flux de migrants beaucoup plus important que prévu. La difficulté est de voir que l’on a des accords. Jean-Claude Juncker parle de pénaliser financièrement les pays qui n’accepteraient pas leurs quotas. On peut penser qu’on était sorti de la crise de l’euro et que l’on rentre dans une crise d’un type nouveau, avec d’ailleurs une Allemagne qui a abandonné le rôle du méchant pour prendre celui du gentil. Mais du coup des pays qui ne s’étaient pas trop signalés, vont apparaître un peu comme étant réactionnaires, à la traîne. Cela fait déjà assez longtemps que les pays de l’Union européenne ont des problèmes avec la Hongrie, qui foule aux pieds de nombreux principes européens. Là c’est encore plus patent avec cette crise qui sert de révélateurs aux divisions européennes.

Des mesures ont été annoncées contre les passeurs, pour un contrôle renforcé des frontières extérieures. Seront-elles suffisantes ?
Non, ça peut avoir un effet mais pas suffisant. C’est à la source que le problème doit être réglé. Tant qu’il y aura une guerre civile en Irak et en Syrie, les gens continueront de partir de chez eux. Le problème à la source ne peut pas être réglé dans l’urgence, or c’est dans l’urgence que nous devons faire face à un afflux de réfugiés. Il faut donc gérer cet accueil mais de nombreux pays sont sous la pression de partis xénophobes, de partis anti-musulmans. D’ailleurs cette crise pose aussi la question du rapport à l’islam. On peut penser que si ces milliers de migrants venaient d’Ukraine ou de Russie suite à un conflit, cela poserait moins de problèmes. Les problèmes s’enchaînent : l’hostilité aux musulmans envenime le débat sur les migrants. C’est à fois un débat sur les flux migratoires mais aussi sur la relation d’une fraction des opinions européennes avec l’islam.

Philippe Douste-Blazy a lancé un appel pour lutter contre l’extrême pauvreté. Est-ce la solution ?
Ceux qui n’ont rien du tout ne partent pas parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer le passage. Ceux qui partent ont déjà un petit pécule, ce ne sont pas les plus pauvres qui partent. Ceux qui ont 1 ou 2 dollars par jour, ils ne partent pas. S’il y a effectivement beaucoup de ce que l’on appelle les réfugiés économiques, on voit bien que ceux qui fuient l’Érythrée, la Syrie, l’Irak ne le font pas pour des raisons économiques. Souvent ils appartiennent aux classes moyennes supérieures ou aux classes moyennes, ils avaient une activité.

La France, patrie des droits de l’Homme, en fait-elle assez ? A-t-elle un message à porter ?
Disons qu’on s’est fait griller la politesse en termes d’accueil et de générosité par l’Allemagne, qui maintenant revient sur ses pas. On peut quand même penser qu’il y a un discours commun, une politique commune entre l’Allemagne et la France. Mais le taux de chômage et l’avenir démographique ne sont pas les mêmes. L’Allemagne est en déficit démographique ; c’est pour cela qu’elle s’est montrée plus ouverte à l’accueil des migrants dont elle a besoin à très courte échéance en termes de force de travail et démographique.

Cette vague migratoire que connaît l’Europe va durer mais peut-elle prendre fin ?
C’est aussi l’autre face de la mondialisation. Ces migrants savent ce qui se passe en Allemagne, en France. Si l’Europe n’est plus attractive apparemment pour nombre de ses citoyens, elle le reste énormément pour ceux qui sont en dehors des frontières européennes. C’est un peu le paradoxe de l’Europe.
On voit aussi que ces migrants se débrouillent avec des téléphones portables, avec les moyens de la mondialisation pour se déplacer, pour s’informer, pour se donner les bons tuyaux.
Au-delà se dressent deux défis plus importants. Si on ne trouve pas un accord à la conférence COP21 de décembre sur le réchauffement climatique, on risque d’avoir des flux de migrants climatiques qui seront sans commune mesure avec ce que l’on connaît.
Personne ne part de chez lui par plaisir et c’est toujours un choix douloureux de quitter son pays. Il faut faire attention aux circonstances politiques et climatiques si on veut que la crise que l’on connaît aujourd’hui ne soit pas une crise mineure par rapport à celle qu’on pourrait connaître à l’avenir si l’on ne prend pas des mesures de prévention.

Les frappes aériennes en Syrie : une décision à défaut de solution

Tue, 15/09/2015 - 12:20

La Syrie est le théâtre d’une confrontation multidimensionnelle: confessionnelle, certes, mais surtout géopolitique, opposant des puissances locales, régionales et internationales aux intérêts antagonistes. Si l’intensification de l’intervention de forces occidentales -américaines, françaises et britanniques- en Syrie est désormais acquise, un flou saisissant demeure au sujet des raisons, des modalités et des objectifs précis d’une telle entreprise. Une ambiguité qui tend à affaiblir la crédibilité et l’efficacité de cette stratégie.

François Hollande a annoncé des vols de reconnaissance aérienne -par drones ou avions de combat?- avant de reconnaître la nécessité d’étendre les frappes contre Daech au territoire syrien (initialement cantonnées au territoire irakien depuis septembre 2014). Un pas qu’avait déjà franchi Barak Obama, malgré le doute légitime sur la légalité internationale d’une telle décision. Si juridiquement, les situations irakienne et syrienne sont en effet différentes (Bagdad a donné son accord à l’intervention militaire occidentale, contrairement à Damas), cette ingérence française conforte le nouveau statut de la France comme allié privilégié des Etats-Unis.

La décision de frapper les forces djihadistes sur ses bases syriennes prend acte, avec réalisme, de l’ancrage territorial de Daech (qui contrôle de fait près de la moitié du territoire syrien et le tiers de l’Irak), mais aussi de l’imbrication transnationale des conflits qui déchirent les deux pays du Levant. Ce constat est prolongé par l’identification d’un nouvel « intérêt à agir » pour la France. L’onde de choc des guerres qui redessinent cet « Orient lointain » revêt une force politique, symbolique et humaine nouvelle, allant bien au-delà des frontières de la région et des Etats voisins (Turquie, Liban, Jordanie).
En atteste la dimension exceptionnelle prise par la « crise migratoire » et l’exode massif des réfugiés syriens et irakiens en Europe: l’Europe, en général, et la France, en particulier, se retrouvent directement confrontées aux conséquences sécuritaires (« lutter contre le djihadisme en Syrie c’est lutter contre la menace terroriste en France ») et humaines (« lutter contre le djihadisme en Syrie c’est stopper en amont l’une des principales sources du flux de de réfugiés ») de conflits dans lesquels ils ont une part de responsabilité non négligeable.

Reste que si l’hypothèse d’une intervention militaire au sol de forces occidentales demeure exclue, il est illusoire de pouvoir stopper à court terme l’hémorragie de réfugiés irako-syriens, grâce à des frappes aériennes censées affaiblir Daech… Celles-ci ne garantissent en rien l’éradication de l’organisation djihadiste. Pis, frapper uniquement Daech, n’est-ce pas renforcer mécaniquement Bachar al-Assad, dont François Hollande a récemment appelé à la « neutralisation »?

De plus, la principale source de la dynamique djihadiste n’est pas d’ordre militaire mais politique: Daech répond à une demande ou du moins comble un vide, car les communautés sunnites se sentent exclues du pouvoir central irakien et syrien « confisqué » par les chiites. Non seulement l’organisation djihadiste a établi un ordre juridique, administratif et politique sur les territoires qu’elle contrôle, mais cette autorité tente d’incarner un « pouvoir sunnite ».

Il faut donc briser les ressorts du « soutien populaire » dont peut se targuer Daech en permettant aux sunnites de réintégrer le système politique en Irak et en Syrie. Cette dernière condition suppose que Bachar al-Assad quitte le pouvoir à Damas. Hypothèse rendue difficile par l’incapacité de prolonger l’effort militaire par l’ouverture d’un front diplomatique basé sur des négociations qui incluent les puissances régionales et internationales parties prenantes, y compris la Russie, l’Iran et les Monarchies du Golfe.

Ainsi, à elle seule, la décision d’extension des frappes aériennes n’ouvre nulle perspective stratégique et politique en vue de sortir la région du chaos dans lequel elle est plongée.

« Crise migratoire » et représentations de la Méditerranée

Mon, 14/09/2015 - 12:24

L’actualité renvoie une image mortifère d’une mer légendaire : la Méditerranée. C’est dans cet espace maritime que se joue en partie la tragédie humaine provoquée par les guerres syrienne, irakienne, etc. Si la crise migratoire transforme la Méditerranée en une sorte de « cimetière maritime », sa vocation historique consiste moins à jouer une fonction de frontière macabre que de relier les peuples de ses diverses rives. En cela, l’actualité a le mérite d’interroger le sens et la place de la Méditerranée dans un monde globalisé, où les frontières sont plus ancrées dans les consciences, les imaginaires et les représentations de chacun que dans la réalité matérielle.

Si l’expression de « mer Méditerranée » ne date que du XVIe siècle, son étymologie – qui vient du latin « mare mediterraneum », qui signifie « la mer au milieu des terres » – souligne d’emblée la centralité de l’espace maritime au sein d’un espace plus vaste. La Méditerranée est cet ensemble constitué d’un « noyau dur maritime », une mer, prolongée de territoires terrestres. Toutefois, la Méditerranée ne se résume pas à sa « physiologie ». La Méditerranée est à la fois une réalité géophysique et le produit d’une construction intellectuelle, d’un système de représentations et de symboles diffusés en particulier par les vagues successives de migrations et autres diasporas. Ainsi, la « Grande bleue »- métaphore en référence à la mer Méditerranée- correspond à la « Mer blanche » pour les Arabes et les Turcs Ottomans…

La Méditerranée a toujours fait l’objet de représentations opposées : celle, « unifiante », d’un ensemble civilisationnel et interdépendant facilitant la circulation des marchandises, des hommes et des idées ; celle, au contraire, dichotomique voire conflictuelle, d’une mer matérialisant une ligne de démarcation entre Nord et Sud, entre Europe et Afrique, entre pays développés et pays en voie de développement, entre mondes chrétien et musulman, etc. L’actualité fait rejaillir ces représentations contradictoiresd’une mer Méditerranée calme, apaisante, théâtre pourtant de tragédies humaines quotidiennes ; un ensemble homogène, mais qui s’inscrit pourtant dans une aire marquée par des fractures et conflits de diverse nature.

La vision unitaire ou unifiée de la Méditerranée s’oppose à la conception d’un ensemble éclaté, fragmenté et contrasté caractérisé par des fractures, des disparités et antagonismes (surtout sur son versant occidental) de diverse nature (historique, démographique, culturelle, politique et socioéconomique). Cette réalité n’infirme pas l’idée d’unicité de la Méditerranée. Certes, il est vrai que la Méditerranée n’est pas un bloc monolithique, ni sur le plan géographique, ni sur celui politique ou économique. La fragmentation de la Méditerranée ne neutralise pas les interdépendances et interactions. Penser la Méditerranée exige de concevoir cet espace comme une interface capable de mettre en relation des Hommes qui le peuplent. Pas plus qu’hier, la Méditerranée ne saurait être aujourd’hui un mur maritime ou terrestre. En dépit des innombrables fractures qui traversent la région, des voies d’échanges continuent d’exister et de se développer. C’est pourquoi, la Méditerranée n’est pas une réalité statique, mais un espace dynamique, en constante évolution.

Il convient de se méfier de la notion d’identité tant celle-ci recouvre des significations variées et des logiques contradictoires. Evoquée dans de nombreux champs sémantiques, l’identité renvoie aussi bien au spécifique qu’à l’identique, au semblable qu’au dissemblable, à la différence qu’à la ressemblance. La notion d’« identité(s) méditerranéenne(s) » consacre cette tension, au sens où elle présume conjointement l’existence d’une identité propre et l’appartenance à une identité commune. Si la Méditerranée fait partie intégrante des identités nationales des Etats riverains, l’identité méditerranéenne commune ne se substitue pas à ces dernières. Posée à l’espace méditerranéen, la question identitaire évoque des représentations contradictoires du monde méditerranéen : l’une invoque le rapprochement, le métissage, le brassage des différences susceptible de dépasser les grandes oppositions et la polarisation persistante d’imaginaires différenciés ; l’autre, la séparation et la fragmentation en blocs antagonistes. Cette dernière vision l’emporte aujourd’hui, entretenue par la force et le succès du discours sur le « choc des civilisations », « dans lequel la Méditerranée serait le théâtre privilégié, le cadre spatial et temporel d’une double construction de « méga-identités » imaginaires : un bloc « occidental » défini comme judéo-chrétien et un bloc arabo-musulman ou « oriental » (G. Corm, 2009). Cette représentation a une portée géopolitique : la montée d’idéologies identitaristes alimente les mécanismes des « tensions identitaires », qui entravent les- modestes- entreprises de rapprochement politco-institutionnel intra-méditerranéen… Cette représentation conflictuelle affecte aussi toute renaissance de la conscience méditerranéenne, qui contribuerait à reconsidérer le regard des Européens sur les réfugiés et autres migrants…

Où va le Liban ?

Sun, 13/09/2015 - 12:18

« Un monde de souffrances » – 3 questions à Bertrand Badie

Tue, 08/09/2015 - 09:45

C’est un recueil d’articles de Bertrand Badie, paru dans La Croix, que publient les éditions Salvator, précédé d’une substantielle introduction inédite. Ces textes sont classés en trois parties : « Le coût de l’ignorance », « La diversité des violences mondiales » et « La pauvreté des solutions ».

Vous estimez que face aux transformations du monde, notre savoir est périmé. Pouvez-vous développer ?

Il ne faut pas oublier que notre science des relations internationales a été pour l’essentiel forgée au fil de la guerre froide, alors que la mondialisation ne faisait que poindre à l’horizon et que le banal rapport de puissance entre les deux blocs semblait résumer à lui seul la vie internationale. Les acteurs politiques qui sont actuellement au pouvoir ont été formés à cette école. Pourtant, avec l’approfondissement de la mondialisation, les choses ont bien changé et on est passé du temps de la puissance à une nouvelle séquence où le facteur humain et social l’emporte désormais. Nos dirigeants n’ont pas vu venir ce nouveau monde : d’où leur désarroi devant des crises comme celles issues de la migration ou des flux de réfugiés. Il importe donc de concevoir une nouvelle science de l’international qui place le social – et la souffrance- en son centre.

La violence identitaire vous parait-elle la plus dangereuse ?

D’un certain point de vue, oui, car rien n’est prévu pour la réguler et même la contenir. En outre, elle véhicule l’affect et l’imaginaire, là où la violence militaire est beaucoup plus maîtrisable et relève davantage des « monstres froids ». Mais j’ajouterai une idée supplémentaire : la violence identitaire devient de plus en plus le langage du désespoir, de la contestation face aux puissances avec lesquelles on ne peut plus rivaliser, l’arme du faible : elle est donc totale et non plus instrumentale, et irréductible à la négociation.

La diplomatie vous parait-elle en panne ?

Elle l’a été très longtemps, au moins depuis 1989 et la fin de la bipolarité, lorsque les puissances occidentales ont considéré que, n’ayant plus de rivaux à leur hauteur, elles pouvaient substituer la force et la punition à la négociation…On excluait, on sanctionnait, on refusait de parler : bref, tout ce que la diplomatie réprouve. On dévoyait même celle-ci pour en faire un instrument de pénétration économique, ce qui ne relève pas de ses compétences…Avec la négociation réussie sur le nucléaire iranien, il semble qu’on soit quelque peu retourné vers la diplomatie, ce qui est salutaire et à mettre au crédit de la clairvoyance de Barack Obama.

Nouvelles élections sur fond de scandale de corruption au Guatemala

Tue, 08/09/2015 - 09:18

Qu’est-ce que la démission et l’arrestation (le 3 septembre) de l’ancien président guatémaltèque Otto Pérez Molina signifient de l’atmosphère politique et juridique du pays ?
Le Guatemala a toujours été un pays à la fois marqué par les scandales liés à l’impunité face aux crimes – des forces armées et de la police principalement – et aussi face à la corruption politique. En 2006, un accord a été trouvé avec l’ONU en vue de créer une commission juridique particulière – Commission internationale contre l’Impunité au Guatemala (CIGIG) – qui assiste les autorités en vue d’aider à mettre fin à cette situation.
La population reste sceptique sur le changement des mœurs politiques du pays et l’exprima via des manifestations de rue, mais le travail effectué par cette commission de l’ONU a permis à la population de soutenir cet effort, ainsi qu’à la justice de faire son travail. Par conséquent, le président de la république, à trois jours de l’élection présidentielle, a été démis de ses fonctions par le parlement, mis en examen et incarcéré. C’est une situation tout à fait inédite au Guatemala et en Amérique latine mais qui ne préjuge en rien l’évolution même du pays.

Quels étaient les enjeux des nouvelles élections présidentielles et législatives organisées ce dimanche 6 septembre ? Comment expliquer l’arrivée en tête de Jimmy Morales (parti du Front de Convergence nationale) ?
C’est le paradoxe de la situation : d’un côté un évènement ébranle le système institutionnel, entrainant une exigence de réforme mais d’un autre il y a une élection présidentielle qui se déroule comme si le pays vivait dans une parfaite normalité. Les candidats étaient déconnectés de ce qui s’était passé durant ces dernières semaines au Guatemala à tel point que beaucoup d’électeurs ne souhaitaient pas voter considérant que cela ne valait pas la peine et que ces élections n’avaient aucun rapport avec la situation actuelle.
Si l’on s’intéresse aux résultats, le candidat arrivé en tête est un candidat traditionnel de droite, en dépit de son profil particulier d’animateur de télévision, d’humoriste, avec également un profil religieux qui est un critère important au Guatemala. Son rival est un homme d’affaires qui est dans une situation personnelle très contestée, dénoncé pour avoir financé sa campagne électorale de façon très opaque et ayant dépassé les plafonds de dépenses autorisés. La troisième candidate est la femme d’un ancien président de la république qui, en 2011, avait essayé de se présenter (alors que la loi ne le permettait pas) en divorçant de son époux pour des raisons de convenance électorale, sans succès.
Il y a une offre électorale et politique présentée aux électeurs qui n’a aucun rapport avec les enjeux et les conséquences des décisions de justice de la semaine dernière.

Quelles sont les perspectives de changement à travers ce nouveau vote ? Le Guatemala peut-il profondément réformer ses institutions et mettre fin à la corruption de l’oligarchie économique et politique du pays ?
Il est difficile de répondre à cette question. Il y a effectivement aujourd’hui une exigence de réforme qui est posée par les tribunaux, secondés par des ONG et une partie de la population. Certaines institutions politiques sont tout à fait en marge de ces exigences et il va falloir trancher. Le président par intérim jusqu’au mois de janvier est considéré comme un homme de justice, et a signalé avoir entendu le message mais il n’occupe qu’une fonction temporaire. Quel que soit le candidat élu, il faudra voir si celui-ci aura la capacité politique et la volonté de procéder à des réformes qui correspondent à l’attente des guatémaltèques.

Enrayer l’expansion de Daech en Libye ?

Mon, 07/09/2015 - 12:11

La situation politique en Libye est confuse, complexe et meurtrière. L’implantation du groupe terroriste l’Etat islamique (été 2014), a accéléré le processus de déliquescence du pays. Sans compromis politique entre les différents protagonistes de la guerre civile, pour combattre Daech, il n’y aura pas de stabilisation, ni de retour à l’ordre institutionnel.

Retour à la légitimité

Depuis les élections de juin 2014, il existe deux parlements et deux gouvernements. L’ancienne majorité islamiste a refusé de se retirer pour laisser gouverner des formations d’obédience politique différente, et a prolongé le mandat de l’ancien parlement. Un gouvernement composé d’islamistes et différents groupes s’est ensuite installé à Tripoli. Les vainqueurs du scrutin de l’été dernier, seuls reconnus par la communauté internationale, se sont repliés à Tobrouk. Il existe également une assemblée constituante, élue au mois de février 2014.
Sur le terrain, le rapport de force est très favorable aux milices : au cours des deux dernières années, elles se sont regroupées en plusieurs formations pour constituer un pôle militaire en dehors du parapluie institutionnel mais elles sont aussi éclatées en une multiplicité de brigades. Les plus radicaux ont opéré une jonction et établi des liens avec certains groupes qui agissent au Proche-Orient ; ce déploiement transfrontalier signifie une volonté d’affirmer des intérêts communs et une vision déstabilisatrice de toute la région Maghreb/Machrek.

Déstabilisation de la région

La guerre civile représente un risque majeur de déstabilisation pour toute la région, qu’il s’agisse de la progression de Daech, de la circulation massive d’armes, du contrôle – déjà en cours – total ou partiel par des groupes extrémistes de la production pétrolière, sans oublier les conséquences sur les populations déplacées qui fuient les combats. Dans un tel contexte, les aspects internationaux prennent une dimension de premier plan et, à l’instar de ce qui se passe en Syrie et en Irak, on retrouve les mêmes clivages et la même tentation d’intervenir sur le terrain de la part de certains pays occidentaux ou arabes. C’est le cas de l’Égypte qui a déjà procédé à des frappes aériennes sur des positions de Daech. Pour éviter d’être entraîné dans cette guerre, l’Egypte développe une importante coopération dans les domaines militaires et du renseignement avec les autorités de Tobrouk et le Caire. De leur côté, la France et l’Italie, inquiètes des conséquences sur les pays riverains et de l’afflux de réfugiés s’interrogent encore sur une éventuelle opération militaire, sans qu’aucune décision ne soit définitivement arrêtée. Certains pays comme l’Algérie tentent d’écarter cette hypothèse craignant l’effet domino sur sa propre sécurité.

Des voisins inquiets

L’Algérie a adopté une double approche. D’une part, en tant que médiatrice entre les parties en conflit : elle affiche un soutien au dialogue et un refus des ingérences étrangères, conformément à ses principes traditionnels, ce qui l’amène à s’opposer aux opérations militaires du Caire. D’autre part, elle a aussi ses préférences et des intérêts à défendre. La coopération dans les domaines militaires et du renseignement s’est développée entre Tobrouk et Alger et la présence des forces spéciales algériennes sur le terrain lui permet de rester informée sur les évolutions des rapports de force. Sur le plan diplomatique, l’Algérie n’est pas disposée à se laisser déposséder de l’initiative dans le règlement de cette crise. Les Américains partagent l’approche de l’Algérie, et ne s’engageront pas davantage… La doctrine de Barack Obama du désengagement militaire ne changera pas d’ici à la fin de son mandat. La Maison-Blanche laisse à l’ONU la gestion de ce dossier pour parvenir à un accord.

Autre pays inquiet de l’implantation de Daech au Maghreb, le Maroc, qui mène régulièrement des opérations de démantèlement de cellules terroristes sur son territoire, a lui aussi abrité, en collaboration avec les Nations unies, plusieurs rounds de négociations entre les représentants des deux gouvernements dans la station balnéaire de Skhirat, près de Rabat, sous la direction de Bernardino Leon, envoyé spécial de l’ONU pour la Libye.

La Tunisie, pour sa part, a déjà payé un lourd tribut à l’instabilité libyenne, son économie et le fragile processus de démocratisation s’en ressentent. Toutefois, il est peu probable qu’il soit en remis en cause par l’actuel président de la République. Quoi qu’il en soit sans un retour à une paix négociée, la menace de déstabilisation pourrait devenir chronique dans toute la région.

Compromis politique

Le processus confié aux Nations unies se déploie selon deux axes : rétablissement du dialogue, et menace d’actions répressives vis-à-vis des acteurs libyens qui recourent à la violence.

Les pays du 5+5, réunis à Madrid le 19 septembre 2014 pour une conférence spécialement consacrée à la Libye ont apporté leur appui à cette démarche qui, pour l’heure, n’a pas permis de parvenir à un accord final, même si l’on en a été tout près en juillet 2015.

Malgré l’implication de Ban Ki Moon, Secrétaire général de l’ONU, venu à Tripoli, en octobre 2014, pour tenter de faire accélérer les négociations, rien n’y fait. Les milices contrôlent les villes, les aéroports et les bâtiments administratifs.
La démarche peut-elle réussir ? A très court terme, peu de chance. A moyen terme, il faudrait parvenir à réengager un dialogue direct entre les deux gouvernements rivaux pour que le processus ait une petite chance d’aboutir. Pour que la situation puisse se rétablir, l’implication dans une action concertée des pays de la région est indispensable. Par ailleurs, les divergences entre les acteurs ne sont pas si grandes. C’est l’implantation de Daech qui vient perturber le jeu politique libyen, en y ajoutant une dimension internationale qui n’était pas la préoccupation des acteurs locaux.

[à venir] Dérèglements climatiques et crises humanitaires : comprendre et agir

Sun, 06/09/2015 - 10:14

Suivez en direct Mercredi 9 septembre 2015 de 9h à 13h la conférence internationale « Dérèglements climatiques et crises humanitaires : comprendre et agir ».

Posez vos questions en direct sur Twitter avec #ClimatEtCrises

Organisée par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, en partenariat avec l’IRIS, Action Contre la Faim et CARE France, cette conférence internationale sera l’occasion d’aborder les liens entre dérèglements climatiques et crises humanitaires. Témoins et experts aborderont les impacts humanitaires des dérèglements climatiques autour de trois thèmes : conflits, migrations et vulnérabilités.

En fin de matinée, une lettre ouverte, rédigée conjointement par les ONG humanitaires françaises et internationales et adressée aux États parties de la COP21, sera officiellement remise par les ONG à M. Laurent Fabius. Cette lettre appellera les États à prendre des engagements forts et ambitieux en matière de lutte contre les dérèglements climatiques afin de prévenir l’aggravation des crises humanitaires.

DÉROULÉ DE LA MATINÉE :

9h-9h05 : Discours inaugural prononcé par M. Patrice Paolidirecteur du Centre de crise et de soutien du ministère des Affaires étrangères et du Développement international 

9h05-9h15 : Intervention de Mme Laurence Tubiana, Ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique

Conférence animée par Mme Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI

9h15-10h15 : Témoignages 

« Dérèglements climatiques, générateurs de conflits »

Mme Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l’Association des Femmes Peules Autochtones du Tchad (AFPAT) reviendra sur l’impact de la modification des écosystèmes du lac Tchad sur les rapports entre les communautés locales

« Dérèglements climatiques, générateurs de migrations »

Mme Runa Khan, présidente de l’ONG Friendship (Bangladesh) détaillera les conséquences de la montée des eaux au Bangladesh

« Dérèglements climatiques, générateurs de vulnérabilités »

Mme Elizabeth Peredo, directrice générale de la Fondation Solón et coordinatrice de l’observatoire bolivien du changement climatique s’exprimera sur les impacts des dérèglements climatiques sur les vulnérabilités du peuple bolivien

10h15-11H00 : Eclairages extérieurs

Approche globale des impacts des dérèglements climatiques et des enjeux autour de l’eau

Intervenante: Mme Monique Barbut, directrice exécutive de l’UNCCD (United Nations Convention to Combat Desertification)

L’innovation humanitaire au service de la lutte contre le changement climatique et de l’optimisation de la réponse humanitaire

Intervenant : Dominique Burgeon, directeur de la division des urgences et de la réhabilitation de la FAO

11H00-11h30 : Questions réponses avec la salle

11h30-12h : Pause

12h-12h10 : Synthèse des sessions du matin en présence de M. Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement international

par M. Pascal BONIFACE, directeur de l’Institut de Relations internationales et Stratégiques (IRIS)

12h10-12h20 : Présentation de la lettre ouverte aux Etats-parties de la COP21

par Mme Stéphanie RIVOAL, présidente d’Action Contre la Faim

12H20-12h35 : Signature officielle de la lettre et remise à M. LAURENT FABIUS

Intervention du Ministre

Grande parade militaire en Chine : le choix de la modernité

Fri, 04/09/2015 - 17:14

La République populaire de Chine a largement mis en avant ses troupes et ses matériels durant la grande parade militaire du 3 septembre. Que doit-on penser de cette démonstration de force chinoise ?
Ce qu’il faut retenir de cette parade fortement médiatisée, que ce soit en Chine ou dans le reste du monde, c’est la réelle volonté de la part de Pékin d’effectuer une démonstration de ses capacités. Véritable déploiement de force, il s’agissait d’une parade importante, montrant quasiment toutes les capacités de la Chine d’aujourd’hui. Il semblerait que la Chine cherche surtout à montrer dans quelle mesure son armée est désormais une armée moderne. Pendant longtemps, l’Armée populaire de libération (APL) a couru après les grandes puissances – ainsi que les autres puissances asiatiques – et a pêché par ses capacités techniques, un matériel vieillissant et par une incapacité à s’affirmer comme un acteur majeur – notamment après la déroute de l’opération contre le Vietnam en 1979, déclencheur de cette décision de moderniser les forces armées. Aujourd’hui, la Chine semble capable de rivaliser avec les autres puissances asiatiques, voire peut-être à terme avec les forces américaines stationnées dans la région.
Faut-il y voir nécessairement une volonté d’affirmation hégémonique de la Chine dans la région ? Ceci est tout à fait discutable. En revanche, il est certain que Pékin s’affirme comme une puissance militaire moderne.

Alors que Xi Jingping a insisté hier sur le « développement pacifique » de la Chine et annoncé la réduction des effectifs militaires de 300 000 hommes, peut-on dire que la grand strategy de la Chine est compatible avec les principes de résolution pacifique des différends et de la non-interférence dans les affaires internes d’un pays étranger ? Quid de la situation avec Taïwan ?
Xi Jingping a surpris l’ensemble des audiences en annonçant cette réduction des forces armées chinoises, ce qui est considérable. Il ne faut pas nécessairement y voir une volonté d’apaiser les tensions mais plutôt le signe d’une transformation en profondeur de l’APL chinoise. L’objectif est de montrer qu’aujourd’hui ce n’est plus le nombre qui fait la force de la Chine mais plutôt ses capacités techniques et de projections sur les théâtres extérieurs – notamment le déploiement des capacités navales qui se sont considérablement renforcées au cours des dernières années. Il s’agit là d’un geste moins diplomatique que stratégique qui consiste à marquer la fin d’une époque et d’une armée dotée d’un nombre considérable d’hommes ne sachant pas se battre, sans équipement et qui ne permettent pas d’ériger une grande armée.
En revanche, le contexte est tout à fait particulier au niveau sécuritaire dans la région : les tensions avec le Japon sont importantes – notamment autour des îles Senkaku/Diaoyu –, il y a aussi la question taïwanaise qui est omniprésente dans les réflexions sur les développements militaires de la Chine – il va y avoir une élection présidentielle à Taïwan en janvier prochain avec la probabilité d’une élection de Tsai Ing-wen (candidate du Democratic Progressive Party). On peut donc s’attendre à une période de détérioration de la relation entre Taïwan et la Chine ; la question des forces armées chinoises se trouve à nouveau posée sur ce différend non résolu.
Plus globalement, il semblerait que cette annonce de Xi Jingping confirme l’idée précédemment évoquée, à savoir que la Chine s’affirme désormais comme disposant d’une armée moderne et non plus comme un gigantesque amas de soldats qui n’a pas la capacité de se battre.

Concernant les différentes revendications de Pékin sur la mer de Chine méridionale, la question des ressources disponibles dans cette région est-elle plus déterminante que l’affirmation du principe de souveraineté nationale ? Quel est le jeu de la Chine dans cette zone ?
Il y a une troisième raison venant s’ajouter aux deux autres pour expliquer les insistances chinoises dans la zone : l’accès aux espaces maritimes internationaux. La Chine a un véritable problème d’encerclement et un problème d’accès aux eaux internationales. On retrouve cette problématique à la fois dans les différends avec le Japon sur les îles Senkaku/Diaoyu, dans le différend avec Taïwan et dans ses différends en mer de Chine du Sud, dans laquelle la Chine semble adopter une stratégie inspirée d’Alfred Mahan – le Sea Power – consistant à sécuriser les voies d’accès de la Chine à des fins stratégiques mais surtout commerciales.
Autour des îles Paracels et Spratleys, la question des hydrocarbures est importante et alimente les tensions entre Pékin et ses voisins. Il y a aussi la question de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale que l’on va retrouver dans une rhétorique nationaliste de la part de Pékin mais de manière semblable dans d’autres pays comme le Vietnam, les Philippines ou même Taïwan. Il n’y a pas de spécificité chinoise sur ces deux premiers aspects. En revanche, ces territoires permettraient à la Chine d’obtenir un accès facilité à la zone des détroits autour de Singapour, Malacca et de l’Indonésie, qui serait le moyen de s’affirmer, non pas comme la puissance dominante, mais comme celle qui contrôle les voies d’accès dans la région. Ce qui est tout à fait important compte tenu du volume considérable des échanges commerciaux dans cette zone.
Encore une fois, il ne faut pas simplement voir dans les prétentions chinoises une forme de gesticulation nationaliste ou une course au contrôle des hydrocarbures qui restent relativement accessoires. Ce qui importe véritablement pour Pékin, ce sont les voies d’accès aux eaux internationales.

Défense japonaise : toujours plus de moyens

Fri, 04/09/2015 - 10:08

Le Japon, sous la direction du Premier ministre conservateur Shinzo Abe, s’éloigne de plus en plus de sa traditionnelle posture pacifiste et s’affirme comme une puissance militaire régionale de premier plan.

En témoignent deux faits récents significatifs d’une évolution initiée depuis que Shinzo Abe a pris les rênes du pays en décembre 2012.

Le 27 août, les forces d’autodéfense maritimes (FAD), c’est-à-dire la marine de guerre nippone, ont lancé un nouveau porte-hélicoptères géant de la classe Izumo, le Kaga. Le navire de 24 000 tonnes et 248 mètres de long, a été dévoilé au chantier naval de Japan Marine United à Yokohama.

Quatre jours plus tard, lundi 31 août, le ministère de la défense japonais a déposé pour la quatrième année de suite une demande de budget – record – pour l’exercice d’avril 2016 à mars 2017. Le ministère souhaite une enveloppe initiale de 5 090 milliards de yens (près de 38 milliards d’euros ou 42 milliards de dollars), soit une hausse de 2,2 % sur un an.

En quoi ces évolutions sont-elles significatives ? Et à quelles menaces répondent-elles ?

Ces développements s’inscrivent dans la continuité de la politique de défense, renforcée depuis près de trois ans par le pouvoir japonais.

Le nouveau porte-hélicoptères sort deux ans après son aîné, l’Izumo, lancé en août 2013 et mis en service en mars de cette année. Il va ainsi former une flotte de quatre porte-hélicoptères, moyens puissants au service des ambitions maritimes nationales.

Quant au budget de la défense du Japon, il avait déjà progressé de 2 % pour 2015-2016, confirmant l’orientation de la politique de « pacifisme proactif » du Premier ministre. Il y a deux ans, M. Abe avait décidé d’augmenter de 5 % les dépenses militaires pour la période 2014-2019, soit une enveloppe totale de 24 700 milliards de yens (180 milliards d’euros). Son arrivée au pouvoir avait mis fin à une décennie de baisse du budget de la défense, alors même que l’économie nippone est dans une situation incertaine et encore fragile.

Menaces chinoise et nord-coréenne

L’introduction d’un nouveau navire et la volonté d’un budget plus élevé doivent répondre aux menaces combinées de la République populaire de Chine et de celle de la Corée du Nord, qui sont clairement identifiées dans le dernier Livre Blanc de la défense japonaise paru fin juillet, qui pointe notamment la menace de la marine chinoise et de la politique de Pékin qui vise à changer le statu quo, notamment en mer de Chine.

Le ministère de la Défense nippon veut notamment s’équiper de 17 hélicoptères de patrouille SH-60K, de trois drones « Global Hawks » et de 12 avions/hélicoptères V22 « Osprey » (« balbuzard pêcheur »). Ces matériels sophistiqués doivent permettre pour les deux premiers de surveiller les déplacements des forces navales chinoises, alors que Pékin maintient ses revendications sur les îles Senkaku, en mer de Chine orientale, administrées par le Japon, mais que les Chinois appellent Diaoyu. Les 12 avions/hélicoptères « Osprey » peuvent, eux, servir à déployer rapidement des troupes, notamment au cas où des forces ennemies menaceraient ou débarqueraient sur des îles du Sud-Ouest de l’Archipel nippon.
S’agissant de la menace nord-coréenne, qui est essentiellement celle de missiles balistiques appuyant un programme nucléaire militaire, dont Pyongyang poursuit un programme de développement accéléré, les drones « Global hawks » ayant une forte autonomie – ils peuvent rester en l’air plus de 36 heures – et un long rayon d’action à très haute altitude, serviront à surveiller les bases de lancement nord-coréennes notamment.

Quant au porte-hélicoptères Kaga, doté de 14 hélicoptères (7 Mitsubishi SH-60k et 7 Agusta Westland MCM-101) dédiés notamment à la lutte contre les mines et les sous-marins, il peut, comme son aîné, servir à contrer la menace sous-marine chinoise, alors que Pékin développe de façon accélérée cette facette de sa marine de guerre.

Ces évolutions apparaissent donc dans une continuité logique d’une politique de défense conduite dans un environnement menaçant. Elles doivent donner des moyens supplémentaire à l’ancien empire du Soleil levant au moment même où la Diète (le parlement nippon) devrait adopter de nouvelles lois pour faire évoluer la législation du pays qui régit les forces armées en leur donnant plus de latitude pour venir en aide aux alliés et pour participer à des opérations internationales autorisées par les Nations unies.

Pomp and circumstance in Beijing: The Chinese military flexes its muscles

Thu, 03/09/2015 - 11:34

About 12,000 troops will parade through Tiananmen Square in Beijing tomorrow to celebrate the 70th anniversary of Japan’s surrender to the allies in World War II. China’s leadership is ostensibly using the anniversary as an opportunity, to use the Chinese phrasing, to celebrate “victory in the World Anti-fascist War and the Chinese people’s War of Resistance against Japanese Aggression.”

But really, the purpose is to display its modernized weaponry ahead of several key international visits by President Xi Jinping. For Western leaders, the parade has proven a diplomatic nightmare: The Chinese have pressured them to attend, but they realize that the event is aimed at celebrating the country’s new international assertiveness (and perhaps to sideline a rather bloody summer on the Chinese stock markets).

It’s the present, stupid

Sixty-six years after the end of the war, the world has been learning how to deal with a new China—now a powerful country with a strong economy and an increasingly well-equipped military. China’s defense budget has seen a double-digit increase for the past 25 years, and the country now has J-15 fighter jets, Z-19 attack helicopters, and a truck-mounted version of the DF-41 intercontinental missile. There is little doubt the parade will be impressive both in precision and display.

In spite of how the Chinese leadership spins it, the parade is not just about history—it’s also about the present and the future. China is using it as a moment to show off its strengths and assert a stronger role in the Asia-Pacific region (as tensions in the South China Sea remain high), if not the world.

The red carpet

One interesting sight will be the VIP box: Which heads of state will actually attend? Confirmed leaders include Russian President Vladimir Putin (who himself hosted Xi Jinping last May for a huge victory parade in Moscow); South African President Jacob Zuma; Venezuelan President Nicolas Maduro; Sudanese President Omar Hassan al-Bashir (who has an international arrest warrant against him); and—somewhat unexpectedly considering World War II sensitivities in the region—South Korean President Park Geun-hye. Park will attend ceremonies, but not the parade. North Korean leader Kim Jong Un will not be present, nor will Japanese Prime Minister Shinzo Abe.

Fellow leading industrial nations countries don’t want to put Japan in a bind, but no one is willing to offend China. Hence, state leaders have responded to the standing Chinese invitation with an array of contortions. In the end, no Western leader will attend: President Barack Obama—who will be hosting Xi Jinping in the United States in a few weeks—will be represented by U.S. Ambassador to China Max Baucus. Unlike for the launch of the Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) earlier this year, Washington didn’t pressure other Western leaders to avoid Beijing. This wasn’t necessary, as those governments all had their own reasons for staying away. Even the German president—a largely ceremonial figure—has declined. So has his French counterpart François Hollande, who will travel to China in October to discuss climate issues; French Foreign Minister Laurent Fabius will attend instead. Italy will also be represented by its foreign minister. As for the United Kingdom, Prime Minister David Cameron chose to wait for the Chinese state visit to London in October to meet Xi in person. Britain is represented by a former Conservative cabinet minister, Kenneth Clarke. Even more surprising is the list of retired statesmen: former German Chancellor Gerhard Schroeder, who is known to have engaged with Russia’s Putin after leaving office in 2005, will be in there, like his friend and former U.K. counterpart Tony Blair.

Enough troubles

The U.S.-China relationship is already complicated enough and needs no further upsets. While China flexes its muscles with a parade, America is in the middle of a presidential campaign during which candidates—such as Republican Wisconsin Governor Scott Walker, who recently called on President Obama to cancel Xi’s visit—are openly criticizing China. For his part, Donald Trump claimed that “China would be in trouble” should he become president, adding: “The poor Chinese.” Although these kinds of comments cannot be taken too seriously, they will require even more diplomatic skills on the part of the current administration, and its successor, to fully restore fully the U.S.-China dialogue.

In these circumstances, it is no surprise that Washington has shown little interest in attending the Beijing events. Nor does the Obama administration want to be part of a demonstration of assertiveness weeks before a state visit to Washington by President Xi. History tells us that U.S.-China relations are going to get even more interesting than a parade.

 

 Article originally published in the Brookings Institute website.

Traité international sur le commerce des armes : un nouveau modèle de régulation ?

Thu, 03/09/2015 - 09:47

Benoît Muracciole, président de ASER, qui a participé à la Conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes (TCA), à Cancún, répond à nos questions :
– La position commune de l’Union européenne en 2008 sur les exportations d’armes des pays membres prévoyait déjà des restrictions d’exportations. En quoi le TCA peut-il devenir un nouveau modèle de régulation sur le commerce des armes ?
– Le secrétariat du TCA et son président siégeront à Genève. Concernant la mise en application effective, où en est-on ? Quelles sont les perspectives d’une signature des Etats-Unis et quid de la ratification de la Russie, de la Chine et de l’Inde ?
– Plusieurs ONG insistent sur l’application des mesures et leur véritable transparence concernant le commerce d’armes conventionnelles. Les Etats sont-ils prêts à communiquer publiquement l’ensemble des informations concernant leurs ventes d’armes ?

Révolte populaire à Beyrouth : le meilleur et le pire, espoirs de changement et risques de dérive

Wed, 02/09/2015 - 16:20

Les manifestations qui secouent la capitale libanaise, initialement motivées par la crise des ordures, semblent dégénérer et l’on ne sait plus vraiment quelles sont les revendications des organisateurs et quels sont les objectifs ultimes. Que vous inspire ce mouvement social ?
La situation est en effet extrêmement confuse et inspire des sentiments mitigés. C’est typiquement l’une de ces situations où les émotions et la raison ne se retrouvent pas forcément sur la même longueur d’onde. Ce mouvement incarne à la fois le meilleur et le pire de ce que le Liban peut offrir. Il porte de grands espoirs et d’immenses risques.
Ce qu’il y a d’intéressant, c’est la mobilisation, que l’on n’a pas vu depuis fort longtemps, de vastes franges jusque-là marginalisées de la société libanaise, issues de tous les communautés religieuses et de tous les milieux sociaux, autour de slogans économiques et sociaux, infiniment légitimes, loin des atavismes et des réactions pavloviennes, loin des traditionnelles manifestations communautaires, partisanes ou identitaires.
A l’heure où le Liban est profondément polarisé politiquement et idéologiquement, qu’il est l’un des champs de bataille où se joue la guerre par procuration irano-saoudienne, des dizaines de milliers de Libanais se sont spontanément mobilisés, non pas pour répondre à l’appel de leurs leaders communautaires, mais pour réclamer la dignité, pour protester contre la corruption endémique, l’incurie et l’incompétence de la classe politique.
La crise des ordures a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et l’on a assisté à une agrégation rapide de tous les mécontentements, à un effet boule de neige qui a permis la réussite de la grande manifestation, largement pacifique, de la place Riyad El Solh. Ce succès a fait paniquer la classe politique et tous les leaderships traditionnels qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. Embarrassés, ces derniers tentent tantôt maladroitement de récupérer ce mouvement, et tantôt l’accusent de conduire le pays vers l’inconnu.
Le fait d’avoir commencé à briser le carcan d’impuissance et d’avoir transcendé les clivages stériles est l’un des acquis considérables de ce mouvement. Autre point positif, la focalisation sur des questions économiques et sociales concrètes, qui touchent à la vie quotidienne des citoyens, plutôt que sur les métadiscours liés à l’identité ou au contexte régional, sur lequel les Libanais n’ont que peu d’influence.
Mais le véritable problème réside dans l’absence de perspectives claires qui permettraient de transformer l’initiative et d’aboutir au changement politique escompté. Au-delà de son côté initialement bon enfant, le mouvement de protestation peine à sortir de l’amateurisme, les risques de récupération et de dérapages sont énormes, les slogans fluctuent de jour en jour, les organisateurs sont assez peu connus et leurs objectifs ne sont pas vraiment clairs. En outre, il serait illusoire de penser que le « système » pourrait être affaibli et se remettre en cause aussi facilement. Ce système a encore de la ressource, les leaders communautaires continuent de tenir leurs troupes, ils ne se laisseront pas renverser et il y a fort à craindre que cette révolution balbutiante se fera rapidement étouffer, confisquer ou kidnapper comme tant d’autres mouvements de ce type. Chacune des mouvances politiques libanaises a des arrière-pensées et s’efforcera de tuer dans l’œuf toutes les velléités de réformes.
Par ailleurs, certains slogans soulevés par les manifestants sont tellement vastes qu’ils en viennent à manquer leurs cibles. Dire que toute la classe politique est corrompue peut sembler juste et légitime, mais si l’on cible tout le monde, on dilue tellement la responsabilité qu’on rend l’accusation insignifiante. Si tout le monde est corrompu, plus personne ne l’est vraiment… Les réformes ne peuvent naître que de revendications précises, claires, étudiées et ciblées. Quand elles sont trop vagues, les grandes imprécations permettent de servir d’exutoire à la colère populaire mais ne font que noyer le poisson et font le jeu du conservatisme et du « système », qui joue sur la peur du chaos.
Le Liban compte énormément de conservateurs frileux, communautaristes et chauvins, une droite dure rétive à toute réforme, et il compte aussi un nombre non négligeable de révolutionnaires exaltés voulant mettre à bas tout le système, une gauche radicale d’inspiration anarchiste, parfois sympathique mais très brouillonne et souvent contreproductive. Face à ces deux mouvances, ce qui manque au Liban, ce sont des réformateurs raisonnés, libéraux, sociaux-démocrates ou progressistes, qui ont les compétences techniques nécessaires et qui pourraient faire évoluer le système et le démocratiser sans jeter le bébé avec l’eau du bain. Ceux qui sont dans cet état d’esprit se font soit éjecter violemment par le système, soit récupérer et corrompre par l’un des deux grands axes régionaux.
John Kennedy disait fort justement que « ceux qui rendent impossible la révolution pacifique rendront inévitable la révolution violente. » Les manifestations récentes illustrent parfaitement ce blocage libanais : c’est un pays où les réformes, même modestes, sont systématiquement torpillées par le pouvoir, et comme la révolution est impossible, elle prend tous les trente ans la forme d’une déferlante de violence.
Les slogans de ces derniers jours oscillaient entre des demandes révolutionnaires et des revendications réformistes. Heureusement, à côté des slogans du type « tous pourris », et « mettons à bas tout le système en faisant tabula rasa », sont apparues des revendications plus constructives et plus réfléchies. Des revendications appelant à l’adoption d’une loi électorale équitable qui permettrait le renouvellement des élites, à la sortie de la confusion permanente entre le spirituel et le temporel, à la mise en place de mécanismes pour imposer l’accountability, pour les droits des femmes, pour assurer la transparence dans la gestion des appels d’offre, pour mettre fin aux monopoles qui étouffent l’économie libanaise, et des appels à une refondation du système sur des bases plus saines… A commencer bien sûr par la nécessaire élection d’un président de la République.

En effet, le Liban est privé de président de la République depuis plus d’un an. Quelles en sont les raison et y-a-t-il une issue à cette crise institutionnelle ?
Depuis l’expiration du mandat de Michel Sleiman, les députés libanais se sont déjà réunis 27 fois pour tenter d’élire un président et à chacun de ces 27 rounds, le quorum requis n’a pas été atteint. Soit dit en passant, nous sommes encore loin du record mondial, qui est détenu par la Turquie. En 1980, à l’expiration du mandat du président Fahri Korutürk, les députés turcs ont tenu pas moins de 115 séances pour tenter d’élire l’un des deux généraux en retraite qui étaient candidats à la présidence, mais aucun des deux n’a jamais obtenu les deux tiers des voix nécessaires. Après la 115ème séance, cela s’est terminé par l’interruption du processus électoral et par un coup d’Etat mené par un troisième général, le fameux coup d’Etat du général Kenan Evren.
Au Liban, on commence à entendre des voix réclamer un scénario à l’égyptienne et qui souhaitent voir l’armée prendre le pouvoir. Mais dans un pays comme le Liban encore plus qu’ailleurs, cette idée ne peut-être que stérile et dangereuse. Le Liban n’a pas besoin d’un régime militaire, d’un « homme providentiel » ou d’un « sauveur », il a besoin d’un Etat impartial et d’institutions solides. Tout le reste n’est que chimères. Le drame vient du fait que le Liban n’a jamais accédé à une authentique souveraineté. Son Etat, faible et impotent, son système de partage des dépouilles et le phénomène de clientélisation des communautés font qu’il demeure entièrement dépendant du jeu des puissances régionales, qui exploitent les angoisses existentielles des communautés libanaises. Le déblocage de la crise présidentielle ne pourra venir que d’une détente irano-saoudienne ou du moins d’une décision internationale de mettre le Liban temporairement à l’écart de ce grand affrontement qui se joue aujourd’hui en Syrie, en Irak et au Yémen.

En l’absence de déblocage régional, et compte tenu des tensions dans les rues de Beyrouth, quels sont les principaux risques de dérive ?
Ils sont nombreux car ces manifestations interviennent dans un contexte où toutes les institutions sont sclérosées ou bloquées. Il n’y a pas de président de la République, le parlement s’est autoprorogé dans des conditions très douteuses, le conseil constitutionnel est paralysé, le conseil économique et social est aux abonnés absents, l’armée libanaise est en situation de surextension et doit lutter simultanément sur plusieurs fronts, le gouvernement est une auberge espagnole dans laquelle toutes les factions sont représentées, se partagent le fromage et se neutralisent mutuellement…. Si le gouvernement devait chuter, aucun mécanisme institutionnel ne prévoit ce qu’il adviendrait.
Chacun des deux camps soupçonne l’autre de manipuler la révolte citoyenne. La confusion règne. Le ministre de l’Intérieur, proche de l’Arabie saoudite, a accusé le Qatar de soutenir les manifestants. Des proches du Hezbollah ont insinué que certains des organisateurs étaient proches des Etats-Unis. Le général Aoun les a carrément accusé de lui avoir « volé ses slogans ». Le mouvement du 14 mars craint quant à lui que le Hezbollah ne profite du désordre ambiant pour emmener le pays vers une nouvelle assemblée constituante qui sortirait des accords de Taëf et chercherait à renégocier les quotas communautaires.
A ce stade, les manifestants ont intelligemment rejeté toute récupération et ont refusé toute participation des responsables politiques à leurs mouvements. Les seuls hommes politiques qui trouvent grâce aux yeux de la jeunesse en colère sont Ziyad Baroud et Charbel Nahas, deux anciens ministres réformateurs qui ont incarné, chacun à sa manière, une nouvelle façon de faire de la politique, en rupture avec l’esprit milicien, le féodalisme, le clientélisme et l’affairisme ambiants.
Mais la société civile elle-même est profondément divisée. Il ne faut pas céder à la tentation de voir dans la société civile libanaise un chevalier blanc sans peur et sans reproche qui ferait face à une classe politique corrompue. Cette société civile est à l’image de la société libanaise, avec beaucoup de qualités, une résilience remarquable, mais aussi beaucoup de défauts, beaucoup de contradictions et beaucoup de frustrations. Si cette colère populaire est intelligemment canalisée, si elle parvient à se doter d’une feuille de route qui soit à la fois ambitieuse et réaliste, si elle trouve un leadership moins brouillon et plus professionnel, ce mouvement pourrait être la première pierre sur le chemin d’un Liban nouveau. Si, par contre, les manipulations, les récupérations, le venin du confessionnalisme, les mesquineries et petitesses prennent le dessus, ce qui est le plus probable, le Liban paiera encore une fois le prix fort.

Conflit ukrainien : une sortie de crise est-elle possible ?

Tue, 01/09/2015 - 15:38

Les dirigeants russes, allemands et français se sont entendus pour obtenir un nouveau cessez-le-feu de la part de Kiev et des séparatistes pro-russes à partir du 1er septembre. Où en sommes-nous vraiment ? Y-a-t-il une chance pour que les accords de Minsk II, prévoyant l’arrêt des combats entre l’Ukraine et la région du Donbass, soient effectivement respectés ?
Il y a, hélas, très peu de chances que ce cessez-le-feu perdure davantage que les précédents. Il ne suffit pas d’affirmer à nouveau le retrait des armes lourdes d’un calibre supérieur à 100 millimètres de la ligne de front. Avec des armes automatiques et des mortiers, le risque de dérapage demeure tout autant lorsque les positions des belligérants sont proches. Tant qu’une zone démilitarisée de plusieurs dizaines de kilomètres de large ne séparera pas physiquement les combattants, avec, si possible une force d’interposition comme nous l’avions fait avec l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, provocations et accrochages se poursuivront avec, à la clé, le risque d’un nouvel embrasement général. Tant que Kiev ne sera pas prêt à accepter un recul stratégique de ses forces, que les séparatistes ne peuvent se permettre compte tenu de l’exigüité de leur territoire, que le Président Porochenko ne sera pas en mesure d’imposer l’obéissance aux bataillons de représailles tels Azov ou Dniepr, voire de les désarmer, la guerre continuera car l’on sait que, dans une large mesure, ce sont les troupes de Kiev qui violent le cessez-le-feu. Malheureusement les violentes manifestations qui ont eu lieu à Kiev devant la Rada, opposant les ultra-nationalistes ukrainiens aux forces de l’ordre, à propos de la révision constitutionnelle introduisant une dose d’autonomie pour les oblasts de Donetsk et de Lougansk, n’incitent pas à l’optimisme. Porochenko est confronté à une fraction déterminée qui est prête à un nouveau Maïdan, et donc prête à le renverser, s’il accorde la moindre concession aux séparatistes.

Dans ce contexte d’affrontements et de division autour du projet de loi vers une plus grande autonomisation des régions de l’Est de l’Ukraine, que faut-il attendre des prochaines élections locales ? Auront-elles également lieu dans les régions pro-russes ?
Ces élections, quoiqu’il advienne, peuvent-elles réellement avoir une valeur démocratique ? Il faut rappeler que plusieurs partis politiques structurant traditionnellement la vie politique ukrainienne, le Parti des régions et le Parti communiste, ne peuvent plus faire entendre leur voix en Ukraine. Il est évident que la campagne électorale et le scrutin n’auront lieu nulle part dans des conditions de transparence et de sérénité, quel que soit le côté de la ligne de front où l’on se trouve. Toute personne, a fortiori tout candidat, qui prônera la paix et le compromis avec les séparatistes, peut s’attendre à être la cible des miliciens de Pravy Sektor et de Svoboda. De même, tout partisan du dialogue avec Kiev est condamné aux pires difficultés en zone séparatiste compte tenu des haines suscitées dans la région par les bombardements ukrainiens. La tenue d’élections dans le Donbass à une date qui n’est pas celle retenue par les autorités de Kiev, sous l’égide des autorités séparatistes, est aussi un facteur de tension supplémentaire.

L’Ukraine a récemment bénéficié d’une restructuration de sa dette privée avec une réduction à hauteur de 20% (environ 16 milliards d’euros). L’Ukraine peut-elle sortir de cette crise financière et économique, plombée un peu plus par les tensions et les violences à l’Est de l’Ukraine ?
L’Ukraine n’est pas encore sortie de cette crise. Premièrement parce qu’elle doit encore 3 milliards de dollars à la Russie, remboursables avant le 20 décembre, et que celle-ci n’a certainement pas l’intention de consentir à un délai. Ensuite parce que la situation économique se dégrade de plus en plus rapidement dans le pays, bien trop vite pour que tous les moratoires sur la dette et toutes les aides accordées soient en mesure d’enrayer la dégradation du pays. Selon les estimations, le PIB ukrainien devrait reculer de 9 à 15% en 2015 alors qu’il a déjà accusé une baisse de 7,5% en 2014. Kiev a choisi de couper les liens qui l’unissent depuis toujours avec son principal partenaire commercial, la Russie. L’Ukraine, qui n’a pas trouvé dans l’Union européenne le partenaire de substitution espéré, en paie logiquement le prix. Pour des mois, voire des années sans doute, le pays est condamné à vivre sans cesse au bord de la cessation de paiement. Enfin, la constante tension qui règne à Kiev, entre les ultra-nationalistes et les autorités, n’est pas de nature à encourager les investissements dans un pays que la plupart des industries fuient déjà compte tenu de la corruption endémique.

Elections anticipées, PKK, Daech : les défis d’Erdoğan

Tue, 25/08/2015 - 18:20

Erdoğan a confirmé la tenue d’élections législatives anticipées pour le 1er novembre 2015. Cette décision était-elle attendue ? Son parti peut-il ressortir renforcé de ce suffrage ?
Oui, cette décision était prévisible. On se souvient qu’au début du mois de juin dernier se tenaient les élections législatives et l’AKP, bien que toujours premier parti politique représenté au parlement, avait connu une relative érosion électorale et, surtout, n’était pas parvenu à obtenir une majorité absolue au parlement. Or, nous savons qu’une des obsessions d’Erdogan est de parvenir à une réforme constitutionnelle en Turquie et que, pour ce faire, il lui fallait la majorité qualifiée. Or, le résultat des élections ne lui permettait pas d’atteindre cette majorité et l’empêchait ainsi de parvenir à un changement de constitution visant à présidentialiser le régime. Malgré des négociations, aux mois de juillet et août, pour parvenir à la mise en place d’un gouvernement de coalition, il ne me semble pas qu’Erdoğan y était en réalité favorable. A mon sens, le président turc considérait, au-delà de ses déclarations publiques, qu’il fallait procéder à des élections législatives anticipées. Et, espère-t-il, obtenir un meilleur score. C’est bien là tout l’enjeu car la totalité des sondages d’opinions effectuées en Turquie depuis une dizaine de jours – bien qu’à prendre avec précaution -, donnent à peu près les mêmes résultats que ceux des élections du mois de juin. Pour l’heure, et malgré les tensions extrêmes qui existent actuellement du fait des affrontements militaires, on n’observe pas de transfert de l’électorat sur un quelconque parti et, en tout cas, pas sur l’AKP. Le projet d’Erdoğan de procéder à de nouvelles élections anticipées de façon à atteindre un meilleur score et de parvenir à une majorité qualifiée au parlement, n’est pas gagné à l’avance. C’est bien là tout l’enjeu de la bataille électorale qui s’ouvre ces jours-ci et qui va se décliner pendant plus de deux mois en Turquie.

La question kurde semble être au centre de la politique du gouvernement turc. En continuant à désigner le PKK comme organisation terroriste, le gouvernement turc souhaite-t-il reconquérir l’électorat nationaliste turc et ferme-t-il les portes à une résolution politique et pacifique du conflit ? Comment comprendre les affrontements actuels entre l’armée et le PKK ?
La question kurde est depuis longtemps au centre de la vie politique en Turquie et constitue même le principal défi politique qui se pose à la société turque depuis maintenant de nombreuses années. La société et le régime politique turcs ne pourront se démocratiser jusqu’au bout sans avoir résolu cet épineux et lancinant dossier. Le PKK est depuis bien longtemps qualifié d’organisation terroriste, par la Turquie, certes, mais aussi par l’Union européenne et les Etats-Unis. Ceci étant posé, le problème est qu’il est désormais – et depuis déjà quelques temps – partie au problème et donc partie à la solution. On ne peut pas uniquement répéter qu’il s’agit d’une organisation terroriste qu’il faut combattre militairement, au risque de ne pas comprendre pourquoi, depuis maintenant près de trois ans, des négociations avaient lieu avec le PKK. Ceux avec qui on négociait au cours de ces derniers mois sont ainsi redevenus les ennemis principaux aujourd’hui. On peut alors parler d’une incohérence politique qui est pour le moins problématique en termes de méthodologie et qui a des conséquences politiques et militaires préoccupantes. Je crains qu’Erdoğan ait tiré un trait sur la possibilité d’une résolution politique de la question kurde alors qu’il avait pourtant fait preuve ces derniers mois, malgré tout ce que l’on peut lui reprocher, d’un certain courage en acceptant l’ouverture des négociations avec le PKK.
Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle séquence, et il semble malheureusement que l’hypothétique résolution politique de la question kurde en Turquie est désormais derrière nous. C’est bien sûr conjoncturel, et il sera nécessaire – j’espère le plus tôt possible – de revenir autour d’une table pour discuter. Pour l’heure, nous sommes dans une période de bras de fer et d’affrontements militaires sévères, certaines villes turques sont contrôlées par des milices liées au PKK proclamant ces derniers jours leur autonomie. Il y a même certaines localités dans l’Est de la Turquie où le Mouvement de la jeunesse révolutionnaire patriote (organisation contrôlée par le PKK) a décidé de creuser des tranchées et d’élever des barricades pour empêcher que les chars et les véhicules blindés de l’armée turque ne pénètrent dans ces villes.
Il me semble que le gouvernement turc tente d’instrumentaliser cette tension dans le but de capitaliser une partie de l’électorat nationaliste et parvenir à remporter une majorité absolue aux élections législatives de novembre. C’est un calcul évidemment extrêmement dangereux car jouer la polarisation pour des raisons électorales risque de déchirer durablement le tissu social de la Turquie.

La Turquie a finalement rejoint la coalition anti-Daech menée par les Etats-Unis alors qu’elle s’est longtemps tenue à l’écart dans le conflit. Comment comprendre ce changement de positionnement ?
Depuis maintenant quatre ans, il y a la volonté systématique de la part d’Erdoğan et des autorités politiques turques d’en finir avec le régime de Bachar al-Assad en Syrie. C’est une véritable obsession politique qui a induit des prises de décisions très hasardeuses. Nous savons que depuis maintenant plusieurs années, il y a eu, au minimum, une forme de complaisance de la part des autorités turques à l’égard de groupes djihadistes et notamment de Daech. Dans cette logique de volonté d’en finir avec Bachar al-Assad, il fallait s’appuyer sur toutes les composantes de l’opposition au régime, politique pour le moins dangereuse.
Puis il y a eu l’attentat du 20 juillet dernier, à Suruç, attribué à Daech. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Le fait que Daech ne soit pas contrôlable et ose même organiser des attentats contre les civils sur le sol turc a entraîné un changement de position politique de la part d’Erdogan et du gouvernement. Ce changement était d’ailleurs déjà à l’œuvre depuis plusieurs mois puisqu’on constatait la multiplication d’arrestations dans les milieux liés à Daech en Turquie, mais l’attentat de Suruç a été l’élément déclencheur de l’engagement de la Turquie contre Daech.
Autre facteur, les autorités politiques turques qui misaient sur la chute rapide de Bachar al-Assad se sont pour le moins trompées. Bachar al-Assad, même s’il est très affaibli, est toujours présent. Les autorités turques ont compris qu’il y avait nécessité d’un changement de pied dans leur approche et leur gestion du dossier syrien.
Par ailleurs, les Etats-Unis ont fait pression pour que la Turquie prenne toute sa place au sein de la coalition et c’est chose faite même si l’intensité des combats contre Daech est beaucoup moins affirmée que celle mise en œuvre contre le PKK.

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