En Juin 2015, la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, a présenté aux dirigeants européens son évaluation stratégique du contexte mondial. Ils lui ont demandé de préparer une stratégie globale de l’UE sur la politique étrangère et de sécurité pour guider les actions mondiales de l’Union européenne dans l’avenir. La Stratégie mondiale, présentée aux dirigeants européens le 28 juin 2016, lors du Sommet européen à Bruxelles, sera mise en place en étroite coopération avec les États membres, ainsi qu’avec les institutions de l’UE et la communauté des Affaires Etrangères. Premièrement, dans cet article, seront analysés les points principaux du nouveau document concernent la politique de défense et de sécurité; ensuite seront approfondis les enjeux liés à la crise migratoire et à la coopération avec l’OTAN ; enfin, à la lumière des conclusions du Conseil européen du 28 juin, seront pris en considération les possibles scenarios internationaux, avec une Union européenne qui après le Brexit veut apparaitre plus solide que jamais.
1. La nouvelle stratégie globale de l’Union européenne
La première stratégie globale de l’UE a été rédigée sous l’autorité du Haut représentant (HR) de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), Javier Solana. Le Conseil européen adopte la stratégie européenne de sécurité lors de sa réunion des 12 et 13 décembre 2003 à Bruxelles. Dans ce document le HR avait identifié les défis mondiaux et les principales menaces contre la sécurité de l’Union, tels que le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les conflits régionaux, la déliquescence des États, et la criminalité organisée. Le document clarifiait les objectifs stratégiques de l’UE afin de faire face à ces menaces. Ils consistaient, notamment, à renforcer la sécurité dans le voisinage de l’Union et à promouvoir un ordre international fondé sur un multilatéralisme efficace. Ce document énonçait également les implications politiques pour l’Europe qui résultaient de ces objectifs.
Cependant, depuis 2003, le monde a changé, tout comme les menaces, les enjeux, les défis et les caractéristiques des États. Pour cette raison, en 2015, Federica Mogherini a été chargée de présenter une nouvelle stratégie européenne. En fait, selon l’HR, «Plus d’une décennie après la Stratégie de sécurité européenne de 2003, le monde a radicalement changé. Et nous également. Pour cette raison, j’ai décidé de lancer une période de réflexion stratégique sur la voie à suivre de l’UE dans le monde. Elle conduira à la Stratégie Globale sur la politique étrangère et de sécurité. Ce processus nous donnera l’opportunité de forger une politique étrangère plus forte et plus efficace et d’engager le public dans un débat sur la politique étrangère».
La nouvelle Stratégie Globale de l’UE présentée au Conseil le 28 juin, est composée de 4 chapitres fondamentaux, qui abordent l’approche à tenir dans les prochaines années. Elle est structurée comme il suit:
Chapitre 1 «Une stratégie globale pour promouvoir les intérêts de nos citoyens» : dans cette partie sont mis en avant les valeurs et les intérêts fondamentaux de l’Union, tels que la paix et la sécurité (cela implique un intérêt à prévenir les conflits, favoriser la sécurité humaine, endiguer les causes profondes de l’instabilité et œuvrer à l’avènement d’un monde plus sûr), la prospérité (promouvoir la croissance, l’emploi, l’égalité et un environnement sûr et sain), la démocratie (le respect et la promotion des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’État de droit en font partie), et un ordre mondial fondé sur des règles (promouvoir des règles convenues d’un commun accord afin de juguler les rapports de force et d’apporter notre contribution à un monde pacifique, juste et prospère).
Chapitre 2 «Les principes qui guident notre action extérieure» : unité (servir au mieux les intérêts des citoyens, pour faire preuve d’unité d’intention entre les États membres et dans les institutions, ainsi que d’unité d’action en mettant conjointement en œuvre des politiques cohérentes), participation (dialogue avec les autres parties prenantes), responsabilité (des mesures pour prévenir les conflits violents, veiller à avoir les capacités et les disponibilités requises pour opposer une réponse responsable quoique résolue aux crises, faciliterons les accords locaux sur le long terme), partenariat (avec la société civile et le secteur privé, acteurs clés d’un monde interconnecté).
Chapitre 3 «Les priorités de l’action commune», qui se fondent sur:
Chapitre 4 «De la vision à l’action» : il s’agit d’investir collectivement dans une Union crédible et réactive mais aussi dans une Union de la concertation.
Dans cet article l’attention sera focalisée sur le chapitre 3, surtout en ce qui concerne la politique migratoire et la relation avec l’OTAN, dans le cadre de la politique de sécurité et de coopération.
2.Une Union en quête d’adaptation
Dans le cadre de la politique migratoire, il faut tenir compte que depuis 5 ans, l’UE a dû faire face à un nouveau défi, centré sur l’augmentation des flux provenant de l’est et du sud de la Méditerranée. Le printemps arabe et les guerres civiles ont entrainé une augmentation des flux qui voient les pays comme l’Italie, la Grèce et la Turquie comme la porte de l’espoir. L’Union européenne a mis en place des fonds pour soutenir les populations touchées par la guerre civile, en se présentant comme acteur politique et humanitaire. En fait, depuis plus de cinq ans, l’Union européenne est considérée comme la puissance qui cherche à affirmer son pouvoir en évitant tout type d’intervention militaire. Depuis 2015, un débat a été ouvert sur les politiques d’accueil des États membres de l’UE, montrant que, en réalité, pas tout le monde n’a la même approche. En fait, l’Europe s’est présentée divisée en deux: d’un côté il y avait les «pays plus ouvert», prêts à se mobiliser pour l’accueil des migrants, de l’autre les pays qui ont construit des murs et des fils de fer barbelés. Dans le même temps, la question des relations avec la Turquie a été soulevée, en tant que pays qui en raison de sa proximité des zones touchées par la guerre civile (et la présence de l’Etat islamique), a vu arriver de millions de réfugiés.
Pour des questions sociopolitiques, mais aussi économiques, l’Union européenne a signé un accord avec la Turquie en Mars 2016, à travers lequel a été décidé de fournir 3 milliards d’euros à ce pays, afin de gérer la politique migratoire, sur la base d’un échange de migrants réguliers/irréguliers avec l’Union européenne. Selon cet accord, les migrants irréguliers qui veulent suivre la route des Balkans sont renvoyés en Turquie, s’ils ne présentent pas une demande d’enregistrement en Grèce. En outre, pour chaque réfugié syrien qui est renvoyé en Turquie depuis les îles grecques, un autre refugié syrienne sera transféré de la Turquie vers l’UE par la voie humanitaire. Les femmes et les enfants auront la priorité sur la base des critères de vulnérabilité établis par l’ONU. En outre, quelques jours après cet accord l’Union a souhaité mobiliser jusqu’à un maximum de 3 milliards de plus avant la fin de 2018, mais seulement après que les trois premiers milliards aient été dépensés.
De plus, depuis 2015, l’opération Sophia a pour but l’aide humanitaire et la lutte contre le trafic de migrants dans le centre de la Méditerranée. Dans la mer Égée une opération menée par l’OTAN en coopération avec Frontex, la Turquie, l’Allemagne et la Grèce, vise le même objectif.
Cependant, d’après la nouvelle Stratégie Globale, l’UE veut avoir une approche plus intégrée. Maintenant, l’UE veut accorder une attention particulière aux pays d’origine et de transit des migrants et des réfugiés. En collaboration avec les pays d’origine et de transit, l’UE veut définir des approches communes et sur mesure à l’égard de la question migratoire, combinant les domaines suivants: développement, diplomatie, mobilité, migration légale, gestion des frontières, réadmission et retour. L’UE veut travailler de concert avec les pays d’origine pour traiter et prévenir les causes profondes des déplacements, gérer les migrations et lutter contre la criminalité transfrontalière. Il semble que l’UE veuille mettre en place une double stratégie. D’un côté, il s’agit d’augmenter les responsabilités de chaque Etat membre, afin d’avoir une vision commune et se présenter comme «Union». De l’autre, il y a une possibilité d’établir des liens directs avec les pays d’origine des migrants, afin d’éviter de donner de l’argent à certains pays «médiateurs», juste pour éviter une «invasion» de la part de réfugiés.
L’esprit de collaboration et d’adaptation est montré aussi dans le domaine de la défense et de la sécurité. Même si dans les dernières années elle a fait preuve de ses capacités, il ne faut pas oublier que l’UE n’est pas une vraie puissance militaire avec une vocation défensive/offensive. Ceci peut être considéré comme la clé de lecture du troisième chapitre de la nouvelle Stratégie Globale de l’UE, dans laquelle il est énoncé l’intention d’améliorer et de rendre plus effectives les relations avec l’OTAN. En fait, la Stratégie Globale veut que «En ce qui concerne la défense collective, l’OTAN reste le cadre principal pour la plupart des États membres. L’UE approfondira sa coopération avec l’Alliance de l’Atlantique Nord de manière complémentaire et dans le plein respect du cadre institutionnel, de l’inclusivité et de l’autonomie décisionnelle de chacune. Dans ce contexte, l’UE doit être renforcée en tant que communauté de sécurité: les efforts déployés en matière de sécurité et de défense européennes devraient permettre à l’UE d’agir de façon autonome tout en apportant sa contribution à l’OTAN et en entreprenant des actions en coopération avec celle-ci».
En fait, pour l’UE, l’OTAN est le fondement de la sécurité euro-atlantique depuis près de 70 ans, car «elle demeure l’alliance militaire la plus solide et la plus efficace au monde. L’UE approfondira son partenariat avec l’OTAN en recourant au développement coordonné des capacités de défense, à des exercices parallèles et synchronisés, et à des actions menées en synergie afin de renforcer les capacités de nos partenaires, de lutter contre les menaces hybrides et les menaces informatiques, et de promouvoir la sûreté maritime».
Dans ces phrases, l’UE veut montrer qu’après 15 années, elle veut se rapprocher de l’Alliance atlantique, en établissant presque les mêmes liens fixés par l’accord Berlin Plus de 2003. Les raisons du renforcement de cette collaboration peuvent être les plus variés. Cependant, il faut tenir en considération l’un des problèmes le plus sérieux qui depuis un an frappe l’UE: la crise identitaire liée à la hausse d’euroscepticisme.
3.Les conclusions du Conseil européen et ses explications
La stratégie globale de l’UE a été présentée au Conseil européen, lors du Sommet européen le 28 juin 2016, à Bruxelles. En effet, au dernier moment l’agenda a été revu à cause des résultats du referendum au Royaume-Uni. Pour cette raison, le Sommet européen des mardi 28 et mercredi 29 juin s’est déroulé en deux temps. D’abord a eu lieu le dîner avec le Premier ministre britannique, David Cameron, pour parler de la situation après le référendum du 23 juin, qui s’est soldé par l’expression de la volonté de la population britannique de quitter l’Union; ensuite les Vingt-sept se sont réunis pour faire passer le message à leur homologue britannique qu’aucune négociation sur la sortie du Royaume Uni de l’UE ne sera possible sans qu’une notification formelle du retrait ne soit d’abord envoyée. Les deux autres sujets traités ont été la politique étrangère et à la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN. En fait, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a participé à cette réunion du Conseil européen pour aborder la question de la coopération entre l’UE et l’OTAN, en vue de l’adoption d’une déclaration conjointe au sommet de l’Alliance atlantique, qui aura lieu à Varsovie les 8 et 9 juillet.
Dans leurs déclarations, Federica Mogherini (HR), et Donald Tusk, président du Conseil européen, ont affirmé leur position devant le Brexit, en laissant comprendre que l’UE existe et continuera à être une puissance même sans le Royaume-Uni. Après une rapide analyse devant les medias, ils ont abordé les autres sujets importants du Sommet. En fait, Federica Mogherini avait affirmé l’importance de la présentation de la Stratégie Globale, et de la présence du Secrétaire général de l’OTAN, pour montrer que l’Europe poursuit son chemin, pour s’affirmer comme acteur de paix et de sécurité sur la scène internationale. De son côté, Donald Tusk, a commencé son discours en précisant que si d’un côté parler du Brexit est central, de l’autre il fallait considérer la question de la coopération avec l’OTAN.
En ce qui concerne la question de la migration, le Conseil a remarqué qu’à la suite de la décision d’appliquer pleinement le code frontière Schengen et de la mise en œuvre de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, les traversées au départ de la Turquie à destination des îles grecques ont fortement diminué et ont pratiquement cessé aujourd’hui. En Méditerranée centrale, les flux de migrants, essentiellement économiques, se maintiennent au même niveau que l’an dernier. Selon le Conseil, ces flux doivent être réduits, ce qui permettra de sauver des vies et de casser le modèle économique des passeurs. Les procédures pertinentes en matière de sécurité doivent être pleinement appliquées afin de garantir un contrôle total des frontières extérieures. Pour obtenir des résultats rapides en ce qui concerne la prévention des migrations illégales et le retour des migrants en situation irrégulière, il est nécessaire de disposer d’un cadre de partenariat efficace pour la coopération avec les différents pays d’origine ou de transit. Ce but correspond pleinement à la Stratégie Globale. En effet, en correspondance avec le texte de la Stratégie globale, le Conseil veut obtenir des résultats en termes de retours rapides et efficaces de migrants en situation irrégulière, mettre en œuvre les moyens d’incitation nécessaires, en utilisant l’ensemble des politiques de l’UE en la matière, ainsi que mobiliser des éléments relevant de la compétence des États membres et chercher à créer des synergies avec des États membres dans le cadre des relations avec les pays concernés.
En ce qui concerne les relations avec l’OTAN, le Conseil européen «a demandé que cette relation soit encore renforcée, eu égard aux valeurs et objectifs communs aux deux organisations et compte tenu des défis sans précédent qui se posent au Sud et à l’Est. Cette nouvelle ambition devrait prendre la forme d’une coopération pratique accélérée dans des domaines spécifiques. La nouvelle dynamique qui sera insufflée à la coopération UE-OTAN le sera dans un esprit de totale ouverture et dans le plein respect de l’autonomie décisionnelle et des procédures des deux organisations, se fondera sur le principe de l’inclusion et s’entendra sans préjudice du caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense des États membres».
A la lumière du contenu du texte de la Stratégie Globale, et des Conclusions du Conseil européen, les intentions futures politiques de l’Union européenne pourraient être déduites. Soulignant la coïncidence des points fondamentaux entre les deux textes, Federica Mogherini (qui a préparé le texte de la Stratégie Globale avant le Brexit), et Donald Tusk veulent montrer que l’UE est et sera un acteur puissant sur le plan international.
En ce qui concerne la question de la migration, il y a une volonté de développer de nouvelles approches, fondées sur la coopération économique et le développement des pays africains, pour tenter de ralentir les flux dans le centre dans la Méditerranée. Cependant, il faut remarquer comment l’UE entend jouer un double jeu. D’une part, elle entend ne pas proposer aux pays africains un accord semblable à celui conclu avec la Turquie, ce qui constitue déjà une étape vers l’élaboration de politiques fondées sur le partenariat et non pas sur l’état de nécessité. D’autre part, depuis plus d’un mois, l’UE continue d’interagir avec l’OTAN afin d’entreprendre une opération conjointe dans la Méditerranée centrale, en suivant l’exemple de l’opération dans la mer Egée. Donc, la question semble ambiguë, parce que si d’une part l’UE veut mettre en place une politique fondée sur le dialogue et le développement durable, de l’autre elle insiste sur une l’intervention de l’OTAN dans la Méditerranée centrale, à l’appui de l’opération Sophia.
C’est pour cette raison, peut-être, que dans les Conclusions et dans la Stratégie Globale, l’UE montre sa volonté d’établir des liens de plus en plus solides avec l’Alliance atlantique, qui a une vocation défensive. En outre, l’OTAN a un intérêt à se déplacer vers le sud, car comme le montre les propos de Jens Stoltenberg prononcés le 4 juillet dernier lors de la conférence de presse pré-Varsovie «avoir des voisins stables signifie avoir une alliance plus sûre».
Cependant, à part les intérêts et les vocations des deux organisations, comme clé de lecture il faudrait également examiner la question du Brexit. Le fait que l’Union cherche à adopter des approches multilatérales et universelles s’ajoute au «déficit de défense». Le Royaume-Uni, en tant que pays fortement contributeur dans le financement de la défense et de la sécurité européenne, dans un certain temps ne soutiendra plus les dépenses de l’UE en tant qu’Etat membre. En conséquence, le récent rapprochement avec l’OTAN peut être lu comme une mesure extraordinaire dictée par la vague d’euroscepticisme.
En attendant le sommet de l’OTAN à Varsovie, et le prochain Sommet européen à Bratislava (en septembre), l’UE veut maintenant envoyer un message clair au monde, en faisant preuve de sa cohésion interne et de sa capacité à élaborer et à penser des projets à long terme.
Maria Elena Argano
En savoir plus:
Site de l’Union européenne, European Union Global Strategy, (FR) https://europa.eu/globalstrategy/fr/strategie-globale-de-lunion-europeenne (EN) http://www.eeas.europa.eu/top_stories/2015/150627_eu_global_strategy_en.htm
Site de l’EU-lex, La stratégie globale de sécurité : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Ar00004
Site de l’EEAS, High Representative Mogherini presents EU Global Strategy for Foreign and Security Policy:http://www.eeas.europa.eu/top_stories/2016/280616_global_strategy_en.htm
Site de l’Internazionale, Cosa prevede l’accordo sui migranti tra Europa e Turchia : http://www.internazionale.it/notizie/2016/03/18/cosa-prevede-l-accordo-sui-migranti-tra-europa-e-turchia
Site du Conseil européen, Informal meeting of the 27 heads of state or government, 29 June 2016http://www.consilium.europa.eu/en/meetings/european-council/2016/06/28-29/
Global Strategy : web site http://europa.eu/globalstrategy/en/global-strategy-foreign-and-security-policy-european-union
Site de l’EEAS, Remarks by High Representative/Vice-President Federica Mogherini upon arrival at the European Council: http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2016/160628_01_en.htm
Site du Conseil européen, Remarks by President Donald Tusk after the European Council meeting on 28 June 2016:http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/06/28-tusk-remarks-after-euco/
Site du Conseil européen, Conclusions du Conseil européen – 28 juin 2016 : http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/06/28-euco-conclusions/
Site de l’OTAN, Pre-Summit press conférence : http://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_133053.htm
`REUTERS/Charles Platiau CP/dh
En juillet 1994, je croise Michel Rocard, qui est mort samedi dernier, dans les couloirs du Parlement européen, à Strasbourg. C’est la première fois que je le vois en chair et en os. Il a l’air totalement abattu, usé, fatigué. Il erre seul, totalement seul. Je m’aperçois rapidement que cette solitude n’a rien d’exceptionnel. Elle se confirme tout au long de la session, puis en septembre. Ses « camarades » socialistes français l’évitent, l’ignorent ou, au mieux, le saluent de loin, comme s’il était porteur d’un virus mortel. Je trouve cela poignant, car c’est l’un des rares politiques pour qui j’ai une réelle admiration : représentant d’une gauche sociale-démocrate assumée, il a été un excellent Premier ministre (1988-1991) avant d’être proprement viré par François Mitterrand parce qu’il lui faisait de l’ombre.
Rocard vient d’être élu député européen, en juin, à la suite d’une campagne désastreuse pour le PS. Tête de liste (à l’époque, la France était une circonscription unique) en tant que premier secrétaire du PS, il s’est sévèrement ramassé avec moins de 15 % des voix. François Mitterrand, toujours prodigue en mauvais coups, lui a balancé dans les pattes Bernard Tapie et sa liste « MRG » (radicaux de gauche) qu’il a soutenue quasiment ouvertement. Avec un score mirifique de 10 %, Tapie a siphonné une partie des voix socialistes. Rocard est à terre. Définitivement. Il ne le sait pas encore et, surtout, ne veut pas l’admettre.
Je propose donc au journal de faire un portrait de l’homme brisé. J’appelle, en septembre, l’ancien Premier ministre qui me reçoit mal : avec son débit si particulier, il m’explique froidement qu’il ne veut plus parler aux journalistes et n’a aucune intention de me rencontrer. Je lui rétorque que rencontre ou pas, je ferai ce portrait. Un rendez-vous lui permettra peut-être de peser sur mon regard. À lui de voir. Il s’indigne : c’est du chantage. Non, c’est mon travail. Il raccroche. Et me rappelle vingt minutes plus tard : d’accord pour un déjeuner à Strasbourg, mais sans enregistrement et sans carnet de notes et avec l’interdiction absolue d’utiliser ce qu’il me dira.
Le déjeuner a lieu le 28 septembre. Il dure trois heures étourdissantes (le débit de Rocard n’est pas une légende) et alcoolisées. Rocard aime boire et je suis trop jeune journaliste pour oser refuser les verres qu’il me verse généreusement. Je sors totalement ivre pour me précipiter dans mon hôtel afin de régurgiter au plus près ce qu’il m’a raconté. Un récit passionnant de ses rapports avec François Mitterrand, tous les mauvais coups que le Président lui a faits lorsqu’il occupait Matignon. Un « enfer ». « Le matin, en me réveillant, je découvrais souvent qu’un conseil ministériel restreint dont j’ignorais tout avait eu lieu la veille et que le gouvernement avait décidé ceci ou cela. À moi d’assumer ».
Rocard, comme toujours, s’implique consciencieusement dans ses nouvelles fonctions de député européen. Il s’occupe de dossiers techniques qu’un journal comme Libé suit peu. Il préside successivement les commissions de la coopération et du développement (1997-1999), puis de l’emploi et des affaires sociales (1999-2002) et enfin de la culture (2002-2004). Il prend sa retraite en 2009 sans jamais avoir eu l’influence qu’il méritait. Car, en 2004, les Fabiusiens, en bon héritier du mitterrandisme, lui font un dernier mauvais coup : la vengeance, en politique, est sans fin. Le PS de François Hollande (il est premier secrétaire) a explosé les compteurs aux Européennes de juin : 29 % des voix. C’est même la première délégation nationale au sein du groupe socialiste. Ils peuvent donc choisir les postes qu’ils veulent. Rocard se verrait bien président du Parlement: une candidature à laquelle peu de monde s’opposerait dans l’Hémicycle. Mais les Fabiusiens ne l’entendent pas de cette oreille, alors que se profile la bataille du Traité constitutionnel européen : pas question de permettre une renaissance d’un Rocard européen. Pervenche Berès, fabiusienne de toujours, est l’exécutrice des basses œuvres : sous sa houlette, les socialistes français renoncent à la présidence du parlement en échange, pour elle-même, de la commission des affaires économiques et monétaires… C’est un socialiste espagnol, Josep Borrel qui hérite donc du perchoir. François Hollande, alors secrétaire national du PS et député européen (pour quelques semaines), laisse son vieil ami se faire une nouvelle fois humilier. Ce n’est pas demain la veille qu’un socialiste français pourra espérer l’occuper, mais qu’importe. L’essentiel n’était-il pas de se débarrasser de Rocard ? On jugera à cette aune les hommages posthumes que viennent de lui rendre plusieurs hiérarques socialistes qui ont pris une part active dans la marginalisation d’un homme qui aurait dû être le modernisateur du socialisme français.
Voici donc le portrait de Rocard paru dans le Libé du 7 octobre 1994 et intitulé : « Strasbourg, pot au noir de Rocard » avec plein de personnages qui ont totalement disparu depuis…
«Blessé ? Il le reconnaît volontiers. Isolé ? Il feint de ne pas s’en préoccuper. Las ? Il l’admet, tant de vents contraires l’ayant usé. Il est rare que le politique laisse transparaitre l’homme, même dans les pires moments. Michel Rocard est de cette espèce-là. Il a pris des coups violents et ses blessures ne sont pas refermées. Il souffre d’avoir perdu son ultime combat, celui de toute une vie, celui qui devait le conduire à la magistrature suprême. Les résultats désastreux des élections européennes ont sonné en juin le glas de ses espérances. « Il est mort, même s’il ne le sait pas encore », dit l’un de ses rares amis. Il est sonné de voir son vieil adversaire, François Mitterrand, l’avoir emporté par sa propre faute, conscient qu’il est d’avoir accumulé les erreurs.
Mais bien que tourmenté, il ne se cache pas. Depuis qu’il a été élu au Parlement européen, on ne voit que lui, à Bruxelles ou à Strasbourg. Il effectue son travail de député lambda. Les écouteurs vissés sur les oreilles, il écoute sagement les débats. Que ce soit à la commission des affaires étrangères ou en séance plénière, il quitte la salle parmi les derniers. Ce Rocard-là se veut pétri d’humilité et affirme être là pour découvrir le Parlement européen dont il ignore tout, soucieux d’effectuer au mieux son retour à la base. Le Parlement européen l’intéresse comme forum politique international. Il est aimable avec tous, salue précautionneusement les huissiers, répond au téléphone. Mais son échec, il le vit seul. Pathétiquement seul. Ses « amis » socialistes français l’évitent comme on le fait d’un grand malade, par peur, par gêne et plus rarement par pudeur. En juillet, lors de la session plénière de rentrée, le contraste était saisissant entre un Bernard Tapie, papillonnant, entouré, fêté par Jack Lang, et Rocard, totalement ignoré.
Même les soirées, conviviales par nature à Strasbourg, semblent lui échapper. Daniel Cohn-Bendit (Vert, Allemagne), rentrant un soir à son hôtel, l’avise seul, devant un demi, accoudé au bar impersonnel de l’établissement. La conversation qui suit est surréaliste, l’ex-premier secrétaire entretenant l’ancien leader de mai 68 de ses chances à la présidentielle. Au cours d’un déjeuner entre la délégation socialiste française et la presse, en juillet encore, Rocard affirme un peu trop fort, en sortant nerveusement une cigarette brune d’un paquet chiffonné, qu’il est soulagé depuis qu’il a cessé de s’occuper du PS et qu’il bien et même de mieux en mieux. Bernard Stasi (PPE, démocrate-chrétien) se rappelle qu’en juillet, « il frôlait les murs. Personne ne s’intéressait à lui ». Un autre député centriste raconte : « c’est tragique, cette solitude ». « Dans l’avion de Paris, lors de la session de septembre, les socialistes le saluaient, mais personne ne s’est assis à côté de lui ». « Rocard, il me fait de la peine, de la vraie », dit Yves Verwaerde (PPE).
Pierre Moscovici, qui se range parmi les amis de Rocard, juge que l’ambiance au sein de la délégation socialiste française peut difficilement être différente : « elle subit beaucoup le poids des clivages nationaux ». Et, de fait, « les amis de Michel sont rares ». En revanche, un « clan solide de fabiusiens, cultivant la fidélité à François Mitterrand » rend, selon Moscovici, l’atmosphère difficilement respirable. « N’oubliez pas que le meurtre rituel de Rocard est l’une des composantes importantes du mitterrandisme », ajoute-t-il. Un autre eurodéputé PS observe que « ses camarades ne font pas de cadeaux à l’ancien premier ministre. Ils lui font payer ses succès passés, son brillant ». Michel Rocard se console de la bouderie des socialistes français en rencontrant ses « amis internationaux ». Il ne cache pas son plaisir d’avoir retrouvé son « vieux complice » de 68, Dany Cohn-Bendit. Ou encore John Hume, secrétaire général du parti travailliste nord-irlandais et artisan du processus de paix. Il rappelle que, pour les travaillistes anglais, il est le dernier à avoir rencontré en tête-à-tête l’ancien leader de leur parti, John Smith, quelques heures avant sa mort.
Depuis cet été, l’ambiance s’est un peu détendue au sein de la délégation socialiste française, grâce à l’action apaisante de Nicole Péry, vice-présidente du Parlement européen. Rocard lui-même a parcouru du chemin. Comment rebondir est la question qui l’obsède. En bon protestant, il admet les erreurs qui l’ont conduit dans ce trou noir. Mais pour lui, son échec de juin n’est pas le pire de sa carrière. Celui du PSU, « ce laboratoire d’études pour une gauche renouvelée », est, à l’en croire, plus grave puisqu’il a ouvert la voie dans les années 70 à la reconstruction du PS autour de François Mitterrand.
L’ancien Premier ministre sait que sa convalescence est fragile. Il se tient donc à l’écart de la scène parisienne. Pas question de parler aux journalistes pour l’instant. Outre qu’il cultive à leur égard une méfiance développée au fils des ans, ce silence lui permet d’effectuer son « travail de deuil », selon l’expression d’un député socialiste. Mais, pour lui, son retrait n’est pas une retraite. Ainsi a-t-il participé le 27 septembre au soir à un meeting électoral du SPD à Friburg en Allemagne. Il s’entretient aussi régulièrement avec Jacques Delors à qui il donnera un coup de main pour la présidentielle si le président de la Commission le lui demande. Pour Rocard, la société française est malade, les solidarités sont défaites et il faut reconstruire. Si on l’appelle, il aidera à cette reconstruction».
« Le ministère de la Justice se trouve aujourd’hui confronté à un phénomène dont il n’avait mesuré ni la nature ni l’ampleur », estime le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Pourtant le sujet est à l’agenda européen, notamment, depuis longtemps, depuis les attentats de Londres : la nouveauté de cette forme de terrorisme avait alors dérouté les esprits qui n’arrivaient pas à expliquer que des personnes nées et éduquées au Royaume-Uni aient pu perpétrer de tels actes. A l’autre bout de la chaine chronologique, la commission d’enquête sur les attentats du 13 novembre 2015 qui vient de rendre son rapport (rapport du député Fénech),a polarisé son attention sur « le renseignement pénitentiaire » pour reprendre la nouvelle terminologie, renseignement pénitentiaire qu’il « convient de réveiller» Résultat : le renseignement pénitentiaire a végété.
Au cours de ces derniers mois le gouvernement Vals a doté les agents des prisons de moyens et de droits nouveaux. Mais c’est l’échec constate le rapport. Le nouveau ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas précise que depuis sa nomination en mai dernier « il n’avait été destinataire d’aucun élément portant sur le renseignement pénitentiaire et ce malgré un effectif de 380 personnes désormais rattachées à cette mission ». Il a même déclaré « que le système était en panne, inopérant et ne faisait pas remonter les informations concernant les radicalisations en prison ».Difficile d’être plus clair ! Mais à peine rendu public, il est vigoureusement critiqué sur ce point.
Un autre bilan vient d’être rendu public et selon ce bilan dressé par Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le regroupement des détenus islamistes dans les prisons françaises constitue une réponse « insatisfaisante » à un « phénomène sans précédent ». Ce projet, mis en place au lendemain des attentats de janvier 2015, avait déjà été critiqué par un rapport publié l’année dernière.
Pour établir un bilan des premiers mois d’expérimentation de ce dispositif, trois contrôleurs ont visité les établissements pénitentiaires de Fresnes (Val-de-Marne), Lille-Annoeullin (Nord), Osny (Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne). Ils y ont rencontré la majorité des 64 détenus présents (117 places disponibles) ainsi que des personnes chargées de leur prise en charge et leur surveillance.
Adeline Hazan ne juge « pas réaliste (…)l’extension de ce modèle expérimental » dans le contexte « d’une surpopulation carcérale structurelle ».
« Le ministère de la Justice se trouve aujourd’hui confronté à un phénomène dont il n’avait mesuré ni la nature ni l’ampleur (…) La modicité des structures ne paraît pas correspondre au changement d’échelle » du phénomène au regard de la « hausse spectaculaire » du nombre de détenus concernés, observe la CGLPL, qui regrette des mesures mises en place « dans l’urgence ».
« Nous affirmons que ce dispositif présente plus d’inconvénients que d’avantages », a-t-elle ajouté devant les journalistes, estimant « fondamental qu’une évaluation précise » soit entreprise par l’autorité judiciaire dans les plus brefs délais.
« Cet avis » de Adeline Hazan a été transmis au Premier ministre, à la ministre de la justice ainsi qu’au ministre de l’intérieur auxquels un délai de deux semaines a été donné pour formuler des observations.
De son côté le Gouvernement a souhaité apporter ses observations en une réponse unique, adressée par la ministre de la justice au CGLPL, également publiée au Journal Officiel.
Afin d’étudier la question de la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, le contrôle général s’est rendu aux centres pénitentiaires de Fresnes et Réau, ainsi qu’aux maisons d’arrêt d’Osny et Bois-d’Arcy. De nombreux échanges ont également eu lieu avec l’ensemble des acteurs concernés. Ces constats et entretiens ont donné lieu à la rédaction d’un rapport d’enquête, également transmis aux ministres.Un rapport qui peut se résumer en quelques points :
Il y a eu des failles dans les services de renseignement, nous sommes sur des schémas qui datent de 1980 a conclu le rapport . Il faut une ambition plus importante et coordonner véritablement au niveau européen. Du temps a été perdu et le renseignement pénitentiaire n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Les textes de lois et les moyens juridiques sont là mais il faut que l’administration s’en empare. Les lois sur le renseignement de 2014 et 2015 n’ont pas suffi. Il convient avant tout d’opérer une refonte du renseignement territorial de proximité.
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