Vendredi 19
avril, au terme de plusieurs mois de négociations accompagnées de promesses
sonnantes et trébuchantes, puis de menaces, les Etats-Unis ont été finalement contraints
d’accepter de devoir retirer leurs troupes du Niger. Après les Français, les voilà
donc eux aussi, chassés d’un pays qui, jusque-là, n’avait rien à leur refuser.
Avec ce départ
exigé par les autorités de Niamey au pouvoir depuis le coup d’Etat du 26
juillet 2023, les Etats-Unis vont perdre leur importante base d’Agadez
spécialisée dans l’écoute et dans la guerre électronique. Une emprise qui leur
permettait de surveiller toute la bande sahélienne, la profondeur saharienne
libyenne, ainsi que toute la région péri-tchadique. Cette base qui leur avait
coûté plus de 100 millions de dollars abritait également les drones utilisés
dans la lutte contre les groupes jihadistes.
Les Etats-Unis
avaient pourtant pensé que, contrairement à la France, n’étant pas l’ancienne
puissance coloniale, ils allaient donc pouvoir rester au Niger, d’autant plus
que, jusque-là, ce pays parmi les plus pauvres du monde, n’avait jamais résisté
aux « arguments » du dollar…
Mais les temps
ont changé. Avec l’émergence de nouvelles puissances -Russie, Chine ou encore
Inde-, les pays africains peuvent désormais se permettre de ne plus être de
simples correspondants acquiesçant docilement aux diktats, notamment
démocratiques, des « Occidentaux ». Ou bien d’apparaître comme d’obéissants
vassaux contraints de reconnaître les nouvelles normes morales occidentales -« théorie
du genre » ou « singularités » LGBT-, nouveautés totalement
incompréhensibles en Afrique où un homme est un homme… une femme… une femme…
Le 16 mars, le
Niger avait déjà annoncé la rupture « avec effet immédiat » de
l’accord militaire le liant aux Etats-Unis, vu comme un « accord
imposé ». Parmi les raisons de ce divorce, le colonel Amadou Abdramane
évoqua à la télévision nationale la « condescendance » de madame
Molly Phee, secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires africaines. Cette dernière
avait en effet déclaré avec une arrogante suffisance que les Etats-Unis étaient
prêts à reprendre leur coopération à condition que le Niger rétablisse la
démocratie et cesse d’entretenir des relations avec la Russie.
De telles
exigences furent naturellement jugées inacceptables par les militaires au
pouvoir à Niamey et ils refusèrent donc cette mise en demeure qui déniait « au
peuple nigérien souverain le droit de choisir ses partenaires ».
Les centaines
de millions de dollars engloutis par les Etats-Unis dans d’aussi multiples qu’inutiles
programmes d’aide au développement n’auront donc pas suffi, Washington n’ayant en
effet pas compris que le temps des ingérences et de l’alignement était terminé.
Au même moment, le Niger s’ouvrit avec enthousiasme à la Russie. Qu’en
adviendra-t-il ? L’avenir le dira…
Quoiqu’il en
soit, les premiers conseillers militaires russes ont débarqué à Niamey le 10
avril dernier avec une importante quantité de matériel. Cette nouvelle coopération
nigéro-russe a été illustrée à la fin du mois de mars par un long et chaleureux
entretien téléphonique entre le président Poutine et le général Abdourahamane
Tiani, chef de la junte. L’homme auquel, avec un grand sens des réalités adossé
à une fine connaissance des mentalités africaines, le président Macron avait,
tel un maître à son valet, ordonné, sous menace d’intervention ( !!!), de
rendre sur le champ le pouvoir à son protégé, le président Bazoum, dont le
poids ethnique, donc politique, est de moins de 0,5% de la population...
Le plus grave
est qu’au lieu de tirer les leçons de ces échecs, ceux qui prétendent faire la
politique africaine de la France tentent maintenant de dégager leurs
responsabilités en criant au complot russe et chinois. Une attitude pathétique qui
ne trompe personne car c’est bien leur incompétence, leur aveuglement et leur arrogante
volonté d’imposer leurs « nuées » sociétales aux Africains, qui ont ouvert
les portes du continent à ces nouveaux acteurs. Et si ces derniers y sont bien
accueillis, c’est parce qu’ils n’y viennent pas pour y donner des leçons de
« bonne gouvernance », pour y demander aux populations de croire qu’un
homme peut accoucher ou que la démocratie individualiste est la solution pour
des pays à structures communautaires…
En Afrique, la
redistribution géostratégique est donc en cours d’achèvement. Au Sahel, après
s’être fait mettre à la porte du Mali, du Niger et du Burkina Faso pour avoir obstinément
décidé d’ignorer les avis des connaisseurs de la région, les « décideurs »
français assistent aujourd’hui impuissants au développement d’un mouvement qui s’étend
désormais au Tchad et au Sénégal. Bientôt sera donc définitivement fermée une
parenthèse africaine française ouverte à la fin du XIX° siècle dans ces
« Terres de soleil et de sommeil » si chères à Ernest Psichari.
Devant un tel
désastre, que l’on ne s’étonne donc pas que certains, à la suite du grand
historien qu’était René Grousset (1885-1952), en arrivent à dire que : « Quand
le destin a inutilement prodigué à une société (…) tous les avertissements, et
qu’elle s’obstine dans le suicide, sa destruction n’est-elle pas une
satisfaction pour l’esprit ? »
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Histoire du Sahel des origines à nos jours.