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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Mis à jour : il y a 22 heures 10 min

« Hong Kong, l’insoumise » – 4 questions à François Bougon

lun, 21/12/2020 - 14:17

 

François Bougon, journaliste, a été correspondant en Chine pour l’AFP et a couvert l’Asie pour Le Monde. Il est désormais responsable du service étranger de Mediapart. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Hong Kong, l’insoumise – De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise » aux éditions Tallandier.

 

Vous décrivez des récits opposés : pour Pékin contrôler Hong Kong, c’est laver les humiliations du colonialisme ; pour la jeunesse de Hong Kong, c’est la Chine qui est une nouvelle puissance coloniale.

Nous avons vu ce territoire du sud de la Chine devenir progressivement un lieu de tensions géopolitiques, entre la Chine et les Occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis de Trump. Ce dernier a transformé ce qui était au départ une guerre commerciale en affrontement idéologique présenté comme une nouvelle guerre froide entre deux blocs antagonistes – le « monde libre » d’un côté et Pékin de l’autre – et Hong Kong se trouve en plein milieu de cette confrontation. Par là, Trump a mis fin à une séquence de collaboration ouverte à la fin des années 1960 par Richard Nixon, une stratégie qui, malgré des crises comme la répression sanglante de Tiananmen en 1989, n’avait jamais été remise en cause par aucun président américain. Xi Jinping, désigné secrétaire général du Parti communiste en 2012, à la tête d’une Chine beaucoup plus forte économiquement, bouscule également le statu quo. Lui a rompu avec la politique de profil bas adopté par Deng Xiaoping à la fin des années 1970 au moment du lancement de la politique de réforme et d’ouverture. Sous son égide, Pékin ne veut plus recevoir de leçons de la part de l’Occident et promeut un modèle alternatif : une croissance économique sans libertés politiques. Il promeut également une politique ethno-nationaliste, dans laquelle l’ethnie majoritaire han joue un rôle important au détriment des minorités ethniques. Ces changements, Hong Kong en subit les conséquences. Ce territoire de plus de 7 millions d’habitants n’est plus le carrefour entre Chine et Occident, mais un objet d’affrontement où le passé colonial – les plus de 150 ans de règne britannique – est rappelé par Pékin pour repousser toute forme d’ingérence vue comme un néo-colonialisme. Xi Jinping rappelle aussi l’avertissement de Deng : Hong Kong ne doit pas se transformer en base de subversion pour importer en Chine une « révolution de couleur ». Tel est le récit chinois. Côté hongkongais, ce qui est frappant en effet c’est à quel point la jeunesse née un peu avant la rétrocession (1997) ou juste après, et qui n’a donc pas connu le Hong Kong colonial, voit la Chine comme une puissance coloniale : un pays qui opprime leurs revendications démocratiques (un véritable suffrage universel), et méprise les traditions locales. D’où ce conflit entre ces deux visions. 

Mao était-il indifférent vis-à-vis de Hong Kong ?

Mao n’était pas indifférent vis-à-vis de Hong Kong. Mais la priorité dans les années 1940 et 1950 était de triompher des nationalistes, puis, une fois arrivé au pouvoir, de consolider la révolution communiste en Chine continentale. Hong Kong n’était pas vu comme prioritaire, mais le discours officiel rappelait qu’il s’agissait d’une terre chinoise arrachée à la Mère-patrie par les puissances coloniales occidentales. En 1946, le Grand Timonier le dit à un journaliste britannique. Il se peut, explique-t-il, que dans dix, vingt ou trente ans, les Chinois demandent une discussion sur la rétrocession de la colonie, mais pour l’heure tant que les Chinois de Hong Kong ne sont pas discriminés en termes d’impôts et ont voix au sein du gouvernement, la République populaire de Chine s’en tiendra au statu quo. Et pendant la guerre de Corée, alors que Pékin doit subir un embargo de l’ONU et des Américains, Hong Kong se révèle très utile. 

Deng voyait au contraire dans Hong Kong la potion magique pour moderniser la Chine, comment cela s’est-il traduit ?

Deng Xiaoping a vu tout l’intérêt que représentait la colonie pour la réussite de la modernisation chinoise. Cette « porte du Sud » va jouer un rôle primordial dans la politique de réforme et d’ouverture. Grâce au territoire, il dispose d’un atout dont n’a pas disposé l’Union soviétique : un point de contact avec le monde capitaliste et la possibilité de faire appel à des entrepreneurs dont les familles sont originaires des provinces méridionales du Guangdong et du Fujian. Et en octobre 1978, Deng Xiaoping plaisante en expliquant qu’il a trouvé la formule magique pour transformer son pays, c’est Hong Kong. Entre 1979 et 1995, deux tiers des investissements directs viennent de Hong Kong ou passent par la colonie britannique. Ils permettent à la province du Guangdong de jouer un rôle moteur et à la ville de Shenzhen, une zone économique spéciale où sont testées des politiques économiques capitalistes, de se développer et de devenir la vitrine du « miracle chinois ».

La normalisation est-elle en train de triompher ?

Malheureusement oui. Nous assistons de fait à la fin du régime « un pays, deux systèmes » qui avait permis à Deng de revendiquer le retour de Hong Kong au sein de la Chine. L’imposition par Pékin de la loi sur la sécurité nationale le 1erjuillet dernier – date anniversaire de la rétrocession – a marqué la fin de la semi-autonomie du territoire. Le destin de Hong Kong est la normalisation à la chinoise. Ceux qui s’y opposent et qui ne pourront pas prendre le chemin de l’exil, doivent s’attendre à être poursuivis.

L’Inde, épicentre de nombreuses révoltes

lun, 21/12/2020 - 10:42

New Delhi a mis en œuvre de nouvelles réformes de libéralisation du secteur agricole.  Cette nouvelle a créé une profonde révolte dans les classes paysannes du pays, allant jusqu’à bloquer la capitale, New Delhi. Cet événement vient s’ajouter aux nombreux mouvements de contestation qui secouent l’Inde. Point sur la situation avec Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l’IRIS.

Quelles sont les raisons qui expliquent la grande révolte que connait aujourd’hui l’Inde ?

En Inde, il n’y a pas UNE grande révolte en ce moment, mais plutôt un ensemble de révoltes plus ou moins petites ou grandes. Ce n’est pas nouveau, c’est même le titre d’un roman écrit par le plus grand romancier indien, V.S.Naipaul, L’Inde. Un million de révoltes. C’est un pays remuant et habitué à être remué. Mais il est vrai que l’Inde a connu une grève générale le 26 novembre dernier qui aurait réuni près de 250 millions de personnes. Elle était appelée par une dizaine de syndicats et soutenue par toute l’opposition. Les revendications étaient assez radicales en comparaison des orientations actuelles du régime et couvraient aussi bien des allocations de revenu minimales de 7500 roupies par mois, que l’extension des programmes spéciaux de garantie d’emplois, les droits à la retraite pour tous et le retrait de tous les projets de réformes en cours dont le marché du travail et l’agriculture. On peut citer cinq facteurs sous-jacents à l’origine des révoltes actuelles et qui expliquent sans doute leur convergence exceptionnelle le 26 novembre.

Le premier concerne la situation du pays face à la pandémie de Covid-19. Près de 60% de la population aurait été infectée. Même s’il y a beaucoup moins de morts par millions d’habitants que dans les pays européens, cette très forte contagion suscite des peurs qui accompagnent les révoltes plus sectorielles. La campagne de vaccination prévue pour 2021 ne se présente pas clairement pour l’instant bien que l’Inde soit le plus grand producteur mondial de vaccins, ce qui renforce l’incertitude dans les familles et les communautés.

Un deuxième est illustré par le saccage et la mise à feu d’une usine de téléphones mobiles près de Bangalore dans le sud du pays il y a quelques jours. La Mecque de l’informatique mondiale côtoie une exploitation des travailleurs digne du XIXe siècle. Les cols bleus de cette usine de technologie assemblant des iPhone y sont extrêmement mal traités. Officiellement taïwanaise, la loi indienne oblige en réalité ce type d’entreprise à avoir des « partenaires » locaux qui gèrent plus ou moins l’entreprise et surtout des contracteurs plus ou moins véreux qui fournissent et gèrent la main-d’œuvre dite intérimaire. Ils prennent notamment des commissions confortables de sorte que le salaire net des ouvriers est de moins de 50 dollars par mois, quand il est payé d’ailleurs puisque les ouvriers se plaignaient en l’occurrence de ne pas être payés régulièrement depuis des mois. Cet exemple se retrouve un peu partout en Inde et génère des millions de petites révoltes salariales. Le paradoxe est que l’Inde est désormais un des premiers producteurs mondiaux de téléphones mobiles, surtout pour son marché, mais aussi à l’exportation grâce à des lois très avantageuses.

Une troisième source d’alimentation des révoltes est l’explosion des inégalités. Le récent rapport annuel sur la richesse mondiale par le Crédit suisse a été dévoilé la semaine dernière et il montre que l’Inde comptait 245 000 millionnaires, dont 1820 possédant plus de 50 millions de dollars. Or les Indiens les plus riches se sont encore nettement enrichis pendant la crise du Covid-19 alors qu’inversement elle frappait durement les pauvres. Ceux qui étaient ainsi juste au-dessus du niveau de pauvreté de 1,9 dollar par jour sont retombés dans les trappes à pauvreté. On estime que le pourcentage de la population indienne vivant non pas dans la pauvreté, mais dans ce qu’il faut appeler la misère, est passé de 35% à près de 50%. Les inégalités déjà particulièrement criantes dans le pays sont nettement reparties à la hausse et de plus en plus visibles. On peut s’en satisfaire en période de forte croissance pour tous. Tel n’est plus du tout le cas, au contraire, d’où une frustration qui se transforme en exaspération à la moindre occasion.

Un quatrième facteur concerne le monde rural qui a fourni le gros des troupes à la mobilisation du 26 novembre avec même une marche sur Delhi arrivée le 30 novembre pour atteindre des centaines de milliers de paysans début décembre, venant notamment des greniers à blé de l’Inde, le Punjab et l’Haryana. Le monde rural indien proteste contre trois lois en cours de discussion qui renient complètement les engagements pris par le Premier ministre actuel, Narendra Modi, en 2014, l’année de son élection. Il avait alors promis que les prix minimum garantis (MSP) couvriraient au moins 50% des coûts de revient. Les agriculteurs se sont aperçus que l’on était loin du compte et que la situation ne cessait de se détériorer. Ils considèrent même que ces trois lois vont aggraver la situation et les empêcher de vivre correctement de leur travail.

On ne peut donc pas parler d’une révolte, mais d’une multitude de révoltes qui ont exceptionnellement convergé le 26 novembre et que l’on peut résumer par l’impact d’une pauvreté multisectorielle, multirégionale, explosive et aggravée par l’épidémie dans un pays profondément divisé depuis l’élection de Narendra Modi en 2014 et sa réélection en 2019.

Le gouvernement peut-il réellement espérer retourner l’opinion publique contre la révolte paysanne ?

Le gouvernement indien ne pourra pas retourner l’opinion publique contre les manifestants des campagnes, même si les électeurs traditionnels, le noyau électoral du régime de Narendra Modi, se recrutent plutôt dans les villes et peu dans les zones rurales, et que les industriels qui le financent fortement sont les gagnants de la réforme agricole, tels que Mukesh Ambani ou Gautam Adani. Il appliquera la même méthode que le colonisateur britannique en son temps : Divide and Rule (« diviser pour mieux régner »). Mais il est peu probable qu’il puisse retourner l’opinion publique contre la révolte des ruraux, les deux tiers de la population étant directement ou indirectement reliés au monde paysan, et 80% de la population indienne souffre des mêmes difficultés.

Il est donc probable que l’on s’achemine vers une épreuve de force comme ce fut le cas avec les lois sur la terre ou sur le marché du travail que Narendra Modi avait tenté de faire adopter lors de son premier mandat entre 2014 et 2019, sans y parvenir. S’il ne gagnera probablement pas sur toutes les réformes engagées, il pourrait cette fois en conserver deux volets : sortir certains produits agricoles du système de subvention MSP et permettre aux grands industriels de renforcer leur modèle contractuel dans les campagnes, c’est-à-dire à leurs prix et à leurs conditions.

Cette révolte s’inscrit dans une période difficile pour l’Inde. Comment résumer la situation du pays ? Ces mouvements de contestations viennent-ils davantage le fragiliser ?

L’Inde est dans une situation difficile comme beaucoup de pays dans le monde. Probablement plus difficile que d’autres pays qui ont peu ou prou géré l’épidémie d’une façon coordonnée et volontariste, avec des mesures sanitaires cohérentes et des plans de soutiens économiques et sociaux. Si la mortalité semble contenue, les estimations sur la croissance indienne valident les prévisions les plus pessimistes avec un retournement réel de 10% à 15% du PIB pour l’année 2020. De plus, il n’y a pas de signaux clairs quant à une reprise pour 2021, pour autant que l’épidémie s’éclaircisse grâce à la vaccination ou parce que le virus disparaît tout seul.  Certains parlent de rebond rapide. Je note qu’un des meilleurs experts, l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Raghuram Rajan est extrêmement inquiet de la crise financière latente et notamment de la situation des banques perclues de mauvaises dettes et donc incapables d’accompagner un nouveau cycle de crédit.

Plutôt que fragiliser le pays, on peut lire les mouvements de contestation d’aujourd’hui comme typiques de la régulation à l’indienne de ses problèmes. À la différence de la Chine. Ils font partie de la solution aux problèmes. Dans le cas des réformes agricoles, éviter des réformes qui iraient dans le sens d’une paupérisation accrue des paysans est plutôt un élément favorable sur le moyen terme. Il en est de même des garanties d’emplois publics élargis dans un tel contexte de crise, ou encore de l’augmentation des filets de protection sociale.

En revanche, le régime de Narendra Modi ne semble pas être fragilisé par ces mouvements ou par cette situation économique au vu des sondages et des élections de ces derniers mois comme au Bihar. Il n’y a pas d’opposition unie ou crédible, encore moins de programme qui fasse consensus. Sur le plan idéologique, il n’y a pas vraiment d’alternatives au radicalisme hindouiste qui s’appuie sur des boucs émissaires, en particulier sur les musulmans, pour faire oublier son incapacité à relancer le rêve de superpuissance à revenu intermédiaire et de plein-emploi qu’il avait vendu au moment des élections de 2014. Au plan diplomatique même, Narendra Modi profite et exploite à plein une position exceptionnelle face à la Chine où l’Inde apparaît comme incontournable dans n’importe quelle alliance pour la contenir.

Le business des vaccins contre le Covid-19 au centre des débats à l’OMC

lun, 21/12/2020 - 09:42

Alors que la vaccination contre le Covid-19 démarre en Europe et aux États-Unis, nombre de chefs d’État ont fait des déclarations pour souhaiter que l’ensemble de la population mondiale puisse y avoir accès. Les plus optimistes penseront que ces déclarations résultent d’une prise de conscience de l’importance qu’au XXIe siècle, la santé soit accessible à tous. Cyniquement, nous pourrions en déduire que ces déclarations de bonnes intentions viennent en réalité habilement habiller une impérieuse nécessité : qu’une majorité de personnes soient vaccinées pour que la pandémie soit vaincue. Et pourtant, une vaccination universelle ne semble pas encore totalement acquise à l’heure qu’il est. Les pays riches ont quasiment acheté 80% de la production mondiale de vaccins jusqu’en 2022. Certains ayant acquis des doses pour vacciner plusieurs fois l’ensemble de leur population, captant ainsi une part démesurée des vaccins qui seront disponibles.

Les débats qui se tiennent actuellement au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) autour de la lutte contre le Covid-19 ne laissent par ailleurs aucune illusion sur les belles intentions de la part des pays les plus développés. Dans un éditorial venant introduire les 11e brèves de l’OMC, la lettre mensuelle publiée par la délégation permanente de la France auprès de l’Organisation explique en effet comment les pays abritant de grands laboratoires pharmaceutiques militent pour le respect des accords sur les droits de propriété intellectuelle tels que négociés dans le cadre de l’Uruguay Round (TRIPS). Les pays émergents et en développement, à l’inverse, bien conscients que comme à l’accoutumée, ils seront les derniers servis, et qui s’inquiètent aussi du coût que va représenter pour eux et leur population une campagne vaccinale, demandent une suspension temporaire de ces droits afin de pouvoir avoir accès aux traitements et/ou vaccins.

« On pensait pourtant ce problème résolu depuis la conférence ministérielle de Doha en 2001 ! Sa décision avait débouché sur le seul amendement d’un accord de l’OMC depuis le cycle d’Uruguay : il permet aux PMA (pays les moins avancés) et, aux pays ayant des capacités de production insuffisantes, de recourir aux ‘licences obligatoires spéciales’ pour importer des copies génériques de tout médicament. », explique Jean-Marie Paugam, dans l’éditorial de cette 11e brève. L’Inde et l’Afrique du Sud ont ainsi déposé début décembre une demande de suspension temporaire de l’accord TRIPS, sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce). Ils se heurtent à la vision plus libérale dans l’esprit, mais en réalité conservatrice et protectionniste des grands pays, Union européenne en tête, vision qui a également une dimension géopolitique autour d’une certaine idée de la diplomatie du vaccin, très certainement. Ces arguments ont été développés lors d’un récent webinaire organisé à l’IRIS dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information et géopolitique au temps du Covid-19.

Une fois n’est pas coutume, ces visions différentes opposent aussi les entreprises. Certaines d’entre elles font pression sur leurs États pour protéger et breveter au plus vite leurs vaccins. D’autres, au contraire, s’associent aux initiatives visant à assurer un accès aussi large que possible au vaccin.

Pour les premières, la démarche est d’autant plus étonnante – pour ne pas dire choquante – que leur recherche et développement a été massivement financé sur fonds publics et qu’au vu de l’urgence sanitaire, leur retour sur investissement et leurs profits sont déjà assurés par leurs seuls débouchés dans les pays riches. Le manque de transparence est total et nous ne saurons probablement jamais quels furent ces profits.

Pour les secondes, en revanche, et c’est assez novateur pour être souligné, avaient déjà lancé au début des années 2000 un Fonds mondial pour la lutte contre les grandes pandémies de l’époque (Sida, tuberculose et malaria) ainsi qu’une alliance pour les vaccins à l’initiative de la Fondation Gates, de l’Unicef, de la banque mondiale et de l’OMS. GAVI ou Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation pousse les fournisseurs de vaccins à baisser leurs prix pour les pays les plus pauvres. Elle participe aujourd’hui à la vaccination de la moitié des enfants dans le monde. Elles sont aujourd’hui engagées dans un accélérateur d’accès aux outils de lutte contre le Covid-19 (ACT-Accelerator) incluant un pilier « vaccins » au travers d’une facilité d’achat de vaccins, la Covax. Il est à noter que la candidate africaine à la direction de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala préside actuellement le conseil d’administration de GAVI en charge également de la Covax, mais sa nomination qui devait intervenir début novembre est à ce jour bloquée par les États-Unis et la Corée du Sud.

Une fois de plus, cette situation nous démontre combien les débats autour de la mondialisation restent clivés et assez prévisibles entre égoïsmes nationaux et défense de l’intérêt collectif, combien les États, ne sont plus, loin s’en faut, les seuls acteurs d’une gouvernance mondiale en pleine refonte. Les acteurs non étatiques, entreprises et ONG comme représentantes des sociétés civiles sont, dans les situations les plus opérationnelles, des acteurs bien plus actifs et efficaces pour trouver des solutions collectives et pragmatiques.

BlackRock : un géant agricole ?

ven, 18/12/2020 - 18:52

Certaines dynamiques permettent parfois de saisir à quel point l’agriculture et les questions alimentaires suscitent de l’intérêt, y compris pour des acteurs qui n’en sont pas directement les protagonistes. Ou plutôt auxquels nous ne pensons pas spontanément quand on raisonne sur le développement de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. Ainsi, ces dernières années, avons-nous pu observer, par exemple, la montée en puissance des géants américains et chinois du numérique sur ces enjeux. Après tout, leur objectif étant de toucher le quotidien d’un maximum de personnes, quoi de mieux que d’attaquer les marchés et le business de l’alimentation, qui, à l’instar de la santé, présente un caractère universel, vital et répétitif chaque jour ? C’est dans ce registre stratégique qu’il convient d’appréhender l’ambition grandissante de BlackRock pour l’agriculture et l’alimentation dans le monde.

Rappelons d’abord ce qu’est BlackRock. Crée en 1988, il s’agit du plus grand fonds de gestion d’actifs de la planète, qui n’a cessé de croître depuis trois décennies et dont le siège se situe à New-York. Concrètement, il place ses propres capitaux et ceux qui lui sont confiés par ses clients (États, institutions, professionnels de la finance, particuliers) sur des cibles d’investissement garantissant des rendements plus ou moins risqués à moyen et long termes. A son démarrage, BlackRock gérait environ 1 milliard d’actifs (en dollars US). Désormais, il gère…7 800 milliards d’actifs ! Ce montant a doublé en dix ans. Relativement, cela le positionne comme l’équivalent du 3ème PIB mondial. BlackRock détient au moins 5% du capital dans plus de 40% des entreprises américaines. De tels ancrages lui octroient aussi au passage un accès à de précieuses informations économiques, industrielles et prospectives. En France, actionnaire de fleurons du CAC40 – Total (5,4%), Air Liquide, Vinci, Legrand et Bouygues (5 %), Publicis (4,9 %), Thalès (2%), Engie (1,2%) pour ne citer que les plus significatifs et connus du grand public – ce fonds a suscité beaucoup de commentaires à l’hiver 2019-2020, en plein milieu de la crise sociale provoquée par le projet de réformes de retraite. Ses adversaires estimaient que l’évolution vers un système par capitalisation serait bénéfique à BlackRock, ainsi et suspectaient donc ce grand hégémon de la finance mondiale de peser dans la décision du gouvernement français.

Conscient de ses problèmes de réputation, BlackRock soigne sa communication. Dès la présentation des résultats de 2019, une année record où BlackRock avait attiré 430 milliards de dollars de nouveaux capitaux à investir, le patron et fondateur du fonds, Larry Flink, prit soin de souligner : « Les clients se tournent de plus en plus vers BlackRock en tant que partenaire stratégique pour que l’on délivre des produits, mais aussi une réflexion plus large sur les questions macro-économiques et géopolitiques ». A cette ambition parfaitement assumée se superpose une volonté d’investir massivement dans le développement durable. BlackRock s’engage donc dans la finance verte, même si à ce stade, les 150 milliards de dollars d’encours durables ne représentent que 2% de ses actifs sous gestion. Néanmoins, fort de ses positions dans de nombreuses entreprises ou multinationales, il entend désormais s’opposer en tant qu’administrateur de sociétés aux opérations qui ne seraient pas exemplaires en matière de progrès pour le climat. A titre exemple, les dirigeants de BlackRock semblent avoir peu goûté les accusations de déforestation proférées en 2019 à leur encontre compte tenu de leur présence au capital de JBS Friboi, entreprise brésilienne qui pèse 25% du marché mondial de la viande de bœuf. Depuis, BlackRock demande des comptes et veille, grâce à ses 16 000 salariés disséminés sur tous les continents, à ce que les pratiques évoluent vers plus de durabilité dans toutes les sociétés où le fonds est présent. Et cela fait donc – potentiellement – beaucoup de monde sur la liste.

Les bénéfices nets augmentant chaque année, l’appétit de Blackrock s’est progressivement amplifié pour explorer une gamme très large de secteurs d’activités. L’agriculture et l’agro-alimentaire n’y échappent pas, à plus forte raison qu’elles recoupent parfaitement les aspects géoéconomiques, géopolitiques et environnementaux dont le fonds de gestion d’actifs entend s’occuper. En 2010, Blackrock avait créé le « World Agriculture Fund » et l’installe parmi sa panoplie de solutions d’investissement. En 2019, conscient que ses clients prêtent davantage attention aux questions alimentaires, Blackrock le renomme « Nutrition Fund ». Mais en réalité, c’est bien l’ensemble de la chaîne de valeurs du secteur qui est visé : semences, intrants, foncier, agroéquipement, production, transformation, emballage, distribution, technologies et services. Basé au Luxembourg, sa taille est de 88 millions de dollars en décembre 2020, ce qui demeure très peu dans l’univers de BlackRock. Ses plus grosses positions sont actuellement les suivantes: FMC Corporation (USA, produits phytosanitaires), Nestlé (Suisse, agro-alimentaire divers), Jamieson Wellness (Canada, produits naturels alimentation,-santé), Koninklijke DSM (Pays-Bas, nutrition humaine et animale), Tractor Supply Company (USA, matériel agricole et de jardinerie), Grocery Oulet Holding (USA, supermarchés discount), Costco Whosale Company (USA, grande distribution), Symrise (Allemagne, arômes et ingrédients, alimentation animale), CF Industries Holdings (USA, engrais), Mondelez (USA, biscuiterie et confiserie), Bunge (USA, négoce et logistique) et Kerry Group (Royaume-Uni, agro-alimentaire divers). Ces entreprises, couvrant un large spectre de domaines, constituent le tiers des actifs mobilisés de ce Nutrition Fund chez Blackrock. Sur le plan géographique, près de 50% de ses investissements sont aux États-Unis, 8% au Canada, 7% en Allemagne et autant aux Pays-Bas, 6% au Royaume-Uni, 5% en Irlande et en Suisse. La France n’est concernée qu’à hauteur de 3%. Mais en dehors du Nutrition Fund spécifiquement, il faut préciser que BlackRock détient des participations dans de nombreuses entreprises agro-alimentaires de taille mondiale, y compris françaises, comme Danone (5,7%) ou Pernod-Ricard (5%).

A l’image des mastodontes du numérique que sont Amazon, Google, Alibaba ou Huawei, BlackRock diversifie ses activités pour gérer les risques et multiplier les opportunités de gains. Anticipant autant les futurs besoins causés par la croissance démographique mondiale que les pénuries qu’engendrera probablement le dérèglement climatique dans certaines régions, le fonds estime que les perspectives du secteur agricole et alimentaire peuvent être financièrement profitables à long-terme. Ses investissements ciblés aujourd’hui lui permettent déjà de disposer d’une connaissance intime des acteurs et des dynamiques des marchés liés à l’alimentation. Le moment venu, BlackRock, comme d’autre investisseurs, pourrait alors être parfaitement en mesure d’accélérer ses prises de participations. Cette approche correspond parfaitement à sa stratégie d’investissement articulée autour de ce que le fond a appelé les « 5 mégatendances » : évolutions des modes de vie et vieillissement démographique, urbanisation rapide, nouveaux consommateurs dans les pays émergents, changement climatique, technologie et appareils connectés.

Sans surprise, BlackRock vient également chasser sur le terrain de l’innovation, soutenant de nombreuses jeunes pousses de l’AgTech et de la FoodTech. En août 2020, il a coordonné la levée de fonds de 250 millions de dollars du Farmers Business Network (FBN), une start-up américaine qui a instauré une place de marché en ligne et un outil d’aide à la décision et qui prospère auprès des agriculteurs aux États-Unis mais aussi au Canada. BlackRock mettra assurément à profit son intelligence des marchés et ses réseaux pour aider cette pépite (valorisée 1,8 milliard de dollars) à croitre, augmentant ainsi autant ses revenus que la valeur des titres détenus par le fonds.  Certains se souviendront qu’à ses débuts, FBN déclarait pourtant vouloir s’affranchir de la tutelle de tous les grands acteurs économiques et financiers du secteur… Quelques années plus tard on mesure mieux la capacité d’influence, de séduction et de persuasion des équipes de BlackRock. Présent aux côtés des start-ups de l’AgTech et de la FoodTech, le fonds sait aussi se positionner sur des fronts davantage institutionnels : en septembre 2020, lorsque le premier ministre chinois, Li Keqiang, s’exprime sur l’innovation et l’entreprenariat agricole et confirme que les autorités du pays ont donné l’autorisation à des sociétés financières internationales de soutenir l’emploi rural et la modernisation de l’agriculture en Chine à travers des fonds dédiés. Parmi ces sociétés figurent bien sûr BlackRock

Force est donc de constater qu’il va probablement falloir compter de plus en plus sur BlackRock parmi les acteurs de l’agro-alimentaire dans le monde. Ce colosse de la finance est d’ores et déjà présent et tout porte à croire que son rôle va s’intensifier. Puisque la géopolitique est l’analyse des rapports de force et des jeux de pouvoir au sein d’un espace, nul doute qu’il faille intégrer ce type d’acteur émergent dans les grilles de lecture contemporaines à propos de l’alimentation et de l’agriculture. Ce n’est pas un cas isolé. Dans la même catégorie d’acteurs, Amundi, premier gestionnaire d’actifs européen avec 1 500 milliards d’euros et filiale du…Crédit Agricole, dispose lui aussi d’un fonds dédié au secteur, intitulé « Food For Generations ». Néanmoins, nous devrions surtout porter l’attention sur des fonds de capital-investissement peu connus, opérant en faveur de la durabilité des chaînes alimentaires, comme les américains Paine & Schwartz V ou Arbor V pesant chacun 1,5 milliards de dollars, ou qui misent sur le foncier agricole mondial, comme John Hancock, Westchester ou Macquarie.

Dans un autre registre, il convient aussi de saisir aussi le poids pris par certains fonds souverains dans les affaires agricoles et alimentaires. Nous pourrions évoquer le singapourien Temasek, qui peut se targuer d’avoir désormais plus de 7 milliards de dollars dédiés au secteur agro-alimentaire ! Mais insistons sur la dernière grosse opération en date : l’acquisition par ADQ, le fonds souverain d’Abou Dhabi de 45% du capital de Louis Dreyfus Company (LDC). Annoncée en novembre 2020, cette transaction est majeure puisqu’il s’agit d’un des plus grands négoces du monde, opérateur clef du commerce de céréales, de grains et d’autres matières premières agricoles. Pour ces fonds souverains, les motivations ne sont toutefois pas les mêmes que pour les fonds d’investissement privés. Dans cet accord par exemple, outre la volonté pour LDC d’ouvrir son capital à de nouveaux actionnaires, il faut aussi lire l’objectif des Émirats Arabes Unis de garantir leur sécurité alimentaire à long terme, et peut-être même de contribuer à celle de ses alliés (actuels ou futurs) au Moyen-Orient ou en Afrique.

Il sera en tout cas intéressant d’observer comment ces différents investisseurs, souverains et privés, vont poursuivre leurs activités et aiguiser leurs stratégies au cours des prochaines années. S’il y a de la place pour de nombreux acteurs, au regard de la complexité des défis agricoles et alimentaires dans le monde, nous pourrions avoir des risques de friction sur certains segments d’innovation ou sur certaines entreprises à soutenir ou à acquérir. En la matière, les prochaines initiatives de BlackRock pourraient bien esquisser la forme des réponses à ces interrogations. Nous pourrions également imaginer des concurrences s’exacerber à propos de pays et de régions, ou alors de répartition future des rôles de chacun sur le terrain. Prenons le cas de l’Afrique. Nous y avons déjà vu ces dernières années monter en puissance les fondations privées comme celle de Melinda et Bill Gates, dont l’impact est désormais réel. Que pèseront les agences onusiennes agricoles, comme la FAO ou le FIDA, face aux géants de la finance comme BlackRock ?

La démocratie et le débat républicain selon le préfet Clavreul

ven, 18/12/2020 - 16:13

Déformer les propos d’un contradicteur, le considérer comme un ennemi à détruire, interdire aux universitaires et responsables de think tank de critiquer le gouvernement, un ensemble de méthodes qui ne sont pas dignes de la démocratie française. La réponse de Pascal Boniface au préfet Clavreul.

Venezuela : et maintenant ? (partie 3)

ven, 18/12/2020 - 15:08

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, vous donne régulièrement rendez-vous pour ses “Chroniques de l’Amérique latine”.

Après l’élection législative du 6 décembre dernier, quelles perspectives pour le Venezuela ?

Sports diplomacy, small nations and the case of Wales

ven, 18/12/2020 - 08:31

GeoSport, created by IRIS and EM Lyon, is a home for intelligent, value-adding content on geopolitics and sport, providing informed, expert analyses onf contemporary issues. The key focus of the content will be around diplomacy; international relations; nation branding; politics and soft power, and the link of these areas to sport.

Today, Professor Simon Chadwick from emlyon business school interviews Gavin Price, an independent expert at Bond University (Australia) focused on sports diplomacy and intercultural relations, particularly small nations and regions with large sporting footprints. He is the co-author of « The British Council Wales report: Towards a Welsh sports diplomacy strategy ».

Et la mer la plus dangereuse (pour la stabilité de la planète) est…

jeu, 17/12/2020 - 17:16

Un tiers du commerce mondial transite par la mer de Chine, ce qui en fait un lieu de tensions et de convoitises. La Chine, qui multiplie les coups de force dans la région, cherche-t-elle à en faire son pré carré au détriment des autres pays d’Asie du Sud-Est ?

La Chine se réfugie derrière ses droits supposés historiques pour sanctuariser cet espace qu’elle convoite en effet et pour des raisons évidentes : 80 % des hydrocarbures à destination de l’Asie orientale transitent par le sud de la mer de Chine et le détroit de Malacca. Au-delà de ce passage obligé commence pour elle l’Océan Indien et dans son prolongement, le Moyen-Orient et l’Afrique orientale. Plus à l’est, et au sud de Taïwan, c’est-à-dire dans la périphérie des Philippines, il est une autre voie de passage qui, elle, conduit vers l’océan Pacifique. On aura donc compris que l’Asie du sud-est et le sud de la mer de Chine, selon la formule consacrée, constituent l’axe pivot des intérêts stratégiques maritimes. Qu’ils soient d’ailleurs chinois ou américains. Pour Pékin, des logiques de contournements s’imposent. Car les risques d’un blocus provoqué par les Américains et leurs alliés est loin d’être une pure fantaisie de l’esprit. Ces logiques de contournements consistent à ouvrir des corridors stratégiques. Celui de la Birmanie reliant la province chinoise méridionale du Yunnan au golfe du Bengale, d’une part. Celui du Pakistan reliant le port de Gwadar à l’oasis de Kachgar au Xinjiang, d’autre part. La Chine est donc en grande partie dépendante pour ses approvisionnements de ces voies de passage pour le sud. Elle est donc vulnérable.

La mer de Chine méridionale représente également une zone stratégique sur la plan sécuritaire où les Etats-Unis veulent s’imposer. Des confrontations militaires sont-elles à prévoir ?

Nous sommes entrés depuis très longtemps dans une logique de confrontation avec la Chine. Intimidations vis-à-vis des navires étrangers, français notamment, dans la région Inter-detroit, transgressions régulières des zones de souveraineté aérienne, déni d’accès par l’aménagement de zones aéroportuaires par la Chine sur les îlots du sud poussent les États-Unis à renforcer leur dispositif sécuritaire dans la région. Le risque est de se voir fermer des voies de passage qui s’avèrent également vitales pour l’économie internationale, la libre circulation des navires. Nul n’est évidemment à l’abri d’un dérapage militaire. Car les provocations sont récurrentes et l’automatisme des systèmes d’armes peut parfois être amorcé indépendamment de tout contrôle et vigilance humaine. Toute riposte à une provocation pourrait conduire à une escalade.

D’autres espaces maritimes, comme la Méditerranée, suscitent-ils de telles luttes d’influences ?

Ce que nous venons de décrire plus haut correspond ni plus ni moins à une Méditerranée asiatique. Le symétrique à cette configuration est la Méditerranée européenne, bien sûr. Les provocations, qu’elles soient turques ou russes sont tactiquement comparables à celles, chinoises, que l’on connaît en Asie orientale. Par ailleurs, une troisième Méditerranée existe à la hauteur du golfe persique. D’une moindre ampleur, les manœuvres qui y ont cours pourraient à très court terme se développer: Iraniens et Chinois ont signé des accords militaires très importants dans le courant de l’été dernier et depuis, les Etats du golfe ont reconnu l’Etat d’Israël. Bref, nous allons assister à une radicalisation des forces en présence. De basse intensité, ces conflits n’en sont pas moins et désormais systémiques.

Vers un renouveau de la relation Afrique-France ?

jeu, 17/12/2020 - 15:34

Sylvain Itté, ambassadeur, envoyé spécial pour la diplomatie publique en Afrique, répond à nos questions alors que le prochain Sommet Afrique-France est programmé pour juillet 2021 :

– Quels sont les enjeux du prochain Sommet Afrique-France ? Que signifie cette volonté de vouloir accentuer la présence de la société civile à l’instar des chefs d’État ?

– La France peut-elle au XXIe siècle encore se distinguer dans sa relation avec l’Afrique face à d’autres puissances qui ont certaines ambitions ?

– La France a-t-elle un rôle moteur à jouer dans la lutte contre la pandémie du Covid-19 en Afrique ?

« La cause des peuples n’a pas beaucoup avancé en dix ans »

jeu, 17/12/2020 - 15:23

Quelles leçons avez-vous tirées de cette décennie?

C’est une décennie de déception par rapport aux espoirs que l’on avait eus vis-à-vis d’une démocratisation de la région et d’une prise en main des peuples par eux-mêmes. Dès le départ, j’ai dit qu’il n’y aurait pas un Printemps arabe – puisque l’on faisait une comparaison avec le Printemps européen – et qu’il n’y aurait pas une contagion, parce que le phénomène national restait le plus important et que chaque pays avait une histoire propre. Dix années plus tard, on voit qu’il n’y a pas eu de Printemps arabe mais qu’il y a eu 21 cas nationaux tout à fait différents et que l’on n’a pas eu les mêmes événements au Maroc, en Algérie, en Libye, en Syrie…

Dix ans après, il n’y a eu qu’un seul cas de démocratisation réussie, c’est celui de la Tunisie et partout ailleurs il y a plutôt eu un recul des choses. La situation en Syrie est pire avec une guerre civile terrible qui a fait près de 500 000 morts. Il y a plus de répression en Égypte qu’il y en avait en 2011 finalement, avec la présence au pouvoir du maréchal al-Sissi. La Libye est dans le chaos le plus total, l’Irak est toujours détruite… Il y a eu une sorte de recul général de la stabilité et de la sécurité dans la région. Par rapport aux espoirs qui ont été mûris initialement, s’ils ont été excessifs dans bien des cas, il y a un grand retour en arrière. Il y a des facteurs d’espoir, les choses bougent en Algérie avec le Hirak et si la Covid-19 a fait rentrer les gens chez eux, je pense que la contestation reprendra et que quelque part, le goût de la liberté est venu, même s’il a amené une répression supplémentaire dans de nombreux pays.

Les peuples sont-ils les « cocus » de la révolution ?

Dans la mesure où partout les régimes autoritaires sont toujours en place, que lorsqu’ils ont été renversés ils se sont rétablis ou ils sont restés au pouvoir à travers une répression durcie ou que le pays a été traversé par des guerres civiles extrêmement fortes : on peut dire que oui. La cause des peuples n’a pas, de façon globale, beaucoup avancé dans la région depuis dix ans.

Quel a été le rôle de l’Occident ?

Il a été surévalué. Il y a eu beaucoup de théories du complot sur l’Occident qui aurait voulu déstabiliser le monde arabe… non. Ce sont les peuples du monde arabe qui ont pris leur destin en main et ce sont eux qui ont été réprimés. Ce ne sont pas les États-Unis, qui ont voulu déstabiliser l’Égypte en reversant Moubarak, c’est le peuple égyptien qui l’a reversé et ensuite l’armée a repris son pouvoir. L’Occident a été extérieur à tout cela. On peut dire qu’au contraire on aurait pu plus aider les opposants syriens par exemple, mais l’Occident n’a pas été à la base de ce qu’il s’est passé là-bas.
Certains observateurs disent qu’au contraire, l’Occident a raté son rendez-vous avec l’Histoire. Êtes-vous d’accord ?
P.B. : Je ne crois pas. Une fois encore, le fait qu’il n’y ait pas eu plus de régimes renversés et plus de démocraties installées c’est parce que la répression l’a emportée notamment avec l’exemple emblématique de la Syrie. On peut dire que l’Occident est responsable de la situation en Libye. C’est bien l’Occident qui a voulu faire une intervention, qui ne s’est pas contentée de protéger la population à Benghazi et qui est allée jusqu’au renversement de Kadhafi donc jusqu’au changement de régime alors que la résolution de 1973 ne le permettait pas. La résolution qui avait été adoptée avec l’abstention de la Russie, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Allemagne et le Brésil, fait que l’on protégeait la population mais qu’on ne va pas jusqu’à renverser le régime. Il y a bien une responsabilité de l’Occident.

Où se situe la responsabilité de la France ?

C’est plutôt en Libye que nous avons joué le rôle le plus important et le plus négatif. Nous avons été un petit peu en retard en Tunisie, malgré le fait que notre diplomate sur place avait averti de l’usure du pouvoir de Ben Ali au nom de la lutte contre l’islamisme. On a voulu garder Ben Ali comme s’il était le rempart et on n’a pas vu qu’il commençait à devenir un problème. On était un peu en retard pour les événements en Égypte et en Libye où on est par la suite devenus trop actifs.

La Syrie et la Libye, sont les deux symboles de ce chaos. Comment imaginer une issue ?

Tant que Bachar al-Assad sera au pouvoir il n’y aura pas d’issue en Syrie. Pour ses opposants, son maintien au pouvoir est inacceptable par rapport à l’ampleur des souffrances qu’il a fait endurer à sa population et il n’y aura pas de reconstructions possibles tant qu’il sera au pouvoir. Mais, tant que les Russes et les Iraniens le soutiennent, il restera au pouvoir, même si, effectivement, le pays est détruit et qu’il s’enfonce dans une crise de plus en plus grande.
En Libye, ce qu’il faudrait, c’est cesser les multi-interventions extérieures et que les protagonistes qui ont pris des engagements notamment à Berlin, il y a plus d’un an, de cesser d’alimenter le conflit, le fassent. Tous les engagements qui ont été pris par les différents acteurs ne sont pas respectés, ils sont foulés aux pieds. La France a un discours contradictoire en reconnaissant officiellement le gouvernement de Sarraj, mais en soutenant en sous-main celui d’Haftar. C’est le cumul des interventions étrangères qui fait que le conflit en Libye se poursuit, il faudrait qu’elles cessent. Hassan Salamé avait commencé à trouver un accord avec les différents protagonistes libyens et c’est à ce moment-là que le général Haftar avait lancé une offensive qui est venue détruire tous les efforts.

Vous parliez d’espoir avec l’Algérie, on pense aussi au Soudan ?

Le Soudan c’est quand même quelque chose d’extrêmement positif, même si c’est plus loin pour nous en tant que Français, ça reste un pays arabe. C’est un pouvoir qui semblait durablement établi, qui a été chassé et on a mis en place un véritable régime démocratique après une transition. C’est le deuxième exemple réussi de régime autoritaire renversé au profit d’une démocratie après la Tunisie.

Est-ce que l’on peut parler pour autant d’un deuxième Printemps arabe ?

Il y a à la fois un mouvement général et des applications particulières. Le mouvement général c’est le développement de l’éducation, de l’information, des réseaux sociaux et des chaînes satellitaires… Le fait que tous les gouvernements ont perdu le monopole qu’ils avaient de l’information a permis, qu’un peu partout dans le monde, les opinions se font plus entendre. La société civile se fait plus entendre. On voit aussi cela au Chili et dans plusieurs pays.

Peut-on dire que les réseaux sociaux ont eu un rôle déterminant dans ces différents mouvements ?

Oui, parce qu’ils ont été à la fois un facteur de mobilisation et un facteur de diffusion de l’information. C’est par les réseaux sociaux que les gens ont cassé le monopole qu’avaient les gouvernements de l’information, comme Ben Ali et Moubarak l’avaient par exemple. Ils ne l’ont plus eu parce qu’ils ont été concurrencés par les réseaux sociaux et c’est aussi par les réseaux sociaux que les gens se mobilisent.

Propos recueillis par Laureen Piddiu pour La Marseillaise

Expliquez moi… Le piège de Thucydide ou le choc Chine/États-Unis

jeu, 17/12/2020 - 12:32

Alors que la crise du Covid-19 est venue accélérer le rattrapage des États-Unis par la Chine et que le mandat de Donald Trump, très vindicatif à l’égard de la Chine, a été particulièrement marqué par une montée des tensions entre Pékin et Washington, la rivalité entre les deux géants s’inscrit comme une tendance de long terme, qui dépasse les alternances politiques américaines. La théorie du piège de Thucydide, appliquée à cette rivalité par Graham Allison dans son ouvrage Destin for war, va-t-elle se réaliser ? Dans cette vidéo agrémentée de cartes, photos et graphiques, Pascal Boniface remonte à la génèse des tensions sino-américaines, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui.

Soulèvements populaires internationaux et systèmes représentatifs : la grande défiance

mer, 09/12/2020 - 18:16

 

Le principe de représentation, notamment par la voie électorale, contesté par les multiples soulèvements populaires depuis 2019, doit aujourd’hui démontrer sa capacité à répondre aux crises sociopolitiques contemporaines.

En 2019-2020, une vague sans précédent de soulèvements populaires traverse le monde. Du Liban à l’Équateur, de l’Algérie au Chili, durant de longs mois, des marées humaines descendent pacifiquement dans la rue pour des motifs sociaux et politiques. Malgré l’absence de toute structure de concertation commune, l’observateur n’a pu manquer de relever les similitudes de l’ensemble de ces révolutions citoyennes : rassemblant toutes les classes d’âge, intégrant les minorités nationales et un large éventail de catégories sociales, leur sociologie est identique, tout comme leur organisation qui met à distance, voire rejette les structures politiques, syndicales ou religieuses préexistantes. L’absence de leadership et le refus de toute verticalité dans les mouvements ont également été une constante qui interrogeait déjà l’idée de représentation. Ces soulèvements, quoique sévèrement réprimés dans le silence relatif de la communauté internationale, ont ébranlé sérieusement les gouvernements nationaux jugés corrompus et soumis aux injonctions néolibérales de la gouvernance mondiale. Dès lors, les foules manifestantes exprimèrent une radicalité politique résumée par quelques slogans, depuis le « dégagez les tous » algérien au « tous c’est tous » libanais. Mais, au-delà du « dégagisme » déjà à l’œuvre en 2011, une nouvelle forme de radicalité agita les contestataires : fallait-il revendiquer de nouvelles élections et donc accepter un jeu électoral unanimement identifié comme biaisé, ou au contraire empêcher leur tenue ? La question même de la démocratie représentative était donc posée, non pas théoriquement, mais pratiquement, au cœur même des contestations : tandis qu’en Irak les insurgés imposèrent la révision de la loi électorale[1] en vue des Législatives anticipées de 2021, les Libanais dénonçaient le coût prohibitif de toute candidature aux élections[2], remettant ainsi en cause la possibilité même d’une représentation légitime.

À l’image des Gilets jaunes français qui défendaient le référendum d’initiative citoyenne (RIC), mais se divisèrent sur la pertinence de se doter de porte-parole ou de se présenter aux élections européennes, les mouvements de 2019, sans refuser par principe la démocratie électorale, se sont partout emparés de la question des moyens de l’exercice de la souveraineté populaire. Mais, face à la puissance considérable des contestations, c’est bien une sortie de crise par les urnes qui a été proposée, ou imposée par les autorités de plusieurs pays. Ainsi, le soulèvement algérien (Hirak), obtint-il deux fois de suite le report de l’élection présidentielle, qui se tient finalement, au forceps, en décembre 2019 avec 75% d’abstention. Le nouveau dirigeant algérien, Abdelmadjid Tebboune, reconnu par la communauté internationale, mais néanmoins en quête de légitimité intérieure, propose alors une révision constitutionnelle. Dans le même temps, au Chili, toujours sous la pression de la rue, le président, Sebastián Piñera,  engageait à son tour un long processus constituant. Les deux récents référendums constitutionnels (25 octobre au Chili et 1er novembre en Algérie), aux résultats très contrastés, confirment cependant une défiance croissante à l’égard du système représentatif qui affecte jusqu’à l’expression citoyenne la plus directe qu’offre le jeu électoral, à savoir la voie référendaire.

En Algérie, la Constitution confisquée

Le nouveau pouvoir algérien lance la procédure de révision constitutionnelle début 2020. Au printemps, un comité d’experts, nommé par le pouvoir, mène en catimini les travaux en plein confinement. La procédure rédactionnelle accélérée faisant fi des débats populaires, et se tenant à distance de tout représentant du Hirak, soumet son projet au Président Tebboune qui le valide au mois de mai. Le référendum qui acte la fin du processus est fixé au 1er novembre suivant (Date de la fête de la Révolution en Algérie). Le résultat de l’opération constitue pour le régime algérien un fiasco de première ampleur. Les chiffres officiels de la participation n’atteignent pas le quart de l’électorat et le « Oui » ne remporte que les 2/3 des suffrages. Ainsi, seuls 15% des Algériens approuvent la nouvelle Constitution qui tend à présidentialiser encore davantage la République. Ajoutons à cette débâcle le fait que la campagne référendaire se tint alors que le Président est hospitalisé pour cause de Covid… En Allemagne, replongeant symboliquement le peuple algérien dans les dernières années Bouteflika, durant lesquelles il était hospitalisé en France ou en Suisse. Si la faible assise populaire du nouveau pouvoir n’est donc plus à démontrer, toute sortie de crise par la voie des urnes semble désormais illusoire pour une majorité d’Algériens.

Au Chili, tous les scénarios sont possibles

Quant aux Chiliens, par leur vote massif en faveur d’une nouvelle constitution (plus de 50% de participation, plus haut score depuis la fin du vote obligatoire, et près de 80% de oui) ils s’offrent encore la possibilité de se doter d’institutions en rupture avec celles, néolibérales, héritées de l’ère Pinochet (1973-1990). Pour une partie non négligeable des contestataires de 2019-2020, cette réécriture est aussi une occasion de renouer avec une Histoire inachevée, celle d’un Chili populaire et socialiste de l’intermède Allende (1970-1973). Preuve de la puissance du mouvement contestataire et du rejet des partis, les Chiliens se sont aussi exprimés (à plus de 80%) en faveur d’une future assemblée constituante intégralement composée de nouveaux élus. Or, au lendemain de cette double victoire du soulèvement populaire de 2019, des manifestations importantes se déroulent avec cette fois pour enjeu le mode de scrutin retenu pour désigner les 155 constituants en avril prochain. En effet, avec un système électoral proportionnel plurinominal et très personnalisé, il est possible que le camp conservateur bien implanté localement et rassemblé, soit surreprésenté à la future Constituante. Avec une gauche divisée et une sous-représentation des figures du mouvement de 2019, le risque est réel de voir la volonté réformatrice populaire échouer.

Ainsi, dans l’ensemble des sociétés qui se sont soulevées l’an passé, une fois la répression devenue impuissante à juguler les forces contestataires, le recours au suffrage universel a été utilisé pour neutraliser l’élan populaire qui contestait le bien-fondé d’un processus électoral.

Ailleurs, des processus électoraux devenus insuffisants

De façon paradoxale, les élections récentes aux États-Unis et en Bolivie, marquées par une participation élevée, témoignent également d’une foi vacillante dans la démocratie représentative comme expression de la souveraineté populaire.

En Bolivie, la réélection d’Evo Morales en 2019 est invalidée permettant à la droite conservatrice de s’emparer de la présidence par intérim avec la nomination de Jeanine Áñez. Cependant, quoique reconnu légitime par les pays occidentaux, le pouvoir est contraint de reculer sous la pression constante des manifestants (faisant des dizaines de morts), en renonçant à interdire au MAS, parti du Président déchu, de concourir aux élections présidentielles. L’élection présidentielle du 8 novembre 2020 voit le triomphe au 1er tour de Luis Arce candidat investi par le MAS. Ainsi, paradoxalement, c’est la mobilisation constante de la rue qui a permis de sauver le système représentatif bolivien. Par effet de miroir, c’est tout aussi vrai pour la situation postélectorale aux États-Unis où, malgré un taux de participation historiquement haut, les résultats des urnes ne sont pas reconnus par le camp au pouvoir[3]. Il en résulte des tensions inédites dans la « plus grande démocratie du monde » où des manifestations postélectorales sont organisées par les deux camps pour légitimer ou dénoncer les résultats du scrutin.

Il apparaît donc que le système représentatif est sérieusement remis en cause. Contesté en 2019 pour son incapacité à rendre compte fidèlement de l’opinion, le principe de représentation devient aujourd’hui insuffisant pour garantir l’expression démocratique. Or, cette profonde crise politique affecte aussi bien les sociétés des régimes autoritaires en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient que celles des démocraties libérales européennes comme américaines. La cécité des classes dirigeantes internationales sur cette question sape les fondements mêmes de la démocratie libérale et permet aux partis et régimes les plus autoritaires, opportunément à l’écoute des revendications populaires, de bénéficier dans les sociétés démocratiques ou en cours de démocratisation, d’une aura encore inconcevable quelques années auparavant.

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[1] Qui devait notamment acter un nouveau découpage électoral, la fin du système confessionnel et un accès facilité aux candidatures indépendantes.

[2] Pour officialiser une candidature, il est ainsi nécessaire de verser une somme de 5000$

[3] D. Trump finit par engager le processus de transition le 24 novembre, soit trois semaines après les élections.

Les mémoires de Barack Obama (3/5) : un système politique américain bloqué ?

mer, 09/12/2020 - 18:05

Dans cette série de cinq articles, Pascal Boniface aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, « Une terre promise », parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.

On ne saura jamais si Barack Obama aurait été élu en l’absence de la grande crise économique et sociale dans laquelle les États-Unis étaient plongés en 2008 du fait de la gourmandise de Wall Street qui avait jeté des millions de personnes en dehors de chez eux parce qu’ils ne pouvaient plus assurer le remboursement des crédits qu’ils avaient accepté, assurés que la valeur de leur maison serait toujours en hausse.

À son arrivée au pouvoir, il doit donc faire face à de nombreux défis. Il regrette de ne pas avoir pu réaliser tout son programme, mais cela s’explique avant tout par les blocages au sein du Congrès et par un système politique américain dont les dérives se révèlent assez inquiétantes. Même une personne aussi brillante et charismatique qu’Obama qui arrive au pouvoir avec une solide majorité n’a pas été en mesure, du fait du système américain, de mettre en œuvre l’ensemble des réformes qu’il voulait mener.

Bien sûr, cela a été encore pire à partir de 2010 puisqu’il a perdu les Mid-terms elections : les démocrates ont perdu la majorité et les républicains sont devenus de plus en plus sectaires. Est-ce que le sectarisme républicain était augmenté du fait qu’il y avait un noir à la Maison-Blanche ? Obama n’est pas loin de le penser. Mais c’en était fini d’accords bipartisans et le chef de la majorité républicaine n’avait de cesse que de chercher à faire perdre Obama. Peu importe si les mesures qu’il proposait pouvaient sauver des emplois ou permettre d’éviter à des gens d’être chassés de chez eux. Le débat était bloqué. L’important était de faire échouer les réformes d’Obama puisque, comme le déclarait un élu républicain, « plus les gens sont en colère, plus de votes pour nous ». Il ne fallait donc pas aider à améliorer les choses puisque la colère était la base de la diminution de la popularité d’Obama et de l’augmentation de la popularité des républicains.

Lorsqu’il arrive au pouvoir, Obama a plusieurs objectifs. Tout d’abord mettre fin à la crise qui vient de complètement ruiner les États-Unis – le chômage est alors au plus haut. Il va globalement réussir à éviter un crash profond de l’économie américaine et il permettra de sauver de nombreux emplois. Ses deux premières années de mandat sont dures, mais chacun s’accorde à dire qu’il a pu permettre la relance de l’économie américaine, notamment celle de l’industrie automobile, et éviter ainsi que plus de gens ne soient jetés dans la misère.

Il a aussi à son arrivée de grands projets concernant l’environnement parce qu’il saisit l’importance de ces enjeux et il est sensible à la Terre qu’il va laisser à ses enfants. Sur ce sujet, il sera très souvent bloqué par les lobbys, notamment celui des énergies fossiles extrêmement puissant aux États-Unis.

Sa réforme de l’Obamacare, qui visait à offrir le minimum de soins à ceux qui ne pouvaient jusqu’ici se soigner a été présentée par ses opposants comme une mesure communiste. Il y a eu beaucoup de désinformations et de fake news sur le sujet, tellement une telle politique suscitait des rejets. Ce n’était bien sûr en rien une mesure communiste ni même socialiste : il s’agissait de donner un minimum d’espérance à tous. Étant fortement combattue, cette réforme n’a pas pu totalement être mise en œuvre.

Il voulait également lancer une grande mesure de désarmement nucléaire avec les autres puissances. Il raconte – et c’est le paradoxe du système américain – qu’afin d’obtenir l’accord d’un sénateur pour obtenir la signature d’un traité de désarmement nucléaire, il a été obligé d’accepter l’augmentation des dépenses nucléaires militaires américaines parce que ce sénateur avait des intérêts dans sa circonscription autour de l’appareil nucléaire militaire américaine. Lorsqu’il parle de la façon dont les républicains ont bloqué au Congrès son plan de relance, il écrit « C’était la première salve d’un plan de bataille que Mcconnell, Boehner, Cantor et consorts allaient déployer avec une impressionnante discipline au cours des huit années à venir. Le refus absolu de travailler avec moi ou les membres de mon gouvernement, quelles que soient les circonstances, quel que soit le sujet sans se soucier des conséquences pour le pays ».

Évoquant la réforme de Wall Street qu’il voulait mettre en œuvre et pour laquelle il a dû systématiquement faire des concessions à tel ou tel sénateur, il écrit la chose suivante « Par moment, je m’identifiais au pêcheur dépeint par Hemingway dans Le vieil homme et la mer, entouré de requins qui grignotaient la prise qu’il s’acharnait à rapporter à terre ». Obama n’a pas les coudées franches : chaque mesure qu’il propose doit être négociée avec ses adversaires, mais également avec des partenaires, des démocrates, dont assez peu ont le courage de leurs convictions. Il s’est bien sûr heurté au puissant lobby militaro-industriel, il écrit d’ailleurs : « Si le président Eisenhower, commandant suprême des forces alliées et architecte du D-day s’était parfois senti impuissant face à ce qu’il appelait le complexe militaro-industriel, il était fort probable que faire passer des réformes soit plus difficile pour un président afro-américain, fraîchement élu, qui n’avait jamais revêtu l’uniforme, qui s’était opposé à un engagement auquel beaucoup avaient consacré leur vie, souhaitait restera le budget militaire et avait certainement perdu le vote du Pentagone avec une marge considérable. » C’est pour cette raison qu’il n’a pas pu mettre fin aussi rapidement qu’il le voulait aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, se heurtant au pentagone très régulièrement. C’est en cela que la lecture des mémoires de Barack Obama n’est pas franchement réconfortante. Si Barack Obama, avec son énergie, son intelligence et son charisme ainsi que la solide équipe qu’il avait autour de lui, n’a pas pu mettre en œuvre les réformes qu’il souhaitait, est-ce que Biden pourra le faire ? Ces réformes étaient de l’intérêt général, aussi bien s’agissant de la réduction des inégalités, la protection de l’environnement, la réduction des dépenses militaires. Obama s’est heurté au mur d’intérêts privés, au mur des lobbys, au mur de l’hypocrisie des élus, on peut craindre que Biden ait encore moins de possibilités pour venir les briser.

Élections du 6 décembre 2020 au Venezuela : à l’heure de Pyrrhus

mer, 09/12/2020 - 13:51

 

Les Vénézuéliens étaient appelés aux urnes dimanche 6 décembre 2020 pour renouveler leur parlement. Le parti officialiste a crié victoire. Tout comme les opposants ayant appelé à boycotter la votation. Droite dans ses bottes la “Communauté internationale”, c’est-à-dire les États-Unis, plusieurs pays européens, le Canada et une dizaine de latino-américains, ont confirmé. Le boycott a gagné. À chacun sa vérité. Pour autant la crise vénézuélienne, le 7 décembre, est tout aussi verrouillée qu’elle l’était le 5. Tout au plus peut-on noter une addiction collective pour les victoires pyrrhiques, qui comme on le sait loin de résoudre les contradictions, les approfondissent.

Victoire en effet pour le président Nicolas Maduro et son parti le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela). Victoire par KO. L’officialisme après cinq ans dans l’opposition parlementaire a mis, selon le propos du premier mandataire vénézuélien, « un terme à cette funeste situation». Sans doute sous réserve des résultats complets, plus des deux tiers des députés élus l’ont été sous l’étiquette PSUV. Nicolas Maduro ainsi récupère le contrôle de la totalité des pôles de pouvoir. Exécutif, judiciaire, législatif, sont désormais aux mains des autorités en place. Mais de quelle victoire s’agit-il ? À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Les opposants regroupés derrière Juan Guaido en renonçant à participer lui ont laissé le champ libre, comme en 2005 et en 2018. Avec une issue inéluctable, prévisible, à victoire donnée à celui qui reste seul sur le “ring” électoral. À toutes fins utiles, au cas où les adversaires du pouvoir se raviseraient, comme pour les consultations antérieures les médias qui comptent, les télévisions, ont fonctionné à sens unique. Les directions de grands partis d’opposition ont été écartées et substituées par d’autres, plus flexibles, à l’égard du pouvoir par un système judiciaire aux ordres. Moralité et conclusion, tout change, mais rien ne change. Nicolas Maduro a complété le verrouillage de la cocotte-minute vénézuélienne, désormais sans valvule permettant de tempérer la pression. Victoire à la Pyrrhus.

Victoire des opposants les plus radicaux. Ceux qui considèrent tout à fait légale l’autoproclamation comme président de Juan Guaido dans une rue de Caracas, capitale du pays, en 2019. Ils avaient appelé à l’abstention. Près de 70% des électeurs sont restés à la maison. Mieux, ils ont contraint le gouvernement à reconnaître avant le jour de l’élection cette réalité. Il n’y avait dimanche “que” 29 000 bureaux ouverts, alors qu’il y en avait 44 000 en 2015. Mais ce serait oublier les désillusions de la majorité des Vénézuéliens à l’égard des politiques et des élections. Un sondage réalisé avant le vote signalait que plus de 60% des électeurs n’avaient confiance ni en Nicolas Maduro ni en Juan Guaido. Le contexte social a fabriqué un divorce croissant entre institutions et population. La crise, générée par la mauvaise gestion des autorités, aggravée par les sanctions étatsuniennes et européennes, a plongé les majorités dans la pénurie et les urgences. Cinq millions de Vénézuéliens ont passé les frontières, pour chercher sinon fortune, du moins à survivre. Toutes choses relativisant le jugement que l’on doit porter sur l’abstention. Qui plus est Juan Guaido, président “in partibus”, hésitant entre respect de la démocratie, appels au coup d’État, et aux Légions étrangères, n’a jamais fait l’unanimité. Henrique Capriles, leader du parti Primero Justicia, ancien candidat à la présidentielle, a été à deux doigts de participer. D’autres l’ont fait comme le social-démocrate Timoteo Zambrano, Henry Falcon, chaviste déçu, le Parti communiste. L’opposition se conjugue au pluriel, un pluriel, sans cap, sans unité, et sans chef. Victoire ici encore à la Pyrrhus.

La Communauté internationale s’est réjouie du haut niveau atteint par l’abstention, qui validerait l’influence de Juan Guaido et de ses amis. Du Secrétaire d’État des États-Unis, Mike Pompeo, au président colombien Ivan Duque, comme à son homologue équatorien, Lenin Moreno, en passant par la Commission européenne, tous ont persévéré dans la condamnation, le soutien au président “in partibus”, validant concernant le Venezuela l’ingérence active comme instrument privilégié de résolution des crises. Les mauvais esprits font remarquer que Mike Pompeo est peut-être malvenu pour donner des leçons de démocratie. Il partage avec son mentor Donald Trump, une pratique électorale et une conception à sens unique de la démocratie qui rappelle beaucoup, celle de Nicolas Maduro. Quant à l’ingérence démocratique revendiquée comme une avancée majeure par les Européens, on en connaît les égarements, constatés d’Irak à la Syrie en passant par la Libye. Le Venezuela ne fait pas exception. Cette exigence morale universelle pourrait trouver à s’appliquer en Arabie, en Chine, en Égypte, en Russie et en Amérique latine, au Brésil. Mais le droit et l’éthique, le fabuliste l’avait déjà écrit il y a plus de trois siècles, ont beaucoup à voir avec “la raison du plus fort”. La “Communauté internationale” est elle aussi victime d’une addiction guerrière et pyrrhique…

Il serait temps a rappelé l’ex-président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, d’affronter le réel, de mettre un terme à une crise qui a plongé dans le désarroi social des centaines de milliers de Vénézuéliens, et contraint les voisins du Venezuela à inventer des solutions concrètes permettant de mettre un terme au flux des réfugiés venus sur leur sol. Les solutions existent. Elles passent comme à l’époque de la guerre froide par la reconnaissance de l’autre dans ses différences, fussent-elles des plus contestables. Par le dialogue donc. Pour préserver la paix régionale, remettre en marche un pays en court-circuit, économique, social, politique et démocratique. Le Mexique, le Caricom et l’Uruguay avaient fait des propositions raisonnables en 2019, écartées par les va-t-en-guerre, Trump, le Groupe de Lima, l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni. Pour quel résultat, sinon un approfondissement du fiasco humanitaire. Un nouveau président va entrer à la Maison-Blanche le 20 janvier 2021. Argentine, Bolivie, Mexique ont de nouveaux dirigeants correctement élus, légitimes démocratiquement, soucieux de trouver les voies d’un apaisement régional, et d’une remise en selle du Venezuela, pays à tous points de vue dévasté. L’Europe pourrait contribuer à cet effort de realpolitik humanitaire, oxymore qui semble tenter le responsable de la politique extérieure européenne, Josep Borrell.

La croissance élitiste : proposition d’un nouvel indice sur les inégalités

mar, 08/12/2020 - 21:00

La croissance élitiste[1] est un phénomène caractérisé par la capture des richesses par une minorité dominante. Une réalité croissante dans le monde qui provoque des fractures sociales et des soulèvements multiples : augmentation du prix du pain au Soudan, ras-le-bol de la classe moyenne en France symbolisé par les gilets jaunes, mouvement End Special Anti-Robbery Squad au Nigéria. Le phénomène de croissance élitiste est désormais un facteur d’exacerbation de la violence et de reconfiguration de la géographie de la colère sociale dans le monde. Des mouvements de contestation en Algérie[2] au Chili frappé par une grogne liée aux inégalités socio-économiques[3], en passant par le Liban marqué en 2019 par les manifestations violentes des écoliers et des étudiants contre les dirigeants politiques[4], le phénomène élitiste constitue un indicateur de l’ancrage des frustrations et du choc inégalitaire dans un univers où les élites développent une idéologie capitaliste centrée sur l’accumulation des richesses à tout prix.

La présente réflexion s’intéresse au triptyque « Elite-Domination-Croissance économique », faisant ressortir l’ingénierie que les élites mobilisent, dans les sociétés contemporaines, pour asseoir leur domination et conserver leurs privilèges. La démarche mise en perspective dans cette étude vise à comprendre comment les élites mettent en place une batterie de techniques repérables, visant à orienter la croissance économique dans une direction qui leur permette d’asseoir leur domination et position de rente afin de capturer les fruits de la croissance. Sous cet angle, la croissance élitiste peut-être définie comme « l’ensemble des combinaisons de comportements économiques, politiques et socioculturels qui génèrent une richesse dont la répartition renforce les inégalités et les positions de rente de l’élite dominante »[5].

Un modèle de croissance générateur des fractures sociales

Pour mieux comprendre les effets pervers de la croissance élitiste, il est pertinent de mettre en perspective le lien causal qui existe entre le développement du capitalisme et les inégalités croissantes. En effet, si le capitalisme a contribué à réduire les inégalités entre les grandes régions du monde comme le soulignent certains experts, ce dernier se trouve de nos jours dans une situation de crise avec des conséquences sociales inqualifiables. La décennie 1980 coïncide particulièrement non seulement avec le virage libéral que prennent certains pays anglo-saxons, mais aussi l’accélération structurelle du processus de mondialisation. Environ 1% des plus riches ont profité deux fois plus de la croissance des revenus que les 50% des plus pauvres [6]comme le confirme le rapport sur les inégalités mondiales 2018. En Europe, la part du revenu national perçue par les 10% les plus riches est passée de 32% en 1980 à 37% en 2016. Aux États-Unis, au cours de la même période, cette part est passée de 35 à 47% et en Chine de 28 à 41%. En termes de possession du patrimoine, la répartition est encore plus frappante, les plus pauvres ne possédant qu’environ 5% du patrimoine total, y compris dans les sociétés plus égalitaires du type des pays nordiques[7].

En plus des inégalités de patrimoine et fiscales qu’il entretient, le capitalisme surexploite les ressources naturelles avec pour corollaire les changements climatiques. En réalité, d’après Global Footprint Network (GFN), le système économique capitaliste « utilise actuellement les ressources écologiques 1,75 fois plus vite que les capacités de régénération des écosystèmes»[8]. Cela a des conséquences négatives sur l’empreinte écologique qui correspond à la surface terrestre disponible pour la production des biens et services consommables et pour l’absorption des déchets que l’humanité produit.

Un phénomène amplifié par les conséquences économiques et sociales du Covid-19

Selon la Banque mondiale, le Covid-19 pourrait entraîner 150 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2021[9]. Dans les pays émergents et les pays en développement, cette crise sanitaire risque de remettre en cause certains progrès et accélérer le creusement des inégalités entre les riches et les pauvres. Pour mesurer la profondeur du phénomène de croissance élitiste dans un contexte donné, la présente réflexion propose l’élaboration de l’indice de croissance élitiste (ICE), indice composite centré sur trois principales dimensions (économiques, social et politique) adossées sur quatre composantes à savoir la pauvreté et les inégalités, le partage équitable de la richesse créée, l’accès aux opportunités économiques et à l’inclusion sociale, l’état de droit et enfin, la redevabilité et la corruption. Chacune des composantes et dimensions englobe des aspects pertinents de la croissance susceptibles de la rendre inclusive et partagée.

Les indicateurs permettant de mesurer les principales composantes sont notamment l’indice de Gini, l’indice de développement humain (IDH), le taux de chômage, la proportion des impôts, la part des salaires et revenus du travail dans le PIB, la part des ressources affectées à l’éducation et le taux d’achèvement du cycle éducatif primaire (pour l’inclusion sociale et les opportunités économiques), le contrôle de la redevabilité, de la corruption et de l’état de droit.

Dans le présent article, elles ont été prises en considération pour illustrer le fonctionnement de l’ICE. À cet effet, la Chine, le Pakistan, le Sénégal et la Norvège ont servi d’échantillon.

En nous projetant sur la période 2010 à 2018 et en mobilisant onze indicateurs, la normalisation a été faite pour que chaque indicateur ait une valeur comprise entre 0 et 1 avec 0 comme la pire des situations et 1 la meilleure. Ainsi, les valeurs de l’indice de croissance élitiste vont varier entre 0 et 1. Plus la valeur calculée de l’indice est proche de 0, plus la richesse produite est capturée par l’élite. En lisant les sous-indices, il en ressort qu’une petite frange de la population a accès aux moyens de production et aux services de base, que les travailleurs perçoivent juste une faible proportion de la richesse créée en termes de salaires et autres rémunérations. Aussi constate-t-on que les plus riches payent peu d’impôts directs, que la justice n’est pas équitable et que la corruption n’est pas suffisamment combattue. En revanche, plus les valeurs calculées se rapprochent de 1, plus la société est équitable et la richesse créée distribuée selon plus de justice sociale. L’analyse des données montre des variations significatives entre 2010 et 2018 dont 1 point pour le Pakistan et la Norvège, 5 points pour le Sénégal et 7 points pour la Chine.

Pour les deux pays affichant les bonnes performances, il ressort globalement que l’amélioration du système de gouvernance contribue à l’amélioration de l’indice, suivi des efforts en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités via une redistribution plus équitable de la richesse créée.

Les perspectives liées aux impacts de la croissance élitiste

En termes de perspectives, cet indice pourrait être calculé pour l’ensemble des pays du monde selon la disponibilité des données afin de faciliter les comparaisons avec d’autres indicateurs comme l’IDH dans le but de renforcer sa robustesse. De même, d’autres dimensions importantes comme la gestion des ressources naturelles et les éléments environnementaux pourraient être intégrés à l’indice pour renforcer sa transversalité. En effet, l’extraction de pétrole, de gaz et de minerais ou l’exploitation des ressources forestières est l’une des entreprises les plus politiquement, socialement et économiquement complexes du développement. Elle permet d’assouvir en grande partie la demande d’énergie et de matières premières. Elle produit les intrants nécessaires à la fabrication de presque toute production industrielle, mais elle contribue à l’un des défis les plus fondamentaux de l’histoire humaine : le changement climatique qui affectera encore davantage les plus vulnérables[10] (HDR, 2019).

Avec l’introduction en 1990 de l’indice du développement humain (IDH) du PNUD, pionnier dans le domaine, la mesure des inégalités a connu une réelle avancée avec une définition plus large du bien-être humain et la mise en place d’une mesure composite qui, en plus de la variable traditionnelle qu’est le revenu, intègre l’espérance de vie et l’éducation. L’introduction de l’ICE avec la prise en compte des autres dimensions comme l’accès aux opportunités économiques et à l’inclusion sociale, l’état de droit, la redevabilité et la corruption ainsi que la dimension environnementale permet de franchir un nouveau cap pour une compréhension plus fine et exhaustive des inégalités. En somme, l’ICE est incontestablement un indicateur transdisciplinaire (sociale, économie, politique), trans géographique et trans idéologique.

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[1] Jean-Luc Stalon est l’auteur de l’Indice de croissance élitiste (ICE)

[2] Cf. Olivier BERGER, « Mouvement de contestation en Algérie: un an après, le Hirak résiste toujours », La Voix du Nord, du 21 janvier 2020, consulté le 16/10/2020.

[3] Cf. « La contestation continue au Chili, trois mois après le début du mouvement », Euronews, du 18 janvier 2020, consulté le 14/09/2020.

[4] Cf. « Au Liban, le mouvement de contestation entre dans sa quatrième semaine », Le Monde, du 07 novembre 2019, disponible in, consulté le 16/10/2020.

[5] Cf. Jean-Luc STALON, « La croissance élitiste », in La tribune Afrique, consulté le 08 janvier 2020.

[6] Cf. Rapport du World Wealth and Income Database, 2017.

[7] Thomas Piketty, « La planète est traversée par de multiples fractures inégalitaires, que la pandémie va encore aggraver », Le Monde, 14 novembre 2020.

[8] Cf. « L’humanité a déjà épuisé les ressources de la planète pour l’année », Radio Canada, du 31 juillet 2019, disponible, consulté le 02/11/2020.

[9]Communiqué de presse de la Banque mondiale du 7 octobre 2020.

[10]  UNDP Human Development Report 2019.

J’ai lu… On a tous un ami noir, de François Gemenne

mar, 08/12/2020 - 19:45

Dans son dernier ouvrage « On a tous un ami noir » – paru chez Fayard en septembre 2020 – François Gemenne rend un hommage à Nadine Morano et s’attache à déconstruire les idées reçues sur les questions migratoires. Un ouvrage nécessaire et éclairant qu’analyse Pascal Boniface dans cette vidéo.

Les mémoires de Barack Obama (2/5) : un patriotisme lucide donc critique

mar, 08/12/2020 - 17:06

Dans cette série de cinq articles, Pascal Boniface aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, « Une terre promise », parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.

Barack Obama est profondément patriote. Il croit en l’Amérique, il croit dans ses vertus et dans le caractère pionnier et fondateur de cette nation qui donne sa chance à tout le monde. Son patriotisme a été remis en cause parce qu’il est métis et que pour certains, voir un métis, un noir à la Maison-Blanche est inadmissible. Les mêmes n’ont donc cessé de remettre en cause le fait même qu’il soit né aux États-Unis et qu’il ait pu être élu – si on ne nait pas aux États-Unis, on ne peut être élu à la fonction suprême. Donald Trump avait d’ailleurs été l’un des premiers à inventer le mythe autour du lieu de naissance de Barack Obama.

Son opposition à la guerre d’Irak était également présentée par certains comme un manque de patriotisme. Il était accusé de ne pas être assez dur avec les régimes « ennemis des Américains ». Or, en constatant la catastrophe qu’a été la guerre d’Irak pour les États-Unis, c’est plutôt Obama qui avait raison. Être patriote ne signifie pas toujours suivre la ligne majoritaire et le courage en politique appelle parfois à aller à contre-courant. Et cela peut être au bénéfice des États-Unis : qui peut contester le fait que les États-Unis ont été bien plus populaires sous Obama que sous Bush ? Il est clair que le patriotisme de Barack Obama ne peut être remis en cause.

Il évoque également dans ses mémoires, dans de longs passages, ses visites aux soldats, les lettres que les soldats blessés ou mutilés lui envoyaient et les problèmes de conscience que lui posait à chaque fois l’idée d’avoir envoyé des jeunes Américains dans la force de l’âge aller se faire tuer ou mutiler dans une guerre inutile.

C’est justement parce qu’Obama est un vrai patriote américain qu’il peut être aussi critique lorsque son pays s’écarte des règles qu’il a lui-même fondées, des principes qu’il a lui-même proclamés. Dès la préface du livre, il pose explicitement la question : « Nous soucions-nous de faire coïncider la réalité de l’Amérique avec ses idéaux ? Si tel est le cas, croyons-nous vraiment que nos principes – autodétermination, libertés individuelles, égalité des chances, égalité devant la loi – s’appliquent à tout à chacun ? Ou tenons-nous en pratique si ce n’est en théorie à préserver ces grandes idées à quelques privilégiés ? »

Il poursuit « Le monde observe donc l’Amérique la seule grande puissance de l’histoire constituée de personnes venues des quatre coins de la planète, comprenant toutes les races, religions et pratiques culturelles pour voir si notre expérience en matière de démocratie peut fonctionner, pour voir si nous pouvons faire ce qu’aucune autre nation n’a jamais fait, pour voir si nous pouvons nous hisser à la hauteur de notre conviction. »

Bien sûr, cela n’a pas toujours été le cas : Obama rappelle par exemple comment les pays africains notamment, auquel les États-Unis et le FMI ont donné des leçons de bonne gestion, desquels ils ont exigé une réduction des dépenses publiques, ont pu porter un regard plus négatif sur l’Amérique après le grand crash économique de 2008-2009, symbole de la folie de la bourse américaine, des Subprimes, de la gourmandise de Wall Street, qui ont jeté non seulement des millions d’Américains, mais également des dizaines de millions de personnes dans le monde dans la misère.

Il critique l’état d’esprit à Washington de l’ère Bush « l’état d’esprit qui voyait des menaces à tous les coins des rues tirait une fierté perverse de son unilatéralisme et considérait l’action militaire comme une manière presque ordinaire de régler les situations géopolitiques. » Revenant sur la guerre froide, il écrit « Mais hélas, nous avons pris des aspirations nationalistes pour des complots communistes, confondu intérêts commerciaux et sécurité nationale, sabordé des gouvernements élus démocratiquement et pris le parti d’autocrates chaque fois que nous y serions à notre avantage ». Il ne faut pas oublier qu’Obama a vécu en Indonésie où un coup d’État au nom de la lutte contre le communisme a fait des centaines de milliers de morts. Il condamne bien sûr les multiples ingérences américaines dans les affaires des autres pays en écrivant « nous nous mêlions des affaires des autres pays avec des résultats parfois catastrophiques. Nos actes ont souvent été en contradiction avec les idéaux de démocratie et d’autodétermination dont nous nous revendiquions. »

Obama est animé d’un patriotisme conséquent : il a appris que s’il voulait porter haut et loin les couleurs de son pays, il fallait également tenir compte les aspirations des autres peuples. Comment expliquer cela ? Il le dit lui-même : « Exister, être entendu, avoir une identité propre, reconnue et jugée digne d’intérêt. Il me semblait que c’était un désir universel aussi fort chez les nations et les peuples que chez les individus. Si je comprenais mieux cette vérité élémentaire que certains prédécesseurs, c’était peut-être parce que j’avais passé une grande partie de mon enfance à l’étranger et que j’avais de la famille dans des endroits longtemps considérés comme arriérés et sous-développés ou que, étant afro-américain, je savais ce que cela signifiait d’être partiellement invisible dans son propre pays. »

Dans un pays comme les États-Unis – mais dans d’autres également – où très souvent les principes affirmés sont éloignés de la pratique suivie dans la politique réelle, ces paroles d’Obama sonnent haut et fort, et témoignent qu’être patriote, vouloir défendre l’intérêt national, ce n’est pas forcément vouloir écraser les autres, pas seulement vouloir ne jamais prendre en considération les intérêts et les aspirations des autres nations. C’est aussi en les respectant que l’on développe le mieux l’international de son propre pays.

Les mémoires de Barack Obama (1/5) : un parcours hors du commun

lun, 07/12/2020 - 18:25

Dans cette série de cinq articles, Pascal Boniface aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, Une terre promise, parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.

Ce gros pavé de 840 pages est d’une lecture exigeante, mais jamais ennuyeuse. On entre vraiment au cœur de la Maison-Blanche : des tractations politiques aux difficultés à faire passer une loi, des négociations sans fin au parcours personnel de l’ancien Président, l’ouvrage est absolument passionnant.

Les mémoires sont généralement plutôt publiées pour chanter les louanges de celui qui les écrit. Barack Obama ne déroge pas à la règle et cherche à convaincre, à montrer comment il a essayé de changer les États-Unis. Mais la part de sincérité est supérieure à la moyenne de ce type d’exercice.

On imagine aisément le caractère tout à fait particulier dont il doit être doté pour être devenu président des États-Unis. Son père, de nationalité kenyane, a rapidement quitté sa mère après sa naissance. Celle-ci a eu deux enfants avec deux personnes différentes et qui n’appartenaient pas au même groupe ethnique et racial qu’elle. C’était donc une femme de caractère, surtout pour l’époque. Barack Obama a passé son enfance à Hawaï puis en Indonésie. Il a donc dès les premières années de sa vie été sensibilisé aux enjeux de la diversité. Il reconnait qu’il a eu une adolescence pas tout à fait focalisée sur le travail, qu’il aimait bien faire la bamboche. Il s’est ensuite mis au travail, est devenu travailleur social à Chicago et a rencontré sa femme Michelle.

Il aborde évidemment la question de sa vie de famille avec sa femme et ses deux filles. Nombreux sont les hommes politiques qui mettent en avant leur amour des valeurs familiales dans un objectif électoral alors qu’elles sont loin de constituer une priorité pour eux. Chez Barack Obama, on sent une réelle sincérité : tout au long de son parcours, y compris à la Maison-Blanche, Barack Obama a toujours eu pour priorité de protéger sa vie familiale, sa relation avec ses enfants. Ainsi, il interrompait quotidiennement sa journée de travail à 18h30 pour dîner avec ses filles et Michelle pour maintenir avant tout un équilibre familial.

On connaît le charisme d’Obama, on connaît son intelligence hors norme. Ce qui frappe aussi c’est son courage. Alors qu’il n’est pas encore élu sénateur, mais simplement élu à la Chambre de l’Illinois, il s’oppose à la guerre d’Irak dès 2002. S’opposer à la guerre d’Irak tout en s’appelant Barack Hussein Obama, en étant métis et régulièrement soupçonné de ne pas être tout à fait Américain dans l’ambiance ultra patriotique, chauvine et nationaliste de l’époque, est on ne peut plus courageux en plus d’être lucide.

Lors de la campagne des primaires démocrates qui va conduire à sa désignation en tant que candidat, il n’est au départ pas du tout favori, c’est vraiment une surprise qu’il puisse remporter la nomination. Il est alors interrogé sur le fait de savoir s’il accepterait de rencontrer des dictateurs, des despotes comme Castro ou le leader nord-coréen. Barack Obama répond par l’affirmative, estimant qu’il faut pouvoir négocier avec quelqu’un avec qui on est en désaccord. Hillary Clinton, son opposante de l’époque, et tout le camp, y compris démocrate, favorable à l’hégémonie libérale lui tombe dessus en dénonçant sa naïveté et en affirmant qu’il ne serait ainsi pas en mesure de défendre les États-Unis.

Tout au long du livre, Barack Obama constate et s’interroge sur les difficultés auxquelles il a été confronté pour faire passer des réformes et réussir à dépasser les blocages politiques sans trahir ses idéaux. La question qui l’occupe principalement lors de son mandat est celle de savoir comment améliorer la vie des citoyens, raison pour laquelle il a été élu pour cela. Il est élu sur un programme social dont fait partie l’Obamacare, mais aussi pour sortir le pays de la profonde crise économique déclenchée en 2008. Il admet d’ailleurs que c’est au moment où la crise est survenue que les choses ont basculé en sa faveur contre McCain.

Lorsque le 9 octobre 2009, tôt le matin, Barack Obama est réveillé à 6 heures du matin par son assistant qui lui annonce qu’il vient de remporter le prix Nobel de la paix, Barack Obama l’interroge d’un « Pourquoi ? ». Effectivement, lui-même sent que c’est prématuré, mais cette distinction témoigne des immenses espoirs qu’il avait soulevés parce qu’il voulait mettre fin aux guerres déclenchées par George Bush, même s’il n’a pas pu appliquer tout son programme en la matière.

Son combat pour le climat est également un passage important, j’y reviendrai. Il raconte dans les détails le sommet de Copenhague de 2009 et les tractations entre les pays sur les sujets climatiques. Il écrit à ce propos « le réchauffement climatique est un problème face auquel les gouvernements sont notoirement mauvais, car il exige la mise en œuvre immédiate de politiques neuves, coûteuses et impopulaires afin de prévenir des crises futures. » Et cela résume finalement tout le dilemme d’Obama qui fut plutôt un président du « long terme », mais qui dut faire face à des contraintes de court terme concernant le climat, l’Obamacare ou encore les conflits extérieurs.

En période de confinement, cet ouvrage, qui constitue une réflexion profonde à la fois sur l’homme et sur la société, l’ouvrage d’un homme d’État qui a dû faire face à de nombreuses contraintes et difficultés, est extrêmement stimulant intellectuellement.

 

Cyberespaces et cyberattaques en temps de Covid-19

lun, 07/12/2020 - 17:40

Les cyberattaques sont devenues, depuis quelques années, l’objet d’une nouvelle lutte pour les États, au même titre que celles contre le terrorisme. À l’heure où la crise du Covid-19 pousse à utiliser encore plus le monde du numérique, les cyberattaques atteignent et opposent plus que jamais les États. Entretien avec Charles Thibout, chercheur associé à l’IRIS.

Les crises entraînent souvent une recrudescence des cyberattaques. Qu’en est-il de la crise du Covid-19 ?

L’ampleur de la crise actuelle, par ses effets sur les systèmes sociaux et politiques, tend à saturer les consciences et, ce faisant, occulte des problèmes antérieurs qui ne se sont pas éteints avec elle. C’est bien entendu le cas des cyberattaques. Le fait est que les individus, les entreprises, et même les États et les organisations internationales ont leur attention monopolisée par la crise sanitaire, ce qui accroît leur fragilité. Entre janvier et avril 2020, Trend Micro, une société de sécurité informatique japonaise, a relevé 907 000 spams, 737 incidents liés à des malwares et 48 000 URL malveillantes en rapport avec la pandémie dans le monde. Cette tendance s’est très fortement accrue au cours du deuxième trimestre 2020. Malgré un net ralentissement du rythme des attaques depuis juillet, la même société a répertorié plus de 3 millions d’attaques par mail, plus de 15 000 malwares et plus de 1 million d’URL malveillantes au troisième trimestre 2020. D’après un rapport d’Interpol, qui évalue la portée des attaques au début de la crise, les attaques en lien avec le Covid-19 se sont multipliées depuis le début de la crise : les principales menaces sont venues des attaques de phishing (59%), suivies des malwares et ransomwares (36%), des noms de domaine malveillants (22%) et des opérations de subversion (14%). Les attaques ont évolué au fil des mois. Désormais, les attaques de phishing représentent près de 79% des attaques, contre 8% pour les noms de domaines frauduleux.

On comprend très bien l’intérêt de ces attaques dans de telles circonstances : l’inquiétude légitime des personnes et des organisations, de surcroît dans un contexte de massification du télétravail, a plus facilement permis aux attaquants de se faire passer pour des institutions officielles (ministères de la Santé, OMS…), en créant des noms de domaine frauduleux ou en envoyant des mails de phishing à partir de fausses adresses pour obtenir des données d’identification, des mots de passe, transmettre des pièces jointes pour exploiter des vulnérabilités, etc.

Les annonces des différents gouvernements ont également appuyé ces attaques, par exemple, en promettant des exonérations fiscales exceptionnelles, ce qui a plus facilement permis aux criminels d’escroquer leurs victimes en imitant des sites gouvernementaux ou en reproduisant des applications pour détourner des fonds ou récolter des données personnelles. Sans parler des attaques qui se sont multipliées contre les infrastructures critiques et les organisations d’importance vitale, comme les hôpitaux : dans ce cas de figure, les organisations victimes d’un ransomware ont souvent été contraintes de payer la rançon, simplement parce que la vie de personnes était en jeu.

Quels États se montrent les plus « agressifs » sur la scène géopolitique en matière cyber ? Quels rapports géopolitiques dans cette recrudescence des actes cyber ?

Il est toujours extrêmement difficile d’attribuer une attaque, d’identifier l’acteur ou les acteurs qui sont derrière. Si bien que l’on n’a jamais identifié formellement les personnes ou les organisations à l’origine des attaques recensées depuis le début de la pandémie. Les rivaux traditionnels, Chine et États-Unis en tête, continuent de s’accuser mutuellement : l’Australie, l’Inde et les États-Unis accusent la Chine, qui accuse l’Inde et les États-Unis en retour, etc. De fait, les antagonismes internationaux n’ont pas cessé avec la crise sanitaire : il faudra simplement plus de temps et de recul pour savoir, si cela est possible, qui a lancé ces attaques. Si l’on verse dans l’exégèse sauvage, eu égard au peu d’informations fiables dont nous disposons, nous participerons peut-être à notre insu aux opérations de désinformation que d’aucuns lancent à l’heure actuelle.

Toutefois, il est fort probable que la numérisation accrue et brutale des activités en lien avec la pandémie est en train d’élargir considérablement la surface d’attaque d’États, de cybercriminels ou de « proxies », c’est-à-dire des « corsaires » travaillant au service d’États auxquels ils sont plus ou moins liés. Par ailleurs, le cyberespace étant un champ de confrontation à part entière, il continuera, sans doute de façon plus sensible, à refléter les rapports de force existant dans la sphère physique. Espionnage, sabotage et subversion ont leur pendant dans le domaine cyber ; il ne faut pas y voir une aire conflictuelle déliée des enjeux du monde physique.

Le cyberespace sert-il les fake news ?

Internet est un espace de démocratisation de (l’accès à) l’information, d’accélération des communications, d’amplification de la portée des messages – les fausses informations y compris. Le fait est que, ces dernières années, d’importantes manifestations de défiance à l’égard des gouvernants (France, Liban, Algérie, Chili…) et des médias ont montré que les informations officielles n’étaient plus reçues aussi aisément que par le passé. En parallèle, les canaux et les sources d’information se sont démultipliés avec, de toute évidence aussi, son lot de propagandes diverses, de théories du complot et de mensonges. À mon sens, le cyber n’introduit essentiellement rien de nouveau à cet égard ; son originalité réside bien davantage dans la portée de ces informations de qualité inégale, liée au caractère fondamentalement acentré, horizontal et quasi universel d’Internet, même si des gouvernements et de grandes entreprises tentent, avec plus ou moins de succès, de remettre en cause ce fonctionnement pour en revenir aux modèles centralisés qui avaient cours lorsque la télévision était le principal organe d’information, vertical par nature puisqu’il s’agit d’un mode unilatéral de diffusion de l’information.

Avec le Covid-19, les États se sont trouvés face à une crise d’ampleur inédite qu’ils n’avaient pas anticipée et qu’ils ont gérée plus ou moins maladroitement. À telle enseigne que, comme cela a été maintes fois établi, les gouvernants ont menti aux gouvernés, en partie parce qu’il en allait de leur légitimité – d’autant que les coordonnées politiques des sociétés occidentales tendent à assimiler le gouvernant à un expert, un « sachant ». Cette image, déjà fort érodée, s’est effondrée, ce qui a nourri la défiance envers la parole et l’action publiques et accru, ce faisant, la caisse de résonnance des (sources d’)informations alternatives, qui ont trouvé dans les plateformes en ligne des chambres d’écho particulièrement efficaces. Les diverses initiatives tendant à endiguer cette démocratisation de l’information, voire l’information tout court, sont le symptôme par excellence de cette défiance.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

 

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