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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 2 weeks 4 days ago

Comment perdre une élection

Wed, 18/01/2017 - 20:37

Un adversaire désavoué par son propre camp, une évolution démographique favorable, des moyens financiers considérables : les démocrates avaient toutes les cartes en main pour remporter l'élection présidentielle. Ils ont finalement été défaits, victimes de leur stratégie désastreuse.

Philip Guston. – « Rain Cloud » (Nuage de pluie), 1973 Photo : Christie's Images / Bridgeman Images

« Ronald Reagan a transformé l'Amérique comme ni Richard Nixon ni Bill Clinton ne l'ont fait », estimait M. Barack Obama dans un entretien accordé dix mois avant son élection à la présidence des États-Unis, en 2008. L'ancien acteur avait engagé le pays « sur une route fondamentalement différente » (1). Le message se voulait clair : contrairement à Mme Hillary Clinton, sa principale concurrente lors de la primaire démocrate, il serait un « président du changement ».

Huit ans plus tard, rien de fondamental n'a changé aux États-Unis. Arrivé à la Maison Blanche au milieu de la plus grave crise économique que le pays ait connue depuis les années 1930, M. Obama s'est d'abord employé à éviter un effondrement général. Si, avec son plan de relance de 800 milliards de dollars, il s'est écarté du dogme de l'austérité, il a veillé à respecter les autres fondements de l'orthodoxie néolibérale, se gardant d'adopter la moindre mesure qui pourrait entamer la « confiance des entreprises » et volant au secours des institutions financières, y compris celles qui étaient responsables de la crise.

Quand Mme Clinton a annoncé sa candidature à la présidentielle, en avril 2015, les signaux d'alerte ne manquaient pas : les démocrates avaient été sèchement battus aux élections de mi-mandat de 2010 et de 2014, la reprise économique restait anémique et les mouvements Tea Party à droite et Occupy Wall Street à gauche reflétaient un mécontentement bouillonnant. C'est donc dans une atmosphère d'insatisfaction croissante que l'ancienne première dame, ex-sénatrice de New York et ex-secrétaire d'État, incarnation vivante du statu quo, a lancé sa campagne.

Elle bénéficiait du soutien quasi unanime de l'élite du Parti démocrate — ses permanents, ses bailleurs de fonds, ses super-délégués (membres du Congrès ou du conseil national du parti), tous convaincus depuis longtemps que la Maison Blanche lui revenait de droit. M. Obama a découragé son vice-président Joe Biden de se présenter, puis soutenu Mme Clinton dans son âpre duel contre M. Bernie Sanders lors des primaires. Le coup de tonnerre du 8 novembre ne peut se comprendre indépendamment de la décision du Parti démocrate de s'accrocher à la candidature de Mme Clinton, nonobstant le climat général de colère populaire.

Les conseillers de l'ancienne sénatrice furent ravis de découvrir M. Donald Trump comme seul obstacle vers la Maison Blanche : il avait tenu d'innombrables propos racistes, xénophobes et sexistes pendant la campagne des primaires, et son tempérament imprévisible avait convaincu les électeurs qu'il n'était « pas fait » pour être président — c'est du moins ce qu'assuraient les groupes témoins confectionnés par les stratèges démocrates… À la différence de MM. Trump et Sanders, Mme Clinton a peiné pour trouver un slogan : elle en a testé pas moins de 85, pour finalement s'arrêter sur l'insipide « Stronger together » (« L'union fait la force ») (2). Sa candidature était à ce point dépourvue de contenu que, en février 2016, dans un courriel plaintif, le conseiller aux sondages Joel Benenson interrogeait le directeur de campagne John Podesta : « A-t-on la moindre idée de ce qu'elle veut faire passer comme message principal (3)  ? »

Durant la campagne de 2012, M. Obama avait dépeint son adversaire Willard Mitt Romney comme un ploutocrate sans cœur, affairé à délocaliser les emplois des Américains. Cette ligne d'attaque lui avait permis de s'adjuger suffisamment de voix parmi les ouvriers blancs pour remporter la Pennsylvanie, le Wisconsin, l'Ohio et le Michigan, des États industriels et sinistrés de la Rust Belt (« ceinture de la rouille ») qui borde les Grands Lacs. M. Trump, multimilliardaire qui n'a jamais hésité à embaucher des immigrés clandestins ni à pressurer de petits entrepreneurs, faisait lui aussi une cible rêvée. Mais les affaires personnelles de Mme Clinton avaient prospéré avec l'argent des multinationales — entre janvier 2013 et janvier 2015, elle a ainsi empoché 21,7 millions de dollars pour 92 discours majoritairement destinés à des cadres dirigeants de grandes entreprises. Et sa campagne ne pouvait guère diverger des intérêts de Wall Street, qui la finançait.

Le lieu de l'échec de Hillary Clinton est précisément situé

Réalisant peut-être que la candidate n'était pas taillée pour séduire les laissés-pour-compte de la mondialisation et de la désindustrialisation, son équipe de campagne a opté pour une stratégie identitaire. Elle a tenté de rebâtir la coalition multiraciale de M. Obama en se focalisant sur cinq groupes cibles : les Afro-Américains, les Latinos, les Asiatiques, les 25-35 ans et les femmes blanches. Ce choix transparaît dans une note de M. Podesta en date du 17 mars 2016. Il y évoque les candidats potentiels à la vice-présidence et annonce qu'il a « rangé les noms par groupes alimentaires [sic] approximatifs ».

Une telle stratégie ne peut toutefois suppléer à l'absence de message politique. Les groupes à l'origine du succès de M. Obama en 2012 ont certes voté pour Mme Clinton en 2016, mais dans une moindre proportion : 88 % des Noirs, contre 93 % en 2012 ; 65 % des Latinos (contre 71 %), 65 % des Asiatiques (contre 71 %) et 55 % des 25-35 ans (contre 60 %). Seule exception : les femmes, qui ont voté à 55 % pour la candidate, soit un point de mieux. Misogyne et accusé de harcèlement sexuel, M. Trump a néanmoins remporté 53 % des suffrages de l'ensemble des femmes blanches, et 67 % de celles qui n'ont pas de diplôme universitaire (4).

Les stratégies de mobilisation de groupes cibles ont ceci de dangereux qu'elles peuvent provoquer des contre-mobilisations au sein d'autres groupes. M. Trump en a bénéficié. Sur le plan national, la coalition multiraciale de Mme Clinton a relativement bien fonctionné, puisque la candidate a remporté deux millions de voix (5) de plus que son adversaire. Mais les élections américaines se jouent État par État. Or, sur ce plan, le lieu de l'échec de Mme Clinton est précisément situé : Ohio, Wisconsin, Pennsylvanie et Michigan, où 64 grands électeurs étaient en jeu.

M. Trump l'a emporté dans ces quatre États de la « ceinture de la rouille » parce qu'il a envoyé un message clair. Tournant le dos à l'orthodoxie républicaine, il a attaqué sans relâche les accords de libre-échange et les délocalisations. Il a également dénoncé la présence sur le sol américain de millions de clandestins et l'incapacité du pays à protéger ses frontières. Il a enfin critiqué l'engagement des États-Unis dans des guerres inutiles, en Irak, en Libye ou ailleurs. Son slogan (« Rendre sa grandeur à l'Amérique »), ses appels incessants à faire passer « l'Amérique d'abord » et ses références répétées aux « Américains oubliés » étaient taillés sur mesure pour séduire les travailleurs blancs.

De nombreux commentateurs ont attribué la défaite de Mme Clinton à la xénophobie et au racisme des classes populaires blanches. Si ce facteur a pu jouer — diverses études montrent que les électeurs de M. Trump sont plus xénophobes que ceux des autres candidats (6) —, il faut néanmoins rappeler qu'un Afro-Américain nommé Barack Hussein Obama l'avait emporté dans ces quatre États en 2008 et en 2012. Il s'était imposé souvent avec des marges confortables, et dans de nombreux comtés très majoritairement peuplés de travailleurs blancs.

Cette année, la part des Noirs ayant voté démocrate a décliné dans chacun de ces États, et 71 % des hommes blancs dépourvus de diplôme universitaire ont voté pour M. Trump en Pennsylvanie, 70 % dans l'Ohio, 69 % dans le Wisconsin et 68 % dans le Michigan. Quant aux femmes blanches non diplômées, 58 % d'entre elles ont voté pour M. Trump en Pennsylvanie, 57 % dans le Michigan, 55 % en Ohio…

Mme Clinton a négligé de s'adresser à ces électeurs. Elle n'est pas allée une seule fois dans le Wisconsin pendant sa campagne. Elle n'a jamais semblé se soucier des conditions de vie de la classe ouvrière, lesquelles ne cessent pourtant de se dégrader depuis quarante ans : entre 1975 et 2014, les revenus médians des travailleurs blancs sans diplôme ont décliné de plus de 20 %, avec une chute de 14 % entre 2007 et 2014.

La rupture entre les classes populaires blanches et les démocrates dépasse la seule question économique. S'y ajoute une dimension culturelle, liée au sentiment (pas totalement injustifié) qu'éprouvent nombre de travailleurs blancs d'être méprisés par l'élite progressiste. Mme Clinton a contribué à renforcer ce sentiment quand elle a déclaré, lors d'une levée de fonds auprès de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et trans (LGBT) de New York : « On peut mettre la moitié des partisans de Trump dans ce que j'appelle le panier des gens déplorables. N'est-ce pas ? Ils sont racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes et bien d'autres choses », avant d'ajouter que certains étaient « irrécupérables ».

Populisme de droite contre populisme de gauche

Après la débâcle du 8 novembre, les républicains ne contrôlent pas seulement la Maison Blanche, la Chambre des représentants, le Sénat et (bientôt) la Cour suprême : ils occupent aussi 31 des 50 postes de gouverneur et dirigent 35 sénats d'État et 32 assemblées. Toutefois, des renversements politiques peuvent intervenir avec une étonnante rapidité. La victoire, par 23 points d'avance, du démocrate Lyndon Johnson contre le républicain Barry Goldwater lors de l'élection présidentielle de 1964 avait été suivie, quatre ans plus tard, par le succès du républicain Richard Nixon…

Aux États-Unis comme ailleurs, 2016 a été l'année d'un soulèvement « populiste ». Selon l'essayiste John Judis, les mouvements de ce type constituent « un système de détection précoce de problèmes majeurs que les principaux partis ont minimisés ou ignorés (7)  ». Mais, souligne-t-il, les populismes de gauche et de droite sont fondamentalement distincts. Tous deux défendent « le peuple contre l'élite », mais le second accuse celle-ci « de dorloter un troisième groupe, qui peut être les immigrants, les musulmans ou les militants afro-américains ». Avec M. Trump, la version droitière a triomphé. Mais, alors que ce n'est pas le cas dans plusieurs pays européens, aux États-Unis, une alternative progressiste crédible existait, matérialisée par la candidature de M. Sanders…

À lire également : Philippe Leymarie, « Donald Trump, l'OTAN et les passagers clandestins », Les blogs du Diplo, Défense en ligne, 18 novembre 2016.

(1) Cité dans Chuck Raasch, « Obama aspires to a transformational presidency », USA Today, McLean (Virginie), 16 avril 2009.

(2) Matt Flegenheimer, « When Hillary Clinton tested new slogans — 85 of them », The New York Times, 19 octobre 2016.

(3) Cité dans Maureen Dowd, « Obama lobbies against obliteration by Trump », The New York Times, 12 novembre 2016.

(4) « General election exit polls », CNN.com, 9 novembre 2016.

(5) Le décompte définitif ne sera connu que le 19 décembre.

(6) Zack Beauchamp, « These 2 charts explain how racism helped fuel Trump's victory », Vox, Washington, DC, 10 novembre 2016.

(7) John Judis, The Populist Explosion. How the Great Recession Transformed American and European Politics, Columbia Global Report, New York, 2016.

La longue marche vers l'ouest

Wed, 18/01/2017 - 10:05

Visites officielles, pose de premières pierres ou encore inauguration d'usines électriques, le président Xi Jinping ne chôme pas pour rénover l'image de la diplomatie chinoise. En exhumant la Route de la soie, il entend combiner essor économique et liens stratégiques. A défaut d'alliés en Asie de l'Est, il espère en gagner à l'ouest.

Le président chinois a un sens aigu de la communication. En remettant au goût du jour la Route de la soie, dont les traces remontent au IIe siècle avant Jésus-Christ, il a réussi à faire tout à la fois rêver les Chinois et fantasmer les Occidentaux.

Les premiers y voient un retour à leur gloire passée — du temps où ils organisaient de prestigieuses caravanes chargées d'épices, de soieries et de porcelaine, dominant avec l'Inde les échanges mondiaux (1). Les seconds imaginent les traversées de paysages inouïs à dos de chameau, du temps du Livre des merveilles de Marco Polo, des découvertes et des conquêtes.

Le président Xi Jinping s'est fait lui-même lyrique en lançant l'idée au cours d'un voyage sans relief au Kazakhstan : « Je peux presque entendre le tintement des cloches accrochées aux chameaux et voir les volutes de fumée s'élever dans le désert (2). » En Chine, les chercheurs s'agitent pour affirmer les racines historiques de l'affaire. En Occident, les chasseurs nostalgiques de belles images et les prosaïques organisateurs de voyages se sont emparés du filon. Les amateurs de reportages exotiques vont être servis.

La très officielle agence Xinhua, qui y a consacré une série d'articles, a publié, le 8 mai 2014, la carte « officielle » de cette « route de la soie » qui sera, en fait, une route à trois voies : une voie maritime émaillée d'investissements chinois d'aide à la construction de ports, comme au Sri Lanka ou au Pakistan (lire l'article de Pierre Rimbert, « Le porte-conteneurs et le dromadaire »), et deux itinéraires terrestres appelés « ceintures économiques de la route de la soie », qui s'accompagnent d'un programme impétueux d'infrastructures réalisées ou en gestation : autoroutes, chemins de fer, aéroports, pipelines...

L'un traverse toute la Chine d'est en ouest avant de franchir le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l'Allemagne et les Pays-Bas ; l'autre, plus au sud, rejoint l'Ouzbékistan, l'Iran, la Turquie. De Xi'an, ancienne capitale de l'Empire chinois avec sa spectaculaire armée enterrée, au grand bazar d'Istanbul, mythique carrefour commercial, dix pays à traverser, des milliers de kilomètres à franchir, des dizaines de sites historiques à faire revivre... Le projet ne manque pas de panache (voir la carte de Cécile Marin, « Des corridors maritimes aux “routes de la soie” »).

Pour l'heure, la réalisation la plus spectaculaire s'appelle Yuxinou, le train reliant Chongqing (ses trente-deux millions d'habitants, ses usines gigantesques) à Duisbourg en Allemagne, dont M. Xi a visité la gare terminale lors de son voyage européen en mars 2014. Onze mille kilomètres de rail sur lesquels transitent les produits de l'américain Hewlett-Packard (HP), dont les deux tiers sont fabriqués à Chongqing, ou encore les voitures allemandes BMW ou Mercedes-Benz. De porte à porte, il faut compter vingt jours, « deux fois plus vite que par la mer pour seulement 20 à 25 % plus cher (3) », note M. Ronald Kleijwegt, responsable logistique d'HP en Europe, qui souligne, entre autres avantages, le temps d'attente réduit entre deux cargaisons.

Toutefois, le trafic reste modeste, à raison de trois à quatre convois par semaine, transportant chacun quarante à cinquante conteneurs (contre plusieurs milliers par cargo). Mais le trafic, qui a grimpé de 80 % en 2013, devrait poursuivre sa progression, selon M. Kleijwegt (4). Yuxinou, premier des grands investissements transnationaux à se concrétiser, est symbolique de cette « marche vers l'ouest » décrétée par les dirigeants chinois.

On aurait tort de n'y voir qu'une histoire de marketing géopolitique. Sans doute est-il prématuré de parler, dans le sillage du diplomate Yang Xiyu, de « signal d'un changement historique de la politique chinoise (5) ». Mais le pouvoir cherche incontestablement à rééquilibrer son mode de développement tout comme ses relations diplomatiques.

Plus qu'une ancienne route commerciale, une nouvelle stratégie d'alliances.

Après avoir longtemps fait appel aux capitaux extérieurs, il veut à l'avenir favoriser ses investissements à l'étranger (et ne plus se contenter d'acheter les bons du Trésor américains). Après avoir développé l'Est et sa côte pour des productions tournées vers l'exportation, il veut s'attaquer au désert de l'Ouest — avec la conviction que la croissance et l'enrichissement réduiront les revendications ethniques et indépendantistes au Xinjiang musulman, notamment. Après avoir privilégié ses relations avec l'Occident développé — Etats-Unis en tête— et le Sud-est asiatique, il veut approfondir les rapports avec l'Ouest — l'Asie centrale, mais aussi le Pakistan, l'Afghanistan, la Turquie...

Cette nouvelle stratégie semble répondre à quatre impératifs intimement mêlés : la relance politique intérieure avec un horizon mobilisateur ; la sécurisation des approvisionnements énergétiques ; la revitalisation de la « diplomatie de la périphérie », un peu délaissée ; la recherche d'alliés qui lui font cruellement défaut en Asie de l'Est et du Sud-Est, où les Américains dominent largement.

De ce point de vue, l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), qui regroupe les républiques d'Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan), la Russie et la Chine, avec entre autres l'Inde, le Pakistan ou l'Afghanistan comme observateurs, peut constituer une base de départ. Pékin a toujours misé sur deux tableaux : les ententes bilatérales et des négociations multilatérales. Même si on ne peut pas dire que l'OCS, créée en 2001, a marqué l'histoire diplomatique de la région.

Pour comprendre les motivations actuelles, Wang Jisi, l'un des théoriciens de ce changement stratégique, chercheur à l'Institut des études internationales de l'université de Pékin et conseiller du pouvoir, rappelle qu'en Chine les préoccupations intérieures et extérieures sont toujours extrêmement imbriquées. « Les régimes ont souvent été renversés par une combinaison de soulèvements internes et d'invasion extérieure », explique-t-il dans un article de Foreign Affairs (6) où il expose pour la première fois ce nouveau cap souhaité. Ainsi les Ming qui, en 1644, doivent faire face aux « paysans qui envahissent Pékin et aux Manchous qui envahissent le Nord ». Ou encore les Qing au début du XXe siècle, pris en sandwich entre les révoltes dans tout le pays et les invasions étrangères (occidentales et japonaise).

Quels sont les défis contemporains selon Wang Jisi ? La montée des mouvements sociaux ainsi que des revendications ethniques des Tibétains et des Ouïgours à l'intérieur ; l'hostilité des Etats-Unis et du Japon à l'extérieur. La crainte pour la stabilité du pays et (surtout) le maintien au pouvoir du Parti communiste chinois devrait donc pousser à une « réorientation positive ». Pas question en effet de transformer Washington en ennemi obsessionnel : « Peu de pays —si tant est qu'il y en ait— seraient prêts à rejoindre la Chine dans une alliance antiaméricaine », reconnaît-il avec réalisme.

Certes, les escarmouches se multiplient en mer de Chine, et chaque fois Pékin y voit la main de Washington. Mais la raison finit par l'emporter. En novembre 2014, les présidents chinois et américain ont signé un accord pour réduire les émissions de CO2 d'ici à 2030 —une entente plus politique qu'environnementale, qui n'en dessine pas moins une direction commune, la première depuis longtemps. Tout aussi positive est la rencontre entre M. Xi et le premier ministre japonais Abe Shinzo, alors que les deux pays étaient au bord de la rupture depuis près de deux ans.

En fait, constate Wang Jisi, « malgré l'interdépendance économique entre la Chine, les Etats-Unis et le Japon, il n'y a aucune confiance entre les trois ». Et nul ne parie sur un revirement amoureux dans la prochaine période. Une seule solution, donc : « “Marcher vers l'ouest”. [Cela] devient une nécessité stratégique pour la Chine en tant que grande puissance, afin de favoriser la coopération, d'améliorer l'environnement international et de renforcer ses capacités de concurrence (7) » face aux Etats-Unis. Ainsi se définit, pour le moment, la nouvelle « route de la soie ».

Construction de corridors transnationaux et création de zones de libre-échange.

Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le président chinois ne lésine pas sur les moyens. Dès novembre 2014, il a annoncé la création d'un « Fonds d'investissement pour la route de la soie » qui sera doté de 40 à 50 milliards de dollars (entre 32 et 40 milliards d'euros). Il devrait financer la construction de corridors transcontinentaux et la mise en place de zones de libre-échange — à la manière de celle créée à Shanghaï. De quoi compléter le programme de « développement du Grand Ouest » adopté par la précédente équipe. Ainsi la ville chinoise de Khorgos, l'un des plus grands nœuds routiers à la frontière du Kazakhstan, a poussé comme un champignon au cours de la décennie, étendant ses tentacules des deux côtés de la frontière ; des autoroutes sont construites pour joindre Almaty et une ligne à grande vitesse devrait atteindre Urumqi, la capitale du Xinjiang.

En 2013, M. Xi Jinping s'est lancé dans une tournée exceptionnellement longue (dix jours) en Asie centrale, signant un nombre impressionnant de contrats : 22,5 milliards de dollars de promesses d'investissements et vingt-deux accords touchant à l'énergie ainsi qu'aux secteurs des transports ou de l'agriculture au Kazakhstan ; plus de 6 milliards de dollars d'aide au développement du site gazier de Galkynysh au Turkménistan et la construction d'un pipeline d'ici à 2020 ; à peine moins au Kirghizstan, où, en plus du pétrole, la Chine s'est engagée à développer le réseau électrique... Evidemment la concurrence avec la Russie limite ses ambitions. Mais Moscou, qui connaît des difficultés économiques et de sérieux déboires dans ses relations avec l'Europe, se fait plutôt arrangeant (lire l'article d'Isabelle Facon, « La complexe quête asiatique de la Russie »). Le Kremlin a signé l'an dernier un gigantesque accord énergétique qui le lie pour plus de vingt ans à son rival asiatique...

Les dirigeants chinois consolident également leurs relations avec le Pakistan, en investissant 46 milliards de dollars (37 milliards d'euros) dans la construction de routes, chemins de fer, réseau électrique, etc., ainsi qu'avec l'Afghanistan, auquel ils ont promis 245,4 millions de dollars pour « développer l'agriculture, l'hydroélectricité et la construction d'infrastructures (8) », sans compter les investissements semi-publics dans les mines de cuivre. Il est significatif que, pour son premier voyage à l'étranger, le nouveau président Ashraf Ghani ait choisi Pékin, qu'il espère voir sortir de sa réserve diplomatique une fois les soldats américains partis.

Accords bilatéraux, aides à l'investissement, internationalisation du yuan… Va t-on vers un plan Marshall chinois ?

Au total, la Chine fait valser les milliards de dollars vers l'ouest, au service d'un programme économique d'envergure et d'un plan stratégique ambitieux. A la surprise générale, elle a même donné naissance à la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures. En concurrence affichée avec la Banque mondiale, celle-ci regroupe vingt et un pays (dont l'Inde, la Malaisie, Singapour, le Vietnam, les Philippines, le Qatar, le Koweit...), malgré les pressions américaines sur des pays comme l'Australie qui finalement n'a pas signé (lire l'article de Vince Scappatura, « L'Australie, pièce centrale du « pivot » américain »). Elle devrait commencer à fonctionner cette année avec un capital de 50 milliards de dollars (40 milliards d'euros) et favoriser les échanges en yuans entre Pékin et ses partenaires. L'internationalisation de la monnaie chinoise se poursuit pas à pas.

Faut-il y voir, comme le craint le Wall Street Journal, un « plan Marshall chinois (9) », en référence au plan américain en Europe après la seconde guerre mondiale ? « A première vue, il s'agit de la même proposition gagnant-gagnant » : fournir des fonds qui reviendront ensuite aux entreprises chinoises, en leur assurant leurs besoins énergétiques ou en leur garantissant des marchés. Au moment où les aciéries chinoises connaissent des surcapacités de production et les entreprises du bâtiment de grandes difficultés, on voit rapidement l'intérêt du développement des infrastructures... « La véritable question, assure le Wall Street Journal, est de savoir si les pays asiatiques accueilleront favorablement ce transfert de leadership des Etats-Unis vers la Chine. » Pour l'heure, Pékin promet d'appliquer la règle des « trois non (10) » : pas d'ingérence dans les affaires intérieures, pas de recherche de zone d'influence privilégiée, pas de lutte pour asseoir son hégémonie. Trop beau pour être vrai ?

(1) Philip S. Golub, « Retour de l'Asie sur la scène mondiale », Le Monde diplomatique, octobre 2004.

(2) « Xi proposes a “new Silk Road” with central Asia », China Daily, 8 septembre 2013.

(3) Shawn Donnan, « Geopolitics cast shadow over New Silk Road », Financial Times, Londres, 17 octobre 2014.

(4) « Hardly an oasis », The Economist, Londres, 15 novembre 2014.

(5) Cité dans « “One belt, one road” initiatives key for building a safer Asia », Xinhua, 25 septembre 2014.

(6) Wang Jisi, « China's search for a grand strategy - A rising great power finds its way », Foreign Affairs, vol. 90, n°2, New York, mars-avril 2011.

(7) Wang Jisi, « “Marching westwards” : The rebalancing of China's geostrategy », International and Strategic Studies, n° 73, Pékin, 7 octobre 2012.

(8) Xinhua, Pékin, 28 octobre.

(9) « China's “Marshall Plan”, The Wall Street Journal, New York, 11 novembre 2014.

(10) Intervention de Shi Ze, professeur à l'Institut chinois des études internationales, lors de la conférence internationale de l'Institut Schiller, en Allemagne, 18 et 19 octobre 2014, www.institutschiller.org

Lumumba le panafricain

Tue, 17/01/2017 - 16:12

Fondateur, en 1958, du Mouvement national congolais (MNC), d'inspiration socialiste et panafricaniste, Patrice Lumumba (1925-1961) devient premier ministre du Congo le 23 juin 1960. Partisan d'une indépendance sans concession, accusé de communisme, il représente rapidement un obstacle pour les Occidentaux et les intérêts miniers. Ecarté du gouvernement au bout de trois mois puis arrêté, il est assassiné par l'armée congolaise au Katanga, le 17 janvier 1961, en présence de militaires belges. Le colonel Mobutu s'installera au pouvoir pour près de quarante ans. L'extrait suivant reprend le discours qu'il prononça devant la Chambre des députés le 9 septembre 1960, pour protester contre sa destitution par le président Joseph Kasa-Vubu, décidée en sous-main par les Etats-Unis, la Belgique et l'Organisation des Nations unies (ONU).

« Lumumba », un film de Raoul Peck (France-Belgique-Haïti, 1999)

« Monsieur le président, chers honorables députés, je prends la parole aujourd'hui devant vous parce que c'est de mon devoir de vous informer sur ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays. En aucun cas je n'ai été contre Kasa-Vubu. De plus, si celui-ci est aujourd'hui chef de l'Etat, c'est grâce à moi, Lumumba ! Certains députés, même dans l'opposition, n'étaient pas d'accord — parce qu'il serait un séparatiste, disaient-ils. Eh bien le danger qu'ils craignaient, le voilà aujourd'hui ! Si aujourd'hui je demande aux élus de la nation que M. Kasa-Vubu ne soit plus chef de l'Etat, il ne le sera plus. On a mobilisé des millions de francs pour mener une campagne contre moi par la radio, en lançant des tracts rédigés tous les jours pour une action psychologique. Pour tromper le peuple, on me traite de tous les épithètes : Lumumba “dictateur”, Lumumba “communiste”, Lumumba “Moscou”, et tant d'autres… Est-ce que quand nous luttions ici, qu'on me jetait en prison parce que je réclamais l'indépendance immédiate, était-ce des Russes qui me conseillaient cela ? Quand nos frères luttaient partout, était-ce des Russes qui nous instiguaient à réclamer l'indépendance ? Qui nous a exploités durant quatre-vingts ans ? N'est-ce pas les impérialistes ? La reine Elisabeth de Belgique est présidente des Amitiés belgo-russes : est-elle communiste ? Lorsqu'ils parlent contre Lumumba, sachez que Lumumba n'est qu'un bouc émissaire et la bête noire. Ce n'est pas Lumumba qu'ils visent, mais plutôt vous et l'avenir du Congo !

Chers frères, je fais appel à votre sagesse, à la sagesse bantoue. La situation est plus grave que vous ne l'imaginez. Unissons-nous, car vous êtes capables de sauver ce pays. Oublions tout ce qui nous a divisés jusqu'ici. »

Soleil, plage et plus à Lesbos

Sat, 14/01/2017 - 19:59

Son roman « Hôtel Problemski » (Christian Bourgois, 2005) décrivait de façon mordante la vie des demandeurs d'asile hébergés dans le centre d'accueil belge d'Arendonk. Avec cette nouvelle, rédigée au début de l'année 2016, l'écrivain flamand Dimitri Verhulst choisit au contraire de ne les évoquer qu'en faisant briller cruellement leur absence : dans les îles grecques, les vacanciers ont de tout autres préoccupations.

Marie-Anita Gaube. – « Extension du désir », 2015 www.ma-gaube.com

Et, comme plusieurs déjà l'avaient fait cette saison après s'être gauchement dépatouillées de leur jupe, cette petite bonne femme aussi (pas laide mais pas inoubliable) dit à Midas que ce n'était guère dans ses habitudes de plonger sous la couette avec un homme qui, dix heures plus tôt, n'était encore qu'un inconnu. Le genre à vouloir se dédouaner. Envers elle-même. Car elle connaissait évidemment les rumeurs à propos de ces hôtels-clubs de vacances où des dames font des avances au personnel parce que, comme chacun sait, l'occasion fait le larron. Mais elle-même n'était pas comme ça, non, personne ne pouvait en douter. Elle n'avait pas du tout réservé des vacances sur cette île avec l'arrière-pensée de s'envoyer en l'air. Mieux encore, elle avait toujours eu son opinion faite sur ce genre de destination. Elle mettait dans le même sac clubs de vacances avec animateurs et camps disciplinaires. Les city-trips européens correspondaient mieux à son caractère : Lisbonne, Berlin, Barcelone. Ou alors des perles moins connues comme Gand, si Gand ne se trouvait pas en Belgique, où l'on pouvait craindre un attentat. Deux ou trois jours, assez pour recharger les batteries, avec en poche une liste des choses intéressantes à voir dont on n'était pas obligé de cocher toutes les rubriques. Les grands poncifs la laissaient indifférente. Rendez-vous compte, elle avait réussi à aller deux fois à Rome sans voir le Colisée. La tour Eiffel, pour elle, n'était qu'un pylône électrique beaucoup trop grand pour le paysage. Elle connaissait les cartes postales, la réalité n'avait probablement rien à ajouter.

Cette fois, elle avait été trop fatiguée pour s'organiser un city-trip, pour des raisons qu'elle n'avait pas forcément besoin d'expliquer à un parfait inconnu (une histoire avec un type, supposa-t-il). Les sempiternelles flâneries dans des ruelles médiévales, les cavalcades entre musées et cathédrales, l'idée seule l'avait soûlée. Elle voulait se la couler douce, avoir droit à la paresse, au vide, on appelle ça des vacances à la plage : faire la crêpe toute la journée. Elle allait acquérir, ce faisant, un bronzage qui, pour la majorité de la gent touristique, représente la motivation essentielle. Mais c'était pour elle secondaire, quoique pas désagréable. Elle avait cherché sur Internet un lieu de villégiature, trouvé quelques incroyables promotions pour ceux qui se décident vite et tardivement. Elle avait déjà indiqué toutes les coordonnées de sa carte Visa, mais elle hésitait encore — elle était Balance, ces gens hésitent toujours, paraît-il —, fallait-il procéder au dernier clic ? Après avoir finalement tranché, elle avait été submergée par un sentiment de honte ; elle allait, hé oui, passer une semaine dans un de ces clubs de merde. Savait-il seulement, demanda-t-elle à son animateur après avoir fait l'amour, qu'elle avait dû aller dare-dare s'acheter un maillot juste avant le départ ? Plaisir aquatique : un oxymoron. Jadis, elle avait été ce genre de jeune fille qui prétend toujours avoir ses règles quand il y a natation à l'école.

Lui l'avait remarquée près de la piscine, ce midi, dans un bikini rouge, haut triangle et slip assorti de Hunkemöller, une marque qui, en général, n'a pas grand succès auprès des femmes qui apprécient au plus haut point la présence d'un beachboy et d'un banana colada. Son teint trahissait le fait qu'elle n'était pas sur l'île depuis longtemps, deux jours tout au plus, et qu'elle utilisait une lotion à indice de protection extrêmement élevé. Elle lisait Berlin Alexanderplatz.

« Un livre formidable, et une adaptation au cinéma tout aussi formidable », lui avait lancé Midas, frôlant son fauteuil de plage tandis qu'il se dirigeait en flânant vers le stand de tir à l'arc.

Sa remarque aurait pu être celle du garçon vachement cool. Le meilleur truc pour séduire. Car on peut sans doute dire à chaque lectrice à demi nue qu'elle a quelque chose d'extraordinaire entre les mains, et qu'il doit en exister une adaptation cinématographique. D'ailleurs, la plupart de ces touristes ne lisent probablement que des livres qui sont effectivement devenus des films. Elles lisent le bouquin grâce au film. Pour autant qu'elles lisent.

Le club avait une petite bibliothèque, pas tant par conviction, mais parce que ça faisait bien sur le site Web de l'hôtel, une petite rubrique supplémentaire dans la liste de tous les conforts disponibles. L'animatrice qui se tenait tous les jours de 10 heures à 16 heures derrière le comptoir s'ennuyait comme un rat mort et avait les ongles les mieux entretenus de tout le personnel.

Midas s'intéressait aux livres que lisaient les femmes à la piscine : ils trahissaient leur langue, leur origine. L'une d'elles lisait As Cinquenta Sombras de Grey tout en n'étant pas trop laide. Il lui souhaita alors, l'air de rien : boa tarde. Il parlait sept langues, et pour au moins quatre d'entre elles il les avait apprises au lit. Ce que l'on pouvait interpréter littéralement, car jadis c'est toujours couché qu'il avait étudié pour ses examens. Pendant toutes ses années d'adolescence, son matelas avait été son biotope, mi-bureau, mi-lieu de sommeil.

Le titre de ce livre-ci posait cependant un problème. Berlin Alexanderplatz n'avait sans doute pas été traduit. S'y risquerait-on ? Berlin, place Alexandre ? Il avait donc choisi de la saluer en anglais. Un livre formidable, un film formidable. Et voici posée la première pierre. Bingo.

Une femme en maillot Hunkemöller devant un échantillon de littérature universelle : pour une bonne part de la gent masculine, rien de bien passionnant en perspective. Midas n'aura pas à craindre une grande concurrence de la part de ses collègues.

Il avait dû, à 16 heures, recruter parmi les gens à la piscine pour les jeux-apéro. Il détestait cette partie de son boulot, mais parvenait bien à le cacher. La plupart du temps, il lui suffisait de crier : « Jeux-apéro ! », et les candidats se précipitaient vers lui. Des hommes gros, des hommes musclés, des dames trop minces, des dames avec des bourrelets : les jeux-apéro étaient adorés par des possesseurs de corps hétéroclites. Elle avait jeté un regard méfiant sur le remue-ménage depuis son fauteuil de plage, utilisant son livre comme écran de protection, faisant semblant de lire, craignant qu'on ne lui adresse la parole. Mais les angoisses existent pour être confirmées : on lui adressa bel et bien la parole !

Elle n'avait jamais été une participante, à rien. L'esprit d'équipe lui était toujours resté étranger. C'est avec un dégoût quasi digne d'une explication scientifique qu'elle avait toujours considéré l'esprit grégaire des associations de jeunesse. Mais ça lui semblait trop long à expliquer, une explication qu'elle ne devait à personne, et certainement pas à un animateur : « Je suis comme je suis, point barre. »

Elle eut la sensation d'être observée, son quant-à-soi fut interprété par les autres comme un reproche. Si l'humanité ne pouvait s'unir dans l'idiotie, alors dans quoi donc ? Son arrogance la rendait complice de tout ce qui allait mal dans le monde. Et par conséquent, pour dire quelque chose, elle demanda ce qu'étaient les jeux-apéro.

« Les jeux-apéro ? Bof, un truc stupide. »

Elle ne pouvait savoir combien cet animateur futé était sincère en disant ça.

« Et pourquoi ferait-on un truc stupide ? 

— Parce que c'est stupide ! »

Ça avait beau être plausible, ce n'était pas de cette façon qu'il allait la convaincre.

« Tu vois, c'est vraiment nul. On jette des balles dans des trous faits dans une planche, et celui qui obtient le plus de points reçoit un cocktail gratuit offert par le club. Rien d'autre. Ça dure cinq minutes. Et, pendant ce temps, tes yeux se reposent de ta lecture. »

Stupide, le jeu l'était, indubitablement ; on pouvait le déduire de la joie bruyante qu'il provoquait chez une trentaine de désœuvrés. Elle-même, depuis le jardin d'enfants, n'avait plus rien fait d'aussi infantile, jeter des balles dans les trous d'une planche, allez, et elle eut en outre à déplorer l'existence bien réelle de la baraka des débutants. Sa victoire fut acclamée par une bande de Britanniques, des célibataires dotés hélas de cordes vocales performantes. Ils avaient déjà tellement bu qu'ils allaient assurément se taper tout à l'heure, sous le soleil de plomb, un fameux coup de bambou.

Il l'a emmenée au bar, où Nikos, le champion d'Europe des barmans (disait-on), se préparait pour son one-man-show. Sa devise : le shaker, c'est pour les filles ; le pilon, c'est pour les garçons ! Devant sa Belle Pêche, les abstinents de la plus stricte observance viraient de bord. « En fait, je ne bois jamais pendant la journée », disait la belle pas inoubliable.

Pas de problème, on avait aussi des cocktails sans alcool, ici. Les gosses de 5 ans en raffolaient. Et puis, pas besoin de prendre trop à la lettre les règles des jeux-apéro, si elle avait envie d'un Coca ou d'un café, c'était OK. Après un examen superficiel de la carte des boissons, elle se décida pour une Black Widow Spider, une cochonnerie à base de Coca, de glace vanille et de réglisse. Lui prit un Henri Bardouin et, vu que le barman n'avait pas attendu qu'il ait choisi, elle en déduisit qu'il s'en envoyait plusieurs par jour. Le métier d'animateur était certainement pénible pour le foie et pour le zob.

« L'idée, maintenant, c'est de boire nos cocktails ensemble au bar ? Je ne connais pas vraiment les coutumes de ces clubs de vacances, c'est la première fois que je me retrouve larguée dans un de ces bazars. »

La boisson lui était offerte en sa qualité de triomphatrice d'un petit jeu débile, ni plus ni moins, et si elle avait envie de la lamper quelque part seule dans un coin, c'était son affaire.

« Mon livre est resté sur mon fauteuil de plage. »

En vérité, pas mal de choses avaient déjà été volées dans cet hôtel, mais un livre, jamais.

Une petite conversation de politesse au bar, à propos de ces questions dont animateur et client parlent toujours lors d'un premier contact, et à son grand étonnement elle avait même ri à plusieurs reprises de ses plaisanteries bordées de noir. Elle s'était dit : ce bonhomme a une vieille âme et ne le sait pas. Elle le remercia pour le verre, et retourna auprès de son livre.

Les rencontres dans un club de vacances se produisent selon une valse à contresens : pendant la journée on lie connaissance au bord de la piscine, quasi nus, et le soir, au bar, on poursuit la conversation, on s'engage vers l'autre, on se dévoile, habillés chic et de pied en cap. Midas avait déjà souvent été fasciné par le fait qu'il pouvait rencontrer une femme, une fille aux seins nus, libre et naturelle, et que c'était la chose la plus normale au monde... et puis que cette même femme, plus tard, se mettait à faire des chichis au moment d'enlever son soutien-gorge, jouant les timides.

La nouvelle venue apparut au bar vers 21 h 30, seule, comme elle l'avait été toute la journée, en jeans et tee-shirt sans slogan. Son animateur de l'après-midi était déjà là, seul également, bizarrement installé devant un Henri Bardouin. Elle s'était attendue à ce que ces types fussent constamment harcelés par un essaim de filles. Ils avaient à prodiguer d'urgence les premiers soins aux femmes récemment divorcées. Mais, malgré la présence de nombreuses demoiselles, dont un certain nombre avaient fait précéder leurs vacances de trois mois de régime strict, il était assis là, sur son haut tabouret, manifestement pas intéressé par la belle viande offerte. Il aurait été un peu étrange de ne pas lui souhaiter le bonsoir, elle le connaissait, non ? Il était jusqu'à nouvel ordre le seul représentant de l'espèce humaine qu'elle connût sur cette île, et elle demanda si ça ne le dérangeait pas qu'elle s'asseye près de lui.

« Tu en as finalement eu marre de lire ?

— Je ne sais pas si je dois absolument lire ce truc jusqu'au bout. C'est bien écrit, c'est même superbement écrit, mais c'est tout le temps la même chose. »

Ça, il en convenait volontiers. Beaucoup d'écrivains rataient la marche vers le chef-d'œuvre absolu parce que leur envie d'écrire un gros bouquin était trop forte. Et elle tint pour possible qu'il eût effectivement lu Berlin Alexanderplatz.

Elle prendrait bien un verre ?

Un gin-tonic alors. Pour le moment, tout le monde buvait du gin-tonic. Même se soûler la gueule a ses modes.

Il remarqua que la musique la dérangeait. « Sorry, mais ici, sur l'île, ils croient que le hit-parade a un effet stimulant sur la libido. » Et avant de s'en être bien rendu compte, elle lui balançait la question : alors quelle musique, d'après lui, serait bénéfique à la libido ? Elle ne connaissait aucun des artistes qu'il lui cita. Sa première tache de vieillesse, sans doute.

Elle trouvait que PJ Harvey était ce qu'un haut-parleur pouvait sortir de plus bandant. Bandant, suffisait qu'elle prononce le mot, et elle se sentait déjà toute chose.

Deux heures plus tard, ils l'avaient fait ensemble, de la façon dont tous les enfants pensent que leurs parents le font exclusivement. Elle avait regardé le ventilateur tourner gentiment au plafond. Qu'elle ait eu un orgasme, elle l'attribua au gin-tonic et parce que ça faisait déjà un peu trop longtemps. Ils étaient couchés côte à côte sur le dos. Éphémères et vides. Et elle fut soudain prise d'un fou rire : nom d'un chien, elle l'avait fait avec un animateur !

Et lui avec une prof. Une Danoise. Sa quatrième cette saison. Sa quatrième prof. Sa neuvième Danoise.

Traduit du flamand par Danielle Losman.

La déroute de l'intelligentsia

Fri, 13/01/2017 - 22:21

Les Américains n'ont pas seulement élu un président sans expérience politique : ils ont également ignoré l'avis de l'écrasante majorité des journalistes, des artistes, des experts, des universitaires. Le choix en faveur de M. Donald Trump étant souvent lié au niveau d'instruction des électeurs, certains démocrates reprochent à leurs concitoyens de ne pas être assez cultivés.

Philip Guston. – « Discipline », 1976 The Estate of Philip Guston - Hauser & Wirth, Zürich, London, New York

Il existe un pays au moins où les élections ont des effets rapides. Depuis la victoire de M. Donald Trump, le peso mexicain s'écroule, le coût des prêts immobiliers s'élève en France, la Commission européenne desserre l'étau budgétaire, les sondeurs et les adeptes du microciblage électoral rasent les murs, le peu de crédit accordé aux journalistes agonise, le Japon se sent encouragé à réarmer, Israël attend le déménagement de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, et le partenariat transpacifique est mort.

Ce tourbillon d'événements et de conjectures suscite une rêverie mêlée d'inquiétude : si un homme presque universellement décrit comme incompétent et vulgaire a pu devenir président des États-Unis, c'est que, désormais, tout est possible. Une contagion du scrutin américain paraît même d'autant plus concevable que son issue imprévue a été remarquée dans le monde entier, et pas seulement par les experts en politique étrangère.

Depuis une dizaine d'années, on ne compte plus les surprises électorales de ce genre, presque toujours suivies par trois jours de repentance des dirigeants mis en accusation, puis par la reprise placide des politiques désavouées. La persistance d'un tel malentendu — ou la répétition d'un tel simulacre — se comprend d'autant mieux que la plupart des électeurs protestataires résident souvent fort loin des grands centres de pouvoir économique, financier, mais aussi artistique, médiatique, universitaire. New York et San Francisco viennent de plébisciter Mme Hillary Clinton ; Londres s'est prononcé massivement contre le « Brexit » en juin dernier ; il y a deux ans, Paris reconduisait sa municipalité de gauche à l'issue d'un scrutin national triomphal pour la droite. Autant dire que, sitôt l'élection passée, il est loisible aux gens heureux de continuer à gouverner dans un entre-soi émollient, toujours aussi attentifs aux recommandations de la presse et de la Commission européenne, toujours aussi prompts à imputer aux révoltés des urnes des carences psychologiques ou culturelles qui disqualifient leur colère : ils ne seraient au fond que des demeurés manipulés par des démagogues.

Ce type de perception est ancien, en particulier dans les cénacles cultivés. Au point que l'analyse de la « personnalité autoritaire » de l'électeur populaire de M. Trump menée depuis des mois ressemble au portrait psychologique que les gardiens de l'ordre intellectuel dressaient des « subversifs » de droite comme de gauche pendant la guerre froide.

Analysant la prévalence de ces derniers dans le monde ouvrier plutôt qu'au sein des classes moyennes, le politiste américain Seymour Martin Lipset concluait en 1960 : « En résumé, une personne issue des milieux populaires est susceptible d'avoir été exposée à des punitions, à une absence d'amour et à une atmosphère générale de tension et d'agressivité depuis l'enfance qui tendent à produire des sentiments profonds d'hostilité, lesquels s'expriment sous la forme de préjugés ethniques, d'autoritarisme politique et de foi religieuse millénariste (1).  »

En avril 2008, huit ans avant que Mme Clinton ne consigne la plupart des soixante-deux millions d'électeurs de M. Trump dans le « panier des gens déplorables », M. Barack Obama avait attribué le paradoxe du vote républicain en milieu populaire au fait que des gens votent contre leur intérêt quand, « pour exprimer leur frustration, ils s'accrochent à leurs fusils ou à leur religion, ou à une forme d'antipathie envers ceux qui ne sont pas comme eux, ou à un sentiment hostile aux immigrés ou au commerce international ». Frustration contre raison : les gens instruits, souvent convaincus de la rationalité de leurs préférences, sont souvent décontenancés par les philistins qui s'en défient.

Rien ne rend mieux compte de ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelait le « racisme de l'intelligence (2)  » — de plus en plus prégnant chez les néolibéraux de gauche, mais aussi chez nombre d'intellectuels et d'universitaires radicaux — qu'un commentaire de l'élection américaine paru sur le site de la prestigieuse revue Foreign Policy. À supposer que le titre — « Trump a gagné parce que ses électeurs sont ignorants, vraiment » — n'en dévoile pas instantanément le propos, un résumé de deux lignes lève les doutes : « La démocratie a pour vocation de mettre en œuvre la volonté populaire. Mais qu'en est-il si le peuple ne sait pas ce qu'il fait (3)  ? »

Comme il se doit, une batterie de chiffres et de réflexions puissantes appuie l'argumentation. L'auteur, Jason Brennan, un professeur de philosophie, attaque très fort : « Eh bien, c'est arrivé. Donald Trump a toujours bénéficié de l'appui massif des Blancs peu instruits et mal informés. Un sondage de Bloomberg Politics indiquait qu'en août Hillary Clinton disposait d'une avance massive de 25 % auprès des électeurs de niveau universitaire. Par contraste, lors de l'élection de 2012, ceux-ci favorisaient de justesse Barack Obama plutôt que Mitt Romney. La nuit dernière, nous avons vécu quelque chose d'historique : la danse des ânes. Jamais auparavant les gens instruits n'avaient aussi uniformément rejeté un candidat. Jamais auparavant les gens moins instruits n'en avaient aussi uniformément appuyé un autre. »

Brennan se montre davantage galvanisé que sonné par un constat qui le conforte dans son credo antidémocratique. Adossé à « plus de soixante-cinq ans » d'études conduites par des chercheurs en sciences politiques, il a en effet déjà acquis la certitude que la « terrifiante » absence de connaissances de la plupart des électeurs disqualifie leur choix : « Ils savent en général qui est le président, mais guère plus. Ils ignorent quel parti contrôle le Congrès, ce que le Congrès a fait récemment, si l'économie se porte mieux ou plus mal. »

Néanmoins, certains s'appliquent davantage que d'autres. Républicains ou démocrates, ils sont aussi les plus diplômés. Et, par le plus heureux des hasards, les gens cultivés se montrent plutôt favorables, comme le libertarien Brennan, au libre-échange, à l'immigration, à une réduction des déficits, aux droits des homosexuels, à la réforme — progressiste — du système pénal et à celle — conservatrice — de l'État-providence. Autant dire que si l'information, l'éducation et l'intelligence l'avaient emporté le 8 novembre, un individu aussi grossier et aussi peu soucieux de s'instruire que M. Trump, « dont le programme, hostile au commerce international et à l'immigration, s'oppose au consensus des économistes de gauche, de droite et du centre », ne s'apprêterait pas à quitter son triplex de New York pour le bureau ovale de la Maison Blanche. Lors d'un de ses meetings, le milliardaire s'était d'ailleurs exclamé : « J'aime les gens peu instruits. »

La sanction du discours identitaire et bourgeois de la candidate démocrate

À quoi bon soulever une objection, signaler par exemple que M. Obama, qui enseigna le droit à l'université de Chicago, fut néanmoins élu et réélu grâce au vote de millions d'individus peu ou pas diplômés, que nombre de brillants esprits frais émoulus de Harvard, Stanford, Yale ont successivement pensé la guerre du Vietnam, préparé l'invasion de l'Irak, créé les conditions de la crise financière du siècle (4) ? Au fond, une analyse du scrutin américain conduisant à se défier du manque de jugement du peuple a pour principal intérêt de refléter l'humeur du temps, et pour principal avantage de conforter le sentiment de supériorité de la personne forcément cultivée qui la lira. Mais elle comporte un risque politique : en temps de crise, le « racisme de l'intelligence », qui entend privilégier le règne de la méritocratie, des gens bien éduqués, des experts, fait souvent le lit des hommes à poigne, plus soucieux d'embrigadement que d'instruction.

La plupart des commentateurs ont choisi de braquer les projecteurs sur la dimension raciste et sexiste du scrutin. Au fond, peu leur importe que, en dépit du caractère historique de la candidature de Mme Clinton, l'écart entre le vote des hommes et des femmes ait à peine progressé et que celui, abyssal, entre électeurs blancs et noirs ait, lui, légèrement régressé (lire Jerome Karabel, « Comment perdre une élection »). Le cinéaste Michael Moore, qui avait prévu la victoire de M. Trump, n'a pas manqué de relever la chose sur MSNBC le 11 novembre : « Vous devez accepter que des millions de gens qui avaient voté pour Barack Obama ont cette fois changé d'avis. Ils ne sont pas racistes. »

Noir, progressiste, musulman, représentant du Minnesota, M. Keith Ellison a aussitôt prolongé cette analyse, insistant sur les mobiles économiques du scrutin et la défiance que suscitait une candidate trop proche de l'establishment, trop urbaine, trop hautaine : « Nous n'avons pas obtenu un bon résultat auprès des Latinos et des Afro-Américains. Par conséquent, cette vision qui voudrait tout imputer à la classe ouvrière blanche est erronée (5).  » M. Ellison fut l'un des très rares parlementaires à soutenir M. Bernie Sanders lors des primaires ; il est désormais, avec son appui, candidat à la direction de son parti. S'adressant à ses partisans étudiants, le héraut de la gauche démocrate vient pour sa part de réclamer que ceux qui ont choisi Mme Clinton comme porte-drapeau aillent « au-delà des politiques identitaires ». Et il a ajouté : « Il ne suffit pas de dire à quelqu'un : “Je suis une femme, votez pour moi.” Non, ça ne suffit pas. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une femme qui aura le courage de s'opposer à Wall Street, aux compagnies d'assurances, à l'industrie des énergies fossiles. » L'université américaine étant l'un des lieux où le souci de la diversité l'emporte volontiers sur celui de l'égalité et où les préjugés culturels ne sont pas moins nombreux qu'ailleurs, mais inversés, M. Sanders ne prêcha pas forcément des convaincus ce jour-là.

Philip Guston. – « Red Box » (Boîte rouge), 1977 The Art Institute of Chicago / W. Pick / Bridgeman Images

Cependant, rien n'y fait : pour bien des démocrates, chacun appartient à un groupe unique, lequel n'est jamais économique. Par conséquent, si des Noirs ont voté contre Mme Clinton, c'est qu'ils étaient misogynes ; si des Blanches ont voté pour M. Trump, c'est qu'elles étaient racistes. L'idée que les premiers peuvent être aussi des sidérurgistes sensibles au discours protectionniste du candidat républicain et les secondes des contribuables cossues attentives à ses promesses de réduction d'impôts ne semble guère pouvoir s'immiscer dans leur univers mental.

Cette année, le niveau d'instruction et de revenu a pourtant davantage déterminé le résultat que le sexe ou la couleur de peau, puisque c'est la variable qui a le plus évolué d'un scrutin à l'autre. Dans le groupe des Blancs sans diplôme, l'avantage des républicains était déjà de 25 % il y a quatre ans ; il vient d'atteindre 39 % (6). Jusqu'à une date récente, un démocrate ne pouvait être élu sans eux. Au motif que leur proportion dans la population américaine décline (7), que leur encadrement syndical se défait et qu'ils voteraient de plus en plus « mal », certains démocrates, dont l'insistance sur le thème de la diversité résume la stratégie, s'accommoderont-ils désormais de l'idée de devoir être élus contre eux ?

Ce défi politique ne se présente pas seulement aux États-Unis. Évoquant ses étudiants des deux rives de l'Atlantique, l'historien italien Enzo Traverso témoigne : « Personne ne dirait jamais qu'il vote Trump. Tous tiennent à peu près le même discours : “Nous sommes cultivés, respectables, intelligents — et riches ; les autres, en face, sont des ploucs, ‘affreux, sales et méchants'”, pour reprendre le titre d'un célèbre film italien. Or c'était autrefois le discours des nationalistes contre les classes populaires (8).  »

Mais, pour gourmander utilement les « ploucs », mieux vaudrait que leurs censeurs disposent de quelque crédit auprès d'eux. Or plus ils s'enferment dans des discours abstraits et opaques, plus ils s'enfoncent dans un verbalisme radical-chic, moins ils se font entendre de l'Amérique tranquille des petites villes ou de celle des comtés dévastés, où le taux de suicide augmente et où l'on se soucie avant tout de ses conditions d'existence.

Résultat : la droite est parvenue à transformer l'anti-intellectualisme en arme politique efficace, en identité culturelle revendiquée (9). En 2002, dans un texte largement diffusé, les républicains, qui « voient rouge » (la couleur qui leur est associée sur les cartes électorales), retournent à leur avantage le stigmate du « plouc » : « La plupart des habitants de l'Amérique rouge ne savent pas déconstruire la littérature postmoderne, donner les instructions qu'il faut à une gouvernante, choisir un cabernet au goût de réglisse. Mais nous savons élever nos enfants, câbler nos maisons, parler de Dieu avec aisance et simplicité, réparer un moteur, utiliser un fusil ou une scie électrique, cultiver des asperges, vivre tranquilles sans système de sécurité ni psychanalyste (10).  »

La plupart des habitants de l'Amérique rouge ne lisent pas non plus la presse, que M. Trump a jugée « tordue », « corrompue », « malhonnête », et qu'il a fait huer lors de ses meetings. Puisqu'il avait menti comme un arracheur de dents tout au long de sa campagne, le candidat républicain méritait d'être souvent démenti par les journalistes. Mais, outre que la vérité ne constitue pas la production la plus universelle de la presse américaine, ni la plus lucrative, l'engagement des médias en faveur de Mme Clinton et leur incompréhension des électeurs de M. Trump résultent là encore d'un enfermement social et culturel. L'éditorialiste du New York Times Nicholas Kristof s'en expliquait le 17 novembre sur Fox News entre deux conférences rémunérées 30 000 dollars l'unité : « Le problème du journalisme est qu'il favorise toutes sortes de diversités aux dépens de la diversité économique. Nous ne comptons pas assez de gens issus des communautés ouvrières et rurales. » Ce biais sociologique ayant été documenté et commenté aux États-Unis depuis un quart de siècle, gageons que sur ce point le changement n'est pas pour demain.

Mais, dorénavant, les candidats « hors système » n'hésitent pas à se prévaloir de la haine qu'ils inspirent aux médias. En Italie, M. Giuseppe (« Beppe ») Grillo a ainsi tiré de l'élection américaine une leçon réconfortante pour lui et son parti : « Ils prétendent que nous sommes sexistes, homophobes, démagogues et populistes. Ils ne réalisent pas que des millions de gens ne lisent plus leurs journaux et ne regardent plus leur télévision (11).  »

Le lieu de l'échec de Hillary Clinton est précisément situé

Certains le réalisent enfin. Le 10 novembre, sur France Inter, Frédéric Beigbeder, ancien publicitaire devenu écrivain et journaliste, admettait avec une désarmante lucidité sa perte d'influence et celle de ses congénères : « La semaine dernière, j'expliquais, avec toute l'assurance des ignares, que Donald Trump allait perdre l'élection présidentielle américaine. (…) Aucun intellectuel n'a rien pu écrire pour empêcher sa victoire. (…) Le gouvernement du peuple par le peuple est le seul système dans lequel j'aie envie de vivre, mais au fond, qu'est-ce que je connais du peuple ? Je vis à Paris, puis là je suis à Genève ; je fréquente des écrivains, des journalistes, des cinéastes. Je vis complètement déconnecté de la souffrance du peuple. Ce n'est pas une autocritique, c'est un simple constat sociologique. Je sillonne le pays, mais les gens que je rencontre s'intéressent à la culture — une minorité d'intellectuels non représentatifs de la révolte profonde du pays. »

La Californie a voté massivement pour Mme Clinton, qui y a réalisé des scores spectaculaires auprès des populations diplômées des comtés les plus prospères, souvent presque entièrement blancs. Révulsés par le résultat national, certains habitants réclament une sécession de leur État, un « Calexit ». M. Gavin Newsom, gouverneur adjoint de Californie et ancien maire de San Francisco, ville où M. Trump n'a obtenu que 9,78 % des suffrages, ne partage pas leur avis. Mais il entend déjà combattre les politiques du nouveau président en se rapprochant des « dirigeants éclairés » du monde occidental. Il ne lui reste plus qu'à les trouver.

(1) Seymour Martin Lipset, Political Man : The Social Bases of Politics, Doubleday, New York, 1960.

(2) Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Éditions de Minuit, Paris, 1981.

(3) Jason Brennan, « Trump won because voters are ignorant, literally », Foreign Policy, Washington, DC, 10 novembre 2016.

(4) Comme le signale Lambert Strether dans « Three myths about Clinton's defeat in election 2016 debunked », Naked Capitalism, 14 novembre 2016.

(5) « VICE news tonight », HBO, 16 novembre 2016.

(6) Thomas Edsall, « The not-so-silent white majority », The New York Times, 18 novembre 2016. L'écart favorable aux républicains s'est dans le même temps réduit chez les Blancs diplômés, passant de 14 % à 4 %.

(7) Elle est passée de 83 % en 1960 à 34 % en 2016.

(8) « Enzo Traverso : “Trump est un fasciste sans fascisme” », Politis, Paris, 17 novembre 2016.

(9) Lire « Stratagème de la droite américaine : mobiliser le peuple contre les intellectuels », Le Monde diplomatique, mai 2006.

(10) Blake Hurst, « Seeing red », The American Enterprise, Washington, DC, mars 2002. Texte en partie traduit dans « Une droite éperdue de simplicité », Le Monde diplomatique, mai 2006.

(11) Cité par The International New York Times, 14 novembre 2016.

Le legs britannique à l'Europe

Thu, 12/01/2017 - 22:52

Bruxelles et Londres ne manqueront pas de trouver un arrangement institutionnel pour organiser le retrait décidé par les électeurs britanniques le 23 juin. Mais le résultat du référendum sur le « Brexit » oblige les dirigeants européens à repenser entièrement un projet commun qui a été réduit au « grand marché », en particulier sous la pression du Royaume-Uni.

Même s'ils ne s'y réduisent pas, les débats politiques prennent souvent la forme de batailles de chiffres. La campagne du référendum du 23 juin, qui s'est soldée par la victoire du « Brexit » et la décision des Britanniques de sortir de l'Union européenne, en a administré une nouvelle fois la preuve. Chaque camp avait mobilisé experts, lobbyistes et institutions en tout genre pour produire des piles d'études prospectives — évidemment contradictoires — sur les avantages ou les dangers, en particulier économiques et financiers, de prendre le large. À l'inverse, le citoyen britannique a été moins, voire pas du tout, informé sur la manière dont son pays a façonné les pratiques et les politiques communautaires de l'Union. Ceux qui, à Bruxelles et dans la plupart des capitales européennes, se réjouissent de cette influence évitent de le crier sur les toits. Ceux qui s'en accommodent mal, notamment en France, ne veulent pas faire état publiquement de leur incapacité à la contenir.

Hormis la France, engagée militairement sur de nombreux théâtres d'opérations extérieurs, les États membres de l'Union ont largement limité leurs ambitions stratégiques internationales à l'horizon européen et à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) (1). Ils s'expriment de l'intérieur de l'Union, voire de la zone euro, en ayant intégré ses contraintes et ses atouts présumés, et ne raisonnent pas en termes de tête-à-tête ou d'affrontement avec « l'Europe ». La Grèce, soumise aux diktats de ses partenaires et menacée d'une expulsion de la monnaie unique, fait figure d'exception qui confirme la règle.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les élites politiques britanniques ont adopté une posture totalement différente. Dans un discours du 5 décembre 1962, Dean Acheson, secrétaire d'État du président américain Harry Truman entre 1949 et 1953, avait fustigé cette posture en des termes constamment repris par la suite et, tout récemment encore, dans les polémiques sur le « Brexit » : « La Grande-Bretagne a perdu un empire et n'a pas encore trouvé un rôle. La tentative de jouer un rôle de puissance à part — c'est-à-dire un rôle à l'écart de l'Europe fondé sur une “relation spéciale” avec les États-Unis, un rôle fondé sur sa place à la tête d'un Commonwealth qui n'a aucune structure ni unité ni pouvoir (…) — ce rôle a fait son temps. »

L'« anglosphère » orpheline

À l'époque, ces propos firent scandale dans l'establishment britannique, d'autant qu'ils tournaient en dérision les termes de deux discours, eux aussi historiques, prononcés par Winston Churchill une quinzaine d'années auparavant (2). Dans le premier, le 5 mars 1946 à Zurich, le premier ministre préconisait la création d'une Europe fédérale à laquelle le Royaume-Uni apporterait un soutien bienveillant, mais de l'extérieur : « Nous sommes avec vous, mais pas des vôtres. » Dans le second, en 1948, devant le congrès du Parti conservateur, il développait sa théorie des « trois cercles » à l'intersection desquels se tenait, selon lui, le Royaume-Uni : d'abord les pays de langue anglaise — à savoir les États-Unis et les dominions « blancs » (Canada, Australie et Nouvelle-Zélande) ; ensuite l'Europe ; et enfin le Commonwealth. Hors de question d'appartenir exclusivement à l'un d'entre eux, fût-il le plus proche : l'Europe.

Une expression est fréquemment revenue ces derniers temps dans les médias pour caractériser les rapports entre Londres et l'Union : « semi-detached », laquelle évoque les maisons à mur mitoyen des banlieues britanniques. L'Union ne forme pas une seule maison, mais deux : l'une qui compte ving-huit pièces — dont celle du Royaume-Uni — et l'autre composée d'une pièce unique, celle du Royaume-Uni. Selon les circonstances, Albion habite l'une ou l'autre de ces résidences. Les concessions obtenues par le premier ministre David Cameron lors du Conseil européen des 18 et 19 février 2016 le confirment (3).

La revendication d'une « relation spéciale » avec les États-Unis s'avère moins aisée. Cette illusion, longtemps entretenue, a été actualisée en 2013 à l'occasion des révélations de M. Edward Snowden sur le réseau planétaire de surveillance tissé par l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA). Ce que nul n'ignorait dans la communauté du renseignement a été spectaculairement mis sur la place publique : les « grandes oreilles » qui écoutent tous les messages de la planète pour le compte des États-Unis ne sont pas seulement américaines, mais aussi australiennes, britanniques, canadiennes et néo-zélandaises. Les stratèges de Washington n'accordent en effet leur confiance totale qu'à ceux de leurs sous-traitants qui ont la langue anglaise en partage.

Ce club des « cinq yeux » (five eyes) avait été formalisé après la seconde guerre mondiale par des traités secrets, à commencer par le United Kingdom - United States Communications Intelligence Agreement (Ukusa), signé en 1946. De là à imaginer que cette « anglosphère » constitue un pôle de puissance en marge de l'Union, à partir duquel Londres pourrait se projeter internationalement, il y a un gouffre que jamais M. Barack Obama, pas plus que ses prédécesseurs, n'a envisagé de franchir. Le 22 avril 2016, lors de sa visite à Londres, le président américain a fermement rappelé à ses hôtes que le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne était aussi une affaire d'intérêt national — le seul qui compte — pour les États-Unis. Même si l'« anglosphère » a encore une très forte résonance sentimentale et culturelle au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, elle ne saurait constituer une priorité de leurs gouvernements, ne serait-ce que pour des raisons géopolitiques : Ottawa doit d'abord gérer sa relation avec son grand voisin du Sud, et Canberra et Wellington, trouver leur place dans la zone Asie-Pacifique.

Ces forces centrifuges témoignent de la difficulté de constituer une communauté politique avec le lien linguistique pour unique ciment. Mais les fervents de l'« anglosphère », qui déplorent son délitement, ne se sont pas encore rendu compte qu'ils avaient déjà remporté une énorme victoire. Il existe déjà une « anglosphère » bis, et en pleine expansion : l'Union européenne (4). En termes strictement linguistiques, l'Union est de plus en plus anglaise. On le constate dans la plupart des domaines scientifiques et techniques, dans la gestion des entreprises, dans l'enseignement supérieur, les métiers de la communication et du commerce, etc., où l'anglais se substitue aux langues nationales.

Au sein des institutions européennes — qui devraient donner l'exemple —, la Commission, pourtant statutairement gardienne des traités et du reste de l'« acquis communautaire », ignore ouvertement le règlement linguistique de 1958, qui donne aux langues nationales (actuellement au nombre de vingt-quatre) des États membres le statut de langues officielles et de langues de travail de l'Union. En fait, elle privilégie outrageusement l'anglais, tout comme le Service européen pour l'action extérieure et même les instances du Conseil européen (5). On atteint le sommet de la servitude volontaire quand M. Pierre Moscovici, commissaire européen de nationalité française, adresse, en décembre 2014, une lettre officielle en anglais à M. Michel Sapin, ministre des finances de M. François Hollande. Cette tendance communautaire lourde a des conséquences économiques : au mépris de la « concurrence libre et non faussée », elle favorise les entreprises des pays anglophones (Irlande et Royaume-Uni), qui, elles, n'ont pas à acquitter les considérables frais de traduction des réponses, souvent volumineuses, aux appels d'offres de la Commission (6).

Autre motif de satisfaction pour Londres : l'Union n'est pas seulement anglaise dans ses pratiques linguistiques ; elle l'est aussi dans sa philosophie et ses politiques, et ce depuis son origine. C'est bien le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE), en 1957, qui a placé les dogmes libéraux de la concurrence et du libre-échange au sommet de l'édifice communautaire. Les traités ultérieurs, et en particulier l'Acte unique (1986), n'ont fait que le confirmer. Non signataires du traité fondateur, en application de la doctrine Churchill, les dirigeants britanniques mesurèrent après coup ses potentialités et entreprirent de rectifier leur erreur. Après deux tentatives bloquées par le général de Gaulle, le Royaume-Uni entra finalement dans la CEE en 1973. Ce calcul pragmatique des coûts et des bénéfices de l'adhésion était aux antipodes de la mystique européiste des dirigeants de la social-démocratie et de la démocratie chrétienne du continent.

C'est Margaret Thatcher, première ministre de 1979 à 1990, qui a formulé le plus clairement l'objectif poursuivi par le Royaume-Uni : « Tout le grand marché et rien que le grand marché. » D'où une ligne politique constante, quelle que soit la couleur des gouvernements en place à Londres : éliminer les entraves aux forces du marché, le cas échéant de manière unilatérale, en exigeant des dérogations aux législations communautaires, en particulier en matière sociale ; multiplier les obstacles à toute forme d'union politique ou monétaire ; revendiquer sans états d'âme de tirer de l'appartenance à l'Union le maximum de retombées économiques. L'une des réussites — partagée avec l'Allemagne — de cette stratégie a été l'élargissement de l'Union, en 2004 puis en 2007, aux États d'Europe centrale et orientale, qui a augmenté significativement les possibilités de dumping social intracommunautaire, en particulier par l'utilisation de « travailleurs détachés » (7). Du grand art, comme on le voit, mais dont les résultats ne sont revendiqués qu'à voix basse par la diplomatie britannique afin d'obtenir toujours plus de ses partenaires…

Libéralisme à jet continu

Londres avait trouvé un compagnon de route inattendu : la Commission européenne. Certes, l'exécutif bruxellois, qui se voit comme le gouvernement d'une hypothétique Europe fédérale, se montra radicalement hostile à l'Europe des États préconisée par la plupart des dirigeants britanniques. En revanche, il avait vu en eux des alliés précieux pour produire du libéralisme à jet continu. Cette connivence s'était traduite par la présence des Britanniques à des postes stratégiques pour leurs intérêts au sein des institutions de l'Union. Ainsi, Mme Vicky Ford préside toujours, le temps d'organiser la séparation, la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen. Plus significative encore fut la décision de M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, de nommer commissaire aux services financiers M. Jonathan Hill, surtout connu comme agent d'influence de la City et porte-parole du lobby bancaire. Ce n'est pas le seul commissaire en situation de conflit d'intérêts, mais certainement le plus emblématique, au même titre que M. Juncker lui-même, ancien premier ministre du Luxembourg, qui, comme l'ont montré les « LuxLeaks », a fait bénéficier de faveurs fiscales plusieurs multinationales telles qu'Apple ou Amazon (8).

Pour Dean Acheson, il y a plus d'un demi-siècle, le Royaume-Uni était en quête d'un rôle. S'il s'exprimait aujourd'hui, il pourrait songer à celui de passager clandestin de la construction européenne (9). Un passager qui a eu le triomphe modeste, laissant à d'autres le soin d'évoquer ses prouesses. Et nul n'est plus qualifié pour un tel exercice que M. Peter Sutherland, véritable oligarque de la mondialisation libérale (10). Il savait en effet de quoi il parlait quand il écrivait : « L'un des paradoxes les plus désolants au sujet d'un éventuel “Brexit” est que Londres a remporté un grand succès en façonnant une Union européenne libre-échangiste à sa propre image (11). »

(1) Parmi les membres de l'Union européenne, seuls six pays (Autriche, Chypre, Finlande, Irlande, Malte et Suède) ne sont pas membres de l'OTAN.

(2) Lire « “Brexit”, David Cameron pris à son propre piège », Le Monde diplomatique, février 2016.

(3) Cf. « Et si David Cameron avait ouvert la voie à une “autre Europe” ? », Mémoire des luttes, 1er mars 2016.

(4) Lire Benoît Duteurtre, « La langue de l'Europe », Le Monde diplomatique, juin 2016.

(5) Cf. « Pour une ambition francophone », rapport d'information no 1723 présenté par M. Pouria Amirshahi, commission des affaires étrangères, Assemblée nationale, Paris, janvier 2014.

(6) Lire Dominique Hoppe, « Le coût du monolinguisme », Le Monde diplomatique, mai 2015.

(7) Lire Gilles Balbastre, « Travail détaché, travailleurs enchaînés », Le Monde diplomatique, avril 2014.

(8) Cf. Eva Joly et Guillemette Faure, Le Loup dans la bergerie, Les Arènes, Paris, 2016.

(9) Utilisée en sciences sociales pour désigner le bénéficiaire d'une action collective à laquelle il ne contribue pas, cette notion a été théorisée par l'économiste américain Mancur Olson, dans Logique de l'action collective, Presses universitaires de France, Paris, 1978 (1re éd. : 1965).

(10) Ancien membre de la Commission trilatérale, ancien commissaire européen, ancien directeur général de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), ancien président de Goldman Sachs et de BP.

(11) Peter Sutherland, « A year of magical thinking for the Brexiteers », Financial Times, Londres, 31 mars 2016.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de septembre 2016.

Irak, colosse à la tête d'argile

Thu, 12/01/2017 - 18:02

Treize ans après son invasion militaire par les États-Unis et leurs alliés, l'Irak ne parvient pas à sortir du chaos et de la violence. Alors qu'une partie de son territoire reste contrôlée par l'Organisation de l'État islamique (OEI), le gouvernement et la classe politique s'avèrent incapables d'unifier le pays et de garantir la sécurité d'une population épuisée.

Ayad Alkadhi. — « I Am Bagdad XVI », 2015 Doris Duke foundation for islamic art, Hawaï - http://aalkadhi.com

Le réseau électrique irakien se prête magnifiquement à une métaphore. Point de départ de toute activité humaine, l'accès à l'énergie devrait être le dernier des problèmes dans un pays riche en hydrocarbures, parcouru de grands fleuves et ensoleillé comme un jardin d'Éden (1). Or l'approvisionnement en électricité illustre les défaillances et les turbulences infernales du système politique irakien.

Tout d'abord, l'État n'offre qu'un service résiduel, limité à une poignée d'heures journalières de courant. La situation n'est pas meilleure dans les quartiers populaires à dominante chiite : quant à ses dysfonctionnements, le système n'est pas sectaire du tout… À Bassora, grande ville du Sud qui flotte au-dessus d'immenses ressources pétrolières (lire « Bassora, la ville qui se donne en sacrifice »), les autorités locales ont anticipé les émeutes à prévoir en réaction aux coupures estivales — dans une zone où les températures dépassent 50 °C — en sollicitant l'aide de l'Iran voisin. C'est dire tout ce qu'on peut attendre de Bagdad.

Les Irakiens doivent surtout compter sur des systèmes collectifs improvisés, dans une logique de privatisation et de décentralisation sauvage. Chaque quartier abrite de gros générateurs, qui alimentent toute une rue. En émanent une pléthore de fils correspondant à une multitude d'abonnements individuels, présents et passés. Beaucoup ne marchent plus, mais qu'importe : il suffit d'en ajouter d'autres, dans un processus de sédimentation qui n'est pas sans rappeler les strates successives apportées, sans succès, à un appareil de sécurité omniprésent et multiforme.

L'individu doit souvent s'en remettre à lui-même. Chaque maison a son propre générateur, pour parer aux pannes de celui de la rue. Leurs moteurs ont eux aussi besoin de fioul et de maintenance. Finalement, on se retrouve encore souvent assis dans le noir, à regarder la lueur statique de l'écran de télévision, en attendant que quelque chose, quelque part, redémarre. C'est ce que les Irakiens font, allégoriquement, depuis le renversement du régime de Saddam Hussein, il y a treize ans (2). Mais le grand paradoxe de cette complexité superfétatoire, c'est qu'elle consume, sans raison apparente, toute leur énergie.

Tout semble inutilement compliqué, obligeant la population à déployer des trésors de résilience et d'ingéniosité. L'ambiguïté de cette attitude est qu'elle s'intègre au système, lui permettant de fonctionner malgré tout. Sous l'ancien régime, une blague vulgaire résumait ce principe. Hussein avait décidé de tester la patience des Irakiens en imposant une taxe pour le franchissement des ponts de la capitale, traversée par le Tigre. Ses sbires rapportent que personne ne se plaint, malgré les coûts et les bouchons. On augmente les taxes, encore et encore, mais rien n'y fait. Alors le président, excédé, ordonne aux officiers sur les ponts de violer tous ceux qui les empruntent. Les embouteillages grossissent. La colère gronde et les gens, enfin, réclament : « Quand allez-vous augmenter le nombre de violeurs ? »

Ayad Alkadhi. — « I Am Bagdad XV » (Je suis Bagdad XV), 2013 Doris Duke foundation for islamic art, Hawaï - http://aalkadhi.com

À l'heure actuelle, il est à peu près impossible d'entendre en Irak le moindre propos positif au sujet de la classe politique, qui suscite un mépris unanime. Depuis le départ des troupes américaines, le 18 décembre 2011, le pays, confronté par ailleurs à une violence endémique, connaît une crise politique continue qui se traduit, entre autres, par la stagnation de tous les projets de loi majeurs débattus au Parlement. Les quelques adhésions que tel ou tel personnage a pu susciter ont entièrement disparu devant le constat qu'ils sont interchangeables. Un intellectuel désabusé commente : « Au fond, au-delà de leurs querelles, ce sont tous des camarades au sommet. Par contre, ils veulent qu'on se déteste, pour nous distraire par des luttes qu'ils manipulent. Eux se battent pour des pourcentages, pas pour des sectes. Et tous sont d'accord sur une chose : le maintien du système. »

Cette fatigue généralisée a produit beaucoup de maturité au sein de la société irakienne. Dans les discours, un sectarisme virulent coexiste le plus souvent avec une lecture très fine et réaliste des clivages absurdes qui ont tant coûté aux Irakiens ordinaires, et tant rapporté à leurs représentants supposés (3). Pour autant, les manifestations déclenchées depuis août 2015 par la chute des cours des hydrocarbures, dans une économie toujours exclusivement basée sur la redistribution clientéliste de la rente pétrolière, ne suscitent guère de sympathie (4). La vaste majorité de la population préfère un système aberrant au risque du chaos, se satisfait vite de quelques prébendes ou pense à l'émigration.

Effets pervers de l'appui américain

Pour les jeunes, il y a aussi l'option militante : aller combattre avec une faction ou l'autre, par conviction ou simplement pour acquérir un statut et gagner un salaire. La guerre perpétuelle, dont l'Organisation de l'État islamique (OEI) est le dernier objet en date, remplit des fonctions devenues essentielles pour le système : elle occupe les esprits et sert de diversion aux errements du pouvoir ; elle attise les passions de façon à lui assurer une légitimité minimale ; et elle génère une indispensable économie de repli. L'appareil de sécurité et les milices absorbent le chômage. Des chefs de guerre chiites blanchissent leur butin en ouvrant des restaurants à la mode. Des têtes de tribu sunnites profitent des combats (qui justifient le financement de forces supplétives), des destructions (qui annoncent des contrats) et de la crise humanitaire (qui génère de l'aide qu'ils détournent). Et la classe politique obtient, au nom d'une lutte existentielle, le soutien international nécessaire pour continuer à piller sans rendre de comptes à quiconque.

Les États-Unis, qui, depuis treize ans, ne pensent qu'à se débarrasser au plus vite de la responsabilité qu'ils se sont créée en envahissant le pays, en sont toujours à multiplier les efforts velléitaires et les expédients. Ils forment, comme de coutume, des unités irakiennes capables de poursuivre la guerre permanente, sans s'attaquer au système qui en vit. L'administration de M. Barack Obama est même en train de consolider celui-ci dans ses travers. Elle fait primer la lutte contre le terrorisme sur toute autre considération. Elle réduit l'exigence d'une participation politique sunnite à la cooptation de quelques figures de proue détachées de leur base, tout en contribuant à évincer, l'une après l'autre, les principales villes associées au sunnisme irakien (5). Dans la lignée des préjugés qui prévalurent lors de l'intervention américaine en 2003, elle se méfie des masses sunnites, s'accommode du militantisme des chiites et encourage dangereusement celui des Kurdes.

En tout état de cause, l'enjeu n'est plus vraiment l'équilibre à trouver entre les grands groupes ethno-confessionnels (6). Dans la population, la situation actuelle est désormais largement acceptée comme un fait établi. Ainsi, on aurait tort de penser que l'OEI est la manifestation d'une mobilisation sunnite revancharde ; elle s'est simplement engouffrée dans le vide laissé par un État à la fois répressif et absentéiste. Les gains des Kurdes peuvent encore être contestés au sommet de la hiérarchie politique à Bagdad ; mais, pour la base, le Kurdistan ne fait même plus partie de l'Irak (7). Le pays se stabilise en ce qui concerne les tensions intercommunautaires. La présence des milices chiites sur le front, par exemple, suscite infiniment plus de sectarisme dans la sphère numérique, parmi les Irakiens exilés et les musulmans d'autres nationalités, que sur le terrain. Dès lors, la période actuelle ressemble étrangement à une image en négatif des années 1990. Le régime de Saddam Hussein a réprimé durement une insurrection chiite dans le Sud, puis négligé la population, jugée déloyale. Les villes n'ont pas été rasées, comme aujourd'hui en zone sunnite, mais de vastes palmeraies ont été détruites. Des sbires du pouvoir servaient de « représentants » chiites, zélotes qui se coupaient naturellement de leurs bases. L'administration et l'armée restaient assimilatrices, mais une culture sunnite dominait (8).

Ayad Alkadhi. — « I Am Bagdad III », 2008 Doris Duke foundation for islamic art, Hawaï - http://aalkadhi.com

Désormais, c'est l'inverse : on entend partout de la musique du Sud ; la lingua franca prend des tonalités de dialecte populaire shrougi, c'est-à-dire sudiste ; et, dans une inversion des rôles presque parfaite, les sunnites jouent volontiers sur l'ambiguïté des identités irakiennes, en modifiant légèrement leur nom, leur adresse ou leur accent quand cela leur simplifie la vie. Ce qui ne veut pas dire que « les chiites sont au pouvoir », pas plus que les sunnites ne l'étaient auparavant. Aujourd'hui comme alors, tout le monde se plaint de ne pas voir grand-chose des richesses du pays.

Avec le temps qui passe et le recul qu'il permet, les contours du système politique actuel se précisent. Il s'agit d'un régime sans tête, dans lequel de multiples réseaux infiltrent et subvertissent un État dont les ressources et les structures sont mises au service des sous-systèmes en question. En découlent une grande variété de phénomènes souvent contradictoires, qui puisent dans divers répertoires, comme si la politique irakienne s'inventait en respectant une sorte de grammaire historique.

On constate par exemple une ascension au pouvoir, à la faveur de l'invasion américaine, de certaines catégories de population, notamment une petite bourgeoisie issue soit de la diaspora, soit des tribus de sada, dignitaires qui revendiquent un lien généalogique avec le Prophète. Cette mobilité sociale n'est pas sans rappeler l'émergence du Baas, ce parti lui-même ancré dans la petite bourgeoisie des provinces, qui s'appuya pour percer sur les institutions créées sous le mandat colonial britannique (9). « La différence, souligne un fonctionnaire à Kout, c'est que les baasistes, unifiés par leur idéologie, ont hérité d'un État fonctionnel, alors que ceux-là n'ont rien en commun et opèrent dans un pays détruit. »

Les cheikhs de tribus sunnites, remarque la chercheuse Loulouwa Al-Rachid, « en sont revenus à un statut et un comportement semblables à ceux des grands propriétaires terriens de l'époque monarchique (10)  ». Ils gravitent autour du pouvoir et le plus loin possible de leurs bases, qu'ils conçoivent et exploitent comme une bande de manants. Plus généralement, les tribus ont ressorti tout un folklore réactivé par Saddam Hussein, et jouent un rôle central à travers le droit tribal, dans un pays où le judiciaire relève de la foire aux enchères. Partout, on peut lire sur les murs « matloub dem » ou « matloub ‘asha'iriyan », signalant que tel ou tel individu est recherché mort ou vif — respectivement. On peut d'ailleurs souscrire une sorte d'assurance tribale en payant mensuellement un cheikh puissant pour pouvoir invoquer sa protection en cas de besoin. Il va sans dire qu'une telle pratique n'a strictement plus rien à voir avec les traditions.

Influence iranienne

D'autres réseaux ont partie liée avec des puissances extérieures. Les États-Unis, à force de former l'appareil de sécurité, y ont développé des relais (11). C'est sur eux qu'ils peuvent compter aujourd'hui pour exercer une influence considérable malgré des moyens limités, en travaillant de concert avec des unités irakiennes qui ne vaudraient pas grand-chose sans l'appui aérien américain.

L'Iran a aussi ses hommes dans la place, à savoir une génération de militants islamistes qui a vécu en exil à Téhéran, dans une relation si organique qu'elle en devient problématique pour ses bienfaiteurs eux-mêmes. Un universitaire iranien analyse : « Nos amis irakiens ont une influence énorme chez nous. Ils parlent perse. Ils se sont sociabilisés au fil des ans avec tous les gens qui comptent, au point de voir le Guide suprême beaucoup plus facilement qu'un de nos hauts responsables. Culturellement et politiquement, ils ont effacé la frontière qui existe entre nos deux pays, et je me demande parfois dans quelle mesure nos institutions prennent leurs décisions sur la base de notre intérêt national plutôt que sur celle de vieilles camaraderies. »

Ayad Alkadhi. — « I Am Bagdad II », 2008 Doris Duke foundation for islamic art, Hawaï - http://aalkadhi.com

Dans cette réalité éclatée, l'Irak fait face à deux dangers majeurs, qui ne feront que grossir à mesure que la menace entêtante de l'OEI se réduira. D'une part, l'économie du pays est foncièrement non viable (12). Les gros salaires dans la fonction publique n'ont rien fait pour endiguer la corruption ; ils ont alourdi les charges étatiques. Même pendant les années fastes, avec un prix du baril à plus de 100 dollars, entre des dépenses de fonctionnement exorbitantes et un pillage orgiaque, le budget national partait en fumée.

À l'heure actuelle, la crise financière devient un dangereux facteur d'incertitude : elle motive une contestation populaire certes marginale mais potentiellement incontrôlable ; elle stimule l'économie de la violence, seule solution de rechange à la rente ; et elle peut attiser les rivalités commerciales au sein de l'élite, qui se bat pour des « parts de marché » dans une industrie de la corruption qui se contracte. En revanche, elle donne aussi de vrais leviers aux partenaires extérieurs de l'Irak, notamment les États-Unis, qui contrôlent largement le système international de gouvernance financière dont Bagdad a besoin pour combler son déficit.

D'autre part se pose avec une acuité croissante la question du leadership chiite. Cette communauté, majoritaire en nombre, est travaillée par un profond clivage de classe (qui se reflète dans des manifestations mobilisant surtout la jeunesse du lumpenprolétariat), par la désillusion vis-à-vis de l'État, par le discrédit achevé de ses représentants islamistes, par une puissante religiosité populaire, par les ambitions grandissantes de ses chefs de milice et par un affaiblissement graduel de la marja'iyya, son leadership religieux traditionnel, qui culminera inévitablement avec la disparition de M. Ali Al-Sistani, dernier ayatollah irakien à conjuguer modération, nationalisme et crédibilité doctrinale (13). Rien de surprenant, donc, à ce que beaucoup d'Irakiens craignent, à leur manière, la défaite de l'OEI. Car, en effet, de qui marquerait-elle la victoire ?

(1) L'Irak possède 10 % des réserves mondiales de pétrole (150 milliards de barils) et produit en moyenne 2,5 millions de barils par jour. Les hydrocarbures constituent 95 % de ses recettes extérieures.

(2) Lancée le 20 mars 2003, l'invasion de l'Irak par une coalition menée par les États-Unis a conduit moins d'un mois plus tard à la chute du régime de Saddam Hussein. Après sa fuite, le président déchu a été capturé dans la nuit du 13 au 14 décembre 2003, puis pendu le 30 décembre 2006, après avoir été condamné à mort par un tribunal irakien.

(3) Les estimations du nombre de victimes irakiennes depuis 2003 varient de 200 000 à 700 000 morts. En 2013, la revue scientifique PLOS Medecine avançait le chiffre de 500 000 morts et relevait que le taux de mortalité était passé de 5,5 pour 1 000 en 2002 à 13,2 en 2006. Selon la presse irakienne, les attentats et les affrontements interconfessionnels font à eux seuls entre 10 000 et 15 000 morts par an depuis 2008.

(4) En avril et mai 2016, des manifestants chiites ont pu investir la « zone verte » fortifiée où siège le gouvernement. Bien que spectaculaire, ce mouvement de protestation inspiré par l'imam Moqtada Al-Sadr n'a pas entraîné le reste de la population.

(5) Plusieurs villes sunnites occupées par l'OEI ont été reprises au prix de violents combats et d'importantes destructions. En outre, les milices chiites ont commis des exactions à l'encontre des populations civiles accusées d'avoir soutenu l'OEI.

(6) À défaut de recensement, les spécialistes de l'Irak s'accordent sur une répartition de 60 % pour les chiites et 30 % pour les sunnites. Ces derniers, prédominants dans l'exercice du pouvoir (1932-2003), ont été les auxiliaires de l'occupant britannique ou ottoman.

(7) En juillet 2014, M. Massoud Barzani, alors président de la région autonome du Kurdistan irakien, a annoncé la tenue d'un référendum pour l'indépendance, sans toutefois en préciser ni les modalités ni le calendrier.

(8) Cf. Hosham Dawod et Hamit Bozarslan, La Société irakienne. Communautés, pouvoirs et violences, Karthala, Paris, 2003.

(9) Créé en 1947 à Damas et divisé en deux branches, l'une syrienne, l'autre irakienne, le Parti de la révolution arabe et socialiste a dirigé l'Irak de 1968 à 2003.

(10) Le royaume d'Irak, créé en 1921 et instauré de fait en 1932, a été dirigé par une dynastie hachémite, chassée du pouvoir par un coup d'État en 1958.

(11) Depuis le retrait officiel de leur armée, les États-Unis maintiennent 3 500 militaires au titre de la formation des troupes irakiennes.

(12) S'il contribue à plus de 83 % du budget, le secteur des hydrocarbures n'emploie que 1 % de la population active. Les efforts de diversification de l'économie ont été entravés par trente ans de guerres et de crises, tandis que le coût de la reconstruction du pays a été évalué à 400 milliards de dollars (source : Banque mondiale, 2015).

(13) Né en 1930 en Iran, M. Al-Sistani s'est installé à Nadjaf en 1961. Il est la figure la plus respectée du clergé chiite irakien.

L'art de la désinformation

Thu, 12/01/2017 - 17:54

Débordant de sollicitude pour le menu peuple sans défense, un académicien de bonne famille écrivait voilà deux mois : « Deux pestes sont à notre porte : le terrorisme et le SIDA. » Double tromperie. Premièrement, par erreur de lieu, car ces deux pestes ne sont pas à notre porte mais, déjà, dans nos murs. Ensuite, par erreur de calcul, car, si l'on ose une formule d'un goût douteux, de ces deux pestes, la plus redoutable est la troisième : la désinformation, qui seule vise les esprits, l'âme même d'une nation. Contre cette menace, un sursaut s'imposait.

Ce sursaut s'est d'abord manifesté aux Etats-Unis, où, depuis quelques années, deux organisations sont apparues : Accuracy in the Media et Accuracy in Teaching traquent, dans la presse et dans l'enseignement, quiconque s'écarte tant soit peu de l'orthodoxie libérale et reaganienne, pourtant bien vacillante. Cet affaiblissement et les hésitations de l'exécutif rendent d'autant plus nécessaire la courageuse intervention des preux chevaliers qui veulent mettre hors d'état de nuire les esprits subversifs, consciemment ou non employés à faire le jeu du Kremlin. Ces brigades de délateurs sont les dignes successeurs de l'American Protection League, qui, avant la fin de la première guerre mondiale, regroupa 250 000 volontaires s'acharnant à donner la chasse aux espions, aux suspects. Elles sont aussi les héritières de tous ceux qui, après la seconde guerre mondiale, alimentèrent le maccarthysme.

Avec son habituel retard sur l'Amérique, la France se lance enfin, à son tour, sur la piste des mauvais citoyens qui, à une échelle insoupçonnée, pratiquent cette désinformation dont Moscou attend qu'elle mine le moral du peuple et annihile ses défenses spirituelles pour mieux affaiblir sa sécurité militaire. Comme aux Etats-Unis, ces « chasseurs de sorcières » recrutent sans difficultés des volontaires qui, seuls juges de la vérité et de l'intérêt national, vont clouer au pilori les traîtres infiltrés dans la presse, la télévision, l'édition, le cinéma. Les plus proches ancêtres de ces délateurs se dépensèrent sans compter pendant l'Occupation.

Que l'on se garde bien de rire de ces médiocres zélateurs d'un ordre monolithique : la désinformation existe vraiment. Mais elle ne s'exerce pas d'abord là où ils l'attendent. Qui sont ses agents ? Quelle cause servent-ils ? À quelles techniques modernes ont-ils recours ?

Pour répondre à ces questions, le Monde diplomatique ouvre un dossier riche en informations qui stimulent la réflexion.

Tir groupé contre Bernie Sanders

Wed, 11/01/2017 - 12:49

Pourquoi les médias américains, qui souhaitaient la défaite de M. Donald Trump, ont-ils torpillé M. Bernie Sanders, un candidat démocrate qui aurait pu l'emporter ?

Jamais la presse américaine n'avait aussi ouvertement pris parti dans une élection. Mois après mois, elle s'est employée à discréditer tous les candidats qui lui déplaisaient, à commencer par le sénateur « socialiste » du Vermont Bernie Sanders, concurrent de Mme Hillary Clinton lors de la primaire démocrate. Or les scores réalisés par celui-ci dans les États-clés, ceux où Mme Clinton a été battue à la présidentielle, n'interdisent pas de penser qu'il aurait obtenu un meilleur résultat contre M. Donald Trump.

À coups de tribunes, d'éditoriaux et de billets de blog, le Washington Post a servi de boussole et de métronome à la campagne de dénigrement menée contre le candidat progressiste — qui proposait une assurance- maladie universelle et publique, une forte augmentation du salaire minimum, la gratuité des universités, etc. Avec ses appels incessants à la courtoisie et sa prédisposition quasi génétique au consensus, ce quotidien est bien plus qu'un « journal de référence » : il fait office de gazette d'entreprise pour l'élite méritocratique, laquelle a transformé la capitale fédérale en arène privatisée pour ses pratiques.

Les chroniqueurs et éditorialistes du Washington Post sont des « professionnels » au plein sens du terme. Bien éduqués, toujours connectés, arborant souvent des accréditations, ils gagnent confortablement leur vie. Quand ils croisent de hauts fonctionnaires, des professeurs d'université, des médecins, des financiers de Wall Street ou des entrepreneurs de la Silicon Valley — tous très bien payés également —, ils voient en eux des pairs. Ou d'anciens camarades d'études : cinq des huit membres actuels de la direction éditoriale du Washington Post sont passés par l'une des universités de la prestigieuse Ivy League.

À partir des années 1970, le Parti démocrate est peu à peu devenu l'instrument politique de cette classe dominante, à tel point que les « cols blancs » diplômés forment aujourd'hui le bloc électoral que les démocrates représentent le plus fidèlement. Avocate accomplie, dotée d'un CV clinquant, Mme Hillary Clinton évolue dans cet écosystème comme un poisson dans l'eau. M. Sanders, lui, a beau se présenter comme un progressiste s'inspirant du modèle scandinave (1), il n'incarne aux yeux des caciques du parti qu'un atavisme, une régression vers une époque où des démagogues en veste froissée cédaient aux caprices vulgaires de l'opinion publique en se dressant contre les banques, les capitalistes, les patrons.&discReturn;

« Les milliardaires ont fait plus que lui pour les causes progressistes »

La lecture des quelque deux cents éditoriaux, tribunes et billets de blog que le Washington Post a consacrés à M. Sanders entre janvier et mai 2016 fait d'emblée apparaître une inégalité de traitement élémentaire. Parmi les tribunes et éditoriaux, les textes négatifs ont été cinq fois plus nombreux que les positifs, alors que, pour Mme Clinton, la balance était à l'équilibre.

Les tirs de barrage contre le sénateur du Vermont ont commencé lors des semaines précédant le début des primaires, dans l'Iowa, quand l'idée s'est fait jour à Washington qu'il pourrait l'emporter. Le 20 janvier, un éditorial intitulé « Soyez honnête avec nous, monsieur Sanders » ouvre le bal en dénonçant son « manque de réalisme » : le candidat démocrate n'aurait aucun projet valable pour « réduire le déficit » et juguler les dépenses de retraite — les critères du Post pour évaluer le sérieux d'un homme politique.

Charles Lane remet le couvert le lendemain avec un article ridiculisant l'idée, défendue par M. Sanders, qu'il existerait une « classe de milliardaires » unie pour défendre l'ordre social. « Les milliardaires ont fait plus pour les causes progressistes que Bernie Sanders », juge même la tribune. Dana Milbank, un chroniqueur issu de l'université Yale, entre en scène le 27 janvier, quelques jours avant le vote de l'Iowa. « Désigner Sanders serait fou », martèle-t-il, car « les socialistes ne gagnent jamais les élections nationales ». Puis le comité éditorial du journal consacre un article à la « campagne mensongère » de M. Sanders, dépeint comme un virtuose de l'arnaque : « M. Sanders n'est pas un homme courageux qui dit la vérité. C'est un politicien qui vend son propre catalogue de mensonges à une partie du pays qui désire frénétiquement l'acheter. »

Semaine après semaine, une salve régulière d'accusations se fait alors entendre à Washington, la liste des erreurs prêtées au candidat socialiste ne cessant de s'allonger et de se diversifier. Après sa victoire dans le New Hampshire, le 9 février, le Washington Post le qualifie, au même titre que M. Trump, de « dirigeant intolérable » qui ne proposerait que des solutions « simplistes ». Il est également accusé d'utiliser la ploutocratie (le gouvernement des riches) comme un « bouc émissaire commode » pour masquer son absence de projet. Et ses saillies contre le libre-échange reposeraient sur « des chiffres “bidon” qui vont à l'encontre du large consensus entre économistes ».

Puis on en vient au soupçon que les questions raciales l'indifféreraient. Selon Jonathan Capehart, membre du comité éditorial du Washington Post, M. Sanders ne sait pas « parler des questions de race sans tout ramener à la classe et à la pauvreté ». Même son engagement de jeunesse en faveur des droits civiques est mis en doute par une enquête du détective Capehart. Examinant la photographie d'une manifestation de 1962, le fin limier affirme le 11 février que M. Sanders n'y figure pas. L'auteur du cliché a beau contredire cette allégation, le Washington Post refuse de s'excuser : « C'est une affaire où mémoire et certitude historique s'affrontent », se justifie-t-il.

Chroniqueur astucieux, Dana Milbank ne cesse de varier ses angles d'attaque. En mars, il assure que les démocrates sont trop « satisfaits » de la situation du pays pour suivre un rebelle comme M. Sanders. En avril, il s'en prend à ses propositions sur le libre-échange, au prétexte qu'elles ressembleraient à celles de M. Trump et pénaliseraient les pays pauvres. En mai, il présente le sénateur du Vermont comme faisant le jeu des républicains : « Sanders fait campagne contre Clinton, qui a d'ores et déjà remporté la nomination. C'est une excellente nouvelle pour Donald Trump. »

Pendant ces cinq mois, les blogs du journal ont certes accueilli des textes de sympathisants de M. Sanders. Mais les lecteurs de l'édition imprimée ont dû attendre le 26 mai pour lire, sous la plume de l'économiste Jeffrey Sachs, le premier article retentissant défendant les propositions du sénateur. Onze jours seulement avant que le Washington Post déclare Mme Clinton victorieuse à la primaire démocrate...

Les journalistes semblent désormais se comporter comme des soldats en temps de guerre, obligés de peser le moindre mot pour s'assurer qu'il ne servira pas la partie adverse. Cette manière de voir, que certains qualifient de politique, est en fait profondément antipolitique : elle exclut certaines idées du débat au motif qu'elles ne seraient pas « pragmatiques ».

Le Washington Post développe cette ligne dans deux éditoriaux parus en février. Signé par le comité de rédaction, le premier, « Les attaques de M. Sanders contre la réalité », reproche au sénateur de critiquer implicitement M. Barack Obama quand il prétend qu'il serait possible de faire mieux en matière de lutte contre les inégalités sociales ou de couverture sociale. « Le système — et par là nous entendons la structure constitutionnelle d'équilibre des pouvoirs — implique que les législateurs se contentent de changements graduels, explique le comité. M. Obama a orchestré plusieurs réformes ambitieuses, certes incomplètes, mais qui ont amélioré la vie des gens pendant que les idéologues des deux camps se gaussaient. »

Publié quelques jours plus tard, le second éditorial, « La bataille des extrêmes », compare M. Sanders et le républicain évangélique Ted Cruz. L'un et l'autre seraient intoxiqués par la croyance selon laquelle « la route vers le progrès passe par la pureté, pas par le compromis (...). Le progrès viendra de dirigeants qui ont des principes mais qui sont prêts à bâtir des compromis, qui acceptent le changement graduel, qui admettent ne pas avoir le monopole de la sagesse. Ce message est difficile à vendre lors des primaires, mais lui seul peut produire un candidat capable de s'imposer en novembre et de gouverner avec succès pendant les quatre années à venir », tranche le quotidien.

Or, si l'on appliquait la logique du Washington Post à tous, il faudrait réprouver y compris des personnalités tout à fait « pragmatiques ». Que dire, par exemple, d'un candidat qui voudrait — comme Mme Clinton en 2016 — instaurer un contrôle des armes à feu ? Tout le monde sait qu'une telle mesure n'aurait aucune chance d'être adoptée par le Congrès ; et, si elle l'était, il resterait toujours la Cour suprême et le deuxième amendement pour lui barrer la route.

En outre, l'argument du changement graduel, de la réforme à petits pas, permet d'éviter de penser les problèmes. M. Sanders s'est lancé dans la course aux primaires avec des idées qui heurtaient le Washington Post et la plupart des quotidiens de son rang. Au lieu de les combattre, les commentateurs autorisés les ont exclues du champ des possibles. La légitimité est leur propriété ; ils la distribuent à leur guise.

Les éditorialistes ne partagent rien avec leurs collègues en voie de déclassement

Pour avoir leur appui, mieux vaut s'en tenir au consensus, à l'adoration du « pragmatisme », à l'amour du bipartisme, au mépris des « populistes ». Ces ingrédients composent l'idéologie de la classe dominante, ces travailleurs raisonnables de la Côte est, frais émoulus de Princeton ou de Harvard, qui voient comme des autorités leurs pairs officiant dans des secteurs connexes, qu'ils soient économistes au Massachusetts Institute of Technology, analystes au Crédit suisse ou politologues à la Brookings Institution. Par-dessus tout, il s'agit d'un mode de pensée propre à un milieu protégé de l'insécurité économique, d'où l'on observe les gens ordinaires avec des lunettes d'aristocrate.

Pourtant, en tant que groupe social, les journalistes ne sont pas à l'abri des soubresauts économiques. Les journaux imprimés font figure de pièces de musée, au moins autant que les politiques de New Deal défendues par M. Sanders. Les critiques littéraires sont devenus des spécimens si rares qu'ils pourraient bien disparaître, à moins que quelqu'un ne décide de les mettre sous cloche et de les nourrir. Dans certains magazines, les chroniqueurs doivent occuper un autre emploi pour joindre les deux bouts. Bref, aucun groupe ne connaît plus intimement l'histoire du déclin de la classe moyenne que les journalistes. Pourquoi ceux qui occupent les sommets de cette profession moribonde s'identifient-ils donc aux suffisants, aux satisfaits, aux puissants ?

La réponse est simple : les éditorialistes ne partagent rien avec leurs collègues en voie de déclassement. Ils sont persuadés de ne jamais connaître le sort du Tampa Tribune, par exemple, qui a fermé ses portes en 2016. À Washington, les éditorialistes regardent vers le haut, toujours vers le haut. Le programme de M. Sanders échappait donc à leur champ de vision.

Pendant toute la primaire démocrate, les journaux américains « de référence » ont martelé que le sénateur du Vermont n'avait pas la moindre chance de remporter l'élection présidentielle, surtout face à M. Trump. Dans le New York Times, Paul Krugman a même menacé les électeurs qui seraient tentés par le candidat socialiste : « L'histoire ne vous le pardonnera pas », leur a-t-il lancé le 6 février. Pourtant, à l'époque, les sondages indiquaient l'exact inverse : M. Sanders battait systématiquement M. Trump, tandis que Mme Clinton était au coude-à-coude avec le milliardaire fanfaron.

Il y avait une raison évidente à cela : la force de M. Trump venait des classes populaires blanches, qui appréciaient encore davantage les propositions de M. Sanders. À l'inverse, Mme Clinton était impopulaire, plombée par les scandales, incapable de se faire entendre des travailleurs. Tous les médias américains se sont pourtant rangés derrière elle avec un unanimisme et un enthousiasme inédits — par aversion pour M. Trump, et parce que « Hillary » partageait leur idéologie de l'« expertise » et de la « compétence ». Les commentateurs se sont employés à convaincre les lecteurs de les suivre sur ce chemin. En « une » de son édition du 7 août, le New York Times estimait ainsi que, cette fois, les journalistes devaient « se débarrasser du manuel que le journalisme américain utilisait [jusqu'à présent] » et prendre parti — pour Mme Clinton.

La croisade des médias pour la candidate démocrate ne s'est pas achevée comme prévu. Si la guerre contre M. Sanders a été efficace avec les électeurs des primaires, davantage politisés et consommateurs de journaux, le grand public a réagi différemment aux attaques contre M. Trump. Car les Américains ont au moins un trait commun : ils répugnent à se conformer aux oukases des milieux autorisés. Le militantisme passionné des journalistes a engendré un contrecoup titanesque, avec lequel la planète va devoir vivre pendant les quatre années qui viennent.

(1) Lire Bhaskar Sunkara, « Un socialiste à l'assaut de la Maison Blanche », Le Monde diplomatique, janvier 2016.

Quatre ans pour une réforme

Wed, 11/01/2017 - 11:35

Il aura presque fallu un mandat entier à M. Barack Obama pour faire valider sa réforme du système d'assurance-maladie. Promise pendant la campagne de 2008, celle-ci devait permettre de fournir une couverture aux quarante-six millions d'Américains qui en étaient alors dépourvus. Edulcorée au fil d'un combat législatif tranché par la Cour suprême, la réforme en oubliera finalement treize millions. L'argent des lobbys, l'obstruction parlementaire et les innombrables amendements des républicains sont passés par là… Pourtant, même délestée de certains de ses aspects les plus progressistes — le système d'assurance publique, par exemple —, la loi sur la protection des patients et les soins abordables (Patient Protection and Affordable Care Act) constitue l'une des rares avancées sociales qu'aient connues les Etats-Unis depuis la présidence de Lyndon Johnson (1963-1969).

Auparavant, la santé était une affaire privée. Certains, sans moyens financiers, non couverts par leurs employeurs ou ni assez vieux ou assez pauvres pour bénéficier des programmes publics Medicare et Medicaid, se trouvaient sans aucune protection sociale. Désormais, chaque citoyen (ou presque) est obligé de contracter une police d'assurance (ce dont les compagnies se réjouissent…) ; s'il n'en a pas les moyens, il perçoit une subvention de l'Etat pour l'aider à payer ses cotisations. Autres progrès, les compagnies d'assurances privées n'ont plus le droit de choisir leurs clients en fonction de leurs antécédents médicaux, et leurs tarifs sont réglementés ; les entreprises de plus de cinquante employés refusant de couvrir leurs employés devront acquitter une amende ; le programme d'aide fédérale aux pauvres est étendu à une portion plus large de la population, etc. Mais la plupart de ces dispositions doivent entrer en vigueur en 2014, et les républicains ont d'ores et déjà juré de revenir sur une réforme qu'ils détestent (et appellent « Obamacare ») s'ils remportent la bataille électorale de novembre prochain.

La loterie des appels à projets

Wed, 11/01/2017 - 09:59

Les « investissements d'avenir » se déclinent en « initiatives d'excellence » (Idex), qui permettent d'obtenir des fonds pour financer des « laboratoires d'excellence » (Labex) et des « équipements d'excellence » (Equipex). Au jeu des appels à projets, Aix-Marseille Université (AMU) est un concurrent redoutable : elle a obtenu vingt-deux Labex et onze Equipex. Là réside toute l'ambiguïté des regroupements d'établissements voulus par le gouvernement français (lire « Aix-Marseille, laboratoire de la fusion des universités »). Ils sont coûteux : à Aix-Marseille, l'harmonisation à la hausse du régime indemnitaire du personnel, le rachat des licences, la réfection des locaux et la mise en place des logiciels communs ont nécessité 10 millions d'euros, ponctionnés sur le fonds de roulement (1). Mais ils permettent d'engranger les importantes sommes dévolues aux « initiatives d'excellence », qui « privilégient clairement la fusion des universités en un seul site », comme le relevaient vingt et un présidents d'université (2). « Les choix faits établissent clairement une volonté de concentration des moyens au profit d'universités dites de recherche “de rang mondial” situées au sein des métropoles »... à l'image d'AMU, constataient-ils.

Mêlant les approches philosophique, historique et physique, notamment autour de thèmes transversaux comme l'environnement, la licence « Sciences et humanités » fait partie des projets qui ont bénéficié du label « initiative d'excellence » : « Des sommes colossales réservées à quelques établissements et, au sein de ces établissements, à quelques secteurs », résume Mathieu Brunet, codirecteur de ce cursus. Pour ce maître de conférences à cheval sur cette formation « d'excellence » et sur le cursus classique, il est « difficile d'assumer que des moyens importants soient déployés pour soixante étudiants alors que la masse n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent ».

Toutes « autonomes » depuis 2012, les universités peinent en effet à exercer leurs « responsabilités et compétences élargies », en particulier la gestion de la masse salariale, qui augmente mécaniquement chaque année avec l'ancienneté des fonctionnaires. Ce phénomène n'a été que partiellement pris en compte par l'État : la non-compensation représente au total 98 millions d'euros, qui ont dû être pris en charge par les universités concernées, rapportent les sénateurs Jacques Grosperrin et Dominique Gillot (3).

Pour faire face à cette difficulté, AMU et les autres universités transforment beaucoup de postes de titulaire en postes ATER (attaché temporaire d'enseignement et de recherche), contrats d'un an renouvelables une fois et rémunérés au lance-pierre (4). Leur nombre ? « Confidentiel », botte en touche la direction des ressources humaines. Le « soutien de base », dotation de début d'année au montant fixe qui doit permettre aux laboratoires de financer leurs factures d'électricité comme leurs missions, a été fortement réduit au niveau national. Consciente de la difficulté, AMU a augmenté cette dotation de 30 % en moyenne, en particulier pour les sciences sociales, qui peinent à obtenir d'autres sources de financement via les appels à projets gérés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont les fonds diminuent également : de 728,9 millions d'euros en 2012 à 555,1 millions d'euros en 2016.

Pour Philippe Delaporte, directeur du laboratoire LP3 (Laser, plasma et procédés photoniques), gagner des appels à projets est vital : « Un laser coûte deux fois le soutien de base d'une année », détaille-t-il en montrant l'écran de surveillance face à son bureau, qui donne sur une salle contenant 2 millions d'euros d'équipement. Derrière la fenêtre, le mont Puget surplombe le parc national des Calanques. Delaporte regrette que le taux de succès lors de ces appels ne soit que de 8 %, dans la mesure où un an s'écoule entre le dépôt des préprojets et l'attribution du financement. « Les chercheurs exposent d'abord leur projet en cinq pages et l'envoient à des rapporteurs. S'il est présélectionné, il faut le détailler en trente pages, dont une partie “Calcul du budget et propriété intellectuelle” faite avec —voire parfois par— les services administratifs du CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et de l'université. Ça consomme du temps, donc de l'argent, pour quelque chose qui relève un peu de la loterie », estime-t-il.

Ce fonctionnement par projets qui oriente les recherches constitue une fausse bonne idée, selon de nombreux universitaires. Le physicien Albert Fert soulignait par exemple que ce modèle n'aurait pas permis de financer ses travaux, alors « loin des thèmes à la mode ». « Je n'ai pas démarré mes travaux [sur les multicouches magnétiques] en me disant que j'allais augmenter la capacité de stockage des disques durs. Le paysage final n'est jamais visible du point de départ », soulignait-il en 2007, après avoir reçu le prix Nobel (5). Pour l'historien Christophe Granger, la recherche par projets subvertit même « les formes élémentaires de la vie scientifique » : « En privilégiant la science biomédicale, et en son sein la recherche contre le cancer, et en son sein encore la génétique au détriment des approches métaboliques, en privilégiant les “nouvelles technologies” et les sciences de l'environnement, en imposant partout, et tout spécialement au sein des sciences humaines et sociales, l'empire des neurosciences et de leur instrumentalisation (neurohistoire, neurodroit, etc.), l'actuelle politique de la recherche anéantit le nécessaire pluralisme des objets, des méthodes et des raisonnements qui est au principe de l'intellection [la compréhension] scientifique du monde (6).  »

(1) Compte sur lequel les universités doivent légalement garder l'équivalent d'un mois de fonctionnement.

(2) « Quel avenir pour l'enseignement supérieur et la recherche français ? », Mediapart.fr, 29 mai 2015.

(3) Avis présenté par M. Jacques Grosperrin et Mme Dominique Gillot au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2016, Sénat, Paris, 19 novembre 2015.

(4) Un ATER à plein temps (128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés par an) est rémunéré environ 1 650 euros net. Pour une charge d'enseignement identique, un maître de conférences avec trois ans d'ancienneté perçoit près de 2 200 euros.

(5) « Le Prix Nobel Albert Fert plaide pour une recherche libre », Le Monde, 25 octobre 2007.

(6) Christophe Granger, La Destruction de l'université française, La Fabrique, Paris, 2015.

Aix-Marseille, laboratoire de la fusion des universités

Wed, 11/01/2017 - 09:58

Fondées pour dispenser des savoirs et préparer à la recherche, les universités françaises se transforment. Pour se faire une place dans le supermarché mondial de l'enseignement supérieur, les établissements rendus « autonomes » par la réforme de 2007 fusionnent. Les exigences scientifiques et pédagogiques fondamentales se heurtent alors à l'expansion d'une bureaucratie libérale.

Surplombant le Vieux-Port de la grâce imposante de son architecture impériale, le siège de la présidence d'Aix-Marseille Université (AMU) donne le ton. L'établissement, né le 1er janvier 2012 de la fusion des universités de Provence, de la Méditerranée et Paul-Cézanne, se targue d'être devenu, avec 74 000 étudiants, la plus grande université francophone du monde. Projet « métropolitain » avant l'heure, il voit sa bannière turquoise et jaune sur fond blanc flotter d'Aix-en-Provence à Marseille.

« Une université à l'ambition internationale », proclame le slogan d'AMU sur toutes les plaquettes publicitaires. La fusion doit permettre aux facultés d'atteindre des tailles suffisantes pour rayonner au-delà des frontières hexagonales. Le mouvement a été amorcé par l'université de Strasbourg en 2009 et soutenu par Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur (2007-2011) du gouvernement Fillon, qui s'était juré de « réparer les dégâts de Mai 68 (1) ». « Nous sommes des pastilles, vus de Shanghaï », se désolait en juillet 2013 sa successeure socialiste Geneviève Fioraso (2). Alors que les regroupements entreraient en ligne de compte « dans les classements internationaux de 2015 », la loi du 22 juillet 2013, dite « loi Fioraso », avait donné un an aux universités pour fusionner ou pour se réunir sous forme de communauté ou d'association.

En réalité, selon l'historien Christophe Charle, l'utilité de ces classements « réside moins dans l'information fournie que dans la justification (…) de décisions politiques ou administratives pour forcer les institutions et les personnels à évoluer et à se discipliner en fonction des objectifs fixés d'en haut ». Ils sont ainsi « en complète contradiction avec l'exaltation parallèle de l'autonomie et de l'esprit d'innovation (3) ». Cinq des six critères du classement de Shanghaï étant obtenus par comptage (nombre d'anciens élèves ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields, quantité d'articles publiés dans les revues Nature et Science…), ce qui favorise les établissements de grande taille, la France fait le pari du gigantisme pour grimper dans le palmarès. AMU a ainsi gagné cent places depuis la fusion. Mais Harvard, Stanford ou le Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui caracolent en tête, accueillent entre dix mille et vingt mille étudiants : des chiffres sans commune mesure avec ceux d'AMU.

Retards de salaire pour les vacataires

Le rapport des sénateurs Jacques Grosperrin (Les Républicains) et Dominique Gillot (Parti socialiste) épingle ces « quasi-monstres » dont la conception ne doit rien au hasard : elle s'inscrit dans la logique qui a abouti à la refonte des régions ou à la création des métropoles et des communautés d'agglomération. Le morcellement des institutions serait à l'origine d'une « gabegie » pour les finances publiques ; il faudrait donc se regrouper pour être plus fort, efficace et compétitif à l'échelle internationale. Ces réorganisations supposées « favoriser la mise en commun de compétences » et ainsi permettre des économies sont pourtant coûteuses. Ainsi, sur les mille postes créés en 2015 par le gouvernement pour l'enseignement supérieur, 348 ont été dévolus au fonctionnement de ces nouvelles structures, indique le rapport réalisé au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (4).

L'université mastodonte est encore en chantier — au propre comme au figuré —, mais son président, M. Yvon Berland, peut être satisfait : si l'immense majorité du personnel désapprouvait la fusion lorsqu'il l'a appelée de ses vœux en 2004, les opposants se font de plus en plus rares. « Aix-Marseille Université a acquis une telle visibilité aux niveaux local, national et international que celui qui est contre est un peu couillon », balaie le sexagénaire dans son vaste bureau avec vue sur le large. Pourtant, après quatre ans d'existence, le rouleau compresseur aux huit mille employés souffre toujours de difficultés logistiques et structurelles.

Un vacataire, intérimaire de la fonction publique qui souhaite garder l'anonymat pour ne pas compromettre ses chances d'être reconduit, se souvient ainsi d'un imbroglio lors des partiels de 2015 : aucun service n'était habilité à conserver les sujets d'examen destinés aux étudiants handicapés. Il a donc dû se « débrouiller » en bricolant une solution avec la « mission handicap » et la scolarité. « On ne savait même pas si c'était légal », confie-t-il dans une salle de la toute nouvelle Maison de la recherche d'Aix-en-Provence.

Le bâtiment, inauguré en grande pompe par M. Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, est aux antipodes du reste du campus, construit dans les années 1960, aujourd'hui maculé de graffitis et dont les installations électriques brinquebalent au plafond. Grâce au plan Campus, passerelle aérienne, patios et bâtiments ultra-modernes remplaceront bientôt les filets de sécurité. AMU fait en effet partie des dix campus sélectionnés pour ce plan en 2008 ; elle a reçu de l'État 500 millions d'euros, auxquels les collectivités territoriales ont ajouté 300 millions.

En attendant, le jeune vacataire enseigne dans des préfabriqués. Doctorant, il bénéficie d'un statut ambigu d'étudiant-salarié, mais, trois mois après la rentrée 2015, il attendait toujours sa carte d'étudiant, prérequis indispensable pour signer son contrat de vacation. Les cours ayant tout de même commencé, il travaillait « au noir, en somme », et n'avait droit à aucune réduction — en particulier sur la carte de transport ZOU ! Ces multiples problèmes de gestion seraient moins ennuyeux s'ils ne concernaient pas également sa paye… L'université doit au doctorant 3 600 euros, une somme déjà maigre pour un semestre passé à donner trois cours de vingt-quatre heures chacun, plus la préparation et la correction.

Un « personnel administratif » (on ne parle pas de « secrétaires » au sein d'AMU) regrette : « On ne sait pas si les personnes que l'on demande à recruter reçoivent leur contrat, on n'a aucune visibilité là-dessus, mais c'est auprès de nous qu'elles viennent se plaindre. On a le même problème pour la paye. On fait monter les infos au chef, puis au DRH [directeur des ressources humaines] de notre UFR [unité de formation et de recherche], qui fait remonter au DRH de l'université. Tout est géré à la présidence ; les DRH des UFR n'ont même plus accès aux dossiers des personnels, ils servent juste de courroie de transmission. Avant, il y avait des difficultés de paiement car on manquait de personnel. Maintenant on ne sait même pas pourquoi… »

Des conditions de travail dégradées

Un autre « personnel administratif » rebondit sur la multiplication des strates entraînée par la fusion : « Prenons l'exemple de la DEV [Direction des études et de la vie étudiante]. Une information part le lundi de la DEV d'AMU, au [siège du] Pharo. Le temps qu'elle nous arrive, ça prend au moins cinq jours. Si les dossiers sont à remplir sous quinze jours, ça nous met davantage de pression pour les traiter dans les temps. Avant, on avait l'information pratiquement en direct. » M. Berland, qui, en plus d'assumer la présidence d'AMU, reste chef de service au centre hospitalier universitaire, dit comprendre le mécontentement : « Je râle souvent contre l'hôpital parce que c'est trop compliqué ; mais, en tant que responsable, j'ai voulu tout connaître avant de déléguer », se justifie-t-il.

De nombreux employés administratifs ont dû changer de fonctions, et le « tuilage » prévu — la formation des nouveaux par les anciens — n'a pas toujours été effectué. Les postes eux-mêmes ont été profondément transformés par la réorganisation des départements, mais aussi par toutes les nouvelles pratiques et les nouveaux logiciels qui continuent à être mis en place. Il faut toujours « aller à la pêche aux informations : nous ne sommes jamais informés des changements de procédure, alors, pour chaque tâche, on doit vérifier que la démarche n'a pas changé, pour éviter un retour du document accompagné d'un petit mot disant : “On a changé de formulaire” », témoigne une autre secrétaire.

En avril 2015, la Confédération générale du travail (CGT) d'AMU a distribué six cents questionnaires pour évaluer la santé des salariés. Sur la centaine de répondants — essentiellement des agents de catégorie C —, 70% considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis la fusion et s'estiment mal reconnus dans l'établissement ; 68 % déplorent que le travail se fasse dorénavant dans l'urgence, et près de la moitié jugent les directives souvent contradictoires. M. Philippe Blanc, secrétaire général de la CGT d'AMU, estime que son syndicat a aidé une centaine de personnes depuis la fusion. « On intervient auprès de la direction quand les gens ne vont pas bien et doivent changer de service, explique-t-il. Les personnels ont fait des choix par défaut, mais, une fois qu'ils ont été mutés, leur poste ne correspondait pas forcément à leurs compétences, ou alors ils ne s'entendaient pas avec leur hiérarchie, dont le management est devenu de plus en plus agressif. » Lui-même a dû changer de service : avec les doublons qu'a aussi créés la fusion, il a fait un bore-out (ou syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui). « Avec la restructuration, mon service d'hygiène et de sécurité a eu un responsable, au Pharo, qui donnait tout le travail à l'ingénieur avec lequel je collaborais », regrette cet agent de catégorie C dont le poste a été supprimé après son départ aux collections patrimoniales.

La centralisation qui a accompagné la fusion a également apporté son lot de lourdeurs administratives pour les enseignants et les étudiants. La demande pour installer une table sur l'un des campus pour un événement quelconque requiert dorénavant trois semaines de délai, le temps d'être validée par tous les échelons. Obtenir un ordre de mission pour se rendre à un colloque relève du parcours du combattant. Même les photocopies nécessitent dorénavant des bons de commande.

Un à-valoir sur le marché du travail

Il est cependant des dossiers sur lesquels l'administration centrale se montre redoutablement rapide et efficace : les « investissements d'avenir », appels à projets gouvernementaux dotés de 22 milliards d'euros. Ces fonds visent à faire émerger « des pôles capables de rivaliser avec les plus grandes universités du monde ». AMU a fait partie des huit universités sélectionnées : en 2012, elle a reçu 750 millions d'euros — une dotation reconduite en avril 2016 — et s'avère l'une des grandes bénéficiaires des « politiques d'excellence » (lire « La loterie des appels à projets »).

Le système de financement par projets favorise le « clientélisme », regrette Philippe Blache, directeur du laboratoire Parole et langage. Certes, la présidence ne joue aucun rôle dans l'acceptation des appels à projets. Toutefois, si les experts externes évaluant les projets estiment, par exemple, que vingt d'entre eux méritent d'être financés mais que seuls dix peuvent l'être, le choix final est fait en interne. « Aujourd'hui, le lieu essentiel des décisions est la présidence. Une décentralisation serait indispensable — il en va de la survie même de la vie démocratique de l'université », poursuit cet ancien élu au conseil scientifique d'AMU. Il souligne un « manque de confiance dans les instances intermédiaires », qu'il s'agisse des facultés, des départements d'enseignement ou des laboratoires de recherche, « sans cesse obligées de monter des dossiers, d'exposer des demandes pour répondre à une vision selon laquelle tout doit remonter au niveau central ». Il estime qu'il passe chaque année trois mois à remplir des dossiers administratifs.

Les thématiques et objectifs prioritaires de l'université sont en outre définis par les « conseils centraux » (5), qui regroupent enseignants-chercheurs, étudiants et personnel administratif. Difficile pour les élus de ces instances d'être au fait des dossiers : « Nous votons de façon globale, sur des tableaux qui contiennent des listes de cent à cent cinquante dossiers », précise Philippe Blache. Le président Berland, réélu au premier tour pour quatre ans (avec 27 voix contre 5 et 4 bulletins blancs ou nuls), le 5 janvier 2016, n'a pour ainsi dire pas d'opposition au sein du conseil d'administration, qui prend pour finir toutes les décisions ; ces conseils ont donc tout d'une chambre d'enregistrement. M. Tom Oroffino, étudiant en sociologie et élu de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), enrage : « Quand on manifeste notre désaccord, ça n'a aucune conséquence. » La Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), le syndicat étudiant largement majoritaire à AMU, s'y est d'ailleurs résignée et préfère éviter toute contestation. « Ce n'est pas sur notre vote que ça se joue, remarque l'un de ses représentants, M. Renaud Argence. Aussi, nous préférons dire que nous avons des doutes ou qu'il faudrait retravailler un point particulier que de voter contre, car on sait que ça ne changera rien, mais que ce pourrait être préjudiciable à nos relations de travail par la suite. »

Pour M. Oroffino, la présidence s'est « mis les étudiants dans la poche » en attribuant aux associations une subvention de fonctionnement de 300 euros sans qu'elles aient à justifier d'aucune dépense, « juste pour qu'elles existent ». Ancien de l'association des étudiants en médecine, M. Argence confirme : « Lorsque je portais des projets avant la création d'AMU, on peinait à obtenir des fonds, et ils étaient moins importants qu'aujourd'hui. Si on voulait avoir un budget conséquent, il fallait passer par trois commissions, au lieu d'une seule depuis la fusion. » Les étudiants sont plutôt satisfaits de leurs associations et des nouveaux équipements mis à leur disposition ; mais le jour où ils arboreront les sweat-shirts ou les besaces siglés AMU, mis en vente par l'université sur le modèle de ses prestigieuses consœurs américaines, semble encore loin.

Les conseils d'administration restreints (entre 24 et 36 membres, au lieu des 30 à 60 permis par la loi Savary) ont été mis en place par Mme Fioraso pour que les entrepreneurs, invités à y prendre part, « y voient plus clair (6) ». Sept ou huit « personnalités extérieures », supposées mieux avisées de ces « réalités du monde » que l'université prend dorénavant pour horizon, font partie des administrateurs. Le conseil régional, la communauté du Pays d'Aix et la mairie de Marseille ont ainsi des représentants au Pharo. Mme Michèle Boi, directrice régionale de l'emploi chez Électricité de France (EDF), a aussi fait son entrée au conseil d'administration d'AMU en janvier 2016, ainsi que M. Johan Bencivenga, le président de l'Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône, une émanation du Mouvement des entreprises de France (Medef).

« En échange des capitaux qu'elles ont à présent à récolter auprès des entreprises, les universités doivent adapter leurs offres de formation aux besoins de l'économie, c'est-à-dire d'abord aux besoins des entreprises en matière de main-d'œuvre. Il leur revient, pour dire les choses autrement, d'assurer l'employabilité des futurs salariés », écrit l'historien Christophe Granger (7). Les entreprises partenaires poussent à des formations utilitaristes. Ainsi, EDF s'est fait tailler des diplômes sur mesure avec les masters « Modélisation et expérimentation des matériaux pour le nucléaire » et « Génie des procédés appliqués au nucléaire ». Pour le chercheur, ce changement de paradigme est lié au fait que « les universités ne disent plus qu'elles enseignent : elles prétendent assurer l'insertion professionnelle de leurs étudiants-clients. Elles n'osent plus dire qu'elles dispensent du savoir : elles vendent un à-valoir sur le marché du travail. »

Illusion d'interdisciplinarité

Opérée en partie au nom d'une meilleure lisibilité de l'offre de formation, notamment en sciences, la fusion n'a pas toujours eu l'effet escompté. Ainsi, Delphine Thibault, responsable de la licence « Sciences de la vie et de la Terre », regrette cette dénomination : « Auparavant, à Marseille, nous avions une spécificité autour des sciences de la mer qui était de fait très lisible. » Conséquence collatérale de la fusion, divers parcours ont été regroupés et le ministère n'a pas accepté d'intitulé précis : « Cela nous demande plus de démarches pour nous faire connaître aux niveaux régional et national. »

Toutefois, la crainte principale des opposants à la fusion, une baisse de l'offre de formation pour réduire les coûts, ne s'est pas réalisée. Si certaines options ont été supprimées, c'est « faute de combattants », indique Michèle Gally, responsable du master lettres. La méfiance reste pourtant de mise. En effet, l'offre de formation actuelle a été créée en 2011, avant la fusion. Elle la prenait en compte en supprimant les filières qui existaient à plusieurs endroits, en particulier en sciences. Mais, pour 2018, les mots d'ordre sont la mutualisation et l'interdisciplinarité.

« Les nuages s'accumulent peut-être à l'horizon », estime Michèle Gally. Pour elle, « cette fausse cohérence et cette illusion d'interdisciplinarité nuisent à la recherche et même à la formation ». Alors que les thématiques envisagées concernent notamment le big data et les villes connectées, une partie du secteur sciences humaines et sociales s'inquiète à l'idée de devenir la cinquième roue du carrosse.

(1) « Valérie Pécresse : “D'ici à 2012, j'aurai réparé les dégâts de Mai 68” », Les Échos, Paris, 27 septembre 2010.

(2) « Le gouvernement regroupe les universités en 25 grands ensembles », Les Échos, 22 juillet 2014.

(3) Christophe Charle et Charles Soulié (sous la dir. de), La Dérégulation universitaire. La construction étatisée des « marchés » des études supérieures dans le monde, Syllepse, coll. « La politique au scalpel », Paris, 2015.

(4) Avis présenté par M. Jacques Grosperrin et Mme Dominique Gillot au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2016, Sénat, Paris, 19 novembre 2015.

(5) Le conseil d'administration de l'université, le conseil des études et de la vie universitaires et le conseil scientifique.

(6) « Fioraso : “Il faut ‘ouvrir' les universités aux entreprises” », Les Échos, 26 novembre 2012.

(7) Christophe Granger, La Destruction de l'université française, La Fabrique, Paris, 2015.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition d'octobre 2016.

Routine présidentielle

Tue, 10/01/2017 - 21:51

Au moins trente-six « meurtres de masse » ont eu lieu durant les deux mandats de M. Barack Obama (1). Le président s'est souvent dit déterminé à limiter la circulation des armes à feu, mais au Congrès, les républicains ont bloqué la moindre de ses initiatives, même celle qui visait à instaurer un contrôle obligatoire des antécédents (judiciaires, psychiatriques…) de tous les acquéreurs d'armes à feu. Mieux : les républicains ont fait passer deux lois permettant de voyager avec son calibre dans les parcs nationaux et les trains de la société Amtrak. Parallèlement, plusieurs États ont également allongé leur liste des lieux ouverts aux revolvers : les bars, églises et hôpitaux dans le Michigan ; les universités au Texas, etc. Les récentes tueries ont paradoxalement conforté le Parti républicain dans sa conviction pro-armes car, prétend-il, si les victimes du Bataclan ou de la discothèque d'Orlando avaient eu un fusil sous la main, ils auraient pu empêcher les massacres.

(1) Selon le Federal Bureau of Investigation (FBI), un « meurtre de masse » est une attaque perpétrée dans un lieu public et faisant au moins quatre victimes.

Entre la carotte et le bâton

Tue, 10/01/2017 - 21:36
2009

20 janvier. Le jour de son investiture, M. Barack Obama suspend les tribunaux militaires d'exception créés en 2006 pour juger des détenus du camp de Guantánamo. Quatre mois plus tard, il annonce qu'ils seront finalement maintenus, mais avec de nouvelles règles de procédure.

27 février. Le président annonce le retrait progressif des troupes américaines d'Irak. Celui-ci sera achevé le 31 décembre 2011.

8 mars. Incident diplomatique entre Pékin et Washington après l'entrée d'un navire américain en mer de Chine méridionale.

2-5 avril. En tournée en Europe, M. Obama plaide pour un « monde sans armes nucléaires » et pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

18 avril. Lors du Ve sommet des Amériques, tenu à Trinité-et-Tobago, M. Obama propose aux chefs d'État latino-américains une « alliance entre égaux ».

18 mai. Au terme de la visite du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à Washington, M. Obama défend la création d'un État palestinien.

4 juin. Dans un discours prononcé au Caire, en Égypte, M. Obama propose un « nouveau départ » entre les États-Unis et le monde arabo-musulman.

24 juin. Les États-Unis et le Venezuela rétablissent leurs relations diplomatiques, rompues après l'expulsion de l'ambassadeur américain à Caracas en septembre 2008.

28 juin. Un coup d'État militaire renverse le président du Honduras, M. Manuel Zelaya. Sous la pression de la secrétaire d'État Hillary Clinton, la Maison Blanche apportera son soutien au gouvernement issu du putsch.

29 octobre. Par 189 voix contre 3, l'Assemblée générale des Nations unies demande aux États-Unis de mettre fin à l'embargo contre Cuba, en vigueur depuis 1962.

18 novembre. M. Obama admet que, faute d'accord du Congrès, les États-Unis ne fermeront pas le centre de détention de Guantánamo avant la fin de l'année.

1er décembre. Le président annonce le déploiement accéléré de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. Il évoque un retrait possible à partir de l'été 2011.

10 décembre. Recevant le prix Nobel de la paix à Oslo, décerné le 9 octobre, M. Obama évoque la notion de « guerre juste » et déclare qu'un « mouvement non violent n'aurait jamais arrêté les armées de Hitler ».

2010

5 février. La nouvelle doctrine de défense russe place l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) —dont les États-Unis sont le fer de lance— en tête des menaces extérieures.

8 avril. Washington et Moscou signent un nouvel accord sur le désarmement nucléaire Strategic Arms Reduction Talks (Start), après l'expiration du précédent en décembre 2009. Ils s'engagent à réduire de 75 % leurs arsenaux respectifs.

28 mai. À l'issue de la conférence de suivi du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), à New York, les États-Unis paraphent, malgré des réserves, le document proposant la création d'une zone dénucléarisée au Proche-Orient et enjoignant à Israël de placer ses installations sous contrôle international.

3 juillet. Les États-Unis et la Pologne signent un accord sur un bouclier antimissile, malgré les objections de Moscou.

30 août. Après des manœuvres navales aux côtés de la Corée du Sud en mer du Japon (du 25 au 28 juillet), Washington impose de nouvelles sanctions à la Corée du Nord. Elles font suite à la destruction, attribuée à Pyongyang, d'un navire sud-coréen en mars.

8 décembre. Trois mois après avoir relancé les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens sous leur égide, à Washington, les États-Unis renoncent à exiger de Tel-Aviv le gel de la colonisation en Cisjordanie comme préalable aux négociations de paix.

2011

7 mars. Décevant les défenseurs des droits civiques, M. Obama donne son feu vert à la reprise des procès militaires d'exception à Guantánamo.

19 mars - 31 octobre. Les États-Unis participent, aux côtés de la France et du Royaume-Uni, à l'intervention militaire multinationale en Libye, menée sous l'égide des Nations unies et dirigée par l'OTAN.

2 mai. Oussama Ben Laden, le chef d'Al-Qaida, est tué par un commando américain au Pakistan.

19 mai. À la suite des « printemps arabes », M.Obama dévoile son « plan Marshall » de plusieurs milliards de dollars pour aider le monde arabe à se démocratiser. Il se déclare favorable à un État palestinien dans les frontières de 1967.

22 juin. Le président annonce le rapatriement d'un tiers des 100 000 soldats américains déployés en Afghanistan, d'ici à l'été 2012. Le départ du reste des troupes est programmé pour 2014.

2 septembre. La divulgation par WikiLeaks de 250 000 câbles diplomatiques internes du département d'État américain met toutes les chancelleries en émoi, en premier lieu à Washington.

2012

17 avril. Washington décide d'alléger les sanctions financières contre la Birmanie pour soutenir le processus de démocratisation amorcé en 2011.

26 avril. Les États-Unis et le Japon s'accordent sur le retrait de 9 000 marines de l'île d'Okinawa, où des soldats américains stationnent depuis 1960.

5 mai. Début du procès, dans le camp de Guantánamo, des cinq principaux suspects dans les attentats du 11-Septembre.

13 juillet. Première liaison maritime —censée devenir hebdomadaire— entre les États-Unis et Cuba depuis 1962, avec l'arrivée à La Havane d'un navire américain transportant du matériel humanitaire.

11 septembre. L'ambassadeur des États-Unis en Libye et trois de ses collègues sont tués lors de l'attaque du consulat américain de Benghazi par des militants armés. Le 15, Al-Qaida déclare « venger » ainsi la mort de son numéro deux, éliminé en juin par Washington.

18 septembre. Moscou ordonne à l'Agence américaine pour le développement international (Usaid) de quitter la Russie d'ici à la fin du mois. L'Usaid, qui finance les organisations non gouvernementales (ONG) du pays, est accusée de s'immiscer dans ses affaires intérieures.

13 novembre. En tournée en Australie, le chef du Pentagone, M.Leon Panetta, assure que le redéploiement des forces américaines dans la région Asie-Pacifique est « réel » et à « long terme ». M.Obama se rend en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge une semaine plus tard.

3 décembre. M.Obama met en garde le président syrien Bachar Al-Assad contre les « conséquences » de l'emploi d'armes chimiques.

4 décembre. L'OTAN autorise le déploiement de missiles américains Patriot en Turquie, une mesure réclamée par Ankara pour protéger sa frontière avec la Syrie.

14 décembre. M.Obama promulgue une loi interdisant l'entrée sur le sol américain de personnes responsables de violations des droits humains en Russie et prévoyant le gel de leurs avoirs aux États-Unis.

2013

20-21 mars. Première visite officielle du président Obama en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Tout en appelant à un règlement pacifique du conflit, il réaffirme l'alliance « éternelle » entre Washington et Tel-Aviv.

23 mai. Dans une allocution prononcée à la National Defense University de Washington, M. Obama explique vouloir mettre fin à la « guerre globale contre le terrorisme » et annonce un changement radical de stratégie.

5-30 juin. Révélations sur les programmes d'espionnage menés à l'échelle mondiale par l'Agence nationale pour la sécurité américaine (NSA). L'auteur des fuites, M.Edward Snowden, un ancien employé de la NSA, trouve asile en Russie.

18 juin. Sa mission terminée, la force internationale de l'OTAN en Afghanistan remet au gouvernement afghan le contrôle de la sécurité dans le pays.

29 juillet. Washington obtient la reprise des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens, gelées depuis 2010. Elles bloqueront à nouveau sur la poursuite de la colonisation juive en Cisjordanie.

2-11 août. Devant les menaces d'attentats proférées par Al-Qaida, les États-Unis décident de fermer temporairement une vingtaine de leurs ambassades au Proche-Orient et en Afrique.

14 septembre. Moscou et Washington parviennent à s'entendre sur un plan de démantèlement de l'armement chimique du régime syrien. Il permet d'éviter l'éventualité d'une intervention militaire américaine.

17 septembre. Après la publication, le 1er septembre, de documents relatifs à sa mise sur écoute par la NSA en juin 2012, la présidente du Brésil, Mme Dilma Rousseff, annule sa visite aux États-Unis prévue en octobre.

27 septembre. À son initiative, M. Barack Obama s'entretient par téléphone avec M. Hassan Rohani, élu à la présidence de l'Iran en juin. C'est le premier contact direct entre les chefs d'État des deux pays depuis trente-quatre ans.

21-29 octobre. Crise diplomatique entre l'Europe et les États-Unis après la parution de nouveaux documents sur l'espionnage pratiqué par la NSA à l'encontre de diplomates et de dirigeants européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel.

20 novembre. Accord de principe entre Washington et Kaboul sur un pacte bilatéral de sécurité. Huit mille à douze mille soldats de l'OTAN resteront en Afghanistan après le départ des forces de l'Alliance fin 2014 ; les militaires américains bénéficieront de l'immunité juridique.

24 novembre. Signature à Genève d'un accord préliminaire sur le programme nucléaire iranien entre l'Iran et les États du G5 + 1 (États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine et Allemagne).

2014

16 mars. Les États-Unis et l'Europe adoptent une série de sanctions contre Moscou après le rattachement de la Crimée à la Russie consécutif au référendum d'autodétermination organisé dans la péninsule. Les pays occidentaux contestent la légitimité de cette consultation.

28 avril. Accord américano-philippin pour renforcer la présence militaire des États-Unis aux Philippines.

19 juin. Après la prise de Mossoul (Irak), le 10 juin, par l'Organisation de l'État islamique (OEI), M. Obama décide de dépêcher trois cents conseillers militaires américains en Irak pour appuyer l'armée gouvernementale. Leur nombre passera à trois mille en novembre.

8 août. Début des bombardements américains contre les positions de l'OEI dans le nord de l'Irak. Le mouvement djihadiste a proclamé son califat le 29 juin dans les régions irakiennes et syriennes qu'il contrôle.

5 septembre. Les États-Unis forment une coalition internationale pour lutter contre l'OEI. Elle regroupe notamment la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Turquie. Dix pays arabes, dont l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Jordanie, la rejoignent une semaine plus tard.

8 décembre. Un rapport du Congrès américain évalue à 1 600 milliards de dollars les dépenses des États-Unis depuis le 11 septembre 2001, dans le cadre de la lutte antiterroriste.

9 décembre. Un rapport du Sénat américain sur les « interrogatoires renforcés » pratiqués par la Central Intelligence Agency (CIA) après les attentats du 11 septembre 2001 estime qu'ils « n'ont pas été efficaces » et constituent des actes de torture.

17 décembre. La Havane et Washington annoncent le rétablissement de leurs relations diplomatiques, rompues en 1961. La question de la levée de l'embargo économique, auquel est soumis Cuba depuis 1962, doit être examinée par le Congrès américain.

2015

3 mars. Dans un discours au Congrès américain à l'invitation des républicains, M. Netanyahou, le premier ministre israélien, fustige la politique de M.Obama à l'égard de Téhéran et dénonce l'accord sur le nucléaire iranien en voie d'être conclu.

11 avril. Premier tête-à-tête entre le président cubain Raúl Castro et M.Obama, en marge du sommet des Amériques, à Panamá. Trois jours plus tard, M. Obama déclare vouloir retirer Cuba de la liste américaine des pays soutenant le terrorisme, ce qui sera fait le 29 mai.

14 juillet. Signature de l'accord final sur le nucléaire iranien, à Vienne, entre Téhéran et les pays du G5 + 1. Vivement critiqué par les républicains aux États-Unis, il sera entériné de justesse par le Congrès américain le 11 septembre suivant.

20 juillet. Réouverture officielle des ambassades américaine à La Havane et cubaine à Washington.

28 septembre. Rencontre sous tension à l'Organisation des Nations unies (ONU) entre M.Obama et M.Vladimir Poutine —dont les troupes sont présentes en Syrie pour soutenir M. Al-Assad—, qui s'accusent mutuellement d'attiser le chaos syrien. Ils conviennent d'une coordination tactique entre leurs forces respectives sur le terrain. Les raids aériens russes en Syrie débutent deux jours plus tard.

3 octobre. En Afghanistan, les États-Unis bombardent « par erreur » (selon le commandement américain) l'hôpital de Médecins sans frontières (MSF) à Kunduz, faisant vingt-deux morts. M.Obama s'excusera auprès de MSF, qui parle de « crime de guerre ».

15 octobre. M. Obama annonce que les 9 800 soldats encore en poste en Afghanistan y resteront finalement en 2016, et que 5 500 d'entre eux seront maintenus après 2017.

14 novembre. Le chef de l'OEI en Libye est tué au cours d'un raid aérien mené pour la première fois par les États-Unis dans le pays, où le mouvement djihadiste gagne du terrain.

15 novembre. Lors d'un entretien imprévu pendant le sommet du G20, MM. Obama et Poutine s'accordent sur la nécessité d'un cessez-le-feu et d'une transition politique en Syrie, menée entre l'opposition et le régime sous l'égide de l'ONU. Le sort de M. Al-Assad demeure en suspens.

2016

4 février. Signature, en Nouvelle-Zélande, du partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), qui prévoit la création d'une zone de libre-échange unissant les États-Unis à onze autres pays du Pacifique (Australie, Canada, Chili, Japon, Singapour, Vietnam, etc.).

17 février. Selon des estimations officielles américaines, les frappes conduites par les États-Unis contre l'OEI, en Irak et en Syrie, ont tué environ 27 000 combattants de l'organisation.

20 avril. Le président Obama annonce l'envoi de 200 membres des forces spéciales américaines en Irak. Le 25 avril, 250 hommes sont dépêchés en Syrie.

7 juillet. À la veille du sommet de l'OTAN à Varsovie (8-9 juillet), M. Poutine dénonce la « frénésie militariste » de l'Alliance atlantique. Le 15 juin, celle-ci a fait savoir qu'elle avait décidé de déployer en 2017 des troupes en Pologne, en Estonie, en Lituanie et en Lettonie.

14 juillet. En visite à Moscou, le secrétaire d'État John Kerry propose à M. Poutine la création d'un « commandement militaire conjoint » à Amman (Jordanie) et des opérations américano-russes coordonnées en Syrie, dans le cadre de la lutte contre l'OEI et contre Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaida épargnée jusque-là par les Américains.

19-21 juillet. Tensions entre Ankara et Washington après le putsch militaire manqué contre le président turc Recep Tayyip Erdogan, dans la nuit du 15 au 16 juillet. La Turquie reproche aux États-Unis d'abriter le prédicateur Fethullah Gülen, qu'elle accuse d'avoir fomenté la tentative de coup d'État.

L'ours polaire, animal géopolitique

Tue, 10/01/2017 - 16:22

L'ours polaire est devenu le symbole d'une biodiversité en péril, sous la menace du réchauffement climatique. Impossible toutefois de dissocier la protection de l'espèce des enjeux géopolitiques liés à un territoire convoité, l'Arctique. Une dimension dont les organisations environnementales ne sont pas toujours conscientes, pas plus qu'elles ne mesurent le rôle des peuples autochtones.

En avril 2010, M. Vladimir Poutine, alors premier ministre de la Russie, se faisait photographier avec un ours polaire — une femelle anesthésiée par des scientifiques — sur l'archipel François-Joseph, à l'extrême nord du pays. Le discours écologiste qu'il tenait alors, plaidant pour la protection de l'animal et de l'Arctique, dissimulait mal certaines arrière-pensées.

En septembre 2012, la réduction de la surface des glaces de mer estivales qui couvrent l'océan Arctique a atteint un record, au point que celles-ci pourraient avoir totalement disparu d'ici à 2050. Un minimum de glaces hivernales a aussi été atteint en mars 2015. Or l'ours polaire — nanouk dans la langue des Inuits, qui le divinisent et le chassent régulièrement— ne peut vivre sans la banquise, où il trouve ses principales proies, les phoques. Désormais en danger, il est donc devenu l'étendard de la lutte contre le réchauffement climatique. De surcroît, d'autres périls pèsent sur l'animal, dont la population est estimée à 20 000 ou 25 000 individus : la chasse, le braconnage ou encore les polluants, qui se concentrent dans les tissus de cet ultime maillon de la chaîne alimentaire.

Ce prédateur symbole de puissance, dont les plus gros mâles peuvent dépasser les 600 kilos et mesurer deux à trois mètres, régna longtemps en maître absolu sur les étendues gelées. Les premiers explorateurs blancs l'associaient au danger de l'« enfer polaire ». Au XVIIe siècle, Hollandais, Danois et Britanniques se livrent déjà des conflits armés pour prendre pied en Arctique, dont les ressources prometteuses suscitent la convoitise : animaux à fourrure, phoques, baleines, morues... L'archipel du Svalbard, à l'est du Groenland, est très disputé. La faune, et particulièrement l'ours polaire, seigneur déchu, paie un lourd tribut, subissant une élimination de masse.

Puis, à partir des années 1950, l'Arctique se retrouve au cœur de la guerre froide. Les Etats-Unis mettent en place la ligne DEW (pour « Distant Early Warning line », soit « ligne avancée d'alerte précoce »), un réseau de radars allant des îles Aléoutiennes à l'Islande en passant par l'Alaska, le nord du Canada et le Groenland. Avec pour objectifs d'anticiper l'arrivée par le plus court chemin de missiles ou de bombardiers en provenance d'URSS et d'espionner l'ennemi. Des bases militaires se mettent en place en Arctique, dont celle de Churchill (Manitoba, Canada), l'une des plus importantes. Située sur la route migratoire de l'ours blanc, la ville est aujourd'hui devenue une destination touristique. Au cours d'une guerre froide plutôt calme sous ces hautes latitudes, les soldats désœuvrés se rendent coupables d'une chasse excessive autour des bases : se procurer une peau d'ours à rapporter en souvenir agrémente leur morne quotidien. Cette pression de la chasse est particulièrement forte autour des bases de Resolute (Nunavut) et de Thulé (Groenland).

A cette hécatombe s'ajoutent diverses pollutions durables dans un milieu pourtant réputé immaculé. Les Soviétiques réalisent des essais nucléaires dans l'archipel de la Nouvelle-Zemble et entreposent fûts et réacteurs radioactifs en mer de Kara et en mer de Barents. Mais ils ne sont pas les seuls : les Canadiens abandonnent également des déchets radioactifs près de mines d'uranium autour du Grand Lac de l'Ours. Les militaires américains, eux, exploitent deux centrales nucléaires, l'une au Groenland, l'autre en Alaska, et laissent sur place des déchets radioactifs qui contaminent les cours d'eau et les populations locales. La plupart des bases, responsables de pollutions aux hydrocarbures, seront démantelées dans les années 1990.

Pourtant, à la même époque, l'ours polaire offre aussi l'occasion d'une coopération internationale faisant fi des frontières Est-Ouest. En 1965, des biologistes travaillant dans l'Arctique s'inquiètent de la diminution de sa population. Les Soviétiques et les Américains posent alors les fondements d'une collaboration indifférente aux tensions politiques. En 1968, un groupe de spécialistes se crée au sein de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L'initiative de fédérer les cinq nations abritant l'animal autour d'un même projet annonce une collaboration plus large, prémices du futur Conseil de l'Arctique. Les représentants de ces pays se réunissent à Oslo en novembre 1973 pour entériner l'Accord sur la protection des ours polaires.

Le Conseil de l'Arctique voit le jour en 1996. Il réunit les nations circumpolaires, ainsi que des représentants des communautés autochtones. Par la suite, plusieurs pays, de plus en plus éloignés du pôle Nord, obtiendront des sièges d'observateur. On y traite d'environnement et de sécurité des transports, le rôle géopolitique du Conseil étant officieux.

L'Arctique retrouve son importance stratégique après les années 2000, même si la gravité des conflits est souvent surestimée. Les enjeux de souveraineté et d'exploitation des ressources sont réels ; mais la coopération et la négociation dominent. La plupart des pays circumpolaires règlent leurs litiges en s'appuyant sur le droit international, à commencer par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée en 1982 à Montego Bay (Jamaïque). La Russie s'est par exemple appuyée sur les règles régissant le plateau continental pour demander à l'ONU, le 4 août dernier, de lui reconnaître une « zone économique exclusive » de 1,2 million de kilomètres carrés. La Norvège avait obtenu une extension de ce type en 2009.

Les demandes d'exploitation des ressources minérales ne traduisent pas des prétentions d'appropriation hégémonique ; pour reprendre les termes du géographe Frédéric Lasserre, « c'est une course contre la montre, pas contre les voisins (1) ». Souvent évoqué, le pétrole revêt une importance bien moindre que le gaz et, surtout, que les autres ressources naturelles : zinc, nickel, cuivre, or, diamant, uranium... Des Etats non polaires s'intéressent également à la zone et à ses ressources, à l'instar de la Chine, du Japon et de Singapour, qui ont obtenu des sièges d'observateur au Conseil de l'Arctique en 2013.

Entre les Etats circumpolaires, les batailles se livrent à fleurets mouchetés, comme en témoigne le statut des routes maritimes. Le passage de l'Est est contrôlé par la Russie, qui a la meilleure pratique de la navigation périlleuse dans les eaux arctiques grâce à sa flotte de brise-glaces nucléaires. Le Canada souhaite développer la route de l'Ouest, de plus en plus libre de glaces. Cependant, plusieurs pays, à commencer par les Etats-Unis, contestent ces appropriations nationales, considérant qu'il devrait s'agir d'eaux internationales.

Dans cet écheveau de tensions géopolitiques, l'ours polaire occupe une place de choix. Régulièrement réévaluée, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Convention on International Trade of Endangered Species, Cites), dite aussi convention de Washington, fixe les règles du commerce d'espèces protégées. Actuellement, l'ours blanc est classé en « annexe II », c'est-à-dire qu'il bénéficie d'une protection forte : très limités, le commerce et l'exportation de produits issus de l'animal ne sont autorisés que pour certaines communautés comme les Inuits du Canada. Mais des Etats signataires tels que les Etats-Unis ou la Russie, soutenus par plusieurs ONG, comme Polar Bear International (PBI) ou le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), militent pour qu'il passe en annexe I, qui implique une protection intégrale et l'interdiction totale du commerce lié à l'animal. Ils arguent que l'espèce serait menacée d'extinction et que l'existence d'une chasse légale encouragerait le braconnage grâce à des certificats d'exportation contrefaits en Russie. Le Canada est vent debout contre ce projet et crie à la désinformation : selon lui, les effectifs seraient stables, voire croissants — du moins sur son territoire, qui en concentre plus de 60 %.

Le gouvernement d'Ottawa défend les intérêts des communautés autochtones qui bénéficient d'un droit de chasse sur des espèces protégées comme les baleines et les ours polaires. Mais, avec les campagnes contre la chasse aux phoques, qui ont débuté à la fin des années 1970, puis l'interdiction par l'Union européenne, en 2009, de l'importation des produits issus de cet animal, leurs rentrées monétaires se sont taries. Dès les années 1980, afin de compenser ces pertes, Ottawa a incité les Inuits à transformer une partie de leurs quotas de prélèvement d'ours en chasses sportives pour des Européens ou des Américains fortunés. De crainte qu'une protection intégrale n'encourage le braconnage, des ONG écologistes comme Greenpeace ou le Fonds mondial pour la nature (WWF) soutiennent le maintien en annexe II de la Cites.

Ce sont aussi des considérations géopolitiques qui motivent ce soutien du Canada à la chasse. Le gouvernement fédéral a absolument besoin de conserver de bonnes relations avec les Inuits, car ceux-ci jouent le rôle de véritables bornes vivantes des territoires de l'Arctique. Il doit également se faire pardonner les déportations passées. En 1953, il a déplacé onze familles inuits originaires du Labrador beaucoup plus au nord, afin de créer les communautés de Grise Fjord et de Resolute. En langue inuit, celles-ci ont été rebaptisées respectivement Aujuittuq, « le lieu qui ne dégèle jamais », et Qausuittuq, « l'endroit où il n'y a pas d'aube »... En 2008, le gouvernement canadien a présenté des excuses officielles et versé 10 millions de dollars de dédommagements aux survivants.

Sur ces territoires au climat plus rigoureux, aux ressources plus limitées et à la nuit hivernale plus longue, ces communautés ont dû s'adapter pour survivre et sont ainsi devenues expertes en chasse à l'ours polaire. Pour établir la frontière entre le Nunavut, région inuit autonome depuis 1999, et les Territoires du Nord-Ouest, les zones de chasse ont été déterminantes. S'y ajoutait l'éventualité d'une exploitation pétrolière et minière, dont chacune des entités territoriales voulait préserver les bénéfices potentiels. Depuis 2007, pour affirmer la souveraineté du pays sur les territoires arctiques, l'armée canadienne organise chaque été l'« opération Nanouk ».

Les questions de protection animale et environnementale ont créé des dissensions entre des nations circumpolaires et l'Union européenne. Alors que celle-ci devait entrer au Conseil de l'Arctique avec le statut d'observatrice en mai 2013, le Canada a obtenu que son intronisation soit suspendue à la résolution du contentieux sur les restrictions aux importations de produits dérivés du phoque. Cela explique probablement que l'Union — ainsi que la France — se soit abstenue lors du vote concernant le passage de l'ours polaire en annexe I de la Cites la même année.

Les discussions sur le droit de chasse masquent les menaces les plus importantes qui pèsent sur l'ours blanc : la disparition de la banquise, liée au réchauffement climatique, et la diffusion de polluants régionaux et mondiaux. Or Etats-Unis et Russie figurent parmi les premiers responsables de ces deux phénomènes.

Au Canada et au Groenland, la chasse permet la conservation du patrimoine culturel, car les autorités la conditionnent à l'usage d'équipages de traîneaux à chiens. Si elle disparaissait, l'acculturation des Inuits et leur déconnexion par rapport à leur territoire, déjà réelles, ne pourraient que s'aggraver. Si la pratique peut choquer des écologistes, surtout quand ces droits sont vendus à des nantis occidentaux, les quotas accordés (de 400 à 600 bêtes sur une population estimée à 15 000 pour le Canada) sont présentés comme raisonnables et limitent le braconnage.

Pour sauver le plantigrade, certains scientifiques comme Steven Amstrup, de PBI, accréditent l'idée plus que discutable selon laquelle il faudrait capturer davantage de spécimens et utiliser les zoos comme banques génétiques (2). Il est vrai que plusieurs zoos ont transformé l'ours polaire en produit financier rentable. PBI, qui s'inscrit en partie dans la pratique d'ONG américaines animées par des hommes d'affaires, n'est pas exempt de mercantilisme. De tels propos contribuent à dissocier la cause de l'ours de son milieu. Or, même si des menaces sérieuses pèsent sur lui à moyen et long terme, il semble aussi faire montre de capacités d'adaptation. La situation de ses dix-neuf sous-populations n'est pas uniforme : certaines déclinent, mais plusieurs autres sont stables, voire en légère croissance.

Communautés locales, ONG, entreprises et Etats utilisent l'ours à des fins géopolitiques, car c'est l'usage futur des territoires de l'Arctique qui est en jeu ; mais l'animal n'est pas sorti d'affaire pour autant.

(1) Frédéric Lasserre, « Frontières maritimes dans l'Arctique : le droit de la mer est-il un cadre applicable ? », Ceriscope Frontières, 2011.

(2) Cf. Mika Mered, Rémy Marion, Farid Benhammou et Tarik Chekchak, « Pour que l'ours polaire ne soit plus la vache à lait des zoos », les blogs du Huffington Post, 5 juin 2015.

Réenchanter la politique par la dérision

Tue, 10/01/2017 - 16:12

Au lendemain de l'effondrement de 2008, la capitale de l'Islande était l'image de la désolation. La forêt de grues hérissée durant la bulle financière avait disparu. Les immeubles inachevés de Reykjavík offraient au blizzard leurs flancs de béton brut. Une partie importante de la population, surendettée, perdait son logement ou se saignait aux quatre veines pour le conserver. Lors des municipales de 2010, les électeurs désemparés choisirent pour maire un acteur humoriste, M. Jón Gnarr.

La candidature de ce punk gravement dyslexique au parcours tourmenté (1), admirateur de Tristan Tzara, Pierre Joseph Proudhon ou Mikhaïl Bakounine, était au départ purement parodique. Il déclarait vouloir le pouvoir pour « [s']en foutre plein les poches sans se fatiguer » et en profiter pour « placer [ses] proches à des postes juteux ». Il était accompagné de musiciens et d'acteurs, beaucoup dans l'entourage de la chanteuse Björk, qui se qualifiaient eux-mêmes d'« anarchistes surréalistes ». Annonçant qu'elle trahirait ses promesses électorales, la liste du Meilleur parti proposait l'abolition de toutes les dettes, des voyages surprises pour les personnes âgées, l'obligation pour les hommes de rester à la maison certains jours ou l'introduction dans le pays d'ours blancs, d'écureuils et de grenouilles.

Devenu maire, M. Gnarr s'est associé aux sociaux-démocrates pour diriger cette municipalité qui fut longtemps un bastion du Parti de l'indépendance (conservateur) et qui abrite plus du tiers de la population du pays. Il a endossé alors un nouveau rôle. Le provocateur je-m'en-foutiste a fait place à un personnage d'une humilité désarmante. Les habitants de la capitale l'ont suivi dans sa démarche de transparence et de démocratie participative. Et ce personnage atypique a paradoxalement été l'homme de la situation. Les Islandais, plongés dans la récession, ne croyaient plus aux promesses et sentaient que le mieux serait gagné à la marge, dans la qualité de vie.

La crise a aidé M. Gnarr et ses amis à transformer une ville où la « bagnole » était reine en une capitale écologique, branchée et pourvue d'un très dense réseau de pistes cyclables. Passés brutalement de l'opulence à la récession, les Islandais ont liquidé leur troisième voiture, voire leur deuxième, et la circulation a diminué. Les pistes cyclables doublant une voie piétonne se sont multipliées — ce qui agace aujourd'hui les automobilistes avec le retour de la prospérité et des bouchons.

M. Gnarr a voulu donner la parole à la population. Mais en dépassant le chauvinisme de quartier. Deux programmeurs avaient créé des forums pour un « meilleur quartier » et un « meilleur Reykjavík ». Loin de se sentir court-circuitée, la municipalité les a encouragés. Ainsi, chaque habitant peut lancer une initiative sur ces plates-formes. Une discussion s'ouvre alors : pour ou contre, les intervenants participant sous leur nom. Le projet qui a le plus de soutiens obtient un financement immédiat. Toutes les positions doivent être expliquées et justifiées, ce qui exclut les mouvements d'humeur, les rancœurs et les effets de manche.

Aux élections municipales de 2014, la classe politique attendait Jón Gnarr au tournant. Après avoir goûté au pouvoir, n'allait-il pas rempiler ? C'était dans la logique des choses, il allait enfin devenir l'un des leurs. Au zénith dans les sondages, l'homme annonçait qu'il quittait la politique. Il a refusé d'y revenir en 2016 après l'épisode des « Panama papers », quand ses admirateurs lui ont demandé d'être candidat à l'élection présidentielle. L'aventure continue pour le Meilleur parti, qui s'est transformé en parti Avenir radieux. Il compte six députés au Parlement et gère toujours la municipalité au sein d'une coalition dirigée par un social-démocrate, avec la participation des écologistes de gauche et du Parti pirate.

Jadis morne capitale dès la tombée de la nuit, Reykjavík est devenue avec l'explosion du tourisme une ville vivante, gaie, dynamisée par de nombreux événements culturels et un sentiment de sécurité dont l'effet est contagieux. Accusés souvent d'abîmer la nature, les visiteurs ont rendu la ville plus écologique en se déplaçant à pied, ce que les Reykjavikois ne pratiquaient plus guère. Ils ont certes fait monter le tarif des consommations, mais sans eux les nombreux bars et restaurants qui ont éclos n'existeraient pas. Ombre au tableau, il leur faut de la place. Les grues sont de retour. La municipalité de gauche accorde des permis de construire à des hôtels de luxe, alors que les habitants les plus pauvres n'arrivent pas à se loger. Le succès très rapide d'Airbnb raréfie les locations disponibles à l'année et tire les prix à la hausse. L'opposition de droite, hier favorable à la destruction des vieilles maisons en bois, se découvre des états d'âme esthétiques et critique le bétonnage du centre.

En 2010, M. Gnarr promettait du rêve à bon marché dans une capitale paupérisée. La construction d'échangeurs sur les artères reliant les quartiers éloignés par un étalement urbain jusqu'ici sans limites sera sans doute l'enjeu du prochain scrutin auprès d'une population de nouveau enrichie. Une ville à deux vitesses, au sens propre, se dessine : un centre coquet sans voitures où l'on marche aisément, et des banlieues banales suréquipées en automobiles où l'on roule au pas.

(1) Qu'il raconte dans deux livres traduits en anglais, The Indian et The Pirate, Deep Vellum, Dallas, 2015 et 2016.

Des Pirates à l'assaut de l'Islande

Tue, 10/01/2017 - 16:10

Touchée de plein fouet par la crise financière et l'effondrement de son système bancaire en 2008, l'Islande affiche aujourd'hui une santé économique resplendissante. Si ce petit pays a pu très vite se redresser en s'écartant de l'orthodoxie libérale, les promesses de refondation du contrat social restent à accomplir.

Geirix. – Noir et Blanc jouant aux échecs dans le centre de Reykjavik, 2015 © Pressphotos - Geirix

Pas un policier à l'horizon, pas une invective entre militants : le Forum nordique réunit début septembre tous les partis politiques islandais dans une grande quiétude. À la veille des élections législatives du 29 octobre, les principaux candidats s'expriment sous un modeste chapiteau planté devant l'université de Reykjavík. Par 64 degrés de latitude, l'inclinaison des rayons solaires donne à la lumière une grande douceur, tandis qu'un air venu du large apporte un peu de fraîcheur. Dans les débats, l'avenir de la Constitution passionne davantage que l'immigration, la construction de logements bien plus que le niveau des impôts ; la protection des données personnelles figure en bonne place. La crise… quelle crise ?

Sur cette île-volcan, la lave bouillonne pourtant toujours sous les glaciers depuis la débâcle financière de 2008. En avril 2016, une éruption populaire a balayé en quarante-huit heures le premier ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, empêtré dans les « Panama papers ». À son tour rattrapé par les révélations concernant l'argent de son épouse dissimulé dans un paradis fiscal, le président de la République Ólafur Ragnar Grímsson a dû renoncer à se présenter aux élections de juin dernier, après vingt ans de pouvoir. Enfin, à la mi-septembre, les sondages laissaient entrevoir une nouvelle réplique en plaçant le Parti pirate en tête des intentions de vote.

Il y a huit ans, ce pays de 320 000 habitants perdu au milieu de l'Atlantique nord a vécu un cauchemar. Les premiers jours d'octobre 2008 voyaient s'effondrer les trois principales banques, dont les actifs représentaient neuf fois la production nationale, tandis que partaient en fumée l'essentiel de la capitalisation boursière et une partie de l'épargne des familles. Seule l'intervention massive de l'État par la nationalisation des banques, la garantie des dépôts des insulaires et un strict contrôle des capitaux permit d'éviter le chaos social et la faillite des principales entreprises. En 2016, le pays affiche un budget en excédent, une dette en net recul, une croissance de plus de 3 % et un taux de chômage de 2,7 % (1)…

Il figure dans les premiers du monde pour le revenu par habitant et présente le plus fort taux d'emploi des pays industrialisés, avec 84,7 % d'actifs au sein de la population en âge de travailler (contre 64,5 % dans la zone euro ou 50,8 % en Grèce (2)).

Appelé au chevet de l'Islande par le premier ministre de l'époque Geir Haarde, le Fonds monétaire international a apporté une aide financière jusqu'en 2011. Même ses économistes ont dû reconnaître que cette success story doit beaucoup aux mesures antimarché, et notamment à la décision du gouvernement de donner la priorité aux déposants sur les actionnaires et de ne pas assumer la responsabilité des pertes des banques, contrairement à l'approche irlandaise (3). Après la « révolution des casseroles » qui a chassé du pouvoir le Parti de l'indépendance (conservateur, allié aux sociaux-démocrates), la majorité de gauche élue en avril 2009 (sociaux-démocrates et gauche écologiste) a mis en place des mesures d'austérité. Mais elle s'est efforcée de réduire la charge des emprunts pour les particuliers, en effaçant notamment les dettes excédant la valeur des propriétés tout en utilisant les recettes de l'État-providence pour atténuer l'impact de la récession sur les ménages (4). D'un côté, les programmes sociaux visant les plus faibles revenus étaient renforcés (les transferts aux ménages et la protection sociale, hors retraite, passant de 15 % du produit intérieur brut en 2008 à 19,5 % en 2009) ; de l'autre, les plus hauts revenus se voyaient fortement mis à contribution par l'impôt (par exemple, pour les 10 % les plus riches, l'impôt est passé de 24 % du revenu disponible en 2008 à 31,8 % en 2010). Ainsi, outre le retour rapide de la croissance et la baisse du chômage, l'exemple islandais se caractérise par une réduction des inégalités accompagnant la sortie de crise (voir le graphique ci-dessous).

Plusieurs banquiers ont été condamnés à la prison

« Nous avons aussi refusé les privatisations et mis en place un grand nombre de formations pour les personnes qui perdaient leur travail », nous explique Mme Katrín Jakobsdóttir, ministre de l'éducation à l'époque. Aujourd'hui cheffe du Mouvement gauche-vert, elle estime qu'avoir pu dévaluer la monnaie et ne pas être membre de l'Union européenne fut une chance : « La politique économique de la Banque centrale européenne est trop guidée par la lutte contre l'inflation. Avec de tels taux de chômage, les mesures d'austérité prises en Grèce, en Espagne, au Portugal engendrent beaucoup de rage dans la population, ce qui peut mener vers des routes très dangereuses. Nous pensons qu'il faut repenser la politique économique par une approche plus keynésienne. »

Les Islandais, qui avaient longtemps reconduit au pouvoir les partisans de la dérégulation et de la privatisation des banques en espérant devenir riches, découvraient alors les affres de la finance. L'envie de réussite et l'esprit pionnier forgé sur ces terres ingrates laissèrent la place au dégoût pour la triche et à la soif de justice. « L'attente était telle que beaucoup de gens qui ne possédaient plus rien ne comprenaient pas toutes les précautions de procédure. Mais les poursuites en matière de criminalité financière s'avèrent beaucoup plus difficiles que pour d'autres crimes », se souvient Mme Ragna Árnadóttir, nommée ministre de la justice au plus fort de la crise. Aujourd'hui directrice adjointe de la compagnie nationale d'électricité, elle semble encore éprouvée par cette expérience : « Lorsque les gens n'ont plus confiance dans le système, c'est à celui-ci de trouver la voie pour regagner la confiance du peuple. Y avons-nous réussi ? Je ne sais pas. » Les enquêtes du groupe spécial de magistrats et de policiers (5) ont permis d'envoyer plusieurs banquiers en prison et de condamner (sans peine) M. Haarde. Mais la Cour européenne des droits de l'homme n'a toujours pas statué sur le sort de l'ancien premier ministre, et la plupart des banquiers sont déjà revenus dans la vie économique. Les révélations sur les « Panama papers » n'ont pour l'instant donné lieu qu'à des enquêtes fiscales.

Geirix. – Jón Þór Ólafsson, ancien député du Parti pirate d'Islande, 2015 © Photographer.is - Geirix

« Nous n'avons pas vraiment réalisé ce que les gens attendaient après le très bon rapport parlementaire (6) sur ce qui ne fonctionnait pas dans la sphère politique ou dans le système bancaire », explique Mme Birgitta Jónsdóttir, la figure de proue du Parti pirate, qui se verrait bien présider le prochain Alþingi (Parlement) si le succès était au rendez-vous. Artiste, militante de WikiLeaks et d'une association écologiste, elle s'est lancée en politique en 2009 avec le Mouvement des citoyens. Depuis, elle siège au Parlement et a fondé le Parti pirate en 2012. « Par exemple, nous n'avons toujours pas séparé les banques de dépôt des “banques-casinos ”, poursuit-elle. L'élaboration d'une nouvelle Constitution fut un beau moment. Nous avons un bon texte sur la séparation des pouvoirs, la transparence et la responsabilité (7), mais, malgré son approbation par référendum, le processus est bloqué par le Parlement depuis 2013. » En juin 2010, elle a obtenu le vote d'une résolution unanime des députés en soutien à une « Initiative pour la modernisation des médias » qui visait à transformer l'Islande en paradis de la liberté d'expression et en refuge pour les lanceurs d'alerte : « Cela reste aussi un projet inachevé. Les textes d'application attendent leur passage devant le Parlement. Alors que les technologies évoluent rapidement, nous n'écrivons pas les lois assez vite. »

Référendums gagnants contre la Commission européenne

Le retour de la droite au pouvoir en avril 2013 a figé le processus de refondation de la vie politique. La gauche n'avait pas su répondre à l'aspiration pour davantage de démocratie ou à certains problèmes concrets, telle l'insuffisance de logements. Elle a surtout payé ses positions sur l'Europe et le remboursement des épargnants étrangers. Depuis les années 2000, l'Alliance sociale-démocrate militait, tout comme la très puissante Confédération islandaise du travail, pour entrer dans l'euro afin de ne plus subir les variations de la monnaie, explique M. Kristján Guy Burgess, son secrétaire général : « En lançant le processus d'adhésion à l'Union européenne en 2009, nous pensions qu'il serait possible d'obtenir un bon accord, même s'il y a des questions très difficiles comme la protection de notre pêche et de notre agriculture. Aujourd'hui, nous avons toujours besoin d'une solution monétaire durable pour lever sereinement le contrôle des capitaux. Pouvoir dévaluer notre couronne fut certes un avantage pendant et après le krach, mais sa volatilité représente aussi une cause du krach, en offrant la possibilité de spéculer sur les taux d'intérêt avec une banque centrale peu regardante. »

« Le gouvernement a commencé à perdre la confiance de la population à cause du dossier Icesave, reconnaît-il en se justifiant : Nous savions que nous allions le payer politiquement, mais qu'il nous fallait travailler pour l'intérêt national. » Après la faillite de la banque Icesave (succursale de la Landsbanki), le Royaume-Uni et les Pays-Bas réclamèrent le remboursement des dépôts de leurs ressortissants. Sous la pression européenne, le gouvernement islandais se montra ouvert à un compromis coûteux pour ses contribuables. C'est alors que le président Grímsson, sortant de sa fonction protocolaire, sut transformer en colère contre les Britanniques et les Néerlandais la révolte de la population contre le système capitaliste. Par deux fois, en mars 2010 et avril 2011, les électeurs rejetèrent un accord validé par le Parlement, mais que le président avait soumis à un référendum (8). Entêtée dans sa volonté de faire payer les Islandais, la Commission européenne porta l'affaire devant la cour de justice de l'Association européenne de libre-échange (AELE), qui lui donna tort le 28 janvier 2013 (9). Le tribunal considéra que l'État n'avait pas failli aux obligations de l'Espace économique européen en ne garantissant pas lui-même les dépôts des ressortissants étrangers. Depuis, la vente des actifs de la Landsbanki a tout de même permis de rembourser en partie ces apprentis spéculateurs.

« Ne pas confondre manifestants et électeurs »

En promettant d'aider au désendettement des ménages et en approuvant le recours au référendum par le chef de l'État, le Parti du progrès (centre droit, d'origine agrarienne) et le Parti de l'indépendance s'offrirent une virginité qui permit leur retour aux commandes. Député du Parti de l'indépendance, M. Vilhjálmur Bjarnason reconnaît aussi l'aubaine qui s'est présentée à leur retour : « Nous avons eu beaucoup de chance dans deux domaines clés : le tourisme et la pêche. En bloquant le trafic aérien plusieurs jours en 2010, le panache du volcan Eyjafjöll a fait connaître l'Islande comme une destination d'aventure et provoqué une explosion du tourisme (lire l'encadré ci-dessous). Et, avec le réchauffement des océans, de gigantesques bancs de maquereaux remontent vers le nord pour se jeter dans les filets des pêcheurs islandais. » En dépit de l'émoi suscité depuis par les « Panama papers » et du discrédit rapide de la majorité actuelle, il se veut optimiste à la veille du scrutin : « Il ne faut pas confondre les manifestants et les électeurs. »

Ces électeurs conservateurs, on pouvait les rencontrer le 3 septembre dernier dans l'immeuble moderne et cossu qui abrite le siège de leur mouvement. La plupart des partis islandais se sont convertis au rite des primaires, et il s'agissait ce jour-là de désigner les candidats pour les soixante-trois sièges en jeu. Gros véhicules de luxe ou tout-terrain, bijoux bien visibles voire talons hauts pour les dames, vestes impeccables et belles montres pour les messieurs, la composition sociale des votants relève de la caricature. Dans la salle protocolaire, de grands portraits rappellent que ce parti a dominé la vie politique depuis l'indépendance, en 1944, jusqu'en 2009.

GEIRIX. – Birgitta Jónsdóttir s'informant du procès de Chelsea Manning dans l'affaire WikiLeaks, 2013 © Pressphotos - Geirix

La droite a su comprendre qu'avec les déboires de la Grèce et de l'euro les électeurs des couches sociales les plus défavorisées se détourneraient davantage des partisans de l'Union européenne (essentiellement les sociaux-démocrates) que des artisans de réductions d'impôts pour les plus riches. Eurosceptiques par souci de leur clientèle (notamment les armateurs), ses dirigeants ont même cru pouvoir pousser leur avantage en écrivant à la Commission européenne en mars 2015 pour que l'Islande « ne soit plus considérée comme candidate ». Mais cela a provoqué une nouvelle éruption. Car, même s'ils s'opposent majoritairement à une adhésion, beaucoup d'électeurs auraient préféré juger sur pièces à l'occasion du référendum promis par ce gouvernement. Cette trahison des promesses électorales a entraîné une dissidence au sein des conservateurs, avec l'émergence d'un nouveau parti europhile de centre droit, Viðreisn, qui pourrait jouer les arbitres dans la formation de la prochaine majorité. L'épisode a aussi propulsé le Parti pirate, chantre de la démocratie directe, à plus de 40 % des intentions de vote, avant qu'il ne retombe entre 20 et 30 % cet été.

L'ambiance au siège du Parti pirate plonge dans un tout autre univers : un pavillon violet flottant au vent au milieu d'une zone d'activités inachevée, des bureaux étroits en duplex face à la mer (et aux baleines). À l'intérieur : des petits drapeaux Pirates, des chopes Pirates, un coin enfants avec un bateau Pirates, une étagère remplie de jeux de société… Âge moyen des candidats : la trentaine. Sont-ils prêts pour le pouvoir ? « Nous sommes prêts à redistribuer le pouvoir », répond M. Björn Leví Gunnarsson, informaticien dans l'éducation nationale. « Nous portons une responsabilité internationale : celle de donner l'espoir que l'on peut changer la politique », ajoute M. Viktor Orri Valgarðsson, jeune docteur en science politique.

Sont-ils de gauche ou de droite ? Mauvaise question ! « Nous sommes antiracistes, internationalistes, pour l'État-providence de type nordique, l'accès pour tous à l'éducation et à la santé, indépendamment du revenu ou du domicile, répond ce dernier. Toutefois, nous voulons sortir des monopoles et du protectionnisme. Nous voulons lutter contre la corruption, la triche, mais nous ne pensons pas que le rôle de l'État soit de rendre le monde plus égalitaire. Dans l'absolu, pour moi, si un riche s'est enrichi loyalement, ce n'est pas un problème. » Quelques nuances chez ses voisins, mais pas de réprobation dans ce parti taxé tantôt de « libertarien » — pour ses positions favorables à une grande liberté des affaires —, tantôt de « communiste de conseils » — pour sa défense de la démocratie directe.

« Les Pirates répondent à leur manière au rejet du système »

Un des projets-phares des Pirates étant l'instauration d'un revenu universel garanti, on obtiendra tout de même une réponse plus concrète le lendemain en poussant Mme Jónsdóttir dans ses retranchements : « Nous ne sommes pas pour le revenu garanti tel que le voyait Milton Friedman, mais clairement pour la version de gauche (10). J'espère que nous saurons rester ouverts à d'autres visions et nous entourer de compétences plurielles, y compris de l'étranger. Le rôle des artistes et des militants est surtout de faire évoluer les normes, pour que les gens qui ne sont pas politisés puissent aller de l'avant. » Elle compte beaucoup faire avancer la bataille qui fédère son parti autour de la neutralité de l'Internet et de la protection des données personnelles : « Dans les Constitutions, le respect de la vie privée est érigé en droit fondamental ; pourquoi cela n'est-il pas appliqué à l'Internet ? D'un autre côté, et alors qu'il serait beaucoup plus facile aujourd'hui de donner accès aux informations d'intérêt général, pourquoi est-il si difficile d'obtenir le droit d'éclairer les zones obscures où se tapit la corruption ? »

Geirix. – Juste avant une manifestation contre l'attribution de mitraillettes MP5 à la police. Sur l'affiche : « Les Islandais sont de retour ! Deuxième édition révisée » © Photographer.is - Geirix

La droite a déjà indiqué qu'elle ne voulait pas gouverner avec les Pirates. Un accord de coalition semble en revanche possible avec le nouveau parti centriste Viðreisn, les sociaux-démocrates et le Mouvement gauche-vert. La dirigeante de ce dernier parti et favorite pour le poste de premier ministre en cas d'alternance, Mme Jakobsdóttir, ne craint pas les nouveaux venus : « Comme partout en Europe, la politique islandaise devient très versatile. Mais nous sommes assez chanceux de ne pas être confrontés à des partis d'extrême droite. Les Pirates répondent à leur manière au rejet du système. C'est une bonne chose, car ce sont des gens avec lesquels nous pouvons travailler. Bien sûr, nous ne sommes pas d'accord lorsqu'il s'agit de politique fiscale ou de dépense publique. Mais nous nous retrouvons sur l'accueil des réfugiés, la démocratie, les droits de l'homme, la transparence. Je reste toutefois inquiète, car nous voyons monter le sentiment qu'il n'y a pas vraiment de différence entre la gauche et la droite. Pour moi, il n'y en a jamais eu autant : partout on voit croître les inégalités. »

Relation avec l'Europe, redistribution, protectionnisme, les sujets de discorde ne manqueraient pas dans une telle coalition. Sur le plan géopolitique, les écologistes de gauche sont les seuls à préconiser une évolution vers la neutralité avec une sortie de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. Mais leur cheffe relativise l'enjeu à l'échelle de ce pays qui n'a pas d'armée, « et même pas de services secrets », ajoute-t-elle.

(1) Banque centrale d'Islande, 7 septembre 2016.

(2) Données de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour 2015, www.data.ocde.org

(3) « Iceland's recovery. Lessons and challenges », Reykjavík, 27 octobre 2011.

(4) Stefán Ólafsson, « Level of living consequences of Iceland's financial crisis. What do the social indicators tell us ? » (PDF), Reykjavík, 2011, et « La sortie de crise de l'Islande », École des hautes études en sciences sociales, Paris, 28 mai 2014.

(5) Lire le témoignage d'Eva Joly, « Pour en finir avec l'impunité fiscale », Le Monde diplomatique, juin 2016.

(6) « Rannsóknarnefnd Alþingi » (rapport de la commission spéciale d'enquête du Parlement), 12 avril 2010, www.rna.is

(7) Lire Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade, « Une Constitution pour changer d'Islande ? », La valise diplomatique, 18 octobre 2012.

(8) Lire Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade, « Quand le peuple islandais vote contre les banquiers », Le Monde diplomatique, mai 2011.

(9) Judgment of the Court (Directive 94/19/EC on deposit-guarantee schemes). European Commission vs Iceland (PDF), 28 janvier 2013.

(10) Lire Mona Chollet, « Le revenu garanti et ses faux amis », Le Monde diplomatique, juillet 2016.

Janvier 2017 en perspective

Sat, 07/01/2017 - 16:26

Quand son voisin vote Front national, le militant doit-il céder à l'amertume et renoncer au combat politique ? À Séoul, la « révolution des bougies » a eu raison de sa dame de fer, en attendant mieux. Quand les entreprises européennes sont mises à l'amende au nom de la loi américaine, les principes du droit anglo-saxon — et ses avocats — triomphent. Une sélection d'archives en rapport avec le numéro du mois.

  • « Mon voisin vote Front national » Willy Pelletier • page 3 Aperçu Combattre un parti impose-t-il de condamner ceux qu'il a réussi à séduire ? Un militant de longue date de diverses organisations antiracistes d'extrême gauche interroge les formes de lutte dont il a usé, sans succès, contre le Front national. Son témoignage aide à comprendre comment celui-ci a réussi à devenir l'un des acteurs décisifs de la prochaine élection présidentielle française.
  • → Les deux jambes du militantisme Astra Taylor • juin 2016
  • → Les trois visages du vote FN Joël Gombin • décembre 2015
  • → Front national, un vote contre l'immigration… et l'injustice André Campana & Jean-Charles Eleb • mars 1998 Aperçu
  • « Révolution des bougies » à Séoul Sung Il-kwon • page 6 Aperçu Bravant des températures inférieures à 0°C, plus d'un million de Sud-Coréens ont manifesté chaque semaine pendant plus de deux mois. Du jamais-vu depuis la chute de la dictature, en 1987. Ils ont obtenu la mise à l'écart de la présidente Park Geun-hye, accusée de corruption et de faiblesse — le tout sur fond de chamanisme. Désormais, ils se battent pour des changements plus profonds.
  • → Virage autoritaire à Séoul S. I.-k. • janvier 2016
  • → Une dame de fer à Séoul Martine Bulard (La valise diplomatique • 21 décembre 2012
  • → La Corée du Sud au miroir de son cinéma Gonul Donmez-Colin • janvier 1997 Aperçu
  • Au nom de la loi… américaine Jean-Michel Quatrepoint • pages 1, 22 et 23 Aperçu Les entreprises européennes ont dû payer aux États-Unis un pactole de plus de 40 milliards de dollars ces dernières années. La justice américaine les accuse de ne pas respecter les sanctions décidées par Washington (et non par les Nations unies) contre certains États. Le droit devient alors une arme pour absorber ou éliminer des concurrents.
  • → Les Etats-Unis mettent les banques à l'amende Ibrahim Warde • juillet 2014 Aperçu
  • → Quand le droit anglo-saxon s'impose Cyril Laucci • avril 2014 Aperçu
  • → Etats-Unis, république des avocats Alan Audi • septembre 2010 Aperçu
  • Quand Le Corbusier redessinait Paris Olivier Barancy • pages 14 et 15 Aperçu Classée au patrimoine mondial de l'Unesco en juillet 2016, l'œuvre architecturale de Le Corbusier est célébrée comme une contribution exceptionnelle au mouvement moderne. Mégalomane, fasciné par l'ordre, l'architecte suisse était aussi, selon un ouvrage à paraître, un urbaniste doctrinaire.
  • → Architecture : bâtir ou briller ? Karim Basbous • août 2012 Aperçu
  • → Chandigarh et Le Corbusier Thierry Paquot « L'urbanisation du monde », Manière de voir nº 114, décembre 2010 - janvier 2011
  • → A qui profite Paris ? Claude Bourdet • juin 1976 Aperçu
  • Le monde selon Donald Trump Michael Klare • pages 1, 8 et 9 Aperçu « L'Amérique d'abord ! » Martelé depuis des mois par le prochain président des États-Unis, ce slogan suggère ce que sera sa politique étrangère. Un mélange d'unilatéralisme, de brutalité et de mercantilisme. Sans oublier une certaine imprévisibilité…
  • → Les Etats-Unis sont fatigués du monde Benoît Bréville • mai 2016
  • → La prudence forcée de M. George H. Bush Serge Halimi • novembre 1989 Aperçu
  • → Conflit de pouvoirs entre M. Reagan et le Congrès sur la politique étrangère Marie-France Toinet • juin 1984 Aperçu
  • Ce qui attend l'Amérique latine Alexander Main • pages 8 et 9 Aperçu Le décès du dirigeant historique de la révolution cubaine Fidel Castro a plongé dans l'affliction une grande partie des progressistes latino-américains. De l'Argentine au Venezuela, une droite atlantiste et libérale accumule depuis quelque temps les victoires. Doit-elle également se réjouir de l'arrivée au pouvoir du nouveau président américain Donald Trump ?
  • → Aux origines du messianisme américain Perry Anderson • octobre 2016 Aperçu
  • → Washington a-t-il perdu l'Amérique latine ? Janette Habel • décembre 2007 Aperçu
  • → Une tentative pour s'affranchir de la tutelle des Etats-Unis Edouard Bailby • novembre 1967 Aperçu
  • « Terra nullius », une fiction tenace Maxime Lancien • page 13 Aperçu Lors des Jeux olympiques de Sydney, en 2000, l'Australie avait célébré dans l'allégresse la réconciliation nationale entre Aborigènes et descendants de migrants européens. Dix-sept ans plus tard, la question du droit à la terre et de la dette coloniale empoisonne à nouveau la société.
  • → Le rêve perdu des Aborigènes Michèle Decoust • octobre 2000 Aperçu
  • → Une manifestation a fait resurgir le problème des aborigènes en Australie David Parker • septembre 1972 Aperçu
  • → « Nous autres aborigènes… » Charles Perkins • janvier 1966 Aperçu
  • Un esthète révolutionnaire Marion Leclair • page 27 Aperçu Au XIXe siècle, le Britannique William Morris, promis par son éducation, son aisance financière et ses talents à une belle carrière d'artiste et d'écrivain, choisit d'accorder son action et ses convictions politiques : il entreprend de réhabiliter l'artisanat et de vulgariser la pensée marxiste.
  • → Les « turpitudes » de Pissarro Evelyne Pieiller • février 2010 Aperçu
  • → Le déclin des avant-gardes au XXe siècle Eric Hobsbawm • mai 2001 Aperçu
  • → Le geste essentiel Nadine Gordimer • janvier 1985 Aperçu
  • Entre l'Allemagne et la Turquie, l'enjeu des réfugiés Hans Kundnani & Astrid Ziebarth • pages 16 et 17 Aperçu En mars 2016, la chancelière allemande Angela Merkel a négocié pour le compte de l'Union européenne un accord controversé avec la Turquie, afin de dissuader les migrants de traverser la mer Égée en bateau. Il semblerait que les deux partenaires entendent renouer aujourd'hui une alliance stratégique semblable à celle qu'ils entretenaient par le passé.
  • → Migrations : comment l'Union européenne enferme ses voisins Alain Morice & Claire Rodier • juin 2010
  • → Brève histoire des relations turco-européennes depuis 1963 Didier Billion • juin 2008
  • → L'Allemagne s'active au Proche-Orient Michel Verrier • juillet 2002 Aperçu
  • Ankara et Téhéran, alliés ou concurrents ? Mohammad-Reza Djalili & Thierry Kellner • pages 16 et 17 Aperçu Des tensions opposent de manière récurrente la Turquie à son partenaire historique allemand et à son rival ancestral iranien. Elles devraient persister, malgré une dynamique de rapprochement diplomatique entre Ankara et Téhéran pour la recherche d'un cessez-le-feu durable entre tous les acteurs du conflit syrien.
  • → Le monde selon Téhéran Shervin Ahmadi • janvier 2014 Aperçu
  • → Ni Orient ni Occident, les choix audacieux d'Ankara Wendy Kristianasen • février 2010 Aperçu
  • → La Turquie dans le grand jeu Alain Gresh • avril 1992 Aperçu
  • Le double défi de la gauche brésilienne Guilherme Boulos • page 7 Aperçu Le 31 août 2016, le Sénat brésilien a voté la destitution de Mme Dilma Rousseff. Le nouveau président, le conservateur Michel Temer, pourrait connaître le même sort. Quant à la gauche, elle fait face à un double défi : son crédit est entamé alors même que la droite repart à l'offensive. Le dirigeant de l'un des principaux mouvements sociaux présente son analyse.
  • → Amérique latine, pourquoi la panne ? Renaud Lambert • janvier 2016
  • → Brésil, du Parti des travailleurs au parti de Lula Douglas Estevam • juillet 2013 Aperçu
  • → Brésil, le gâchis Ignacio Ramonet • octobre 2005
  • Mais que fait la police ? Anthony Caillé & Jean-Jacques Gandini • page 28 Aperçu Avec le soutien du Front national, qui recueillerait plus de 50 % des suffrages parmi les policiers et militaires, les gardiens de la paix cherchent à élargir leur mouvement aux autres corps relevant de la sécurité — gendarmes, pompiers, personnels soignants — et demandent aux « civils » de s'y associer. Faut-il y voir un risque de sédition ?
  • → Urgences sociales, outrance sécuritaire Laurent Bonelli • septembre 2010 Aperçu
  • → Aux bons soins d'une société sécuritaire Christian de Brie • mai 1994 Aperçu
  • → La police, la gauche et le changement Jean-Jacques Gleizal • janvier 1985 Aperçu
  • L'icône de la démocratie birmane ménage les militaires Christine Chaumeau • pages 4 et 5 Aperçu Depuis le 1er novembre 2016, près de trente mille Rohingyas, victimes d'exactions, ont fui la Birmanie. Les divisions ethniques demeurent. Un an après son élection, toujours tributaire des généraux, Mme Aung San Suu Kyi doit aussi faire face aux problèmes économiques intérieurs.
  • → Désunion nationale en Birmanie Renaud Egreteau • décembre 2012 Aperçu
  • → Accélération de l'histoire en Birmanie Elizabeth Rush • janvier 2012 Aperçu
  • → La Birmanie : un Eldorado encore sous-exploité Marcel Barang • août 1983 Aperçu
  • Trafics d'influence en Afrique Anne-Cécile Robert • pages 10 et 11 Aperçu Passé quasiment inaperçu, le quatrième sommet afro-arabe s'est tenu à Malabo, en Guinée-Équatoriale, en novembre. Cette rencontre traduit l'intérêt croissant des pays du Golfe pour l'Afrique et, pour celle-ci, une diversification inédite de ses partenaires. Les pays situés au sud du Sahara redessinent leur insertion dans la géopolitique mondiale.
  • → Spéculation : ruée sur les terres africaines Joan Baxter • janvier 2010 Aperçu
  • → La Chine est-elle impérialiste en Afrique ? M. K. • septembre 2012 Aperçu
  • → Washington à la conquête d'« espaces vierges » en Afrique Philippe Leymarie • mars 1998 Aperçu
  • Pluie de critiques sur les casques bleus Sandra Szurek • page 21 Aperçu Mise en échec en Syrie, l'ONU a pu obtenir du Conseil de sécurité l'autorisation d'envoyer des observateurs pour superviser l'évacuation d'Alep. L'organisation semble plus démunie que jamais. Même ses opérations de maintien de la paix suscitent de vives critiques, comme au Rwanda en 1994, en ex-Yougoslavie en 1995 ou plus récemment en Centrafrique.
  • → Réformer les Nations unies Samantha Power • septembre 2005 Aperçu
  • → « Casques bleus » et souveraineté des Etats François Honti • avril 1964
  • → Malgré les critiques du « tiers monde » les soldats de l'O.N. U. jouent un rôle essentiel dans un pays déchiré par les passions Eric Rouleau • juillet 1961 Aperçu
  • Les Yézidis, éternels boucs émissaires Vicken Cheterian • page 12 Aperçu Alors que la bataille pour la reprise de Mossoul semble s'enliser, les Yézidis qui ont fui le nord-ouest de l'Irak en 2014 hésitent à regagner leur région natale. Persécutés par l'Organisation de l'État islamique, ils reprochent aux peshmergas de les avoir abandonnés à leur sort.
  • → Chance historique pour les Kurdes V. Ch. • mai 2013 Aperçu
  • → Faiblesses d'une résistance divisée Chris Kutschera • septembre 1980 Aperçu
  • → Le malheur d'une nation sans Etat Jean-Pierre Viennot • avril 1970 Aperçu
  • Prostitution, la guerre des modèles William Irigoyen • pages 18 et 19 Aperçu Au nom de la lutte contre les violences faites aux femmes, la Suède est devenue, le 1er janvier 1999, le premier pays à pénaliser l'achat de services sexuels, tandis que d'autres, comme l'Allemagne en 2001, choisissaient de légaliser les maisons closes. Quinze années de recul permettent d'observer les effets de ces deux approches opposées de la prostitution.
  • → Surprenante convergence sur la prostitution Mona Chollet • septembre 2014
  • → La prostitution, un droit de l'homme ? Florence Montreynaud • mars 1999 Aperçu
  • → Garantir à tout être humain la même dignité André Jacques • novembre 1987 Aperçu
  • Matteo Renzi se rêve en phénix Raffaele Laudani • page 19 Aperçu Alors que les arrestations et démissions pour corruption se multiplient dans l'entourage de la maire de Rome, issue du Mouvement 5 étoiles, ce dernier apparaît comme le grand vainqueur du référendum organisé par le président du conseil, M. Matteo Renzi. Les électeurs n'ont pas seulement rejeté le projet de réforme constitutionnelle : ils ont massivement condamné la politique menée depuis février 2014.
  • → « Jobs Act », le grand bluff de Matteo Renzi Andrea Fumagalli • juillet 2016
  • → Beppe Grillo, le criquet dans la Toile Lucie Geffroy • septembre 2013
  • → Inquiétants paradoxes italiens Guido Moltedo • février 1995 Aperçu
  • Interrègnes...

    Sat, 07/01/2017 - 15:54
    Le naufrage de l'URSS 1989

    15 avril-4 juin. Des manifestations étudiantes et ouvrières en faveur de la démocratie sont organisées place Tiananmen, à Pékin. Le mouvement est écrasé par l'armée.

    Eté. Francis Fukuyama publie dans The National Interest son article « La fin de l'histoire ? ».

    30 juin. Coup d'Etat du général Omar Al-Bachir au Soudan.

    26 septembre. Retrait officiel des derniers soldats vietnamiens du Cambodge, qu'ils occupaient depuis 1979. Les accords de Paris, scellant la paix, seront signés deux ans plus tard.

    1er-24 octobre. La réunion des députés libanais à Taëf (Arabie saoudite) débouche sur un document d'« entente nationale » prévoyant des réformes politiques pour mettre fin à la guerre civile, qui dure depuis 1975.

    Novembre. Définition des principes du « consensus de Washington » par l'économiste John Williamson. L'Amérique latine va servir de laboratoire.

    14 décembre. Au Chili, la présidence de la République de Patricio Aylwin met fin à seize ans de dictature du général Augusto Pinochet.

    17 décembre. Le Brésil connaît ses premières élections libres depuis 1964.

    20 décembre. Les troupes américaines envahissent le Panamá et chassent le général Manuel Noriega du pouvoir au terme d'une semaine de combats.

    1990

    12 février. En Afrique du Sud, libération du chef historique de l'ANC (Congrès national africain), M. Nelson Mandela, après vingt-sept années de détention.

    2 août. Invasion irakienne du Koweït.

    Septembre. Effondrement du marché international de l'immobilier à la suite d'une importante vague de spéculation.

    19 novembre. Signature du traité de réduction des forces conventionnelles en Europe (FCE).

    1991

    17 janvier-28 février. Intervention en Irak d'une coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, après l'invasion du Koweït par l'armée irakienne six mois plus tôt. La principauté pétrolière est rapidement libérée.

    21 mai. Le premier ministre indien Rajiv Gandhi est tué au cours d'un meeting électoral, à Madras, dans un attentat attribué aux Tigres tamouls.

    25 juin. La Croatie et la Slovénie proclament leur indépendance. La Macédoine fait de même le 15 septembre, suivie par la Bosnie-Herzégovine le 15 octobre. Début des guerres yougoslaves, qui vont durer quatre ans.

    31 juillet. Signature à Moscou, entre M. Mikhaïl Gorbatchev et M. George H. Bush, du traité Start I prévoyant une importante réduction des armements nucléaires stratégiques.

    30 octobre. Ouverture à Madrid, à l'initiative des Etats-Unis, de la conférence de paix sur le Proche-Orient, suivie des premières négociations bilatérales entre Israël et ses voisins arabes, y compris palestiniens.

    8 décembre. La Russie, l'Ukraine et la Biélorussie constatent officiellement la disparition de l'URSS et créent la Communauté des Etats indépendants (CEI).

    Illusions d'un nouvel ordre mondial 1992

    11 janvier. Les autorités algériennes annulent les élections législatives, dont le premier tour a été remporté par le Front islamique du salut (FIS). L'état d'urgence est proclamé un mois plus tard et le FIS dissous. La guerre civile fera près de 150 000 morts en treize ans.

    7 février. Signature du traité de Maastricht instituant l'Union européenne (UE).

    6 décembre. La destruction de la mosquée d'Ayodhya, en Inde, par des extrémistes hindous est le point de départ de violences intercommunautaires (1 200 morts).

    9 décembre. M. George H. Bush lance l'opération militaro-humanitaire « Restore Hope » en Somalie, menée sous les auspices des Nations unies.

    1993

    1er janvier. Naissance de la République tchèque et de la Slovaquie, après la dissolution de la Tchécoslovaquie.

    3 janvier. Signature du traité Start II entre les Etats-Unis et la Russie, qui abaisse le plafond des missiles nucléaires stratégiques.

    Eté. Parution dans la revue Foreign Affairs de l'article de Samuel Huntington sur « Le choc des civilisations ».

    13 septembre. Signature des accords d'Oslo par l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien, à Washington, respectivement représentés par Yasser Arafat et Itzhak Rabin, en présence du nouveau président des Etats-Unis William Clinton.

    3 octobre. Dix-huit soldats américains sont tués en Somalie. Le 7, M. Clinton annonce le retrait progressif de ses troupes, lesquelles quitteront le pays en mars 1994.

    1994

    1er janvier. Mise en place de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. L'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) déclenche une insurrection au Chiapas (Mexique).

    10-11 janvier. Lancement du Partenariat pour la paix, destiné à accueillir dans l'OTAN les ex-pays communistes d'Europe centrale.

    9 février. Ultimatum de l'OTAN aux Serbes de Bosnie-Herzégovine qui assiègent Sarajevo. Le 28 commence la première intervention militaire de l'OTAN en ex-Yougoslavie.

    6 avril. L'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu. Début du génocide des Tutsis par les Hutus, qui fera entre 500 000 et 800 000 morts.

    9 mai. M. Mandela est élu président de l'Afrique du Sud.

    15 avril. Signature à Marrakech (Maroc) de l'acte final du cycle de l'Uruguay instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui succède au GATT.

    15 octobre. Les Etats-Unis interviennent militairement en Haïti afin de rétablir à la tête du pays le président Jean-Bertrand Aristide, renversé par un coup d'Etat le 30 septembre 1991.

    11 décembre. Les troupes russes entrent en Tchétchénie. Cette première guerre durera jusqu'en août 1996.

    Fragiles espoirs de paix 1995

    Janvier. Instauration du Mercosur (Marché commun du Sud), regroupant l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.

    Mai. A l'OCDE, début des négociations confidentielles sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), conférant tous les pouvoirs aux investisseurs face aux gouvernements. Il sera abandonné en 1998.

    11 mai. Le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) est reconduit par 178 pays pour une durée indéfinie.

    Juillet. Les forces serbes de Bosnie massacrent près de 8 000 musulmans bosniaques à Srebrenica.

    28 septembre. Signature à Washington des accords israélo-palestiniens sur l'extension de l'autonomie, dits Oslo II, divisant la Cisjordanie en trois zones à souveraineté différenciée.

    4 novembre. Assassinat du premier ministre israélien Rabin par un extrémiste juif. Il sera remplacé par M. Shimon Pérès.

    21 novembre. Les accords de Dayton (Etats-Unis) mettent fin au conflit en Bosnie-Herzégovine et entérinent le partage ethnique en deux entités, l'une croato-musulmane, l'autre serbe.

    1996

    Février-mars. Après l'assassinat par les Israéliens de l'« ingénieur » du Hamas, le 5 janvier, le mouvement multiplie les attentats-suicides en Israël (plus de 100 morts).

    12 mars. La loi Helms-Burton durcit les sanctions américaines à l'égard des pays commerçant avec Cuba. Elle est condamnée par la communauté internationale.

    Avril. Le Hezbollah tirant, par solidarité avec les Palestiniens, des missiles sur Israël, M. Pérès déclenche l'opération « Raisins de la colère » contre le Liban (175 morts, pour l'essentiel civils).

    25 juin. Attentat de Khobar, en Arabie saoudite, contre les forces américaines (dix-neuf morts).

    5 août. La loi d'Amato-Kennedy renforce l'embargo mis en place par les Etats-Unis contre l'Iran et la Libye concernant les investissements dans le secteur pétrolier.

    10 septembre. L'ONU adopte le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Il sera rejeté par le Sénat américain en 1999.

    1997

    Mars-décembre. Succession de crises monétaires et financières en Asie orientale (Thaïlande, Philippines, Corée du Sud, Indonésie, Hongkong...). L'onde de choc atteint bientôt la Russie, puis l'Amérique latine.

    1er juillet. Les Britanniques rétrocèdent Hongkong à la Chine.

    11 décembre. Adoption du protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre.

    13 décembre. Accord sur la libéralisation des services financiers à l'OMC.

    Secousses sociales, émergence d'Al-Qaida 1998

    6 mai. Début de la guerre entre l'Ethiopie et l'Erythrée. Un accord de paix sera conclu en 2000.

    11-13 et 28-30 mai. L'Inde puis le Pakistan procèdent à des essais nucléaires, entraînant un embargo occidental.

    21 mai. En Indonésie, le général Suharto est chassé du pouvoir après trente-deux ans de dictature.

    17 juillet. Cent vingt pays s'expriment en faveur de la création d'une Cour pénale internationale (CPI). Elle sera mise en place le 1er juillet 2002.

    7 août. Deux attentats islamistes contre les ambassades des Etats-Unis font 224 victimes, dont douze Américains, en Tanzanie et au Kenya. En représailles, le Soudan et l'Afghanistan sont bombardés le 20 août.

    17 août. Le rouble est dévalué, plongeant la Russie dans une crise sans précédent.

    6 décembre. Election de M. Hugo Chávez à la présidence du Venezuela, première victoire d'une série que la gauche remporte dans les années 2000 en Amérique latine.

    1999

    Janvier. Naissance de l'euro, qui sera mis en circulation le 1er janvier 2002. En 2008, il représentera 25 % des réserves mondiales en devises.

    23 mars-11 juin. L'OTAN déclenche des bombardements aériens sur la Serbie, sans mandat de l'ONU, qui aboutissent au retrait des forces serbes du Kosovo. La région est placée sous protectorat des Nations unies.

    30 août. Le Timor-Leste, occupé par l'Indonésie depuis 1975, se prononce massivement pour l'autodétermination lors d'un référendum. L'armée indonésienne mène une répression sanglante.

    Septembre. Après plusieurs attentats à la bombe au Daghestan et à Moscou, attribués aux indépendantistes tchétchènes, les Russes bombardent Grozny et envahissent la république. Seconde guerre de Tchétchénie.

    30 novembre-3 décembre. La troisième conférence ministérielle de l'OMC, à Seattle (Etats-Unis), se solde par un échec. Le sommet donne lieu à d'importantes manifestations contre la mondialisation.

    2000

    Mars. Chute des valeurs de la « nouvelle économie » (bulle Internet).

    24 mai. Les forces israéliennes se retirent du Liban sud — à l'exception de la zone dite des fermes de Chebaa.

    23 juin. Signature de l'accord de Cotonou entre l'Union européenne et les 77 Etats du groupe ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique). Conclu pour vingt ans, cet accord de coopération succède à la convention de Lomé.

    28-29 septembre. Début de la seconde Intifada dans les territoires occupés palestiniens.

    10 octobre. Normalisation des relations commerciales sino-américaines.

    12 octobre. Attentat contre le destroyer américain USS Cole dans le port d'Aden (Yémen). Revendiqué par Al-Qaida, il cause la mort de douze marins.

    Le choc du 11-Septembre 2001

    Janvier. Premier Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil), tenu aux mêmes dates que le Forum économique mondial de Davos (Suisse).

    13 mars. Les Etats-Unis rejettent le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre.

    20-22 avril. M. George W. Bush présente, lors du Sommet des Amériques, le projet de création d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) regroupant tous les Etats américains, excepté Cuba.

    14-15 juin. Création officielle de l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Quatre Etats observateurs (l'Inde, le Pakistan, l'Iran et la Mongolie) intégreront cette organisation.

    20-21 juillet. Plus de 300 000 personnes manifestent à Gênes (Italie), à l'occasion de la réunion du G8. Un jeune altermondialiste, Carlo Giuliani, est tué par les carabiniers. On dénombre également des centaines de blessés.

    11 septembre. Les attentats contre le World Trade Center, à New York, et le Pentagone, à Washington, font près de trois mille morts.

    7 octobre. Intervention militaire en Afghanistan, avec l'aval des Nations unies, d'une coalition dirigée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni.

    23 octobre. Lancement du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad).

    11 décembre. La Chine entre à l'OMC.

    13 décembre. Les Etats-Unis se retirent du traité américano-soviétique de défense antimissile (ABM, 1972), qui interdisait le déploiement d'un bouclier antimissile sur le sol américain.

    2002

    29 janvier. M. Bush qualifie l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord d'« axe du Mal ».

    18-22 mars. La conférence des Nations unies sur le financement du développement, réunie à Monterrey (Mexique), adopte le « consensus de Monterrey », selon lequel les problèmes se règleront par les investissements privés et le libre-échange.

    11-14 avril. La CIA participe en sous-main au coup d'Etat tenté contre le président vénézuélien Chávez.

    21 mai. Washington annonce que les Etats-Unis ne ratifieront pas le traité instituant la Cour pénale internationale (CPI), signé par M. Clinton en décembre 2000.

    Juillet. WorldCom, le géant américain des télécommunications, dépose le bilan. C'est la plus grosse banqueroute (frauduleuse) de l'histoire.

    20 septembre. Adoption par les Etats-Unis d'une nouvelle « stratégie de sécurité nationale » prévoyant notamment des attaques préventives contre les « Etats voyous ».

    12 octobre. A Bali (Indonésie), une série d'attentats islamistes visant deux discothèques de Kuta Beach et le consulat des Etats-Unis fait 187 morts.

    Invasion de l'Irak 2003

    20 mars. Début de l'opération militaire américano-britannique « Liberté de l'Irak ». Bagdad tombe le 9 avril. Le 1er mai, M. Bush déclare que la « mission » en Irak est « remplie ».

    26 août. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) affirme avoir découvert en Iran des taux d'uranium enrichi supérieurs aux normes civiles. Elle intime peu après à Téhéran de prouver qu'il ne développe pas l'arme nucléaire.

    30 août. Un compromis est trouvé à l'OMC, après plusieurs mois de négociations, pour l'accès des pays du Sud aux médicaments génériques.

    10-14 septembre. Echec de la conférence de l'OMC à Cancún (Mexique) : le Sud refuse l'accord sur l'agriculture proposé par les Etats-Unis et l'Union européenne, ainsi que l'ouverture de négociations sur l'investissement, la concurrence, les services et l'ouverture des marchés.

    2004

    Janvier. Signature de l'Accord de libre-échange de l'Asie du Sud (SAFTA) entre le Bangladesh, le Bhoutan, l'Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka.

    29 février. Les Etats-Unis, aidés par la France, démettent de ses fonctions le président haïtien, M. Jean-Bertrand Aristide.

    11 mars. Des bombes explosent dans des trains de voyageurs en gare d'Atocha, dans la banlieue de Madrid. Le bilan s'élève à près de 200 morts.

    2 avril. La Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie rejoignent l'OTAN.

    Mai. Indignation dans le monde après la publication de témoignages et de photographies sur les tortures de l'armée américaine dans la prison d'Abou Ghraib, en Irak.

    3 septembre. Une prise d'otages dans une école de Beslan, en Ossétie du Nord, se solde par la mort de 340 personnes — en majorité des enfants — après l'intervention des forces spéciales russes.

    6 octobre. Le rapport de la mission américaine chargée d'enquêter sur la présence d'armes de destruction massive en Irak conclut que Saddam Hussein n'en possédait plus depuis 1991.

    26 décembre. Un tremblement de terre, au large de l'Indonésie, provoque un raz de marée géant causant la mort de près de 220 000 personnes en Asie du Sud.

    2005

    17 janvier. M. Bush évoque une intervention armée pour arrêter le programme nucléaire iranien.

    10 février. La Corée du Nord annonce qu'elle détient l'arme nucléaire afin d'assurer son « autodéfense contre la volonté américaine de [l'] étouffer ».

    2 mai. Pour la première fois, le candidat élu au poste de secrétaire général de l'Organisation des Etats américains (OEA), le Chilien José Miguel Insulza, n'est pas le postulant soutenu par les Etats-Unis.

    20 octobre. L'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) adopte la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, malgré l'opposition de Washington.

    Des Etats-Unis plus isolés 2006

    16 mars. M. Bush dévoile sa « nouvelle » doctrine stratégique de sécurité nationale, axée sur la notion de « guerre préventive ». Sept pays sont qualifiés de « despotiques » : l'Iran, la Corée du Nord, la Biélorussie, la Birmanie, Cuba, la Syrie et le Zimbabwe.

    11 avril. Selon le président iranien, M.Mahmoud Ahmadinejad, l'Iran a « rejoint le club des pays disposant de la technologie nucléaire ».

    Juin-novembre. Après avoir évacué la bande de Gaza en septembre 2005, l'armée israélienne y lance deux vastes opérations terrestres et aériennes.

    15-17 juillet. La tenue du G8 à Saint-Pétersbourg (Russie) consacre le retour de la Russie au sein du club des grandes puissances.

    12 juillet-14 août. Le Hezbollah ayant capturé deux soldats israéliens et en ayant tué huit autres, le premier ministre d'Israël, M. Ehoud Olmert, déclenche une offensive militaire au Liban. Le bilan est de près de 1 200 morts côté libanais, et 150 morts côté israélien.

    26 septembre. Une étude du renseignement américain affirme que la guerre en Irak a « aggravé la menace terroriste » et renforcé l'islamisme radical.

    12 octobre. La revue médicale britannique The Lancet estime que près de 650 000 Irakiens seraient décédés à la suite de l'occupation américaine.

    16 octobre. Le président Bush impose des sanctions contre le régime soudanais, qu'il accuse de commettre un génocide au Darfour.

    Novembre. Le Vietnam devient le 150e Etat membre de l'OMC.

    23 décembre. Le Conseil de sécurité des Nations unies instaure un embargo sur le programme nucléaire iranien, mais n'autorise pas le recours à la force. Les sanctions économiques sont durcies trois mois plus tard.

    2007

    10 janvier. M. Bush annonce l'envoi de 21 500 soldats supplémentaires en Irak.

    27 juillet. La Bolivie du président Evo Morales signe un accord pour l'exploitation du minerai de fer avec une compagnie indienne. C'est le premier investissement indien d'importance en Amérique latine.

    Août. Effondrement du marché américain des crédits immobiliers à risque (subprime). Début de la crise financière.

    16 septembre. Selon les prévisions de The Economist, le poids des pays émergents dans l'économie mondiale devrait dépasser les 60 % en 2025, retrouvant un pourcentage équivalent à celui du début du XIXe siècle, quand la Chine et l'Inde dominaient la production manufacturière mondiale.

    17 septembre. La Chine accorde un prêt de 5 milliards de dollars à la République démocratique du Congo (RDC).

    1er octobre. Washington crée un commandement régional militaire unique pour l'Afrique (Africom).

    10 décembre. L'Argentine, la Bolivie, le Brésil, l'Equateur, le Paraguay et le Venezuela créent une nouvelle institution régionale latino-américaine, la Banque du Sud, pour prendre leurs distances avec la Banque mondiale et le FMI et retrouver leur autonomie financière.

    Nouvelle politique ou nouveau discours ? 2008

    21 janvier. Les Bourses mondiales s'effondrent. Elles plongeront à nouveau en octobre.

    19 février. Le président cubain Fidel Castro prend sa retraite politique. Les Etats-Unis indiquent qu'ils ne changeront pas leur politique à l'égard de Cuba.

    Mars. L'armée chinoise réprime violemment une série de manifestations au Tibet, organisées à l'occasion du 49e anniversaire du soulèvement de 1959.

    8 avril. Le FMI évalue à 945 milliards de dollars le coût de la crise financière.

    23 mai. Signature du traité constitutif de l'Union des nations sud-américaines (Unasur).

    24 mai. En visite à Pékin, le nouveau président russe, M. Dmitri Medvedev, déclare : « La coopération sino-russe est devenue un facteur majeur de la sécurité mondiale. »

    8 juillet. Washington obtient l'autorisation de Prague pour l'installation d'une base de radars en sol tchèque dans le cadre du projet américain de bouclier antimissile.

    Août. Guerre entre la Russie et la Géorgie, au sujet des régions séparatistes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie, à laquelle les Etats-Unis et l'OTAN assistent impuissants.

    15 septembre. L'Unasur intervient, sans les Etats-Unis, pour soutenir le président bolivien Morales, victime d'une tentative de déstabilisation.

    23 septembre. « Wall Street tel qu'on l'a connu cessera d'exister », annonce... le Wall Street Journal concernant la crise financière mondiale.

    Octobre. Le Sénat américain approuve le plan de sauvetage du secteur financier (700 milliards de dollars). Le plan européen s'élève, quant à lui, à 1 700 milliards d'euros.

    4 novembre. M.Barack Obama est élu président des Etats-Unis.

    27 décembre. Israël déclenche un assaut contre Gaza. Au terme de vingt-deux jours d'offensive, le bilan est de 1 400 morts.

    2009

    Janvier. L'armée sri-lankaise lance une opération d'envergure contre les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE). Les rebelles annonceront le 17 mai qu'ils déposent les armes. C'est la fin d'un conflit vieux de trente ans, qui aurait fait près de 100 000 morts selon l'ONU.

    17 février. M. Obama promulgue un nouveau plan de relance de l'économie, d'un montant de 787 milliards de dollars.

    27 mars. Le président américain annonce l'envoi de 17 000 soldats supplémentaires en Afghanistan.

    12 juin. Election présidentielle contestée en Iran. M. Ahmadinejad est déclaré vainqueur.

    30 juin. Les troupes américaines se retirent des villes irakiennes.

    5 juillet. Plus de 150 personnes sont tuées au cours d'émeutes dans la province chinoise du Xinjiang.

    6 juillet. Accord entre Washington et Moscou sur les armes nucléaires, qui prend le relais du traité Start I expirant en décembre 2009.

    La guerre froide

    Sat, 07/01/2017 - 15:54
    De l'alliance à l'affrontement 1945

    4-11 février. La conférence de Yalta réunit Franklin Roosevelt, Winston Churchill et Joseph Staline, les dirigeants des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l'URSS. Le communiqué commun annonce une coopération militaire pour le désarmement et l'occupation de l'Allemagne, ainsi qu'un accord sur la prochaine réunion d'une conférence des Nations unies à San Francisco.

    25 avril-26 juin. La conférence de San Francisco réunit les représentants de cinquante nations pour élaborer les statuts de la future organisation internationale (l'Organisation des Nations unies).

    2 septembre. Hô Chi Minh proclame l'indépendance de la République démocratique du Vietnam.

    1946

    5 mars. Constatant l'influence croissante des communistes sur les gouvernements des pays libérés par l'armée rouge, Churchill déclare qu'un « rideau de fer » est tombé sur le continent.

    19 décembre. A la suite du bombardement du port de Haïphong par l'armée française, Hô Chi Minh lance une attaque contre ses garnisons.

    1947

    5 juin. Annonce du plan Marshall (programme américain d'aide à la reconstruction pour l'Europe).

    1949

    2 janvier. La Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie créent le Conseil d'assistance économique mutuelle (Comecon).

    4 avril. Signature à Washington du traité de l'Atlantique nord par les Etats-Unis, le Canada, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Danemark, l'Islande, l'Italie, la Norvège et le Portugal.

    8 mai. Vote de la Loi fondamentale constituant la République fédérale d'Allemagne (RFA).

    29 août. Explosion de la première bombe atomique soviétique.

    1er octobre. Mao Zedong annonce la prise de pouvoir des communistes et proclame la République populaire de Chine.

    7 octobre. La République démocratique allemande (RDA) est proclamée.

    1950

    25 juin. L'armée de la Corée du Nord franchit le 38e parallèle.

    27 juin. Le Conseil de sécurité des Nations unies adopte, en l'absence de l'URSS, une résolution condamnant l'agression nord-coréenne.

    7 juillet. Une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies confie le commandement d'une force onusienne aux Etats-Unis. Seize pays acceptent de venir en aide à la Corée du Sud.

    26 septembre. Du fait de l'ampleur de la contre-offensive, les Nord-Coréens sont repoussés au-delà du 38e parallèle.

    18 octobre. Les forces onusiennes entrent en Corée du Nord et s'emparent de Pyongyang, sa capitale.

    Novembre-décembre. Face à la menace américaine à la frontière mandchoue, les troupes chinoises se portent au secours de leur allié nord-coréen.

    1951

    18 avril. Création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) par la Belgique, la France, la RFA, le Luxembourg, l'Italie et les Pays-Bas.

    Juin-juillet. Stabilisation du front autour du 38e parallèle et début des négociations entre l'ONU et la Corée du Nord.

    1951

    1er novembre. Les Etats-Unis font exploser leur première bombe H avec succès dans les îles Marshall.

    Vers la coexistence pacifique 1953

    5 mars. Mort de Staline. Elle ouvre une période de « dégel » à l'intérieur (libération de prisonniers) comme à l'extérieur.

    17 juin. Soulèvement à Berlin-Est et dans plusieurs villes de RDA. Les autorités soviétiques décrètent l'état d'urgence ; l'insurrection est réprimée par l'armée rouge.

    27 juillet. Signature de l'armistice qui met fin à la guerre de Corée.

    13 septembre. Nikita Khrouchtchev est élu premier secrétaire du Parti communiste.

    1954

    21 juillet. A la suite de la bataille de Diên Biên Phu, les accords de Genève officialisent la fin de la guerre d'Indochine. Il est établi que le Vietnam sera partagé en deux zones de regroupement militaire le long du 17e parallèle. Les Etats-Unis et Ngô Dinh Diêm, le chef du gouvernement de l'Etat vietnamien — créé par les Français à Saïgon en 1949 —, ne ratifient pas la déclaration finale.

    1955

    24 février. L'Irak, l'Iran, le Pakistan et la Turquie signent un traité d'alliance avec le Royaume-Uni (pacte de Bagdad).

    18-24 avril. La conférence de Bandoung des peuples afro-asiatiques consacre l'émergence politique des pays du tiers-monde. Au-delà de la volonté de coopération économique, culturelle et politique, ces nations condamnent le colonialisme et plaident pour la coexistence pacifique et le non-alignement.

    6 mai. Adhésion officielle de la RFA à l'OTAN.

    14 mai. Création du pacte de Varsovie entre l'URSS, la Pologne, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Hongrie et l'Albanie.

    1956

    14-25 février. Lors du XXe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), Khrouchtchev dénonce le culte de la personnalité de Staline et révèle les crimes de l'ancien dirigeant.

    Octobre-novembre. Soulèvement en Hongrie ; Israël, la France et le Royaume-Uni lancent une action conjointe contre l'Egypte, qui a nationalisé la Compagnie du canal de Suez. Sous la pression des Etats-Unis et de l'URSS, le Royaume-Uni, la France et Israël acceptent un cessez-le-feu.

    1957

    5 janvier. Dwight D. Eisenhower annonce au Congrès l'engagement des Etats-Unis contre le communisme au Proche-Orient.

    25 mars. La France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Italie et la RFA signent le traité de Rome, qui établit le Marché commun (la Communauté économique européenne).

    Octobre. Lancement de Spoutnik 1, le premier satellite soviétique.

    1959

    4 janvier. Ernesto « Che » Guevara entre dans La Havane abandonnée par Fulgencio Batista. M. Fidel Castro devient premier ministre.

    15-25 septembre. Première visite de Khrouchtchev aux Etats-Unis. Rencontre avec Eisenhower à Camp David.

    1961

    17 avril. Tentative d'invasion de la baie des Cochons à Cuba organisée par la Central Intelligence Agency (CIA).

    11 mai. Le vice-président américain Lyndon B. Johnson annonce à Saïgon le soutien des Etats-Unis au régime de Diêm. John Fitzgerald Kennedy portera à 15 000 le nombre de soldats américains au Sud-Vietnam.

    12-13 août. Pour enrayer l'exode croissant des citoyens de RDA, les autorités est-allemandes entreprennent la construction du mur de Berlin.

    1962

    Février. Un commandement militaire américain est créé à Saïgon.

    Octobre. L'installation à Cuba de rampes de lancement de missiles soviétiques déclenche une crise majeure.

    L'enjeu vietnamien 1963

    Août. Le traité de Moscou, signé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'URSS, interdit notamment les essais nucléaires dans l'atmosphère.

    1964

    7 août. A la suite du prétendu incident du golfe du Tonkin, le Congrès des Etats-Unis donne au président Johnson la possibilité de « prendre toutes mesures nécessaires pour faire échec au communisme ». Johnson fait bombarder les installations côtières du Nord-Vietnam.

    14 octobre. Khrouchtchev est destitué de toutes ses fonctions. Leonid Brejnev devient premier secrétaire.

    1965

    7 mai. Les marines américains débarquent à Da Nang alors que Moscou livre ses premiers missiles à Hanoï.

    1966

    7 mars. Charles de Gaulle annonce que la France se retire du commandement militaire intégré de l'OTAN.

    1967

    2 mars. Les Etats-Unis déclenchent l'opération « Rolling Thunder » contre le Nord-Vietnam. Ces bombardements massifs se poursuivront jusqu'en 1968.

    1968

    30 janvier. L'offensive du Têt lancée par les forces du Front national de libération du Vietnam (ou Vietcong) et de l'Armée populaire vietnamienne prend les Etats-Unis par surprise. Repoussée, elle affecte cependant l'administration Johnson, dont de nombreuses personnalités se positionnent contre la guerre.

    Janvier-août. En Tchécoslovaquie, le premier secrétaire du PC slovaque, Alexander Dubcek, lance une vague de libéralisation politique, économique et sociale (le printemps de Prague). Les armées des cinq pays du pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie.

    1er juillet. Signature à Londres, Moscou et Washington du traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

    1970

    12 août. Signature du traité germano-soviétique qui confirme le statu quo territorial entre l'Union soviétique et la RFA. Il inaugure l'Ostpolitik en ce qu'il ouvre la voie à la normalisation diplomatique.

    1971

    3 septembre. Signature du traité de Berlin, qui définit le statut de Berlin-Ouest.

    25 octobre. La Chine populaire est admise à l'ONU parmi les membres permanents du Conseil de sécurité.

    1972

    26 mai. Signature, à Moscou, par l'URSS et les Etats-Unis de deux accords sur la limitation des armements stratégiques (SALT I).

    3 octobre. Signature entre les Etats-Unis et l'URSS du traité ABM d'interdiction des missiles antibalistiques.

    21 décembre. Le « traité fondamental » signé par les deux Etats allemands affirme le respect de l'indépendance, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale, du droit à l'autodétermination et de la non-discrimination.

    1973

    27 janvier. Les accords de paix de Paris signés par les Etats-Unis, la République démocratique du Vietnam et le Sud-Vietnam prévoient le retrait des forces terrestres américaines du Vietnam dans un délai de soixante jours.

    1975

    1er août. Signature de l'acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) à Helsinki. Les trente-trois pays européens, à l'exception de l'Albanie, les Etats-Unis et le Canada reconnaissent l'inviolabilité des frontières, le respect des droits de l'homme, la libre circulation des hommes et des idées, la nécessité de développer leurs relations économiques.

    Retour de la tension : la « guerre fraîche » 1976

    9 septembre. Mort de Mao.

    1979

    1er février. Retour à Téhéran de l'imam Ruhollah Khomeiny (en exil depuis 1963), qui proclame la République islamique.

    15-18 juin. Les accords SALT II sont signés à Vienne entre le président James Carter et Brejnev.

    12 décembre. L'OTAN décide du principe de déploiement de nouveaux missiles nucléaires (fusées Pershing-2 et missiles de croisière Cruise) en Europe occidentale. Il s'agit de rétablir un équilibre avec les SS-20 soviétiques.

    27 décembre. Intervention de l'armée soviétique en Afghanistan.

    1980

    Novembre. Ronald Reagan est élu président des Etats-Unis.

    1982

    12 novembre. Iouri Andropov succède à Brejnev, décédé le 10 novembre.

    1983

    Novembre. L'OTAN déploie ses euromissiles (Allemagne, Royaume-Uni, Italie) en réponse aux SS-20 soviétiques. Rupture des négociations sur la limitation des armements.

    La fin de la guerre froide 1985

    11 mars. M.Mikhaïl Gorbatchev est élu secrétaire général du PCUS. Ses mots d'ordre sont : perestroïka (« restructuration ») de l'économie nationale et glasnost (« transparence ») dans les affaires politiques et culturelles.

    1989

    15 février. Les dernières troupes soviétiques quittent l'Afghanistan.

    4-18 juin. Victoire de Solidarnosc aux élections législatives polonaises, un non-communiste dirige le gouvernement pour la première fois à l'Est.

    9 novembre. Chute du mur de Berlin.

    22 décembre. Le régime de Nicolae Ceausescu est renversé par la population roumaine soutenue par l'armée.

    1990

    31 mai-2 juin. Les présidents George H. Bush et Gorbatchev concluent un accord sur la préparation d'une réduction des armements stratégiques offensifs.

    Août. L'URSS condamne l'invasion du Koweït par l'Irak et ne s'oppose pas aux diverses résolutions.

    1991

    Janvier-mars. Les pays baltes se déclarent favorables à l'indépendance.La Géorgie fait sécession tandis que neuf des quinze Républiques soviétiques acceptent de participer à un référendum sur l'organisation d'une « Union rénovée ».

    1er juillet. Dissolution du pacte de Varsovie.

    3 octobre. Unification de l'Allemagne.

    21 décembre. Dissolution de l'URSS.

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