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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Mis à jour : il y a 22 heures 5 min

Quelle perception de la religion en France ?

mar, 09/02/2021 - 17:58

Dans le cadre de l’Observatoire géopolitique du religieux de l’IRIS dirigé par François Mabille, en partenariat avec la FIUC, Jocelyne Césari, chercheuse à Havard et à la Georgetown University, répond à nos questions :

– Comment percevez-vous, en tant que spécialiste et avec votre recul depuis les États-Unis, les débats français actuels autour de la laïcité qui ont notamment été ravivés avec l’affaire Samuel Paty ou encore avec la loi sur les séparatismes ?

– Nos débats actuels ne renvoient-ils pas à des traits spécifiques de la culture française, qui tend à percevoir les religions de manière assez – voire très – négative ?

– Quels sont les différents attendus de la perception des religions en France ?

– Comment interprétez-vous l’intrication de la question identitaire et de la question religieuse ?

– Estimez-vous que la perception des religions et/ou du fait religieux a évolué ces dernières décennies en France et en Europe ? Si oui, quelles en sont les raisons ?

[Entretien réalisé par Léa Lavaud, chargée de mission à la  Fédération internationale des universités catholiques (FIUC)]

Oman : les enjeux de la modification de sa loi fondamentale et de la transmission du pouvoir

ven, 15/01/2021 - 15:31

À l’occasion du premier anniversaire de son accession au trône, le sultan Haïtham Bin Tarek Al Saïd a décidé de réformer la loi fondamentale du pays en modifiant le mode de transmission du pouvoir qui devient héréditaire. Il institue par la même occasion la fonction de prince héritier qui n’avait jamais existé auparavant.

La décision du sultan n’est pas une surprise. Son mode de gouvernance est différent de celui de son prédécesseur. Qabous Bin Saïd, qui n’avait pas d’héritier, s’était farouchement opposé à désigner un successeur de son vivant. Il craignait sans doute d’être renversé comme lui-même l’avait fait avec Saïd bin Timour, son père, le sultan autocrate qui avait gouverné et maintenu Oman dans le Moyen-Âge jusqu’à sa chute en 1970.

La loi fondamentale du Sultanat prévoyait jusque-là que le conseil de la famille royale (composé de 24 membres) choisisse, dans les trois jours suivant la vacance du trône, un successeur. En cas de désaccord seraient ouvertes les deux lettres testamentaires déposées à Mascate et à Salalah qui désignent la personne préalablement choisie par le sultan pour lui succéder.

Qabous a laissé planer l’incertitude qui n’a été levée qu’à sa mort le 10 janvier 2020 quand le conseil de famille, qui regroupe les principaux princes de la famille royale, a décidé d’ouvrir les enveloppes (sans attendre les trois jours qui lui étaient accordés) contenant les dernières volontés du défunt sultan. Le choix de Qabous qui n’avait pas d’héritier direct s’est porté sur son cousin Haïtham Bin Tarek alors que les spéculations alimentées par la longue maladie du sultan penchaient plutôt pour son frère non utérin As’ad Bin Tarek.

Très tôt le nouveau sultan a imposé un nouveau style, à commencer par la mise en avant de sa propre famille. Haïtham Bin Tarek est le père de deux fils Dhi Yazan (né en 1990) et Bel Aaarab et de deux filles, le sultan Haïtham a également mis en avant son épouse Sayeda Aahd bint Abdullah Al Busaïdi qui est apparue en public à l’occasion de plusieurs manifestations en faveur des femmes omanaises.

Le fils aîné du sultan Dhi Yazan (Zi Yazan) qui après des études à Oxford avait entamé une carrière diplomatique en tant que secrétaire à l’ambassade d’Oman à Londres a été rappelé pour faire partie du cabinet de Youssef Bin Alawi, l’ancien ministre des Affaires étrangères qui était resté en place une trentaine d’années. Dhi Yazan a ensuite été nommé ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports avant d’être finalement désigné comme prince héritier. Ascension rapide pour ce trentenaire qui n’est pas sans rappeler celle de Mohamed Ben Salman.

La nouvelle loi fondamentale institue pour la première fois dans l’histoire d’Oman une transmission héréditaire directe par la primogéniture. Elle abolit la tradition de consensus, même formel, qui avait été mise en place depuis le temps de la dynastie des Imams yarubides pour désigner le sultan.

Les nouvelles dispositions sont très précises et ne laissent place à aucune ambiguïté ni spéculation. L’article 5 de la nouvelle loi stipule que le système de gouvernance est héréditaire chez les descendants mâles du sultan Turki bin Said bin sultan conformément aux dispositions suivantes : le pouvoir passe du sultan à son fils premier-né, puis à son fils aîné et par conséquent le pouvoir passe d’une strate à l’autre. Au cas où le fils aîné du sultan décède avant d’assumer le pouvoir, la succession doit être transférée à son fils aîné même si le défunt a des frères. La loi stipule également que dans le cas où la première personne en ligne de succession n’a pas de fils, la règle passe automatiquement à son frère aîné, et s’il n’a pas de frère, la succession passe au fils aîné de son frère aîné, et si son frère aîné n’a pas de fils la succession est transférée au fils aîné de ses autres frères selon l’ordre d’âge des frères. La loi stipule que dans le cas où l’héritier du trône n’a pas de fils ou de frères, la succession doit être transférée à ses oncles et à leurs fils selon l’ordre d’âge susmentionné. Le successeur du sultan doit être musulman, sain d’esprit et fils légitime de parents musulmans omanais. En outre, la Loi fondamentale de l’État stipule que si la succession est transférée à une personne de moins de 21 ans, le pouvoir du sultan doit être exercé par un conseil des gardiens nommé par le sultan. Au cas où un Conseil des gardiens n’aurait pas été nommé, le Conseil de la famille royale devrait nommer un Conseil des gardiens comprenant l’un des frères du sultan et deux de ses cousins.

Par ailleurs, un décret devrait fixer dans les prochains jours les prérogatives et fonctions du prince héritier nouvellement institué.

Oman jusqu’ici faisait figure d’anomalie. Toutes les monarchies du Golfe ont un prince héritier désigné à l’exception du Qatar où la fonction existe, mais qui n’a pas été désigné par l’émir Tamir Bin Hamad.

Ces mesures viennent consolider la stratégie de pouvoir que le nouveau sultan met en place depuis son accession au trône. Il sait que son pays est confronté à une grave crise économique et doit résoudre le problème de l’emploi des jeunes qui arrivent sur le marché et qui peinent à s’y insérer. La crise du Covid-19 comme partout dans le monde a accentué cette difficulté privant Oman du tourisme, une ressource importante. Il sait aussi que la levée des subventions sur l’eau et l’électricité et l’introduction d’une TVA à partir d’avril prochain accentueront le mécontentement d’une population qui jusqu’ici a été choyée en échange de la paix sociale. C’est sans doute la raison pour laquelle, Haïtham Bin Tarek a décidé de concentrer le pouvoir dans les mains d’un cercle restreint de personnes sur lesquelles il peut compter.

Révoltes arabes, 10 ans après

ven, 15/01/2021 - 09:32

Il y a 10 ans, le 14 janvier 2011, Ben Ali quittait le pouvoir en Tunisie après un mouvement populaire d’une ampleur inédite dans le pays. La révolution tunisienne marquait le point de départ de ce qu’on allait appeler, à tort, le « Printemps arabe ». Les trajectoires des Etats de la région ont pourtant été diverses. Après les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Syriens, les Yéménites, les Bahreinis, et dans une moindre mesure les Marocains, les Algériens et les Jordaniens sont sortis dans la rue. En Tunisie, la société civile a su renouveler une partie de la classe politique et ainsi doter le pays d’une nouvelle constitution. Mais elle fait office d’exception. En Syrie et en Libye, la répression d’une violence inouïe à mener à des guerres civiles qui se poursuivent aujourd’hui. En Egypte, après une lueur d’espoir, le pouvoir a été repris par l’armée, et s’avère plus dur encore qu’à l’époque de Moubarak. Au Yémen, le départ du président à fait éclater l’unité nationale déjà faible, et plongé le pays dans la guerre et la misère. En Algérie enfin, si en 2011 la mobilisation n’a pas pris, le Hirak a été lancé en 2019 contre un cinquième mandat de Bouteflika. Un long chemin vers plus de liberté et de démocratie se dessine difficilement. Retour sur les révoltes arabes 10 ans après, et sur leur héritage aujourd’hui.

Violences à Washington : « Le projet de Biden sera de réconcilier l’Amérique, alors que Trump a été le président du chaos »

jeu, 14/01/2021 - 16:41

Joe Biden a condamné une « insurrection », d’autres évoquent un coup d’Etat. Comment qualifiez-vous cette intrusion violente des pro-Trump au Capitole ?

C’est bien Trump qui a appelé ses partisans à marcher sur le Capitole. Et après les scènes que l’on a vues, le terme d’« insurrection » n’est pas trop fort. On a assisté à une tentative de putsch, il ne faut pas minimiser les faits ni leur ampleur. Ce sont des faits de violence politique, qui ont fait quatre morts, et qui, par les images et les slogans, ont un pouvoir « performatif » important : cela va sans doute produire des effets au sein des Etats-Unis, mais aussi à l’international.

A quoi s’attendre maintenant, pour les jours et semaines à venir ?

La Maison-Blanche a publié un communiqué dans lequel Trump indique que la transition avec son successeur se fera de manière ordonnée, mais il ne reconnaît toujours pas sa défaite et persiste à dire qu’il a gagné l’élection. Dès lors, et surtout avec Trump, on peut s’attendre à tout ! On l’a vu plusieurs fois, notamment en 2017 à l’occasion des émeutes à Charlottesville : il avait condamné les violences commises mais encouragé les groupes d’extrême droite.

Au Capitole, c’est allé très loin, alors peut-être craint-il des poursuites judiciaires. Mais CNN disait ce jeudi matin qu’il ne fallait pas voir cette situation comme une fin, mais comme un début. Donc il y aura peut-être d’autres événements, encouragés et soutenus par Trump. Il lui reste deux semaines de mandat avant l’investiture de Joe Biden, il n’est pas exclu qu’il fasse de nouveaux appels à des rassemblements, voire à la violence. Il n’a d’ailleurs pas condamné l’invasion du Capitole, et jamais il ne condamnera l’action de ces supporteurs, dont il sait qu’ils lui vouent une ferveur totale.

Quel avenir – politique notamment – Donald Trump peut-il espérer ? Quel poids peut-il conserver dans le parti républicain ?

Des voix s’élèvent pour recourir au 25e amendement, le démettre de ses fonctions et l’empêcher de se présenter à la présidentielle de 2024. Mais à moins de deux semaines de la fin de son mandat, est-ce vraiment réalisable ? Et cela n’alimenterait-il pas la rhétorique anti-establishment chère à Trump ?

J’ignore les suites judiciaires. En revanche, sur le plan politique, il n’est pas dit que le parti républicain le mette à l’écart. Une frange le soutient toujours : sept sénateurs ont voté après l’attaque du Capitole contre la certification des votes en Pennsylvanie, et il a encore des soutiens à la Chambre des représentants. La raison est simple : Trump représente un réservoir de 74 millions de voix, c’est sa grande force. Ses électeurs expriment un vote d’adhésion : ils adhèrent à son projet de société. Reste à savoir ce que Trump voudra faire à l’issue de son mandat. Voudra-t-il conserver son influence au sein du parti ? Ou bien – et c’est une hypothèse forte – le trumpisme va-t-il continuer d’exister en dehors ? Notamment dans la sphère médiatique, avec pourquoi pas la création par Trump d’un nouveau média, d’une nouvelle université ? Il ne faut pas oublier que Donald Trump est un homme d’affaires, qu’il est endetté, et qu’il a besoin de raviver son business et faire fructifier sa marque. En clair, il peut, s’il le décide, pourrir la vie du parti.

Quel est avenir pour les républicains désormais ?

C’est un parti divisé, fragilisé, qui risque d’être fragilisé encore quelque temps, et ce alors que Trump avait réussi à l’unir pendant quatre ans. Il y a dans la politique de Trump un socle idéologique républicain, mais le chèque en blanc donné aux conspirationnistes, le recours aux fake news et aux mensonges politiques, la déstabilisation de la démocratie sont autant de choses dont le parti républicain, à long terme, a tout intérêt à se débarrasser. Parce que dans les urnes, cela ne paie pas. On le voit en Géorgie, où Biden a été élu et rafle deux sièges au Sénat. Les républicains perdent un Etat qui leur était historiquement acquis. A trop vouloir satisfaire les électeurs pro-Trump, il y a un risque de se confronter à une mobilisation électorale d’autant plus forte.

Le défi du parti républicain est de réussir à s’unifier derrière un projet de société qui reprenne les contenus traditionnels de la droite républicaine et qui séduise les pro-Trump, tout en se détachant du trumpisme. Car dans moins de deux ans, il y aura les élections de mi-mandat, où la Chambre des représentants sera intégralement renouvelée, où un tiers des sénateurs remettront leur siège en jeu. Et les républicains ne peuvent pas se priver de cet électorat acquis à Trump. Ils sont sur la corde raide.

Ces incidents au Capitole mettent-ils à mal le président élu Joe Biden, ou l’installent-ils dans son rôle de Commander in chief ? Et parviendra-t-il à restaurer la confiance et l’unité ?

Cela lui met une pression supplémentaire, mais il est prêt. C’est un fin limier de la politique, il s’est entouré d’une équipe béton, qui n’a rien à voir avec les pieds nickelés dont Trump s’était entouré.

Et ce n’est pas la première fois que Biden appelle à l’unité, c’est d’ailleurs en partie sur l’anti-Trumpisme qu’il s’est fait élire. Son grand discours d’unité, il l’a prononcé au moment de sa victoire en novembre, appelant à la solidarité, à l’union nationale. Des notions que l’on a retrouvées dans son discours prononcé mercredi soir. Tout le projet de Biden va être de réconcilier cette Amérique extrêmement divisée et polarisée par Trump.

Au contraire, Trump a prospéré sur les clivages : il a été le président du chaos, n’a cessé d’attiser les violences. La société américaine a rarement été aussi divisée. Joe Biden ne sera pas l’homme providentiel, mais va donner une dynamique pour refaire de l’Amérique une nation unie, et cela prendra du temps. D’autant qu’il va devoir composer avec un parti démocrate lui aussi divisé, entre son aile centriste et son aile progressiste. Ce sont des divisions que l’on a moins vues ces dernières semaines, mais qui vont vite réapparaître.

La démocratie américaine est-elle abîmée par cette intrusion au Capitole, et par cette rhétorique de l’élection volée martelée par Trump ?

Forcément, surtout pour une Nation qui se pose en première démocratie de la planète et qui a offert ce piètre spectacle. Mais la démocratie américaine a 250 ans, et elle en a vu d’autres ! Et le tableau n’est pas si sombre : il ne faut pas assimiler les supporteurs d’extrême droite néonazie qui ont attaqué le Capitole à l’ensemble de l’électorat trumpiste.

En outre, alors que Trump n’a eu de cesse de vouloir détruire la démocratie américaine depuis quatre ans, elle a résisté et a les moyens de se remettre. Elle a montré qu’elle était forte, dotée d’institutions solides. Preuve en est, après l’attaque, le Congrès a certifié la victoire de Biden. Et l’autre preuve de la vitalité démocratique des Etats-Unis, c’est l’énorme participation à l’élection présidentielle, qui a bénéficié d’un fort militantisme de terrain.

Le travail forcé, ce très vilain secret qui se cache au cœur du développement de l’énergie solaire

mer, 13/01/2021 - 17:13

On a évoqué les Ouïghours pour le marché de la tomate, du textile et maintenant pour les panneaux solaires. Pourquoi associe-t-on travail forcé et panneaux solaires ? Quels problèmes éthiques posent la production du silicium polycristallin utilisé pour construire les cellules photovoltaïques ?

Rappelons tout d’abord que le silicium polycristallin, comme les terres rares, abonde en Chine et plus particulièrement dans le nord-ouest du pays, le Xinjiang. Son utilisation est nécessaire à la fabrication des téléphones cellulaires, à certaines composantes de missiles militaires mais aussi aux panneaux solaires. C’est en 1992 que la production chinoise des terres rares dépasse celle des États-Unis. Le dirigeant Deng Xiaoping déclare alors :« Il y a le pétrole en Arabie Saoudite, il y a les terres rares en Chine ». Il ne croyait pas si bien dire. La production de silicium polycristallin est donc stratégique. Cependant, l’on sait aussi que dans le cycle de vie d’un panneau solaire, la partie la plus énergivore est l’extraction et la purification du silicium. Si cette opération est menée à base de charbon, le bilan est forcément mauvais en termes de pollution. En outre, les poussières de silice cristalline peuvent induire une irritation des yeux et des voies respiratoires, des bronchites chroniques et une fibrose pulmonaire irréversible nommée silicose. Cette atteinte pulmonaire grave et invalidante n’apparaît en général qu’après plusieurs années d’exposition et son évolution se poursuit même après cessation de l’exposition. Vous comprenez pourquoi les Ouïghours sont sollicités par les autorités chinoises pour ces tâches à la fois ingrates et dangereuses.

Quel est l’objectif de la Chine en voulant accaparer la production de panneaux solaires ?

Pékin représente 70 % de la production photovoltaïque dans le monde. L’objectif pour le gouvernement chinois étant de développer un secteur économiquement très prometteur en termes de création d’emplois mais aussi pour atteindre une autonomie énergétique. La Chine possède en effet le parc photovoltaïque le plus important au monde, avec une puissance installée totale de 176,1 GWc en 2018, soit 35 % du total mondial. La France, par comparaison, est très en retard dans la production d’énergie photovoltaïque. L’accord de principe signé entre Européens et Chinois sur les investissements, le 30 décembre dernier, porte notamment sur la possibilité pour les groupes européens d’accéder plus facilement aux secteurs du solaire et de l’éolien sur le marché chinois. Au vu des enjeux, on peut naturellement en douter.

Ce monopole de la Chine sur le secteur peut-il remettre en question l’ambition des plans d’énergie prévus par les Occidentaux, et notamment celui de Joe Biden ?

les Occidentaux ne renonceront pas à leur mue écologique. Au reste, Biden fera revenir les Etats-Unis dans les accords de Paris de la Cop-21. Le dilemme auquel ils sont exposés est le suivant : la rivalité avec la Chine se fait dans l’interdépendance. La réciproque est tout aussi vraie. Jamais l’économie chinoise n’a été aussi dépendante des marchés extérieurs et de la technologie occidentale. Pour l’heure, chaque puissance essaie de gagner du temps. Mais l’issue à ce dilemme, comme le rappelle Graham Allison, n’a rarement été un autre horizon que celui de la guerre.

Amériques latines 2021 : Recomposer un vivre ensemble écorné

mer, 13/01/2021 - 17:08

Tombé dans ce bouillon de culture, la covid-19 a dégradé une situation déjà difficile. L’Amérique latine est sans surprise l’une des régions du globe ayant le moins bien répondu à un défi sanitaire qui a débordé les capacités de riposte des sociétés et des gouvernements. Brésil, Mexique, Argentine, Pérou, Colombie, Chili, Équateur sont tout en haut de la liste des pays les plus touchés par la crise sanitaire et ses retombées économiques et sociales. Il suffit de lire les indicateurs : le nombre de victimes mortelles est parmi les plus élevés, le taux de chômage est en extension, l’informalité a progressé, comme la pauvreté, la croissance a chuté, tout comme la consommation intérieure et les exportations.

Déjà en flux politique tendu, les États ainsi bousculés, glissent vers un vivre ensemble de plus en plus précaire. Faute d’avoir la capacité, et la volonté, de répondre aux défis posés par la crise économique et sociale, qui préexistait à une pandémie qui l’a aggravée, les démocraties sont à la peine. Dans le meilleur des cas les électeurs sanctionnent les sortants. De plus en plus souvent ils prennent la rue, comme on l’a vu au Chili, en Colombie, en Equateur fin 2019, et plus récemment au Guatemala et au Pérou. Voire la route pour chercher un éventuel salut personnel à l’étranger comme les migrants d’Amérique centrale et du Venezuela, qui ont abandonné leurs foyers par centaines de mille. Plus grave, certains dirigeants n’hésitent plus à manipuler l’ordre institutionnel, afin de bloquer les compteurs d’alternances possibles, et éviter d’avoir à rendre des comptes. Le phénomène est universel, touchant des présidents dits de droite, au Brésil, en Colombie, au Guatemala, au Salvador ou classés à gauche comme au Nicaragua et au Venezuela.

Le contexte international n’a jusqu’ici pas permis d’apaiser ces dérives. Et même au contraire. Portés par les angoisses, plus que par les convictions citoyennes, les dirigeants conservateurs ont constitué en 2017, une sorte de Sainte Alliance, le Groupe de Lima. Ce réseau collectif de certitudes ultra-libérales, coalise leurs efforts destinés à réduire la perpétuation de gouvernants attachés au rôle régulateur de l’Etat. Le Venezuela, principal pays ciblé, a réagi en jouant sur la même gamme. Il a verrouillé toute option alternative, politisant la justice, modifiant le code électoral, donnant le pouvoir législatif à une chambre aux ordres, s’imposant à l’Assemblée nationale oppositionnelle élue en 2015.

Chacun des camps s’est cherché des parrains extérieurs puissants. Le Groupe de Lima a été adoubé par un président des États-Unis, décidé à reprendre la main en Amérique latine à n’importe quel prix éthique. Il a usé sans fard de la puissance commerciale, économique, et financière de son pays. L’habillant de discours diabolisant l’adversaire en communiste, chaviste, castro-chaviste, socialiste et à l’occasion mariant l’un ou l’autre de ces qualificatifs, dont l’énoncé aurait valeur d’argument. Ainsi cornaqué le concert des nations conservatrices latino-américaines, est parti à l’assaut : Appels au soulèvement lancé aux généraux vénézuéliens, tentative de forcer les frontières du Venezuela, reconnaissance comme chef d’État d’un personnage démocratiquement fluctuant, Juan Guaido, démontage du cadre diplomatique multilatéral, de la Celac à l’Unasur. Toutes choses encouragées par les États-Unis qui ont donné le « La » et soutenues par une chorale européenne -Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni – acceptant de suivre la partition signalée par la Maison Blanche. Caracas, La Havane, ont réagi en se tournant vers les rivaux globaux, technologiques et commerciaux des États-Unis, la Chine, et la Russie. Cuba, Nicaragua mais surtout Venezuela, ont été pris dans une nouvelle dialectique des blocs, prenant au fil des mois des engagements énergétiques, économiques, financiers, technologiques et parfois militaires, avec Moscou et Pékin, recomposant un bras de fer à la mode « Est/Ouest », subi plus que voulu, à la différence de celui des années 1950/1980.

Ces dérives menaçant l’ordre démocratique et la coexistence pacifique interaméricaine, bien que préoccupantes, n’ont rien d’inéluctable. La fin de règne rocambolesque en hors jeu démocratique du président des États-Unis, Donald Trump, pourrait débloquer la voie d’un vivre ensemble écorné, à l’intérieur des pays comme dans leurs relations mutuelles. Les années Obama avaient permis d’aller dans cette direction. Joe Biden, nouveau premier magistrat des États-Unis était alors son vice-président. Il suffit ici de rappeler la normalisation des relations entre Washington et La Havane, le soutien de Barrack Obama aux négociations de paix entre les autorités colombiennes et les FARC, ainsi que la collégialité nouvelle au sein de l’OEA.

Les lignes diplomatiques bougent. L’Europe prend ses distances avec Washington. En dépit des ambiguïtés du président français s’exprimant en anglais devant un drapeau des États-Unis, pour condamner les dérives illibérales de Donald Trump, les Européens, avec Angela Merkel, ont affirmé leurs différences. Juan Guaido n’est plus reconnu président du Venezuela. En Amérique latine, les nouveaux gouvernants d’Argentine, de Bolivie, et du Mexique ont suspendu toute participation significative aux activités du Groupe de Lima. Le président mexicain a rappelé la nécessité de redonner un sens effectif à la non-ingérence, au respect des souverainetés pour conforter les principes de paix collective et de démocratie.

Ce contexte naissant, sortant les Amériques d’intolérances croisées, pourrait apaiser les relations mutuelles et rendre aux « huit plaies » structurelles signalées par Pierre Salama, la priorité qui aurait dû rester la leur en ces temps successifs de crise économique et de crise sanitaire. La nouvelle feuille de route des gouvernants, a depuis longtemps été mise noir sur blanc par bien des observateurs. Les argentins, par exemple, Mario Rapoport et María Cecilia Miguez : en synthèse, ont-ils écrit en 2015, il faut construire une architecture (…) nationale et régionale fondée à l’international, sur la plus grande indépendance économique, le refus des hégémonismes, la non-intervention et le règlement pacifique des différends, et au sein des États l’édification de sociétés plus justes, combinant croissance et meilleure distribution des richesses, afin de renforcer la démocratie représentative[2].

 

[1] Pierre Salama, « Contagion virale, Contagion économique, Risques politiques en Amérique latine », Vulaines-sur-Seine, Ed. du Croquant, 2020, p 10

[2] Mario Rapoport, Maria Cecilia Miguez, Desafios y ejes para una inserción internacional autonoma de la Argentina y América del Sur en el escenario mundial, in José Briceño Ruiz, Alejandro Smimonoff, « Integración y Cooperación Regional en América Latina, Buenos Aires, Biblos, 2015 pp 143/162

États-Unis. Le jour où ses élites ne croient plus en elle, la République est bien proche de s’effondrer

mer, 13/01/2021 - 15:51

Comme déjà mentionné dans ces colonnes, c’est Stanley Hoffmann, qui fut professeur de sciences politiques à Harvard jusqu’à sa mort en 2015 et avec qui j’ai eu le bonheur de converser à plusieurs reprises, qui, le premier, m’a véritablement ouvert les yeux sur la fragilité des États-Unis en tant que nation. Nous étions en 2004, et déjà il envisageait la possibilité que d’ici la fin du XXIe siècle, le pays n’existe plus sous sa forme actuelle. Trop de divisions, qu’elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou politiques. Pour lui, une volonté de séparatisme dans certains territoires ou même de sécession de la part de différents États était de l’ordre du possible.

Pour ma part, je crains que les choses n’aillent plus vite et que la présidence Biden -ainsi que cela a été le cas pour celle d’Obama – ne soit qu’un des derniers interludes dans le processus de déliquescence de la démocratie en Amérique et plus généralement du pays lui-même.

Les événements qui se sont déroulés le 6 janvier dernier viennent appuyer cette thèse. Et non pas seulement parce que des émeutiers, « a basket of deplorables » -l’expression employée en 2016 par Hillary Clinton est cette fois-ci pleinement justifiée -, ont pris d’assaut le Capitole avant d’y pénétrer – scène après tout plus ou moins similaire à la violente tentative d’intrusion de gilets jaunes dans le ministère du porte-parole du gouvernement français, Benjamin Griveaux, en 2019 -, mais parce qu’avant tout, ceux-ci y ont été incités par le président des États-Unis lui-même.

Néanmoins, c’est la panique des démocrates et leur réaction qui, selon moi, ont le mieux illustré, le 6 janvier et dans les jours qui ont suivi, la déliquescence de la démocratie américaine,

Alors qu’ils auraient dû, afin de rassurer l’opinion, simplement s’indigner de l’odieux outrage infligé au Capitole par une infime minorité de citoyens et dénoncer stoïquement le pathétisme des propos d’un Trump et leur nocivité sur des esprits faibles, ils ont dès les premières minutes parlé d’assaut sur la démocratie et de risque de coup d’État. « Sauver la République » fut leur cri de ralliement, comme s’ils se trouvaient face au tout puissant prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1848 …

Un peuple se remémore toujours les évènements non pas tels qu’ils se sont réellement déroulés, mais tels qu’ils lui ont été présentés par l’historiographie officielle. De par leurs panique et propos, les démocrates et Nancy Pelosi en tête, ont transformé ce qui n’a été qu’une émeute, une émeute certes inadmissible et qui trouve ses racines dans la paupérisation du pays, mais juste une émeute, en un épisode tragique qui aurait pu selon eux mettre en péril la République américaine elle-même. Épisode qui restera donc pour cela gravé dans la mémoire des Étatsuniens, au même titre que l’attaque de Pearl Harbor ou que le 11 septembre 2001, comme l’une de ces journées noires qui ont vu les faiblesses de leur pays apparaître au grand jour.

Surtout, de par leur appel à défendre la démocratie assiégée et en grand danger, l’inamovible speaker de la Chambre et ses amis auront démontré le peu de foi qu’ils semblent avoir en sa résilience et donc la fragilité de celle-ci.

Ils auront en cela suivi l’hallucinante tribune signée quelques jours plus tôt par l’ensemble des anciens secrétaires à la Défense encore en vie, ou ceux-ci enjoignaient aux forces armées de ne pas se mêler de l’élection ! Comme si les hauts gradés du Pentagone auraient pu avoir quelques velléités de franchir le Rubicon afin d’aider un vieil animateur de télé-réalité qu’ils méprisent et qui s’apprête à finir sa carrière dans la fange à rester au pouvoir.

Le jour où ses élites paraissent ne plus croire en elle – par conviction ou… par posture -, la République est bien proche de s’effondrer.

Post-scriptum : Alors que la quasi-totalité des médias et des observateurs américains emboîtait le pas à Pelosi qui se rêve face à Trump, Churchill face à Hitler, peu de gens semblaient se demander si en fermant les comptes du président des États-Unis, les Twitter, Facebook et autres géants du net n’étaient pas tout simplement en train de limiter dangereusement la liberté d’expression au profit d’une pensée unique, la leur. Aussi détestables que soient les Tweets du Donald, c’est une question que tout ami de la démocratie devrait urgemment se poser.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.

One Planet Summit : une mobilisation inédite autour des enjeux marins, avec quels effets ?

mar, 12/01/2021 - 19:09

Les enjeux marins ont appartenu pendant longtemps aux sujets qui peinent à s’insérer dans les relations internationales, malgré leurs intérêts primordiaux pour l’humanité. Toutefois, de plus en plus d’initiatives sur cette thématique voient le jour à l’image du One Planet Summit du 11 janvier qui en a largement traité. Entretien avec Julia Tasse, chercheuse à l’IRIS, responsable du Programme Climat, énergie et sécurité.

La question des enjeux maritimes semble de plus en plus prégnante sur la scène internationale. Quels en sont les enjeux ?

Les enjeux maritimes sont en effet de plus en plus visibles dans les négociations portant sur le climat ou la biodiversité comme au sein d’enceintes plus larges, comme l’ONU ou l’OMC. Cela découle d’une prise de conscience progressive de l’importance des liens terre-mer, et donc des interactions entre nos activités, la santé de l’océan et les ressources naturelles que nous utilisons au quotidien. L’océan étant un réservoir unique de biodiversité et un élément clé du système climatique (élément dont on ne comprend pas encore tous les mécanismes), les questions marines sont discutées de manière croissante dans les instances de négociations environnementales.

Par ailleurs, les territoires émergés sont aujourd’hui quasiment entièrement occupés par les Hommes et l’espace marin reste l’un des seuls partiellement inexploré et encore difficile d’accès. Les appétits s’aiguisent et de nombreux acteurs, gouvernementaux comme économiques, cherchent à exploiter les ressources marines. C’est également cette course vers les technologies qui rendent l’accès à certaines zones possible ou l’exploitation de certaines ressources plus efficace qui marque l’importance croissante des enjeux maritimes. Les États se penchent donc avec plus d’intérêt sur les opportunités liées à l’espace marin, que ce soit en termes de puissance militaire, stratégique ou économique. Cela implique, de fait, une menace croissante sur les écosystèmes marins et la nécessité d’en protéger certains.

Le One Planet Summit a décidé cette année de se concentrer sur la question des océans. Quelle peut être sa portée sur les enjeux maritimes ?

Le One Planet Summit est un rendez-vous quasi annuel, initié par la France et permettant de porter des messages liés à la lutte contre le changement climatique. Cette année, il a tout particulièrement porté sur la biodiversité, dont la biodiversité marine (dont seuls 9% nous seraient connus et 91% restant à découvrir). Parmi les grands sujets du One Planet Summit du 11 janvier, la protection et la conservation de la biodiversité : la France et le Costa Rica portent depuis 2019 la coalition de haute ambition pour la Nature. Cette initiative rassemble une cinquantaine d’États, maintenant, et a pour objectif la protection de 30% des espaces naturels d’ici 2030, notamment des espaces marins.

Le One Planet Summit a fait le choix de porter au cœur des sujets climats la biodiversité, car les deux sont intimement liés : les changements climatiques affectent la biodiversité, tandis que de nombreuses espèces biologiques sont indispensables à l’équilibre du cycle du carbone et de celui de l’eau. L’année 2021 est d’ailleurs considérée comme une échéance clé : d’une part, car de nombreux objectifs en termes de biodiversité comme de climat (les ODD, mais aussi les cibles d’Aichi) avaient pour date butoir 2020 et les bilans vont pouvoir être faits ; d’autre part, car les conférences des Parties (COP) des conventions de l’ONU sur le climat et la biodiversité vont avoir une importance cruciale dans le rehaussement et la mise en place de nouveaux objectifs. Ainsi, la COP15 sur la biodiversité, prévue pour octobre à Kunming en Chine, devrait permettre de statuer sur ces objectifs de protection de 30% des espaces naturels d’ici 2030. D’autre part, la COP26 sur le climat constitue une étape clé, à la suite de la COP21, pour que les pays communiquent de nouveaux objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup en ont déjà fait part, comme la Chine, le Japon, l’UE ou la Corée, qui se fixent pour cible la neutralité carbone à 2050 ou 2060.

Le One Planet Summit a donc en quelque sorte inauguré une année pleine de promesses, donné une première impulsion, qui, je l’espère, mènera loin.

Quel est l’état des initiatives sur la thématique des océans ? La signature de traités ou la mise en place de ministère dédié exclusivement à la mer, à l’image de l’initiative française, se multiplient-elles ?

La thématique des océans infuse différentes négociations, et c’est très positif, car parler de climat ou de biodiversité sans parler d’océan n’a pas de sens. Des discussions spécifiques sont également en cours : le statut de la biodiversité dans les eaux internationales, à travers les négociations onusiennes appelées BBNJ (biodiversity beyond national jurisdictions), les subventions irriguant la pêche (un sujet traité par l’OMC). L’océan est un espace en perpétuel mouvement, qui lie les différents continents. À ce titre, les traités et les accords internationaux sont indispensables. La dynamique d’accords de protection et de gestion durable des ressources marines est donc clé. Cette transversalité du maritime est aussi ce qui est à l’origine de la mise en place du ministère de la Mer. La gestion d’un espace aussi divers, aux acteurs aussi variés et aux frontières aussi difficiles à surveiller nécessite une forte coopération interministérielle et le ministère de la Mer constitue, selon moi, un chef d’orchestre indispensable. De nombreux pays s’étaient déjà « équipés » d’un ministère de la Mer. C’est le cas notamment du Portugal, grande nation maritime aussi. Si la mise en place de ministères de la Mer dans les autres pays n’est pas indispensable à une gestion commune durable des espaces marins, elle ne pourrait être que positive, car alors les interlocuteurs d’une part et d’autres des frontières auraient en tête tous les liens entre les hommes et la mer. Cela évitera le fractionnement de l’information, frein à une appréhension globale de l’océan.

Afrique de l’Ouest : deux investitures présidentielles et les préparatifs d’un enterrement, celui de l’État de droit

dim, 27/12/2020 - 10:52

Plusieurs dizaines de morts avant, pendant et après les élections en Côte d’Ivoire et en Guinée. Des responsables politiques de l’opposition arrêtés et toujours en prison dans les deux pays. En Guinée, dans la nuit du 16 au 17 décembre, Roger Bamba, âgé d’une quarantaine d’années, en détention depuis le mois de septembre à Conakry, est mort quelques heures après son transfert à l’hôpital. Il était membre de la cellule de communication et responsable des jeunes de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le parti d’opposition dirigé par Cellou Dalein Diallo.

Quelles que soient les causes précises de son décès, qui ne seront peut-être jamais élucidées, les conditions exécrables de détention en Guinée n’ont pu que contribuer à ce funeste sort. Au demeurant, les motifs de sa détention ne sont pas connus. Contrairement à des dizaines d’auteurs de violences meurtrières au cours des derniers mois pendant la répression de manifestations politiques, ni identifiés, ni poursuivis en justice, Roger Bamba n’avait jamais tué personne.

Lors de son discours d’investiture pour un troisième mandat le 15 décembre, le président Alpha Condé, 82 ans, a invité ses compatriotes à « oublier le passé qui divise au profit d’un avenir d’unité et d’espérance ». Il faudrait sans doute qu’il appelle les Guinéens qui ne sont pas de son camp à oublier aussi les exactions du présent et, par anticipation, celles du futur, puisque des jeunes continuent à mourir ou à dépérir en prison parce qu’ils estiment son troisième mandat inconstitutionnel.

Les services de sécurité de l’État guinéen font à peu près ce qu’ils veulent en matière de restriction des libertés. Plusieurs acteurs politiques affiliés à l’opposition ont été bloqués à l’aéroport, empêchés de voyager, sans qu’aucune raison ne leur ait été notifiée. Le dernier à en avoir fait l’expérience ce 17 décembre est l’ancien ministre Mohamed Tall de l’Union des forces républicaines (UFR), le parti dirigé par la deuxième personnalité de l’opposition, Sydia Touré.

De l’autre côté de la frontière, un journal ivoirien a titré le 14 décembre, jour de l’investiture du président Alassane Ouattara pour son troisième mandat, sur l’arrivée de nombreux chefs d’État venus participer « aux funérailles de la démocratie ». Ce que cette année 2020 a donné à voir en Afrique de l’Ouest, ce sont en effet les préparatifs avancés d’un enterrement en grande pompe de processus laborieux, tortueux, mais prometteurs, de construction d’un espace régional en Afrique où les principes de la démocratie et de l’État de droit seraient respectés.

Ce n’est pas seulement la démocratie – qui ne s’est en réalité jamais installée en Côte d’Ivoire et en Guinée – qui est menacée. C’est l’État de droit qui est en danger. C’est la protection des citoyens même face à la puissance des moyens de leurs États, mis au service exclusif de ceux qui les contrôlent.

On envoie en garde à vue et on jette en prison bien plus vite et pour peu de choses qu’on ne le faisait au cours des dernières années, en Côte d’Ivoire, en Guinée, mais aussi au Togo, au Niger, et même au Sénégal et au Bénin, longtemps érigés en modèles de délicatesse démocratique aux côtés du Ghana et du Cap-Vert, qui préservent encore leur réputation.

Au Nigeria, ce sont des jeunes qui ont été tués il y a quelques mois en plein Lagos au cours de manifestations contre les abus parfois meurtriers des forces de police. Dans une Afrique de l’Ouest où la vie des populations est déjà gravement menacée par une multitude de groupes armés, djihadistes, communautaires, criminels, et par les conditions économiques, sanitaires et sociales entretenues par la corruption et le mépris des plus pauvres, il faut désormais craindre aussi les abus de pouvoir des gouvernants censés être au service de leurs citoyens.

En l’absence d’une dénonciation collective explicite des préparatifs des funérailles, l’année 2021 à venir pourrait bien être celle de l’enterrement effectif de l’État de droit et des libertés.

 

La jeunesse et l’élection : l’occasion ratée d’un “dépoussiérage de la politique ivoirienne”

mer, 23/12/2020 - 15:00

La crise postélectorale met en péril la fragile éducation à la participation politique de la jeunesse ivoirienne, à laquelle travaillent activement de jeunes web-activistes, chacun dans leur optique, mais en coopération. Parmi ceux-ci, Carelle Goli est une blogueuse féministe et engagée pour l’appropriation de la vie politique par les jeunesses ivoiriennes. Cette militante anime deux blogs, un Mondoblog[1] hébergé par RFI et un blog féministe[2]. Juriste de formation et analyste politique, très consciente du rôle qu’elle a à jouer en tant que citoyenne et en tant que femme, Carelle Goli mène un travail de fond pour amener sa génération, et celles à venir, à s’impliquer dans la vie politique de son pays et la construction de la démocratie ivoirienne. Alors qu’elle constate des mesures tièdes en faveur de la participation des femmes, son engagement est aussi ancré dans la certitude qu’une démocratie solide est une démocratie féministe.

Le paysage politique de cette élection est campé, comme depuis une trentaine d’années, par trois hommes politiques[3] : Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié, leader notable de l’opposition, et l’ex-chef de l’État en exil Laurent Gbagbo. Dans cette répartition, et compte tenu du grand âge des acteurs qui ont tous plus de 75 ans, il est difficile pour les jeunes ivoiriens de s’identifier, d’autant que l’espace politique est celui de rivalités personnelles. Les candidats “n’inspirent aucune confiance : ils ont tous dirigé, ils ont tous montré leurs limites, ils n’ont aucune légitimité aujourd’hui [aux yeux des jeunes]”, explique Carelle Goli, 30 ans, blogueuse et militante pour la participation politique des jeunes en Côte d’Ivoire. Leur mode de communication est également en décalage avec celui des jeunes, pour lesquels le débat passe massivement par les réseaux sociaux et prend des formes différentes des discours politiques et stratégies relationnelles.

Une jeunesse exclue et méfiante vis-à-vis de la scène politique

Les blessures réactivées au cours de cette élection présidentielle sont toujours structurantes dans la vie et les opinions politiques de nombreux Ivoiriens, y compris des jeunes qui grandissent dans une histoire familiale et politique complexe. Selon Carelle Goli, les jeunes ivoiriens sont politisés, commentent la vie politique et conçoivent des opinions. C’est leur engagement et leur participation effective à la vie politique qui fait défaut, ce qui fragilise la démocratie ivoirienne.

En Côte d’Ivoire, plus de 75% de la population a moins de 35 ans, selon les sources officielles[4], 59,5% moins de 25 ans et près de 20% entre 15 et 24 ans (Banque mondiale, 2019)[5]. Pourtant, cette jeunesse est peu incluse dans la vie politique ivoirienne, a fortiori les jeunes issus des populations les moins favorisées. Les raisons sont multiples : structure sociale très hiérarchisée qui assoit la dominance des membres plus âgés du corps social (et politique); conquête plus ardue que pour les générations précédentes d’une stabilité et d’une indépendance économiques et professionnelles, alors que cette stabilité vaut aussi respectabilité et consacre la véritable entrée dans l’âge adulte et l’aptitude aux responsabilités; ou encore une conception paternaliste et infantilisante des jeunes, à destination desquels les puissances publiques conçoivent des politiques, mais dont la consultation est déficitaire[6]. À cela s’ajoute un fort sentiment d’abandon ressenti par les jeunes, qui portent donc un regard étranger sur le monde politique.

Cette faible participation politique et citoyenne relève aussi de la socialisation politique des générations nées à partir des années 1990, et de leur perception de l’engagement politique. C’est en tous cas l’analyse que livre Carelle Goli : “il y a eu plusieurs jeunesses. Il y a la jeunesse de 1960, de postindépendance, qui a connu le père fondateur Houphouët-Boigny ; il y a la jeunesse des années 1990, qui est devenue actrice politique à cause du mouvement de multipartisme, des années folles, de l’engouement démocratique […]. Mais cela a changé à partir des années 2000 à cause des crises, des violences et des guerres. Cette nouvelle jeunesse, qui est là aujourd’hui, a connu un traumatisme. Lorsque vous naissez et que vous vivez des atrocités et des guerres qui sont fortement liées à la politique, vous vous en méfiez. En Côte d’Ivoire, les jeunes disent qu’ils préfèrent aller au travail, et que la politique, ce n’est pas pour eux. Le mot « politique » n’évoque pas de bonnes choses, pour la jeunesse :  la rébellion de 2002, la crise postélectorale de 2010… […] Beaucoup ont grandi avec une désillusion, de se dire qu’on ne va rien changer, que ça ne sert à rien. Même ceux qui avaient vingt ans à l’époque, et qui aujourd’hui en ont trente ou quarante, sont désabusés. Ceux qui viennent après le sont aussi.

L’élection présidentielle de 2020 : l’occasion manquée de “dépoussiérer la politique

L’incitation à la participation politique suppose donc un long travail de fond, qui exige de profiter de chaque occasion pour toucher le plus de jeunes possible. Pour de nombreux activistes, l’élection présidentielle de 2020 devait être une occasion de mettre à l’épreuve et de consolider le travail mené depuis plusieurs années.

Depuis cinq ans, Carelle Goli mène, aux côtés d’autres blogueuses ivoiriennes, un intense travail de redéfinition : « On essaie aujourd’hui de remettre à neuf le concept même de politique, de le dépoussiérer ! Il y a la politique politicienne, et il y a la vraie politique, celle qui va servir à impulser un développement social, économique, culturel ». Cela passe d’abord par un travail d’explicitation, afin de donner les clés de compréhension et de débat. L’histoire politique, par exemple, est rappelée, actualisée, commentée, car « la jeunesse ivoirienne parle de politique, sans forcément la comprendre, puisqu’on a une histoire politique, récente et passée, assez mouvementée », en outre pétrie de différends communautaires largement instrumentalisés dans les luttes politiciennes[7],[8]. « Il y a aussi le fait que les jeunes doivent comprendre la politique, comment elle fonctionne, ses mécanismes, s’intéresser aux textes. La crise postélectorale actuelle est liée à un troisième mandat, et à une Constitution. Mais il y a beaucoup de personnes qui ont découvert la Constitution comme ça, alors qu’elle date de 2016. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’appropriation des textes. […] Notre rôle, c’est d’affirmer qu’en tant que jeunes, on peut et on doit pouvoir côtoyer les institutions de la République. On doit pouvoir dénoncer ce qui ne va pas, en termes de gouvernance, on doit pouvoir avoir une voix, que ce soit dans un parti politique, ou hors d’un parti politique. On doit pouvoir prendre part au débat citoyen. » Et pour ce faire, les jeunes doivent pouvoir en manipuler les outils et les cadres. C’est pourquoi la jeune blogueuse, qui est aussi analyste politique et juriste de formation, publie régulièrement des analyses de situation et des textes fondamentaux sur ses différents blogs, qu’elle relaie sur ses réseaux sociaux.

Pour ces activistes, la séquence électorale de 2020 devait permettre d’intensifier ce travail auprès des jeunes, car l’attention générale aurait dû être focalisée sur les questions politiques. L’espoir était grand de pouvoir démontrer l’utilité d’une lecture étayée de la situation, et de donner confiance aux jeunes en leur capacité à s’impliquer d’une manière éclairée. « Mais c’est comme si on avait jeté à l’eau notre travail depuis des années », déplore Carelle Goli. Les espaces et les mécanismes que ces activistes avaient mis en place pour encourager et accompagner le débat n’ont pas pu fonctionner, parce qu’il n’y a pas eu matière à débat : aucun candidat n’a présenté de programme, le parti présidentiel n’avait pas réellement de contre-pouvoir et l’opposition était “dans une logique revancharde ».

Le boycott actif du scrutin prôné par l’opposition a achevé de brouiller la lecture proposée par ces activistes, qui distinguent deux niveaux dans tout acte politique : l’acte citoyen, et la prise de position politique. Ainsi, le fait d’exercer son droit de vote est un choix citoyen, condition nécessaire à la conquête de la scène politique par les jeunes, en tous cas dans un contexte de démocratie représentative ; le nom qui figure sur le bulletin de vote est quant à lui un positionnement politique. Or, avec le boycott de l’élection, « ceux qui voulaient voter étaient étiquetés. Si vous vouliez exercer votre droit de vote, on supposait que vous alliez voter pour le président, donc vous étiez collabo. Si vous ne vouliez pas voter, vous apparteniez automatiquement à l’opposition. Tous les choix étaient devenus ouvertement politiques, alors que ce sont d’abord des choix citoyens. […] C’était très difficile d’appeler à aller voter. Si vous le faisiez, vous apparaissiez forcément du camp présidentiel. Moi, j’ai appelé à la conscience citoyenne : si vous avez envie de voter, vous avez le droit d’aller voter. Si aujourd’hui, vous vous abstenez, vous avez aussi le droit, la Constitution vous donne le droit de vous abstenir. En vous abstenant, vous allez avoir un dirigeant que vous n’aurez pas choisi et qui ne va pas changer. C’est ce type de choix conséquents que j’ai mis en lumière », explique Carelle Goli, qui admet amèrement n’avoir pas voté.

Les leçons de l’élection : chantiers à venir pour les jeunesses ivoiriennes

Faute d’accompagner une participation citoyenne des jeunes dans le processus électoral, les militants ont commenté les événements, en tâchant de replacer les déclarations et les actions dans leurs contextes, en explicitant les enjeux des mobilisations et des différends. Carelle Goli a par exemple publié plusieurs articles sur l‘initiative du Conseil National de Transition (CNT) : l’occasion pour les activistes d’approfondir les débats et les réflexions au sein de leur communauté, qui ont conforté la jeune analyste dans certaines de ses convictions et affiné sa lecture des choses.

Elle soulève d’abord un apparent paradoxe : c’est malgré tout à la jeunesse qu’il revient de créer l’opportunité de s’exprimer, et d’être entendue, car cela ne viendra pas de ceux qui sont au pouvoir. « J’ai eu un débat avec des amies qui croyaient au CNT, et l’une d’entre elles disait que les Ivoiriens sont des lâches, car ils ont capitulé. J’ai dit que les Ivoiriens ne sont pas forcément des lâches. Il y a des raisons psychologiques, sociales, qui interviennent, mais il y a aussi le fait qu’aujourd’hui, les Ivoiriens attendent un homme ou une femme providentiels. Ils ont besoin de quelqu’un qui va incarner certains combats ». La faible mobilisation autour du CNT n’est donc pas une preuve de lâcheté, mais plutôt celle que « [la jeunesse] n’est pas encore prête pour aborder le tournant de la révolution, mais je pense pour ma part qu’elle le sera plus tard », ce qui réaffirme l’importance du travail mené par l’activiste et ses collègues.

Le rôle de désamorçage du conflit et de limitation des discours de haine, dans lequel ces militants ont été cantonnés suite à l’élection – et dont ils se sont saisis avec passion, vu l’urgence de la situation – a renforcé une autre conviction, que Carelle Goli a souvent développée en dépit des commentaires réprobateurs. « Il y a une profonde fracture sociale qui n’a jamais été fermée. En Côte d’Ivoire, il y a beaucoup d’hypocrisie. On parle de faire la paix, et on continue comme avant. Quand on en parle, on nous dit qu’on cherche à diviser la Côte d’Ivoire. Moi, je dis que c’est une réalité, et que beaucoup de nos crises en sont nées. On a eu des éducations, malheureusement, avec beaucoup de stigmates posés sur l’un ou l’autre groupe ethnique, avec lesquels nous avons grandi. La politique a exacerbé cela, car nous avons des politiques tribalistes : ils ont des bastions. […] On aura forcément encore des crises communautaires, car ces crises puisent leurs sources dans cette structure. […] De mon point de vue, il faut un grand débat national en Côte d’Ivoire. »

Les fractures sociales et leur reconduction sont intimement liées à l’impunité qui plane sur les violences et les crimes des dernières décennies :  « Quand il y a des crises et des morts, il y a des bourreaux et des victimes. Il faut que les bourreaux paient, et que les victimes soient réparées. En Côte d’Ivoire, ce sont des choses qui n’existent pas, ou sont très partielles. La justice du vainqueur ne va jamais arranger les choses, mais la Côte d’Ivoire ne pourra connaître la paix que lorsqu’on aura une justice, une vraie enquête. On ne veut pas de lois d’amnistie : c’est de l’hypocrisie ». La crise postélectorale actuelle aura donc renforcé la conviction que le point de départ d’une stabilisation politique repose dans une réparation, qui permettra le deuil et la réconciliation : « parler de réconciliation, c’est déjà supposer qu’on a apporté réparation à la personne lésée. Ensuite, on pourra entamer les autres chantiers. Pour l’instant, lorsqu’un gouvernant arrive au pouvoir, il y a en face des gens qui ont des rancœurs, les critiques et les indignations partent vite. C’est pour cela qu’en Côte d’Ivoire, tout s’enflamme vite : les cœurs ne sont pas apaisés. On parle de « match retour ». C’est une expression ivoirienne, qui veut dire qu’il y a eu un « match aller » que les autres ont gagné, mais dans le « match retour », nous allons jouer contre eux. Et quand on parle de « match retour », c’est dangereux. »

Des jeunesses multiples : cibler les femmes et les moins favorisés

Carelle Goli, tout comme ses collègues engagés, tient à préciser que l’incitation à la participation politique ne peut faire l’économie d’une adaptation à chaque public : la jeunesse est multiple. La jeune web-activiste est ainsi particulièrement mobilisée envers le public féminin, et se présente d’ailleurs avant tout comme féministe. À ce titre, elle ne se contente pas de rendre accessible l’histoire politique communément acceptée de la Côte d’Ivoire, mais propose sur son blog Héroïnes d’ici une relecture féministe et féminisée de l’histoire ivoirienne : « [on a délesté les femmes] de leurs mérites des périodes post-indépendance, on a dit que tout était le fait d’hommes, et d’ailleurs on parle des « pères de l’indépendance ». Moi, je veux dire qu’il y a eu des « mères de l’indépendance » ! On les ramène à des femmes qui ont aidé leur mari, mais c’est très réducteur. Ces femmes-là étaient des actrices à part entière dans l’histoire du pays, elles ont vécu la clandestinité, elles ont mené des combats, elles ont dirigé des révolutions. Mais à la fin, des hommes se sont approprié le pouvoir. » Carelle Goli parle également du manque de représentation des femmes dans les sphères politiques, dont elle livre les principaux mécanismes, et le manque de représentativité des politiques. Elle aborde aussi des sujets tabous liés aux violences sexuelles ou au harcèlement subis par les femmes dans les structures politiques.

Son engagement dans les combats féministes est d’autant plus motivé par le fait que « les jeunes femmes commencent à s’intéresser, à essayer de comprendre la politique, parce qu’elles se rendent compte qu’elles vivent dans une société où elles ont des droits, où elles sont obligées d’être actrices, où lorsque le politicien ou la politicienne vient chercher son électorat, ils ne distinguent pas la voix de l’homme et de la femme, donc forcément, les femmes vont aider à élire des gens. Il faut donc pouvoir exercer ce pouvoir-là. » Pour accompagner cette dynamique, Carelle Goli a mis à profit le confinement du printemps 2020 pour créer l’Académie politique des femmes. L’ambition du projet est de se distinguer des formations politiques habituellement proposées aux femmes, dont les contenus sont “trop légers” : « Beaucoup de fonds décaissés, mais on ne forme pas réellement politiquement les femmes ». Pour la première édition de l’Académie, « on a travaillé pendant deux mois de manière intensive [avec une vingtaine de jeunes femmes], via les vidéoconférences, avec des formateurs, qui leur ont appris la Constitution, la science politique, on a lu Montesquieu, et on est vraiment revenues aux bases de la politique. Ce groupe-là, je le vois aujourd’hui avoir de vrais débats politiques ! C’est étonnant venant de femmes qui n’avaient jamais parlé de politique auparavant, car ce que je voulais, c’était un niveau initiatique. Je ne voulais pas des femmes déjà actrices en politique, je voulais des novices, parce que cela permettait de voir réellement si la formation pouvait avoir un impact. Et ces femmes, maintenant, elles parlent de politique. »

Carelle Goli est également consciente du niveau social élevé de son public, en majorité instruit, et que son travail d’analyse est difficilement accessible aux jeunes plus défavorisés. Or, « ce sont ces personnes qui sont les plus facilement manipulables. Celui qui est instruit peut s’abstenir, parce qu’il sait ou qu’il sent qu’on lui sert un discours qui n’est pas pertinent. Mais celui qui n’est pas instruit devient plus dangereux, parce que c’est lui qui est la cible des mauvaises intentions politiques. Ce sont ces gens-là que l’on va souvent voir dans les actions violentes, dans les tueries, dans les affrontements communautaires. » L’enjeu est donc de taille, mais la militante remarque que son activité ne lui permet pas, seule, d’accéder à ces publics. C’est pourquoi cette délicate question appelle une stratégie de coopération : « Nous devons et nous sommes en train de fédérer nos efforts pour sortir de notre public habituel et toucher ces personnes-là, afin de les sensibiliser à la politique et à l’esprit critique ». Des rapprochements avec les associations dont le travail est principalement déployé auprès des moins favorisés sont donc nécessaires, et indispensables dans la démarche inclusive initiée par ces jeunes militants.

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[1] https://carellelaetitia.mondoblog.org/

[2] https://heroinesdici.com/

[3] Frédéric Lejeal, Côte d’Ivoire : une « guerre de trente ans » qui tire à sa fin ? , IRIS Analyses, 14 novembre 2020

[4] La Politique Nationale de la Jeunesse et les Stratégies (2016-2020), ministère de la Promotion de la jeunesse, de l’emploi et du service civique de Côte d’Ivoire, 2016

[5] Côte d’Ivoire : Répartition par âge – Population, Indexmundi, consulté le 14 décembre 2020

[6] Clara Arnaud, Jeunesses sahéliennes : dynamiques d’exclusion, moyens d’insertion, Notes techniques de l’AFD, mars 2016

[7] Ousmane Dembele, « Côte d’Ivoire : la fracture communautaire », Politique africaine, 2003, p. 4-48

[8] En Afrique, la question ethnique a été manipulée, Le Monde Afrique, 29 mars 2008

Côte d’Ivoire : la guerre des trois aura-t-elle lieu ?

mer, 23/12/2020 - 10:00

 

Ce 14 décembre, 300 personnes triées sur le volet – dont une vingtaine de chefs d’État – ont participé à la cérémonie d’investiture d’Alassane Dramane Ouattara (ADO). Le 31 octobre dernier, sans grand suspense, il a été réélu président de la République de la Côte d’Ivoire, se succédant à lui-même pour un troisième mandat. Si tour à tour la légalité et la légitimité de cette troisième mandature ont fait l’objet de débats sur son inconstitutionnalité entraînant des heurts meurtriers, le gouvernement semble ouvrir une nouvelle séquence et s’inscrire dans une double dynamique d’ouverture et de fermeté, selon à l’attention de la communauté internationale et de ses concitoyens, avec de possibles porosités entre les destinataires ; un vernis qui masque à peine un virage autoritaire. Le 4 décembre, Laurent Gbagbo, incarcéré pendant quelque neuf années auprès de la CPI et relaxé en première instance, s’est vu remettre deux passeports (l’un diplomatique, l’autre ordinaire), laissant augurer de son possible retour en Côte d’Ivoire. Le même jour, Henri Konan Bédié (HKB) a vu la levée du siège, par des fourgons de police, de sa demeure, après plusieurs semaines d’encerclement. Ces trois hommes se connaissent, se tutoient, ont été partenaires, ennemis au gré d’alliances et de mésalliances qui ont structuré la vie politique ivoirienne depuis près de 30 ans. La guerre des « Vieux » ayant conjugué leur destin personnel et celui de leur parti avec celui de tout un peuple aura-t-elle lieu, ou au contraire, seront-ils en capacité d’écrire l’histoire de la réconciliation ? La question reste ouverte.

Une scène politique élargie au-delà des Trois

Il est évident que le jeu politique ivoirien dépasse ces trois hommes. Pour rappel quarante-quatre candidats s’étaient présentés à la candidature suprême dont quarante avaient été retoqués par le Conseil constitutionnel. Guillaume Soro, ayant occupé les fonctions de Premier ministre et de président de l’Assemblée nationale, est quant à lui en exil. Un temps réfugié en France, suite à son appel à la sédition des forces armées sur les réseaux sociaux, le 4 novembre, il lui a été notifié qu’il n’était plus le bienvenu sur le sol français… Enfin, Pascal Affi N’Guessan qui a porté les couleurs du Front populaire ivoirien (FPI) durant une séquence électorale, pour le moins peu lisible, est quant à lui emprisonné. La réduction de la vie politique à ADO, HKB et Gbagbo peut sembler abusive mais on pressent qu’ils ont des comptes à régler et compte tenu du leur âge respectif le moment fleure le dernier round. Reste à voir s’ils pourront transcender leurs inimitiés en faveur de la pacification de la Côte d’Ivoire.

Une drôle de campagne

Quatre candidatures ont été retenues : ADO (RHDP – Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix), HKB (PDCI – Parti démocratique de Côte d’Ivoire), N’Guessan (FPI – Front populaire ivoirien) et Kouadio Konan Bertin (candidature dissidente du PDCI). Pourtant, le 5 mars 2020 devant un parterre de militants du RHDP réunis au centre Houphouët-Boigny à Yamoussoukro, Alassane Ouattara (ADO) avait annoncé son retrait de la vie politique, au profit de son dauphin putatif Amadou Gon Coulibaly. La France, dans un élan de fausse non-immixtion, saluait via un tweet du président Macron cette décision comme « historique ».  Et, en l’espèce, l’histoire en sera pour ses frais. Le décès brutal du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, en juillet a rebattu les cartes. Selon une source gouvernementale, ce décès un mois et demi avant le lancement officiel de la campagne ne permettait pas de désigner un candidat naturel autre que M. Ouattara. À la question que de nombreux observateurs se posent, sachant que M. Gon Coulibaly avait des problèmes de santé connus, pourquoi ne pas avoir envisagé d’autres candidatures alternatives ? La réponse de la même source est implacable : 1) les militants du RHDP restent libres de leur choix et la candidature de M. Ouattara a été largement plébiscitée ; 2) il y avait un risque de scission du parti, le choix porté sur M. Coulibaly avait, au demeurant, entraîné des dissidences ; 3) M. Coulibaly, après deux mois d’hospitalisation en France, était rentré en pleine santé et son décès prématuré était imprévisible. C’est dans ce contexte particulier que M. Ouattara a consenti à ce « sacrifice ». Entre les lignes, et même si plusieurs personnalités du RHDP se sont désolidarisées de cette candidature, l’enjeu était donc l’avenir du parti confondu avec celui de l’État.

Du côté de l’opposition, la tactique adoptée a été plus qu’erratique. HKB et N’Guessan ont chacun déposé leur candidature sans toutefois faire campagne ayant, conjointement, appelé à la désobéissance civile et au boycott de l’élection. Cette alliance de circonstance ne peut laisser oublier que le paysage politique est, en réalité, beaucoup plus fragmenté. Quid des 40 autres candidats retoqués dont, entre autres, Mamadou Koulibaly, président du parti Lider ? Aucun ne semble avoir soutenu cette position ambivalente. Selon certains analystes, la tactique retenue était un des seuls moyens d’empêcher le vote et/ou de décrédibiliser une quelconque victoire d’Alassane Ouattara, en concourant seul dans le cadre d’un processus électoral pipé. En dépit de violents heurts préélectoraux, la désobéissance civile n’a pas eu les effets escomptés. Suivant les militants de HKB-N’Guessan : les manifestations ont été largement empêchées. Selon une source officielle, c’est qu’ils n’ont pas été en capacité de réunir sur leurs noms leurs militants. La sociologie du PDCI serait vieillissante contrairement à celle du RHDP qui depuis 2015 a poussé à l’engagement de près d’un million de jeunes. Une information qui mériterait d’être confirmée ou infirmée par les autres partis.

Une élection émaillée de violences

Le 31 octobre, jour du scrutin, a été émaillé de violences. De nombreux bureaux de vote n’ont jamais pu ouvrir : le rapport de la mission conjointe d’observation de l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (EISA) et du Centre Carter, une ONG agissant pour la promotion de la démocratie, des droits humains et pour la résolution pacifique des conflits, est sans appel : « Le contexte politique et sécuritaire n’a pas permis d’organiser une élection présidentielle compétitive et crédible ». Selon ce même rapport, l’acceptation des résultats et la cohésion du pays sont menacés. Concernant les dizaines d’Ivoiriens et d’Ivoiriens décédés depuis le 31 octobre, Amnesty International demande des enquêtes de la part des autorités : « Les témoins avec lesquels elle s’est entretenue ont raconté les scènes de violences post-électorales dans le cadre d’affrontements croissants entre des sympathisants de l’opposition et du parti au pouvoir depuis le 31 octobre. Dans certains cas, les forces de sécurité ont été submergées, incapables de faire barrage aux violences imputables aux deux camps ».

En dépit de ces incidents qui entachent sérieusement le processus électoral, M. Ouattara a réuni plus de 94% des voix sur sa personne. Une issue qui fleure « le résultat soviétique » de l’aveu d’une parole gouvernementale autorisée. Mais quid rappelle-t-elle des résultats obtenus par Jacques Chirac face à Marine Le Pen en 2002 ?

Les arguments sont bien rodés et ressortent les relents d’amertume vis-à-vis d’une couverture de cette séquence électorale très partiale par la presse internationale et plus particulièrement française comme le rappelle la saillie de M. Ouattara à la sortie de son bureau de vote : « Vous devez arrêter d’imposer des normes de l’Occident aux Africains, nous sommes suffisamment majeurs pour gérer nos pays ». Il est plutôt habile au demeurant de cliver le débat entre une France « donneuse de leçons » – surtout lorsque l’on met en perspective des félicitations adressées par Emmanuel Macron –, et un État souverain. C’est pourtant un peu court. C’est allumer un contre-feu. Les premiers détracteurs de M. Ouattara, en dépit du verdict des urnes, sont bel et bien les Ivoiriens et les Africains, instances internationales à part puisque l’issue du vote a été saluée par la CEDEAO et l’UA. Dans une tribune, intitulée « Halte à la présidence à vie en Afrique » publiée dès le 11 septembre dans Le Monde Afrique, les écrivains Tierno Monénembo, Véronique Tadjo, Eugène Ebodé exprimaient leur refus contre « toute idée de troisième mandat où que ce soit en Afrique ! ». Du 14 au 16 décembre des activistes de tout le continent se sont encore réunis à Dakar dans le cadre de la deuxième édition de l’UPEC (Université populaire de l’engagement citoyen) afin de débattre entre autres de la poussée autocratique et des répressions policières. Selon Fadel Barro, journaliste, activiste et co-fondateur du mouvement citoyen Y en a marre : « Malheureusement, nous avons des chefs d’État qui s’accrochent au pouvoir et ne laissent pas la place aux jeunes ». Ces différents appels montrent suffisamment que les Africains sont en effet suffisamment majeurs pour vouloir le changement.

Gestes d’ouverture et de fermeture du gouvernement Ouattara qui masquent mal un virage autoritaire

Aux lendemains d’une élection qui n’aurait pas dû avoir lieu, et les plus radicaux contestent même qu’elle ait eu lieu, HKB et N’Guessan ont créé un comité de transition national, préface d’un gouvernement de transition national, dont le premier était le président et le second porte-parole. Cet affront considéré comme séditieux et non conforme avec l’État de droit a entraîné successivement une vague d’arrestations, un encerclement de la demeure d’HKB et un emprisonnement de N’Guessan. Dans la nuit du vendredi au samedi 7 novembre, déclaré en fuite, il a été appréhendé et fait l’objet d’enquêtes pour « complot contre l’autorité de l’État », « mouvement insurrectionnel », « assassinat » et « actes de terrorisme », selon le procureur Richard Adou.

En dépit des chefs d’accusation de sa mise aux arrêts, dans une vidéo qui pousse à la sidération tant elle flirte avec l’absurdité, postée sur les réseaux sociaux, le 8 novembre, on le voit les traits tirés, le teint pâle répondre à la question suivante : « Les réseaux sociaux disent que vous êtes décédés, c’est vrai ou c’est faux ? » et lui de répondre rictus aux lèvres « (…) je me porte bien (…) Je ne suis pas décédé ». Questions suivantes par le preneur de son et d’images dans un éclat de rire, tout en lui servant du monsieur le ministre : « Est-ce que vous avez été torturé ? (…) Est-ce que l’on vous donne à manger ? ». Oui oui, il est bien traité, il n’a pas subi de sévices corporels, la caméra se décentre sur une barquette de frites et de petits pois. Clap de fin. Pour une procédure régulière sourcilleuse du droit, des questions se posent. Jusque-là ce format de vidéo semblait plutôt réservé aux otages… HKB, allié de ce mouvement, et sans doute – là on est obligés de considérer des hypothèses puisque l’on a du mal à évaluer quelles sont les règles de droit qui prévalent – compte tenu de son âge et de son statut d’ancien président, a été cantonné à domicile, des cars de policiers flanqués devant sa porte.

Pourtant des gestes de la part du gouvernement ont montré une volonté d’apaisement, au moins de façade. Une invitation adressée à HKB, le 11 novembre, à l’hôtel du Golf, en vue de négociations, a permis une photo réunissant ce dernier avec ADO, l’allié d’hier, le tout agrémenté d’une phrase reprise comme un leitmotiv par les protagonistes en présence : « La glace est brisée ». À peine égratignée serait-on tenté de préciser puisqu’en réalité, quelques jours après, HKB a demandé la libération des prisonniers et de ses alliés. Tactique assez étonnante comme si cela n’aurait pas dû être un préalable à tout vrai/faux semblant rapprochement cathodique. La fin de l’ère de glace ne semble pas pour demain…

À quelques jours de l’investiture de Ouattara, deux pas supplémentaires ont été franchis à l’endroit de HKB et de Gbagbo : désencerclement de la maison pour l’un, délivrance de passeports pour le second.

Pourtant sur le plan judiciaire, l’institution veille au grain entre arrestation et poursuites engagées contre des artistes visant ostensiblement à juguler la liberté d’expression. Lors d’un concert donné dans une commune d’Abidjan (Yopougon), le très populaire duo Yodé et Siro s’est lancé dans un morceau soulignant que depuis le 31 octobre seuls les militants de l’opposition avaient été poursuivis dans le cadre des enquêtes sur les violences électorales, dénonçant ainsi une partialité des instructions. Ce groupe plutôt connu pour sa liberté de ton a été « poursuivi en comparution immédiate pour outrage à magistrat, discrédit de l’institution judiciaire et diffusion d’informations mensongères à relent racial et tribal ». La sanction est tombée : « Condamnation à un an de prison avec sursis et à une amende de 5 millions de francs CFA ».

Les signes d’ouverture sont donc partiels et le parti État RHDP aux aguets, même si des sources autorisées répètent à satiété que la justice est indépendante…

Pourquoi préfacer une nouvelle triangulaire ?

Laurent Gbagbo a été l’absent/présent de cette élection. En juillet, HKB lui rendait visite à Bruxelles où il a élu domicile depuis sa relaxe de La Haye, une rencontre scellant leurs retrouvailles.  Selon Franck Hermann Ekra, analyste politique, membre du bureau politique du PDCI, dont les propos ont été recueillis par Christian Eboulé, « la rencontre entre les deux ex-présidents de la République souligne leur compréhension mutuelle d’un impératif de concorde nationale, pour sortir le pays de la crise de maturation démocratique dans laquelle il s’est enfermé depuis 1990 et le retour au multipartisme ». Un premier pas semble avoir été franchi entre les deux hommes sans que nous ne connaissions les limites de leur accord. Hors-jeu, sans passeport, et donc tenu dans l’impossibilité de participer à l’élection, Laurent Gbagbo, lors d’une interview accordée à Denise Epoté pour TV5 Monde, à deux jours du scrutin, est apparu sous les traits d’un pacificateur, invitant en plusieurs occurrences à la « discussion ». Il a tenu à prévenir : « Ce qui nous attend, c’est la catastrophe. C’est pour ça que je parle. Pour qu’on sache que je ne suis pas d’accord pour aller pieds et poings liés à la catastrophe. Il faut discuter ». Une invitation qui était censée montrer par contre-point le refus de dialogue par Alassane Ouattara. D’ailleurs, malgré une situation qui semble à l’accalmie, les échanges à fleuret moucheté entre les deux hommes ne se tarissent guère. Ses passeports remis, Laurent Gbagbo a fait savoir dans le cadre d’un communiqué de presse transmis par son Conseil, Maître Habiba Touré qu’« à la lumière des récents événements qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire, [il s’agissait là d’]un épiphénomène.(…) Il demande de nouveau la libération de tous les responsables politiques et de la société civile injustement incarcérés à la suite de la volonté de M. Alassane de briguer un troisième mandat ». Une déclaration qui n’a pas été du goût du gouvernement ayant jugé ces propos « méprisants, [allant] contre l’aspiration des peuples à vivre en paix ». Ces échanges semblent bipolariser la vie politique, ce qui est d’autant plus aisé que Gbagbo est toujours sous mandat d’arrêt en Côte d’Ivoire. Son retour au pays natal est encore loin d’être acté…

Quant à HKB, et ce en vue de montrer qu’il était loin d’avoir dit son dernier mot a mis fin au « régime de transition » proposant de remplacer le conseil national de transition, mis en place deux jours après l’élection, par un cadre de Dialogue national. Ce dialogue devra être, selon M. Konan Bédié, encadré par des institutions telles que l’ONU, et aborder des thèmes comme « l’élaboration d’une constitution consensuelle », « la mise en œuvre d’un véritable processus de réconciliation qui prendra notamment en compte le retour des exilés et la libération des prisonniers politiques et militaires », mais aussi « l’organisation des élections, notamment présidentielles, transparentes, crédibles et inclusives ». Les principales revendications de l’opposition n’ont pas changé et les résultats de la présidentielle demeurent non reconnus. Cette déclaration a été condamnée par le parti présidentiel.

Depuis près de 30 ans, ils sont trois à avoir été président de la République de Côte d’Ivoire. En dépit d’évolutions sociétales, d’un élargissement de la scène politique, ils continuent de la camper et de la polariser. Seront-ils en capacité de discuter ? Rien n’est moins sûr… Tandis que Laurent Gbagbo pourrait, selon certains, se ménager une voie de présidentiable pour 2025, dans un contexte de rapport de forces asymétrique favorable à M. Ouattara.

Crypto-exuberance and the Real Stakes of Monetary Digitization

mar, 22/12/2020 - 18:35

The pandemic is accelerating the development of monetary solutions driven by economic digitization. Beyond the roller coaster of the main cryptocurrencies, the development of an efficient and stable monetary system is at stake for the digital age, involving public and private currencies, with varying degrees of centralization. An interview with Rémi Bourgeot, economist and associate fellow at IRIS.

How did cryptocurrencies react to the covid-19 shock? How do you interpret their rise?

On the whole, cryptocurrencies fell sharply at the beginning of the pandemic, from February to March, and then experienced a massive rebound. The Bitcoin fell by about 30% and then jumped from a level of less than $5,000 and more than quadrupled. These uncontrollable variations are the hallmark of most cryptocurrencies. You may recall that Bitcoin had already approached $20,000 in 2018 before collapsing to around $3,000.

The spectacular rise to those levels is fueled by the limit both in the rate of creation (or mining in the jargon) but also in the ultimate amount of bitcoins. The cap was set as soon as the blockchain was introduced in 2008, as a fully decentralized transaction database relying on cryptography and independent nodes, which are themselves rewarded with newly-created bitcoins. On the demand side, global investor interest has been reinforced in recent months by the support of Paypal, which has announced the integration of a number of cryptocurrencies into its payment solutions. At the same time, cryptocurrencies suffer from excessive expectations, given their actual definition. The idea of a completely decentralized data architecture has many exciting applications, first of all when no centralized instance can manage it or when there is an issue of mistrust between participants in the system. But, from a monetary and financial point of view, one can hardly support the idea that Bitcoin is the new « digital gold ».

Cryptocurrencies of this type have no real backing, and it is hard to completely dismiss the risk of a major cryptographic flaw that could eventually emanate from new forms of computing, for example with quantum computers. This radically unexpected event, or « black swan », to borrow the expression of Nassim Nicholas Taleb, would still have the potential to send the value of Bitcoin to another symbolic level: zero. However powerful the principle of these decentralized systems may be, the idea of relying on these tools for global means of payment, mass consumption or savings raises problems of stability and safety which require significant adjustments.

For their part, « stablecoins », which offer a stable value in relation to reference currencies, make it possible to avoid certain obvious pitfalls. However, apart from central bank digital currency projects, which should be equivalent to cash, stablecoins tend to involve a type of financial engineering that makes them more similar to a synthetic financial product than a currency. This is notably the case of Facebook’s project.

Has the acceleration of economic digitization by the pandemic changed the market for cryptocurrencies and central bank digital currency projects?

The pandemic has clearly accelerated digitization with an impressive development of home-office work and e-commerce among other trends. Monetary solutions based on digital life are therefore gaining traction fast. Cryptocurrencies are certainly an important aspect of that process. Their inclusion in real life and in popular means of payment gives them more credibility. Moreover, the active absorption of pandemic-related public debts by central banks results in additional mountains of liquidity being invested on all types of assets, in search of yield. The prices of cryptocurrencies have benefited greatly from this situation. However, they cannot really be compared to traditional financial assets.

The craze for cryptocurrencies and the digital currency initiatives of private companies have also encouraged central bank digital currency projects, which have the potential to revolutionize the relationship between economic agents and money, which in this case will be both digital and fully backed by the central bank. Private digital currencies such as the one announced by Facebook, which will be far less decentralized than Bitcoin, play a profoundly different role.

Whatever the interest in the blockchain and its less decentralized variants, it is difficult to see a stable and beneficial role for the potentially widespread use of global digital currencies. Almost all cases of currencies being used in a way that is not based on the real economy and without a reasonable geographical anchoring have resulted in painful landings. This has been particularly evident with the dollarization of developing countries over the last four decades, from Latin America in the 1980s and 1990s to Lebanon this year and, to a different extent, in the case of the Euro crisis. The same flaws in terms of competitiveness and the impossibility of adapting exchange rates to the local situation would reappear with a generalization of the use of global digital currencies. Monetary digitization is a source of hope in terms of economic simplification, especially for international trade, but cannot completely overlook political and economic history. In that sense, central bank digital currencies can play a considerable role.

What economic conclusions can be drawn from the resilience of digital currencies in the face of a global economic crisis?

Despite all the confusion surrounding the blockchain craze, these technologies are developing their role in the real economy, after an early phase during which bitcoin tended to be more the preserve of underground circles. The support of Paypal is a major fact, but let’s not underestimate the problems that the generalization of cryptocurrency usage, be it a stablecoin, can generate. It would be easy to fall into the approximations that, applied to the scale of the global financial system, have caused the economic disasters of the last three decades.

In one way or another, money should fully enter the digital age, because of the need to simplify monetary links and the concrete technological means that now make it possible to progress in this direction faster than ever. As such, public digital currencies have a considerable role to play, which must be defined by means of a political discussion in addition to the current expert debate, which is of varying levels. Monetary digitization, both in its public and private version, will also redefine the role of banks and could pave the way for a more reactive and productive fintech than today’s bureaucratic finance. The challenge is, however, daunting because the reality we will face in the coming years will be that of a mountain of debt and of zombie financial and economic structures, which will threaten to collapse, failing the massive involvement of political and monetary authorities. This must be an opportunity to redefine our financial model, including digital money, with an imperative to promote stability and real economic activity.

Bilan géopolitique 2020

mar, 22/12/2020 - 11:56

L’année 2020 a été évidemment marquée par le #Covid-19 qui est venu dégrader la situation économique mondiale et renforcer des tendances stratégiques déjà existantes. La rivalité entre la #Chine et les #États-Unis s’est imposée comme l’élément stratégique central des relations internationales pour les années à venir. La victoire de #Biden face à #Trump ne devrait pas modifier cette tendance. L’Europe pourrait tracer une troisième voie, elle en a donné quelques signaux avec le plan de relance. Le #Brexit pourrait finalement constituer une opportunité pour l’UE. La crise économique a frappé le continent africain, relativement préservé de la crise sanitaire. En #Éthiopie, mais également en #Côte d’Ivoire et en #Guinée, la démocratie vacille. Au #Proche-Orient, #Netanyahou a connu plusieurs succès diplomatiques. Le chaos reste total en Syrie, mais également en Libye. Enfin, en Amérique latine, continent particulièrement frappé par la crise économique et sanitaire, les différents succès de parties de gauche, au #Mexique, en #Argentine, en #Bolivie, viennent nuancer la vague de droite d’il y a quelques années. Le continent est politiquement éclaté. Pascal Boniface dresse le bilan stratégique de l’année 2020 en vidéo.

L’enjeu réel de la digitalisation monétaire face à l’exubérance des cryptomonnaies

lun, 21/12/2020 - 15:06

La pandémie accélère le développement de solutions monétaires répondant à la digitalisation de l’économie. Au-delà des périlleuses montagnes russes des principales cryptomonnaies se joue aussi la mise au point d’un système monétaire efficace et stable pour l’ère digitale, impliquant des monnaies publiques et privées, aux degrés de centralisation très variés. Un entretien avec Rémi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l’IRIS.

Comment ont réagi les cryptomonnaies à la crise du covid-19 ? Comment interpréter l’envolée de certaines d’entre elles ?

Dans l’ensemble, les cryptomonnaies ont chuté brutalement au début de la phase mondiale de la pandémie, de février à mars, puis ont connu un rebond phénoménal. Le bitcoin a connu une chute d’environ 30% puis a bondi d’un niveau inférieur à 5000 dollars pour plus que quadrupler. Ces variations incontrôlables sont la marque de fabrique de la plupart des cryptomonnaies. Rappelons que le bitcoin avait déjà approché les 20.000 dollars en 2018 avant de s’effondrer autour de 3000 dollars.

Le phénomène de hausse à ces niveaux spectaculaire est nourri par la limite aussi bien dans le rythme de création (ou « minage » dans le jargon) que le montant total de bitcoins à terme.  Celui-ci a été fixé dès l’introduction en 2008 de la blockchain comme base de transactions décentralisée, reposant sur des nœuds indépendants, qui sont eux-mêmes rémunérés en bitcoins pour l’ajout de blocs de transaction, suivant une procédure cryptographique. Du côté de la demande, l’engouement mondial d’investisseurs a été largement renforcé ces derniers mois par le soutien de PayPal, qui a annoncé intégrer un certain nombre de cryptomonnaies dans ses solutions de paiements. Ces facteurs de fond poussent à cette hausse et, dans le même temps, les cryptomonnaies souffrent d’une faille existentielle, en ce que les attentes qui les concernent sont en décalage avec leur définition. L’idée d’une architecture de données décentralisée a de nombreuses applications passionnantes, en premier lieu quand aucune instance centralisée ne peut la gérer ou quand se pose un problème de confiance entre participants au système. Mais, sur le plan monétaire et financier, on ne peut guère soutenir l’idée selon laquelle le bitcoin serait le nouvel « or digital », comme on le lit sous la plume de journalistes qui, hélas, ignorent souvent les éléments fondamentaux de son architecture.

Les cryptomonnaies de ce type n’ont pas d’adossement réel et l’on ne peut, de plus, complètement ignorer le risque concernant le risque d’une faille cryptographique majeure qui pourrait à terme émaner de nouveaux moyens de calcul, par exemple avec l’informatique quantique. Cet événement radicalement inattendu, ou « cygne noir », pour reprendre l’expression du grand Nassim Nicholas Taleb, aurait tout de même le potentiel de ramener la valeur du bitcoin vers un autre palier symbolique : zéro. Aussi porteur que soit le principe de ces architectures décentralisées, l’idée de faire reposer des moyens de paiement à l’échelle mondiale et de la consommation de masse sur ces outils posent des problèmes de stabilité et de sécurité qui nécessitent d’importants ajustements.

Pour leur part, les cryptomonnaies de type « stablecoins », qui promettent une valeur stable par rapport à des monnaies de référence, permettent d’éviter certains écueils évidents. Pour autant, en dehors des projets de monnaies digitales de banque centrale, qui devraient être équivalentes à de l’argent liquide, les stablecoins relèvent d’une ingénierie financière qui les renvoie au statut de produit financier synthétique plus que de monnaie. C’est notamment le cas du projet de Facebook.

L’accélération de la digitalisation de l’économie par la pandémie a-t-elle modifié le marché des cryptomonnaies et les projets de monnaies numériques publiques ?

La pandémie a naturellement accéléré la digitalisation avec des phénomènes aussi divers que le télétravail ou l’e-commerce. On observe donc un développement de solutions fondées sur l’adaptation à la vie digitale, notamment sur le plan monétaire. Les cryptomonnaies en sont certes un aspect important. Leur inclusion dans la vie réelle et les moyens de paiement leur donne davantage de crédibilité. Par ailleurs, l’absorption active des dettes publiques liées à la pandémie par les banques centrales se traduit par des montagnes supplémentaires de liquidité qui s’investissent sur tous types de support, à la recherche de rendement. Les cours des cryptomonnaies bénéficient largement de cette situation. Cependant on ne peut les comparer véritablement à des actifs financiers traditionnels.

L’engouement pour les cryptomonnaies et les projets de monnaies digitales d’entreprises privées ont par ailleurs encouragé les projets de monnaies digitales des banques centrales, qui ont le potentiel de révolutionner le rapport entre les agents économiques et la monnaie, dans ce cas à la fois digitale et adossée à la banque centrale. Les monnaies digitales privées comme celle annoncée par Facebook, qui sera beaucoup moins décentralisée que le bitcoin, joue un rôle profondément différent.

Quel que soit l’intérêt que l’on porte à la blockchain et à ses dérivés moins décentralisés, il est difficile de voir un rôle stable et bénéfique à l’utilisation potentiellement généralisée de monnaies digitales d’envergure mondiale. La quasi-totalité des cas d’utilisation de monnaies ne reposant pas sur l’économie réelle et sans ancrage géographique raisonnable se sont soldés par de douloureux atterrissages. Cela a été particulièrement visible dans le cas de la dollarisation de pays en développement au cours des quatre dernières décennies, de l’Amérique latine dans les années 1980-90 au Liban cette année et, dans une autre mesure, dans le cas de la crise de l’euro. Les mêmes failles en termes de compétitivité et d’impossibilité d’adaptation de taux de change à la situation économique et financière nationale réapparaîtraient avec une généralisation de l’usage de monnaies digitales mondiales. La digitalisation monétaire est porteuse d’espoir en termes de simplification des processus économiques, notamment internationaux, mais ne peut complètement faire abstraction de l’Histoire politique et économique. C’est en ce sens que les monnaies digitales des banques centrales peuvent, de leur côté, jouer un rôle considérable.

Quels enseignements économiques doit-on tirer de la résilience des monnaies digitales face à une crise économique mondiale ?

Malgré toute la confusion qui entoure l’engouement pour l’idée de la blockchain, on voit ces technologies développer leur place dans l’économie réelle, alors que le bitcoin a plutôt eu tendance à être l’apanage de milieux souterrains pendant ses premières années. Le soutien de PayPal est un fait majeur, mais ne sous-estimons pas les problèmes que la généralisation de l’usage d’une cryptomonnaie, soit-elle un stablecoin, peut engendrer. Il serait aisé de tomber dans les approximations qui, appliquées à l’échelle de la machinerie financière mondiale, ont engendré les catastrophes économiques des trois dernières décennies.

D’une façon ou d’une autre, la monnaie devrait entrer pleinement dans l’ère digitale, en raison du besoin de simplification des liens monétaires en acteurs économiques et des moyens technologiques concrets qui permettent désormais d’y parvenir. A ce titre les monnaies digitales publiques ont un rôle considérable à jouer, qui doit être défini au moyen d’un débat politique en plus du débat d’experts en cours, de niveau inégal. La digitalisation monétaire, aussi bien dans son pendant public que privé, redéfinira aussi le rôle des banques et pourrait ouvrir la voie à une fintech plus réactive et productive que la finance bureaucratique d’aujourd’hui. Le défi est cependant colossal car la réalité à laquelle nous serons confrontés les prochaines années sera celle d’une montagne de dettes très difficilement gérable et de structures financières et économiques zombies qui menaceront de s’effondrer à défaut d’implication massive des autorités politiques et monétaires. Cela doit être l’occasion de redéfinir notre modèle financier, en y incluant la monnaie digitale, avec un impératif de stabilité et de promotion de l’activité réelle.

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

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