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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 6 days ago

De quoi Poutine est-il le nom ?

Fri, 04/12/2015 - 09:18

Dans son célèbre ouvrage Tolstoï ou Dostoïevski, paru en 1960, l’éminent critique littéraire de Cambridge George Steiner soulignait que pour connaître le secret du cœur d’un homme ou d’une femme, il suffisait de lui demander lequel des deux auteurs avait sa préférence, tant il est vrai que chacun des deux géants de la littérature russe incarnait une vision du monde et offrait une interprétation de la politique, de l’histoire et de la condition humaine radicalement différente de celle de l’autre.

Spécialiste de Tolstoï à l’université de Virginie, Andrew Kaufman a soutenu plus récemment dans The Daily Beast que Vladimir Poutine, qui apprécie les deux écrivains, a malheureusement privilégié la tradition de Dostoïevski, celle de la croyance en un exceptionnalisme russe, porteur d’une mission de régénération et d’unification du monde slave, plutôt que la tradition humaniste et universaliste de Tolstoï, embrassant la diversité du monde par-delà les différences de culture, de nationalité ou de religion.

Si seulement Poutine avait adopté la vision de Tolstoï, nous dit Kaufman, il aurait sauvé son âme et la situation géopolitique de la planète serait bien différente. Chez Tolstoï, aucun nationalisme cocardier, aucun roulement de tambour, aucun triomphalisme messianique, mais un patriotisme respectueux de l’égalité et de la dignité des peuples.

Pour lui, et c’est d’ailleurs là la grande leçon de Guerre et Paix, la force vient de l’humilité et non pas de l’hubris, de la grande fraternité de l’esprit plutôt que d’une volonté de s’imposer brutalement aux autres, de la résistance digne face à l’adversité plutôt que du renoncement aux valeurs morales. Tolstoï avait compris qu’en jouant les matamores, en faisant étalage de ses muscles et de sa virilité machiste, on allait au-devant de bien des déconvenues et qu’on plantait en fait les germes de sa propre destruction.

Comme l’a montré l’historien Paul Kennedy, dans toute l’histoire des empires, on retrouve une constante : l’hubris entraîne la surextension (imperial overstretch), qui elle-même provoque le déclin. Si l’Amérique est aujourd’hui contrainte de se retrancher temporairement et de se recentrer sur ses problèmes intérieurs, c’est également parce qu’une croyance béate en l’exceptionnalisme américain et un nationalisme chauvin (jingoism) l’avaient conduit, sous l’administration Bush-Cheney, à surestimer ses forces et à s’embourber dans des guerres aussi inutiles que destructrices pour son image, ses finances publiques et sa stature internationale. La blessure du 11 Septembre avait conduit l’Amérique à plonger tête baissée dans le piège tendu par Ben Laden. Le maximalisme et la bien mal pensée « guerre globale contre le terrorisme » ont eu pour effet d’approfondir les lignes de faille et de démultiplier les situations de chaos sur lesquels le terrorisme prospère.

C’est aussi une blessure narcissique profonde, celle de l’humiliation des années Eltsine, qui fait naître aujourd’hui un revanchisme russe dont nous voyons les conséquences en Ukraine et en Syrie. Dans un Moyen-Orient qui a souffert des interventions occidentales irréfléchies, beaucoup voient le retour de la Russie comme un nécessaire rééquilibrage, qu’ils accueillent favorablement. Mais n’est-on pas en train de répliquer un même schéma pernicieux qui depuis le XIXe siècle fait de cette région un éternel champ d’affrontement des puissances ?

De quoi Poutine est-il le nom ? Du retour en force, sur la scène internationale, d’un nationalisme intransigeant, d’un autoritarisme débridé, d’une volonté, au nom du refus de l’humiliation, de faire étalage d’une puissance surjouée, peut-être pour masquer la crainte d’une impuissance réelle, liée à un affaiblissement structurel, démographique et économique de la Russie. À court terme, les politiques musclées de Poutine, son pragmatisme froid, son réinvestissement de l’espace eurasiatique, son bras de fer psychologique avec l’Occident peuvent engranger des résultats spectaculaires, mais il y a fort à parier qu’elles ne finissent à moyen terme par susciter un retour de bâton dont la Russie ne manquerait pas de payer le prix.

Entre-temps, le poutinisme triomphe, non seulement en Russie, mais sur la scène internationale, où percent un peu partout des hommes dont le tempérament répond aussi à plusieurs des critères que Theodor Adorno avait notés dans ses Études sur la personnalité autoritaire. Confrontés à des crises géopolitiques, économiques, identitaires, les populations recherchent désespérément des hommes forts et des postures viriles, certains sociologues parlent même de « demande despotique ». Shinzo Abe au Japon, Narendra Modi en Inde, Erdogan en Turquie, et à leur manière Donald Trump aux États-Unis ou Sarkozy et Valls en France, s’efforcent de répondre à cette soif d’autorité, avec maints effets de manche et coups de menton, qui à défaut de faire avancer le schmilblick, viennent donner aux populations apeurées l’illusion que dans un océan qui tangue, il y a un capitaine à la barre, fut-il un fier à bras égocentrique sans la moindre vision d’avenir.

Russie-Turquie : une guerre diplomatique ?

Thu, 03/12/2015 - 17:04

Après la destruction par les Turcs d’un bombardier russe le 24 novembre, les représailles économiques russes s’intensifient envers la Turquie. Quelles sont-elles et quel impact cet affrontement indirect a-t-il sur la relation russo-turque ?
Il y a d’abord l’embargo décrété par la Russie, qui doit prendre effet à compter du 1er janvier sur les produits agricoles turcs : volailles, fruits, légumes, certains condiments et épices. Mais comme l’a rappelé Vladimir Poutine, « la Turquie ne perdra pas que des tomates ». Des restrictions vont être mises en place pour l’embauche de travailleurs turcs sur le marché russe, envers les sociétés turques du secteur du transport, tandis que les entreprises turques du bâtiment devront obtenir l’aval des autorités russes pour décrocher tout nouveau contrat dans le pays en 2016. Les Turcs désirant se rendre en Russie vont de nouveau être obligés de demander un visa, dont ils étaient jusqu’ici exemptés. Enfin, la Russie a appelé ses ressortissants en Turquie à quitter le pays et a suspendu les vols charters entre les deux Etats afin de tarir la ressource du tourisme russe en Turquie, où se rendent chaque année entre 3 et 4 millions de ressortissants. Mais on peut aussi imaginer que ces sanctions aillent plus loin, comme la Russie le laisse entendre. On sait que les Russes, consécutivement à la décision européenne de les sanctionner dans le cadre des évènements d’Ukraine, ont décidé d’annuler en décembre 2014 le projet de gazoduc South Stream, qui devait relier la Russie aux Balkans via la Mer Noire, pour lui substituer un gazoduc aboutissant en Turquie, TurkStream. Or, la Russie vient de rompre les négociations avec la Turquie. Et alors que de plus en plus d’Européens souhaitent la fin de la politique de sanctions vis-à-vis de la Russie, Manuel Valls s’est récemment prononcé dans ce sens récemment à l’Assemblée nationale dans le cadre de la constitution d’une grande coalition contre l’Etat islamique avec la Russie. On ne peut exclure que ce qui a été annulé il y a un an entre les Russes et leurs partenaires européens soit remis au goût du jour. Il est certain, quoi qu’il en soit, qu’à l’heure où la Turquie irrite nombre d’Etats, son double jeu vis-à-vis de l’Etat islamique étant connu de tous, Ankara aurait mieux fait de ne pas abattre cet avion. Son isolement va sans doute s’en trouver sensiblement accentué.

L’accusation de la part de Moscou de l’implication de la Turquie dans le financement de Daech est-elle fondée ? Cette situation va-t-elle compliquer les efforts de coalition internationale contre l’Etat islamique ?
L’Etat islamique vend bel et bien son pétrole à la frontière de la Turquie et les autorités turques ferment les yeux sur la noria de camions-citernes circulant entre leur territoire et les zones contrôlées par l’EI. La Turquie est ainsi complice des terroristes dans la mesure où si elle décidait de fermer hermétiquement sa frontière, elle serait en mesure de très vite tarir la majeure partie des sources de revenus de l’EI. Par ailleurs, Ankara ferme aussi les yeux sur les combattants qui gagnent la Syrie depuis son territoire. Donc les déclarations de Vladimir Poutine sont parfaitement fondées. Quant à la coalition contre l’Etat islamique, il est difficile de la monter avec des pays qui ne veulent pas combattre ce dernier. On a beaucoup reproché à la Russie de ne pas limiter ses frappes à l’EI. Mais, selon certaines estimations, les Turcs frappent en moyenne sept fois plus les Kurdes, nos alliés, que les troupes de l’EI… La Turquie sert de base de départ pour des attaques américaines contre l’EI, ouvre son espace aérien aux appareils français bombardant l’EI depuis le Charles de Gaulle, mais se garde bien, elle, de trop précipiter la fin de ceux qu’il faut bien appeler ses protégés.

Lors de la rencontre diplomatique entre Hollande et Poutine, quels ont été les points d’accord sur la coopération franco-russe dans la lutte contre Daech ? Comment la Russie vit-elle son « retour en grâce » sur la scène diplomatique ?
Il s’agit d’échanges de renseignement entre services, de coordination sur le terrain entre forces russes et françaises. Quant à un « retour en grâce » de la Russie sur la scène diplomatique, l’expression me semble mal choisie. En premier lieu parce que la Russie n’a jamais été isolée sur cette dernière. Lorsqu’on l’a dite mise au ban de la communauté internationale, on sait bien que cette dernière, pour ceux qui emploient cette expression, ne désigne que les Etats-Unis et leurs alliés de l’Union européenne, soit un peu plus de 12% de la population mondiale. Par ailleurs, ce n’est pas Vladimir Poutine qui est venu à Paris demander l’aide des Français, c’est François Hollande qui est allé à Moscou demander l’aide de la Russie. La diplomatie française a ainsi effectué un virage à 180 degrés, en souhaitant une coopération franco-russe dont on ne voulait pas entendre parler auparavant, voire une coordination sur le terrain contre Daech avec les forces de Bachar al-Assad, option que Laurent Fabius a proposé mais a de toute évidence beaucoup de mal à endosser compte tenu du revirement complet auquel il se trouve contraint par rapport à ses précédentes prises de position. Les autorités russes, dans ce cadre, doivent donc discrètement jubiler.

Dopage et corruption : quelles sont les conséquence de ce lundi noir sur l’athlétisme mondial ?

Thu, 12/11/2015 - 11:20

Le scandale de corruption au sein de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) est-il une surprise ? Est-il encore plus dévastateur que celui de la Fifa ?
Plusieurs éléments doivent être distingués. D’une part, la révélation de dopage n’est malheureusement pas une surprise, dans une discipline où de nombreux cas ont été révélés depuis les années 1990. L’affaire Balco en 2003 – au cours de laquelle plusieurs grandes stars américaines, comme Marion Jones ou Tim Montgomery avaient été suspendus – est le dernier coup de tonnerre en date.
En revanche, et ce qui surprend dans ce nouveau scandale, c’est indéniablement l’ampleur de la manipulation qui aurait été organisée. Ainsi, au cours de la conférence de restitution du rapport de la commission indépendante de l’AMA (composée de Richard Pound, Richard Mc Laren et Gunther Younger), le 9 novembre, Dick Pound n’a pas hésité à parler de la mise en place d’un système de dopage systématisé, impliquant tout à la fois les autorités sportives, mais aussi les services secrets russes, le FSB. Si le rapport vise particulièrement la Russie, la Commission précise qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg et que d’autres pays étaient impliqués. Sont ainsi cités le Kenya, le Maroc ou la Turquie.
Ce dopage, d’ampleur nationale, nous ramène à des pratiques existantes dans le domaine du sport au cours de la guerre froide, où la course aux médailles était devenue un enjeu de puissance et les compétitions sportives le prolongement de l’opposition entre Est et Ouest. Les contrôles effectués lors des compétitions, ainsi que l’ouverture d’archives, notamment celles de la RDA, de l’URSS mais aussi de la RFA, avait permis de constater la mise en place d’un dopage d’État. Avec la multiplication des révélations, de la prise de conscience des risques sur la santé, mais aussi de la montée en puissance de la lutte anti-dopage depuis la fin du XXe siècle, on pensait avoir vu disparaître ces pratiques.
S’il s’agit de corruption sportive, on ne peut la comparer au scandale qui secoue la FIFA, l’échelle étant totalement différente. Dans un cas, la corruption ne concerne que certaines personnes, principalement à sa tête ; dans l’autre, il semblerait que ces pratiques touchent absolument tous les niveaux, à la fois des athlètes, des entraîneurs, de la fédération nationale d’athlétisme mais aussi la fédération internationale. Chose inédite, la fédération nationale allait même jusqu’à faire chanter ses propres athlètes. La Commission indépendante dénonce un système, tournant vraisemblablement autour de Lamine Diack, ancien président de la fédération d’athlétisme, qui a quitté son poste en 2015, directement impliqué et mis en examen la semaine dernière ainsi que deux de ses fils. Dans le cas de l’athlétisme, il s’agit de l’intégrité même du sport et de la compétition qui est menacée. Dick Pound n’a ainsi pas hésité à déclarer que les « Jeux de Londres avaient été sabotés par ce dopage ». On ne peut donc pas comparer ces deux types de corruption, à la fois dans leur nature, et dans leur ampleur.

Quelles conséquences ce scandale pourrait-elle avoir sur la Fédération d’athlétisme de Russie ? Pourrait-elle se voir priver des Jeux olympiques l’an prochain ?
C’est une question qui a été tout de suite posée lors de la conférence de presse. Les conséquences, sportives et politiques, seront assurément très importantes. D’un point de vue sportif, la commission indépendante d’enquête a recommandé à la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) de suspendre à vie certains entraîneurs et athlètes, mais aussi de suspendre le laboratoire de contrôle anti-dopage pour lequel il a été démontré qu’il y avait eu des malversations et destructions de preuves. En outre, la Commission a aussi demandé la suspension de la fédération russe d’athlétisme de toutes les compétitions sportives, et donc, notamment pour les Jeux olympiques. Cette requête a été bien prise en compte par l’IAAF qui a aussitôt demandé à la fédération russe de rendre des comptes avant la fin de la semaine. Pour Dick Pound, il considère « qu’une participation aux Jeux Olympiques de Rio ne sera possible qu’au prix d’une remise en ordre rapide et crédible de leur fédération ». Par ailleurs, le conseil de la fédération internationale d’athlétisme doit se réunir les 26 et 27 novembre à Monaco. En outre, ces révélations remettent en cause les performances russes lors des dernières compétitions, notamment les championnats du monde d’athlétisme de 2013 et les Jeux olympiques de Londres en 2012.
D’autre part, les conséquences de ce scandale seront éminemment politiques puisque cela touche non seulement directement la Fédération et le Comité national olympique russe qui, rappelons-le, est extrêmement puissant sur la scène sportive internationale et donc, influent politiquement. En outre, compte tenu de la situation géopolitique actuelle, la Russie se trouve, une nouvelle fois, pointée du doigt, voire mise au ban, accusée d’avoir manipulé des compétitions. A la suite de la publication des conclusions de la commission indépendante, Vladimir Poutine a appelé à une collaboration avec les autorités sportives internationales, tout en souhaitant voir les autorités nationales mener une enquête interne, signe d’une volonté d’apaisement.

Le dopage organisé concerne-t-il d’autres pays ? Quel rôle va jouer Interpol dans cette affaire de corruption présumée liée au dopage ?
Le rapport de la commission indépendante portait principalement sur la Russie en décrivant le système institutionnalisé et démontrait que les autorités, sportives comme politiques, ne pouvaient pas ne pas être au courant. Toutefois, d’autres pays ont été cités comme la Turquie, le Kenya ou le Maroc, non seulement en matière d’athlétisme mais aussi dans d’autres sports comme la natation, le ski de fond ou l’aviron.
Concernant Interpol, il va coordonner l’enquête internationale, opération Augeas, dont l’objectif va être de travailler avec les pays membres concernés. Il a notamment été fait mention de Singapour qui pourrait avoir été au centre de cette affaire. En parallèle de l’enquête internationale lancée contre Lamine Diack, des accusations de corruption passive, active, de blanchiment de fond et d’association de malfaiteurs ont été formulées. Interpol intervient logiquement dans cette affaire, compte tenu de l’accord de coopération signé entre l’AMA et Interpol en 2009 pour lutter contre le dopage et la corruption.

L’impasse de la stratégie de déni d’Al-Sissi

Tue, 10/11/2015 - 14:30


Entretien avec Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, autour de l’impasse de la stratégie de déni du président égyptien Al-Sissi.

Le « Balardgone » : quel impact sur la politique de défense de la France ?

Mon, 09/11/2015 - 16:46

François Hollande a inauguré le nouveau siège du ministère de la défense à Balard, surnommé le « Pentagone à la française ». Que cela va-t-il changer dans la politique de défense et la gestion des armées ?
En termes de politique de défense et de gestion des armées, cela ne doit normalement pas changer grand-chose. Cependant, deux aspects sont attendus. Premièrement, il s’agit de réaliser des économies. On se souvient qu’il y a eu des interrogations et des débats relatifs à ce contrat sous forme de partenariat public/privé et donc sur l’économie réelle pour le ministère de la Défense. Le regroupement du ministère de la Défense sur le site de Balard va lui permettre de revendre certaines emprises qui étaient au centre de Paris, et permettre des rentrées financières. Le second avantage attendu est de recentrer sur le même lieu tous les services centraux du ministère. En effet, avant l’inauguration du « Balardgone », les services étaient éclatés dans Paris et en région parisienne. Or ces services ont besoin de travailler ensemble. En termes d’efficacité, on doit attendre une bien meilleure intégration de la politique de défense concernant les décisions prises au niveau du ministère. Le grand intérêt est donc avant tout l’unité de lieu.

On assiste à une multiplication des interventions françaises sur des théâtres extérieurs, représentant un coût estimé à 1,128 milliards d’euros pour 2015. Pour autant, la France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? Les armées françaises ne sont-elles pas en train de s’épuiser ?
Il y a effectivement un risque d’épuisement étant donné le nombre actuel d’opérations extérieures. François Hollande a été élu sur le retrait des troupes en Afghanistan, ce qui a été fait, et un budget d’opérations extérieures qui devait diminuer. Dans le budget de la défense, ces opérations extérieures sont provisionnées à hauteur de 450 millions d’euros, contre 650 millions auparavant. Au vu du coût estimé en 2015, il s’agit là d’un doublement voire d’un triplement. Ceci est lié à la menace terroriste qui justifie nos opérations au Mali, en Irak puis en Syrie. Si nous prenons l’exemple du Mali, nous avons réussi à stopper en 2013 l’avancée des différents groupes menaçant Bamako, donc à réduire leur menace. Toutefois, celle-ci s’est en partie reconstituée et il y a maintenant une liaison avec le sud de la Libye et l’implantation de Daech. La grande difficulté vient ainsi du fait que l’on soit seul sur le terrain ce qui nous oblige à durer dans le temps. Si on lutte militairement contre ces groupes, on ne peut pas être seul. Il est certain que l’on n’y arrivera pas s’il n’y a pas des coalitions qui se constituent au-delà des pays occidentaux. Ce sont aussi et avant tout des problèmes régionaux, notamment en Syrie, et c’est aux acteurs de la région de trouver une solution politique, même si les Occidentaux peuvent y apporter une aide.

L’Elysée vient par ailleurs d’annoncer le déploiement du porte-avions Charles-de-gaulle pour participer aux opérations contre Daech permettant de doubler le potentiel militaire français dans la région. A quels objectifs répond cette décision ?
Il y a un objectif militaire qui consiste à renforcer les forces de la coalition contre Daech. Cela étant, jusqu’alors, on ne peut pas dire que l’implication militaire française soit significative ou décisive. La question est d’ailleurs de savoir s’il y a besoin d’une implication militaire française face à Daech en Syrie. En réalité, le principal objectif est avant tout politique : celui de nous réintroduire dans la négociation afin de trouver une solution politique en Syrie. Autour de la table des négociations lors de la première réunion à Genève il y avait les Américains, les Russes, les Turcs, les Saoudiens, et les Européens étaient absents. Le porte-avions est donc avant tout déployé afin de consolider notre position diplomatique, davantage que pour un véritable résultat militaire.

Que peut-on attendre des élections législatives en Birmanie ?

Fri, 06/11/2015 - 17:59

Des élections législatives vont se tenir ce dimanche 8 novembre en Birmanie. Quels sont les enjeux de ce scrutin historique ? Peut-on s’attendre à des élections libres et équitables ?
En premier lieu, nul doute qu’il s’agit d’un scrutin particulier dans l’atypique paysage politique birman. Il s’agit des premières élections générales depuis un quart de siècle (1990), le scrutin de 2010, boycotté par l’opposition et sensiblement ‘’arrangé’’ par la main experte de l’ancienne junte, n’ayant pas valeur de référence en la matière. De la sorte, ce rendez-vous électoral s’inscrit dans une dimension effectivement historique.
Le Président Thein Sein, le chef des armées Min Aung Hlaing ou encore le Président de la Commission électorale n’ont eu de cesse de répéter ces dernières semaines leur volonté d’organiser un scrutin aux atours ‘’libres et honnêtes’’. Les 32 millions d’électeurs birmans, une communauté internationale vigilante et impliquée (notamment par le déploiement d’observateurs étrangers, une grande première là encore), ne demandent rien de plus.
Cependant, placer trop haut les attentes sur le sujet apparait quelque peu décalé avec la réalité d’une scène politique birmane toujours retorse, laquelle demeure encore offerte aux irrégularités diverses et variées (cf. listes électorales incomplètes ; erreurs ou aberrations signalées), notamment dans l’hypothèse où le parti actuellement au pouvoir (USDP, pro-militaire) subirait un revers électoral ébranlant trop durement la proverbiale sensibilité des hommes en uniforme…

Aung San Suu Kyi a affirmé sa volonté de vouloir diriger le pays en cas de victoire de son parti. Une victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) est-elle possible ?
Les électeurs birmans éliront dimanche non le Président mais les parlementaires (Chambre haute ; chambre basse ; parlement régionaux). La Constitution en vigueur réserve avant tout scrutin un quart des sièges dans les diverses assemblées aux militaires. Ce texte constitutionnel façonné par et pour les militaires, dans une Birmanie officiellement post-junte depuis 2011, réserve également au chef des armées le privilège (fort) de nommer sans en référer à qui que ce soit le ministre de l’Intérieur, celui de la Défense, celui enfin des Questions frontalières. Des prérogatives majeures à maints égards.
Si la Ligue Nationale pour la Démocratie – la principale formation pro-démocratie de l’opposition – d’Aung San Suu Kyi veut avoir les coudées assez franches pour être en mesure de peser sur la nomination post-scrutin du prochain chef de l’Etat (en l’état, cela ne sera pas La Dame de Rangoun, une disposition sur mesure de la Constitution l’empêchant de briguer ces fonctions), elle doit a minima remporter 67% des sièges dans la chambres haute et basse du Parlement. Ainsi, il n’est pas certain que le parti au pouvoir (USDP), ainsi que les partis ethniques, lui en laissent la possibilité.

La Banque mondiale prédit une croissance en forte augmentation pour la Birmanie, après avoir été ruinée par 50 ans de junte militaire. Dans quel contexte économique et social se tiennent ces élections ?
Ces trois dernières années, la croissance du PIB brut birman a été très convenable (PIB + 7,6% en moyenne annuelle). Lorsque l’on se déplace en 2015 dans la désormais très active et dynamique ancienne capitale Rangoun (premier centre urbain du pays et capitale économique de la nation birmane), ce, après l’avoir connu assoupie si ce n’est léthargique il y a quelques années encore à peine, on mesure à l’œil nu combien la transition démocratique (toute insuffisante et loin de la perfection soit-elle), ainsi que la mise en œuvre des réformes et d’une relative ouverture, ont mécaniquement fait naître très rapidement un appel d’air évident sur l’économie.
Cependant, si ce cadre nouveau profite de toute évidence à certains segments – ‘’privilégiés’’ et urbains en priorité -, il demeure encore fort loin d’être ressenti par la majorité de la population pour qui les bénéfices socio-économiques concrets de la croissance restent très marginaux ; il n’est qu’à se déplacer dans les campagnes, vers les Etats frontaliers ‘’ethniques’’, où perdurent les conflits entre guérillas ethniques armées et forces régulières, pour s’en convaincre.
A l’avant-veille de ce scrutin particulier à maints égards, les aspirations primaires des 55 millions de citoyens birmans ne sont pas uniquement politiques, partisanes, mais également très pragmatiques : en 2015, le revenu annuel par habitant est en Birmanie inférieur à 1000 euros, soit un des plus bas de toute la région Asie-Pacifique.

Le nucléaire, solution pour la lutte contre le changement climatique ?

Thu, 05/11/2015 - 17:11

Lorsque l’on s’intéresse à la question du nucléaire, les problématiques environnementales surgissent immédiatement. Avant même de mentionner la technologie, la compétitivité économique ou les aspects régaliens de l’énergie atomique, l’environnement est la première question qui apparait quand est prononcé le mot « nucléaire ». Les détracteurs de l’énergie atomique pointent invariablement la gestion des déchets issus de la production électrique, signe pour eux du danger structurel lié à la fission de l’atome sur un plan énergétique. Par contre, peu de voix s’élèvent pour s’interroger sur les bénéfices éventuels que peut apporter le nucléaire dans l’optique de la lutte contre le changement climatique. Le sujet pourrait presque apparaitre tabou. Heureusement la COP 21 qui se tient cette année à Paris offre l’opportunité de s’y intéresser en profondeur.

Une solution pertinente ?

Il appartient ainsi de poser un regard dépassionné et critique sur la question des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie pour comprendre si, oui ou non, le nucléaire est une solution pertinente pour équilibrer la délicate balance énergétique des pays qui regroupe accès à l’énergie, sécurité énergétique et lutte contre le changement climatique. Des études ont ainsi été menées sur la question des émissions de gaz à effet de serre – majoritairement de CO2 dans ce cas – du secteur électrique.

La plupart des travaux s’intéressent à l’ensemble du cycle de vie des installations de production d’électricité nucléaire, prenant en compte la totalité de la chaine de valeur allant de l’extraction d’uranium au retraitement des déchets en passant par la construction et l’opération des centrales. Le rapport The Role of Nuclear Energy in a Low Carbon Energy Future de l’OCDE paru en 2012, synthétise les résultats de nombreux travaux scientifiques pour aboutir à la conclusion suivante : le nucléaire est, en moyenne, une énergie particulièrement peu émettrice de CO2. Alors que le charbon, première source d’énergie de l’OCDE et, de fait, de nombreux pays européens, émet en moyenne 888 tonnes de CO2 par GWh produit et le gaz naturel 499 t/GWh, le nucléaire s’établit à 29 t/GWh soit à peu près l’équivalent des énergies les moins émettrices, l’hydraulique et l’éolien (env. 26 t/GWh).

Les émissions en amont du process

Néanmoins la production d’électricité elle-même n’émet quasiment pas de CO2 puisque la quasi-totalité des émissions est due à l’amont du cycle (extraction de l’uranium) et à la construction des installations. Cela signifie donc pour notre pays qu’il est particulièrement vertueux, au niveau de son secteur électrique dans l’optique de la lutte contre le changement climatique. En effet si l’on s’intéresse aux émissions de CO2 de la France, tous secteurs confondus, celles-ci s’établissent à 370 000 kt en 2014 (données EDGAR ; Commission européenne) à comparer avec les 840 000 de l’Allemagne, les 5 300 000 des Etats-Unis et les plus de 10 millions de la Chine. Au niveau des émissions par habitant, la France atteint les 5,7 tonnes, à comparer là aussi avec les 10,2 tonnes pour l’Allemagne, 8,5 tonnes pour la Pologne, 7,5 tonnes pour le Royaume-Uni ou 6,4 tonnes pour l’Italie. En comparant la France aux autres grands pays européens, par l’économie ou la population, il apparait que notre pays est bien plus sobre en carbone que ses voisins.

Augmenter la part du nucléaire?

Cette sobriété, comparativement au niveau de développement et d’industrialisation de notre pays, est avant tout due à la faiblesse des émissions du secteur de l’énergie. En effet l’électricité produite en France est très majoritairement – environ aux trois quarts – issue du nucléaire. Les choix politiques opérés dans les années 70 à la suite du premier choc pétrolier, ont eu non seulement un effet majeur sur les approvisionnements énergétiques français ainsi que sur le développement d’une filière d’excellence mais aussi un impact non-négligeable sur la lutte contre le changement climatique.
Le nucléaire est ainsi une énergie particulièrement importante au regard des objectifs climatiques fixés par le GIEC.

De nombreux rapports – le scénario 450 de l’Agence Internationale de l’Energie par exemple – pointent ainsi la nécessité d’augmenter résolument la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial, laquelle n’est pour le moment que de 6% environ. Le nucléaire possède l’avantage de permettre de disposer d’une puissance installée importante pour chaque réacteur, tout en émettant peu de gaz à effet de serre. Toutefois c’est une énergie qui nécessite une maitrise technologique certaine et une attention toute particulière aux aspects de sureté et de sécurité. Là encore notre pays, en tant que leader technologique, dispose d’atouts indéniables pour envisager un futur sobre en carbone, pour la France et le monde.

Rencontre entre les Présidents chinois et taïwanais : quels enjeux ?

Thu, 05/11/2015 - 10:10

Une rencontre entre les Présidents Xi Jingping et Ma Ying-Jeou aura lieu le 7 novembre à Singapour. C’est un événement exceptionnel, annoncé au dernier moment. Une rencontre d’un tel niveau ne s’était jamais produite. Depuis 1949, la Chine de Pékin et celle de Taipei se sont séparées et opposées dans une compétition de légitimité où la première a réussi à s’installer dans la place du plus fort.

En 66 ans, on est passé du conflit armé à la guerre froide, puis à un dialogue informel et des échanges pragmatiques. La position de Pékin n’a jamais changé : l’île doit revenir dans le giron de la République populaire. Toute tentative d’accéder à l’indépendance et même la tenue d’un référendum interne à Taïwan sur le sujet serait un casus belli qui justifierait une reconquête militaire de l’île. A contrario, la position taïwanaise est beaucoup plus évolutive. La petite « République de Chine », longtemps gouvernée de manière dictatoriale par Tchang Kaishek, puis son fils, a beaucoup évolué depuis l’abolition de la loi martiale (15 juillet 1987). Elle est devenue une vraie démocratie où l’opinion publique s’exprime fortement et très librement. Alors que toutes les relations avec le continent ont longtemps été bannies, elles sont maintenant normales et faciles, au point que des dizaines de milliers d’entrepreneurs taïwanais passent désormais leur vie à cheval entre les deux rives. On voit aussi de nombreux touristes venus du continent, même si ceux-ci sont désormais bien plus des « étrangers », apporteurs de devises, que des « cousins ». Politiquement, des contacts informels – de plus en plus haut niveau – ont été pris entre les deux rives.

A Taïwan, deux grands partis se disputent le pouvoir. D’un côté, le Kuo Ming Tang (KMT), qui fut longtemps parti unique, prône toujours la réunification (« un pays deux systèmes »). De l’autre, le Parti démocratique populaire (DPP) s’est construit sur une base indépendantiste. A l’heure actuelle, ce qui caractérise très majoritairement l’opinion publique taïwanaise est la volonté de maintenir le statu quo actuel, qui permet de faire des affaires et de vivre en paix avec le continent tout en ne subissant pas le régime de Pékin. La candidate du DPP, Tsai Yingwen, incarne bien cette pensée en prônant, plutôt que l’indépendance, un maintien du statu quo et un refus de toute concession qui pourrait affaiblir cette position.

Il faut donc replacer cette « rencontre historique » dans son vrai contexte, qui est celui d’une campagne électorale. Depuis que Taïwan est une démocratie, le positionnement vis-à-vis de Pékin est devenu un enjeu majeur de tous les scrutins nationaux. Sachant que la Chine continentale est toujours tentée de s’ingérer dans ce débat. Elle l’a fait de manière outrancière en 1996, en tirant des missiles à proximité de l’île. Cela avait été très contre-productif et avait favorisé l’élection du candidat qu’elle voulait faire battre. Beaucoup plus discrète par la suite, Pékin se réveille cette année, en voyant le KMT en très mauvaise position et tente de favoriser le candidat « réunificateur » par le biais d’une rencontre inédite. La première candidate choisie par le KMT, Hung Hsiu-chu, avait été l’objet d’un consensus par défaut, aucun des leaders du « vieux parti » n’ayant osé prendre le risque d’une défaite annoncée. Hung s’était rapidement disqualifiée en tenant un discours radical et très dépassé, préalable à une réunification complète. Elle a été débarquée par son parti, qui a choisi comme nouveau candidat à la présidentielle un de ses éléphants, Eric Chu (Secrétaire général du KMT, Maire du « Grand Taipei » et qui a déjà rencontré le Président Xi) qui avait pourtant juré qu’il ne se présenterait jamais. Il importe donc, dans une tentative de dernière minute, de présenter Chu comme un « modéré ». D’où le communiqué du cabinet présidentiel qui présente la rencontre Ma-Xi comme permettant de « préserver la paix et de maintenir le statu quo ». Cet affichage de changement de cap en faveur du maintien du statu quo, systématiquement rejeté par le KMT depuis toujours, est ce que semble désirer la très grande majorité de la population de l’île. On peut aussi facilement imaginer que Pékin, qui craint avant tout le succès de la candidate « indépendantiste » Tsai Yingwen, fait tout pour aider le candidat « réunificateur modéré» du KMT. Et pourrait même être à l’initiative de cette surprenante rencontre, immédiatement dénoncée comme une manipulation électorale par le DPP.

La légitimité de l’actuel Président taïwanais étant au plus bas, on imagine mal que la rencontre du 7 septembre, qui sera vue par beaucoup de ses concitoyens comme un renoncement de plus de la part du KMT, puisse aboutir à des résultats concrets. Un communiqué de la Présidence taïwanaise a même explicitement précisé qu’il n’y aurait ni accord, ni communiqué commun et que Ma ferait une conférence de presse pour expliquer sa position. Il sera par contre intéressant d’observer l’exploitation qui en sera faite -ou non- par Pékin et, éventuellement, par Eric Chu.

Le rugby, en voie de « footballisation » ?

Wed, 04/11/2015 - 16:52

Quel bilan peut-on dresser de cette Coupe du monde de rugby ?
On peut dresser un bilan de cette Coupe du monde à travers deux angles : d’une part, l’aspect purement organisationnel et d’autre part, l’analyse du résultat.
Concernant l’aspect organisationnel, il est clair que cette 8ème édition est un indéniable succès. Parvenant à réunir 2,5 millions de spectateurs, avec une moyenne de 51 000 par match (soit l’une des plus importantes depuis le début de l’histoire de la compétition), l’Angleterre (et le Pays de Galles) a également connu un succès touristique important avec la présence sur son sol d’environ 460 000 visiteurs étrangers. A titre de comparaison, lors de la Coupe du monde organisée en France en 2007, le nombre de visiteurs avait été estimé à 350 000. La comparaison avec la Coupe du monde de 2011 n’est, quant à elle, pas significative, compte tenu de son organisation en Nouvelle-Zélande (distance, prix élevés des billets d’avions, etc). En outre, cette coupe du monde est aussi positive sur le plan économique puisque, selon certaines études, on estime ainsi qu’’1,4 milliards d’euros seront injectés dans l’économie britannique.
Concernant l’analyse du résultat, il ne s’agit pas de s’intéresser à l’aspect purement sportif, mais plutôt analyser les résultats dans une globalité. Fait inédit depuis 1987, on assiste à un triomphe incontestable des nations du Sud (Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie et Argentine), face aux nations du Nord, comme peuvent en témoigner les quatre matchs de quart de finale. Une fois ce constat fait, doivent se poser des questions essentielles : comment expliquer ce succès de l’Hémisphère Sud, et donc, en creux, cette déroute de l’Hémisphère nord ? Plus précisément, cela met en lumière un paradoxe : comment expliquer que la France soit considérée comme l’un des meilleurs championnats du monde, attirer autant d’excellents joueurs, bénéficier d’un système de formation reconnu et dans le même temps, ne pas arriver à s’imposer sur la scène internationale ? L’exemple de l’Angleterre est identique. Un travail de fond doit donc être mis en place, avec la nécessité d’une réforme et d’une prise de conscience à la fois au niveau national et européen. Au niveau du Tournoi des Six Nations, considéré comme l’un des plus grands de la scène rugbystique, les six nations qui s’affrontent, censés incarner un haut niveau de rugby, sont incapables de s’imposer face à des équipes du Sud.
D’autre part, certains commentateurs critiquaient le manque de suspense au cours de cette compétition. Si, effectivement, le résultat final confirme les prédictions, il serait inopportun d’ignorer la performance de certaines équipes. Considérée comme demi-finaliste surprise, l’Argentine est pourtant une nation importante du rugby depuis déjà plusieurs années. Participante à toutes les Coupes du Monde, elle s’est distinguée en quart de finale en 1999 et en demi-finale en 2007. Cela illustre une culture du rugby prononcée, avec des centres de formation performants et un accent mis par la Fédération du rugby argentine sur les performances à l’international. C’est dans ce sens que l’Argentine a rejoint le tournoi des Tri-nations (devenu dès lors le Rugby Championship). Cet effort pour apparaitre sur la scène internationale du rugby est comparable avec le Japon. Tombeur surprises de l’Afrique du Sud dès son premier match, il a surpris le monde du rugby par la qualité de son jeu. Cela n’a pourtant rien d’étonnant compte tenu de leur préparation en amont de cette compétition, de la qualité de leur championnat et des investissements financiers et personnels. Dans cette optique, c’est l’archipel nippon qui organisera la prochaine Coupe du monde en 2019, symbole de la volonté d’imposer le rugby japonais sur la scène mondiale.

L’émergence du rugby sur la scène médiatique est-elle le signe d’une plus grande internationalisation ?
La mondialisation du rugby est en effet de plus en plus importante. Il y a une volonté manifeste d’ouvrir le rugby à travers notamment l’organisation de nouvelles compétitions comme le rugby à 7 au cours des prochains Jeux olympiques, par la valorisation et la diffusion du rugby féminin mais aussi d’un point du vue géographique avec l’accueil de la prochaine Coupe du monde par le Japon en 2019. Cette démarche a été voulue par Bernard Lapasset, président de World Rugby (anciennement appelé International Rugby Board) qui s’inscrit dans une logique de démocratisation du rugby. Sa volonté était en effet de ne pas cantonner ce sport dans l’hémisphère sud entre les quatre nations principales (et les Tonga, Fidji et Samoa), et entre les six nations de l’hémisphère nord, mais au contraire, d’ouvrir le rugby à d’autres pays désireux de prendre part à l’organisation d’évènements. Toutefois, s’il existe une volonté de sortir le rugby des pays dits « classiques », on reste toujours dans un univers assez confidentiel où seules quelques nations sont capables de remporter la Coupe du monde (4 pour l’instant, en l’occurrence). Certains pays comme la Roumanie, la Géorgie, la Namibie ou l’Uruguay sont certes présents mais, en dépit du bon jeu proposé, ont très peu de chance de pouvoir rivaliser (en raison de l’absence de moyen, de l’amateurisme du sport, du manque d’infrastructure mais aussi de volonté « politique »).
D’autre part, cette émergence du rugby peut aussi s’expliquer par sa capacité à donner, ou à se donner, une image positive, axée sur l’entre-aide, l’esprit d’équipe, la combativité, le dépassement de soi. Qualités que l’on peut observer dans les publicités des groupes partenaires, et qui sont systématiquement mises en avant. Il favorise ainsi une popularité grandissante. Cela a pu expliquer à la fois la médiatisation de ce sport, universel et parlant au plus grand nombre, et développer son internationalisation.
En dépit de l’émergence du rugby sur cette scène médiatique internationale, de nombreux défis devront être relevés au cours des prochaines années. On parle souvent d’un risque de « footballisation » du rugby. Pour continuer à se développer, le rugby va devoir apprendre à ne pas tomber dans ce travers.

Le conflit israélo-arabe : un accord impossible ?

Wed, 04/11/2015 - 11:09

Jérusalem connaît une nouvelle vague de violences. Certains vont jusqu’à parler d’une troisième Intifada. Le mot vous semble-t-il approprié ?
Le terme renvoie à l’idée de soulèvement. Ce à quoi on assiste en ce moment, ce sont plutôt des initiatives isolées. Il n’y a pas de slogan général, si ce n’est la défense de Jérusalem et de l’esplanade des mosquées. Mais ça signifie quand même quelque chose. C’est la traduction en actes violents de l’état d’exaspération et de désespoir de la jeunesse palestinienne. C’est la génération Oslo, celle qui a vécu l’échec des accords. Quand vous parlez d’actualité, c’est aussi l’anniversaire de l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Il faut rappeler qu’il a été assassiné par un extrémiste juif qui avait pour objectif de faire échouer les accords d’Oslo…

Ces derniers mois, on a moins parlé du conflit israélo-palestinien « au profit » du djihadisme au Moyen-Orient. Quelle est l’articulation entre les deux ?
En l’état actuel, il n’y a pas de connexion, de relation. Les djihadistes n’ont pas la cause palestinienne comme revendication première, loin s’en faut ! Ils ne sont pas mus par ce conflit. Leurs principaux ennemis sont d’abord incarnés par les Chiites. Le problème, c’est que les nationalismes qui alimentent le conflit israélo-arabe connaissent une évolution religieuse. Il y a une emprise du religieux dans ce qui était à l’origine des nationalismes relativement classiques, avec libération nationale et création d’un État indépendant. Cette dérive pourrait être finalement récupérée par les djihadistes pour transformer la cause palestinienne en cause purement religieuse. Vous avez aussi une partie de la droite israélienne qui tend à plaquer une grille de lecture religieuse au conflit. Les références à la Bible sont devenues omniprésentes dans les discours politiques. On ne parle plus par exemple de Cisjordanie mais de Judée Samarie.

Le thème c’est : « l’accord impossible ». Est-ce vraiment mort ?Le problème, c’est que l’on s’interroge sur l’existence même d’une volonté de trouver un accord. La volonté est là côté Palestinien, c’est celle exprimée par l’Autorité palestinienne. C’est vraiment du côté israélien que la question se pose. Le secrétaire d’État américain John Kerry, lors de la dernière tentative de relance des négociations, a reconnu que le blocage était dû essentiellement à la rigidité de la position israélienne. Les Israéliens considèrent qu’il est possible de négocier tout en continuant la colonisation. Ce que les Palestiniens refusent.

L’Algérie malmenée

Tue, 22/09/2015 - 17:44

Le limogeage mi-septembre du général Mohamed Médiène, alias Tewfik, chef du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), vient couronner le parachèvement du pouvoir du clan présidentiel. Après plusieurs mois de guerre de tranchée, Abdelaziz Bouteflika a saisi l’opportunité de se débarrasser de cet encombrant officier supérieur.

Dans la nuit du 16 au 17 juillet derniers, au moins trois hommes ont tenté de s’introduire dans la résidence médicalisée de Zéralda, sur le littoral à l’ouest d’Alger, où le président de la République a élu domicile depuis sa longue hospitalisation à Paris début 2014. Repérés par les membres de la garde présidentielle, qui ont fait usage de leurs armes, les assaillants se replient dans la forêt voisine. Que s’est-il passé ? Etait-ce une tentative d’attentat contre la personne du président ? Selon plusieurs sources, le rapport remis au chef de l’Etat évoque « une intrusion, sans trace de douilles ». Aussitôt, plusieurs proches de Bouteflika sont appelés à faire valoir leur droit à la retraite : le chef de la garde républicaine, le directeur général de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP), qui relève directement du DRS. Enfin, le chef de la direction de la Sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage), le général Ali Bendaoud, pourtant proche et zélé serviteur du président est remercié et mis à la retraite d’office sans explication.

Cet épisode a été peu commenté à Alger, où il est toujours difficile d’obtenir ou de vérifier des informations. Au-delà de la dimension sécuritaire, cet incident révèle les tensions et les luttes internes au sérail.

La succession en ligne de mire

Affaibli par la maladie, Bouteflika n’a pas perdu son sang-froid ni son sens aigu des rapports de force. Patiemment et progressivement, il a repris en main les principales manettes du pouvoir réel et placé des fidèles aux postes stratégiques. Dans ce jeu d’ombre, c’est la succession que le président et son entourage préparent et qu’ils veulent contrôler de bout en bout.

La chute des revenus tirés de la vente des hydrocarbures sur le marché mondial, inquiète le régime, qui craint les réactions d’une population dont la détérioration des conditions de vie ne cesse de s’accentuer.

Pour ne pas avoir envisagé de réformer le système de gouvernance qui régit l’Algérie depuis 1965, date du coup d’État de Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika pourrait bien être confronté à un trou noir politique et social. Le contrat sur lequel fonctionne le pays depuis plusieurs décennies a été rompu. Les différentes alliances nouées pour préserver le régime et assurer la redistribution selon des critères très précis ont volé en éclat : alliance civilo-militaire, pouvoir discursif des légitimités, capacité du régime à garantir la sécurité et redistribuer la rente.

Cet équilibre ne fonctionne plus. l’Algérie est confrontée à de multiples défis qu’elle ne parvient pas à gérer et dont elle n’a pas anticipés les conséquences. Le mode de fonctionnement hérité de la guerre froide a atteint ses limites, et il ne semble pas pouvoir survivre à l’actuel chef de l’Etat. Dans ce contexte, quel peut-être l’évolution d’un pays central pour la stabilité de la région ?

Résilience ?

L’irruption au Maghreb de Daech permet au régime de réaménager l’autoritarisme et de grignoter des espaces de démocratie. Face au terrorisme, la sécurité a supplanté les débats, chacun doit se déterminer par rapport à ce facteur dont on ne veut pas faire un acteur. La diabolisation des terroristes de Daech est prétexte pour faire tomber tous ceux qui tentent de porter un projet alternatif. Plus de place pour les processus ou l’idée d’une transition par la négociation.
Rien ne permet, à ce jour, d’entrevoir une volonté de résilience du régime. Bien au contraire, la situation sécuritaire à ses frontières le renforce dans l’idée de « tenir bon », un choix plus ou moins encouragé par ses partenaires européens et américains. D’autant que les nouvelles élites économiques ou politiques font pression pour maintenir le statu quo et gagner du temps pour poursuivre leur enrichissement. Dans le cas de l’Algérie, les nouvelles alliances se tissent à l’extérieur du pays. Habile politicien, diplomate chevronné, Bouteflika comprend que la pérennité de son clan dépend en partie de sa capacité à donner des gages, notamment à la France, et des garanties quant aux intérêts de ses alliés, en échange d’une bienveillante « inattention » à la situation politique du pays. Certains à Alger n’hésitent pas à affirmer que la reprise en main de l’appareil sécuritaire a été longuement préparée durant la convalescence parisienne du président de la République. Voire en concertation avec certains cercles influents de l’appareil d’Etat français. Quoi qu’il en soit, les faits sont têtus : malgré un pouvoir renforcé et un soutien occidental sans faille, le régime est de plus en plus contesté en interne, les revendications sociales sont en hausse et les capacités financières en baisse limitent les champs d’action pour contenir la grogne.

Face à ces multiples crises et à l’autisme du pouvoir, les conséquences à court terme pourraient conduire à un affrontement à l’intérieur du sérail. Cette hypothèse ne garantit en aucun cas la stabilité de l’Algérie, au contraire, elle apporte plus de confusion et moins de légitimité à ceux qui pourraient prendre les rênes du pays sans passer par les urnes.

Changement de la politique de défense japonaise : quel impact régional ?

Tue, 22/09/2015 - 16:58

Comment se caractérise l’environnement sécuritaire régional en Asie ?
La première chose qu’il faut avoir en tête quand on s’interroge sur l’environnement sécuritaire du Japon, c’est le fait qu’il a face à lui un adversaire désigné : la Corée du Nord. Cette dernière dispose de moyens offensifs de grande ampleur contre le Japon puisque les missiles balistiques nord-coréens sont capables de frapper n’importe quel point de l’archipel japonais. On peut ainsi considérer que les décisions qui sont proposées aujourd’hui par le cabinet de Shinzo Abe sont en partie justifiées par cette menace sécuritaire réelle qui, bien évidemment, va de pair avec le caractère instable du régime nord-coréen et donc la possibilité dans le cas d’une escalade de voir ce régime se lancer dans une offensive.
Bien sûr, ce n’est sans doute pas en pensant essentiellement à la Corée du Nord que les milieux conservateurs ont décidé de réinterpréter cette constitution. C’est davantage le référent à la Chine qui est mis en avant ou qui permet d’alimenter cette nouvelle posture stratégique. Le Japon s’inquiète de manière presque tous azimuts de la montée en puissance chinoise. Il s’inquiète également de son déclassement économique et de sa perte d’influence dans la région, notamment face à l’Asie du sud-est où on a vu des offensives fortes de la part de la Chine au cours des deux dernières décennies. Enfin, il s’inquiète de la montée en puissance militaire chinoise. Rappelons que le 3 septembre dernier, la Chine a procédé à cette grande parade militaire dans laquelle elle fait la démonstration de sa force. Dans le même temps, les deux pays sont engagés dans un différend maritime de grande ampleur autour des îles Senkaku et Diaoyu. Nous faisons face à une période très tendue entre les deux pays qui inquiète du côté japonais et peut justifier le fait de renforcer, non seulement ses capacités de défense, mais surtout cette possibilité d’avoir recours aux forces armées de manière à défendre les forces de l’archipel mais aussi les alliés éventuels, en particulier les Etats-Unis, dans le cas d’une confrontation avec un adversaire potentiel.

Dans quelle mesure cette interprétation de la constitution est-elle significative des débats actuels sur la sécurité au Japon ?
Il convient d’abord de rappeler que ce n’est pas la première fois que les Japonais se trouvent divisés sur cette interprétation de la constitution. On peut même estimer que depuis qu’elle est entrée en vigueur après la Seconde Guerre mondiale, sous l’autorité des Etats-Unis, il y a eu de manière assez constante des oppositions entre un mouvement qualifié de pacifiste, très favorable à cette constitution pacifiste et à cet article 9 qui contraint l’emploi de la force sur les théâtres extérieurs, puis de l’autre côté des conservateurs qui eux étaient plus enclin à vouloir permettre au Japon de pouvoir se lancer dans des opérations extérieures. Il n’y a ainsi rien de nouveau. On peut même dire que les débats les plus vifs ne sont pas ceux auxquels on assiste depuis maintenant quelques semaines, avec des manifestations de grande ampleur, qui restent malgré tout inférieures à celles qu’on a pu constater dans les années soixante ou soixante-dix où il y avait des oppositions véritablement sociétales au sein du Japon. Aujourd’hui c’est moins marqué ; on le voit d’ailleurs avec les réactions à cette décision qui a été actée le 18 septembre dernier. Il n’y a pas eu d’énorme mouvement consécutif à cette décision. On a l’impression que les Japonais restent encore dans l’attente. Toutefois, on relève des différences très nettes, non seulement dans l’appréciation qui est à donner de ce rapport du Japon à son environnement sécuritaire mais aussi et surtout des interprétations différentes sur ce que le pays doit incarner comme valeurs et quel doit être le message que le pays doit faire passer à ses voisins et au reste du monde. Ce sont des vieux débats qui font référence aux crimes de l’armée impériale japonaise, à Hiroshima, à un passé qui reste très présent et qui s’invite de manière régulière dans la société japonaise mais que l’on va retrouver aujourd’hui en convergence avec un environnement sécuritaire jugé, à tort ou à raison, instable et potentiellement dangereux.

Quelles sont les réactions régionales de ce changement de la politique de défense japonaise ?
C’est la question la plus importante dans cette nouvelle décision. On relève une possibilité qui semble se confirmer déjà avec l’accueil favorable des Philippines. On semble voir deux camps qui vont progressivement se mettre en place.
D’un côté des pays se montrent inquiets de cette nouvelle posture japonaise et le font savoir en manifestant une hostilité très forte, comme la Chine ou la Corée du Sud. Du fait de leurs différends, ils s’inquiètent de cette nouvelle posture qu’ils estiment potentiellement déstabilisante pour la région. D’autres pays, parce qu’ils entretiennent une rivalité, en particulier avec la Chine, vont accueillir favorablement cette nouvelle prise de position forte de la part de Tokyo tels que les Philippines, sans doute le Viêtnam, dans une moindre mesure Taiwan, et de manière plus large l’Inde qui est engagée depuis plusieurs années dans un dialogue stratégique avec le Japon, soit tous les pays qui s’inquiètent eux aussi pour des raisons qui leurs sont propres de cette montée en puissance chinoise et voient plutôt d’un bon œil le fait que le Japon prenne des responsabilités sur cette question.
Quand on met en perspective cette dimension régionale, on se rend compte que c’est toute une donne qui peut être modifiée et on entre dans une nouvelle forme d’équilibre stratégique dans la région.

États-Unis : les dangereuses visions du monde des candidats républicains

Mon, 21/09/2015 - 18:19

Même ceux qui en 2008 étaient raisonnablement, et donc modérément, optimistes sur la politique étrangère qu’Obama pourrait poursuivre, ont été déçus. Nous savions qu’il n’avait pas de baguette magique mais qu’il éviterait, contrairement à son prédécesseur, de provoquer des catastrophes. Il était évident qu’il ne pourrait pas facilement réparer tous les dégâts provoqués par ce dernier. On pouvait simplement espérer qu’il défendrait l’intérêt national américain avec plus de clairvoyance que son prédécesseur.

Son discours du Caire sur le Proche-Orient avait suscité des espoirs; il a été impuissant à faire avancer la cause de la paix au Proche-Orient.

Son prix Nobel de la paix a été trop anticipé. Il restera, comme éléments positifs, la réconciliation avec Cuba et l’accord nucléaire avec l’Iran. Espérons que les États-Unis signent l’accord de Paris sur le changement climatique en décembre pour améliorer ce maigre bilan. Mais, même les déçus d’Obama risquent de le regretter profondément si un Républicain venait à être élu en 2016.

Le 16 septembre, un débat opposait les onze candidats républicains et était centré sur les questions de politique étrangère. Sur la question la plus importante du moment, la crise migratoire en Europe, chacun a fait assaut de fermeté anti migrants. Nul ne s’est aventuré à dire ce que pouvaient faire les États-Unis pour contribuer positivement à cette crise. On peut concevoir que le sujet n’est pas réellement porteur d’un point de vue électoral. Ce qui est plus inquiétant c’est que l’Union européenne n’a pas été mentionnée une seule fois dans le débat, pas plus que la France.

Le fidèle allié britannique peut éprouver une certaine déception. Le Royaume-Uni n’a pas non plus été évoqué lors du débat. Donald Trump a proposé de laisser Bachar el-Assad et Daech se battre, même jusqu’au bout. Une sorte de réinvention du dual containment, qui n’offre guère de grandes perspectives. Il a également reconnu être mal à l’aise avec les « noms arabes ».

C’est par rapport à la politique à l’égard de la Russie que l’on peut le plus s’inquiéter. Poutine a été traité de gangster par Marco Rubio, qui propose d’aller à Moscou rencontrer ses principaux opposants. Une bonne manière certainement d’avoir de belles photos mais le meilleur moyen de les décrédibiliser totalement aux yeux de la population russe et de nourrir la propagande de Poutine sur le fait que ceux qui le critiquent sont des agents de l’étranger.

Carly Fiorina, qui a marqué des points en mettant en cause Trump, a des idées assez simples sur la politique étrangère. Elle pense ne pas avoir à discuter avec le président russe. C’est tout simplement oublier qu’y compris au pire de la guerre froide, il y eut des contacts entre Washington et Moscou. Elle veut, au contraire, reconstruire la sixième flotte et développer le programme de défense antimissile, et même lancer des exercices militaires « agressifs » (sic) dans les États baltes et envoyer des milliers de soldats en Allemagne. Ainsi, affirme-t-elle, Poutine recevra le message. On peut douter que l’Allemagne soit enthousiaste à l’idée de recevoir des renforts américains. Mais peut-elle pense-t-elle pouvoir agir sans consulter Berlin.

Bien sûr, l’accord nucléaire avec l’Iran a été remis en cause. Fiorina proposait même d’appeler le guide suprême pour lui demander de permettre des inspections américaines sur la plupart des installations militaires iraniennes. Nul doute que Khamenei (qui par ailleurs, petit détail, n’a jamais été en contact direct avec les responsables américains, laissant cela au Président et au gouvernement) obéisse immédiatement à cet ordre. Et que les autres pays qui ont négocié l’accord (Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) apprécient ce changement unilatéral et brutal.

Les candidats ont insisté sur le fait de rebâtir la force militaire américaine, et sur la nécessité de voir les États-Unis de nouveau être leaders dans le monde.

C’est simplement aberrant. L’illusion d’un monde unipolaire, que la catastrophique guerre d’Irak aurait dû définitivement faire voler en éclats, revient à une époque où elle est moins possible que jamais. Le manque de connaissance et compréhension du monde extérieur pour la plupart des candidats républicains est tout simplement hallucinant et annonciateur d’immenses dangers pour le monde et de cruelles désillusions pour Washington.

Tournant militaire au Japon mais non résurgence du militarisme

Mon, 21/09/2015 - 16:31

Samedi matin, c’est un tournant majeur dans la politique de défense du Japon qui a eu lieu. La Chambre des conseillers, chambre haute de la Diète (le parlement japonais) a adopté largement, par 148 voix pour et 90 contre, les deux projets de loi en matière de sécurité du gouvernement conservateur du Premier ministre japonais, Shinzo Abe.
Le parti libéral-démocrate et son allié, le Komeito, ainsi que trois petits partis de l’opposition, ont assuré une confortable majorité aux projets mûris de longue date par Shinzo Abe et ses partisans.

Ce vote met fin à un processus à la fois long – les projets de loi ont été présentés en mai et ont conduit à plus de deux cents heures de débats acharnés – et controversé puisque l’opposition a, jusqu’au bout, tenté de le bloquer. Vendredi, le principal parti d’opposition, le parti démocratique du Japon, appuyé par quatre autres formations, a soumis une motion de censure contre le gouvernement Abe mais elle a été rejetée par la Chambre des représentants, la chambre basse de la Diète.

Shinzo Abe a mis tout son poids dans la balance, convaincu que la législation japonaise doit évoluer et s’adapter à l’environnement international de plus en plus menaçant.
« Ces lois sont absolument nécessaires parce que la situation sécuritaire autour du Japon est de plus en plus grave », a-t-il déclaré jeudi. Ce petit fils de Nobusuke Kishi, Premier ministre révisionniste à la fin des années cinquante et à l’aube des années soixante, estime aussi qu’avec la nouvelle législation, le Japon redeviendra un pays « normal » pouvant jouer un rôle dans les affaires mondiales et prendre une plus grande part du fardeau dans l’alliance militaire avec les États-Unis, ce qui ne peut que réjouir ces derniers qui en font la demande depuis un demi-siècle.

Un changement historique qui inquiète

Que prévoient les projets de loi ?
L’un des d’eux modifie 10 lois existantes en matière de sécurité pour lever diverses restrictions pesant sur les Forces d’autodéfense (FAD, nom de l’armée japonaise), y compris l’interdiction de longue date implicite dans l’article 9 de la Constitution japonaise portant sur la légitimité de l’autodéfense collective.

L’autre crée une nouvelle loi permanente qui permet au Japon de déployer les FAD à l’étranger afin de fournir un soutien logistique aux opérations militaires autorisées par les Nations Unies, impliquant une force étrangère ou multinationale.

Ces lois prévoient donc le passage d’une doctrine de sécurité fondée sur l’autodéfense individuelle à une doctrine d’autodéfense collective qui permettra au Japon de venir en aide à des pays alliés, et notamment aux États-Unis liés par un traité de sécurité avec le Japon depuis 1960. Plusieurs scénarios d’engagement sont évoqués. Ainsi, si un navire militaire américain était attaqué par une force ennemie, chinoise ou nord-coréenne par exemple, les FAD pourraient alors venir en aide à ce bâtiment en danger. Autre possibilité, si le golfe Persique se trouvait miné par une puissance ennemie, le Japon pourrait y déployer des navires pour dégager les lignes de communication, en vertu de ses besoins en approvisionnements énergétiques, notamment pétroliers. Troisième cas de figure, le Japon pourra participer à des opérations de maintien de la paix (OMP) internationales en envoyant des forces qui pourraient désormais fournir un appui logistique et éventuellement protéger des travailleurs étrangers sur place, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. L’intervention armée pour le sauvetage d’otages japonais est également devenue possible. Lors des débats parlementaires, Shinzo Abe s’est d’ailleurs évertué à rappeler l’ampleur de la menace terroriste, soulignant qu’en janvier 2013, 10 otages japonais avaient été tués à l’usine de gaz Amenas en Algérie par un groupe terroriste islamiste.

Ces différents cas de figure envisagés marquent une rupture sensible par rapport à la politique traditionnelle du Japon, fondée sur l’interprétation de la constitution de 1946. C’est donc un tournant historique conduisant à ce que certains commentateurs considèrent comme la sortie de l’archipel de la posture pacifiste de l’après Seconde guerre mondiale.

Jusqu’à présent, les forces armées se limitaient à la seule défense de l’archipel et ses alentours en vertu d’une interprétation de la constitution permettant le droit individuel à l’autodéfense, même si des missions de soutien logistique ont pu être assurées dans les années 2000 en Irak et dans l’océan Indien pour venir en aide aux coalitions internationales dans l’ex-Mésopotamie et en Afghanistan. Dorénavant, les FAD pourront s’engager pour aider, y compris par les armes, un allié menacé. Un tel changement ne laisse pas indifférent les voisins du Japon.

Les pays voisins mécontents

La Corée du Sud considère avec méfiance l’évolution en cours de la législation en matière de défense car elle lui rappelle le militarisme passé de l’ancien « empire du Soleil levant », qui a colonisé par la force le « pays du matin calme » de 1910 à 1945 et y a commis de multiples exactions. Son voisin communiste du Nord, dirigé d’une main de fer par le régime despotique de Pyongyang, est lui plus violent dans ses diatribes aux accents nationalistes, dénonçant le retour du militarisme agressif nippon.

Son allié chinois a, lui, appelé Tokyo à de très nombreuses reprises, jouant aussi de la carte nationaliste qui permet de masquer son impéritie ou en tout cas ses insuffisances, à ne pas menacer la stabilité régionale et à se « conformer à la voie du développement pacifique » que lui-même est bien loin de respecter.

Le peuple japonais inquiet

Dans l’archipel, la population japonaise, très attachée au pacifisme constitutionnel, a exprimé son opposition, manifestant massivement par dizaines de milliers devant la Diète. Et cette opposition n’a pas fléchi malgré les tentatives de l’exécutif de la convaincre du bien-fondé de sa démarche iconoclaste. Un sondage réalisé du 12 au 13 septembre pour le quotidien Asahi Shimbun, situé à gauche de l’échiquier politique, a révélé que 54 % des répondants sont contre les projets de loi, seuls 29 % y apportant leur soutien.

Beaucoup d’électeurs craignent que les nouvelles lois ne puissent entraîner l’Archipel nippon dans une guerre impliquant les États-Unis, allié principal du Japon, alors que Tokyo est traditionnellement dépendant de la diplomatie et de la politique militaire de Washington.

Ils redoutent aussi que ce vote sans précédent ne vide la Constitution de sa substance, puisque la majorité des experts constitutionnels estiment que les nouvelles lois sont contraires à l’article 9 de ladite Constitution, qui n’autorise que le droit à l’autodéfense individuelle et prohibe même l’existence de forces armées.

Du côté de ces forces d’autodéfense, dont Shinzo Abe vient de demander une substantielle hausse du budget pour faire face aux menaces de la Chine et de la Corée du Nord, certains militaires s’inquiètent des développements récents qui les concernent au premier chef mais sont prêts à en assumer les risques. Leurs familles craignent pour leurs vies et sont consternées, voire révoltées par cette « violation » du pacifisme constitutionnel.

Pour autant, si ces inquiétudes sont légitimes, elles sont aussi excessives.

D’abord, plusieurs conditions encadrent l’usage de la force dans la nouvelle législation. Il faut que le Japon soit attaqué, ou qu’un proche allié soit menacé, et que cette attaque mette en péril la survie du Japon et pose un danger clair à la population. L’usage de la force doit également être limité au minimum nécessaire.

Il ne s’agit nullement de déployer des milliers de forces combattantes sur des terrains d’opération où les combats font rage. Il ne s’agit donc pas de revenir au militarisme d’antan mais de permettre au Japon de mieux jouer son rôle dans l’alliance avec les États-Unis et de mieux s’affirmer sur la scène internationale. Quand bien même le gouvernement nippon le voudrait, force est de constater que la population reste massivement attachée au pacifisme hérité de la défaite de 1945. Et si les forces armées sont, depuis, redevenues plus populaires que l’armée impériale honnie, il n’est nullement question de les transformer en un nouvel instrument de conquête.
Hormis une dégradation brutale et menaçante de l’environnement sécuritaire régional, on ne doit pas craindre une résurgence du militarisme nippon.

Visite de François Hollande au Maroc : quels enjeux ?

Mon, 21/09/2015 - 14:48

Quel a été le contenu de cette visite diplomatique ? Est-elle le marqueur de la réconciliation entre Paris et Rabat, mettant fin à la crise diplomatique intervenue en 2014 ?
Cette visite intervient clairement pour parachever la réconciliation qui était entamée déjà depuis plusieurs mois. Il s’agissait pour le président de la République, François Hollande, de marquer le coup en rendant visite à son homologue le roi Mohammed VI à Tanger. Cette visite vient conforter et réconforter ceux qui souhaitaient que cette brouille soit totalement derrière nous et permet de repartir sur des bases différentes ; les Marocains ont en effet fait savoir qu’ils souhaitaient construire une relation nouvelle sur le plan diplomatique. C’est tout à fait légitime du point de vue du Maroc parce qu’il y a de enjeux nouveaux, à la fois en termes économiques et sécuritaires. Le pays joue un rôle extrêmement important compte tenu des menaces qui pèsent aujourd’hui au Maghreb et qui concernent aussi la France.

Plusieurs entreprises françaises étaient présentes au sein de la délégation. Quels sont les enjeux économiques de cette visite pour la France ?
Les enjeux économiques sont très importants parce que pour la troisième année consécutive, la France n’est plus le premier partenaire commercial du Maroc, supplantée par l’Espagne. Il s’agit d’un élément de taille car, après l’Algérie, où la France a également été délogée par le géant chinois, premier partenaire commercial du pays depuis maintenant cinq ans, c’est au Maroc, dans l’un de ses très anciens bastions, que la France voit ses positions battues en brèche sur le plan économique et commercial.
Après l’Europe, le Maghreb est ce qui permet à la France de continuer d’être une puissance dont la voix est entendue, parfois écoutée. Si elle perd définitivement cette position au Maghreb, stratégique sur le plan économique car considéré comme son arrière-cour depuis plus d’un siècle, elle risque de se voir aussi contester sa position dans le monde et notamment son siège au Conseil de sécurité des Nations unies. La France doit chercher à établir de nouveaux partenariats économiques et commerciaux avec le Maroc pour tenter d’inverser la tendance et redevenir le premier partenaire commercial du Maroc, même si sur le plan culturel, c’est au Maroc qu’il y a le plus de centres culturels et de lycées français dans le monde. En effet, si la position de la France sur le plan économique n’est pas très bonne, elle reste de très loin la première sur le plan du rayonnement culturel et linguistique.

Quelle est la nature de la coopération entre le Maroc et la France en matière de lutte contre le terrorisme ? Pourquoi le Maroc est-il considéré comme un partenaire privilégié ?
Cette coopération est essentielle. C’est aussi l’une des raisons de la visite du président de la République au Maroc. Il fallait absolument que la coopération soit relancée. Encore une fois, l’implantation de Daech au Maghreb, notamment en Libye et en Tunisie avec les attentats commis au début de l’année 2015, est extrêmement inquiétante, non seulement pour les Etats du Maghreb mais également pour la France. Il fallait absolument que cette brouille diplomatique soit totalement dissipée pour permettre de relancer la coopération et d’avoir de la fluidité dans les échanges ainsi que dans la lutte contre le terrorisme. C’est absolument vital pour tout le monde et notamment pour la France car le Maroc est un pays allié, un partenaire stratégique depuis longtemps dans la lutte contre le terrorisme. Il permet notamment de faire passer des informations sur des groupes ou des individus qui pourraient être dangereux. La France dispose d’une bonne maîtrise de la technologie qui permet aussi au Maroc de continuer à pouvoir compter sur son allié français dans la stabilité du royaume. Il y a ainsi des intérêts bien compris de part et d’autre pour que cette lutte contre le terrorisme soit relancée mais également renforcée car la menace que fait planer Daech concerne aujourd’hui absolument tout le monde en Méditerranée occidentale ou orientale.

Burkina Faso, un putsch révélateur d’une grande fragilité politique

Fri, 18/09/2015 - 15:48

Le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major et bras droit de l’ancien président Blaise Compaoré en exil depuis le 31 octobre 2014, a pris la tête des putschistes issus du Régiment de la Sécurité présidentielle (RSP) qui ont renversé le 16 septembre les autorités de transition au Burkina Faso. Il a promis d’organiser « rapidement » des élections prévues à l’origine pour le 11 octobre 2015.

Les violences qui ont eu lieu lors de ce coup d’Etat ont fait au moins trois morts et une soixantaine de blessés, des militaires qui quadrillaient la capitale, tirant pour disperser les manifestants hostiles au coup d’Etat.

Les réactions internationales ont été unanimes pour réclamer la libération du Président de transition Mathieu Kafando, du premier ministre Isaac Zida (lui-même un officier du RSP) et les ministres arrêtés lors du Conseil des ministres.
Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, a formulé sa « ferme condamnation du coup d’Etat » dans le pays et a estimé que « les responsables de ce coup d’Etat et de ses conséquences devaient rendre des comptes ». La France a adopté la même attitude, tout en indiquant que le contingent militaire français présent au Burkina Faso n’a « pas à interférer » dans les événements en cours à Ouagadougou.

Cette situation est révélatrice d’une faiblesse chronique des institutions démocratiques africaines. La transition politique née de l’insurrection exemplaire conduite il y a onze mois par la société civile avait suscité beaucoup d’espoir. Hélas, les erreurs ont été nombreuses. L’exclusion par les organes de transition d’un certain nombre de candidats du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ancien parti au pouvoir, aux législatives et à la présidentielle, dont Djibrill Bassolé, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, parce qu’ils avaient pris une position favorable à l’amendement constitutionnel permettant à Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat après 27 ans au pouvoir, a fourni un prétexte au RSP pour intervenir. Arque-boutés à cette position, les responsables de la transition se sont discrédités, quitte à aller contre la décision de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a invalidé en juillet le nouveau code électoral. La saisie de plusieurs milliers de fausses cartes d’électeurs en septembre avait encore un peu plus contribué à renforcer la défiance envers la classe politique. L’annonce de la dissolution du RSP composé de 1200 hommes par son intégration dans l’armée régulière était aussi vécue comme une provocation par des soldats jusque-là choyés par le régime et largement indépendants. La prise de risques était forte. Le hasard de calendrier s’en est mêlé. Le juge d’instruction en charge de l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara en 1987 venait de convoquer les avocats des parties civiles pour leur communiquer les résultats de l’autopsie du corps présumé de l’ex-président.  Gilbert Diendéré est sous le feu des projecteurs pour son rôle trouble dans cet assassinat jamais élucidé. C’est lui qui en effet supervisait son arrestation qui tournera au bain de sang.

La transition a brutalement déraillé et le Burkina Faso, qui a longtemps figuré parmi les bons élèves des bailleurs de fonds internationaux se retrouve fragilisé et déchiré. On attend une attitude claire et unanime des partis en présence et de leurs candidats aux élections, à commencer par les deux principaux rivaux, Roch Kaboré et Zéphirin Diabré, qui jusqu’à présent semblaient se satisfaire de la mise à l’écart des candidats proches de Blaise Compaoré. On peut aussi compter sur la vigilance, voire sur l’activisme des associations de la société civile, notamment du célèbre groupe « le balais citoyen » pour ne pas accepter une régression institutionnelle et démocratique.

Enfin, la position et l’intervention des pays voisins dont les institutions sont les mieux assises (Ghana, Sénégal et Bénin en particulier) seront cruciales. Ce coup d’Etat pourrait menacer la stabilité de la sous-région. Plusieurs pays organisent des élections présidentielles dans les prochains mois : la Côte d’Ivoire et la Guinée en octobre, le Niger en février 2016. Et le Mali est toujours dans un état de grande vulnérabilité. Si le chaos s’installe au Burkina Faso, cela risque d’entériner les déséquilibres d’une région avec des issues politiques et sécuritaires incertaines et, au-delà, de conforter le doute sur la démocratisation en marche en Afrique subsaharienne.

Fin du Printemps africain au Burkina Faso ?

Fri, 18/09/2015 - 12:15

Fin octobre 2014, le mouvement conduit par la jeunesse burkinabée avaient abouti au départ du « président à vie » Blaise Compaoré. À Ouagadougou, la population s’était fortement mobilisée, et l’on estimait que près de 500 000 personnes étaient descendues dans les rues de la capitale. Cette détermination avait fait plier le pouvoir, entraînant l’annulation du projet de modification de la constitution, ainsi que l’incendie du Parlement et de plusieurs bâtiments officiels dont la mairie et le siège du parti dominant à Bobo Dioulasso. Mis sous pression, le président Compaoré, au pouvoir depuis 1987, avait été obligé de démissionner.

Le 16 septembre, soit près d’un an plus tard, le régiment de sécurité présidentielle (RSP) a conduit un véritable coup de force en prenant en otage le président de transition, Michel Kafando, et le Premier ministre Isaac Zida. Dès le lendemain, le coup d’Etat était officialisé avec la dissolution des institutions et la prise du pouvoir par l’ancien chef d’Etat-major du président déchu, Gabriel Diendere. Dans la foulée, les manifestants étaient dispersés par des tirs de sommation et des affrontements qui avaient fait morts et blessés. Alors que la communauté internationale a condamné ce putsch, le couvre-feu a été instauré et les frontières du pays ont été fermées.

Mise en perspective historique

La Haute Volta, devenue Burkina Faso en 1984, avait connu, depuis l’indépendance, une alternance d’élections présidentielles et de coups d’Etat. Blaise Compaoré, jeune capitaine, avait accédé au pouvoir en 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara. Avec ce dernier, il avait été à l’origine de la révolution de 1983. Une fois aux affaires, il instaura un régime semi-autoritaire à la tête duquel il conduit deux mandats de sept ans, puis deux de quatre ans. Pour le soutenir dans l’exercice du pouvoir et exécuter les basses besognes, il avait pu compter sur le soutien du RSP (régiment de sécurité présidentielle), une troupe d’élite constituant un véritable « Etat dans l’Etat ».
Depuis1987, la situation semblait toutefois s’être stabilisée, le Burkina Faso, « pays des hommes intègres », étant perçu comme politiquement stable et géré de manière satisfaisante du point de vue économique. Ce pays enclavé, un des plus pauvres de la planète malgré des ressources importantes en or (80% des exportations et 20% du budget) et l’exploitation du coton, présentait une croissance économique de l’ordre de 7% par an et affichait une faible inflation, ainsi qu’un déficit budgétaire et une dette extérieure réduits.

Puissance diplomatique régionale, ce petit pays avait diversifié ses partenaires et établi des liens particuliers avec Taïwan. Il jouait un rôle diplomatique majeur dans la région : il était devenu récemment une pièce importante du dispositif militaire français Barkhane et de la coopération régionale face au djihadisme. Le Burkina Faso avait fait montre jusqu’à présent d’une maturité politique par des actions citoyennes et un jeu politique qui n’était ni ethnicisé, ni lié aux référents religieux. Le régime de Blaise Compaoré s’appuyait sur un parti largement dominant, une armée républicaine (même si en 2011 avait eu lieu une mutinerie de la base contre la hiérarchie) et le rôle des anciens (les bérets rouges, des notables qui donnaient les consignes de vote). Ainsi, pouvait-on observé une combinaison de pouvoirs « traditionnels » – notamment du Mogho Naba, « roi » des Mossis -, de pouvoir militaire occulte du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et de pouvoir légitimé par les urnes.

L’image positive véhiculée par le Burkina Faso cachait évidemment des aspects moins présentables qui restaient présents dans les mémoires : entre autres, citons l’assassinat de Thomas Sankara en 1987, les liens de Blaise Compaoré avec Charles Taylor au Libéria et l’Unita en Angola, le contrôle du trafic d’armes et de diamant, son rôle dans la rébellion du nord de la Côte d’Ivoire, ses relations avec le leader libyen Mouammar Kadhafi ou encore la disparition du journaliste Norbert Zongho.

Blaise Compaoré était à double-face, à la fois pyromane allumant des incendies et incontournable médiateur pour les éteindre. Le « président à vie » excellait à attiser les conflits régionaux et se positionner comme acteur de leur résolution. S’il était, à l’époque de la « France-Afrique », un interlocuteur majeur de fait pour la France, il savait aussi jouer des appuis des Etats-Unis et de Taïwan. Ainsi, dans le système néo-patrimonialiste transnational de Compaoré, les ressources mobilisées dans les alliances et le contrôle de trafics divers avec les acteurs régionaux pouvaient financer le jeu politique interne.

Finalement, Blaise Compaoré avait chuté après avoir voulu modifier la constitution lui permettant de briguer un énième mandat. Il se considérait comme irremplaçable et l’oligarchie politique et les affairistes qui bénéficiaient de son pouvoir risquaient de perdre leurs prébendes [1]. Toutefois, la mobilisation de la rue et des leaders de l’opposition avaient balayé ce projet, laissant place à des affrontements violents entre manifestants et forces de l’ordre qui tiraient à balle réelles. L’annulation du vote n’avait pas pour autant arrêté les mouvements de colère.

Suite à la chute de Compaoré, un gouvernement de transition fut mis en place sous la responsabilité du président par interim Michel Kafando. Isaac Zida, un des chefs du RSP, devenait pour sa part premier ministre. Avec des élections législatives et présidentielles prévues pour le 11 octobre, la transition démocratique semblait bien engagée. Deux mesures, prises récemment ou programmées, ont cependant mis le feu aux poudres : l’impossibilité des membres du CDP ayant accepté le « coup d’Etat constitutionnel » de se présenter aux élections présidentielles et le projet de dissolution du RSP.

Le 17 septembre, le général Diendéré a finalement pris le pouvoir et les manifestations ont fait au moins 1 mort et 60 blessés. Un conseil de transition dénommé Conseil National pour la Démocratie a été mis en place. Aujourd’hui, de nombreuses incertitudes demeurent. Quelle est la position des divers corps d’armée, quelle sera la détermination des manifestants, y aura-t-il négociation ou durcissement du tout nouveau régime ?

Les enjeux du coup d’Etat

Depuis un an, le Burkina Faso était devenu un modèle de transition démocratique et de volonté populaire. Ce coup d’Etat est regardé de manière attentive par tous les pays africains où des manipulations constitutionnelles sont en cours. L’enjeu concerne la lutte entre la jeunesse africaine d’une part, bombe à retardement désireuse de changement qui veut avoir sa place dans le champ politique, social et économique, et les satrapes ou hommes en uniforme d’autre part, en connivence avec l’affairisme politique. Cette jeunesse burkinabée, qui se réfère à des héros tels que Thomas Sankara, est informée par les réseaux de communication et souhaite être un exemple vis-à-vis des « présidents à vie » africains. Elle prouve qu’en Afrique, le jeu politique et économique est devenu largement une lutte des classes d’âge.

En parallèle, le coup d’Etat du Burkina Faso est révélateur du rôle des armées dans la politique nationale. Ainsi, le général Gabriel Dienderé jouait à l’époque de Compaoré un rôle central : si le RSP a assuré les basses besognes du régime en participant à l’assassinat de Zongo ou de Sankara, il ne faut pas oublier qu’il a également été un régiment d’élite aux côtés de l’opération Serval au Mali. Les forces armées burkinabées sont donc divisées entre des unités paupérisées et des régiments d’élite suréquipés et entraînés dont le rôle est d’assurer l’ossature du pouvoir et de garantir les prérogatives des politiques. Le cœur des militaires balance donc entre le Régiment de Sécurité Présidentielle, fort de 1300 hommes bien équipés et rémunérés dont faisait partie le Premier ministre de transition, le lieutenant-colonel Zida, mais aussi les hauts gradés et la base.

A l’époque de Compaoré, l’opposition officielle restait quant à elle divisée entre les leaders de quelques 74 partis. Le Congrès du Parti pour la Démocratie et le Progrès (CDP) ainsi que ses alliés représentaient alors environ ¾ des parlementaires. Les principaux opposants qui l’avaient quitté en début d’année (Christian Kaboré, Diallo, Compaoré) avaient fondé le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP). Les autres principaux opposants étaient Sankara, du parti sankariste, et Zephirin Diabré, candidat de l’Union du peuple pour le progrès (UPC). Après le départ de l’ancien président, l’armée, sous pression, avait alors facilité le retour à l’ordre institutionnel, autorisant un organe de transition dirigé par un civil dans un cadre constitutionnel et la mise en œuvre dans un délai d’un an d’élections présidentielles et parlementaires.

Pour le premier tour des présidentielles du 11 octobre, quatorze candidats étaient ainsi en lice, avec deux favoris : Zephirin Diabre et Christian Kabaré. En revanche, le CDP dénonçait les fraudes électorales, avec de fausses cartes d’électeurs et l’élimination de ses candidats. Point d’orgue de leur frustration, Eddie Kambaïga, président du CDP, avait vu sa candidature invalidée par le Conseil Constitutionnel. Ce sont ces fraudes et exclusions de la compétition qui ont été présentées par les putschistes comme les raisons de leur coup d’Etat.

A la suite des événements originaux, ce sont les rapports de force, internes au Burkina Faso mais également internationaux, qui ont changé. En octobre 2014, les instances africaines de l’Union africaine (UA) ou de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avaient menacé de sanctions le pouvoir militaire s’il ne remettait pas le pouvoir aux civils dans les 15 jours. De la même façon, ils ont aussitôt condamné le coup d’Etat de septembre 2015. Par ailleurs, des moyens de pression existent de la part des bailleurs de fonds vis-à-vis d’un pays où l’aide représente plus de 10% du PIB. Barack Obama s’était prononcé en octobre 2014 pour que les nouvelles générations puissent accéder aux responsabilités quelles que soient les qualités des dirigeants actuellement aux commandes. Dans le même esprit, l’Union européenne avait affirmé à l’époque « son attachement au respect des dispositions constitutionnelles en vigueur ainsi qu’aux principes définis par l’UA et la CEDEAO sur les changements constitutionnels ». En toute logique, elle a immédiatement condamné le putsch du général Dienderé. Si la France, par la voix de François Hollande, avait demandé le 7 octobre 2014 à Blaise Compaoré de respecter les règles constitutionnelles, elle a tout de même participé à son exfiltration en Côte d’Ivoire. Comme ses homologues européens, le président français a ferment condamné le récent coup d’Etat. La Chine, pour sa part, reste silencieuse mais attend la rupture avec Taïwan.

Le Burkina Faso est devenu un enjeu stratégique du fait des frontières qu’il partage avec le Nord-Mali, ainsi que par la présence de forces spéciales américaines et françaises. Ouagadougou est le lieu névralgique du renseignement (opération Sabre, DGSE, renseignement militaire) dans le dispositif Barkhane. Jusqu’ici, pourtant, ce pays était resté stable et sécurisé dans un environnement menaçant. Les chancelleries et diplomates ont toujours des difficultés à anticiper les révolutions, et ont une préférence pour les hommes forts connus de leurs services, qui assurent la stabilité à court terme. Comment peuvent-ils s’adapter au nouveau contexte, concilier les objectifs de la real politik et les droits de l’homme, dans un monde hyperconnecté où les représentations et les évènements s’accélèrent avec effets de contagion transnationale ?

Le devenir du Burkina Faso est incertain. Le général Diendéré a déclaré le 17 septembre qu’il libérerait les responsables politiques « otages », qu’il mettrait en œuvre des élections inclusives et qu’il remettrait le pouvoir à des civils. Il existe des marges de manœuvre permettant des négociations avec le RSP et le CDP concernant un élargissement de la liste électorale lors d’élections retardées et une reconversion du RSP dans des activités militaires notamment de lutte contre le terrorisme.

A peine installé, le gouvernement putschiste peut difficilement tenir à défaut de financements extérieurs et de soutien auprès de la population. S’accrocher au pouvoir ne peut se terminer que par des affrontements violents dont on ne peut prévoir quel sera l’engrenage. Le printemps africain que représentait il y a un an le Burkina Faso risque de devenir un septembre noir.

 

[1] Sur le plan juridique, la révision de l’article 37 de la constitution, limitant à deux le nombre de mandat, était possible de deux manières. La première était un vote majoritaire de ¾ (soit 96 voix favorables) au Parlement. La seconde était un référendum. Blaise Compaoré avait discrètement organisé le vote du parlement. Arithmétiquement, son parti le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) disposait de 70 voix sur 127 voix des parlementaires. Il était lié à des petits partis représentant 11 voix. Il avait besoin de 15 voix supplémentaires qu’il avait marchandées avec l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération (ADF) et le Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Le Président avait ainsi obtenu les 96 voix nécessaires.

Moyen-Orient : le rapport de force plutôt que la solution politique ?

Thu, 17/09/2015 - 17:47

Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l’IReMMo répond à nos questions à propos de son ouvrage « Violence et politique au Moyen-Orient » (Presses de Sciences Po), co-écrit avec Pierre Blanc :
– Quelle est la typologie des violences que vous identifiez pour le Moyen-Orient ?
– Vous parlez de « déni politique » au Moyen-Orient. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– Face à la situation de chaos qui règne dans une grande partie du Moyen-Orient, vous évoquez dans votre ouvrage les chemins qui auraient pû ou qui pourraient conduire à la paix. Quels sont-ils ? Ces derniers n’ont-ils jamais paru aussi éloignés ?

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