1. Un programme à maturité qui arrive au bon moment
Le Rafale, depuis son entrée en service dans les années 2000, ne s’est pas exporté. En effet, l’avion n’était pas encore éprouvé au combat – c’est le cas aujourd’hui -, ses capacités étaient encore limitées en termes notamment de missiles et de radars, et les Américains proposaient des avions, certes en fin de vie, mais éprouvés au combat et à des coûts inférieurs au Rafale.. La concurrence était alors trop forte. Aujourd’hui, l’avion a fait ses preuves en Libye, en Afghanistan au Mali ainsi qu’en Syrie. Il est également arrivé à maturité en termes de capacité de radars et de missiles. Les Américains préfèrent, en outre, proposer le F-35, avion plus moderne, mais aussi plus cher, non éprouvé au combat, et qu’ils ne proposent pas à tous les pays. Parallèlement, le concurrent européen du Rafale, l’Eurofighter tarde à acquérir sa capacité d’attaque au sol, le Gripen suédois est moins performant et une partie de sa technologie est dépendante des Etats-Unis. Reste comme concurrent crédible les avions russes, qui concurrençaient le Rafale en Inde, mais les capacités de soutien et de maintenance des Russes laissent aujourd’hui à désirer. Le Rafale s’impose donc comme la meilleure option en 2016.
2. L’Inde : des contrats toujours au long cours
L’annonce de l’achat par l’Inde de 36 avions de combat vient à l’issue d’une négociation de contrat de plus de quatre ans. En janvier 2012, l’Inde avait annoncé son intention d’acheter des Rafale dans le cadre d’un appel d’offres où Européens, Américains, Russes et Français s’affrontaient. En première intention, les Indiens souhaitaient acheter 126 avions, parmi lesquels, 108 devaient être fabriqués en Inde. Les conditions imposées par les Indiens étaient très contraignantes à mettre en œuvre, et augmentaient le coût des avions. Finalement, le président indien Modi a décidé, l’année dernière, d’opter pour l’achat de 36 avions fabriqués en France même si le contrat donnera lieu à des accords de compensation à hauteur de 50% du contrat. Ce type de contrat, avec compensations et transferts de technologie, est habituel aujourd’hui dans les transferts d’armement, mais un an de négociations a encore été nécessaire. Ce qui pourrait apparaitre comme « le roman de la vente du Rafale à l’Inde » n’est toutefois pas exceptionnel pour les habitués des négociations de contrats d’armement avec l’administration du ministère de la Défense indien. Sa bureaucratie est, en effet, très lourde, mais d’une certaine manière démocratique, et les avis sont souvent divergents entre les différents services concernés.
3. La vente d’armes, une règle : ne pas confondre le rôle de l’Etat et celui de l’industriel
La vente de Rafale à l’Inde qui succède à celles conclues avec le Qatar et l’Egypte ne doit pas uniquement son succès à l’avion de Dassault. Des ventes de sous-marins à l’Australie, d’hélicoptères à la Pologne et à la Corée du sud, pour ne citer que quelques exemples, ont précédé le contrat avec l’Inde. La France a, ces cinq dernières années, enfin réussi à organiser son système de soutien et de promotion à l’exportation. Cela restera notamment au crédit du ministre de la Défense Jean-Yves le Drian. La recette de ce succès est pourtant simple. A l’Etat le rôle de l’Etat, celui d’inscrire la vente d’armes dans le cadre de la politique étrangère et de défense de la France, de développer, si nécessaire, la notion de partenariat stratégique, et de jouer le rôle d’assistance en maitrise d’ouvrage si l’Etat acheteur le souhaite, en s’appuyant sur les compétences de la Direction générale de l’armement (DGA). A l’industrie pour sa part, le rôle de présenter l’offre technique et de négocier prix, accords de compensation et transferts de technologie, sous le contrôle de l’Etat français dans ce dernier cas. Cela nécessite bien évidemment une bonne coordination entre l’industriel et l’Etat, coordination qui certes ne semblait pas acquise entre le gouvernement français et Dassault il y a cinq ans, mais qui s’est avéré très efficace à l’usage. Tout le monde avait toutefois intérêt à ce que le Rafale s’exporte, comme les autres armements français, afin de soulager le budget de la défense tout en préservant la compétitivité de l’industrie de défense française. Cette compétitivité est elle-même la clé de notre capacité à préserver une politique souveraine.
Les attentats des 17 et 18 septembre peuvent-ils redynamiser la campagne de Donald Trump qui a fait de la lutte contre le terrorisme son fer de lance ?
Je ne pense pas que la campagne de Trump manque de dynamisme, c’est plutôt le cas de celle de Clinton. Les attentats confortent le candidat républicain dans sa ligne. Celle-ci combine la remise en cause de la politique d’Obama au Moyen-Orient et présente la candidate démocrate comme étant dans cette continuité. Trump porte de graves allégations envers Hillary Clinton, qu’il accuse d’être à l’origine de la naissance de Daech. Le candidat républicain fait, en effet, le lien entre l’intervention américaine en Irak, soutenue par Clinton à l’époque, et l’émergence de l’organisation terroriste. Même s’il ne le dit pas clairement, ses critiques de l’intervention américaine en Irak pourraient également viser la politique des néoconservateurs de l’ère George W. Bush qui soutiennent aujourd’hui Clinton et appellent à voter contre lui.
Donald Trump s’inscrit ainsi dans une rhétorique dénonciatrice sans véritablement proposer de politiques de lutte contre le terrorisme. Peu de propositions émanent de ses discours, mis à part l’interdiction d’accès au territoire des musulmans du monde entier, surtout ceux venant de pays qu’il estime « complaisants » avec le terrorisme – dont la France. Il conserve ainsi sa diatribe qui consiste à opposer les musulmans au reste de la population.
Comment analysez-vous la réaction d’Hillary Clinton et du camp démocrate ? La campagne risque-t-elle d’infléchir à droite et de se radicaliser sur les thématiques sécuritaires ?
Hillary Clinton perd du terrain dans les sondages, pas forcément au profit de Trump, mais de Gary Johnson. Le candidat du Parti libertarien la malmène notamment en Floride, selon les sondages, un Etat stratégique pour l’ex-First Lady. Elle ne parvient pas à séduire la jeunesse.
Face aux attentats, Hillary Clinton a tout intérêt à continuer de jouer sur son expérience en matière de lutte contre le terrorisme et de politique étrangère. Depuis le début de la campagne, elle met régulièrement en avant son statut d’ex-secrétaire d’Etat, son rôle dans la lutte contre l’islamisme et, entre les lignes, sa participation au gouvernement qui a traqué et tué Ben Laden. Hillary Clinton défend, ce que certains lui reprochent, un interventionnisme militaire et une vision géopolitique qu’on peut qualifier d’agressive. Elle parvient, d’une part, à mettre en avant expérience, fermeté, professionnalisme et responsabilité potentiellement en tant que chef d’Etat, et donc chef des armées, elle attaque Trump, d’autre part, sur son amateurisme, ses idées fantaisistes, et donc sa dangerosité.
En conséquence, je ne crois pas qu’Hillary Clinton radicalisera son discours en prônant, par exemple, une intervention militaire au sol en Syrie. L’opinion américaine est encore traumatisée par les expériences irakienne et afghane qui ont coûté cher au pays, humainement et financièrement parlant. Elle n’a donc aucun intérêt à droitiser son discours et je pense qu’elle va essayer de conserver une posture professionnelle et responsable sur les questions de terrorisme.
Ces nouvelles attaques sur le sol américain sont-elles en mesure de modifier la politique étrangère de Barack Obama, deux mois et demi avant la fin de son mandat ? Pensez-vous que le président américain, par sa réaction aux attentats, peut influencer l’électorat et la campagne d’Hillary Clinton ?
Je ne pense pas que Barack Obama changera de stratégie en termes de politique étrangère au moment où l’accord avec la Russie sur la Syrie se fragilise. A un mois et demi de l’élection, je ne vois pas le président américain prendre des mesures qui risqueraient de mettre en danger Hillary Clinton et le camp démocrate en vue des élections.
Barack Obama risque, en revanche, de multiplier ses interventions médiatiques dans le cadre de la campagne, pour durcir le ton à l’encontre de Donald Trump et pour soutenir Hillary Clinton. A l’approche des élections, le président des Etats-Unis intensifiera ses discours de soutien envers la candidate démocrate, mettant en avant une femme politique professionnelle, crédible et réfléchie, face à un candidat irrationnel et changeant constamment d’idées. Il vient du reste d’appeler fermement les Afro-Américains à se déplacer le 8 novembre.
Il y a cinq ans, l’intervention militaire des forces de l’OTAN – soutenues par quelques pays arabes – prenait fin en Libye. Le 15 septembre 2011, le président de la République française Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron – suivis de près par Bernard-Henri Levy -, débarquaient à Benghazi en libérateurs du peuple libyen… On connaît la suite : un pays qui a sombré dans le chaos, toujours sans gouvernement national, en quête de sécurité et stabilité politique, en proie à la division et aux tensions claniques et tribales. Une situation interne qui a des répercussions directes sur l’environnement régional, puisque l’éparpillement des armes de l’ex-armée loyaliste et l’ancrage de foyers djihadistes constituent autant de source de déstabilisation pour les voisins égyptiens, maghrébins et subsahariens. La situation actuelle est le fruit de l’intervention militaire de la coalition internationale. En ce sens, les Occidentaux portent une responsabilité historique – mais pas totale- dans la tragédie libyenne.
Ce jugement est directement tiré des conclusions du rapport parlementaire britannique rendu public le 14 septembre dernier. Que dit ce document officiel ? D’abord, que l’intervention militaire en Libye était fondée sur une mauvaise évaluation de la situation : David Cameron « a fondé l’intervention militaire britannique en Libye sur des suppositions erronées et une compréhension incomplète du pays ». En effet, les députés britanniques estiment que la menace contre les civils a été exagérée et que la rébellion comprenait une composante islamiste-djihadiste par trop sous-estimée : « [Le gouvernement britannique] n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime de Kadhafi faisait peser sur les civils ; il a pris au pied de la lettre, de manière sélective, certains éléments de la rhétorique de Mouammar Kadhafi [et de Bernard Henri-Lévy ?]; et il a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion ». La stratégie du Royaume-Uni dans ce dossier « fut fondée (…) sur une analyse partielle des preuves », insistent ces parlementaires. De plus, les députés accusent David Cameron d’avoir privilégié une stratégie coercitive et d’avoir ainsi négligé la voie diplomatique et politique en vue d’écarter Mouammar Kadhafi du pouvoir : « Un engagement politique aurait pu permettre de protéger la population, de changer et de réformer le régime à un coût moindre pour le Royaume-Uni et la Libye. Le Royaume-Uni n’aurait rien perdu en suivant ces pistes, au lieu de se focaliser exclusivement sur le changement de régime par des moyens militaires. »
Un tel dévoiement n’est pas le produit du hasard. La France et la Grande-Bretagne- soutenus en l’espèce par les Etats-Unis- ont une longue tradition en matière d’expédition militaire, en particulier sur les rives sud et est de la Méditerranée. L’épisode libyen s’inscrit aussi dans l’histoire de l’ingérence de ces anciens empires européens dans les affaires intérieures des pays arabes. Etait-elle pour autant illégale? L’intervention des puissances occidentales- sous l’égide de l’OTAN- se fondait sur la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui permettait le recours à la force par des frappes aériennes en vertu du principe de la « responsabilité à protéger des populations civiles ». Plus précisément, la résolution- adoptée en vertu de l’article 42 de la Charte des Nations Unies- décide non seulement l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne- qui consiste à interdire tous vols dans l’espace aérien de la Libye, à l’exception des vols dont l’objectif est d’ordre humanitaire- mais « autorise les Etats membres (…) à prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les civils et les zones peuplées par des civils sous la menace d’attaques y compris Benghazi, tout en excluant une force étrangère d’occupation sous quelque forme que ce soit dans n’importe quelle partie du territoire libyen ». La résolution présentait une base juridique suffisamment large pour permettre des formes d’interventions avec des tirs au sol, mais sans déploiement au sol de forces terrestres (la résolution excluait en effet « toute force étrangère d’occupation »). Surtout, même si elle ne fixait ni calendrier des opérations, ni objectifs précis, le mandat onusien ne visait nullement le renversement du régime libyen. Or non seulement des attaques aériennes ou par missiles ont été menées au-delà des « lignes de front » ou zones de combat entre l’armée loyaliste et les rebelles, mais des opérations ont visé la personne même du colonel Kadhafi afin de faire tomber le pouvoir en place. En ne se limitant plus à la protection des civils, mais en cherchant la chute du régime, les puissances occidentales ont agi en dehors du cadre strict de la résolution de l’ONU et ont ainsi franchi les limites de la légalité internationale. L’opération destinée à protéger les civils s’est transformée en une opération de renversement de régime. Une stratégie qui fut d’ailleurs assumée par les principaux protagonistes : le primat de la puissance sur le droit transparaissait dans une tribune commune des principaux chefs d’Etat et de gouvernement de la coalition (Nicolas Sarkozy, Barack Obama et David Cameron), dans laquelle ils avaient explicitement demandé le départ de Mouammar Kadhafi, ce que la résolution de l’ONU n’exigeait/n’autorisait pas…
Derrière le renversement du régime, les motivations réelles qui ont animé le président français Nicolas Sarkozy ont été « révélées » par le rapport britannique. Soupçonné d’avoir bénéficié en 2007 de fonds libyens afin de financer sa campagne, il aurait pris la décision d’intervenir en Libye en 2011 dans le but, entre autres, d’accéder au pétrole libyen, d’accroître l’influence française en Afrique du Nord et… d’améliorer sa situation politique en France. Non seulement on est très loin des considérations humanitaires et droits-de-l’hommiste invoquées à l’époque- y compris par la voix du médiatique BHL-, mais l’intérêt du peuple libyen ne semble à aucun moment pris en compte. Seuls les intérêts nationaux et personnels (celui de N. Sarkozy) ont voix au chapitre.
Ce rapport parlementaire britannique intervient alors que Barack Obama a déjà reconnu que « cet épisode libyen a été la pire erreur de [s]on mandat ». En France, un tel questionnement politique est introuvable. La question semble taboue, notamment parce que la droite parlementaire comme la gauche socialiste avaient soutenu ensemble cette intervention. Cette responsabilité politique collective n’est pas de nature à faciliter l’examen de conscience ou du moins l’évaluation a posteriori d’une intervention militaire qui demeurera dans les annales. Reste le réflexe mimétique, qui laisse espérer que les assemblées parlementaires françaises se saisiront du dossier pour constituer une commission d’enquête…
Philippe Hugon est directeur de recherche à l’IRIS, professeur émérite de l’Université Paris X. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Afriques. Entre puissance et vulnérabilité » paru aux éditions Armand Colin :
– Comment expliquer le retard du continent africain en termes de croissance et de développement face à une Asie en pleine expansion ?
– Les pays africains sont-ils en mesure de combler leurs retards et de s’insérer dans la mondialisation ?
– Quels sont les principaux enjeux auxquels l’Afrique de demain doit faire face ?
Dernièrement, la Commission européenne a sanctionné Apple d’une amende de 13 milliards d’euros, après avoir épinglé Google et Starbucks. De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis veulent infliger une amende record de 14 milliards de dollars à la Deutsche Bank. Les Américains s’étaient déjà attaqués à la BNP, Airbus ou Volkswagen. Comment interprétez-vous ces attaques judiciaires ? Traduisent-elles une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Europe ou simplement une volonté des Etats de faire respecter leurs lois aux multinationales ?
Depuis la crise de 2008, les opinions publiques, organisations internationales et ONG remettent régulièrement en cause certaines pratiques jugées peu éthiques, voire illégales de la part des multinationales, des institutions financières, etc. On leur reproche de profiter de la globalisation pour contourner les règles, pratiquer l’optimisation fiscale, voire du dumping social. Les Etats européens ont, dans un premier temps, timidement réagi, se limitant à soutenir l’OCDE dans sa volonté de lutter contre les paradis fiscaux ou encore en annonçant la fin des bonus des traders. Face à la difficulté d’instaurer des règles communes au niveau international, c’est la justice américaine qui s’est montrée la plus réactive en n’hésitant pas à poursuivre des entreprises américaines mais aussi étrangères pour des faits de corruption, la violation d’embargos ou autres affaires gênantes pour les grandes entreprises. On a vu cela avec notamment les poursuites engagées à l’encontre de BNP Paribas qui violait un embargo sur les armes, ou la mise en cause de Volkswagen par rapport aux émissions de CO2 de ses moteurs.
La prise de conscience est réelle au sein des entreprises et la « compliance » (mise et conformité) est devenu « à la mode ». A tel point – et cela peut questionner – que nombre d’entreprises affirment aujourd’hui préférer se conformer d’abord à la législation américaine. D’autres entreprises, pour s’exonérer de ces réglementations, font le choix de ne plus travailler avec des intérêts américains en refusant des clients ou d’embaucher des collaborations issues de ce pays.
Plus récemment, la question de la fiscalité des entreprises devient un sujet clé tant aux Etats-Unis qu’en Europe d’ailleurs. Face aux contestations de la mondialisation, à la crise politique qui touche les Etats-Unis et la plupart des pays européens, lutter contre la cupidité sans vergogne de certaines grandes entreprises devient une issue possible. La fiscalité est aussi un moyen de récupérer un peu d’argent là où les Etats en manquent tant pour investir dans les infrastructures, la santé, l’éducation, aider les personnes en difficulté ou autres. La question de la fiscalité des entreprises peut donc permettre de gagner à la fois en popularité et d’obtenir de nouveaux moyens financiers. Il est assez logique que les Européens apprécient peu de voir leurs entreprises attaquées par la justice américaine, et qu’outre-Manche, on s’offusque lorsque des fleurons de l’économie américaine sont stigmatisés par la Commission européenne.
Il est cependant quelque peu excessif de parler de guerre économique. Les sanctions européennes et américaines sont pour l’heure des processus distincts et sans visée politique. Cela étant, des futures négociations entre les différentes parties afin que les entreprises américaines et européennes soient traitées de la même manière, ne sont pas à exclure.
Cet échange de sanctions entre deux des trois plus grandes puissances économiques peut-il remettre en cause les négociations sur le TAFTA, déjà mal engagées ?
Les sanctions américaines et européennes peuvent générer des tensions dans les relations transatlantiques, mais je ne pense pas qu’elles soient susceptibles de remettre en cause le TAFTA. Les négociations sont d’ores et déjà mal en point pour de nombreuses raisons étrangères aux poursuites judiciaires, ce des deux côtés de l’Atlantique. Fondamentalement, les négociations s’inscrivent dans un contexte très peu favorable tant sur un plan politique qu’économique où les crises succèdent aux crises, levant toujours plus d’inquiétudes et toujours plus de craintes surtout lorsqu’il est question de mondialisation. Par contre, la position plus ferme de la Commission européenne sur la fiscalité des entreprises, mais aussi sur d’autres thématiques, sont de nature à renforcer la Commission, voire l’idée européenne si cela va jusqu’au bout. Son aboutissement ne dépend toutefois pas uniquement de la volonté de cette instance, les Etats européens étant également parties prenantes. La réaction de l’Irlande au redressement d’Apple n’est d’ailleurs pas de nature à rassurer. Si la Commission doit probablement apprendre à se positionner en porte-à-faux des positions de certains Etats, elle doit aussi apprendre à écouter les citoyens et défendre d’abord leurs intérêts. Si jusque-là elle a été le bouc émissaire des leaders politiques des pays européens, elle doit aussi travailler son image pour y gagner en légitimité et pouvoir enfin dépasser les divergences des Etats européens qui tendent à bloquer tous les dossiers.
Aujourd’hui, c’est bien la Commission européenne qui est à l’origine des sanctions contre Apple. Par cette mesure, elle démontre sa capacité à prendre des initiatives et des décisions contraignantes, au détriment de la volonté de certains Etats membres, en imposant au géant américain une amende de 13 milliards d’euros. Forte de cette position, la Commission européenne pourrait bien enfin arriver à exister comme acteur à part entière des relations internationales.
Le dénouement des élections américaines peut-il changer la nature des relations commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis ?
Certes, les élections américaines pourraient jouer un rôle dans la nature des relations transatlantiques. L’arrivée de Donald Trump, qui prône fermeture et protectionnisme, aurait un fort impact sur les relations commerciales avec l’Europe notamment sur le TAFTA, que le républicain ne semble pas apprécier… Pour autant, les Etats-Unis regardent déjà ailleurs et ce n’est pas un hasard si le traité transpacifique a connu une issue plus positive que le TAFTA !
Néanmoins, ces élections sont à suivre avec attention car les relations économiques et commerciales entre l’Europe et les Etats-Unis sont essentielles aux deux rives de l’Atlantique. Les deux économies représentent 50% de la demande mondiale et sont les premiers partenaires commerciaux en termes d’investissement. Leurs liens sont extrêmement forts et une part non-négligeable des acteurs économiques et financiers de l’Atlantique sont interdépendants. Une tentative de les modifier ou de les rompre pourrait affaiblir leurs économies dans un contexte déjà difficile.
Un troisième élément nous permet cependant de nuancer la gravité d’un affaiblissement des relations transatlantiques. Le monde se globalise. Si le commerce international dépendait autrefois de la triade Etats-Unis / Union européenne / Japon, les échanges se sont diversifiés ces dernières années laissant la place à de nouveaux acteurs en Amérique et en Asie, notamment la Chine. Cette diversification s’est exercée au détriment des relations transatlantiques qui ont perdu du poids. Aussi bien les Américains que les Européens ont diversifié leurs partenaires ces trente dernières années. Ils sont donc moins interdépendants. Et puis, la question est moins politique qu’il n’y paraît et les relations économiques qui existent des deux côtés de l’Atlantique ne vont pas être remises en cause par de simples élections.
Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS, répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Daech : Histoire, enjeux et pratiques de l’Organisation de l’Etat islamique » aux Editions Eyrolles :
– L’étude de l’islam permet-elle de mieux d’appréhender l’émergence de groupes terroristes comme Daech
– Comment Daech est-il parvenu à rallier des candidats de tout horizon et à reléguer Al-Qaïda au second plan?
– Pourquoi l’Occident n’arrive t-il pas à neutraliser Daech?
Le régime nord-coréen vient d’effectuer un essai nucléaire et des essais de missile balistique. Ils pourraient permettre à Pyongyang d’atteindre le territoire des États-Unis à moyen terme. Les nouvelles venant de la péninsule sont inquiétantes car la possibilité d’une guerre nucléaire est évoquée. L’effort militaire nord-coréen et la nature du régime sont angoissants. La Corée du Nord est certainement le dernier État totalitaire sur la planète. Il existe, certes, encore de nombreux régimes dictatoriaux et autoritaires, mais la Corée du Nord est le seul à ne laisser ni espace privé, ni espace public. L’irrationalité du régime serait ainsi de nature à le lancer dans une aventure militaire aux conséquences incalculables.
La réalité est pourtant différente. Si Pyongyang pourrait infliger des dégâts importants à Séoul, qui ne se situe qu’à 60 km de sa frontière, ou à Tokyo, qui est à portée des missiles nord-coréens, ces destructions ne profiteraient pas longtemps à la Corée du Nord. Elle serait elle-même immédiatement vaincue, voire détruite. Le rapport de force militaire n’est plus en sa faveur.
Si ce régime est certainement détestable, il est loin d’être irrationnel. Les dirigeants nord-coréens ne sont pas animés par la volonté de gagner une guerre, mais par celle de se maintenir au pouvoir. Se lancer dans une guerre dans laquelle la défaite serait certaine est la meilleure façon de perdre le pouvoir. La Corée du Nord agitera, longtemps encore, une menace du style « Retenez-moi ou je fais un malheur »afin de conforter son régime, tant sur le plan international que sur le plan interne. C’est l’option la plus envisageable.
La possession d’armes de destruction massive permet au régime de montrer aux Nord-Coréens qu’il les défend. Les habitants de la Corée du Nord ont très peu de connaissances sur la situation extérieure et ont du mal à percevoir la différence de situation économique entre ce qu’ils vivent et ce que vivent les autres. Ils peuvent, ainsi, d’autant plus adhérer aux thèses du régime par la peur et la contrainte. Pour le régime nord-coréen, l’arme nucléaire représente également un moyen de dire aux autres pays : « Nous sommes détestables mais n’essayez pas de changer la donne car nous avons les moyens de vous faire mal. » Il existe donc une situation d’équilibre. La Corée du Nord, d’une part, ne lancera pas d’offensive sur la Corée du Sud, le Japon, ou un autre État ; les pays voisins, d’autre part, n’attaqueront pas la Corée du Nord.
Les dirigeants nord-coréens sont persuadés, et ils n’ont peut-être pas tort, que si Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi avaient eu des armes de destruction massive, ils seraient toujours au pouvoir. L’arme nucléaire constitue donc une arme de dissuasion et de sanctuarisation du régime qui permet de le protéger contre le monde extérieur.
En fin de compte, si tout le monde prétend la souhaiter, personne ne trouve d’intérêt à la réunification coréenne. La Corée du Nord n’en voudrait pas, car elle ne pourrait se faire que sous une domination sud-coréenne, étant donné l’échec total du régime à nourrir la population et développer le pays.
La Corée du Sud ne souhaite pas plus la réunification dans la mesure où elle aurait un impact négatif significatif sur son économie. Les Sud-Coréens se souviennent du coût de la réunification de l’Allemagne. Pourtant, l’écart de développement entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est était moins important que l’écart de développement entre les Corées. De plus, il y avait quatre Allemands à l’Ouest (riches) pour un allemand de l’Est (pauvre), alors qu’il n’y a que deux Sud-Coréens pour un Nord-Coréen. La réunification serait, par conséquent, trop coûteuse.
Si le Japon n’entretient aucune sympathie pour le régime nord-coréen, il ne voudrait pas que l’unification coréenne se fasse car, pour des raisons historiques, elle se ferait sur un sentiment antijaponais. Quant aux États-Unis, ses dirigeants pensent qu’une réunification pourrait les priver d’un des motifs de leur présence stratégique dans la région. La Chine pense, à l’inverse, qu’elle pourrait permettre aux troupes américaines d’avancer jusqu’à ses frontières. Cette situation de menaces régulières, sans unification, où la guerre reste – heureusement – un horizon lointain, risque de durer. Les habitants de la Corée du Nord demeurent les seuls à souffrir de cette situation puisqu’ils se voient privés non seulement de liberté d’expression, mais aussi d’accès aux besoins élémentaires.
Londres a donné jeudi, son feu vert à la construction de deux réacteurs nucléaires de type EPR par EDF à Hinkley Point. Le contrat s’élève à 21 milliards d’euros. Est-ce une bonne nouvelle pour l’industrie nucléaire française ? Le pari est-il risqué alors que l’EPR coûte cher et qu’il n’a pas véritablement démontré sa fiabilité et son efficacité ?
Tout d’abord, EDF n’a obtenu qu’un accord politique. Il manque encore la décision finale sur la partie business du contrat. L’entreprise a donc fait un pas en avant mais le contrat n’est pas signé.
Ce feu vert de Londres fait, dans tous les cas, office de bonne nouvelle pour le nucléaire français. La filière connaît actuellement une période difficile au niveau des exportations. Areva et EDF ont notamment fait face à de nombreuses difficultés et pris du retard sur la construction de réacteurs EPR en France et à l’étranger (en Finlande). La confiance accordée par la Grande-Bretagne, cinquième puissance économique mondiale, relance le nucléaire français et améliore sa notoriété à travers le monde.
Les réacteurs nucléaires de type EPR (Génération III +) sont nouveaux et constituent une avancée technologique. Il est vrai qu’EDF et Areva ont enregistré une série d’échecs lors des deux premiers chantiers de construction de réacteurs à Flamanville (Normandie) et en Finlande (les deux chantiers ne sont pas encore terminés, celui de Finlande a pris dix ans de retard). Mais ces chantiers ont, en quelque sorte, servi d’expérimentation pour EDF et Areva. Les entreprises ont analysé leurs échecs et connaissent aujourd’hui les erreurs à ne pas reproduire. Grâce aux expériences françaises et finlandaises, ils avancent sur leur 3e chantier, la construction, en Chine, des réacteurs Taishan I et II, où ils n’accusent d’aucun retard.
La décision britannique vous semble-t-elle anachronique alors que de nombreux pays européens mettent en place des calendriers de sortie de l’atome ? Le nucléaire en Europe peut-il être relancé ?
Au sein de l’UE, seule l’Allemagne a mis en place un calendrier de sortie de l’atome tandis que de nombreux pays semblent, au contraire, prendre la voix opposée. Les pays d’Europe centrale et orientale, retournent notamment vers l’atome. Sous l’impulsion de Moscou, les pays de l’ex-URSS s’étaient dotés de centrales nucléaires. Devenues obsolètes, elles ont été abandonnées lors de l’adhésion à l’Union européenne. Aujourd’hui, plusieurs de ces pays veulent redynamiser leur secteur nucléaire. Des pays comme la Roumanie, la Slovaquie, la Bulgarie, mais aussi des pays comme la Finlande se sont lancés sur la voix d’un redémarrage de l’énergie atomique. Nous sommes donc loin d’une phase noire du nucléaire et Fukushima n’a eu que peu d’impact, majoritairement en Allemagne et au Japon.
Les Britanniques ont, quant à eux, une vieille tradition du nucléaire. Ils disposaient autrefois de technologies nationales dans ce domaine qu’ils ont abandonnées lorsqu’ils ont choisi de recourir aux réserves de gaz en mer du Nord. Mais leurs réserves s’amenuisent et les Britanniques se retrouvent à nouveau dans l’obligation d’effectuer un mix électrique combinant centrales nucléaires et sources d’énergie alternative.
Alors que Fessenheim devrait bientôt fermer et que la France s’est engagée à réduire la part du nucléaire dans sa production d’électricité de 50% d’ici 2025. Où en est la transition énergétique en France ? Ne pensez-vous pas que la France accuse d’un retard sur le déploiement des énergies vertes censé pallier la baisse du nucléaire ?
La France a pris du retard dans sa politique de transition. A ce rythme, elle ne tiendra probablement pas ses objectifs. Par ailleurs, je pense que les objectifs fixés par la France étaient trop ambitieux. Un remplacement massif et immédiat des sources d’énergie nucléaire par des sources d’énergie renouvelable augmenterait sensiblement la facture d’électricité des Français. En Allemagne, le coût financier de sa sortie du nucléaire s’est répercuté sur les ménages allemands qui ont perdu en pouvoir d’achat. Etant donnée la situation économique de la France, la poursuite d’une transition trop rapide augmenterait le prix de l’électricité des ménages, celui des entreprises, et casserait notre faible retour à la croissance.
La France doit trancher entre sa volonté de déployer vite et massivement des énergies vertes et la prospérité de l’économie française dans sa globalité.
Les deux plus gros émetteurs de CO2 au monde ont décidé d’annoncer, ensemble, leur ratification des accords sur le climat. Quelle est la portée symbolique de cette action conjointe ? Considérez-vous cette double ratification comme une avancée majeure pour la mise en application des accords de Paris sur le climat ?
Deux enseignements sont à tirer de cette double ratification. Elle constitue premièrement un changement de paradigme majeur par rapport aux années précédentes. Aujourd’hui, Chine et Etats-Unis peuvent être considérés comme des moteurs du processus, alors qu’ils avaient toujours compté parmi les principaux obstacles à toute réglementation internationale visant à lutter contre le changement climatique. On peut évidemment discuter de la faiblesse de l’Accord de Paris sur de nombreux points, notamment en termes d’engagements chiffrés, mais voir Pékin et Washington ratifier avant l’Union européenne est tout de même une évolution impressionnante.
Deuxièmement, cette double signature permet de mettre l’accord sur la voie de l’entrée en vigueur après que Laurent Fabius, ancien président de la COP21, se soit inquiété dans une tribune de la lenteur du processus. Rappelons-le, pour que l’accord soit appliqué, il faut qu’au moins 55 pays représentant 55% des émissions totales de gaz à effet de serre le ratifient. Chine et Etats-Unis, respectivement premier et deuxième émetteurs, rassemblent à eux seuls environ 40% des émissions mondiales (20,09% et 17,89%). Cela ouvre la porte à une ratification rapide, car la ratification de l’UE permettrait de remplir la condition sur les émissions et encouragerait les pays à ratifier. Cela permet aussi de limiter les négociations périphériques comme lors de la ratification de Kyoto où la Russie avait habilement échangé sa ratification du traité contre son entrée à l’OMC et l’exigence de la date référence de 1990 pour sa réduction d’émissions, sachant que l’effondrement de son économie survenu l’année suivante lui permettait ainsi d’atteindre ses objectifs en la matière sans effort.
Où en sommes-nous sur la ratification des autres États ? La ratification constitue-t-elle l’étape finale de la mise en place des accords ?
L’accord de Paris a été adopté à l’unanimité le 12 septembre 2015 puis signé par 175 parties le 22 avril 2016 à New York à l’occasion de la journée de la terre (180 aujourd’hui). Pour l’instant, l’ONU a validé 27 ratifications sachant que le processus est en cours dans plusieurs autres pays. Les membres de l’AOSIS (Alliance of Small Island States) l’avaient fait dès la signature de l’accord. Depuis, la Chine, les Etats-Unis, le Laos, Panama ou le Brésil les ont rejoints. Le Maroc, qui accueillera la COP22 à Marrakech, a prévu de le faire le 21 septembre prochain. Les ratifications de la Russie et de l’Inde sont maintenant tout particulièrement attendues (respectivement 7,53% et 4,1% des émissions mondiales). Mais pour l’heure, la grande absente reste l’Union européenne. Rappelons que même si les pays de l’UE sont partie à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, l’UE doit ratifier le traité. Pour cela, les 28 Etats-membres doivent nationalement ratifier l’accord de Paris selon les modalités prévues (voie parlementaire ou référendaire) avant que le texte soit ratifié par l’UE. Pour l’instant seules la Hongrie et la France – par voie parlementaire le 15 juin 2016 – l’ont ratifié. C’est là un autre changement de paradigme : voir l’UE à la traine, empêtrée dans ses divisions autour de la gestion de la crise des migrants et des dettes souveraines, doublé par les Etats-Unis et la Chine, un comble.
Une fois que les deux conditions seront remplies, le texte entrera en vigueur dans un délai de deux mois. Mais entrée en vigueur ne signifie pas mise en place. En France, nous sommes bien souvent confrontés au problème de l’application concrète de la loi. Ce n’est pas parce qu’un texte est publié au Journal officiel qu’il s’applique correctement. La ratification est donc non pas l’étape finale, mais plutôt le point de départ de la mise en œuvre des principes et objectifs édités dans l’accord. Concrètement, cela engage les Etats qui ont affiché des objectifs de réduction d’émissions à les tenir et donc à mettre en place les mesures et outils nécessaires. Cela implique de réorienter les investissements, modifier la réglementation, réformer les politiques publiques, etc. Bref, à se donner les moyens financiers et politiques de respecter les dispositions inscrites dans l’accord.
Quels seront les enjeux des discussions de la COP 22 en novembre prochain à Marrakech ?
Les enjeux de la COP22 sont multiples. En effet, si la signature de l’Accord de Paris le 12 septembre 2015 a constitué une avancée déterminante dans le traitement du problème à l’échelon international, nombre de questions n’ont pas été tranchées. Il faudra ainsi traduire en mécanismes juridiques les principes de Paris pour garantir l’application de l’accord et discuter de la problématique financière, notamment de la répartition de l’enveloppe du Fonds vert pour le climat, censée rassembler 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Des fonds sont encore à collecter et les modalités de répartition à définir. Quels sont les pays prioritaires ? En fonction de quel critère ? Quels projets doivent être financés le plus urgemment ?
La COP22 doit être celle qui concrétise l’engagement pris à Paris, placée sous le signe de l’action comme le présente le Maroc. L’accord ne rentrera sans doute pas en vigueur avant la conférence, qui se tiendra du 7 au 18 novembre, mais c’est bien cet esprit qui doit animer chefs d’Etat et négociateurs qui s’y rendront. Si le processus, sur les rails, reste fragile et suspendu à la volonté des acteurs, la perspective de le voir totalement remis en cause semble peu probable. Ainsi, Donald Trump qui avait fait part de ses intentions de renégocier l’accord ne le pourra plus désormais. S’il était élu, sa seule option serait de se retirer de l’accord contre la promesse de son prédécesseur, et il n’est pas certain qu’il soit prêt à endosser cette responsabilité et les répercussions que cela pourrait engendrer.
Le 16 septembre 2016, les chefs d’État ou de gouvernement de vingt-sept pays de l’Union européenne (sans le Royaume-Uni), ainsi que les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, se retrouvent à Bratislava (Slovaquie) pour une réunion informelle censée prolonger les réflexions autour du futur de l’Union initiées après le référendum britannique du 23 juin. Le 29 juin dernier, à Bruxelles, les Vingt-Sept avaient convoqué un premier sommet informel afin de tenter de répondre à la situation inédite créée par le vote des citoyens britanniques en faveur du retrait de leur pays de l’Union européenne (UE). À cette occasion, les Vingt-Sept avaient rappelé leur détermination à « rester unis » et leur souhait d’entamer des réflexions afin de donner une nouvelle « impulsion » à l’UE.
Après le référendum britannique, l’heure était donc une fois encore à la réflexion sur le futur de l’Europe pour les responsables politique de l’UE. Encore, car depuis une dizaine d’années, les sommets européens, les groupes d’experts et autres rapports consacrés à l’avenir de l’Union européenne n’ont eu de cesse de se multiplier, sans qu’aucun ne trouve jusque-là de réponses à l’intensification de la désaffection citoyenne à l’égard du projet européen, à la défiance généralisée à l’égard du personnel politique national et des institutions européennes, à la montée en puissance des forces nationales réactionnaires anti-européennes ou encore à la fragmentation européenne.
Sans compter la convention sur l’avenir de l’Europe initiée en 2001 et qui a donné corps au Traité établissant une Constitution pour l’Europe – rejeté en 2005 –, au cours des douze dernières années, plusieurs groupes de réflexion, officiels ou informels, ont été créés pour réfléchir à l’avenir ou au futur de l’Europe. En 2004, à la demande du président de la Commission européenne, Romano Prodi, une table ronde intitulée « Un projet durable pour l’Europe de demain », présidée par Dominique Strauss-Kahn, s’était réunie à plusieurs reprises avant de remettre un rapport en avril 2004 (Construire l’Europe politique. 50 propositions pour l’Europe de demain), dans lequel était notamment évoqué le diagnostic d’une Europe confrontée à une triple crise (institutions, projet, territoire) et les moyens d’y répondre. En 2007, à la demande du Conseil européen, c’était au tour d’un groupe de réflexion composé de « douze sages » européens, présidé par l’ancien Premier ministre espagnol, Felipe González, de réfléchir au futur de l’Europe ; les sages avaient remis leur rapport (Projet pour l’Europe à l’horizon 2030. Les défis à relever et les chances à saisir) au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, le 8 mai 2010. En 2012, onze ministres des Affaires étrangères de l’UE se réunissaient dans un groupe de réflexion informel consacré à l’avenir de l’UE, remettant leur rapport en septembre de la même année. Exercices plus ou moins obligés par temps d’incertitudes, toutes ces réflexions ont été menées et rendues publiques à chaque fois dans l’indifférence générale.
La triple crise diagnostiquée en 2004 s’est transformée en « polycrise » en 2016, trouvaille sémantique utilisée pour décrire les défis auxquels l’UE est confrontée autant que pour souligner le caractère inédit de la situation et justifier éventuellement les réponses européennes, ou encore, à l’adresse des citoyens européens, pour reconnaître le sentiment d’incertitudes tous azimuts qui semblent gagner les opinions publiques – si tant est que ce terme ait pu dépasser le cercle des professionnels de l’Europe. Pourtant, singulier ou pluriel, la référence à la catégorie de « crise » en Europe reconduit le même dispositif rhétorique et analytique de représentation de l’Europe, appelant la mobilisation d’un même répertoire d’action politique en faveur du renforcement de l’intégration européenne pour les uns et de renationalisation des politiques européennes pour les autres.
« Sécuriser l’Europe » : le nouveau mot d’ordre
À l’heure du Brexit, pas de groupe d’experts, mais des États censés s’entendre sur des projets de relance consensuels et fédérateurs susceptibles d’envoyer le signal d’une construction européenne encore en marche, qui ne renonce pas à l’unité et qui peut apporter une plus-value aux citoyens européens. C’est, d’une certaine manière, les messages à retenir du discours sur l’état de l’Union européenne prononcé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 14 septembre 2016 devant le Parlement européen réunis en session plénière, mais également le sens de la lettre envoyée le 13 septembre 2016 par Donald Tusk, président du Conseil européen, aux chefs d’État ou de gouvernement qui se retrouvent à Bratislava. Parmi les thèmes susceptibles de satisfaire les préoccupations des citoyens européens, particulièrement leur désir supposé de sécurité et de protection, les Vingt-Sept ont décidé de mettre en avant trois priorités : « sécuriser les frontières extérieures de l’UE ; combattre la menace terroriste en Europe et ailleurs ; reprendre le contrôle de la mondialisation ».
Alors que les projets de défense ont constamment divisé les membres de la Communauté économique européenne (CEE) puis de l’UE par le passé, aujourd’hui, sécurité et défense semblent faire office de thèmes fédérateurs. Ainsi, des initiatives concrètes en la matière pourraient voir le jour rapidement après le sommet de Bratislava. À travers les thématiques de la sécurité et de la défense, qui sont ainsi censées impulser un renouveau de la construction européenne, voire figurer un nouveau moteur de l’intégration, l’UE post-référendum britannique se cherche un futur pour éviter le délitement. Toutefois, à défaut de nouvelles idées, de réorientations économiques et sociales, ou de décisions majeures, il est probable que les Vingt-Sept tenteront, une fois encore, de parer au plus pressé et essaieront dès lors de s’inventer un futur immédiat commun, en attendant peut-être la nomination du prochain groupe d’experts sur l’avenir de l’Europe.
Mercredi le Parquet brésilien a inculpé Lula (PT). Il est soupçonné d’être « le chef suprême du réseau de corruption » dans le dossier Petrobras. Que sait-on sur cette affaire ? Un retour de Lula en 2018 est-il envisageable ?
La nouvelle est surprenante. Jusque-là, Lula avait plusieurs fois été mis en cause pour l’acquisition supposée douteuse de deux appartements, que des entreprises impliquées dans des scandales de corruption lui auraient cédé. Mais mercredi 13 septembre, le procureur responsable du dossier Petrobras a effectué, en conférence de presse, une présentation spectaculaire durant laquelle il a essayé de démontrer, en s’appuyant sur un document PowerPoint, des dessins et des graphiques, que Lula était le point central, si ce n’est le cerveau de tous les maux du Brésil en matière de corruption. La démonstration a été spectaculaire mais était dépourvue des preuves qui auraient dû l’étayer. L’exercice médiatique rappelait celui de Colin Powell, qui en 2003, essayait de démontrer, vidéos et power point à l’appui, devant les Nations-unies, que l’Irak détenait des armes de destruction massive.
Lula semble être la cible d’un acharnement judiciaire. A-t-il pour objet de faire baisser sa cote de popularité, alors qu’il est pressenti pour la présidentielle de 2018 ? Nettement en tête des intentions de votes, ce scandale pourrait en effet écorner l’image de l’ancien président et remettre en cause sa légitimité en tant que candidat du PT (Parti des travailleurs, gauche) aux élections présidentielles.
Le Brésil fait face aujourd’hui à un emballement judiciaire incontestable ciblé sur les dirigeants ou ex-dirigeants du PT. Dilma Roussef, notamment, a été destituée dans des conditions constitutionnellement et politiquement douteuses. A l’ origine de son évincement, Eduardo Cunha (PMDB, centre droit), député, président du congrès mis en examen dans l’affaire Petrobras, a perdu son immunité parlementaire, après le vote de destitution de la présidente Dilma Rousseff.
Dilma Roussef, également accusée de corruption dans le dossier Pétrobras, a été destituée pour maquillage de comptes publics. L’ex-présidente a fait appel. Quelles sont ses perspectives d’avenir et celles de son parti le PT ?
Le procès de Dilma Roussef est présenté par ses détracteurs comme celui d’une femme corrompue. Ce n’est pas le cas. Cette présentation est d’autant plus étonnante que la moitié des sénateurs à l’origine de la destitution de Dilma Roussef sont eux-mêmes mis en examen pour corruption. La présidente a effectivement masqué des dépenses effectuées par l’Etat qu’elle avait omis de soumettre préalablement au vote du parlement. Cette pratique est habituelle au Brésil et les précédents gouvernements, ont été coutumiers du fait. La régulation parlementaire est opérée a posteriori. Pour la première fois que cette pratique f a justifié la destitution d’un chef d’Etat. Les sénateurs semblaient en être conscients. Selon la jurisprudence brésilienne, un président déchu pour « crime de responsabilité », c’est-à-dire une atteinte grave à la Constitution, doit également être privé de ses droits politiques et civiques pendant huit ans. Or, faisant suite au vote de destitution de la présidente, les parlementaires ont, dans un second vote, décidé de maintenir ses droits civiques et politiques. En les conservant, Dilma Roussef sera libre de se porter candidate aux prochains scrutins du pays. Les sénateurs semblent donc, par ces scrutins successifs, accréditer la thèse d’une élimination politique exempte de culpabilité constitutionnelle. Le Brésil est doté d’un système présidentiel qui empêche la censure parlementaire d’un chef d’Etat. La seule initiative possible pour faire tomber Dilma Rousseff était celle de recourir à l’accusation d’avoir violé la Constitution. Le Parlement, devenu oppositionnel étant constitutionnellement habilité à se prononcer sur la culpabilité de la présidente, a conclu par l’affirmative.
Quelles sont les prochaines échéances électorales ?
Le 2 octobre prochain se tiendront les élections municipales, sur fond de crise morale, politique et économique. Il est difficile de prédire l’attitude des électeurs. Selon un sondage effectué à la fin du mois d’août par l’institut Datafolha, à Rio des Janeiro et São Paulo, les principales villes du pays, tous les grands partis régressent : le PT, mais aussi les partis qui ont provoqué la chute de Dilma Rousseff, le PMDB, le PSDB. Un parti mêlé aux scandales, mais moins ciblé par les medias, le PRB, récupérerait de nombreux électeurs. Le PRB, est un parti évangéliste (lié à l’Eglise universelle du Royaume de Dieu). Ses candidats sont crédités, selon Datafolha, de 28 et 30 % d’intentions de vote. Mais l’avenir du pays se jouera en 2018, année des prochaines élections législatives et présidentielles.
Comment évolue le contexte économique, social et politique du Brésil ? Que doit-on attendre des politiques de Michel Temer, désormais président à part entière ?
La « nouvelle majorité » a deux objectifs. Le premier était d’écarter Dilma Roussef et le PT du pouvoir. Mission accomplie. Quant au deuxième objectif, il vise à réaliser des coupes dans le budget de l’Etat pour réduire son déficit. Les bourses pour les étudiants brésiliens qui partent à l’étranger ont notamment été supprimées – le gouvernement de Dilma Roussef avait programmé d’envoyer 100.000 étudiants dans les disciplines scientifiques en Europe et aux Etats-Unis, dont 10.000 en France. Un certain nombre de mesures sont en préparation, visant à effectuer des coupes dans les budgets sociaux. Ces mesures toucheront principalement les classes les plus pauvres du Brésil ; des mouvements sociaux sont donc à prévoir. Le gouvernement attendra probablement les municipales du 2 octobre avant de lancer ce vaste programme d’austérité et d’équilibre budgétaire. D’ici 2018, les Brésiliens peuvent s’attendre à des jours difficiles dans un contexte où la situation économique ne s’est guère améliorée depuis le changement de majorité. Elle est, en effet, toujours marquée par une décroissance, une augmentation du chômage et un décrochage économique.
De même que le XXe siècle s’ouvre avec le déclenchement de la Première guerre mondiale, les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ont marqué l’entrée historique dans le XXIe siècle. La portée symbolique de l’évènement est exceptionnelle : l’hyperpuissance américaine est frappée sur son propre territoire, en plein cœur de New York et de Washington, sur des « sites-cibles » phares de sa puissance financière (les tours jumelles du World Trade Center) et militaire (le Pentagone). Toutefois, l’attaque perpétrée par Al-Qaida et ses conséquences marquent moins un basculement de l’ordre mondial que l’accélération de mouvements qui étaient déjà perceptibles : déclin américain, globalisation du terrorisme islamiste, valorisation du discours du « choc des civilisations ».
Depuis cette date, la figure de l’Arabo-musulman incarne plus que jamais l’ennemi symbolique et stratégique de l’Occident. Une perception étayée par la thèse du « choc des civilisations », développée par le politologue américain Samuel Huntington, selon laquelle l’ordre du monde tient à un conflit de systèmes de valeurs dans lequel la civilisation islamique menace l’Occident. Tenants de cette théorie, les néoconservateurs américains ont exploité l’évènement avec cynisme pour justifier une invasion militaire de l’Irak. Dans un contexte post-11 Septembre propice au réflexe vengeur et à la rhétorique manichéenne du « bien contre le mal », le président Bush et le Premier ministre britannique Tony Blair ont engagé leurs armées, imposé leur vision du monde reposant sur la Machtpolitik et la violence. L’opération « Liberté pour l’Irak » est une tragédie politique et humaine : si le tyran Saddam Hussein a chuté, c’est l’Etat et le peuple irakiens qui ont sombré dans le chaos. Le désordre mondial post-septembre c’est aussi le caractère impensable d’un quelconque procès pénal international à l’encontre du duo Bush-Blair, ce même si l’Histoire les a déjà condamnés…
Ironie de l’histoire, cette intervention militaire qui prétendait vouloir exporter la démocratie est à l’origine de la naissance d’une créature djihadiste plus destructrice encore qu’Al-Qaida : Daech. L’ « Etat islamique », organisation terroriste aux prétentions califales, frappe indistinctement les mondes arabe, musulman et occidental. Une violence qui se déchaîne sur fond de montée d’idéologies identitaro-nationalistes dans le monde. La montée des diverses variantes de l’islamisme en est une manifestation spectaculaire, mais ce n’est pas la seule, loin s’en faut. Un national-populisme teinté de xénophobie agite les démocraties occidentales américaines, européennes, indienne ou encore israélienne.
Les réactions identitaires suscitées par la globalisation trahissent aussi un profond désenchantement. La globalisation heureuse et la consécration universelle de la « démocratie de marché » (F. Fukuyama) s’avèrent illusoires. (…..) Le sentiment de vide s’explique notamment par l’absence de perspective, de transcendance face à une offre politique qui se résume aux lois du marché. (…). Convaincu de sa propre existence, l’Occident doute de l’universalité des valeurs humaines, craint aussi sa propre fin, du moins son déclin. Le sentiment d’être « en danger » ou d’être menacé par la civilisation islamique alimente la montée en puissance d’une idéologie « occidentaliste ». Outre une remise en cause de sa centralité géopolitique, l’Occident a perdu sa capacité à produire un récit universel. Pis, il se retrouve lui-même en quête de sens, de spiritualité, de sacré, de valeurs structurantes, autant de substrat que ne créé pas encore notre monde globalisé.
Marie-Cécile Naves est chercheuse associée à l’IRIS. Elle répond à nos questions à propos de son dernier ouvrage « Trump, l’onde de choc populiste » paru aux éditions FYP :
– De quelle Amérique Trump est-il le nom ?
– L’ascension de Trump symbolise-t-elle la faillite du parti républicain ?
– L’ascension de Trump peut-elle avoir un impact sur celle des partis populistes européens ?
Pascal Boniface, directeur de recherche à l’IRIS, revient sur les derniers essais nucléaires nord-coréens.
L’accord entre la Russie et les Etats-Unis sur une trêve en Syrie va-t-il mettre un terme à cette guerre absurde et atroce ? L’accord tiendra-t-il sur le terrain et résistera-t-il aux ambitions contradictoires des pays engagés en Syrie, en faveur des opposants, des djihadistes ou du régime de Damas ? La situation sur le terrain, l’évolution des positions turques, la volonté clairement affichée de Washington à parvenir à un cessez-le feu, ainsi que la relance des négociations, incitent aujourd’hui à plus d’optimisme.
L’engagement de la Russie au côté de du régime syrien a, dans un premier temps, modifié l’équilibre des forces sur le terrain. Durant l’été 2015, Bachar al-Assad se trouvait dans une mauvaise posture. L’opposition armée, en particulier le Front al-Nosra (al-Qaïda), se trouvait aux portes de Damas. Les forces du Hezbollah libanais, pourtant déterminées et aguerries, ne parvenaient pas non plus à endiguer la progression des djihadistes. Les combattants venus au secours de Bachar al-Assad se cantonnaient à des positions sur la frontière libano-syrienne ou dans la banlieue de Damas, afin de protéger les lieux saints chiites, tel le sanctuaire de « Bibi Zaînab ». Ces lieux sont également protégés par des milliers de volontaires chiites venant d’Afghanistan, d’Irak et du Pakistan. Ceux-ci, dont on parle peu, jouent un rôle important sur le plan militaire. Ils ont libéré l’armée syrienne dans ces zones et lui ont permis de mener le combat ailleurs contre l’opposition. On dénombre à ce jour plus de 300 morts parmi les seuls Afghans. Afin d’encourager les volontaires à partir combattre en Syrie dans le but de protéger les lieux saints, le Guide iranien ayatollah Ali Khamenei vient d’ordonner que les familles qui y perdrait un combattant les verraient considérés comme des « martyrs », au même titre que les Iraniens tués dans la guerre Iran-Irak. Elles bénéficieront par conséquent, des mêmes avantages, notamment une allocation financière.
L’engagement militaire russe a été, à la surprise des observateurs et des Occidentaux, massif et efficace. Des centaines de centres d’entraînement et de dépôts d’armes appartenant à l’opposition ont été détruits. Les bombardements de l’aviation russe coordonnés par des conseillers et des soldats envoyés sur le terrain, ont permis à l’armée syrienne de reprendre plusieurs villes aux rebelles ou, dans certains cas, de les encercler, comme actuellement à Alep.
L’opposition perd du terrain. Ses positions sont aussi contestées par les Forces démocratiques syriennes, essentiellement composées des combattants kurdes du PYG. Ces derniers ont repris aux forces de l’Etat islamique une grande partie des territoires du nord de la Syrie, à la frontière turque. L’avancée des Kurdes en Syrie et les nombreux attentats perpétrés par l’Etat islamique sur le sol turc ont fini par convaincre Ankara de s’engager dans une lutte efficace contre l’EI. La lutte contre le terrorisme permet à la Turquie de gagner en crédibilité et d’attaquer, par la même occasion, les positions des Kurdes, soutenus par Washington et Paris.
En Turquie, le coup d’Etat avorté du 15 juillet s’est suivi d’une répression tout azimut contre les Kurdes et les forces vives de la société, par le biais d’arrestations et de l’emprisonnement arbitraire de milliers de personnes. Le 9 septembre, le gouvernement d’Erdogan a franchi un nouveau palier vers un pouvoir autocratique et arbitraire, en destituant 28 maires élus au suffrage universel. Cette politique a suscité l’indignation des Occidentaux, Etats-Unis en tête, et a rapproché Erdogan de Vladimir Poutine avec une normalisation des relations entre la Turquie et la Russie. Ce rapprochement a engendré une révision des positions de la Turquie sur la Syrie. Erdogan, farouche opposant de Bachar al-Assad, rêvait autrefois de sa destitution au profit des Frères musulmans. Depuis sa visite à Moscou, le président turc est plus conciliant avec son homologue syrien.
L’accord conclut le 9 septembre entre le secrétaire d’Etat américain et le ministre russe des Affaires étrangères, qui prévoit des actions communes, consacre non seulement le rôle et les intérêts de la Russie en Syrie, mais aussi dans la région et dans le monde. Ce tête-à-tête entre deux puissances écarte les pays qui ont joué un rôle important en Syrie tels la France, la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Iran, aujourd’hui contraints de soutenir l’accord signé entre Washington et Moscou. Barack Obama, en fin de mandat, souhaiterait conclure ses huit ans à la Maison-Blanche par un succès diplomatique sur la question syrienne. A cette occasion, il prouverait à ses alliés, la France en tête, qu’il a eu raison de privilégier la recherche d’une solution politique à une intervention militaire en Syrie. Un regard objectif sur la nature et la composition de l’opposition syrienne témoigne aisément qu’une intervention militaire ne pouvait qu’installer l’EI et ses alliés à Damas avec des conséquences désastreuses pour la région, l’Europe et le monde.
Le succès militaire et politique de la Russie en Syrie et le réalisme américain avec comme objectif principal la destruction des djihadistes, l’EI et Al-Qaïda, se manifestent dans le dernier accord. Il prévoit la création d’un « centre conjoint » russo-américain destiné à coordonner d’éventuelles frappes des deux puissances contre les djihadistes, non seulement le groupe Etat islamique, mais aussi le Front Fateh al-Cham (ex-Front al-Nosra). L’impact devrait être considérable. Le Front al-Nosra a changé de nom, fin 2015, et a renoncé à son rattachement à Al-Qaïda sous la pression de l’Arabie saoudite et du Qatar pour le rendre plus présentable. Il est la principale force combattant le régime à Alep. S’ils sont alliés à l’opposition dite « modérée » soutenue par les Occidentaux, Fateh al-Cham est considéré comme « terroriste » par Moscou et Washington. John Kerry a ainsi déclaré que si les groupes rebelles veulent conserver leur légitimité, ils doivent se distancier totalement du Front Fateh al-Cham et de l’EI.
L’accord russo-américain a reçu le soutien de la Turquie, de la Grande-Bretagne, de la France et de la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini. De l’autre côté, Damas a immédiatement annoncé qu’il était au courant des discussions et qu’il appliquerait l’accord. L’autre grand allié de Damas, l’Iran, ainsi que le Hezbollah libanais lui ont emboîté le pas.
Tout est mis en place pour que, cette fois, l’accord de paix tienne. Certains estiment cependant que Damas et ses alliés sont favorisés par les accords, au détriment des rebelles dits « modérés » alliés aux djihadistes, notamment à Alep. Ils risquent d’être également ciblés par les attaques du fait qu’ils refusent de rompre leur alliance avec les ces derniers. La rupture avec les djihadistes est pourtant un point essentiel pour le succès du cessez-le-feu et la reprise des négociations pour la mise en place d’un gouvernement de transition. Le sort de Bachar al-Assad, dont le départ était jusqu’alors exigé par la France, la Turquie, l’Arabie saoudite et l’opposition, n’a pas été évoqué. Mais son départ à l’issue du processus de paix semble acquis. Moscou a plusieurs fois laissé entendre qu’il ne tenait pas au maintien du président syrien à tout prix. La Russie se distingue sur ce point de l’Iran. Reste à savoir s’il serait autorisé à se présenter aux élections, à la fin du processus de paix, comme le souhaite Téhéran.
Dans un an jour pour jour, le Comité International Olympique (CIO) désignera, à Lima, la ville qui accueillera les Jeux Olympiques de 2024. Quelles villes restent en compétition ? Quels sont leurs atouts, leurs points faibles ?
Quatre villes sont, aujourd’hui, encore candidates : Budapest, Rome, Los Angeles et Paris.
Budapest, tout d’abord, est considérée comme le petit poucet des candidates. Pourtant, son projet est sérieux et sa désignation serait un symbole fort sur la scène internationale sportive. Toutefois, le contexte dans lequel évolue aujourd’hui la Hongrie complexifie la tâche des soutiens de cette candidature. Le pays se distingue notamment par son premier Ministre, Viktor Orban, qui multiplie sorties et déclarations fracassantes, poussant certains partenaires européens à réclamer des sanctions à son encontre. En outre, la gestion par la Hongrie de la crise migratoires que connait l’Europe engendre des tensions aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières hongroises, tendant considérablement les rapports avec ses voisins. Ces éléments sont autant de points négatifs pour la candidature de Budapest.
La deuxième ville candidate est Los Angeles, considérée par beaucoup comme une des favorites. Propulsée sur le devant de la scène suite à l’abandon de Boston -qui s’était finalement retirée de la campagne faute de soutien populaire, cette candidature est principalement portée par son maire, Eric Garcetti, qui peut compter sur l’appui d’importantes entreprises présentes dans la Silicon Valley. Au-delà de l’aspect sportif, les différentes échéances politiques des États-Unis doivent aussi être prises en compte dans le cadre de cette candidature, puisqu’elles auront un impact direct sur le scrutin. Selon certains analystes, le principal point faible de la candidature américaine porte un nom : Donald Trump. Le candidat républicain véhicule une mauvaise image à l’étranger, et son ascension pourrait obscurcir celle de Los Angeles, et par conséquent, sa candidature.
La situation autour de la candidature de Rome est, quant à elle, particulière. Lors de la campagne des municipales italienne, la candidate du Mouvement 5 étoiles, Virginia Raggi s’était, à plusieurs reprises, prononcée contre la candidature romaine. Portée au pouvoir par les urnes, la nouvelle maire a, depuis, quelque peu tempéré ses propos et doit annoncer sa décision pour l’automne, laissant planer le doute sur ses intentions. Le Président du Conseil et le monde sportif italien se mobilisent, quant à eux, pour faire valoir les aspects positifs de l’accueil des Jeux par Rome, tâchant ainsi de mettre sous pression Virginia Raggi. En tout état de cause, si Rome se lance dans la campagne, sa candidature aurait pris un certain retard sur ses concurrentes, à quelques mois de la désignation. Dans le cas contraire, ce serait le deuxième désistement de Rome, au cours de la procédure de candidature, après celui en 2012 pour les Jeux de 2020. En conséquence, cela pourrait défavoriser les éventuelles candidatures de Rome pour les prochaines olympiades.
Selon Virginia Raggi, accueillir les Jeux Olympiques à Rome alourdirait considérablement sa dette. Pensez-vous que les Jeux Olympiques soient sources d’opportunités économiques ou de gouffre financier ?
Organiser des Jeux Olympiques la mise en place d’un budget important qui sera consacré d’une part à la candidature mais de façon plus importante encore à la mise en œuvre du projet, une fois les Jeux obtenus. L’argument économique est donc pleinement justifié. Les dernières olympiades démontrent la débauche de moyens humains et financiers pour livrer les infrastructures, voire les terminer dans les temps : Sotchi et Rio peuvent en témoigner. Aussi, différents économistes soulignent ces budgets exponentiels, laissant parfois de véritables « éléphants blancs ». A l’inverse, différentes olympiades ont permis d’apporter des changements importants, positifs pour les villes hôtes. L’exemple de Barcelone est ici le plus éloquent. Pourtant, face à cette augmentation exponentielle des budgets, pouvant entrainer d’une part l’absence de candidatures, et d’autre part, une critique de la société civile, fatiguée de voir les deniers publics investis dans le sport, le CIO a publié, quelques mois après Sotchi, une nouvelle feuille de route. L’agenda 2020 contient ainsi les nouvelles orientations que doit prendre l’Olympisme dans les années à venir. Ainsi, les principes de la durabilité et l’héritage mis en avant. En d’autres termes, les infrastructures construites ou utilisée à l’occasion des Jeux devront désormais avoir une vie après la quinzaine olympique et paralympique.
Les candidatures d’aujourd’hui, rentrent en partie dans cette optique. Pour l’organisation des JO 2020, Madrid, candidate au même titre qu’Istanbul et Tokyo, avait ainsi proposé une candidature « low cost ». La ville considérait qu’elle était en mesure, malgré la situation économique du pays plus que compliquée, d’organiser des jeux dignes de ce nom, où les infrastructures déjà existantes étaient ainsi mises à dispositio le temps de la tenue des jeux, pour ensuite être rendues à la population.
Le CIO est donc aujourd’hui à un tournant, largement encouragé par l’Agenda 2020.
Où en est la France ? Les attentats, perpétrés dans différentes parties de l’hexagone peuvent-ils remettre en cause la candidature française ?
Après les différents candidatures malheureuses de Lille, Paris ou encore Annecy, un audit a été fait pour tirer des leçons de ces échecs. L’objectif était de comprendre les raisons, de trouver une stratégie pour éviter de le commettre de nouveau et surtout de s’inspirer des candidatures victorieuses. Aujourd’hui, le comité de candidature est en ordre de marche, notamment emmené par Tony Estanguet et Bernard Lapasset, deux fins connaisseurs du monde olympique, du monde sportif, et du fonctionnement des campagnes de candidatures.
La question sécuritaire, qui n’est pas spécifique au cas français, est une question qui se pose depuis 2001 pour l’organisation de tout grand évènement sportif. On a ainsi vu le budget sécurité des villes ou des pays hôtes considérablement augmenté au cours des dernières années.
Concernant le cas spécifique de la France, il est difficile de dire en quelle mesure la question sécuritaire pourrait influer positivement ou négativement sur la candidature. Au-delà de la menace sécuritaire, quelle qu’elle soit, en attribuant l’organisation des JO à Paris, le CIO pourrait vouloir affirmer une volonté de la communauté internationale à ne pas céder face au terrorisme et montrer qu’en dépit des attaques, une ville peut continuer à avoir une vie culturelle et sportive. Pour preuve, cette question s’était déjà posée lors de l’Euro 2016 où certaines voix s’étaient même prononcées en faveur de l’annulation ou du report de la compétition. Elle s’est finalement bien déroulée et la France a démontré sa capacité à assurer efficacement la tenue de la compétition.