(B2) Un avion contenant de l’aide humanitaire tchèque à la Syrie s’est posé à Damas, dimanche (9 octobre). A l’intérieur du matériel de dialyse et des fauteuils roulants remis au Croissant rouge syrien et destinés aux « personnes déplacées » à l’intérieur du conflit. Un second avion doit suivre avec d’autres unités de dialyse, précise le ministère tchèque des Affaires étrangères qui a financé en partie cette aide (1) ainsi que ECHO, la direction de l’aide humanitaire de l’Union européenne.
Une visite très politique
L’essentiel n’est cependant pas là… Un émissaire de haut niveau, le vice-ministre tchèque des Affaires étrangères, Martin Tlapa, a profité de l’envoi de cette aide pour rencontrer ses homologues syriens, notamment Faisal Mekdad et Walid al-Muallem, respectivement vice-ministre et ministre des Affaires étrangères. Objectif de la réunion : assurer l’accès humanitaire à toutes les zones de la Syrie, y compris Alep, nécessité de rétablir le-feu et lancer des pourparlers politiques.
Les Tchèques derniers des Mohicans européens à Damas
La république Tchèque a toujours maintenu des liens avec Damas, maintenant là où d’autres pays l’avaient fermé, son ambassade dans la capitale syrienne. C’est la dernière ambassade de l’Union européenne ouverte dans la capitale syrienne.
Un envoyé spécial de l’UE ?
Cette visite vient bien opportunément rappeler qu’il n’y a pas, au niveau européen, d’envoyé spécial ou de représentant spécial de l’UE. Ce qui serait peut-être nécessaire. Certes Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU, de nationalité suédoise et italienne, est un Européen. Et on peut se poser la question de nommer un autre Européen à ce poste. Mais si l’Union européenne veut exister politiquement comme diplomatiquement, la bonne question à se poser ne devrait-elle pas être celle de l’existence d’un envoyé spécial de l’UE ?
Faut-il rétablir des liens diplomatiques ?
Quoi qu’on puisse en penser, ce sera par des contacts officiels et officieux (et non par des visites servant à la propagande de Damas) que pourra se rétablir un lien avec la Syrie. Quoi qu’il puisse en coûter, il faut faire cesser le conflit. Ce n’est pas la première fois qu’on discute et qu’on négocie avec des dictatures. Et ce ne sera que par là que pourra se créer une porte de sortie à un conflit… où, pour l’instant, Bachar est gagnant, n’en déplaise aux diplomaties française, britannique et autres.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) D’un montant de 4,5 millions de couronnes tchèques, cette aide s’inscrit dans le programme du gouvernement de fourniture d’aide humanitaire, de développement et d’aide à la reconstruction de la Syrie. Programmé doté pour la période 2016 – 2019 de 195 millions de CZK.
L’arrivée de la délégation polonaise à la réunion de Bratislava… ou son départ, çà revient (presque) au même (crédit : MOD Pologne)
(BRUXELLES2 – exclusif) La présence du ministre polonais de la Défense Antoni Macierewicz lors de la dernière réunion informelle à Bratislava, le 27 septembre, a été plus que fugitive.
Arrivé pas vraiment en avance, le Polonais a pris la poudre d’escampette avant même la photo de famille (aux alentours de 10h30), avant même la seconde séance de travail, en présence du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Ce qui est plutôt inélégant pour un pays qui n’a de cesse d’en appeler à la solidarité des membres de l’OTAN comme au renforcement des liens entre l’UE et l’OTAN.
De façon fort peu commune, il n’y avait d’ailleurs personne pour représenter la Pologne quand le ministre n’était pas là (1). Le ministre et sa délégation avaient ainsi bien pris soin d’emmener le chevalet marqué « POLAND ». Un geste très politique, en soi, qui avait sans doute un objectif beaucoup assez trivial : éviter d’avoir une photo avec un siège vide devant le mot ‘Pologne’.
Au final, une nette impression que Varsovie joue les dilettantes de la solidarité européenne mais aussi de la solidarité euro-atlantique…
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) D’ordinaire quand un pays n’est pas représenté au plan ministériel, il l’est par un haut fonctionnaire du ministère ou par l’ambassadeur au COPS (ou ambassadeur adjoint).
Ken Clarke, l’homme qui a sauvé le SME, selon JC Juncker (Ici avec la commissaire Viviane Reding et le Polonais Igor Dzialuk lors d’un conseil Justice, novembre 2011, crédit : CUE / Archives B2)
(B2) C’est Jean-Claude Juncker lui-même qui l’a raconté lors de son passage à Paris, pour les 20 ans de l’Institut Delors. C’était à l’été 1993, à l’heure du système monétaire européen quand l’Europe était (déjà) en crise. Un pan de l’histoire européenne oublié… L’actuel président de la Commission européenne était alors ministre des Finances du Grand Duché.
L’ambiance n’est alors pas à la fête. La spéculation fait rage. L’Allemagne, en pleine période de réunification, refuse d’intervenir davantage. La France — c’est alors le Premier ministre Edouard Balladur, qui est aux commandes — propose l’exclusion de l’Allemagne. La lire italienne, a déjà quitté le SME en septembre 1992. L’explosion du SME semble proche…
Quand le SME a failli exploser
« J’ai vécu cette période où nous étions enfermés dans le système monétaire européen, où chaque troisième dimanche les ministres des Finances devaient se déplacer à Bruxelles pour procéder à des réalignements, pour revoir de fond en comble les réalités économiques qui faisaient que du soir au matin les productions dans un pays devenaient trop chères et les autres productions profitant de dévaluations compétitives, c’est-à-dire de dévaluations contre les autres, allaient mieux.»
La révolution de l’Euro
« A tout cela fut mis un terme grâce à la création de la monnaie unique qui doit en fait sa création à Jacques Delors, puisqu’il a présidé en ’88 le groupe Delors qui a présidé un comité fait notamment de gouverneurs et il a convaincu cette troupe difficile de la nécessité et de la justification de la monnaie unique. »
Quand Berlin et La Haye voulaient quitter le SME
« L’Allemagne et les Pays-Bas voulaient quitter le système monétaire européen. [En tant que] Luxembourgeois, petit ministre des Finances, j’étais dans l’embarras parce que les données fondamentales luxembourgeoises étaient bien meilleures que celles de l’Allemagne et des Pays-Bas. Nous ne pouvions [cependant] pas vraiment quitter le système monétaire européen parce que nous n’avions pas de monnaie, puisque nous avions le franc belge. Si le Luxembourg avait quitté avec les Allemands et les Néerlandais le système monétaire européen, le franc belge se serait retrouvé à moins 30-40 % le lendemain. »
Quand Londres sauve l’Euro
C’est en fait un ministre des Finances britannique qui a sauvé l’euro. Les Douze étaient alors réunis à Bruxelles, pour réaligner les différentes monnaies… C’était le lendemain de la mort du Roi Baudouin. Juncker était alors ministre des finances du Grand-Duché.
« [Nous] étions réunis à Bruxelles le lendemain de la mort du Roi Baudouin, pour réaligner les différentes monnaies. (…) Kenneth Clarke [alors] Chancelier de l’échiquier, a pris la parole et a dit: « Le Royaume-Uni a un opt-out et nous n’adopterons pas la monnaie unique, mais nous l’adopterons un jour, et je voudrais que mes petits-enfants puissent payer en euro« , qui ne s’appelait pas encore comme ça, « mais si vous laissez les Allemands et les Néerlandais quitter le système monétaire européen pour vous mettre sous commandement français, vous n’aurez jamais la monnaie unique et comme je veux que mes petits-enfants disposent de la monnaie unique, vous n’avez pas le droit de faire ce que vous êtes en train de concocter« . »
(NGV)
(BRUXELLES2) Patrouille, escorte des convois, évacuation médicale, extraction et évacuation de civils d’un environnement hostiles… Ce sont quelques uns des exercices qui ont eu lieu, sous le commandement de l’opération européenne EUFOR Althea, dans les champs qui entourent la ville de Banja Luca, au nord de la Bosnie-Herzégovine. Pendant deux semaines, du 25 septembre au 5 octobre, 750 militaires de l’Union européenne et l’OTAN ont montré être prêts à réagir « rapidement et efficacement » face à une menace dans le pays.
Prêts à un déploiement rapide
Pendant l’exercice, les militaire ont dû affronter un certain nombre de séries d’exercices conçus pour tester, à la fois, les fonctions de commandement et de contrôle, ainsi que leurs temps de réponse et de réaction à des incidents. Pour ajouter en complexité, la plupart des exercices ont eu lieu simultanément, ce qui a posé un défi supplémentaire pour le Centre des opérations tactiques. Parmi les simulations, établir une série de points de contrôle dans un périmètre autour du camp, la sécurisation du camp lui-même et l’exfiltration et l’évacuation d’un certain nombre de civils d’un environnement hostile et dangereux.
Un exercice multinational effectif
L’exercice a rassemblé plus de 750 soldats venus des forces armées de Bosnie-Herzégovine, de l’opération européenne EUFOR Althea, de la mission de l’OTAN, de la KFOR (Kosovo), de forces britanniques et autrichiennes.
(Leonor Hubaut)
C-160 et C-130 côte à côte sur le tarmac pour l’exercice EAATTC en juin 2016 (crédit : DICOD / Armée de l’Air)
(BRUXELLES2) Les ministres allemand (von Der Leyen) et français (Le Drian) ont signé mardi (4 octobre) une lettre d’intention pour établir une base commune aérienne pour leurs futurs avions Super Hercules C-130J.
Une vingtaine de C-130
La France a déjà 14 C-130 (version H) et a décidé d’acheter, début janvier, quatre nouveaux avions de la version J (dont 2 en version ravitailleurs KC), avec une arrivée prévue entre 2017 et 2019. Ces avions sont tous basés sur la base aérienne 123 (BA123) d’Orléans-Bricy, au sein de l’escadron 2/61 Franche-Comté (et pour les forces spéciales dans l’escadron 3/61 Poitou).
Un escadron commun d’ici 2021
L’Allemagne « prévoit d’acquérir entre quatre à six appareils », a confirmé Ursula von Der Leyen lors d’une visite à Paris qui seront « stationnés en France ». Il ne s’agit pas juste de colocaliser des appareils. La lettre d’intention signée précise bien l’ambition pour l’Allemagne et la France d’ « établir (d’ici) 2021 un escadron de transport aérien commun pour les Hercules C-130J ».
Pallier le retard de l’A400M mais pas seulement
Un achat nécessaire des deux côtés du Rhin, à la fois pour pallier les « trous d’air’ qui peuvent se produire dans la livraison des A400M mais aussi pour compléter le segment du moyen porteur tous terrains. Comme l’explique à B2 un officier qui connait bien le secteur, « nous n’avons pas tout le temps besoin d’un A400M pour nos transports ou en opération. Il nous faut un appareil de moyenne gamme entre le Casa et l’A400M, pour remplacer les Transall ». C’est la même réflexion qui s’est faite outre-Rhin, dans un contexte différent. La Luftwaffe ne sera, en effet, équipée, à terme que d’A400M quand les Transall, encore en service, seront remplacés (d’ici 2020 environ). L’armée de l’air allemande a besoin d’un autre appareil. A cela s’ajoute une troisième raison, moins souvent évoquée. Si pour une raison technique, les appareils sont cloués au sol — comme lors du crash du A400M en Espagne —, il faut pouvoir disposer d’une solution de rechange.
De solides raisons pratiques
Or, mettre sur pied une base aérienne, une chaîne de maintenance pour une demi-douzaine d’avions, cela coûte cher, très cher, et rien ne garantit la disponibilité à 100%. Le pragmatisme l’a donc emporté. Autant regrouper avions français et allemands pour avoir l’effet de masse suffisant, permettant de rationaliser les coûts et de disposer d’une flotte adéquate. En outre, cela permet d’avoir des équipes de maintenance communes, des grilles communes d’astreinte pour les mécanos, de pouvoir alterner les flottes selon les besoins des uns et des autres, de faire les formations en commun, etc. Tout en ayant au total une flotte d’une dizaine de C-130 J disponibles (une vingtaine d’appareils C-130).
Une décision hautement politique
Cette lettre d’intention est très politique : à quelques mois d’échéances électorales de part et d’autre de la frontière (en avril-mai en France, en septembre en Allemagne), cela permet d’entériner dans le marbre, un projet que d’autres (peut-être) auront à charge de mener. C’est un signal aussi envoyé aux autres Européens et des autres alliés de l’OTAN — dont certains manquent sincèrement d’enthousiasme — que leur tiédeur n’empêchera nullement Paris et Berlin d’avancer et que la lettre commune des deux ministres n’est pas juste un chiffon de papier. « Nous avons besoin d’un solide pilier européen de l’OTAN » a défendu von der Leyen à Bratislava. Le Brexit a sonné le réveil des projets communs.
Une volonté d’agir en commun
Au-delà des intérêts pratiques et politiques, il y a indéniablement une volonté d’agir en commun, une complicité qui a joué dans cet accord. Entre les deux ministres, Ursula von der Leyen et Jean-Yves Le Drian, « le courant passe » comme me l’a confirmé un diplomate (1). « Les deux ministres se voient souvent. Les équipes travaillent ensemble. Il y a un climat de confiance et d’entente assez inégalé ». Et point besoin d’interprète. « Ursula parle parfaitement français » (2). Cela aide…
Une série de détails à concrétiser
Il ne faut cependant pas se cacher que ce n’est pour l’instant qu’une lettre d’intention. Il y a un certain nombre de problèmes encore à régler (règles de partage des coûts, conditions de vols, etc.). Baser une unité aérienne opérationnelle allemande permanente ailleurs que sur le territoire national est, en soi, une première. Et il va falloir plusieurs mois de négociation avant d’arriver à un accord plus concret. Un groupe de travail bilatéral doit se réunir « pour clarifier, d’ici la fin de l’année, la façon dont la coopération en matière de transport aérien tactique peut s’approfondir ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Voir : Ministres à Bratislava. Quand la photo en dit plus que tout commentaire
(2) Un point que je peux confirmer
garde-frontières sur la frontière bulgare (Crédit : Frontex)
(BRUXELLES2) L’inauguration qui a lieu en Bulgarie aujourd’hui est symbolique. L’envoi de garde-frontières en renfort à la frontière bulgare, confrontée à une nouvelle vague de réfugiés et migrants venus de Turquie, s’est plutôt faite (soyons juste) sous l’ancien régime de l’agence Frontex que sous le nouveau régime du Corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. Mais elle a une valeur de symbole. Les Européens sont en train de franchir une étape notable, importante.
Cette innovation ne doit pas être jugée avec dédain, comme dans certains commentaires de presse (en France en particulier). Le Corps européen n’est pas un vulgaire ‘machin’… né dans l’esprit de quelques cerveaux à Bruxelles et qui est un artifice de com’ ou une ‘rutilante voiture’ dont a oublié le moteur, l’essence et le permis de conduire (comme certains projets …). Non ! C’est un véritable outil structurant, qui permet de doter, enfin, l’espace Schengen avec un bras armé et une vigie. A sa mesure, c’est sans doute aussi important que la création de la Banque centrale européenne. Le négliger est donc une erreur fondamentale… Pour avoir suivi toutes les évolutions de ce dossier, comme les débats les plus récents, on peut dire sans vantardise : l’Europe accomplit là une « petite révolution » !
Une surveillance en commun virtuelle de l’espace Schengen
Jusqu’ici, la surveillance commune des frontières extérieures, prônée dans le traité de Schengen, était plutôt virtuelle. Certes la règle était posée. Mais elle reposait quasi-totalement sur la bonne volonté et les moyens des États membres. Quand ceux-ci font défaut mais que tout va bien, on ne s’en aperçoit qu’à peine. Certes quelques bandes de criminels et de trafiquants franchissent allègrement ces frontières poreuses. Mais cela ne se traduit pas vraiment en termes publics. Quand il y a — comme depuis plusieurs mois — des vagues de demandeurs d’asile et de migrants qui accostent en Grèce ou traversent la frontière en Bulgarie, c’est largement plus visible. Et là, c’est la panique à bord. Face à cela, l’agence Frontex n’avait pas vraiment de moyens financiers, juridiques, matériels, humains pour réagir…
Un outil commun…
L’objectif de ce Corps européen est justement de doter l’Europe d’un outil commun. Les États membres — jusqu’à présents réticents à toute évolution (les nordiques et les pays de l’Est en particulier, l’Espagne également) — se sont rendus à la raison. Tout seuls, ils ne peuvent rien. Il faut travailler en commun. Pour une fois, les Européens se sont retroussés les manches et ont bâti un outil complet.
… élaboré en un temps record
Il faut remarquer au passage qu’entre le feu vert des Chefs d’Etat et de gouvernement (octobre 2015), la première proposition de texte (décembre 2015), son adoption politique (début juillet 2016), sa traduction et son entrée en vigueur (mi-septembre 2016), et sa première application sur le terrain (début octobre 2016), personne n’aura chômé ni rechigné (ni les fonctionnaires ni les diplomates ni les parlementaires). Il se sera écoulé moins d’un an ! Un record au niveau européen mais aussi au niveau national surtout pour un instrument de cette importance. Critiquer l’Europe pour sa lenteur (comme je l’ai entendu de la part de quelques commentateurs peu informés) n’est pas justifié dans ce cas…
Des moyens renforcés
L’agence Frontex va être complètement remodelée pour faire naître le Corps européen. Elle va d’abord être renforcée au niveau budgétaire (budget doublé) et en personnel (plusieurs centaines d’embauches à prévoir sur 3 ans, c’est assez rare aujourd’hui). Elle disposera en son sein d’un outil renforcé de ‘monitoring’ et de prévision. Elle pourra ainsi faire des études de « vulnérabilité » sur les frontières pour détecter les problèmes (sorte de ‘stress tests‘ comme pour les banques mais adaptés aux frontières) mais aussi proposer des solutions aux Etats membres, voire planifier des opérations (plan opérationnel). Le directeur de l’agence (sous le contrôle du conseil d’administration) aura des pouvoirs renforcés (en cas de crise) pour mettre en place des opérations conjointes ou une réaction rapide.
Un système de réserves
La nouvelle agence va disposer d’un système de réserves de garde-frontières, douaniers, experts (une première réserve d’urgence de 1500 personnes en tout + une réserve supplémentaire) qui pourront ‘décaler’ en quelques jours. Important car il faut se rappeler qu’à l’été 2015 quand l’agence Frontex a lancé un appel pour renforcer les frontières grecques, les effectifs sont venus au compte-goutte et lentement. Le Corps européen aura une capacité d’acheter ou louer les équipements manquants. Très utile quand on se rappelle comment les frontières grecques étaient dépourvues de tout moyen d’enregistrement par exemple des personnes arrivant. Cette capacité pourra s’étendre à des moyens lourds (bateaux, avions, drones…).
Des garde-côtes
Enfin, le Corps européen aura une vraie fonction de garde-côtes. Son nom complet (corps européen de garde-frontières et de garde-côtes) n’est pas là juste pour faire beau. C’est un vieux projet européen — auquel appelaient de nombreux parlementaires notamment — qui se réalise ainsi. La nouvelle agence aura notamment dans ses tâches officielles le sauvetage en mer (1) et ra une compétence étendue au plan maritime. L’objectif de son directeur, Fabrice Leggeri, est de ne pas faire que de la chasse aux migrants, mais d’avoir une vraie police en mer, face aux différents trafiquants, aux terrorismes, mais aussi de travailler en commun avec les deux autres agences européenne (sécurité maritime, pêches…). « Pourquoi pas embarquer sur nos navires des contrôleurs des pêches, par exemple » m’expliquait-il en juillet dernier. Lire : Et maintenant ! Mettre en place le Corps européen des garde-frontières (Leggeri)*
Un projet auquel il faut croire
En bref, un beau projet qui se réalise, un outil concret, utile, à disposition non pas de l’Europe mais des États membres et de ses citoyens. Plutôt que de grandes idées fumeuses, ou de grands projets qui n’ont jamais d’utilité, c’est de ce type de projets, structurants, complets, dont les Européens ont besoin aujourd’hui. Un exemple à suivre pour la défense ?
(Nicolas Gros-Verheyde)
Pour aller plus loin :
Têtes de ponts à Gemersheim le 1er avril 1945 (crédit : ECPAD)
(B2) En matière de défense européenne, chacun a sa petite idée pour la relancer, la redynamiser… ou la dynamiter. Les bonnes idées ne manquent donc pas. Elles sont souvent défendues par de brillants intellectuels. Cela fait parler, occupe les conversations. Mais, souvent, leur mise en œuvre s’avère tout aussi impraticable que la construction théorique parait séduisante.
Il en est ainsi de la proposition faite par J.-D. Giuliani, de la Fondation Robert Schuman (1), qu’on a connue plus inspirée. Il propose ni plus ni moins de signer un nouveau traité entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni pour réinstaurer une communauté de défense entre les trois grands pays du continent, avec « trois innovations » selon lui : « 1) Renforcer la solidarité effective des trois premières puissances européennes qui, devant montrer l’exemple, restent ouvertes à ce que d’autres États européens les rejoignent pour se porter une assistance mutuelle en cas d’engagement de leurs forces armées, 2) S’engager concrètement à accroître leurs efforts de défense pour éviter toute instabilité découlant de leur désarmement, 3) Dépasser l’opposition OTAN-UE en reconnaissant la liberté de chacun de s’organiser comme il l’entend sur le plan bilatéral ou dans le cadre de l’Union européenne. »
En fait d’innovations, ce texte a un seul avantage : sa simplicité. Huit articles en tout et pour tout. C’est facile à lire, à comprendre. C’est même un peu court pour un Traité de cette importance…. De fait, cela ressemble davantage à une déclaration politique qu’à un véritable traité. Pour être court, le contenu n’en est pas moins affligeant et assez peu digne d’une réflexion de think-tank (2).
De façon étonnante, il cite l’OTAN comme l’œuvre clé (et unique) de la défense européenne.
La défense de l’Europe est organisée dans le cadre du Traité de l’Atlantique NordAu diable, la Charte des nations unies et l’ONU qui demeurent, normalement, la clé de voûte de la construction européenne en matière de gestion de crises. Le maintien de la paix n’est même pas un objectif déclaré de ce nouveau traité. C’est aussi dangereux. Car, aujourd’hui, la défense des frontières se fait à deux niveaux : militaire (l’OTAN en effet) et sécuritaire (police, douanes, frontières) au niveau européen.
L’article 2 instaure une nouvelle obligation d’assistance en cas d’engagement de l’autre pays. Si on la lit comme une ‘vraie’ obligation, cela signifierait que quand le Royaume-Uni est parti en guerre aux Malouines, il aurait pu exiger de ses deux alliés leur soutien. Idem pour la France et le Royaume-Uni pour l’opération en Libye en 2011. etc. Connaissant les règles en Allemagne au Bundestag pour les opérations à l’étranger, on a la réponse à l’applicabilité de cette clause. Même à la Chambre des communes, on perçoit difficilement comment les Britanniques pourraient se sentir engagés par une opération « Epervier » au Tchad ou française en Centrafrique. Ce n’est pas que cela ne soit pas souhaitable, ce n’est pas praticable, voire même, encore une fois, dangereux.
L’article 3 réitère les engagements de 2% pour les dépenses de défense et de 20% pour les équipements. Aucune nouveauté là dedans. Ces indices existent déjà au niveau de l’OTAN comme de l’UE (au sein de l’Agence européenne de défense). Ils sont d’ailleurs atteints pour le Royaume-Uni, mais pas par la France et l’Allemagne (pour le premier chiffre). Inscrire dans un traité un chiffre de dépenses est autrement plus conséquent qu’y introduire une décision politique. C’est plutôt imprudent et pour le moins délicat. L’inscription dans le marbre du 3% de déficit pour l’Euro oblige à trouver quelques ressources ingénieuses pour contourner la difficulté. Au passage, l’auteur oublie l’objectif de dépenses sur la Recherche qui est — à mon sens — tout aussi essentiel que d’atteindre 2% du PIB pour la défense. On a donc un article inutile et superflu.
Passons sur l’article 4 qui explique qu’on peut signer tous les accords bilatéraux que l’on veut. Ben oui… c’est la norme internationale.
Les articles 5 et 6 sont consacrés à prévoir un rythme de réunion minimal entre ministres et états-majors. Utile certes. Mais c’est oublier une dominante : la défense est une notion attachée à une forte prédisposition de l’exécutif (Président ou Premier ministre). Le ministre de la Défense, notamment en Allemagne, n’a pas l’importance qu’il a en France (quand il en a… N’est pas Le Drian ou Alliot-Marie qui veut).
Les articles 7 et 8 sont consacrés aux sanctions (l’exclusion – rien moins que cela) si on n’atteint pas les objectifs financiers et à mettre en place un calendrier pour y arriver.
Et c’est tout… Un peu court comme traité… et comme réflexion. C’est dommage. Car avoir un traité franco-germano-britannique était a priori une idée bien séduisante et sans doute utile. Mais ce papier a un gros défaut : ne contenir aucune réelle proposition pour résoudre les problèmes actuels, ni pour trouver des financements pour répondre aux lacunes de défense, ni pour dynamiser la faculté de réponse rapide, ni pour rapprocher les politiques, ni pour mettre en commun certaines capacités. En clair, cette proposition est « géniale » mais inutile, imprécise et inapplicable.
L’Europe de la défense a besoin de projets concrets, structurants
Pour suivre régulièrement les questions de défense européenne, ce qu’a besoin l’Europe de la défense dans tous ses volets (OTAN, UE, multi ou bilatéral), ce sont des projets assez concrets, structurants, durables, qui permettent de résoudre la quadrature du cercle. Faire mieux avec moins d’argent (ce n’est pas parce qu’on dépensera 2% du PIB qu’on sera plus efficace). Faire plus ensemble tout en gardant sa pleine souveraineté sur l’engagement des troupes. Ce qu’a besoin l’Europe ce sont des ‘bons’ projets comme l’EATC, le pool d’avions C-130J (le récent projet franco-allemand), de partager (un peu) la recherche nucléaire, le financement de la recherche de défense, etc.
Ce qu’a besoin surtout l’Europe de la Défense, c’est d’arrêter de poser de grandes ambitions qui n’auront jamais d’application — comme dans les années 2000 d’avoir la capacité de projeter 60.000 hommes en opération (objectif jamais atteint) — ou de mettre en place de superbes instruments (NRF, Battlegroup, Eurocorps, Euromarfor, etc.), dont leurs auteurs cherchent tous les jours à démontrer une utilité qui ne saute pas aux yeux.
Il faudra donc un moment que les « intellectuels » mettent les mains dans le cambouis, partent du concret, des blocages actuels, tentent de voir comment ceux-ci pourraient être débloqués, contournés ou surmontés, avec des solutions pratiques. Il y a matière là à plusieurs papiers, plusieurs traités. Mais il faut avoir le courage de penser à rebours et d’essayer de se projeter dans une dynamique complexe faite de refus et de non-dits (3). Il faut pouvoir démontrer que l’Europe, c’est du concret, du possible, du valorisant pour chacun. Ce n’est pas évident. Mais un défi beaucoup plus stimulant que de refaire la bataille de la Marne… ou tenter de faire revivre le mythe de la CED (la communauté européenne de défense).
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) A télécharger ici.
(2) D’autant plus quand il est financé, en bonne partie, par le budget communautaire.
(3) Un bon Think-Tank (selon moi) est celui qui pense à rebours des idées préconçues qui, tel un « tank » (au centre propre), parcourt, les lignes, les monts et les vallons pour attaquer là où cela est le plus utile et permet de renverser le jeu, de trouver des solutions inédites, pas celui qui parcourt les plaines au rythme bucolique de l’automne.
(B2) La frégate espagnole ESPS Navarra qui vient d’intégrer la force maritime européenne en Méditerranée (EUNAVFOR Med / Opération Sophia) a effectué sa première opération de sauvetage, lundi (3 octobre). Les opérations de sauvetage ont « commencé au cours de l’après-midi et ont duré jusqu’au coucher du soleil » indique le QG de l’opération de Rome. 522 migrants ont été enregistrés, dont 122 femmes, 37 enfants et 15 bébés. (NGV)
L’aviso Premier maitre L’Her en mission de contrôle des armes (crédit : Marine Nationale / Cols Bleus)
(B2) Le patrouilleur de haute mer français « Enseigne de Vaisseau Jacoubet » (F-794) est arrivé dans l’opération EUNAVFOR Med / Sophia de lutte contre les trafics en Méditerranée, au large de la Libye (êtres humains, armes). Il relaie son alter ego « Premier maître L’Her » (F-792) engagé depuis le 12 septembre (1). Cette présence française, au niveau maritime est nouvelle. Jusqu’à présent la contribution française à l’opération était plutôt limitée. Elle consistait davantage en des moyens humains (officiers au QG à Rome), de renseignement (ISR) et un avion (type Falcon 50) mis à disposition quelques jours par mois (avec souvent des missions doubles, sous égide national ou égide européen) (2).
Le changement de focus de l’opération décidé en juin par les 28 pour permettre à l’opération européenne d’opérer des contrôles des navires au large de la Libye, dans le cadre de l’embargo sur les armes édicté par l’ONU en 2011 et de la lutte contre Daesh (3), a changé la donne. La France contribue désormais avec des moyens maritimes à cette opération dans le cadre de qu’on appelle le contrôle des flux d’armes à destination de Daech (CFAD). Le port de Marseille a même été offert (4) pour servir de port de diversion en cas de flagrant délit, pour dérouter le navire concerné, l’équipage et les armes saisies, avec une conséquence indirecte : la justice française pourra être saisie de tels faits et le procureur de la République actionner les poursuites. Le Royaume-Uni a également offert un navire de plus pour effectuer cette tâche (5). On retrouve, ici, le couple franco-britannique, à l’action en Libye en 2011, qui a été un des moteurs principaux de cette nouvelle tâche d’EUNAVFOR Med.
Cette nouvelle phase passe « par une montée en puissance progressive » — explique-t-on à la marine nationale. « Le contrôle sur les armes nécessite en particulier une part importante de recueil de renseignement. » Contrôler tous les navires qui sont en Méditerranée serait, en effet, à la fois impossible en termes de moyens et assez inutile. Il faut opérer à bon escient sur des bateaux ‘suspects ». Ce qu’on appelle au niveau technique « caractériser les flux ». L’aviso Premier maître L’Her a ainsi déjà conduit deux opérations de visite sur des navires suspectés de s’adonner à un tel trafic. Les enquêtes de pavillon menées n’ont cependant pas permis « pour le moment, déceler d’irrégularités qui auraient autorisé une fouille complète des bâtiments ». Les informations collectées « ont été transmises aux partenaires et agences concernées par le contrôle sur les flux d’armes à destination de Daech en Libye ».
Même si les quelque fouilles opérées par les navires français et britanniques n’ont permis aujourd’hui de détecter aucun flagrant délit, cette présence — et la communication qui l’entoure — a un certain effet dissuasif. Les trafiquants, se sachant surveiller, pourraient modifier leurs modus operandi. Ce qui, d’une certaine manière, participe à l’objectif de perturber les trafics.
(Nicolas Gros-Verheyde)
NB : le Jacoubet avait été envoyé sur le Crash d’Egypt air : les forces égyptiennes, françaises et grecques déployées sur zone et a également participé à l’opération européenne de lutte contre la piraterie dans l’Océan indien (lire : Dans le Golfe, les pirates s’en donnent à coeur joie).
(1) Tous deux sont des navires de la classe d’Estienne d’Orves, de type A69
(2) Depuis juin 2015, les avions de reconnaissance maritime ont réalisé une vingtaine de missions, cumulant ainsi plus de 120 heures à surveiller le trafic maritime dans la zone d’action de l’opération Sofia.
(3) Résolution 2292 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
(4) Paris s’est un peu fait tirer l’oreille pour offrir ce port. Mais les Italiens qui assurent déjà tout le traitement des demandeurs d’asile et la poursuite en justice des trafiquants d’êtres humains a refusé de contribuer davantage à une action demandée essentiellement par les Français et les Britanniques.
(5) On peut noter que Londres, en « mode » départ sur le Brexit a renforcé son action sous le drapeau européen là, où il y a quelques années, elle refusait de à l’Union européenne.