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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
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Brexit : « Les difficultés de Theresa May ne justifient pas de sacrifier les solidarités historiques aux saccades de l’actualité »

jeu, 21/03/2019 - 11:46

Les dirigeants européens se réunissent aujourd’hui à Bruxelles pour un nouveau sommet « décisif » sur le Brexit, alors que le Royaume-Uni est toujours divisé sur le sujet, à une semaine de l’échéance officielle. Quelles sont les issues envisageables ? Entretien avec Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du programme Europe, stratégie et sécurité.

Comme se fait-il que le Royaume-Uni se trouve dans une telle position de faiblesse aujourd’hui, à une semaine de la date officielle du Brexit ?

Pour tout dire, la situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui n’avait rien d’automatique. Le Royaume-Uni est en proie aux divisions intestines les plus vivaces depuis trois ans, certes. Il n’en reste pas moins que Londres a commis beaucoup d’erreurs « non forcées » depuis le début de ces négociations, comme l’on dirait au tennis, tant du point de vue tactique et stratégique, que du point de vue politique et intellectuel.

D’une part, les Britanniques ne sont pas dans une discussion bilatérale classique, où ils ont leurs repères et sont plutôt à l’aise. Londres a tenté de négocier en direct avec Berlin et même Dublin, avant de se rendre à l’évidence que cette négociation avait ceci de spécifique qu’elle met aux prises un pays et vingt-sept autres.

Deuxième élément que le Royaume-Uni a tardé à comprendre, c’est qu’il abordait ces négociations dans une position structurelle de faiblesse. Londres n’y est pas forcément habitué et l’Histoire y est naturellement pour beaucoup. Cela peut paraître évident, mais le poids économique et juridique du marché unique explique que le rapport de force ne soit pas en faveur des Britanniques.

Enfin, le Royaume-Uni a refusé de comprendre que l’Union européenne n’était pas uniquement un projet économique. Londres a du mal à saisir que l’on puisse privilégier un bénéfice politique à long terme, par rapport à l’impact économique à court terme sur l’industrie automobile allemande ou sur le Nord de la France. Paris et Berlin peuvent s’accommoder de certains dommages économiques à court terme, car le démantèlement de l’Union à long terme constitue aux yeux du couple franco-allemand un danger plus immédiat pour l’Europe.

C’est ce qui explique l’unité stratégique des Européens, que Michel Barnier a mise en musique de manière extrêmement méticuleuse et professionnelle. L’unité des Européens a aussi des ressorts tactiques : elle s’explique tout simplement parce que c’est une tactique qui a été très efficace, et qui continue de faire ses preuves. Le Royaume-Uni s’est davantage divisé en son sein que les vingt-sept acteurs qui lui ont fait face.

Je ne parle pas des erreurs tactiques comme la convocation d’élections générales anticipées, qui ont détruit la majorité parlementaire de Theresa May et qui la laissent aujourd’hui à la merci des Unionistes nord-irlandais, ce qui rend le problème de la frontière irlandaise inextricable.

De quelles marges de manœuvre le Royaume-Uni dispose-t-il encore dans les négociations ?

Les Européens considèrent les discussions comme achevées du point de vue de l’accord de sortie. Les négociations n’iront donc pas au-delà sur ce point. Cela n’a rien d’illogique puisque l’on sort de deux ans de négociations, mais cela n’a pas toujours été bien compris à Londres. Au contraire, l’on entend encore chez certains conservateurs que « l’Union européenne plie toujours à la fin ».

Il y a en revanche davantage de marge de manœuvre s’il s’agit d’amender la déclaration d’intention qui est adjointe à l’accord de sortie, à condition que le Royaume-Uni souhaite changer l’orientation de son rapport futur avec le bloc européen. Si une majorité parlementaire se dégageait pour un Brexit moins dur par exemple, cela pourrait se répercuter dans la déclaration politique.

Theresa May va demander un délai aux Européens ce jeudi pour prolonger les discussions sur la sortie du Royaume-Uni. Que doivent-ils faire ?

Michel Barnier a dit que l’UE ne serait pas forcément favorable à l’extension de l’article 50, car cela prolongerait l’incertitude et les coûts économiques pour les entreprises. Je comprends son point de vue, mais je trouve que l’Union commettrait une erreur non forcée si elle refusait l’extension courte.

Aux yeux des opinions publiques, la responsabilité de la situation actuelle, comme celle d’une absence d’accord éventuelle, échoit aujourd’hui au gouvernement britannique. Même les conservateurs britanniques ont du mal à convaincre que la faute en revient aux Européens, c’est dire ! Il ne faut pas prendre cette perception à la légère. Elle aura un impact à moyen et à long terme, y compris face à l’Histoire. L’Union européenne aurait tort de s’en écarter sans raison, en risquant de se rendre responsable d’une absence d’accord. En somme, il me semble que les bénéfices qu’elle retirerait d’un refus d’une extension, tels que les met en avant Barnier, ne sont pas suffisants au regard des inconvénients politiques.

Enfin, il faut faire attention à ne pas se laisser emporter par les émotions de court terme. Les difficultés de Theresa May ne justifient pas de sacrifier les solidarités historiques aux saccades de l’actualité. Le Royaume-Uni est un pays ami et voisin. Il serait dangereux qu’une acrimonie politique à court terme mette en danger les liens stratégiques à plus long terme. Même s’il s’agit de dossiers un peu moins médiatiques aujourd’hui, le continent a besoin des Britanniques pour combattre le terrorisme, assurer la stabilité du Sahel ou encore s’adresser à la Russie.

La question de l’extension longue qui s’étendrait par-delà les élections européennes est complètement différente. La lassitude provoquée par le Brexit des deux côtés de la Manche rend cette hypothèse délicate à mettre en œuvre. De même, organiser un second référendum aurait des conséquences tout à fait néfastes sur le tissu démocratique britannique, mais aussi européen. Londres a choisi la voie du référendum, il lui faut désormais aller au bout.

« Il est peut-être temps de rénover les Jeux de la Francophonie »

mer, 20/03/2019 - 15:54

Les Jeux de la Francophonie fêtent leurs trente ans. Cet événement qui mélange sports et culture est-il toujours pertinent ?

Pour moi, cet événement l’est toujours puisqu’il s’inscrit dans l’ADN, dans la logique de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) depuis trente ans. Il a donc une histoire. Une véritable chronologie a accompagné ces Jeux de la Francophonie, depuis 1989.

Ces Jeux symbolisent aussi l’importance que la Francophonie a accordé au sport mais également à la culture, puisqu’ils sont porteurs de ces deux aspects.

Ils sont encore pertinents. Mais ils doivent faire face à un certain nombre d’enjeux et d’obligations qui peuvent perturber leur déroulé. Il y a notamment le fait que le calendrier puisse s’alourdir. Il y a aussi la question des charges qui ont entraîné l’annulation de la candidature canadienne pour les Jeux de la Francophonie 2021. Cette annulation pousse l’organisation à s’accélérer alors que cette édition est censée avoir lieu dans deux ans.

Le Nouveau-Brunswick devait effectivement organiser l’édition 2021 mais cette province canadienne a fait machine arrière. Selon vous, ce revirement est-il lié au contexte canadien ? Ou est-il symptomatique des difficultés des Jeux de la Francophonie ?

J’ai tendance à voir cet abandon à travers deux aspects. Il y a tout d’abord la question du coût de ces Jeux qui a été mis en avant par le gouvernement local. Ce coût semblait beaucoup trop important par rapport aux retombées envisageables. Il y a eu un dépassement des budgets initiaux.

Mais cet abandon est aussi symptomatique d’une perte de vitesse des Jeux qu’on a pu constater au cours des dernières années. Il y a eu des éditions extrêmement importantes, comme celle de Beyrouth en 2009. Celles de Nice (2013) et d’Abidjan (2017) ont également été importantes et intéressantes. Mais elles ont sans doute été un tout petit peu en-deçà des attentes des organisateurs. […]

Le budget conventionnel des Jeux de la Francophonie est de 10 millions d’euros. Est-ce réaliste, de nos jours, de vouloir organiser un événement multisport et culturel de cette ampleur avec de tels moyens ?

C’est une vraie question. Ce qui est important, c’est le fait de voir quels sont les dispositifs mis en œuvre. Ça semble intéressant et réalisable si les Jeux de la Francophonie se déroulent dans le cadre d’une ville, d’une région ou d’une province qui dispose déjà d’infrastructures, et que ces Jeux s’intègrent à ces infrastructures existantes ainsi qu’à un agenda. Les retombées sont alors extrêmement positives sur le court terme, mais aussi sur le plus long terme.

Cependant, certains éléments ont conduit au dépassement de ces budgets initiaux et à tirer la sonnette d’alarme sur les conséquences que risquaient d’engendrer les Jeux de la Francophonie.

Mais, au-delà des problématiques budgétaires – ô combien essentielles –, il faut aussi se poser la question de savoir ce que veulent être les Jeux de la Francophonie et comment ils veulent exister par la suite. […] Trente ans après la première édition, il faut vraiment se poser la question de l’avenir qu’on veut pour les Jeux de la Francophonie. Il faut aussi se demander comment on veut écrire l’avenir de la Francophonie, par le biais du sport et par celui de la culture.

Le calendrier des compétitions sportives internationales est surchargé. Est-ce que les Jeux de la Francophonie y ont encore toute leur place, en tant qu’événement multisport de haut-niveau ?

Les Jeux de la Francophonie sont aussi intéressants parce qu’ils sont à la fois à destination de la jeunesse, à celui du monde de la culture et à celui du monde du sport. C’est vrai que le calendrier sportif est surchargé. Mais ce qui a prévalu jusqu’à présent avec ces Jeux, c’était un mélange de sportif et de festif. C’est ce qui a fait l’ADN de cet événement.

Des éléments sont en train de changer. Parmi ceux-ci, il y a le calendrier sportif qui pèse dans les esprits mais aussi sur des athlètes qui sont déjà extrêmement sollicités. Pourtant, là encore, il faut garder en tête que les Jeux de la Francophonie doivent rester un vrai rendez-vous dans l’agenda des sportifs, s’ils veulent continuer à exister et ne pas être délaissés.

Des personnalités du monde sportif ont signé une tribune dans la presse française pour défendre les Jeux de la Francophonie. Leur existence vous parait-elle en danger ?

Je ne dirais pas qu’ils sont en danger, dans l’immédiat. Cette tribune me parait assez intéressante. Elle arrive trente ans après les premiers Jeux, à un moment où il est peut-être temps de rénover les Jeux de la Francophonie, de faire évoluer un peu leur dispositif. Il ne s’agit pas de les révolutionner mais de leur donner un nouveau départ.

L’idée de cette tribune était également d’attirer à la fois l’attention sur la Journée internationale de la Francophonie, mais aussi sur ces Jeux qui ont tendance à être un peu négligés et oubliés. Ils sont pourtant porteurs de messages extrêmement importants, à la fois dans le domaine de la Francophonie et dans celui du sport. […]

Quel va être l’avenir de la Francophonie d’un point de vu sportif ? Et surtout, quelle est la diplomatie sportive francophone qu’on peut aujourd’hui mettre en œuvre. Si chaque pays a pu mettre en place une diplomatie sportive, qu’en est-il de la Francophonie ? Est-ce qu’il y a une volonté commune d’aller dans la même direction et de faire passer un certain nombre de messages ? Ou, au contraire, est-ce qu’on reste dans une logique plutôt nationale ? Auquel cas, les Jeux de la Francophonie pourraient perdre de l’influence et être potentiellement remis en cause dans les prochaines années, compte tenu du calendrier sportif et compte tenu d’un certain nombre d’obligations.

Plans d’urgence pour le Brexit : vers un « accord sans accord » ?

ven, 18/01/2019 - 17:55

Après le rejet au Parlement britannique de l’accord sur le Brexit passé entre Londres et Bruxelles, Theresa May doit présenter un “plan B” d’ici au 21 janvier. Mais en prévision d’un éventuel Brexit “dur”, le Premier ministre français, Edouard Philippe a lancé un plan d’urgence. De quoi relève-t-il ? Ces plans d’“accord sans accord” pourraient-ils se généraliser pour maintenir les relations avec le Royaume-Uni ? Avec quelles conséquences ? Le point de vue de Rémi Bourgeot, chercheur associé à l’IRIS.

Le Premier ministre français, Edouard Philippe, a annoncé, jeudi 17 janvier, à l’issue d’une réunion à Matignon, son plan d’urgence pour faire face à un Brexit sans accord. Que contient ce plan et quels sont ses objectifs ?

Ce plan prévoit en particulier d’investir dans les infrastructures portuaires et aéroportuaires pour répondre à l’accroissement des procédures douanières qu’impliquerait une sortie sans accord du Royaume-Uni fin mars, tout en prévoyant de ne pratiquer que les contrôles les plus minimaux. La période de transition, qui prévoit une continuation de l’essentiel des conditions actuelles, marquée par une extrême fluidité des échanges, ne peut s’enclencher que dans le cadre d’un accord de sortie.

Une sortie sans accord se traduirait par des échanges régis par les règles de l’OMC. Les tarifs extérieurs pratiqués par l’UE dans le cadre du système de l’OMC sont faibles sur la plupart des marchés, et ce serait également le cas de ceux que mettrait en place le Royaume-Uni. L’ordre de grandeur de ces tarifs est inférieur aux variations de change euro/sterling auxquelles sont confrontées les entreprises des deux côtés de la Manche. Cependant, ce cadre reste évidemment bien plus lourd en termes de procédures douanières et réglementaires que les échanges dans le cadre du marché unique. C’est ce qui fait craindre une situation chaotique sur le plan logistique, si près de l’échéance.

La sortie sans accord n’est pas nécessairement catastrophique en tant que telle, à condition qu’elle soit mise en place avec une certaine visibilité qui permette une préparation adéquate autant au niveau des entreprises que des États. Or, il est très tard désormais. Au-delà du chaos des négociations entre Londres et l’UE et sur la scène politique à Westminster, l’ensemble des responsables politiques au Royaume-Uni et en Europe s’accordent sur la nécessité de préserver les liens économiques et humains. Le principal ennemi aujourd’hui, commun à toutes les parties prenantes, c’est le temps qui nous sépare du 29 mars.

Constatant le caractère particulièrement épineux de la question du « backstop » irlandais (qui prévoit un statut commercial particulier pour l’Irlande du Nord en fonction de l’évolution des négociations sur la future relation avec l’UE), les deux parties auraient pu travailler à un scénario contournant les tabous liés à la conclusion d’un accord général tout en évitant une rupture commerciale.

Si proche de l’échéance du 29 mars, le plan du gouvernement Philippe répond ainsi à l’urgence logistique qui risque de paralyser une partie des infrastructures, notamment dans le nord de la France, comme ce serait également le cas en Belgique et aux Pays-Bas, pays par lesquels transite une grande partie des marchandises asiatiques destinées au Royaume-Uni.

Le plan d’urgence du gouvernement ne se limite cependant pas aux infrastructures douanières et indique une volonté plus générale de préservation des liens. Il traite aussi de la question des citoyens britanniques résidant en France, qui continueraient à bénéficier de leurs droits sociaux et disposeraient d’une année pour obtenir un titre de séjour, le tout étant conditionné à une certaine réciprocité de la part du gouvernement britannique. Par ailleurs, le plan prévoit que les entreprises britanniques puissent continuer à pratiquer le transport routier en France, mais aussi que le secteur financier britannique puisse en partie continuer à servir le marché français, en particulier en ce qui concerne les contrats d’assurance. Enfin, la coopération en termes d’équipement militaire était également couverte par ce plan d’urgence.

Ce modèle de plan d’urgence pourrait-il devenir la base d’une sorte “d’accord sans accord” généralisé à l’ensemble de l’Union européenne ?

Étant donnée l’expression d’un fond de panique à Londres et de par le continent, on ne peut que constater le souhait unanime de maintenir les relations. Le « backstop irlandais » a été conçu, au cours de ces longues négociations, comme une contrepartie à l’idée d’un cadre commercial éventuel n’incluant rien de ce qui se rapprocherait de l’idée d’union douanière. Cette approche est à la fois de nature politique, avec l’idée de préserver le projet européen en accroissant le coût politique d’une sortie, mais en sous-estimant le rejet massif de la part des députés britanniques, et suit une lecture qui se veut mathématique des différents types de relations commerciales. Les accords commerciaux dans le monde et en Europe suivent en réalité une logique plus complexe, qui inclut d’inévitables contradictions, qu’il s’agisse de la Norvège (qui participe au marché unique sans même être en union douanière avec l’UE, et qui n’a pas pour autant de frontière dure avec la Suède), la Suisse (avec sa multitude d’accords particuliers avec l’UE, dont l’accès des citoyens au marché du travail suisse a été remis en cause ces dernières années), la Turquie (dont les termes de l’union douanière avec l’UE excluent d’importants marchés), le Canada ou l’Ukraine…

Les accords commerciaux se rattachent à de larges notions, voire à des idéaux comme le libre-échange. Derrière ces objectifs, un accord commercial, quel que soit le nom qu’on lui donne, reste souvent la somme d’une multitude d’accords sur des marchés très variés.

Theresa May a travaillé à la conclusion de ce qu’elle pensait être le meilleur accord de sortie atteignable avec l’UE, comprenant une condition sur l’Irlande du Nord qui est jugée inacceptable à Westminster. Des idées circulent aujourd’hui pour s’orienter vers un cadre encore plus général qui règle à la fois la sortie et la relation future sous la forme d’une union douanière ou du marché unique, voire même un nouveau référendum qui pourrait consacrer l’annulation du Brexit. Il s’agirait naturellement d’une rupture avec l’interprétation du vote du Brexit qu’avait proposée la Première ministre dans les semaines qui avaient suivi le vote.

Si l’on se met d’accord sur un ensemble de règles pour maintenir les liens économiques, on se rapproche en réalité d’une forme d’accord, tout en évitant les tabous et des concessions politiques inacceptables de part et d’autre. Un « accord sans accord » aurait un caractère labyrinthique sur le plan politique, mais l’UE n’a plus à démontrer son excellence dans ce domaine. Derrière des artifices potentiellement complexes sur le plan politique, l’important serait avant toute chose que, à l’échelle des entreprises et des individus concernés, la situation reste simple et prévisible.

Que signifie un Brexit dur en matière économique tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne ? Quid de la frontière nord-irlandaise ?

Un Brexit sans accord, mais surtout dans la précipitation, signifie de l’incertitude sur les opérations commerciales entre le Royaume-Uni et les pays de l’UE dans un premier temps. Les plans d’urgence que vont adopter les divers pays concernés devraient permettre de neutraliser un certain nombre de risques, mais on restera confronté à certaines inconnues, notamment en ce qui concerne les opérations financières complexes, Londres étant la capitale financière de l’UE et même de la zone euro en particulier, si l’on considère le volume de contrats financiers en euros. D’un côté l’urgence force les diverses parties à affirmer plus concrètement leur souhait de maintenir les relations commerciales ; ce qui indique en fait un fond de convergence entre les capitales européennes et Londres et pourrait conduire à une nouvelle base pour une entente plus discrète. De l’autre, l’imminence du Brexit pose un ensemble de problèmes très concrets, qui amènent à réfléchir à l’idée de repousser la sortie formelle pour en préparer les conditions.

En ce qui concerne la frontière nord-irlandaise, Dublin souhaite naturellement préserver les liens économiques considérables avec l’Irlande du Nord, et avec l’ensemble du Royaume-Uni plus généralement. Au-delà des aspects tactiques des échanges en cours, on peut s’attendre à ce que le gouvernement irlandais mette en place un vaste plan d’urgence pour fluidifier autant que possible les échanges, en l’absence d’accord de sortie le 29 mars.

« Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ? » (2/5) – L’hégémonie libérale est morte, vive l’hégémonie illibérale !

ven, 18/01/2019 - 17:22

 

A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles, Pascal Boniface publie une série d’articles d’analyse portant sur l’hégémonie libérale et la politique extérieure de Donald Trump.

 

La critique de l’hégémonie libérale par Trump est bienvenue mais les solutions alternatives qu’il propose sont aussi, voire encore plus, néfastes que cette hégémonie.

Trump pose les bonnes questions, mais apporte les mauvaises réponses.

La méthode tout d’abord, tans sur le retrait de Syrie annoncé que sur les autres décisions : aucune consultation avec aucun autre allié. Trump décide seul à partir d’un agenda qui lui est propre et sans tenir aucunement compte des effets collatéraux directs ou indirects sur la situation stratégique. Trump n’a pas non plus de réflexion globale sur les intérêts américains ni sur les conséquences régionales (qui pourtant ne peuvent pas n’avoir aucun effet en retour sur les États-Unis). Il s’agit plutôt d’une réaction épidermique de nature à satisfaire les soifs émotionnelles, apparemment prise sans réflexion globale.

Retrait de Syrie ? Pourquoi pas. Mais ne faut-il pas dans ce cas le programmer et ne pas le précipiter ? La décision sur l’Afghanistan est plus compréhensible. Depuis des années, l’État-major réclame sans cesse des effectifs supplémentaires pour un « dernier effort » dans ce qui est devenu la plus longue guerre jamais menée par les États-Unis. Obama a été le premier à accepter le « surge », l’augmentation des troupes américaines après une forte réduction. Or, malgré les milliers de vies perdues, les centaines de milliards de dollars dépensées, en 2018, les Talibans sont toujours aux portes du pouvoir en Afghanistan et la présence militaire américaine toujours indispensable pour les empêcher de s’en emparer.

Mais plus encore, Trump veut en fait poursuivre, par d’autres moyens, la politique hégémonique libérale américaine. Il veut substituer une hégémonie illibérale à l’hégémonie libérale. Car la fin de l’hégémonie libérale ne débouche pas sur une politique multilatéraliste. Trump veut rationaliser l’impérialisme américain, en réduisant les coûts et maximisant les profits.

Personne ne peut avoir l’illusion d’une politique prenant en compte l’existence ou les intérêts des autres Nations. Pour Trump, les États-Unis doivent diriger le monde. Ils n’ont ni alliés ni amis, ils n’ont que des vassaux. Kim Jong-un est mieux traité qu’Angela Merkel parce que Trump a abandonné la politique des droits de l’homme pour satisfaire les besoins de sa propre diplomatie. Mais était-ce mieux avant ? Non. Les apparences étaient plus douces, mais les États-Unis ont toujours, dans leurs dénonciations des violations des droits de l’homme, fait prévaloir le niveau d’alliance sur la réalité du respect des droits de l’homme. La définition des États « voyous », dans les années 1990, censés ne pas respecter les règles de vie commune dans la société internationale, se concentrait sur les adversaires géopolitiques des États-Unis, pas sur le niveau de respect des droits humains.

Trump veut réduire la facture militaire et baser la domination stratégique américaine sur la menace de cette dernière (en tout dernier recours). Mais surtout, il veut profiter de ce qu’il reste encore de la suprématie économique américaine pour faire plier les autres pays, mettant dans un même panier ses alliés, ses rivaux. Il exacerbe les menaces des conséquences des lois extraterritoriales pour faire plier ceux qui naturellement n’auraient pas suivi la voie de Washington.

Le 13 janvier 2019, Trump a menacé de « détruire économiquement la Turquie », si celle-ci s’en prenait aux Kurdes syriens. Il ne s’embarrasse donc même pas d’une justification de non-respect d’une norme internationale. Il s’agit simplement du bon vouloir des États-Unis.

La gestion de l’accord nucléaire iranien est emblématique. Non seulement contre l’avis des cosignataires (alliés comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, ou rivaux comme la Russie et la Chine) et l’avis de la quasi-totalité des autres États (à l’exception d’Israël et de l’Arabie saoudite), Trump a rompu l’accord. Mais surtout, il a décidé de sanctionner les sociétés étrangères qui continueraient à commercer avec l’Iran. Quel que soit l’avis du gouvernement français, Total, Air France, Peugeot et d’autres se sont retirés du marché iranien. Parce qu’aussi prometteur que soit ce marché, il ne peut pas valoir le risque de se voir interdire l’accès au marché américain. Mais si Trump pousse à l’extrême la menace de l’extraterritorialité, il ne l’a pas inventée. C’est entre autres exemples sous Obama que la BNP Paribas (accusé d’avoir contourné l’embargo sur le Soudan et l’Iran) a été condamnée à 9 milliards de dollars d’amende par le département de la justice américaine. Et c’est sur la base de cette législation qu’Alstom est passé sous contrôle américain.

À partir d’une législation d’abord adoptée pour lutter contre la corruption (à la suite du scandale de l’affaire Lockheed dans les années 1970) d’abord à l’encontre des sociétés américaines, il y eut un glissement vers les entreprises étrangères pour des motifs de non-distorsion de la concurrence, on est parvenu à donner au département de la Justice américaine un pouvoir de niveau international. Les États-Unis refusent la justice internationale, à l’image de la CPI, mais ils veulent que leur justice nationale puisse s’exercer à l’échelle mondiale. Mais cet impérialisme économique n’est pas né avec Trump. L’affaire Alstom – General Electric ou le cas de la BNP Paribas sont là pour le prouver.

 

« Profession diplomate – Un ambassadeur dans la tourmente » – 3 questions à Yves Aubin de la Messuzière

ven, 18/01/2019 - 12:24

 

Ancien ambassadeur de France au Tchad, en Irak, en Tunisie et en Italie, Yves Aubin de la Messuzière répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Profession diplomate – Un ambassadeur dans la tourmente » aux éditions Plon.

Vous avez écrit ce livre notamment parce que vous estimez que l’action diplomatique est caricaturée et ignorée, pourquoi un tel constat ?

Les préjugés sur la diplomatie et les diplomates peuplent la littérature et sont parfois relayés par les politiques et même la publicité. Dans « A la recherche du temps perdu » de Proust, le personnage du marquis de Norpois « ambassadeur au langage suranné, déversant une provision de sottises », alimente encore cette image préconçue, tandis que la publicité de Ferrero Rocher véhicule une image de luxe et de sensualité de la confiserie, supposée préférée des diplomates. Le mythe des dorures et de la tasse de thé a la vie dure. L’idée maîtresse de mon livre consiste à montrer, à travers une partie de mon parcours, notamment au Tchad et en Irak, la diversité et la complexité de l’action diplomatique, plus particulièrement dans les zones de crise. Le métier diplomatique a beaucoup évolué dans ce monde hyper connecté et il s’est encore davantage complexifié. A l’heure des réseaux sociaux et des « fake news », l’ambassadeur doit être un décrypteur des situations complexes, dont les analyses permettent d’anticiper les crises. La compétition économique mondiale lui impose de s’engager encore davantage dans la défense des intérêts commerciaux de notre pays, tandis que la multiplication des crises et des actions terroristes en fait un protecteur des communautés françaises expatriées.

Au moment où l’unilatéralisme de Trump est largement critiqué, vous qui étiez ambassadeur en Irak à la fin des années 1990, vous rappelez que la politique de Clinton et Albright à propos de l’Irak n’avait rien de multilatéraliste, pour quelles raisons ?

Sous le mandat de Clinton, la stratégie américaine consistait à contenir le régime de Saddam Hussein et non pas à le renverser. « We let him in his box », proclamait Madeleine Albright. Tout était fait pour empêcher la levée des sanctions et la commission chargée de découvrir les armes de destruction massive était instrumentalisée par Washington, qui n’avait de cesse de contourner l’ONU et son conseil de sécurité. Je raconte dans mon livre comment l’administration démocrate avait monté de toutes pièces des preuves de reprise d’un programme d’armements chimiques dans un palais présidentiel. J’ai contribué à démonter ce mensonge en visitant ce palais. L’initiative de Jacques Chirac de convaincre Kofi Annan de se rendre à Bagdad, en février 1998, pour convaincre Saddam Hussein d’ouvrir ses palais aux inspecteurs s’est heurtée, dans un premier temps, à l’hostilité des Américains. C’est en vain qu’ils ont fait pression sur le Secrétaire général de l’ONU pour qu’il ne signe pas le « Memorandum of understanding » qui a permis de résoudre la crise des Palais présidentiels.

Vous avez également été ambassadeur en Tunisie. Vous vous êtes depuis élevé contre l’idée selon laquelle la diplomatie française n’avait rien vu venir de la révolution de 2011. En quoi cette critique n’est-elle pas recevable ?

Effectivement, au lendemain du renversement de Ben Ali et de Moubarak, Nicolas Sarkozy s’en est pris « aux diplomates qui n’ont rien vu venir ». Critique gratuite, qui m’a amené à écrire un livre « Mes années Ben Ali » dans lequel j’ai publié, avec l’autorisation du Quai d’Orsay, plusieurs télégrammes diplomatiques analysant les risques encourus par le régime tunisien. L’un d’entre eux, adressé en mai 2003, s’intitulait « Réflexion prospective sur la Tunisie en 2010 ». Bien sûr, nous n’avions pas anticipé le scénario tel qu’il s’est déroulé en 2011, mais nos correspondances soulignaient les dérives du régime, son système de prédation de l’économie et surtout le mal-être de la jeunesse. Ils prévoyaient que l’alternance, le moment venu, serait islamiste. D’autres postes diplomatiques dans les pays arabes ont exercé leurs capacités d’analyse et d’anticipation qui forment le cœur du métier diplomatique. Le plus souvent, le problème vient des politiques installés dans leurs certitudes et ne prenant pas en compte les correspondances des ambassades.

 

« Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ? » (1/5) – Le gendarme du monde à la retraite ?

jeu, 17/01/2019 - 15:01

 

A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles, Pascal Boniface publie une série d’articles d’analyse portant sur l’hégémonie libérale et la politique extérieure de Donald Trump.

 

En annonçant le 26 décembre 2018 que les États-Unis ne pouvaient plus être les gendarmes du monde – déclaration accompagnant l’annonce du retrait des forces spéciales américaines de Syrie et la diminution du contingent américain en Afghanistan – Donald Trump a créé un choc dépassant en ampleur les habituelles secousses telluriques faisant suite à ses déclarations.

Les alliés – européens, asiatiques et golfiques – ont de nouveau été atteints du syndrome de l’abandon. Comment allaient-ils assurer leur sécurité si le protecteur traditionnel et omniprésent faisait subitement défaut ? Était-il, de surcroit, moral et pertinent d’abandonner les Kurdes, qui avaient joué un rôle important dans la lutte contre Daesh, à leur propre sort ? N’était-il pas prématuré de se retirer de Syrie avant que Daesh soit définitivement et complètement vaincu ?

Il y eut une tempête de protestations. Le secrétaire à la Défense Jim Mattis (il est vrai donné sortant depuis déjà quelque temps) annonçait sa démission le 1er janvier 2019. S’en suivit une succession d’annonces contradictoires sur l’ampleur et le calendrier du retrait.

Les propos de Trump sont-ils scandaleux ou infondés ? Obama avait déjà fait le même constat, en ne voulant pas être entraîné dans une intervention militaire en Syrie, en ayant résisté au maximum à être entraîné dans celle en Libye, et ne l’avoir fait qu’à la suite d’une pression maximale d’Hillary Clinton. Il devra d’ailleurs par la suite regretter d’avoir cédé. De même, les États-Unis sont intervenus de façon très minimale au Sahel, en se limitant à un soutien logistique à la force internationale. Mais si Obama avait déclaré que les États-Unis ne pouvaient plus être le gendarme du monde comme vient de le faire Trump, il aurait été immédiatement dénoncé pour défaitisme et accusé d’affaiblir le leadership américain. Trump, en prenant pour slogan de campagne « Make America Great Again » n’avouait-il pas implicitement que les États-Unis n’avaient plus les moyens d’être comme auparavant le gendarme du monde, rejoignant ainsi le constat d’Obama ?

La communauté stratégique américaine[1] a quasi unanimement critiqué cette déclaration de Trump. Pourtant, son argumentation ne vaut-elle pas d’être prise en considération quand Trump déclare que les interventions militaires américaines du XXIe siècle (Afghanistan, Irak, Libye) avaient été des catastrophes ?  Celles-ci ont effectivement été extrêmement coûteuses sur le plan économique pour les États-Unis, sans apporter aucune victoire stratégique, et de surcroit, elles ont augmenté et non pas diminué l’hostilité à l’égard des États-Unis dans les régions concernées.

Bref, les vies des soldats américains avaient initialement été perdues pour aider des peuples ingrats qui n’en tiraient aucune reconnaissance pour les États-Unis. C’est en négligeant les besoins intérieurs américains (sociaux, infrastructures, etc.) que Washington avait dilapidé des fortunes pour des contrées lointaines, où il n’y avait pas d’intérêts stratégiques majeurs.

Les alliés avaient déjà paniqué lors de l’élection d’un président qui avait annoncé haut et fort sa fatigue des alliances et des coûts qu’elles représentaient pour les États-Unis et sa volonté de normaliser les relations avec la Russie. Heureusement à leurs yeux, la relation Washington-Moscou ne s’est pas améliorée depuis 2016, malgré la volonté de Trump. Au contraire, des sanctions additionnelles ont été adoptées et Trump, satisfait de l’engagement de dépenses militaires (et de l’achat d’armes américaines) des différents alliés, ne remettait plus en cause le système existant.

Les émissaires américains et leurs relais en Europe, voulant étouffer toute perspective d’autonomie européenne, allaient répéter dans les différentes capitales du vieux continent qu’une telle perspective serait dangereuse, car elle accélérerait un éventuel découplage de la sécurité de l’Europe et des États-Unis, au moment même où Trump s’était rallié à cette idée. Ils argumentaient aussi sur le fait que s’il y avait, du fait des déclarations du président américain, des turbulences dans l’alliance atlantique, l’OTAN, la structure civilo-militaire nécessitait, elle, une base solide et pérenne.

Le début de l’année 2019 a été marqué par la démission, au 1er janvier, du secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, « l’adulte dans la pièce », celui qui rassurait les alliés européens justement parce qu’il était conscient de la nécessité des alliances et du respect des engagements par les États-Unis.

Il apparaissait comme un rempart contre l’unilatéralisme de Trump. Mais de quel rempart s’agissait-il ? Mattis était tout simplement partisan de la politique de l’hégémonie libérale. Il était en faveur de l’Alliance atlantique, parce qu’il avait compris qu’elle était non pas un cadeau fait par les Américains aux Européens, mais le moyen de maintenir l’impérialisme de Washington sur l’Europe et d’empêcher l’émergence d’une quelconque volonté d’autonomie.

Certes, Mattis avait plaidé pour le respect de l’accord nucléaire iranien. Mais il voulait augmenter encore le budget militaire américain pour le faire passer de 717 à 760 milliards de dollars. Trump, qui lors des deux premières années de son mandat avait augmenté le budget de 120 milliards, voulait, lui, marquer une pause. Mattis estimait que cela était dangereux face à la menace de la montée des crédits militaires russes et chinois, qui pourtant, avec respectivement 61 et 170 milliards de dollars en 2017, sont loin de flirter avec les sommets du Pentagone.

Si la communauté stratégique américaine, néo-conservateurs et libéraux réunis, a quasi unanimement fustigé les propos de Trump, l’opinion publique, elle, est plus en phase avec l’argumentation du président américain. Toutes les enquêtes d’opinion le prouvent, les élites américaines sont plus « interventionnistes » et le peuple américain plus « isolationniste ». Trump remet frontalement en cause l’hégémonie libérale qui est l’alpha et l’oméga de la diplomatie américaine depuis la fin de la guerre froide. Or cette théorie est également remise en cause, non dans une série de tweets ou de déclaration à l’emporte-pièce, mais dans un livre solidement documenté et magistralement argumenté par un universitaire américain, Stephen Walt. J’y reviendrais.

 

[1] Les journalistes, experts des think tanks, analystes du département d’État et du Pentagone, généraux à la retraite, etc.

 

 

 

Brésil : quelles perspectives géopolitiques pour 2019 ?

jeu, 17/01/2019 - 09:51

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, répond à nos questions :
– Que peut-on attendre du nouveau gouvernement brésilien ?
– Quelles devraient être les premières mesures du gouvernement brésilien ?
– Qu’attendre du Brésil de Jair Bolsonaro sur la scène géopolitique ?

Brexit : « La démission de Theresa May ne réglerait pas le problème »

mer, 16/01/2019 - 16:40

Theresa May peut-elle se maintenir à la tête du gouvernement alors que le vote désavoue le travail qu’elle effectue depuis maintenant deux ans ?

La situation dans laquelle se trouve May est plus que délicate. À sa place, n’importe quel dirigeant britannique aurait démissionné après cette défaite, qui est la plus ample de l’histoire politique au Royaume-Uni.

Toutefois, il me semble que Theresa May ne va pas choisir cette sortie pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est connue pour son tempérament têtu et obstiné. Deuxièmement, je ne pense pas qu’elle va céder aux parlementaires, car sa priorité est, comme elle répète, « l’intérêt national britannique ».

Enfin, sa démission ne réglerait pas le problème. Le pays demeurerait polarisé, car il n’y a pas de vraie majorité claire. Theresa May sait donc qu’elle est une sorte de plus petit dénominateur commun des différentes factions politiques.

La première ministre a-t-elle un plan de secours afin de sortir de cette impasse ?

Une chose est sûre, c’est que si Theresa May a une solution, elle ne se trouve pas au sein de sa propre formation. En effet, si elle va à droite du parti conservateur, vers les partisans d’un Brexit dur, elle sera bloquée par l’Union européenne, dont elle perdra tout soutien. Dans le cas échéant, si elle va à gauche du parti, elle sera contrée par les Brexiters les plus obstinés. Ainsi, elle n’a pas une grosse marge de manœuvre.

Sa seule porte de sortie, qui n’en est pas vraiment une, serait de prolonger les négociations sur la base de l’article 50. Toutefois, May ne va pas pouvoir repousser indéfiniment la sortie du Royaume-Uni, notamment parce que les élections européennes arrivent à grand pas. Il serait quand même étrange d’élire en mai prochain des députés britanniques au Parlement européen, alors qu’ils sont susceptibles de ne plus être concernés par les problématiques européennes dans les mois à venir.

L’Union européenne aurait-elle un intérêt à ce report de la sortie du Royaume-Uni ?

Afin de repousser la date du Brexit, il faudrait que l’Europe donne son accord. Or, il n’est pas sûr qu’elle accepterait, parce qu’il n’est pas certain qu’un report de la date de la sortie du Royaume-Uni réglerait les problèmes. Rien ne dit qu’une solution se dégagerait avec le temps ou que l’option d’un second référendum prendrait du poids, car les divisions en Grande-Bretagne sont profondément ancrées. Pour l’Union européenne, ce report aurait un intérêt seulement si la position du Royaume-Uni se clarifiait.

Comment qualifier la stratégie des conservateurs britanniques, qui contrent le texte sans pour autant pousser Theresa May vers la sortie ?

Les conservateurs sont tout aussi divisés que les travaillistes et les autres factions politiques britanniques. La frange la plus dure veut sortir de l’UE coûte que coûte, quitte à ce qu’il n’y ait pas d’accord, ce qui n’est pas le cas des conservateurs plus modérés. S’ils ne poussent pas May à la démission, c’est parce qu’ils savent qu’elle n’est pas la cause du problème mais juste l’un des symptômes des divisions dans lequel le pays est embourbé.

Que dit cette crise du système parlementaire sur lequel repose le Royaume-Uni ?

La crise dans laquelle se trouve actuellement le système parlementaire britannique résulte d’un problème, plus profond que le Brexit en lui-même, qui est la confrontation croissante entre deux modèles : la démocratie représentative, base du régime britannique, et la démocratie participative. Ce conflit est devenu évident à partir du moment où David Cameron, alors premier ministre, a soumis la question de la sortie de l’UE à un référendum binaire.

En faisant cela, il a envoyé un message sous-entendant qu’il n’avait pas confiance en la démocratie représentative pour gérer la question. Or, les institutions britanniques ne sont pas habituées à la logique politique participative. Par conséquent, elles ne savent pas gérer les problèmes complexes de cette manière. Avec le Brexit, une boîte de Pandore s’est ouverte et les problèmes rencontrés par le système parlementaire se sont multipliés.

Propos recueillis par Anouk Helft pour La Croix

Guerres d’influence : à qui servent les fake news ?

lun, 17/12/2018 - 12:31

« C’est une fake news ! », « Attention aux fake news », « Il faut lutter contre les fake news » … Cette expression évoque souvent le flot de désinformation qui pollue les réseaux sociaux et le débat public, tout en démontrant le désarroi et le manque de moyens de l’appareil étatique d’abord, des journalistes, des ONG et des citoyens ensuite, pour les contrer. À qui servent les fake news ? Les loi anti-fake news sont-elles efficaces ? Les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Le point de vue de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS.

Mouvement des gilets jaunes, attentat de Strasbourg, etc., nombreuses ont été les fake news autour de ces évènements. Comment l’expliquer ? Ce phénomène est-il en augmentation ?

Dans l’affaire des gilets jaunes et dans l’attentat de Strasbourg (qui a eu lieu ce mardi 11 décembre), beaucoup de fausses informations dans le sens le plus strict ont circulé, c’est-à-dire qu’ont été reportés intentionnellement des événements qui ne se sont pas déroulés. Par exemple, on a parlé de gens défigurés à l’acide, de rassemblements qui n’existaient pas, de blessés et des morts qui ne l’étaient pas, etc. C’est un aspect habituel en ce sens où à chaque fois qu’il y a des événements dramatiques, on voit se répandre de fausses nouvelles sur des personnages mystérieux, des événements, actes et décisions qu’on nous cacherait.

L’exemple le plus édifiant en termes de fake news est évidemment le 11 septembre 2001 (attentats du World Trade Center et du Pentagone) sur lequel maintes théories ont été émises, sur des gens qui n’étaient pas dans l’avion, sur plusieurs avions qui ne se sont pas écrasés, sur l’organisation de ces attentats par les services de renseignement américains, etc. On a vu la même chose au moment des attentats du Bataclan, de l’Hyper-Cacher et de Charlie Hebdo, où tout et n’importe quoi ont alimenté les fake news. Donc, d’une certaine manière, il est normal, lors d’événements dramatiques qui touchent l’affectivité collective, que les imaginations délirent un peu, créant périls et crimes imaginaires. Ceci n’est pas nouveau et s’est également produit en 1789, voire même dans la Rome antique.

En revanche, plusieurs éléments nouveaux sont à relever dans les affaires récentes. Premièrement, les gilets jaunes sont plus facilement victimes des fausses nouvelles, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les personnes liées au mouvement des gilets jaunes échangent et discutent très majoritairement par le biais de Facebook. Or, sur Facebook, l’information dépend d’algorithmes d’une part et des personnes, groupes, pages et sites que vous « suivez » d’autre part. Ainsi, la véracité des informations transitant par Facebook n’est pas vérifiée par un ensemble de journalistes, ONG, institutions ayant autorité. Les réseaux sociaux sont par nature plus favorables aux rumeurs et aux fausses nouvelles, puisque chacun peut être émetteur au sein de ces écosystèmes.

Deuxième élément, le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes est parti d’en bas, et n’était structuré ni idéologiquement ni politiquement ou syndicalement. Donc plusieurs « vedettes » sont nées spontanément sur les réseaux sociaux et tout particulièrement sur Facebook. Et ce ne sont pas forcément les plus malins. Ils peuvent être les plus « grandes gueules », les plus volubiles, ceux qui racontent les histoires les plus invraisemblables, ou qui ont l’imagination la plus délirante… L’exemple bien connu est la personne qu’on ne voit jamais, mais que tout le monde connait, et qui proclame qu’il s’agit d’un complot organisé par le gouvernement.

Le troisième élément important est que les fake news viennent aussi bien de la population, de la société civile, que du gouvernement. Du côté du gouvernement et des députés, on voit partir des fausses nouvelles comme celle de la personne effectuant un salut nazi sur les Champs-Élysées, démontrant ainsi par la preuve que le mouvement des gilets jaunes est synonyme de la peste brune…, ou des policiers défigurés à l’acide par les manifestants. Nouvelles qui sont parfaitement fausses et que certains députés et ministres devraient vérifier avant de les partager sur Internet et dans les médias traditionnels.

Quel bilan tirez-vous de la loi anti-fake news française ? Pourquoi vise-t-elle tout particulièrement Internet et les médias étrangers ? Quelles sont les dérives possibles de cette loi ?

Il est encore tôt pour parler bilan pour la loi anti-fake news française. C’est une loi à laquelle je me suis opposé pour deux raisons principales. La première est qu’elle ouvre la possibilité, en période électorale certes, de demander aux juges des référés obligeant les plateformes ou les réseaux sociaux à retirer des informations qui seraient douteuses ou supposément lancées avec une intention malicieuse. Or, d’une part, comment le juge des référés va-t-il établir ce qui est la vérité dans un délai très bref ? Il sera très probablement obligé de s’en tenir aux versions des sites de « fact-checking » ou des médias et ONG qui repèrent les fausses nouvelles. Mais dans la réalité, il adressera une injonction à Facebook, Google, etc., qui ont déjà des algorithmes pour retirer les fausses informations, puisque c’est dans leur intérêt de ne pas paraître comme le « royaume du mensonge ». Il n’y aura donc pas a priori de pouvoir effectif du juge, rendant ses décisions par conséquent très contestables. Par ailleurs, cela va renforcer la mentalité des gens qui pensent que le « système » nous ment, nous interdit de dire la vérité, nous présente une version partielle et partiale des événements d’actualité, et donc la paranoïa.

D’autre part, la loi anti-fake news donne, non pas aux juges des référés, mais au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le droit de ne pas accorder de licence ou de retirer la licence aux médias étrangers qui feraient de la désinformation ou se livreraient à de la manipulation de l’information. Tout le monde l’a bien compris, cet aspect de la loi anti-fake news vise particulièrement Russia Today et Sputnik, et non Al-Jazeera, CNN ou Radio Vatican. Il s’agit donc d’un aspect extrêmement subjectif de la loi, car ceci permettrait d’ostraciser certains médias, certes payés par l’étranger, mais sur des critères qui pourraient être internes à l’appareil étatique français ou de politique intérieure, en renvoyant une fois de plus l’image d’un Big Brother où le gouvernement contrôle ce que nous pensons, voit ce que nous faisons, etc.

Comment les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Est-ce un phénomène nouveau ? Pour servir quels desseins ?

Ce phénomène n’est absolument pas nouveau. En effet, l’histoire proche et lointaine regorge de grands mensonges aussi spectaculaires que surprenants tels que la délation de Constantin qui a été l’un des fondements du pouvoir de l’Église, la fausse lettre du prêtre Jean, la dépêche d’Ems, etc. Il y a dans l’histoire des dizaines d’exemples de fausses accusations ou de faux documents qui ont servi à des fins politiciennes, et/ou liés aux intérêts de tels ou tels pays. Ce qui est toutefois nouveau, c’est que sur Internet, en créant de faux sites et comptes, en provoquant des mouvements de retweet, de groupes de diffusion, etc., il est relativement facile de donner énormément d’ampleur à des fausses nouvelles. Par ailleurs, avec des logiciels très grand public comme Photoshop, n’importe qui peut retoucher une photo. Mais il existe des techniques infiniment plus sophistiquées dites de « deep fakes » qui permettent de truquer des images animées et de faire prononcer à X, avec la bonne tonalité et le bon mouvement des lèvres, des phrases qu’il n’a jamais dites. Ainsi, la fabrique et la manipulation de l’information ne sont pas seulement dues aux hackers ou personnes étrangères mal intentionnées, mais également aux services d’États et autres officines.

En conséquence, les fake news ont pris énormément d’ampleur notamment depuis l’avènement d’Internet, à tel point qu’elles sont devenues quelque peu incontrôlables. Pour autant une fausse nouvelle à un effet limité, car elle est très vite signalée, démentie et repérée par les médias et ONG. Des études d’universitaires américains montraient que beaucoup de fake news sont partagées par les milieux très orientés idéologiquement, mais que leur effet global n’est pas très important. Les fake news ne peuvent, par exemple, pas changer le cours d’une élection, car les gens se renforcent dans leurs convictions.

En revanche, le fait qu’il y ait beaucoup de fake news d’origines diverses et variées (qui partent de la base, d’autres des dirigeants et des « élites », de l’étranger, de médias satyriques, de sites commerciaux essayant d’attirer autant de personnes que possible dans ce qu’on appelle les « pièges à clic », etc.) est quelque chose de beaucoup plus important et qui crée un doute à l’égard de l’autorité, des procédures d’accréditation, soit du caractère officiel de l’information. Ce qui n’est pas une bonne chose dans une démocratie. C’est un peu la rançon à payer pour la facilité de l’accès à l’information et c’est un peu trop facile d’accuser un État étranger ou des sites complotistes pour perturber l’opinion. Enfin, les fake news naissent et se nourrissent également de la faction croissante de la population française en rupture avec les « élites », qui ne croit plus ce que leur raconte le JT du soir ou le journal du matin.

« C’est une fake news ! », « Attention aux fake news », « Il faut lutter contre les fake news » … Cette expression évoque souvent le flot de désinformation qui pollue les réseaux sociaux et le débat public, tout en démontrant le désarroi et le manque de moyens de l’appareil étatique d’abord, des journalistes, des ONG et des citoyens ensuite, pour les contrer. À qui servent les fake news ? Les loi anti-fake news sont-elles efficaces ? Les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Le point de vue de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS.

Mouvement des gilets jaunes, attentat de Strasbourg, etc., nombreuses ont été les fake news autour de ces évènements. Comment l’expliquer ? Ce phénomène est-il en augmentation ?

Dans l’affaire des gilets jaunes et dans l’attentat de Strasbourg (qui a eu lieu ce mardi 11 décembre), beaucoup de fausses informations dans le sens le plus strict ont circulé, c’est-à-dire qu’ont été reportés intentionnellement des événements qui ne se sont pas déroulés. Par exemple, on a parlé de gens défigurés à l’acide, de rassemblements qui n’existaient pas, de blessés et des morts qui ne l’étaient pas, etc. C’est un aspect habituel en ce sens où à chaque fois qu’il y a des événements dramatiques, on voit se répandre de fausses nouvelles sur des personnages mystérieux, des événements, actes et décisions qu’on nous cacherait.

L’exemple le plus édifiant en termes de fake news est évidemment le 11 septembre 2001 (attentats du World Trade Center et du Pentagone) sur lequel maintes théories ont été émises, sur des gens qui n’étaient pas dans l’avion, sur plusieurs avions qui ne se sont pas écrasés, sur l’organisation de ces attentats par les services de renseignement américains, etc. On a vu la même chose au moment des attentats du Bataclan, de l’Hyper-Cacher et de Charlie Hebdo, où tout et n’importe quoi ont alimenté les fake news. Donc, d’une certaine manière, il est normal, lors d’événements dramatiques qui touchent l’affectivité collective, que les imaginations délirent un peu, créant périls et crimes imaginaires. Ceci n’est pas nouveau et s’est également produit en 1789, voire même dans la Rome antique.

En revanche, plusieurs éléments nouveaux sont à relever dans les affaires récentes. Premièrement, les gilets jaunes sont plus facilement victimes des fausses nouvelles, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les personnes liées au mouvement des gilets jaunes échangent et discutent très majoritairement par le biais de Facebook. Or, sur Facebook, l’information dépend d’algorithmes d’une part et des personnes, groupes, pages et sites que vous « suivez » d’autre part. Ainsi, la véracité des informations transitant par Facebook n’est pas vérifiée par un ensemble de journalistes, ONG, institutions ayant autorité. Les réseaux sociaux sont par nature plus favorables aux rumeurs et aux fausses nouvelles, puisque chacun peut être émetteur au sein de ces écosystèmes.

Deuxième élément, le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes est parti d’en bas, et n’était structuré ni idéologiquement ni politiquement ou syndicalement. Donc plusieurs « vedettes » sont nées spontanément sur les réseaux sociaux et tout particulièrement sur Facebook. Et ce ne sont pas forcément les plus malins. Ils peuvent être les plus « grandes gueules », les plus volubiles, ceux qui racontent les histoires les plus invraisemblables, ou qui ont l’imagination la plus délirante… L’exemple bien connu est la personne qu’on ne voit jamais, mais que tout le monde connait, et qui proclame qu’il s’agit d’un complot organisé par le gouvernement.

Le troisième élément important est que les fake news viennent aussi bien de la population, de la société civile, que du gouvernement. Du côté du gouvernement et des députés, on voit partir des fausses nouvelles comme celle de la personne effectuant un salut nazi sur les Champs-Élysées, démontrant ainsi par la preuve que le mouvement des gilets jaunes est synonyme de la peste brune…, ou des policiers défigurés à l’acide par les manifestants. Nouvelles qui sont parfaitement fausses et que certains députés et ministres devraient vérifier avant de les partager sur Internet et dans les médias traditionnels.

Quel bilan tirez-vous de la loi anti-fake news française ? Pourquoi vise-t-elle tout particulièrement Internet et les médias étrangers ? Quelles sont les dérives possibles de cette loi ?

Il est encore tôt pour parler bilan pour la loi anti-fake news française. C’est une loi à laquelle je me suis opposé pour deux raisons principales. La première est qu’elle ouvre la possibilité, en période électorale certes, de demander aux juges des référés obligeant les plateformes ou les réseaux sociaux à retirer des informations qui seraient douteuses ou supposément lancées avec une intention malicieuse. Or, d’une part, comment le juge des référés va-t-il établir ce qui est la vérité dans un délai très bref ? Il sera très probablement obligé de s’en tenir aux versions des sites de « fact-checking » ou des médias et ONG qui repèrent les fausses nouvelles. Mais dans la réalité, il adressera une injonction à Facebook, Google, etc., qui ont déjà des algorithmes pour retirer les fausses informations, puisque c’est dans leur intérêt de ne pas paraître comme le « royaume du mensonge ». Il n’y aura donc pas a priori de pouvoir effectif du juge, rendant ses décisions par conséquent très contestables. Par ailleurs, cela va renforcer la mentalité des gens qui pensent que le « système » nous ment, nous interdit de dire la vérité, nous présente une version partielle et partiale des événements d’actualité, et donc la paranoïa.

D’autre part, la loi anti-fake news donne, non pas aux juges des référés, mais au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le droit de ne pas accorder de licence ou de retirer la licence aux médias étrangers qui feraient de la désinformation ou se livreraient à de la manipulation de l’information. Tout le monde l’a bien compris, cet aspect de la loi anti-fake news vise particulièrement Russia Today et Sputnik, et non Al-Jazeera, CNN ou Radio Vatican. Il s’agit donc d’un aspect extrêmement subjectif de la loi, car ceci permettrait d’ostraciser certains médias, certes payés par l’étranger, mais sur des critères qui pourraient être internes à l’appareil étatique français ou de politique intérieure, en renvoyant une fois de plus l’image d’un Big Brother où le gouvernement contrôle ce que nous pensons, voit ce que nous faisons, etc.

Comment les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Est-ce un phénomène nouveau ? Pour servir quels desseins ?

Ce phénomène n’est absolument pas nouveau. En effet, l’histoire proche et lointaine regorge de grands mensonges aussi spectaculaires que surprenants tels que la délation de Constantin qui a été l’un des fondements du pouvoir de l’Église, la fausse lettre du prêtre Jean, la dépêche d’Ems, etc. Il y a dans l’histoire des dizaines d’exemples de fausses accusations ou de faux documents qui ont servi à des fins politiciennes, et/ou liés aux intérêts de tels ou tels pays. Ce qui est toutefois nouveau, c’est que sur Internet, en créant de faux sites et comptes, en provoquant des mouvements de retweet, de groupes de diffusion, etc., il est relativement facile de donner énormément d’ampleur à des fausses nouvelles. Par ailleurs, avec des logiciels très grand public comme Photoshop, n’importe qui peut retoucher une photo. Mais il existe des techniques infiniment plus sophistiquées dites de « deep fakes » qui permettent de truquer des images animées et de faire prononcer à X, avec la bonne tonalité et le bon mouvement des lèvres, des phrases qu’il n’a jamais dites. Ainsi, la fabrique et la manipulation de l’information ne sont pas seulement dues aux hackers ou personnes étrangères mal intentionnées, mais également aux services d’États et autres officines.

En conséquence, les fake news ont pris énormément d’ampleur notamment depuis l’avènement d’Internet, à tel point qu’elles sont devenues quelque peu incontrôlables. Pour autant une fausse nouvelle à un effet limité, car elle est très vite signalée, démentie et repérée par les médias et ONG. Des études d’universitaires américains montraient que beaucoup de fake news sont partagées par les milieux très orientés idéologiquement, mais que leur effet global n’est pas très important. Les fake news ne peuvent, par exemple, pas changer le cours d’une élection, car les gens se renforcent dans leurs convictions.

En revanche, le fait qu’il y ait beaucoup de fake news d’origines diverses et variées (qui partent de la base, d’autres des dirigeants et des « élites », de l’étranger, de médias satyriques, de sites commerciaux essayant d’attirer autant de personnes que possible dans ce qu’on appelle les « pièges à clic », etc.) est quelque chose de beaucoup plus important et qui crée un doute à l’égard de l’autorité, des procédures d’accréditation, soit du caractère officiel de l’information. Ce qui n’est pas une bonne chose dans une démocratie. C’est un peu la rançon à payer pour la facilité de l’accès à l’information et c’est un peu trop facile d’accuser un État étranger ou des sites complotistes pour perturber l’opinion. Enfin, les fake news naissent et se nourrissent également de la faction croissante de la population française en rupture avec les « élites », qui ne croit plus ce que leur raconte le JT du soir ou le journal du matin.

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