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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Mis à jour : il y a 1 jour 2 heures

Égypte : la fuite en avant autoritaire

mar, 23/04/2019 - 17:58

Les citoyens égyptiens ont donc été appelés, du 20 au 22 avril, à se prononcer par voie référendaire sur un texte de révision constitutionnelle. Les nouvelles dispositions de ce dernier vident de toute substance les derniers acquis de la crise révolutionnaire de 2011 en confirmant l’ordre autoritaire mis en place en Égypte depuis le coup d’État du 3 juillet 2013, qui avait alors démis Mohamed Morsi, président élu au suffrage universel. Au cœur de cette révision figurent l’extension du mandat présidentiel de quatre à six ans et la possibilité pour Abdel Fattah al-Sissi de postuler à un mandat supplémentaire, ce qui lui ouvre la possibilité de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2030. C’est aussi le renforcement de sa mainmise sur l’institution judiciaire en lui permettant de prendre la tête d’un Conseil suprême de la magistrature, de nommer les présidents des principales juridictions, dont la Haute cour constitutionnelle. L’armée se voit enfin institutionnaliser son rôle politique comme « gardienne et protectrice » de l’État, de la démocratie, de la Constitution et des « principes de la révolution ».

La vie politique en Égypte ne fait pas exception au fort tropisme autoritaire qui caractérise les régimes politiques des mondes arabes et au sein desquels les appareils de sécurité ont profondément marqué les pratiques d’exercice du pouvoir. Ainsi, l’importance de l’institution militaire n’a cessé de croître, ce qui lui a permis de se placer au centre du jeu politique et des processus de décision.

En Égypte, au cours des dernières années, on constate ainsi qu’à chaque séquence ponctuant la vie politique, l’armée détient toujours un pouvoir de décision central. Aussi, depuis le coup d’État de 2013, on assiste à une régression sans fin des droits démocratiques individuels et collectifs. Non seulement les Frères musulmans sont interdits, pourchassés et réprimés de façon systématique (on estime à plus de 40 000 le nombre de leurs militants emprisonnés), leurs avoirs saisis, mais ils sont également qualifiés d’organisation terroriste depuis le 25 décembre 2013, ce qui donne toute possibilité au pouvoir de prendre les mesures les plus arbitraires à leur encontre.

On constate aussi que ceux qui étaient parés du vocable de « révolutionnaires » et qui avaient, au nom de la défense de la laïcité, soutenu le coup d’État sont pourchassés à leur tour par l’institution militaire. Cette situation doit être appréhendée comme un retour des forces réactionnaires mêlant l’armée et nombre de tenants de l’ancien régime de Hosni Moubarak, qui apparaissent à nouveau à des postes de responsabilité. Le moins que l’on puisse constater, c’est que les espoirs qui s’étaient cristallisés au moment du départ de Hosni Moubarak ne se sont pas concrétisés.

La victoire du « oui » lors du référendum constitutionnel de janvier 2014, avec 98 % des suffrages exprimés, ne constitua pas une surprise, et permit à Abdel Fattah al-Sissi d’enfiler les habits de l’homme providentiel. En ce sens, la stratégie de l’homme fort égyptien s’avère cohérente et les résultats des deux scrutins présidentiels, de mai 2014 puis de mars 2018, avec deux fois 97 % des suffrages exprimés en sa faveur, sont de ce point de vue sans appel.

Ces élections présidentielles ont paradoxalement marqué le retour institutionnellement codifié de l’influence de l’armée en tant que centre réel du pouvoir. La présence et l’importance de l’institution militaire sont d’ailleurs singulièrement perceptibles dans l’article 234 de ladite Constitution qui stipule que le Conseil suprême des forces armées fournit son aval à la nomination ou à la révocation du ministre de la Défense au cours des deux mandats présidentiels à venir.

En outre, en plus de la reprise en main politico-sécuritaire, il est loisible de constater une offensive idéologique du pouvoir. Prétendant se disjoindre des mouvances salafistes et de celles se rattachant aux Frères musulmans, Abdel Fattah al-Sissi cherche à promouvoir un islam conservateur en relation avec les principales institutions islamiques du pays, au premier rang desquelles l’université al-Azhar. Prenant en compte le conservatisme de la société égyptienne, il privilégie une version rigoriste des pratiques religieuses, garantes à ses yeux de stabilité sociale, et n’hésite pas, par exemple, à remettre en cause de facto les programmes de contrôle des naissances. L’ordre répressif s’accompagne ainsi d’un ordre moral conservateur.

En revanche, ses multiples déclarations martiales contre le terrorisme sont peu couronnées de succès. La dégradation de la situation sécuritaire dans le Sinaï et, plus largement, les attentats terroristes en Égypte, manifestent une relative impuissance de l’appareil sécuritaire. Ainsi l’opération « Sinaï 2018 », lancée en février 2018, n’a pas obtenu les résultats escomptés malgré une forte campagne médiatique et politique à son propos. Le 9 février 2018, ce sont pourtant 60 000 hommes et 335 avions de combat qui sont mobilisés dans le Sinaï Nord et une partie du désert occidental de la péninsule pour neutraliser les groupes djihadistes, détruire leurs caches d’armes et les tunnels qui existent entre le territoire égyptien et la bande de Gaza. Les communiqués de victoire de l’état-major sont pour le moins sujets à caution et les méthodes brutales utilisées ne permettent sans nul doute pas de gagner le soutien de la population locale, qui reste pourtant un objectif essentiel de toute lutte antiterroriste.

Si la situation politique telle que succinctement analysée précédemment fait état de multiples préoccupations, on doit de même admettre qu’aucune des difficultés sociales et économiques posées à la société égyptienne, qui avaient été l’une des principales causes du processus révolutionnaire de 2011-2013, n’a été résolue. L’économie égyptienne est en effet confrontée à des blocages et des contradictions d’une telle ampleur que seules des réformes structurelles seraient susceptibles de les surmonter. La situation est d’autant plus préoccupante que les quatre apports financiers traditionnels de son économie sont en crise : les devises envoyées par les travailleurs émigrés égyptiens depuis l’Arabie Saoudite et la Libye sont en baisse sensible ; les revenus du canal de Suez fléchissent en raison de la baisse du trafic international ; les revenus tirés du tourisme ont spectaculairement diminué ; les ressources pétrolières ne permettaient plus l’autosuffisance énergétique, du moins jusqu’à la récente découverte de champs d’hydrocarbures offshore gaziers en Méditerranée orientale.

Plaie de l’Égypte depuis de nombreuses années, la dette publique ne cesse de s’accroître pour atteindre désormais 97 % du produit intérieur brut (PIB). Facteur aggravant, les dépenses publiques servent principalement à financer les effectifs hypertrophiés du secteur d’État et ne sont que marginalement utilisées pour des investissements publics. Si le doublement du canal de Suez ou la construction d’une nouvelle capitale administrative concourent à améliorer la situation macroéconomique, on peut néanmoins émettre des doutes sur leur capacité à parvenir à surmonter ce défi structurel.

En outre, l’armée semble s’investir plus avant encore dans la vie économique du pays en s’impliquant dans les infrastructures de santé, la construction de routes, de ponts, du canal, des zones urbaines nouvelles. Cette situation induit la perception d’une institution qui cherche à conforter une bourgeoisie issue de ses rangs et qui possède une vision assez claire de ses intérêts, se traduisant par la fidélité au régime du président al-Sissi ‑ à moins que cela ne soit son instrumentalisation ‑ et la méfiance à l’égard du libéralisme économique et de l’ouverture aux capitaux étrangers. Cette situation risque, à terme, d’accroître les tensions entre l’institution militaire de plus en plus insérée dans le tissu économique et des entrepreneurs privés qui considèrent qu’ils sont systématiquement désavantagés dans l’attribution des marchés publics.

Cette situation générale dégradée a contraint de recourir à des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) qui a accepté, en juillet 2016, d’effectuer un prêt de 12 milliards de dollars états-uniens sur trois ans, tout en exigeant des mesures drastiques en contrepartie : imposition de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), baisse des subventions sur des produits de base (carburant, électricité), dévaluation de la monnaie de près de 50 %. La spirale inflationniste, de l’ordre de 30 % au moment de l’octroi du prêt, pénalise mécaniquement les catégories les plus paupérisées de la population en touchant notamment l’alimentation et les transports, deux postes qui affectent traditionnellement le budget des familles. Ainsi, le prix du ticket de métro du Caire a augmenté, en mai 2018, de 250 % pour les longs trajets alors qu’il avait déjà doublé en 2017. Ces difficultés récurrentes contribuent à entretenir l’importance d’un secteur informel que certains économistes évaluent à la proportion de 50 % du PIB. Si cette dernière donnée est probablement à manier avec précaution, elle indique néanmoins l’ampleur de la tâche pour parvenir à assainir l’économie égyptienne. Les mesures de protection sociale sont à ce stade beaucoup trop embryonnaires pour aider les catégories sociales précarisées, voire une partie des classes moyennes, à absorber ces chocs.

Le pouvoir actuel est de ce fait pris entre deux feux : d’une part, il a un besoin impératif de recourir à des prêts, donc en l’occurrence de négocier avec le FMI, mais, d’autre part, l’application d’un tel accord risque de générer un fort mécontentement, voire des conflits sociaux d’envergure. C’est la classique expression du recours aux plans d’ajustement structurel exigés par les instances financières internationales et des contradictions que cela induit pour les gouvernements en place. Pour autant, le recours au FMI s’est avéré incontournable au vu des réticences désormais manifestées par les donateurs des monarchies arabes du Golfe, principalement l’Arabie Saoudite, à continuer à signer des chèques à un pays dont elles considèrent qu’il vit au-dessus de ses moyens.

En septembre 2017, le FMI a publié un premier rapport actant un retour de la confiance dans l’économie égyptienne et une nouvelle tranche de prêts a été débloquée en décembre de la même année. Quelques indices macroéconomiques semblent en effet s’améliorer : réserves en devises étrangères remontées à 38 milliards de dollars états-uniens, réduction du déficit budgétaire, baisse de l’inflation qui retrouvait à la fin de l’année 2018 un taux situé entre 11 % et 13,5 %. Ces chiffres sont bien sûr à prendre en compte, mais ne signifient pas que l’économie égyptienne ait surmonté ses tensions, d’autant que la dette extérieure s’est considérablement creusée, atteignant environ 80 milliards de dollars états-uniens, c’est-à-dire près de 20 % du PIB. Diversification de l’économie et création d’une croissance inclusive restent des défis non résolus à ce jour. L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi a cependant su redonner une forme de confiance en l’avenir de son économie, car le régime autoritaire réduit le risque-pays, et contribue à donner confiance aux créanciers et aux marchés.

Enfin, l’Égypte doit affronter un considérable défi démographique, sa population ayant doublé en moins de 40 ans. Forte aujourd’hui de quelque 95 millions d’habitants, elle pourrait compter de 140 à 170 millions d’individus en 2050. Ces difficultés s’accumulent dans un pays dont seulement 5 % à 6 % de la totalité de la superficie sont « utiles » — la vallée du Nil, au long de laquelle s’est concentré l’essentiel de la population, de l’agriculture et des industries. La question est donc de savoir comment mettre en valeur le reste du territoire, ce qui nécessite des investissements considérables ; cet objectif constitue l’un des principaux défis que les autorités doivent relever dans le court terme.

On le voit, les réformes constitutionnelles renforçant les pouvoirs du raïs ne permettront pas à l’Égypte de surmonter les défis structurels auxquels le pays est confronté. Une nouvelle vague de contestation y est ainsi potentiellement envisageable.

« Trump veut mettre à genou l’Iran »

mar, 23/04/2019 - 17:23

Directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), où il est spécialiste des problématiques énergétiques, Francis Perrin analyse dans une interview au Point les conséquences de la décision américaine pour l’Iran et le marché mondial.

Avec la fin des exemptions, entrons-nous dans une nouvelle phase de pression sur Téhéran ?

Il s’agit certainement d’une phase nouvelle, car huit pays bénéficiaient jusqu’à aujourd’hui d’une exemption sur les achats de pétrole iranien : cinq en Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Taïwan) et trois en Europe (Grèce, Italie, Turquie). Or, à partir du 2 mai, il n’y en aura plus du tout.

Les États-Unis peuvent-ils réussir à réduire à néant les exportations iraniennes de brut comme ils l’affirment ?

Ceci est loin d’être acquis, mais il y aura forcément une diminution significative des exportations iraniennes de pétrole. À mon sens, l’objectif « 0 exportation » est davantage un affichage politique. L’idée est de mettre l’Iran à genou et frapper le point clé que constitue le pétrole pour la République islamique en diminuant le plus possible ses ventes. Mais je doute que plus personne n’achète de pétrole iranien.

Quel est l’effet de cette décision sur l’économie iranienne ?

Cette nouvelle phase est très négative pour l’Iran, qui a déjà vu ses exportations baisser significativement depuis le retrait de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions extraterritoriales américaines. Le volume d’exportations est en effet passé de 2,5 millions de barils par jour à environ 1,1 million de barils par jour aujourd’hui. C’est considérable, d’autant que les ventes de pétrole représentent de 60 à 70 % des exportations iraniennes. L’impact des sanctions sur l’économie iranienne, déjà très important jusqu’ici, va donc être renforcé.

Les pays visés pourraient-ils refuser de céder aux pressions américaines ?

Sur les huit pays qui bénéficiaient d’exemptions, il y en a peu qui puissent résister aux sanctions extraterritoriales américaines. Taïwan, le Japon et la Corée du Sud sont des alliés des États-Unis et on voit mal ces pays dire «  non  » à Washington. Il en va de même de la Grèce et de l’Italie. Pour ce qui est de la Turquie (qui a annoncé qu’elle continuerait à commercer avec Téhéran, NDLR), le volume de pétrole qu’elle achète à l’Iran n’est pas significatif. Il n’y a donc que la Chine et l’Inde qui, en tant que puissances, puissent braver les injonctions des États-Unis, notamment Pékin. La Chine est à mon sens un point clé.

La Chine, grand importateur de pétrole iranien, pourrait-elle ne pas se soumettre à la décision américaine ?

Du point de vue chinois, l’Iran peut être considéré comme une carte dans la partie de poker entamée avec les États-Unis. Il existe des intérêts énormes entre les deux pays, notamment sur le plan commercial, car Washington taxe 250 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les États-Unis, ce qui est préoccupant pour Pékin. De la même manière, les entreprises chinoises sont très présentes aux États-Unis. Par conséquent, si la Chine peut se permettre de dire « non » aux États-Unis sur le pétrole iranien, elle doit tout de même tenir compte des menaces de sanctions américaines.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont indiqué leur souhait de compenser la baisse du pétrole iranien sur le marché. Est-ce réaliste ?

Cette annonce était attendue et c’est tout à fait logique. Riyad et Abu Dhabi partagent avec Washington l’objectif stratégique d’affaiblir l’Iran, ce qui passe par des sanctions contre son pétrole. Ces deux pays ne peuvent donc qu’apprécier ce que réalise Donald Trump. Au contraire, ils avaient très peu goûté au rapprochement qu’avait entamé Barack Obama avec l’Iran, et qui s’était concrétisé par la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Aujourd’hui, Donald Trump fait beaucoup pour plaire aux Saoudiens, ce qui mérite de leur part un renvoi d’ascenseur. Par ailleurs, Riyad et Abu Dhabi disposent de suffisamment de capacités pétrolières non utilisées pour introduire d’importants volumes de pétrole sur le marché. Il y a donc à la fois une volonté d’aider les États-Unis, et les capacités de le faire.

On assiste à une augmentation du cours du pétrole. Risque-t-on une flambée des prix ?

Le cours du baril de brent a augmenté de près de 3 %, pour atteindre 74 dollars, ce qui était inévitable. Mais il y a clairement une volonté de Washington de limiter les dégâts. L’objectif est de convaincre le marché que les prix ne vont pas flamber. Pour ce faire, les États-Unis ont indiqué qu’ils allaient augmenter leur production, ce qu’ils font par ailleurs depuis dix ans avec leurs énergies non conventionnelles (pétrole de schiste). Là-dessus, Donald Trump sait qu’il bénéficie du soutien des industriels américains. Washington a également souligné qu’il bénéficiait de l’accord de l’Arabie saoudite, et des Émirats arabes unis pour utiliser leurs capacités de production non utilisées. Les pétroles américain et saoudien sont donc les deux joyaux de la couronne pour que les prix du pétrole ne flambent pas avec la chute du pétrole iranien.

La France face à ses défis

mar, 23/04/2019 - 16:37

Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon, le 6 avril 2019 :
– La France est-elle encore en mesure de peser sur la scène internationale ? À quels défis doit-elle répondre pour continuer à peser ?
– Quelles sont les grandes puissances spatiales aujourd’hui ? Se dirige-t-on vers une guerre de l’espace ?
– Comment la France et l’Europe se positionnent-elles sur ces enjeux ?

Elections espagnoles : vers quel transit post transition démocratique ?

ven, 19/04/2019 - 17:50

Le 28 avril 2019, les Espagnols sont appelés aux urnes pour désigner leurs 350 députés. Et qui sait, permettre la formation d’un gouvernement disposant d’une majorité, introuvable depuis la dernière consultation. Le président sortant, le socialiste Pedro Sanchez, avait réussi le 1er juin 2018 à renverser le populaire Mariano Rajoy, fragile vainqueur des législatives du 26 juin 2016. Il a dû, faute de périmètre parlementaire suffisant, ne disposant que de 85 députés sur 350, jeter l’éponge huit mois plus tard.

Cette instabilité est inattendue dans une Espagne où pendant plusieurs années droite et gauche ont alterné sans problème. Les raisons objectives ont sans doute joué. L’insubordination constitutionnelle catalane « gèle » une part importante des électeurs catalans espagnols de droite et de gauche. L’afflux de migrants dans un pays ayant envoyé les siens pendant longtemps aux Amériques et en Europe l’a déstabilisé. La longue crise économique et le chômage de masse ont dilué bien des allégeances partisanes. Le culte du futur – des artistes de la « movida » au parti Ciudadanos – a opacifié le passé en l’instrumentalisant.

La transition espagnole de la dictature franquiste à la démocratie faisait figure de modèle il y a encore quelques années. Avec la crise économique de 2008, les certitudes sont tombées. D’indignations juvéniles en nostalgies médiévales, le passé antérieur a repris des couleurs. L’Espagne serait sortie de la transition. Pour entrer en transit, un transit pour l’instant réduit à la salle des pas perdus, décorée de symboles franquistes, de bannières républicaines et de senyeras catalanes.

Au point d’égarer dans un nouveau labyrinthe les « amis » étrangers de l’Espagne. 41 sénateurs français, de toutes obédiences, ont dénoncé le retour du franquisme, l’existence de prisonniers politiques. Le président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, a de son côté réactualisé une Espagne de la « légende noire ». Donald Trump, en mettant les firmes espagnoles ayant investi à Cuba sur le banc des accusés aux États-Unis, a complété le tableau.

La monarchie, l’une des clefs de voûte de la transition, est interpellée de divers côtés. Par les indépendantistes catalans, mais aussi par le parti de gauche Podemos. La loi de mémoire historique, visant à réhabiliter les vaincus républicains de la guerre d’Espagne, est ignorée par la droite espagnole. L’Espagne fait débat en Catalogne en ordre dispersé, chez les indépendantistes, et ailleurs au sein des droites nationales, Parti populaire, Ciudadanos et Vox. Le féminisme, valeur phare de la modernité démocratique espagnole, est remis en question par la droite espagnole.

Difficile de faire table rase du passé. Le défaut de la cuirasse démocratique fabriquée par les acteurs de la transition est sans doute là. On a recyclé les franquistes, on a ajouté les anciens exclus démocrates de tout poil. Puis ensemble on a tourné la page solennellement avec une loi d’amnistie, une Constitution et l’État des autonomies régionales. Le vaisseau a été regardé comme un modèle de sortie de dictature, en Amérique latine et en Europe de l’Est.

Cette transition qui a mal digéré son histoire récente peut-elle paradoxalement faciliter le transit vers un équilibre consensuel ?

À première vue c’est mal engagé. Pedro Sanchez, a tenté, sans succès, de déménager le corps du dictateur. Le caudillo, Francisco Franco, repose en effet dans un sanctuaire, subventionné par l’État de la transition. Pablo Casado, jeune taureau du Parti populaire, diffuse rumeurs, attaques personnelles et fantômes de la défunte ETA, en guise de campagne. Le Centre a basculé à droite toute. En acceptant les votes d’un tout nouveau parti d’extrême-droite, Vox qui a fait irruption le 2 décembre 2018 aux régionales andalouses. Les indépendantistes catalans avec la compréhension de Podemos, de la droite flamande, et d’un cocktail de sénateurs français vendent l’image d’une Espagne définitivement marquée par ses antécédents franquistes.

L’espoir d’une seconde transition, réhabilitant l’esprit de la transition – le dialogue et le sens du compromis – ne doit pas être exclu. Le socialiste Pedro Sanchez a imposé ses vues aux secteurs de troisième voie. La défaite du PSOE en Andalousie a quelque part sanctionné les tenants d’une alliance centriste et validé un retour aux valeurs social-démocrates. Toutes choses pouvant faciliter un rapprochement ultérieur, à défaut d’un pacte en bonne et due forme avec Podemos, affaibli par de multiples scissions. La démarche indépendantiste catalane a généré des querelles de clocher et embourbé la relation avec Madrid dans une voie sans issue démocratique et constitutionnelle. À la différence du Parti nationaliste basque, qui a mis en forme une efficace stratégie d’élargissement des compétences basques respectueuse de la loi, Iñigo Urkullu, président du gouvernement basque, a incité, sans succès, les indépendantistes catalans à sortir de l’unilatéralité, et à dialoguer dans le cadre institutionnel. Parce que « parler de l’indépendantisme au XXIe siècle, c’est tenter de redonner des couleurs à des images du XIXe siècle ».

Au soir du 28 avril, la page de la transition va être définitivement tournée. Mais qui va en écrire les premiers mots ? La coalition des droites (Parti populaire ; Ciudadanos ; Vox) ou les forces motrices d’un renouveau raisonné (PSOE ; PNV et Podemos) ?

Nouvelles sanctions de Washington sur Cuba : quels enjeux ?

ven, 19/04/2019 - 16:20

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, répond à nos questions :
– Washington vient d’annoncer l’autorisation de poursuites judiciaires envers les sociétés étrangères soupçonnées de profiter de biens confisqués à des Américains lors des nationalisations de 1959 à Cuba. Comment comprendre une telle décision ?
– Les pays impactés par cette mesure sont notamment ceux de l’UE et le Canada. Comment peuvent-ils répliquer face à la justice extraterritoriale américaine ?
– Cette décision suit la politique de rupture de Donald Trump, qui souhaite restreindre les relations entre Washington et La Havane. Quels sont ses intérêts à isoler Cuba ?

[Comprendre le monde] La mondialisation

ven, 19/04/2019 - 10:05

À l’occasion de la parution de la dernière édition de son ouvrage « Comprendre le monde », aux éditions Armand Colin, Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, nous parle de la mondialisation.

Le climat en crise

jeu, 11/04/2019 - 15:36

L’ancienne ministre Cécile Duflot, aujourd’hui, directrice générale d’Oxfam France, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon, le 6 avril 2019 :
– En quoi le réchauffement climatique est-il un problème d’inégalités ?
– Pourquoi les États semblent-ils impuissants à lutter contre le réchauffement climatique ?
– Est-ce à la société civile de prendre le relai ? En est-elle capable ? Comment y contribue Oxfam France ?

Le triomphe de Netanyahou

jeu, 11/04/2019 - 12:46

 

Les élections israéliennes ont eu lieu ce mardi 9 avril 2019. Elles ont rendu leur verdict : Benyamin Netanyahou en est le grand vainqueur.

Ces élections législatives ont en fait été un référendum pour ou contre Benyamin Netanyahou, et finalement les électeurs israéliens ont voté pour lui.

Le parti de Benny Gantz et celui de Netanyahou sont au coude à coude s’agissant des résultats, mais Benyamin Netanyahou est en mesure de former une large coalition autour de lui, grâce au soutien de l’extrême droite. Benny Gantz, lui, manque de réserves. C’est sur une coalition pouvant représenter 65 sièges sur 120 que Netanyahou peut compter pour former un gouvernement.

Il va devenir le Premier ministre qui aura été en poste le plus longtemps, battant même le record du fondateur du pays, David Ben Gourion. Ça sera son quatrième mandat successif, son cinquième au total. Le résultat de ces élections montre bien un enracinement, et même une poussée de l’extrême droite ainsi qu’un effondrement du parti travailliste, pourtant parti fondateur du pays, qui ne disposera que de six sièges dans cette nouvelle législature. C’est une défaite historique pour ce parti.

Benyamin Netanyahou avait fait le pari gagnant de la polarisation. Extrêmement clivant, il a mené une campagne très violente, accusant son adversaire de mettre en danger la sécurité d’Israël, alors même que celui-ci fut chef d’état-major des armées.

Comment expliquer que, malgré les différentes affaires de corruption, les enquêtes qui se multiplient, les mises en cause de l’intégrité personnelle de Benyamin Netanyahou, il ait quand même remporté les élections ?

Ce qui explique ce succès, c’est justement la stratégie de polarisation choisie par Benyamin Netanyahou. C’est aussi la conséquence d’une économie israélienne qui se porte bien – même si les inégalités sont de plus en plus fortes. Mais le pays n’a surtout jamais été aussi fort diplomatiquement : Benyamin Netanyahou bénéficie du soutien de leaders comme Donald Trump, Vladimir Poutine, ou encore le Premier ministre indien Modi. A cela on peut ajouter un autre succès historique, la visite du nouveau président brésilien Bolsonaro, qui est venu apporter un fervent soutien à Netanyahou. Mais surtout, le grand succès de Benyamin Netanyahou qui change la donne, c’est le soutien de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte : il n’y a plus réellement de pays arabes qui s’opposent à lui. Il faut ajouter à ce tableau une percée israélienne dans le continent africain.

Jamais un Premier ministre israélien n’aura été aussi éloigné des critères de règlement du conflit israélo-palestinien, soutenu par la communauté internationale, mais jamais il n’aura eu le soutien aussi affirmé de dirigeants d’autres pays.

Aux précédentes élections, la question qui se posait était de savoir si les Israéliens étaient pour ou contre le processus de paix. Cette fois-ci, il s’agissait de savoir si les Israéliens étaient pour ou contre l’annexion, officiellement condamnée par la communauté internationale. Ce qui a peut-être fait pencher la balance en faveur de Netanyahou, c’est son engagement à annexer juridiquement les territoires occupés et donc à changer leur statut juridique.

Il ne s’est pas engagé sur l’ampleur de l’annexion ni sur le calendrier, mais c’est un geste très fort qui sera certainement le dernier clou planté dans le cercueil du processus de paix, déjà moribond depuis plusieurs années.

On peut d’ailleurs penser que cette annexion, comme celle du Golan, sera approuvée par Donald Trump. Celui-ci affirme depuis déjà plusieurs mois qu’il compte proposer un plan de paix « révolutionnaire ».

On en connaît les grandes lignes, c’est effectivement un plan de paix qui est inacceptable pour les Palestiniens, mais qui ravit Netanyahou et qui semble acceptable pour Mohammed Ben Salmane : annexion de Jérusalem reconnue, donc sans partage de la ville en capitale de deux États, palestinien et israélien, et puis surtout reconnaissance de l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. Donc la perspective d’un État viable palestinien s’éloigne totalement et peut-être définitivement.

On pourra parler de paix, mais d’une paix par la force, une paix imposée, une paix qui n’est pas du tout acceptée. Le moins que l’on puisse dire c’est que la politique israélienne ne rencontre pas d’obstacles.

Certes, le mouvement palestinien n’est pas exempt de tout reproche. Il est en profonde déliquescence, avec un Hamas répressif, et un leader palestinien, Mahmoud Abbas, qui perd de plus en plus en légitimité. Ce dernier a été élu il y a maintenant 13 ans, et on peut dire qu’il est très contesté en interne. Mais Israël aurait tort de se réjouir de la déliquescence du mouvement palestinien. Cela peut lui servir à court terme, mais à long terme ce n’est pas rassurant.

Mais si la communauté internationale accepte bon gré mal gré la politique israélienne, il n’en est pas de même pour l’opinion publique internationale.

On est face au même antagonisme dans les pays arabes, les gouvernements, soit acceptent la politique israélienne, soit ne sont pas en mesure de lutter contre elle parce qu’ils ont trop de problèmes intérieurs, soit, enfin, parce qu’ils ont peur des États-Unis. Mais dans l’opinion publique arabe, la cause palestinienne reste encore un élément fédérateur et sacré. Elle constitue peut-être d’ailleurs un des rares éléments de l’unité arabe.

L’absence de perspective politique se traduit souvent par des violences incontrôlées. Depuis très longtemps, les Palestiniens font preuve de résilience, les Israéliens ont tort de penser que cette résilience est une résignation.

Nétanyahou : triomphe stratégique ?

mer, 10/04/2019 - 12:17

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, revient sur les élections législatives en Israël et leurs implications.

L’Inde à la conquête de l’espace

mer, 10/04/2019 - 10:20

C’est une entame printanière spatiale chargée et réussie que vient de vivre l’Inde ces derniers jours. Le 1er avril 2019, l’organisation indienne de recherche spatiale (ISRO) a procédé au tir réussi de son lanceur Polar Satellite Launch Vehicle (PSLV), lequel ne transportait rien de moins qu’une trentaine de satellites, occidentaux pour l’essentiel (24 américains, quatre européens), un satellite indien de dernière génération EMISAT[1] complétant le chargement. Ce lancer constitua une première à divers égards, l’ISRO plaçant notamment à cette occasion des satellites sur trois orbites au cours d’un même lancement, tandis que le 4e étage du PSLV se transformait pour la première fois en une plate-forme de recherche orbitale.

Trois jours plus tôt, le 29 mars, la voie de la performance technologique et spatiale avait été engagée par le tir réussi d’un missile antisatellite (A-Sat) abattant à 300 km d’altitude un satellite cible indien, une prouesse faisant entrer l’Inde dans le cercle très fermé des puissances détenant un tel savoir-faire, jusqu’alors composé des seuls États-Unis, de la Russie et de la Chine.

Des performances transparentes et maîtrisées

Lors de son tir opéré en janvier 2007[2], la Chine avait désigné une cible positionnée à une altitude élevée (800 km), ayant comme conséquence lors de sa destruction la production d’une multitude de débris qui, à une telle altitude, demeureront en orbite, selon les spécialistes, des décennies sinon des siècles, avec le lot de contraintes (sécuritaires notamment) générées par une telle présence sur une si longue durée. À la différence de ce précédent chinois, les ingénieurs du pays de Gandhi œuvrant sur la « mission Shakti (force) » ont retenu une cible située à une altitude inférieure (300 km), une option réduisant à quelques semaines ou mois la présence dans l’espace de ces débris de satellite. Prenant là encore le contre-pied de Pékin – qui en 2007 ne communiqua guère volontiers sur son entreprise antisatellite – New Delhi, par la voix de son Premier ministre Narendra Modi, communiqua sans tarder sur le sujet, insistant lors d’une intervention télévisée sur la transparence du programme spatial indien et l’attachement de la « plus grande démocratie du monde » à la nature pacifique[3] de son ambitieuse politique spatiale. Un mode opératoire plus transparent, plus responsable, salué par deux autres membres de ce club fermé des puissances spatiales, la Russie et les États-Unis, ces derniers confirmant à cette occasion leur « intérêt commun (avec l’Inde) pour l’espace et la coopération scientifique et technique en matière de sûreté et de sécurité dans l’espace extra-atmosphérique[4] ».

L’Inde, une puissance spatiale ambitieuse

Les succès technologiques enregistrés les 29 mars et 1er avril ont entre autres bénéfices permis de confirmer plus avant les capacités autochtones de l’Inde et la solidité d’un programme spatial bâti sur une série de réussites préalables : au printemps 2019, c’est en effet l’Union indienne qui, dans la région indo-pacifique, dispose de la plus importante constellation de satellites civils ; c’est encore l’Inde qui détient le record du nombre de satellites placés en orbite[5] lors d’un seul lancer (104). Enfin, c’est le savoir-faire des ingénieurs indiens qui permit en septembre 2014 à la sonde Mars Orbiter Mission de se placer (à sa première tentative et pour un coût financier très maîtrisé) en orbite autour de la Planète rouge.

Sans surprendre, ces compétences reconnues drainent aujourd’hui vers l’Inde des nations et des entreprises du monde entier lui confiant le lancement de leurs satellites. À ce titre, relevons l’étroite coopération entre l’Inde et la France (notamment entre l’ISRO et le CNES), lesquelles n’hésitent pas à parler de « vision commune de la coopération spatiale », à mettre en avant le fait que « la France et l’Inde sont liées par un partenariat ancien et sans équivalent dans le domaine des usages pacifiques de l’espace extra-atmosphérique. La coopération et la collaboration dans le domaine spatial ont profondément marqué les relations entre les deux pays qui se sont affirmés comme de grandes nations spatiales[6] ».

La présence de l’Inde sur cette niche technologique de pointe génère des dividendes économiques et comptables, mais également politiques, le cas échéant : au printemps 2017, l’Inde avait ainsi procédé – à titre gracieux – au lancement de satellites destinés à ses voisins du sous-continent et pays membres de la South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC[7]). Enfin, dans ce registre valorisant, notons encore que le mois dernier, la NASA[8] faisait part de son intérêt à former, avec ses homologues indiens, un groupe de travail sur le programme de missions spatiales habitées, l’Inde projetant d’envoyer trois astronautes dans l’espace d’ici 2022 dans le cadre de la mission « Gaganyaan[9] », un ambitieux projet porté par le chef de gouvernement indien en personne depuis l’été 2018[10].

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[1] Electro-Magnetic Intelligence Satellite, dédié notamment en renseignement militaire.

[2] ‘’Flexing Muscle, China Destroys Satellite in Test’’, The New York Times, 19 janvier 2007.

[3]  Un argument repris à l’identique par Moscou (‘’Russia highlights ‘non-directedness’ of India’s anti-satellite test against any country’’, The Business Standard, 29 mars 2019).

[4] Département d’État (américain), 3 avril 2019.

[5] Une prouesse réalisée en février 2017 ; lire à ce propos ‘’India Launches 104 Satellites From a Single Rocket, Ramping Up a Space Race’’, The New York Times, 15 février 2017.

[6] Le détail de cette coopération étroite peut être apprécié sur le site Internet de l’ambassade de France à New Delhi (https://in.ambafrance.org/Vision-commune-de-la-cooperation-spatiale-entre-la-France-et-l-Inde).

[7] L’organisation régionale de coopération réunissant les sept pays d’Asie méridionale + l’Afghanistan.

[8] ‘’Gaganyaan 2022: US interested in working with India for manned space mission’’, India Today, 9 mars 2019.

[9] ‘’ Gaganyaan 2022: What the mission is all about l 10 points’’, India Today, 28 décembre 2018.

[10] ‘’On Independence Day, Modi promises Indian manned space mission’’, CNN, 15 août 2018.

Quelles recompositions après les élections européennes ?

mar, 09/04/2019 - 17:34

Alberto Toscano, journaliste, politologue et écrivain italien, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Entretiens européens d’Enghien, organisés le 30 mars 2019 :
– En quoi la crise migratoire impacte-t-elle les dynamiques politiques nationales et par ricochet les futures élections européennes ?
– Comment sont perçues les élections européennes en Italie ? Comment s’y déroule la campagne ?
– À quoi devrait ressembler le Parlement européen après les élections ?

Washington cible l’Iran

mar, 09/04/2019 - 16:10

Visite de Xi Jinping en Europe : la Chine cherche ses partenaires des nouvelles routes de la soie

ven, 22/03/2019 - 17:01

Le président chinois a entamé une tournée européenne cette semaine, visitant l’Italie et la France pour tenter d’ancrer ses partenariats stratégiques dans la région. Alors que le projet de Pékin autour des nouvelles routes de la soie (en anglais BRI ou Belt and Road Initiative) cherche à se concrétiser davantage, la crise commerciale avec Washington complique les relations avec l’Europe. Quels sont les enjeux de ce voyage diplomatique ? Éclairage avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le président chinois Xi Jinping se rend en Italie et en France du 21 au 26 mars. Pourquoi ces deux pays et quels sont les enjeux de cette « visite de courtoisie » ?

Cette visite de Xi Jinping n’est dans les faits en rien une visite de courtoisie, sinon dans son volet monégasque, puisqu’il sera le premier président chinois à effectuer une visite officielle en principauté, entre son passage en Italie et en France. Le contexte est particulièrement important pour comprendre le déplacement de Xi Jinping. D’abord le Brexit, qui interroge la Chine sur l’avenir de l’UE et par voie de conséquence de ses propres intérêts dans la région. Ensuite, en raison des tensions très nettes entre Rome et Paris, qui n’ont fait que croître au cours des dernières semaines, et symbolisent les dissonances très visibles au sein de l’UE, y compris des membres fondateurs. L’Italie, en se greffant à la BRI chinoise, devient le premier État du G7, mais aussi le premier partenaire européen « significatif », au sens politique, démographique et économique, à accompagner officiellement les nouvelles routes de la soie initiées par… Xi Jinping. De son côté, la France a été identifiée comme le principal partenaire de Pékin avec l’élection d’Emmanuel Macron, et la visite d’État du président français en Chine en janvier 2018 a suscité chez les Chinois l’espoir que non seulement la France adhèrerait à la BRI, mais qu’elle emmènerait en plus dans son sillage l’UE. Un an plus tard, il n’en est rien, et après son passage à Rome, Xi Jinping met la pression sur Paris. En clair, le président chinois a compris que les querelles actuelles entre Paris et Rome symbolisent les divergences au sein de l’UE, et il cherche à capitaliser dessus pour faire avancer son projet, soit en poussant l’UE à se mettre d’accord, soit en multipliant les accords bilatéraux, avec des États membres de plus en plus « importants », pour forcer la main aux derniers récalcitrants.

Le projet des nouvelles routes de la soie semble inquiéter et diviser les Européens, la puissance de la Chine se projetant potentiellement au sein de l’UE. Pékin peut-elle réussir à mettre en œuvre le corridor de transport souhaité dans ces conditions ?

La BRI n’inquiète pas tous les Européens. Le problème de l’UE est précisément son incapacité à se mettre d’accord sur la stratégie chinoise et sur la réponse à y apporter. Tout semble opposer les 27 : la Suède a récemment annoncé accepter des réfugiés ouïghours qui en feraient la demande, l’Allemagne se montre méfiante à l’égard des acquisitions chinoises dans des secteurs clefs, la France tergiverse et envoie des signaux contradictoires, l’Italie s’apprête à s’ouvrir aux investissements chinois, le Portugal cède le contrôle de son électricité… Et parallèlement, les pays d’Europe centrale et orientale ont déjà acté la BRI, à la fois en acceptant des projets d’investissement importants pour leurs économies respectives, mais aussi en engageant un dialogue stratégique. Dans cette cacophonie, la Chine avance dans ses projets bilatéraux, à défaut de voir se concrétiser un accord Chine-UE. Entre ceux qui s’inquiètent d’une présence grandissante de la Chine et, à l’inverse, ceux qui l’accueillent à bras ouverts, qui a raison ? Les deux justement, et c’est là tout le problème. S’il est nécessaire d’accroître les échanges avec Pékin et sain d’accepter ses investissements, il convient de rester prudent quant à la finalité de cette stratégie chinoise. Car que veut exactement la Chine en Europe ? Pas simplement développer de nouveaux corridors de transport, car les investissements portent sur des secteurs qui n’y sont parfois pas du tout associés. Mais veut-elle contrôler les économies européennes, les relancer, créer des synergies nouvelles à l’heure des guerres commerciales ? C’est le manque de transparence du projet chinois et de ses objectifs qui alimente les fantasmes.

En plein conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, comment l’Europe peut-elle se positionner par rapport à Pékin ? 

Les dissensions sont, nous venons de le voir, au cœur même de l’incapacité des Européens à s’exprimer d’une seule voix. Et elles ne sont pas près de s’estomper, bien au contraire. Dès lors, la question est de savoir si la Chine ne cherche pas, en multipliant des accords bilatéraux, à atteindre une masse critique pour contraindre les derniers hésitants à se rallier à elle. C’est tout le défi posé par l’adhésion de l’Italie, troisième économie de l’UE une fois le Brexit concrétisé. Dans les guerres commerciales qui l’opposent aux États-Unis, la Chine ne se contente pas de répondre aux attaques par d’autres attaques, ni d’une négociation visant à apaiser les tensions : elle se tourne vers d’autres partenaires, dans les pays en développement bien sûr, mais aussi dans son voisinage et en direction de l’UE. Ne pas intégrer la question de la difficile relation avec Washington dans la stratégie que mène Pékin en Europe revient sans doute à passer à côté de l’essentiel.

 

« France-Algérie ; 50 ans d’histoires secrètes » – 3 questions à Naoufel Brahimi El Mili

ven, 22/03/2019 - 12:41

 

Naoufel Brahimi El Mili est docteur en sciences politiques, enseignant à Sciences Po Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « France-Algérie ; 50 ans d’histoires secrètes » aux éditions Fayard.  

Au-delà des querelles publiques, comment évaluez-vous la coopération stratégique entre la France et l’Algérie ?

Malgré le formidable sursaut du peuple algérien qui chaque vendredi manifeste par millions contre le cinquième mandat, et surtout en dépit de position ambigüe du pouvoir français accusé par les Algériens de neutralité complice au mieux et d’ingérence coupable au pire, la coopération stratégique ne doit pas connaitre de grands bouleversements. En premier, figure la coopération militaire et sécuritaire au Nord-Mali. Sans le soutien logistique déterminant de l’armée algérienne, l’opération Serval ne pouvait se mettre en  place en 2013. Encore moins l’opération Berkane. L’armée algérienne qui ne cherche pas d’affrontement avec le peuple algérien qui dénonce le cinquième mandat se consacre prioritairement à la gestion des énormes défis géopolitiques : Libye, Niger, Mali. Supposons cette armée sortie des casernes pour mater les manifestants, la France serait dans une position délicate, car son premier soutien dans la région deviendrait moins politiquement fréquentable. Mais ce n’est pas du tout le cas. Cette même armée qui se positionne de plus en plus du côté du peuple algérien ne peut faire débarquer le président algérien avant le terme officiel de son mandat prévu le 29 avril. Les militaires algériens ne veulent pas être considérés comme putschistes contre un président soutenu sournoisement par l’Élysée et autres monarchies golfiotes.  Mais la France ne doit pas trop tarder à réaliser que le statu quo qu’elle souhaite secrètement est porteur potentiel de chaos. Une prise de position plus franche en faveur des revendications démocratiques des Algériens, de la part de Paris, rendrait plus aisée la fin du mandat présidentiel à son terme constitutionnel, soit par l’armée soit par le peuple, et pourquoi pas les deux en même temps. Ainsi le président Macron serait dans le sens de l’histoire que veulent écrire les Algériens. Il préservera les intérêts du pays dont il a la charge.

Aussi, la France se fournit à hauteur de 10% du gaz algérien. L’Algérie même dans les moments les plus difficiles de son histoire a toujours respecté sa signature. Quand au commerce courant de 5 milliards de dollars par an il ne peut que se consolider notamment grâce à une plus forte implication des Algériens de France qui manifestent chaque dimanche en soutien à leurs frères et sœurs du pays. Il est à penser que les Franco-Algériens seront plus actifs dans la vie économique qui lie les deux pays.

Peut-on, et comment envisager des relations bilatérales apaisées ?

Le poids de la mémoire, le refus français de la repentance ne peuvent faire aboutir des relations très apaisées, mais c’est la marque de fabrique de ces relations bilatérales assez complexes. Cependant, l’après Bouteflika avec une position française courageuse peut faire rentrer ces relations dans un nouveau monde. L’Algérie aussi a un rôle à jouer notamment en annulant l’article 51 de la constitution qui interdit aux binationaux certains postes politiques. Apparaîtront dès lors de nouveaux acteurs biculturels forts de leurs racines algériennes et de leurs connaissances du système français, ils seront les artisans d’une nouvelle page dans les relations entre les deux rives de la Méditerranée. Une nouvelle Algérie ne peut devenir une menace migratoire pour la France quoiqu’en disent les tenants d’une extrême droite populiste. De son côté,  la France doit ouvrir plus généreusement ses guichets consulaires pour les visas. Cette même France qui ferme ses universités au nez des étrangers en exigeant des frais d’inscription exorbitants. Elle se prive de toute participation à la formation des élites algériennes du futur. Finalement, Paris qui accepte que le pétrole et le gaz traversent la mer doit aussi accepter que des Algériens en fassent autant. C’est le pont humain qui doit être la pierre angulaire de ces relations bilatérales que l’on souhaite apaiser.

Selon vous, que doit faire la France face aux évènements actuels ?

Face à cette situation inédite et compte tenu des particularismes des relations bilatérales, le rôle de la France dans l’immédiat est peu aisé. Déjà le président Macron, au sujet des gilets jaunes avait déclaré : « ce n’est pas la rue qui gouverne en démocratie », il s’est autopiégé. Il ne peut ni adouber ouvertement les rues d’Algérie ni dire que ce pays n’est pas une grande démocratie. Les Algériens lors des manifestations portent des pancartes peu élogieuses à l’égard du président français accusé à tort ou à raison de complicité avec le pouvoir algérien. Emmanuel Macron peut exercer son droit de réponse aux Algériens, non pas par un « je vous ai compris ». Et ce n’est pas la première déception. Un bref retour vers le passé est éclairant. Les Algériens ne peuvent oublier les propos tenus par le candidat Macron devant une chaîne privée algérienne : « La colonisation est un crime contre l’humanité. » Le calcul électoraliste sous-jacent est évident, les voix des Franco-Algériens comptent. Très vite, le nouveau président français est qualifié d’ami de l’Algérie tant par le pouvoir que par l’homme de la rue. Sa seule visite de travail à Alger était vite éclipsée par le décès de Johnny Hallyday. Les Algériens n’ont retenu que cet échange dans une des rues principales de la capitale avec un jeune algérois qui l’interpelle sur le principe de la repentance. Et la réponse présidentielle fuse : « Qu’est ce que vous venez m’embrouiller avec ça ? Votre génération doit regarder l’avenir, la jeunesse algérienne ne peut pas constamment regarder son passé ! » Première déception.

Il ne reste pour le président Macron que de se démarquer clairement de ce pouvoir agonisant en expliquant aux Algériens que leur combat est démocratique donc juste. Dans le cas de cette nouvelle Algérie qui se dessine, le « en même temps » ne fonctionne pas. Le Macron candidat aux présidentielles dernières en se rendant à Alger comme François Hollande, avant lui et tant d’autres, ne pouvait ignorer le poids électoral des Franco-Algériens détenant plus de deux millions de bulletins de vote. Il faut qu’il s’en souvienne surtout que son mi-mandat heurté se rapproche. Sans oublier les Européennes.

La Thaïlande (enfin) de retour aux urnes, la panacée ?

ven, 22/03/2019 - 11:55

Le scrutin longtemps promis par les autorités aux sujets du royaume finit enfin, après moult détours et contretemps, par se matérialiser avec l’arrivée du printemps : dimanche 24 mars, la Thaïlande convie ses 51 millions d’électeurs aux urnes pour renouveler la chambre basse (Assemblée nationale, 500 sièges) et désigner un nouveau chef de gouvernement. Une première – repoussée ces dernières années à diverses reprises avec un argumentaire souvent ténu – depuis 2011 et le dernier scrutin démocratique organisé dans cette nation bouddhiste du sud-est asiatique, politiquement polarisée.

Arrivé au pouvoir un quinquennat plus tôt (printemps 2014) lors du dernier d’une longue série de coups d’État militaires[1], le Conseil national pour la paix et l’ordre (CNPO) du  Premier ministre (et ancien général) Prayut Chan-o-cha conçoit ce rendez-vous électoral comme un référendum validant ses cinq années à la tête du pays, espérant se maintenir en fonction à l’issue de ce scrutin en s’adossant au parti créé sur mesure dernièrement, le Palang Pracharat (PPRP) – soutenu par l’armée, le palais royal, les élites urbaines, les milieux d’affaires (establishment) – dans un cadre constitutionnel très favorable à ses intérêts[2] (Constitution de 2017). Nombreux sont ceux dans l’ancien Siam à manifester peu d’enthousiasme face à cette perspective, car sevrés depuis des années de démocratie au sens littéral du terme. Les détracteurs de l’ancien commandant en chef de l’Armée royale thaïlandaise dénoncent le risque de démocratie martiale associé à l’éventuel succès du PPRP et de ses alliés lors des élections de dimanche. À cette « Thaïlande d’en haut », réservée sur le bénéfice pour le royaume d’un gouvernement à l’agenda plus populiste (cf. « chemises rouges », sympathisants de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra), s’oppose un segment de la société aspirant au retrait de la junte de la vie politique nationale et au retour de la règle démocratique pour les 68 millions de Thaïlandais.

À quatre jours de l’événement, l’issue comptable de ce scrutin reste entourée d’incertitudes : si la formation politique du  Premier ministre Prayut dispose du confort d’une chambre haute (Sénat, 250 élus) désignée par la Royal Thai Military et non par l’électeur – donc rangée à ses intérêts -, le Democrat Party (DP) de l’ancien Premier ministre A. Vejjajiva, le Pheu Thai (PTP) du « clan Shinawatra », toujours présent dans les provinces du nord/nord-est, ou encore le plus atypique et récemment créé Future Forward Party (FFP) du quadragénaire et homme d’affaires T. Juangroongruangkit, populaire auprès des jeunes primo-votants, se posent en arbitres incontournables de ce rendez-vous. L’hypothèse d’un gouvernement de coalition associant le PPRP et le DP – réunissant ainsi à eux deux plus aisément les 376 sièges (en combinant les deux chambres) nécessaires à la composition d’une majorité absolue au Parlement et à la nomination du prochain Premier ministre – dispose d’un certain crédit, sans pour autant apparaître aujourd’hui comme l’issue garantie de cette consultation populaire. Ce, alors même que le Pheu Thai (la formation ayant remporté tous les scrutins nationaux depuis 2001) pourrait d’un point de vue comptable attirer le plus de voix[3] vers ses candidats et disposer à elle seule à l’Assemblée nationale d’une majorité relative. Une situation qui pourrait faire (re)naître un sentiment d’injustice et de déni de démocratie latents dans les rangs populistes, lassés du poids considérable de l’establishment et de l’armée dans la vie politique nationale et le quotidien des individus.

Nous n’en sommes pas encore là. Une estimation partielle des résultats devrait être communiquée dans les jours qui suivront ce premier scrutin organisé en huit ans, le 9 mai étant la date officiellement retenue par les autorités pour l’annonce des résultats définitifs. Entre ces deux dates, le royaume et ses 68 millions de sujets devraient – ainsi que l’espère ardemment le gouvernement – se dépassionner de la question politique pour se saisir du symbole, a priori plus consensuel et moins partisan, de la monarchie, les célébrations nationales du couronnement du souverain Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun[4] (Rama X) s’étirant du 4 au 6 mai. Une fois passé cet événement national transcendant les clivages et les résultats du scrutin connus, en fonction de leur issue comptable, il pourrait alors en aller bien différemment, dans les rues de Bangkok notamment.

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[1] Le 12e depuis l’instauration en 1932 de la monarchie constitutionnelle.

[2] Le nouveau système de vote instauré par le CNPO s’emploie – à dessein – à réduire la possibilité pour un parti politique de briguer à lui seul la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, l’influente institution militaire semblant bien plus à son aise avec un hémicycle multicolore donc divisé, plus aisé à manipuler.

[3] Certaines projections créditent le parti de 125 à 200 sièges (sur les 500 de l’hémicycle) à la chambre basse, une volumétrie nettement supérieure aux estimations du DP (entre 75 et 120 sièges) et du PPRP (environ 70 élus).

[4] Suite au décès de son père, le vénéré roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) en oct. 2016 après un règne de 70 ans, Maha Vajiralongkorn (Rama X) est monté sur le trône en décembre 2016, dans un enthousiasme populaire relatif.

« Atlas des droits de l’homme » – 3 questions à Catherine Wihtol de Wenden

jeu, 21/03/2019 - 16:21

 

Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche émérite au CNRS et enseignante à Sciences Po (Paris). Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Atlas des droits de l’homme », dont elle a dirigé l’élaboration, préfacé par Henri Leclerc et paru aux éditions Autrement.  

La carte montre que nous sommes encore loin de l’abolition universelle de la peine de mort, comment l’expliquer ?

142 sur 198 membres de l’ONU ont aboli la peine de mort. Ces abolitions ont souvent correspondu dans le temps avec des « moments abolitionnistes ». Aux États-Unis, 18 États sur 50 sont abolitionnistes, 4 le sont en pratique depuis longtemps, mais certains, comme le Texas, la considèrent comme partie prenante de leur histoire, voire de leur identité. La Chine la pratique encore (sous le sceau du secret d’État), mais en a réduit le nombre. L’Arabie saoudite la maintient, au nom de la charia (pour adultère, par lapidation). La peine de mort existe aussi en Irak, au Pakistan et en Iran, qui comptabilisent tous les cinq, 84% des exécutions.  En Europe, c’est le Portugal qui l’a abolie le premier en 1867, suivi par l’Italie, à la fin du XIXe siècle, soit 100 ans avant la France (1981). Mais les alternatives (prison à perpétuité ou relégation dans les colonies), pratiquées hier n’ont pas été satisfaisantes, car elles n’ont pas toujours conduit à la reconstruction des victimes ni été un abri contre la récidive.

 Y aurait-il un clivage Nord/Sud concernant les droits de l’homme ?

Oui, mais il ne va pas toujours dans le même sens. Ainsi les 50 États non-signataires de la Convention de Genève de 1951 sur l’asile sont des pays du sud. En revanche, parmi les 54 pays signataires de la Convention des Nations Unies de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, il ne s’agit, à l’exception du Monténégro et du Kosovo, que de pays du sud, car les pays du Nord ne veulent pas être liés par des droits à accorder aux sans-papiers. Beaucoup de pays du sud ne sont pas des démocraties, aussi une multiplicité de droits n’est pas reconnue (liberté d’expression, d’association, liberté syndicale, accès aux droits, prisons, protection des libertés publiques à l’ère numérique) et parfois les États religieux de culture musulmane notamment limitent certains droits (droits des femmes, liberté de religion, persistance des castes en Inde malgré la Constitution). De plus le fait que la plupart des réfugiés proviennent de pays du sud (qui les accueillent également majoritairement, mais comme réfugiés de fait), que les déplacés environnementaux soient aussi originaires du sud de la planète, que les apatrides soient essentiellement des personnes du sud aggrave la situation des sans droits dans des pays qui ne leur donnent aucun statut. Les pays du sud deviennent aussi des pays d’immigration, sans aucune législation le plus souvent sur l’immigration et l’asile, dans un contexte de mondialisation accrue des migrations, ce qui va aggraver les carences au regard des droits de l’homme auprès des populations mobiles du sud du monde.

La carte de l’esclavage montre-t-elle une persistance inquiétante ?

Oui, car il continue d’être pratiqué dans nombre de pays du sud, du fait de la non-application de la législation des États. Les raisons en sont multiples. Il peut s’agir de la poursuite de l’esclavage domestique traditionnel (comme en Haïti ou en Mauritanie), du travail forcé et de la traite des êtres humains, du travail des enfants, imposé par les mafias du passage irrégulier des frontières imposant l’esclavage comme contrepartie, de l’esclavage sexuel du fait de la mondialisation de filières de prostitution. Une victime sur quatre est un enfant, 71% sont des femmes et des filles. Des formes d’esclavage existent aussi à la suite de guerres civiles, dans les camps. En France ce n’est qu’en 2013 que le crime d’esclavage est entré dans le Code pénal. Souvent, l’esclavage correspond aussi à des clivages ethniques ou racialisés : castes, subsahariennes et arabes, Blancs/Noirs en Amérique latine, en Afrique et en Asie et semble long à éradiquer compte tenu de sa longue tradition dans les pratiques des pays concernés.

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